Nirvana

Nirvana Noćas su me pohodili mrtvi.

Nova groblja i vekovi stari;

Prilazili k meni kao žrtvi,

Kao boji prolaznosti stvari.

Noćas su me pohodila mora,

Sva usahla, bez vala i pene,

Mrtav vetar duvao je s gora,

Trudio se svemir da pokrene.

Noćas me je pohodila sreća

Mrtvih duša, i san mrtve ruže,

Noćas bila sva mrtva proleća:

I mirisi mrtvi svuda kruže.

Noćas ljubav dolazila k meni,

Mrtva ljubav iz sviju vremena,

Zaljubljeni, smrću zagrljeni,

Pod poljupcem mrtvih uspomena.

I sve što je postojalo ikad,

Svoju senku sve što imađaše,

Sve što više javiti se nikad,

Nikad neće - k meni dohođaše.

Tu su bili umrli oblaci,

Mrtvo vreme s istorijom dana,

Tu su bili poginuli zraci:

Svu selenu pritisnu nirvana.

I nirvana imala je tada

Pogled koji nema ljudsko oko:

Bez oblika, bez sreće, bez jada,

Pogled mrtav i prazan duboko.

I taj pogled, k'o kam da je neki,

Padao je na mene i snove,

Na budućnost, na prostor daleki,

Na ideje, i sve misli nove.

Noćas su me pohodili mrtvi,

Nova groblja i vekovi stari;

Prilazili k meni kao žrtvi,

Kao boji prolaznosti stvari.

Le Nirvana

Cette nuit-là me visitaient les morts,

Siècles antiques et nouveaux cimetières ;

M’approchaient comme victime expiatoire,

Comme reflet des choses éphémères.

Cette nuit-là me visitaient des mers

Asséchées, sans aucune vague ni écume ;

S’efforçant de mettre en branle l’univers,

Soufflait un vent de mort depuis les cimes.

Cette nuit-là me visitait lе bonheur

Des âmes mortes, rêve d’une morte rose,

Cette nuit-là morte était des printemps l’heure ;

Et le baume d’une mort partout éclose.

Cette nuit-là me visitaient amours,

De tous les temps ô les amours mortes,

Et les amants, enlacés dans la mort,

Dans un baiser de souvenances mortes.

Et tous ce qui a jamais existé,

Et tous ce qui son ombre possédait,

Et tous ce qui ne viendrait plus jamais,

Jamais – à ce moment à moi venait.

Là se trouvaient aussi les nuages morts,

Le temps mort et sa chronique des jours,

Là se trouvait de la lumière la mort :

Le nirvana pressait tout l’univers.

Et le nirvana avait un regard

Que nul être humain ne saurait avoir :

Sans forme, sans joie, sans peine, un regard

Mort et vide jusques au désespoir.

Et ce regard comme une lourde chaîne

Tombait sur moi et sur tous les rêves,

Sur le futur, sur les contrées lointaines,

Sur les idées et toute pensée neuve.

Cette nuit-là me visitaient les morts,

Siècles antiques et nouveaux cimetières ;

M’approchaient comme victime expiatoire,

Comme reflet des choses éphémères.

Edition de l’auteur, Belgrade, 1911.

(Traduit par Boris Lazić)

LE NIRVÂNA

En cette nuit les morts sont montés des abîmes,

Cimetières nouveaux et siècles plus anciens ;

S'ils sont venus me voir, c'est en tant que victime,

Couleur de la matière en marche vers sa fin.

En cette nuit vers moi s'en sont venues les mers,

Sans houle et sans écume, arides, asséchées,

Des montagnes soufflait un vent mort et désert,

Malmenant l'univers pour le faire avancer.

En cette nuit vers moi est venu le bonheur

Des âmes trépassées, rose morte rêvée,

En cette nuit partout tournoyaient les odeurs

Mortes de ces printemps depuis longtemps passés.

En cette nuit me voir s'en est venu l'amour,

Tous les amours enfuis des âges révolus,

Et tous ces amoureux embrassés par la mort

Sous le baiser des souvenirs qui ne sont plus.

Et tout ce qui jamais connut une existence,

Tout ce qui possédait une ombre autour de soi,

Tout ce qui jamais plus ne prendrait d'apparence,

Qui jamais n'en prendrait, est venu jusqu'à moi.

Le temps mort présentait les jours et leur histoire,

Les nuages disparus eux aussi étaient là,

Et les rayons éteints dont on n'a plus mémoire :

L'univers tout entier s'offrait au nirvâna.

Et lors le nirvâna possédait en cette heure

Un regard que jamais ne connaît l’œil humain,

Sans nuages, sans bonheur, sans peine ni douleur,

Fait de vide profond et pour toujours éteint.

Et ce regard, semblable à quelque énorme pierre,

Tombait tout droit sur moi, sur mes rêves secrets,

Sur l'avenir, sur les lointains de l'univers,

Sur toutes les idées et sur tous les projets.

En cette nuit les morts sont montés des abîmes,

Cimetières nouveaux et siècles plus anciens ;

S'ils sont venus me voir, c'est en tant que victime,

Couleur de la matière en marche vers sa fin.

(Traductions en vers : Jean-Marc Bordier)