07 - Le Consensus social (1945-1947)

LE CONSENSUS SOCIAL 1945 - 1947

Introduction

De 1945 à 1947, la France est paisible.

En 1947, les grèves succèdent au calme social. Dès lors, pour l'historien du mouvement ouvrier, deux problèmes se posent : d'une part, expliquer le silence de la classe ouvrière avant 1947 et, d'autre part, essayer de comprendre pourquoi la tempête succède au calme et secoue le nouveau régime. Dans le proces­sus qui mène de la paix sociale à l'ébranlement du régime poli­tique français, l'année 1947 est une date charnière. Elle permet d'observer une expérience d'un régime à participation commu­niste, mais aussi la rupture du front uni de la gauche et les affrontements qui en découlent. Si l'aspect principal de la crise de juin 1936 est social, et si au contraire, en 1958, on est en présence d'un phénomène essentiellement politique, ~:m peut dire que 1947 présente le caractère d'une secousse qw touche tous les secteurs de la vie publique. Il est impossible de déta­cher l'aspect politique de la crise sociale. L'année 1948 est en quelque sorte le prolongement de cette année charnière, de cette année rupture. Mais notre propos n'est pas de faire l'his­toire politique et sociale de la France entre 1944 et 1948. Pourquoi avoir choisi Renault pour illustrer la période? La Régie est en quelque sorte l'entreprise "pilote" de l'époque "Quand Renault s'enrhume, la France éternue." La Régie Renault, entreprise nationalisée, reste le "baromètre" de la classe ouvrière française. Ainsi Robert Fontey écrit (1) : "Les usines Renault constituent un véritable baromètre de l'atmos­phère sociale; lorsqu'elles demeurent calmes, on peut être assuré que les mouvements revendicatifs ne prendront aucun caractère de gravité. Lorsque la fièvre gagne Billancourt, les pouvoirs publics ont intérêt à suivre avec vigilance le déroule­ment des événements."

Les années 1945 et 1946, passé la tourmente, avaient donc été des années de paix sociale à la Régie. Rappelons l'élan après la Libération et le mot d'ordre des communistes, alors au gouver­nement : "Retroussez vos manches." C'est la période idyllique du dialogue permanent, la collaboration de tous à "l'effort commun". La Régie se lance avec la France entière dans la bataille de la production: "Mener la Bataille de la Produc­tion, c'est œuvrer à la renaissance du pays, à l'amélioration des conditions de vie et c'est aussi, pour la Direction, comme pour la section C.G.T., lutter [...] pour le succès de la Régie natio­nale (2)", "pour que [...] notre Régie puisse servir d'exemple à toutes les entreprises françaises (3)". Une "étroite unité de vue" conduit la Direction et la section syndicale à mener de concert la bataille de la production. Les années 1945-1946 se sont déroulées sans que l'on ait eu à déplorer de conflits sociaux à la Régie. L'on peut donc parler de trêve sociale grâce à la mise en place d'un consensus entre la Direction et les ouvriers. Les nou­velles institutions (comité central d'entreprise, délégués d'ate­lier, conseil d'administration) s'étaient mises en place dans le calme, et les quelques conflits du travail étaient restés localisés au niveau des ateliers et s'étaient apaisés rapidement. "Au cours de ces deux années de calme, Pierre Lefaucheux n'avait ménagé ni sa peine, ni les capitaux, pour améliorer les condi­tions de vie du personnel [ ...]. Il avait veillé à maintenir et améliorer, autant que la réglementation existante le lui per­mettait, le pouvoir d'achat du personnel et spécialement celui

(1) Extrait tiré de La Semaine Économzque, 19 septembre 1948, article de Robert Fontey.

(2) L'Accélérateur nO l, avril 1946, p. 1.

(3) B.1. R.N.U.R. nO 15, mai 1946, p. 1 (éditorial de P. Lefaucheux).

des moins payés. Enfin, il avait lutté avec persévérance pour modifier les rapports entre chefs et subordonnés, cherchant à les rendre -tout en maintenant l'indispensable discipline ­cordiaux et confiants. Chaque début d'après-midi pendant une heure, il visitait un atelier [ ...], écoutant les remarques des cadres et les doléances des compagnons, se rendant compte de l'activité et surtout du climat qui régnait entre les uns et les autres (4)".

Le 1er avril 1947, entrait en vigueur la "Récompense pour Longs Services" qui, en attendant que la retraite des vieux tra­vailleurs soit mise en place, devait permettre aux ouvriers de plus de soixante-cinq ans ayant passé au moins vingt ans dans l'entreprise de s'arrêter.

Malgré toutes ces réalisations et cet esprit nouveau, le 25 avril, la grève éclate à l'atelier de taillage, des engrenages, sous l'influence d'un syndicat dissident -le syndicat démocra­tique -contre l'avis de la C.G.T. Elle ne revêt au début qu'un caractère partiel, puis elle affecte la totalité de l'usine, la

C.G.T. ayant décidé ses adhérents à se joindre au mouvement pour ne pas se faire déborder par des surenchères sur sa gauche. Conséquence inattendue, après un pr mai où des cen­taines de milliers de travailleurs défilaient de la République à la Concorde, conduits par le vice-président du Conseil, Maurice Thorez, pour protester contre le blocage des salaires, le président Ramadier demandait aux ministres communistes de partir. "Pierre Lefaucheux constatait avec amertume que la politique était entrée à la Régie, en la prenant comme cheval de bataille contre le gouvernement (5)." Ainsi, "alors que les organisations représentatives de la classe ouvrière particip'ent au gouvernement, les actions qui se déroulent à Boulogne­Billancourt en 1947 précèdent les vagues de grèves qui défer­lent par deux fois sur la France. Dès lors, à travers l'étude de Renault, on peut donner une image locale des luttes ouvrières en 1947 qui est susceptible d'éclairer, malgré sa spécificité, l'analyse de la situation en France (6)." La période du dialogue permanent était terminée chez Renault comme ailleurs. En 1947, avec la guerre froide et le départ des ministres commu­nistes du gouvernement, c'est l'intensification des luttes ouvriè­res et la rupture du dialogue, ce qui oblige Renault à des actions unilatérales.

Pourquoi 1944-1948 ?

Les Usines Renault sont nées en 1898. Elles comptent ainsi parmi les plus anciennes industries d'automobiles du monde. "Du modeste hangar qui vit leurs débuts, un patient grigno­tage de la ville de Billancourt les conduisit à couvrir une super­ficie considérable puisqu'un slogan publicitaire célèbre la compare à la superficie de la ville de Chartres (7)."

La guerre de 1914-1918 fut la cause d'un développement important des usines, mais aussi d'une affectation complète de leur activité aux besoins de la défense nationale. Cette inter­ruption de leur production automobile leur fit perdre définiti­vement, au profit des Américains, la première place dans le monde. Dès 1918, elles se remirent à l'ouvrage et, si elles ne réussirent jamais à reconquérir la première place, du moins ne cessèrent-elles de se développer au poiht de concentrer à Billancourt, en 1938, quelque 35 000 ouvriers.

La guerre de 1939, la défaite, l'Occupation virent le potentiel industriel des usines Renault mis au service des occupants, ce qui entraîna tout d'abord trois sévères bombardements de la part des Alliés, bombardements qui mirent la quasi-totalité de leurs bâtiments à terre. Une autre conséquence fut la confisca­tion, à titre de sanction, au profit de la nation, des usines Renault qui devinrent la Régie nationale des usines Renault en 1944. Ainsi, il est intéressant de commencer l'étude le 4 octo­bre 1944, date à laquelle "l'eXpérience Renault" commence: un arrêté du ministre des Finances et du ministre de la Produc­tion . industrielle a prononcé le 4 octobre 1944 la mise sous séquestre de la Société anonyme des usines Renault et la nomi­nation d'un administrateur provisoire chargé de prendre toutes les mesures de surveillance, de contrôle et de direction en ce qui concerne l'administration des biens, droits et intérêts séquestrés, et d'exercer, avec les pouvoirs les plus étendus, la direction des usines appartenant à la Société, ainsi que d'assu­rer la continuité de leur exploitation.

Si 1947 est une année charnière dans la rupture, 1948 prolonge ce tournant et consomme ce qui était commencé.

L'année 1948 a été marquée par ce que l'on appelle en langage syndical "des débrayages" , c'est-à-dire des arrêts de travail limités dans le temps à quelques heures et souvent accompa­gnés de rassemblements soit dans l'île, soit à la Direction. Ces débrayages que l'on observe tout au long de l'année 1948 mar­quent véritablement la coupure avec le dialogue permanent des années "idylliques" de l'après-guerre. Il convient donc de terminer cette étude en 1948 plutôt qu'en 1947.

L'expression "l'expérience Renault" a été employée dès le mois d'octobre 1944 lors de la mise sous séquestre des usines. C'était, en effet, la première fois que la nation prenait possession d'une entreprise appartenant au secteur concurrentiel. Nationalisée le 16 janvier 1945 par une ordonnance ayant posé les bases de l'organisation, la Régie nationale des usines Renault se trouve placée au'premier plan de l'actualité par l'expérience de ges­tion par l'Etat d'une entrepriseimportante, au niveau tant éco­nomique que social. Partout présente grâce à ses filiales, elle domine nettement le secteur de la construction automobile française dès la fin de la guerre. Entreprise témoin par son rang industriel, elle l'est aussi par le rôle social et politique qu'ont tenu ses ouvriers.

De quoi s'agit-il, en définitive, lorsque l'on parle d"'expérience Renault" ? La réponse en est donnée au cours de la première séance du comité central d'entreprise (8) : on veut démontrer qu'une entreprise nationalisée peut et doit battre n'importe quelle autre entreprise du secteur libre sur les terrains suivants:

-rendement supérieur, c'est-à-dire meilleure utilisation, dans l'intérêt supérieur de la nation, des matières premières mises en œuvre et de la main-d'œuvre employée ;

-meilleure qualité des produits, ce qui explique une meil­leure adaptation des matériels construits, non seulement aux désirs de la clientèle, mais surtout aux besoins véritables de la nation;

-abaissement des prix de vente ;

-amélioration constante des conditions de vie du personnel

de la Régie.

(4) Fernand Picard, L'ÉpoPée de Renault, p. 298.

(5) Fernand Picard, L'ÉpoPée de Renault, P. 299.

(6) Le Mouvement social, octobre· décembre 1972, nO 81, article de P. Fallachon,

p. 111.

(7) Auto·Magazine, juin 1948.

(8) Archives R.N.U.R., paquet Secrétariat du P.·D.G. M. Lefaucheux, loge 10 G, dossier nO 22, 1" séance du C.e.E.

Pierre Lefaucheux termine sur cette idée : "Nous devons arri­ver à ces résultats par un effort commun-de tous les membres de la Régie, chacun donnant à sa place, quelque modeste qu'elle soit, le meilleur de lui-même à l'œuvre commune (9)." On peut donc parler d'une véritable mystique des nationalisa­tions à cette époque.

A. L'avant-garde de la condition ouvrière

"Renault vitrine sociale"

Dans un premier temps, jusqu'en 1947, l'entreprise nationali­sée tranche sur les autres dans un domaine dont la nouveauté entoure d'un halo favorable l'ensemble de l'expérience: le sec­teur public devient la vitrine de la politique sociale du gouver­nement (10). On peut parler de "New Deal" social. Tout concourt en effet à favoriser une modification des règles du jeu social dans l'entreprise, dans la profession et dans la vie quoti­dienne. "Programme du C. N. R. , majorité parlementaire, volonté gaullienne d'imposer la participation, ostracisme du patronat, vitalité des syndicats ouvriers: leur conjonction pen­dant quelques mois permet de refermer la parenthèse de revan­che sociale ouverte depuis l'automne 1936 (rI)".

L'ordonnance du 22 février 1945, qui impose la création de comités d'entreprise dans les établissements industriels et commerciaux de plus de 100 employés, tente de frapper au cœur du système productif.

1. Naissance des comités d'entreprise

Le principe en avait été admis en Conseil des ministres dès le 29 septembre 1944 : il faut mettre un terme aux gestions "sau­vages" . Les dispositions de l'ordonnance du 22 février complètent la loi de 1936 sur les délégués du personnel et ne négligent pas l'acquis positif des comités sociaux créés par Vichy. "La mission des délégués du personnel (12) est de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles et collectives qui n'auraient pas été satisfaites, relatives à l'application des taux de salaires et des classifications professionnelles du code du travail et des autres lois et règlements concernant la protection ouvrière, l'hygiène, la sécurité et la prévoyance sociale -de saisir l'inspection du travail de toute plainte ou observation. Mais les salariés conservent la possibilité de présenter direc­tement eux-mêmes leurs réclamations à l'employeur et à ses représentants. "

"S'il existe dans l'entreprise (13) un comité d'entreprise créé conformément à l'ordonnance du 22 février 1945, les délégués du personnel ont qualité pour lui communiquer les suggestions et les observations du personnel sur toutes les questions entrant dans la compétence de ces comités. S'il n'existe pas de C.E., les délégués pourront communiquer à l'employeur toutes les sug­gestions tendant à l'amélioration du rendement et de l'organi­sation générale de l'entreprise. Ils assureront aussi, en même temps que le chef d'entreprise, le fonctionnement de toutes les institutions sociales de l'établissement."

-Les délégués sont élus sur des listes qui, au premier tour, ne peuvent être que syndicales ; le comité est réuni une fois par mois par la Direction. Nous savons déjà en détail son organisa­tion. Mais l'on peut dire qu'il a deux champs d'activité, la pro­duction, d'une part, le social, de l'autre. En ce qui concerne la production, le comité d'entreprise joue un double rôle, il sert de liaison entre le personnel etla Direction. Or, à la Régie, la collaboration avec la Direction se fait dans une "étroite unité de vues". Pourtant cette tâche est extrêmement difficile en rai­son de l'ampleur de l'entreprise. Nous l'avons déjà vu en détail quand nous avons décrit l'organisation légale de la R.N.U.R. Le comité d'entreprise a droit de regard sur la comptabilité (au grand scandale du patronat qui argüe du secret des affaires face à la concurrence), écoute des exposés sur la marche de l'entreprise, donne des avis et enregistre les réponses aux ques­tions qu'il a posées. Un organe consultatif certes, mais qui ins­talle dans l'entreprise privée des "contrôleurs" de la nouvelle économie dirigée, disent les socialistes et les communistes.

A la Régie, le C.E. "est fortement aidé dans son rôle de liaison par l'existence des syndicats qui par leurs ramifications assu­rent un contact étroit dans tous les éléments de l'entreprise. Il dispose, par ailleurs, de plusieurs pages dans notre Bulletin d'Information mensuel (14)."

En dehors de ce rôle de liaison, le C.E. participe activement à la marche de l'entreprise en faisant des suggestions tendant à l'amélioration de la production sur le plan social; le rôle du comité d'entreprise est considérable puisqu'il doit prendre en mains la gestion totale des œuvres sociales (ce que prévoyait déjà la charte du travail).

"Le monopole de gestion et de décision du chef d'entreprise n'est pourtant pas atteint, et nombre de patrons ne tiendront aucun compte des avis du comité d'entreprise (15)." Le plus souvent, celui-ci est cantonné dans la gestion des œuvres sociales. La revendication est réservée aux délégués du person­nel. Le comité n'a donc souvent qu'une tâche de coopération. La loi du 16 mai 1946 étend les effets de l'ordonnance à tous les établissements privés ou publics d'au moins 50 employés.

"Dans l'entreprise, l'avancée sociale, la "révolutionpar la loi", n'auront pas tous les effets escomptés. Seul le secteur public s'attache à respecter scrupuleusement la lettre et l'esprit de la législation nouvelle (16)."

Le comité d'entreprise ne tire pas seulement de la nationalisa­tion sa spécificité: il lui doit sa création. En effet, c'est dans l'ordonnance portant nationalisation des Usines Renault (17) qu'est portée pour la première fois mention du comité' d'entre­prise : "La Régie nationale des usines Renault est dirigée par un président-directeur général, assisté d'un conseil d'adminis­tration et d'un comité central d'entreprise (18)".

Deux textes sont à l'origine de la mise en place du comité d'entreprise de Renault-Billancourt l'ordonnance du 16 janvier 1945 portant nàtionalisation des usines Renault donc, et le décret du 7 mars 1945 qui détermine les attributions des comités d'entreprise de la Régie. Il convient de lever sans attendre l'ambiguïté des termes (19). En 1945, l'entreprise

(9)

Archives R,N,U,R" paquet Secrétariat du P,-D,G, M, Lefaucheux, loge 10 G, dossier nO 22, 1" séance du C.C,E,

(10)

Jean-Pierre Rioux, La France de la quatn'ème Républ~'que, tome l, p, 112,

(11)

Idem,

(12)

La Vie Ouvrière, jeudi 2 mai 1946,

(13)

Idem,

(14)

Conférence du 10 janvier 1946, à l'École des sciences politiques,

(15)

J.-P, Rioux, p, 113,

(16)

J.-P. Rioux, p, 114,

(17)

Ordonnance nO 45-68 du 16 janvier 1945.

(18)

Article 8 de l'ordonnance, dans le titre II.

(19) La Création du comité d'établissement de Renault-Billancourt, mémoire de maîtrise réalisé par Anne-Sophie Perriaux.

Renault a deux établissements de plus de cent salariés: Billan­court et Le Mans. Si Renault avait été placé sous le régime de droit commun, il y aurait eu, conformément à l'ordonnance du 22 février 1945, un comité d'établissement (C.E.) à Billan­court, un comité d'établissement (C.E.) au Mans et un comité central d'entreprise (C.C.E.) composé des membres des comi­tés d'établissement. Or, si le décret du 7 mars 1947 instaure bien un comité d'établissement, appelé comité local d'entre­prise au Mans, Billancourt n'a pas de C.E. ; c'est le C.C.E. qui supplée à ce manque, jusqu'au 26 mars 1947, date à laquelle, par décret, l'entreprise Renault est replacée sous le régime de droit commun (20). Billancourt a désormais un comité d'éta­blissement qui, mis en place très rapidement, se réunit pour la première fois le 24 mai 1947 après les élections en avril. "Le véritable premier comité d'entreprise est réuni le 1er octobre 1947 (21)." Dès le 24 mai 1947, le comité d'établissement de Billancourt commence à organiser les commissions : cinq commissions techniques et six commissions sociales. Nous étu­dierons le domaine technique dans la partie consacrée au système des suggestions. Quant au domaine social, le comité est chargé de la gestion des œuvres sociales.

2. Les œuvres sociales du Comité d'entreprise

Le C.E. de Billancourt a disposé pour 1947 "d'un budget d'un montant total de 225 164 000 francs, ce qui a rendu possible une extension des activités sociales (22)". Celles-ci ont été grou­pées sous l'autorité d'un directeur des services sociaux, nommé par le comité d'entreprise. Elles sont contrôlées par les diverses commissions sociales.

Ces commissions s'occupent respectivement (23)

N° l, des cantines ;

N° 2, du centre de distribution

N° 3, des sports et loisirs ;

N° 4, de la sécurité et de l'hygiène

N° 5, de l'aide sociale; cette commission comprend elle-même cinq services : -Service des assistantes sociales en 1946 ; elles rendront

8 200 visites, en recevront 4 800 et feront 5 600 démarches ;

Service des crèches et vacances ;

-Service des cours d'enseignement ménager ;

-Service de l'aide familiale qui donne des compléments de

salaire pendant les mois de maternité ;

-Service du logement ;

N° 6, de la prévoyance ; cette commission s'occupe de

-la Société de secours mutuels et d'entraide, fondée en 1911

et qui a 15 728 membres au 31 janvier 1946

-l'assurance bicyclette.

La commissz'on des can#nes est la seule pour laquelle

P. Lefaucheux a prévu "qu'elle serait sous la dépendance du

C.E. (24)". Alors que, lors de l'examen du budget, "la commis­sion estime que certaines charges devraient être supportées par la Régie, le Président estime au contraire que l'exploitation des cantines doit faire un tout. Il est plutôt disposé à revoir la pro­portion des frais supportés par la Régie (25)."

Les cantines font partie des nombreuses œuvres sociales qui ne sont pas mises en place par le C.C.E. mais dont la gestion doit, à partir de 1945, revenir au C.C.E. Elles ont servi au total, au cours de l'exercice 1947, 5 274 000 repas et leur chiffre d'affaires s'est élevé à 248 millions environ (26). Le personnel employé par ces services comprend 630 personnes au

1er

janvier 1948. L'accroissement du coût de la vie a conduit le comité à augmenter en cours d'exercice le prix des repas. Celui-ci est passé de 25 francs à 30 francs au mois d'août. Une nouvelle augmentation, assortie d'un barème progressif en fonction du rang hiérarchique des rationnaires, était mise en application le 19 janvier 1948. Le prix moyen du repas était à cette date de 42 francs, la subvention du comité d'entreprise est restée à 20 francs pendant tout l'exercice.

L'activité de la commzssz'on du centre de distrz'butz'ons s'est accrue d'environ 30 % au cours de l'exercice 1947 et son orga­nisation s'est perfectionnée. Il a fait de gros efforts pour procu­rer aux ouvriers du bois, des pommes de terre, ainsi que des articles textiles et des vêtements pour enfants.

L'az'de socz'ale : cette commission contrôle toutes les œuvres sociales relatives à l'enfance, aux colonies de vacances, à l'entraide et à l'assistance immédiate. Pour l'enfance elle a per­mis d'ouvrir en 1946 deux crèches garderies, qui peuvent accueillir 200 enfants, un préventorium à Garches, une maison d'accueil à Vaucresson. Par ailleurs, la mise en état du foyer d'enfants, situé sur les coteaux de Meudon, à Bellevue, a été poussée activement. Son arbre de Noël offre des jouets à 17 000 enfants. Elle peut aussi grâce à des colonies de vacances les envoyer en vacances, 600 dans le Jura grâce au placement familial, 300 autres à Nemours dans deux colonies dès l'été 1947. Elle accueille 180 enfants de moins de sept ans dans sa colonie sanitaire de Saint-Brévin-l'Océan.

Enfin, la Régie a procédé à l'acquisition à Iffendic (Ille-et­Vilaine) d'une propriété où sera organisée, au cours de l'été 1948, une colonie de vacances pour les enfants les plus jeunes. Elle pratique de même l'assistance et l'entraide, par des dons aux cas sociaux urgents. Un effort particulier a été entrepris en faveur des femmes enceintes ou en période d'allaitement, pour lesquelles un goûter a lieu chaque jour pendant les heures de travail, et en faveur des vieux travailleurs qui bénéficient de secours et d'un repas gratuit servi dans les cantines. La sous­commission chargée du logement procède à l'attribution d'appartements vacants sans pouvoir satisfaire à toutes les demandes.

La commissz'on des Sports et Loisz'rs " Le Club Olympique de Billancourt est sous sa direction. Il regroupe 4 500 adhérents. L'organisation des Loisirs regroupe plusieurs sections : bibliothèque, théâtre, photographie, beaux-arts, ciné-club... Le groupement Loisirs et Culture compte 3 200 adhérents et permet à 8 000 personnes de se distraire à peu de frais.

La commissz'on de Prévoyance s'occupe des vieux travailleurs, elle verse un secours nommé "Récompense pour longs services" (ou R.L.S.), mais nous étudierons plus loin ce système de la

R.L.S. propre à Renault. Enfin, une maison de repos située à Nemours est destinée aux vieux travailleurs. Pierre Lefaucheux dans une conférence à Reims le 10 décembre 1948 s'est

(20)

C'est-à-dire la loi du 16 mai 1946.

(21)

Anne-Sophie Perriaux, mémoire de maîtrise.

(22)

Rapport annuel de gestion de P.-D.G. pour l'exercice 1947, archives R.N.U.R.

(23) Idem.

(24)

Intervention de P. Lefaucheux ; P.-V. de la séance du 24 mai 1945.

(25)

P.-V. de la séance du 14 juin 1945.

(26)

Rapport annuel de gestion du P.-D.G. pour l'exercice 1947.

exprimé ainsi: "Nous apportons une attention particulière aux conditions de vie du personneL .. , nous avons sur le plan social fait le maximum compatible avec nos possibilités. Depuis trois ans, nous avons investi près de 200 millions pour la construc­tion de vestiaires modernes, de lavabos, de douches, pour l'amélioration des moyens de chauffage et de ventilation de nos ateliers. Notre comité d'entreprise reçoit annuellement des sommes importantes pour développer les œuvres sociales qu'il gère : cantines, crèches, maisons d'enfants, préventorium, maison de convalescence, colonies de vacances, etc. Enfin, nous sommes amenés à tenir compte, sans doute plus que les autres, des avis et suggestions qui nous sont apportés par les membres de notre personnel, à quelque échelon de la hiérarchie qu'ils se trouvent placés (27)".

Ainsi, les œuvres sociales du C.E. font de Renault l'avant­garde de la condition ouvrière.

Mais nous allons étudier plus précisément le système des sug­gestions et la mise en place de la R.L.S., qui sont des systèmes propres à la Régie Renault.

3. Le système des suggestions et la mise en place de la R.L.S.

a) Le système des suggestions

L'on peut se poser la question : qu'est-ce que suggérer? L'Accélérateur nous donne une réponse : "Suggérer, c'est se pencher sur tous les problèmes de production dans le cadre du département, en vue de l'amélioration de la production et de l'abaissement du prix de revient, afin de pouvoir obtenir des salaires plus élevés (28)."

Ces suggestions sont nombreuses et diverses: "Les unes portent sur les perfectionnements techniques -c'est ainsi que nous avons adopté sur certains tours un dispositif de sécurité fort ingénieux proposé par un ouvrier -, d'autres constituent une critique d'un élément quelconque de notre organisation, mais cette critique se double en général d'une proposition souvent intéressante. L'une des dernières a porté sur la modification des règles qui présidaient à la réception des machines-outils sortant de réparation (29)." Ces suggestions portent donc sur des points extrêmement divers, tantôt il s'agit de perfectionne­ments à apporter aux machines, et le plus souvent sur des ques­tions de sécurité; elles portent aussi, et c'est très intéressant pour la Direction, sur des questions d'organisation. "Les sug­gestions émanent du personnel, et souvent d'ouvriers qui, sans ce moyen, auraient eu des difficultés à présenter une idée, un perfectionnement; elles émanent également de contremaîtres, d'agents de maîtrise (30)." Elles viennent d'ailleurs pour "41 % des ouvriers, pour 37 % de chefs d'équipe et pour 15 % de contremaîtres. Elles ont permis de réaliser des économies annuelles d'un montant de près de 10 millions de francs (31)."

Tout membre du personnel peut donc faire des suggestions. Les commissions techniques tiennent compte dans leur étude de la dépendance de l'objet des suggestions envers les attribu­tions-de l'auteur; ainsi les suggestions d'un ingénieur dans le cadre de son département font partie de son travail propre et ne justifient pas d'une procédure autre que la voie hiérar­chique _; d'autre part, les ingénieurs ou cadres supérieurs peu­vent présenter un projet pour un autre service que le leur, et cela sous une forme technique qui soit complète par elle­même, ainsi le secrétariat du C.E. recevra directement les sug­gestions des ingénieurs et cadres supérieurs et des membres du comité d'établissement (32). On a donc ménagé ainsi

-aux ouvriers, le moyen de s'exprimer ;

-au Comité d'entreprise, celui de suivre l'étude et l'évolution des suggestions ;

-à la Direction, celui d'étudier, conformément à la marche générale de l'entreprise, les suggestions proposées ;

-la responsabilité du Directeur général, président du C.E., qui seul prend la décision.

Le 24 mai 1945, la première tâche économique du C.C.E. évo­quée est celle qui consiste à examiner les suggestions du person­nel (33).

P. Lefaucheux propose de diviser l'usine en secteurs. Après dis­cussion, cinq secteurs sont définis, en tenant compte de l'aspect technique comme de la situation géographique. Pour chaque secteur, sur proposition, le 14 juin 1945, de M. Cazenabe, élu

C.G.T., une commission technique est mise en place.

L'acheminement des suggestions est décrit par le président dès la deuxième séance du Comité. Il est expliqué au personnel par les membres du C.C.E. dans la première communication qu'ils rédigent dans le Bulletin intérieur (B.l.) R.N.U.R. : "Dans chaque département, un représentant aux suggestions est nommé d'accord entre la Direction et le Comité d'entreprise.

Ce représentant est assisté d'un comité mixte à la production composé de deux ouvriers et deux techniciens (34)." Ces comi­tés mixtes à la production n'interviennent que pour préciser ou enrichir la suggestion, mais ne peuvent l'éliminer. L'achemine­ment d'une suggestion se fait ainsi (voir le schéma de fonction­nement ci-après) (35) :

-Tout d'abord la rédact'ion des suggestz'ons : dans chaque département, un correspondant du C.E. tient à la disposition du personnel des formules pour établir les suggestions. Les sug­gestions anonymes sont acceptées sous réserves.

-La remt'se des suggest'ions : la suggestion ainsi rédigée peut être remise soit :

au correspondant du C.E.,

au secrétariat du C.E.

Dès la réception de la suggestion au secrétariat du C.E., elle est numérotée, enregistrée et un reçu en est donné à l'auteur; ce reçu porte, outre le numéro d'ordre de la suggestion, le numéro de la commission d'étude qui en sera chargée.

(27) Discours de P. Lefaucheux à Reims le 10 décembre 1948 : "L'expérience Renault" (archives R.N.U.R.).

(28) L'Accélérateur, nO 4, septembre 1946.

(29)

P. Lefaucheux, conférence de presse, 26 septembre 1945.

(30)

P. Lefaucheux, conférence à l'École nationale d'organisation économique et sociale, le Il décembre 1945.

(31)

P. Lefaucheux, conférence de Reims, le 10 décembre 1948.

(32)

L'Accélérateur, nO 11, janvier· février 1948.

(33)

Anne·Sophie Perriaux, mémoire de maîtrise, p. 40.

(34)

B.1. R.N.U.R., nO 6, juillet-août 1945, p. 2 et 3.

(35)

L'Accélérateur, janvier-février 1948, nO Il.

Les suggestions sont ensuite réparties aux cinq commissions d'études techniques du C.E., suivant leur objet : 1re commission matières premières, forges, fonderies

2e

commission mécanique générale ;

3e

commission tôlerie, carrosserie ;

4e

commission fabrications diverses : caoutchouc, pein­tures, entretien, centrales, chromage

5e

commission organisation, administration, apprentissage.

L'étude des suggestz'ons

Les suggestions sont étudiées par les commissions techniques au cours de leurs conférences de quinzaine. Cette étude donne lieu à des enquêtes faites sur place par le représentant de la Direc­tion, assisté du secrétaire du C.E., ou d'un ou plusieurs mem­bres de la commission désignés par le président. Ces enquêtes peuvent être complétées d'une étude faite par le service de la Régie (B.E., B.E.O., Méthodes, etc.).

Les commissions ayant connaissance de tous les éléments de l'étude prennent alors position. En particulier, les commissions jugent de la prime éventuelle en raison de l'économie men­suelle réellement réalisée, de la valeur technique de la sugges­tion, de la classification de l'auteur (coefficient hiérarchique, dépendance de la suggestion des attributions de l'auteur). Un rapport est alors établi par le représentant de la Direction, en accord avec la commission et le secrétaire technique du C.E., rapport soumis au C.E., dont le président décide en dernier ressort.

-La réalisation des suggestions "

". Les rapports des suggestions sont alors remis au représentant de la Direction générale pour leur mise en application par les services intéressés. Une lettre de remerciements ou de félicita­tions du Président-directeur général est finalement envoyée aux auteurs avec prime s'il y a lieu, et accompagnée du rapport présenté au C.E.

L'Accélérateur de janvier-février 1948 livre le bilan des sugges­

tions techniques pour l'année 1947 :

Suggestions en étude le 1 er janvier 1947 ............. , 242

Suggestions reçues au cours de l'année .............. , 444

Suggest~ons ret;n~es ............................. , 580

SuggestIons pnmees ............................. , 165

Suggestions en étude fin décembre ................. , 106

PT1:mes attribuées aux auteurs,'

Pour économie matière et main-d'œuvre ..... . F 671 000 Pour améliorations diverses (qualité, etc.) ... . F 125 000 Pour hygiène et sécurité .................. . F 261 000

Total .............................. . F 1 057 000

Économz'es mensuelles,'

Sur main-d'œuvre ....................... . F 555 485

Sur matière ............................ . F 208449

Total .............................. . F 763 934

L'économie totale mensuelle s'est chiffrée à F 414 390 en 1947. On peut parler d'un énorme succès des suggestions de 1945 à 1947 comme en témoignent l'intense activité des commissions techniques (36) et le nombre de récompenses décernées. Ce succès doit beaucoup au système de prime, mais aussi à l'excellent promoteur que fut P. Lefaucheux, pour qui les suggestions présentent, outre les récompenses matérielles, "d'autres avantages, en particulier celui d'attirer sur leurs auteurs l'attention de la Direction (37)".

Il convient maintenant d'étudier le système qui a fait de Renault l'avant-garde de la condition ouvrière, qui lui a per­mis de devenir une vitrine sociale. En effet, la création de la

R.L.S. par Renault fut l'événement qui servit de germe aux futures retraites complémentaires.

b) La mise en place de la récompense pour longs services (R.L.S.)

Depuis l'après-guerre, parmi les autres réalisations, l'une qui est des plus importantes est celle de la généralisation des régi­mes de retraite et de prévoyance. A cet égard, les accords conclus à la Régie dans ce domaine ont été d'une importance capitale et l'historique sommaire qui suit permettra de mieux comprendre la situation. La généralisation de la Sécurité sociale a dans son principe été votée fin 1945. A cette époque, certains salariés bénéficiaient de régimes spéciaux (à la Régie, assurance de groupe) constitués après que les intéressés aient été exclus des assurances sociales en raison du niveau de leur rémunération. A la Régie, les agents de fabrication représen­taient approximativement l'échelon hiérarchique à partir duquel l'exclusion était possible. Ces régimes offraient des avantages supérieurs, dans l'ensemble, à ceux des assurances sociales notamment en cas d'invalidité, de décès et de retraite. Le 1 er avril 1947, la Direction et les organisations syndicales se mirent d'accord pour la création de la récompense pour longs services (R.L.S.). Ce fut l'événement qui servit de germe aux futures retraites complémentaires car, dès cette époque, se des­sinèrent les créations de régimes de retraite "maison". La

R.L.S. était créée dans le but d'apporter un complément de ressources à son personnel ancien sans aucune participation de celui-ci. Mais cette R.L.S. n'est qu'un "palliatif et non pas une certitude pour les vieux travailleurs de l'usine (80)". On peut encore lire dans les Cahiers Français d'Informatz'on que cette récompense pour longs services "n'est que le prélude d'une organisation susceptible d'accorder un repos décent aux vieux travailleurs (39)". En effet, P. Lefaucheux ajoute: "Nous rap­pelons que nous serions désireux de voir la R.L.S. devenir une véritable retraite ouvrière qui, au même titre que celle des fonctionnaires, puisse donner à celui qui en est titulaire une assurance d'aide pour ses vieux jours. Nous pensons que les sommes nécessaires pour servir cette retraite pourraient être prélevées sur les bénéfices de l'usine (40)."

Ainsi, le Comité d'entreprise avait depuis longtemps mis à l'étude l'institution de la "Récompense pour longs services (41)" au profit du personnel âgé de la Régie cessant son travail, en attendant le développement de la Sécurité sociale. "Il a pu mettre sur pied cette réalisation qui tenait tant au cœur de tous ceux qui siègent au Comité d'entreprise et qui estiment néces­saire cette action de solidarité envers de vieux travailleurs qui ont tant contribué à édifier notre commun outil de travail (42)" .

-Le financement de la ''Récompense pour longs services"

(43).

Il n'y a aucune cotisation de la part du personnel.

(36)

"Surchargées de travail", B.!. R.N.U.R. nO 9, novembre 1947, p. 9.

(37)

B.1. R.N.U.R. nO 8, octobre 1945, allocution de M. Lefaucheux.

(38)

B.!. mai-juin-juillet 1948, nO 29.

(39)

Cahiers français d'information, article de P. Lefaucheux, le, novembre 1948.

(40) Idem.

(41)

Elle a été mise au point en 1946 et n'est entrée en vigueur que le 1"' avril 1947.

(42)

L'Accélérateur, nO 8, février-mars 1947.

(43) Idem.

La récompense attribuée pour longs services n'est en aucune

manière calculée en liaison avec les retraites quelconques de la

Sécurité sociale et de l'assurance de groupe·: indépendance

absolue de la récompense, c'est-à-dire cumul avec tous les

genres de retraites.

Chaque année, le Comité d'entreprise affecte à la "Récom­

pense pour longs services" un montant pris sur son budget ali­

mentant la répartition aux intéressés.

Cette affectation, dépendant de l'activité de la Régie, peut être

chaque année révisée en hausse ou en baisse.

-Les condz'tz"ons requzses pour bénéft'der de la R. L. S.

L'âge normal du droit à la R.L.S. est de soixante-cinq ans,

comme à la Sécurité sociale. La date d'ouverture du droit à la

R.L.S. ne peut être qu'un Jer janvier.

L'âge exceptionnel de cessation de service avec attribution dif­férée de la R.L.S. : à partir de soixante ans, un intéressé peut cesser son service à la Régie, étant entendu que la R.L.S. ne lui sera attribuée qu'à partir de soixante-cinq ans.

En cas d'inaptitude au travail, un intéressé peut cesser le tra­vail à partir de soixante ans.

-Les condz"tz'ons d'andenneté requz"ses

Le nombre d'années de présence requises, continues ou non, est décompté à partir de l'âge de trente ans : au moins vingt années, à l'âge normal de la R.L.S. (à partir de soixante-cinq ans) ; ou à l'âge de cessation de service, après soixante ans, en cas d'attribution différée de la R.L.S. ; exceptionnellement, au moins quinze années en cas d'inaptitude au travail à soixante ans -seize années en cas d'inaptitude au travail à soixante et un ans -dix-sept années à soixante-deux ans ­dix-huit années à soixante-trois ans -dix-neuf années à soixante-quatre ans.

-Le problème du cumul

En aucun cas, la R.L.S. ne saurait être cumulée avec un avan­tage quelconque que la Direction de la Régie a attribué ou attribuera à un vieux travailleur ayant quitté la Régie, de quel­que échelon hiérarchique qu'il soit.

-Pour le personnel vivant ayant déjà quz"tté la Régz'e avant la

date d'applz"catz'on de la R.L.S. (1er avril 1947)

Il faut avoir eu trente années de présence, continue ou non, à

partir de l'âge de trente ans, la R.L.S. étant versée à partir de

soixante-cinq ans.

Il n'y a pas d'attribution de la R.L.S. à ceux dont le dernier

départ a été occasionné par une faute grave ou par décision du

comité d'épuration de la Régie qui a fonctionné après la

Libération.

-Cas des veuves des membres du personnel décédés en cours d'actz"vz"té de servz'ce après le 1er avrzï 1947

En cas de décès survenant après le 1 er avril 1947 d'un membre du personnel en activité de service après cinquante ans d'âge et vingt années de présence, attribution à la veuve non remariée, quand elle atteindra soixante ans, de 60 % de la R.L.S. qui aurait été attribuée au mari.

-Détermz'natz"on du montant z'ndz'vz'duel de la "Récompense pour longs servz'ces"

La R.L.S. est alimentée par une simple répartition. Il est attri­bué à chaque intéressé, à la date d'ouverture de son droit à la R.L.S., un nombre de parts invariable jusqu'à son décès. Cha­que année, le Comité d'entreprise détermine le montant de chaque intéressé en fonction de l'importance du budget alloué à la R.L.S. et du nombre de parts à servir.

Le nombre de parts attribué à chaque intéressé est égal au nombre d'années de présence (avec un maximum de trente).

Le montant de la part pour l'année 1947 est fixé à 1 000 francs.

Les paiements seront effectués à domicile sans frais : par chè­ques postaux d'assignation payés par le facteur des P. T.T.

-Gestz"on de la R. L. S. Ce sont les services sociaux dépendant du Comité d'entreprise qui assurent la gestion de la R.L.S. La conclusion du texte exposant la création de la "Récompense pour longs services" est significative de l'esprit de l'époque (44). "Dans la mesure de ses moyens, et dans les circonstances actuelles, le Comité d'entre­prise estime faire le maximum pour les camarades âgés ayant apporté leurs services au travail commun. Il estime de son devoir de rappeler à tous que, pour avoir la possibilité de soute­nir les camarades âgés, il faut d'abord que la Régie produise dans des conditions industrielles et financières saines."

Ce n'est qu'en 1952 .qu'il est apparu que, pour apporter des améliorations importantes au système, il fallait créer un régime de retraite auquel pourraient adhérer d'autres entreprises et dans lequel les salariés apporteraient une participation finan­cière et, par l'intermédiaire de leurs syndicats, il serait possible d'en contrôler la gestion et de décider paritairement des amé­liorations. La mise en place de la Caisse de retraite inter­entreprises (C.R.!.) s'est faite le 1er janvier 1956. Cette création a été suivie, et ce n'est pas l'effet du hasard, par la création de régimes de retraite particuliers et surtout par la décision de généraliser les institutions de retraites complémentaires prise à la fin de l'année 1961.

La C.R.!. avait ouvert la voie et, avant elle, la R.L.S.

Ainsi, la R.L.S. a bien été une conquête sociale de la Régie puisqu'elle a servi de germe aux futures retraites complémen­taires. On ne s'étonne plus de lire dans un document daté du 23 janvier 1975 émanant du Comité central d'entreprise Renault, intitulé 1945-1975, 30 ans de Régz'e Natz"onale, dans le chapitre consacré à "la Reconstruction 1945-1947", l'appré­ciation suivante: "Sur le plan de la législation sociale, la Régie est une entreprise pilote pour l'ensemble du pays".

Dans le domaine social, de très gros efforts ont donc été accom­plis pour tenter d'améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs, ou tout au moins d'apporter une aide aux situations les plus difficiles. Mais l'exemple donné par Renault s'est fait dans des conditions propices : "la trêve sociale".

(44) L'Accélérateur, nO 8, février-mars 1947.

B. La trêve sociale

1. La paix sociale : 1944-1947 "Le démarrage s'est fait dans l'enthousiasme -un enthou­siasme patriotique qu'on ne peut pas oublier et qui s'est peu à peu transformé en climat de concorde sociale. Et depuis, le tra­vail s'est poursuivi dans une atmosphère de compréhension

mutuelle qui reste le meilleur garant de l'avenir de la Régie", peut-on lire dans Le Populaz·re du 17 juillet 1947.

Le témoignage de Pierre Dreyfus est aussi convaincant quant à la paix sociale qui règne chez Renault à l'époque : à la Libéra­tion, Pierre Lefaucheux avait joui d'une atmosphère de cette qualité. La gauche participait alors au gouvernement, et c'est un communiste, Ambroise Croizat, qui détenait le portefeuille du Travail. Pierre Lefaucheux avait même pu nommer respon­sable du personnel un syndicaliste, secrétaire C.G.T. du comité d'épuration. Selon les témoignages que j'ai pu recueillir sur cette époque, les délégués syndicaux contribuaient alors au moins autant que la hiérarchie classique à la reprise de la pro­duction ; "Nous allons faire de la Régie le balcon du syndica­lisme", leur avait promis Pierre Lefaucheux (45). "Je vous demande votre confiance, de travailler de toute votre activité et, en troisième lieu, de travailler dans le calme", déclare

P. Lefaucheux le 10 novembre 1944 devant les ouvriers des usines Renault.

Le B.1. nO 22 publie en février-mars 1947 : "En tout cas, depuis la création de la Régie, son personnel peut servir de modèle à toutes les entreprises françaises dans tous les domai­nes." De nombreux textes témoignent de l'attitude du person­nel Renault lancé dans la bataille de la production et qui sem­ble respecter la trêve .sociale : "Ils ont travaillé, l'évolution ascendante de la courbe de production est la meilleure preuve de cette attitude résolue de la Régie nationale qui l'entraîne à affronter chaque mois de nouvelles difficultés d'approvisionne­ment. Mais le progrès est à ce prix et les usines Renault don­nent l'exemple (46)".

Enfin cet article de L'Unz·vers en août 1946 : "C'était pendant l'hiver 1944-1945, particulièrement rigoureux. Pour comble, les restrictions d'électricité ne permirent de travailler que de nuit par des froids de -10°. Et il n'y avait même pas moyen de servir des boissons chaudes au personnel puisqu'on n'avait aucune des denrées permettant de confectionner des boissons chaudes. Et cependant, chacun resta ferme au poste."

Cet article montre donc que, malgré la difficulté des condi­tions de travail, personne ne cherche à rompre la "paix sociale". Cet état d'esprit est entretenu par les dirigeants qui sont hostiles à tout mouvement. Ainsi, une grève ayant éclaté à Béthune, Maurice Thorez la désapprouve : ''Je dis franche­ment qu'il est impossible d'approuver une grève de mineurs en cette période, surtout lorsqu'elle éclate en dehors du syndicat... 20 à 30 000 tonnes de charbon ont été perdues de cette façon; c'est une faute grave contre le pays, contre le syndicat, contre l'intérêt des mineurs eux-mêmes (47)."

De la naissance de l'entreprise nationalisée à mai 1947, la Régie Renault connut une période de calme social, à l'excep­tion toutefois de petites escarmouches et, nous signale Heuzard, d'une première grève à l'usine du Mans en 1946, pour de meilleurs salaires et l'amélioration des conditions de travail. En mars 1946, la C.G.C. Renault, plus ou moins dissi­dente de la C.G.C. nationale, essaie de lancer, sans succès, une grève. A la réunion du C.E., A. Chèze souligne que "ces gens­là sont liés à un parti politique, le P.R.L. (48) (la C.G.C. d'aujourd'hui n'a rien inventé) opposé à la nationalisation", "nous relevons le gant", dit-il (49). En fait, le 28 mars 1946, les membres du C.C.E. sont appelés à désigner "des représentants du personnel cadres auprès de la commission départementale d'arbitrage. Deux listes sont en présence, la liste C.G.C. et la liste commune C.G.T.-C.F.T.C. [...] M. Nion explique la position difficile qu'il occupe au C.E. puisque, élu au titre de la C. G. C., il a été [...] mis en minorité dans la dernière assem­blée syndicale [ ...]. Il s'abstiendra donc (50)". Le représentant de la C.G.T., M. Chèze, "explique que son organisation prend nettement position contre la C.G.C. car cette organisation a préconisé un mouvement de grève au moment où tout le monde parle de produire pour redresser le pays. La C.G.C. a pris une mesure politique et, de ce fait, entre dans le combat contre nous. Nous relevons le gant et nous déclarons être nette­ment contre la C.G.C. (51)." Les membres du C.C.E. approu­vent cette déclaration.

P. Lefaucheux "estime normal que, pour un vote de cette nature, le président du C.E. s'abstienne [ ...]. Il ajoute qu'au moment où tous les efforts doivent porter sur la production, il est regrettable qu'un groupement prenne une décision contraire en déclenchant une grève (52)."

Ainsi la Direction, le C.C.E. et la section syndicale adoptent la même attitude hostile en 1946 au mouvement de grève déclen­ché par la C.G.C. Un autre mouvement éclate le 27 novembre 1946 au Mans, mais il cesse trois jours après. "Une grève avait éclaté mardi à l'usine du Mans de la R.N.U.R. Elle avait pour objet d'appuyer une demande du personnel relative au renvoi d'un ingénieur administratif. L'incident vient d'être réglé par les représentants de la Direction de la Régie, d'une part, du syndicat des métaux, d'autre part. Le travail a repris dès hier matin", cite L'Époque du 30 novembre 1946. Le Populaz·re transmet : "Le travail a repris jeudi matin, mais certains élé­ments du personnel de direction et de maîtrise adhérant à la

C.G.C. firent effectivement grève contre l'action ouvrière. Aujourd'hui, le problème est en voie de solution (53)." Cette information est réfutée par L'Époque qui écrit àla même date : "A ce sujet, la Confédération générale des cadres précise que la majorité des ingénieurs de la Régie Renault du Mans, syndiqués chez elle, n'a pas participé à cette tentative de substi­tuer à la Direction locale une autorité non qualifiée. On sait en effet qu'une partie des ouvriers voulait substituer à la Direction le Comité d'entreprise."

La Régie a donc résolu ses difficultés de 1946, "en particulier cette grève du Mans, si mal commencée, si rapidement termi­née grâce aux efforts conjugués de tous les pompiers appelés par leurs fonctions directoriales ou syndicales à combattre ce

(45) P. Dreyfus : Une natzonalisation réussz'e : Renault, chap. II, L'Avant-garde de la condition ouvrière, p. 50-51.

(46) La Semaine Économz'que et Fz'nancz'ère, 4 octobre 1946.

(47)

Georges Lefranc : Le Mouvement syndz·cal.

(48)

Parti républicain de la liberté qui, à la Libération rassemble la droite la plus réaction­naire et les nostalgiques de la collaboration.

(49) Claude Poperen, Renault, regards de l'zntén'eur, p. 52.

(50) P.-V. de la séance du C.C.E. du 24 mars 1946.

(51)

Idem.

(52)

Idem.

(53) Le Populaz're, 30 novembre 1946.

commencement d'incendie, grève terminée dans un effort de compréhension mutuelle et dans des conditions de clarté et d'~quité qui ne: doivent permettre à personne, quelles que SOIent ses fonctIons ou son appartenance syndicale, de dire qu'il est sorti vainqueur de cette affaire (54)."

~insi les .années 1945 et 1946, passé la tourmente de l'épura­tIon, avalent été des années de paix sociale à la Régie. Les nou­velles institutions (Comité central d'entreprise, délégués d'ate­lier, conseil d'administration) s'étaient mises en place dans le calme, et les quelques conflits du travail étaient restés localisés au niveau des ateliers et s'étaient apaisés rapidement.

"Au cours de ces deux années de calme, Pierre Lefaucheux n'avait ménagé ni sa peine, ni les capitaux, pour améliorer les conditions de vie du personnel: lieux d'aisance, douches, lava­bos, vestiaires, ventilation, chauffage, création de cantines confortables, d'une crèche, de maisons de repos, de centres de vacances. Il avait veillé à maintenir et améliorer, autant que la réglementation existante le lui permettait, le pouvoir d'achat du personnel, et spécialement celui des moins payés. Enfin, il avait lutté avec persévérance pour modifier les rapports entre chefs et subordonnés, cherchant à les rendre -tout en main­tenant l'indispensable discipline -cordiaux et confiants. Chaque début d'après-midi pendant une heure, il visitait un atelier de son pas rapide, écoutant les remarques des cadres et les doléances des compagnons, se rendant compte de l'activité et surtout du climat qui régnait entre les uns et les autres (55)."

Pendant cette période de calme social, le dialogue s'était ins­tallé entre la Direction et les ouvriers.

2) Le dialogue Direction-ouvriers

Le dialogue se situe d'abord au niveau des dirigeants: "Rap­pelons l'élan après la Libération et le mot d'ordre des commu­nistes, alors au gouvernement : "Retroussez vos manches". Ce fut la période idyllique du dialogue permanent (56)." De même, le dialogue s'établit entre P. Lefaucheux et les élus du

C.C.E.

A partir de là, le fait que le Comité adopte à l'égard du personnel la même attitude que la Direction ne surprend plus. Comme P. Lefaucheux, et parfois avec lui, les membres du

C.C.E.

félicitent et blâment. De plus, le Comité d'entreprise, assurant la liaison entre le personnel et la Direction, "doit ser­vir d'intermédiaire et transmettre les suggestions du personnel (57)". Il est donc l'élément qui sert de lien dans le dialogue Direction-personnel. P. Lefaucheux cherche lui-même à ali­menter ce dialogue puisqu'il ajoute: "Il faut abandonner cette idée que l'ouvrier doit se cantonner dans un rôle mécanique et ne s'occuper que de la machine qu'il est chargé de servir ou du travail matériel qu'il est chargé de faire. L'ouvrier doit ouvrir les yeux. Il doit regarder autour de lui, il doit réfléchir aux problèmesde production qu'il est à même d'étudier de par ses fonctions dans l'usine, et il doit faire des suggestions (58)".

Le dialogue entre la Direction et le personnel est facilité, d'une part, par L'Accélérateur, le journal du Comité d'entreprise paraissant tous les deux mois, qui présente le bilan mensuel de la production et les activités des commissions diverses, et, d'autre part, par le Bulletz"n d'Informatz"on de la Régie natio­nale des usines Renault. Ce bulletin d'information est une publication mensuelle d'une dizaine de pages, le C.C.E. y dis­pose de deux à trois pages. Outre les communications du Comité, il présente les éditoriaux de P. Lefaucheux et le compte rendu de la réception des délégués du personnel par la Direction. Pierre Lefaucheux pouvait ainsi "informer directe­ment les familles des travailleurs en adressant à leur domicile ce bulletin mensuel qui contenait une page spéciale pour les femmes (59)". Enfin, le dialogue s'établit également entre la section syndicale et la Direction. Cet accord fondamental qui existe entre la section syndicale et la Direction s'explique par "l'attitude de la C.C.T., laquelle était dictée par le mot d'ordre national : produire (60)".

Le 26 octobre 1944, on peut lire sur les murs de la Régie: ''Je décide, en conséquence, qu'une fois par quinzaine je recevrai les délégués syndicaux agréés qui m'exposeront celles des ques­tions qu'ils croiront faire l'objet de mon examen personnel (61)".

Ainsi, la période 1944-1947 est marquée par le dialogue per­manent qui s'est établi entre la Direction et le personnel. "La grève ne paye pas, vous avez des délégués régulièrement élus. Ils doivent prendre leurs responsabilités sans les abdiquer entre les mains d'éléments souvent suspects, d'organismes irresponsables, de prétendus comités de grève élus en quelques minutes, à mains levées, par quelques hommes, dont beaucoup sont inconnus de la plupart d'entre vous (62)", écrit P. Lefaucheux, cherchant par là à faire l'éloge du dialogue aux dépens de la grève. Il pré­fère s'adresser "aux délégués élus du personnel qu'il a reçus lui­même chaque mois avec les représentants syndicaux, lorsque ceux-ci l'ont demandé, afin d'être informé personnellement et aussi directement que possible de leurs besoins et de leurs diffi­cultés (63)".

"Enfin, je vous demande de coopérer avec moi à tout ce qui peut, dans tous les domaines, favoriser le perfectionnement et l'amélioration de cette maison (64)", déclare P. Lefaucheux en 1944, élargissant ainsi le dialogue jusqu'à la participation du personnel dans la marche de l'entreprise.

3) La participation du personnel à la marche de l'entreprise

''Je tiens à vous parler de l'un des aspects essentiels de l'expé­rience Renault : la participation du personnel à la marche de l'entreprise (65)." En effet, cette participation, on la retrouve dans la bataille de la production dans laquelle se sont jetés les ouvriers de la Régie. "La participation à la marche de l'entre­prise, ils l'ont prouvée en travaillant comme ils l'ont fait depuis la ~ibération, dans des conditions atmosphériques parfois ternbles, pendant trop longtemps en équipe de nuit. Ils la prouvent encore en tenant régulièrement nos programmes et en respectant ponctuellement les cadences compatibles avec

(54) B.1. nO 21, décembre 1946-janvier 1947, discours de P. Lefaucheux, le 23 décembre 1946.

(55)

Fernand Picard, L'Épopée de Renault, p. 298.

(56)

Pierre Dreyfus, Une nationalisation réussie,' Renault, p. 66.

(57) Allocution prononcée le 15 octobre 1945, par P. Lefaucheux devant le personnel des usines de Saint-Michel-de-Maurienne.

(58)

Idem.

(59)

Pierre Dreyfus, Une nationalisation réussie,' Renault, p. 51.

(60)

Anne-Sophie Perriaux, mémoire de maitrise, p. 99.

(61)

Archives R.N.U.R., paquet nO 3, contrôle général, originaux avis et affiches, avis nO 667 de l'administrateur provisoire, le 26 octobre 1944.

(62)

B.1. R.N.U.R. nO 26, novembre-décembre 1946, p. 2.

(63)

B.1. nO 8, octÇ>bre 1945, allocution de P. Lefaucheux au personnel de la Régie le 5 octobre 1945.

(64)

P. Lefaucheux, le la novembre 1944, allocution aux ouvriers des usines Renault.

(65)

P. Lefaucheux, conférence de presse, le 26 septembre 1945.

nos disponibilités en matières premières. Ils la prouvent cha­que jour, toutes les fois qu'on leur demande, soit de retarder leur congé, soit de faire des heures supplémentaires, soit de tra­vailler la nuit ou le dimanche pour sortir plus vite un matériel réclamé par un service public indispensable à la vie du pays ou pour réparer une machine qu'une avarie retirait de la production. "

L'Accélérateur parle en mai 1946 de "la collaboration étroite qui doit être établie entre les chefs responsables et le personnel ouvrier et employé, afin de renforcer l'esprit de responsabilité et d'autorité (66)". Cela permet la collaboration des travail­leurs à l'amélioration du rendement. En effet, dans l'entreprise nationalisée, "Direction et personnel poursuivent les mêmes objectifs : amélioration des conditions de travail et, surtout en 1945, accroissement de la production (67)".

"L'idée nouvelle, c'est la coopération entre la Direction et les ouvriers. Autrefois, dans le régime d'économie libre où la loi de l'offre et de la demande jouait pleinement, le mobile de tous les actes était l'intérêt individuel. L'intérêt des patrons était exclu~ sivement de faire prospérer leurs entreprises; celui des ouvriers, seulement d'assurer un meilleur salaire.

"Il en résultait une opposition entre deux groupes d'individus qui doivent normalement collaborer pour assurer une produc­tion convenable. Ces temps sont révolus, Direction, Maîtrise, Ouvriers, ont un but commun: la réussite de l'Entreprise pour la grandeur de la France (68)."

En mai 1946, le Comité d'entreprise de Boulogne-Billancourt lance une revue adressée au personnel et intitulé L'Accéléra­teur. Le premier "édito" la situe sans réserve dans le contexte de l'époque: "Symbole de l'action toujours plus rapide qui doit permettre à tous d'améliorer la marche de notre entreprise, par des suggestions et des critiques objectives et, parallèlement, de réaliser toujours plus dans le domaine social pour le bien de tous." Ainsi, le journal du Comité d'entreprise permet au per­sonnel de participer à la marche de l'entreprise. Il en est de même pour le système des suggestions qui représente "le témoi­gnage de l'intérêt toujours plus grand que prennent les mem­bres du personnel de la Régie à l'amélioration de la marche de l'entreprise (69)". En effet, "les suggestions sont pour les ouvriers un moyen d'apporter des perfectionnements aux machines ou aux systèmes de sécurité, enfin, et c'est le plus intéressant, aux questions d'organisation de la Direction (70)".

En effet, elles permettent au personnel de participer au travail de conception de la Direction. "Organisme élu, le C.C.E. représente donc le personnel qui coopère par son intermédiaire à la bonne marche des usines (71)." Il ne faut donc pas oublier le C.E., élément central de la participation du personnel à la marche des usines.

"Mais il ne suffit pas que tout le personnel, sans exception, soit au courant de la marche de l'entreprise. Il faut que tous ceux qui en sont capables puissent prendre une part à sa gestion. A la vérité, la chose n'est pas nouvelle et beaucoup de membres du personnel peuvent penser qu'ils participent à la gestion puisqu'ils observent ce qui se passe et formulent des critiques (72)." Dans le domaine de la gestion, la Régie a cherché à inté­resser son personnel aux bénéfices, donc à la marche de l'entre­prise grâce, d'une part, à la "prime de persévérance dans l'effort commun" et, d'autre part, à la "prime progressive de production". La Régie fonctionne comme une entreprise privée et ses rapports avec son personnel sont ceux d'une entre­prise privée et non d'une administration publique. Mais le personnel participe aux bénéfices.

Les bénéfices de l'exercice 1945 ne sont pas officiellement publiés, le bilan étant à l'examen au ministère, mais d'ores et déjà le personnel a bénéficié d'une répartition. Une fraction est calculée uniformément suivant le temps de travail et a été de l'ordre de 5 000 francs. Il s'y ajoute un supplément de 2 % du salaire. "L'année 1945 n'ayant pas le caractère d'une année normale, on peut espérer mieux dans l'avenir", cite l'Unz'vers d'août 1946. P. Lefaucheux prononce pratiquement les mêmes'paroles en mai 1948 : "Si notre entreprise est, quant à ses moyens de direction, tout à fait semblable à une firme pri­vée, elle en diffère cependant par l'esprit qui peut y régner.

Outre que chaque membre du personnel dans notre entreprise sait qu'il ne travaille plus pour un patron, mais pour la collecti­vité nationale, il est personnellement intéressé à notre réussite, puisqu'il sait qu'il recevra sa part des bénéfices, si l'exercice est favorable (73)."

La "prime de persévérance dans l'effort commun" est prélevée sur les bénéfices de l'exploitation. Les modalités de répartition de la somme consacrée à cette prime ont été longuement discu­tées en conseil d'administration. "Elles tiennent compte, d'une part, de la nécessité de favoriser ceux qui souffrent le plus des difficultés actuelles de l'existence et, d'autre part, de l'échelon­nement des salaires et appointements. Mais je veux insister aujourd'hui sur le fait que cette prime tient un compte très exact des efforts que chacun de vous a effectivement déployés pour la Régie, puisque les deux tiers de son montant sont pro­portionnels au nombre de journées effectivement travaillées. Ceux qui n'ont jamais abandonné les manivelles sont donc net­tement plus favorisés que ceux de leurs camarades qui n'ont pas soutenu leur effort avec la même continuité (74)."

L'Aube affiche le 25 mai 1945 : "110 millions de "prime de persévérance" au personnel : il ne s'agit pas encore d'une répartition des bénéfices qui ne peut être déjà envisagée, la production n'ayant pas retrouvé son niveau normal et d'impor­tantes dépenses de réparation ayant été engagées (75)." Cette prime représente (76) :

-pour un manœuvre au salaire annuel de 55 000 francs: 4 160 francs,

-pour un ouvrier très qualifié (100 000 francs par an) : 5 080 francs,

-pour un chef d'atelier (309 000 francs) : 9 240 francs.

(66) L'Accélérateur, nO Il,mai 1946.

(67) Anne-Sophie Perriaux, mémoire de maîtrise, p. 29.

(68) Idem.

(69)

Rapport annuel de gestion du P.-D.G. pour l'exercice 1946.

(70)

Conférence de P. Lefaucheux à l'École nationale d'organisation économique et

sociale, le Il décembre 1945. (71)' P.-V. de la séance du 2 mai 1945.

(72)

Archives R.N.U.R. : paquet secrétariat du P.-D.G. M. Lefaucheux, loge 10 G, nO 22, 1'· séance du C.C.E.

(73)

Allocution prononcée par P. Lefaucheux, au déjeuner de la presse anglo-américaine, le 26 mai 1948.

(74)

B.I., nO 15, mai 1945 -Discours de P. Lefaucheux.

(75)

L'Aube, 25 mai 1946.

(76) Idem.

Au mois de janvier 1947, il a été décidé de mettr~ en vigueur, avec effet rétroactif au pr septembre 1946, une pnme progres­sive de production qui croît au fur et à mesure que le nombre d'heures passées pour la fabrication des véhicules décroît.

"Ainsi, le gros effort accompli par le personnel de la Régie trouve maintenant une récompense matérielle dans une prime progressive de production qui a ét~ instaurée il y a q.u~19ues mois. Cette prime varie en fonctIon de la productIvIte ~e l'entreprise (77):" L'ensemble du personnel est donc, depuIs l'institution de la prime progressive à la production, également intéressé à l'amélioration du rendement global. "Cette prime est accordée à tout le personnel de la Régie. Sa valeur est basée sur le nombre d'heures effectuées par le personnel de l'ensem­ble de la Régie (Billancourt, Le Mans, Orléans, Vernon, Neuilly), passées par unité-Régie. La prime est hiérarchique, c'est-à-dire que chaque membre du personnel per~evra UI~e prime horaire égale à la prime du manœuvre ordmaIre, mu~tI­pliée par le coefficient hiérarchique correspondant à sa classIfi­cation (78)."

"Est-ce l'effet de cette prime, est-ce le fait que 60 % des travail­leurs reçoivent un salaire lié à la production de l'équipe? Est­ce l'amélioration de l'outillage et plus particulièrement les pro­grès réalisés à tous les échelons de la maîtrise et des cadres en matière d'organisation du travail? Est-ce l:action des ~ots d'ordre des organisations syndicales? En faIt, la productIon spécifique, c'est-à-dire le rendement de la main-d'œuvre, n'a cessé de s'accroître depuis la Libération (79)."

Conclusion

"Ainsi l'idée nouvelle, c'est la coopération entre la Direction et les ouvriers. Le consensus social qui s'établit à la Régie est un dialogue constructif entre patron et travailleurs pour améliorer les conditions des travailleurs et la marche de l'entreprise. Lorsque l'on parle "d'expérience Renault", on veut démontrer entre autres qu'une entreprise nationalisée peut et doit battre n'importe quelle autre entreprise du secteur libre par son amé­lioration constante des conditions de vie du personnel de la Régie. Nous devons arriver à ces résultats par un effort com­mun de tous les membres de la Régie, chacun donnant à sa place, quelque modeste qu'elle soit, le meilleur de lui-même à l'œuvre commune. Les uns travaillant surtout avec leur cer­veau, les autres avec leurs bras, mais tous doivent travailler avec leur cœur. Pour cela, il faut que chacun comprenne ce qu'il fait et pourquoi il le fait, et puisse suivre, par conséquent, le résultat de ses efforts (80)."

Mais cette période idyllique du dialogue permanent se termine en 1947. En effet, surviennent la guerre froide et, avec le départ des communistes du gouvernement, l'intensification des luttes ouvrières et la rupture du dialogue.

Frédérique BIZOT

(77)

Archives R.N.U.R., revue de presse nO 3, année 1947 -Cahiers français d'informa­tion, septembre 1947, nO 91.

(78)

Archives R.N.U.R. : paquet notes de service nO 4, note de service nO 290.

(79)

Archives R.N.U.R. : revue de presse nO 3, année 1947 -Cahiers français d'informa­tion, septembre 1947, nO 91.

(80)

Archives R.N.U.R. : paquet secrétariat du P.-D.G. M. Lefaucheux, loge lü"G, nO 22 -1'" séance du C.C.E.

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