01 - La conquête du Hameau fleuri

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La conquête du Hameau fleuri

La rue couverte qui traverse l'îlot R, porte le nom d'allée des Pervenches, ce qui n'est pas sans étonner. Cette appella­tion n'est pourtant pas l'œuvre d'un mauvais plaisant, nt l'effet du hasard. Elle demeure la seule survivance de ce qui fut jadis un lotissement enfoui dans la verdure : «Le Hameau fleuri ".

Constitué par la volonté d'un certain M. Levêque, dont l'his­toire a oublié le nom, il vécut soixante ans et disparut par la volonté d'un certain Louis Renault dont l'histoire a conservé le nom.

Le lotissement Levêque

Nous avons déjà rappelé (1) l'origine du territoire de Billan­court et comment il avait été parcellisé à partir de la fin du 18e siècle. Ses différents acquéreurs : Sageret dès 1791, Roch Alexandre Chevalier, de 1805 à 1824, la Société de Gourcuff et Cie de 1825 à 1853, enfin le Comptoir Bonnard puis Naud, s'étaient peu à peu défaits des lots qu'ils avaient constitués; pour les trois derniers, après avoir cree un lotissement « Le nouveau village de Billancourt » dont la grand-place (2) formait le centre.

Cependant toute la partie des terres situées entre l'avenue Emile-Zola et le pont de Sèvres avaient connu des mutations diverses. Parmi les acheteurs des parcelles qui devaient constituer ultérieurement le Hameau fleuri, on relève les noms de M. de Ventelaye, de M. Lequiante et de la baronne de Deux-Ponts, respectivement en 1795, 1812 et 1815.

Ce sont les époux Cronier qui, entre 1822 et 1840, vont opérer un premier regroupement. Dix ans plus tard Auguste Levêque apparaît. Le 29 mai 1850, à la suite du décès de

M. Cronier, il se fait adjuger l'ensemble des biens pour

39050 F. Il complète ses acquisitions le 29 septembre 1851 m2

et devient ainsi propriétaire de près de 30000 entre les quais (:1), sur une façade totale de 140 mètres, et la rue de Sèvres (4).

Pendant quelques années, il va s'employer à mettre son domaine en valeur: plantations d'arbres, construction d'une maison de maître et d'un atelier. Mais bientôt, il a une autre ambition: vendre sa propriété par lots. Afin d'en permettre la division, il fait établir trois allées macadamisées avec trottoirs sablés et bordures auxquelles il donne les noms de Pervenches, Myosotis et Bruyères. Vingt-huit lots sont ainsi constitués qui couvrent de 120 à 5000 m2, dix d'entre eux ayant une superficie de 600 m2•

Cependant, M. Levêque veut donner à son lotissement un caractère particulier. Outre qu'il tient à ce que l'ensemble conserve un aspect champêtre, il estime que l'ordre, la dis­Cipline et la sécurité doivent y régner. A cet effet, il établit un cahier des charges dont voici quelques dispositions (5) :

(1)

Cf. G. Hatry : «L'affaire des rues Renault» -«De Renault Frères à Renault Régie Nationale ». Tome 2. P. 93 et suiv.

(2)

Actuellement place Jules-Guesde, plus connue SOU8 le nom de place Nationale.

(3)

Entre le8 numéros· 55 et 57. de l'actuel quai .de Stalingrad.

(4)

Vestige de l'ancien chemin qui reliait le village d'Auteuil au bac de Sèvres (devenu pont en 1681,), cette voie était dénommée par les riverains rue de Seine ou rue de Sèvres. En 1860 à la suite de l'annexion de Billancourt par Boulogne, et comme Boulogne avait dé.ià une rue de Sèvres, il fut décidé le 15 .ianvier 1865 de donner à la première le nom de rite du Hameau parce qu'elle desservait le lotissement Levêque « Le hameau fleuri ». Fermée dans sa plus grande partie en 1917 elle fut cédée aux usine8 Renault en 1928.

(!i) Procès-verbal d'enchères au nom de M. et Mme Levêque concer­nant des terrains sis à Billancourt passé en l'étude de M' Sebert, notaire à Paris, le 29 avril 1860.

-.Se nE

Le Hameau fleuri d'après un plan de 1900.

« Les façades des lots prenant issue sur les allées inté­rieures de la proprié'M ne pourront être closes qu'en haie vive, en treillage ou en mur d'appui dont la hauteur, dalle obligatoire comprise, n'excédera pas 1,20 m et surmonté d'une grille en fer ou en bois ou d'un treillage ...

«Aucun des adjudicataires ne pourra élever de construc­tion à une distance moindre de deux mètres de la ligne marquant la façade des lots sur les allées intérieures de la propriété...

« Tous les arbres et plantations qui existent dans la pro­priété seront considérés comme plantés par destination de père de famille. En conséquence, aucun adjudicataire ne pourra exiger J'abattage ni s'opposer au replantage, à la même place, de ceux desdits arbres et plantations qui ne seraient pas à la distance légale ...

« M. et Mme Levêque s'obligent à faire établir, à leurs frais, trois grilles en fer ou en bois qui serviront de clôture à la propriété, J'une à J'entrée de J'allée des Pervenches sur le quai, J'autre à J'entrée de la même allée sur la rue de Sèvres, et J'autre à J'entrée de J'allée des Bruyères sur le quai. De plus, ils s'obligent à faire établir à leurs frais sur la parcelle de terrain qui se trouve à la suite du huitième lot, un logement de concierge composé d'un rez-de-chaus­sée et d'un premier étage...

« Enfin, se réservant le droit de faire faire, quand bon leur semblera et à leurs frais, la continuation de J'allée des Bruyères jusqu'à la rue de Sèvres, et d'établir à son entrée, sur ce point, une quatrième grille en fer ou en bois, du même modèle que celles qui fermeront les autres entrées...

« Les grilles de la propriété seront tenues constamment ouvertes depuis six heures du matin jusqu'à dix heures du soir pendant J'été, et depuis huit heures du matin jusqu'à huit heures du soir pendant J'hiver ... Chacun des proprié­taires pourra se faire faire, à ses frais, autant de clefs des­dites grilles que bon lui semblera et il pourra, au surplus, faire ouvrir par le gardien à toutes réquisitions et à toute heure de nuit la grille d'entrée donnant sur la rue de

Sèvres...

« Le gardien sera chargé, outre la garde et la surveillance de la propriété, de remplir l'office de concierge et de faire, ou faire faire, l'entretien et le nettoyage des chaussées et trottoirs des allées, des grilles et autres objets communs ».

Enfin, il était prévu que les frais engagés pour l'éntretien de la propriété et le salaire du gardien seraient à la charge des acquéreurs, moyennant une cotisation annuelle égale à cinq centimes par mètre superficiel.

Le 29 avril 1860, quatorze parcelles sont mises en adjudi­cation. Elles sont immédiatement acquises par les sept acheteurs qui se présentent (li). Les autres lots seront adjugés le 3 juin suivant, les époux Levêque s'en réservant deux, les 27e et 28e soit 7 630 m".

Entre 1860 et 1919, plus de 180 mutations seront enregis­trées qui représentent une centaine de propriétaires diffé­rents. Parmi ces derniers on trouve dix négociants, trois ingénieurs, des entrepreneurs de travaux publics, des avoués, docteur en droit, avocat, commissaire-priseur médecin, pharmacien, des rentiers, un artiste peintre : Albert Fouré et pendant un temps, Monseigneur Amette, archevêque de Paris.

Le lotissement Levêque (plan annexé au procès-verbal d'enchères).

Une sage administration

La gestion fut assurée par Auguste Levêque, de mai 1860 à juillet 1874 date à laquelle il quitta le Hameau. A partir de ce moment, les propriétaires se réunirent chaque année en Assemblée générale et leurs délibérations firent l'objet de procès-verbaux dûment paraphés. Cependant, le rempla­cement d'Auguste Levêque posa vraisemblablement quel­ques problèmes puisque, jusqu'en 1888, la gérance fut confiée à trois propriétaires : MM. Chemin, Leconte et Le Brisois. De 1888 à 1890, M. Chemin assura seul la ges­tion. Par la suite lui succédèrent : MM. Le Brisois (1891-1893), Gobert (1894-1895), Le Voyer (1896-1899) Mme Vve Le Voyer (1900-1903), MM. Boucher (1904-1907), Paillé (1908-1910), Vignon (1911-1917) et Duc (1918-1919).

Les préoccupations constantes des gérants vont être de faire rentrer les cotisations, d'améliorer la viabilité, de résoudre les litiges s'élevant entre les propriétaires et de protéger l'environnement.

(6) Adjudication du 29 avril 1860 suivant acte passé en l'étude de Me Sebert.

Les recettes de la gérance proviennent des cotisations ver­sées par les propriétaires. Fixées à 0,05 F par mètre super­ficiel, elles doivent être remises en deux fois les 1er jan­vier et 1er juillet de chaque année. Cependaht, quand les recettes excèderont les dépenses, dans des proportions trop importantes, elles seront réduites, ainsi de 1894 à 1896 où elles seront portées à 0,01 F; ce qui n'empêche nulle­ment certains propriétaires de considérer qu'elles sont trop importantes et de manifester leur mécontentement en refu­sant de payer. En 1893, le gérant expose à l'Assemblée générale « que de divers côtés il lui a été déclaré que cer­tains propriétaires prétendaient pouvoir se soustraire à l'obligation de payer résultant formellement pour chacun du cahier des charges. Il estime qu'on ne peut tolérer cette résistance et que nul n'a le droit de faire échec, dans son intérêt particulier, à l'intérêt général" et obtient «tous pouvoirs pour poursuivre le recouvrement des sommes dues ". Mais il semble bien que ces menaces implicites ne désarmèrent pas pour autant les réfractaires, au nombre desquels se trouvaient le docteur Jouin et Monseigneur Amette, et les bilans annuels firent apparaître des montants de cotisations arriérées en constante augmentation.

Quoi qu'il en soit, le budget ne connut jamais de déséqui­libre malgré les dépenses engagées. Frais de personnel d'abord : le gardien reçoit un salaire annuel de 200 F et un journalier 120 F. Frais pour travaux ensuite: on établit des pUisards pour permettre l'évacuation des eaux de pluie, on procède à l'alignement des bordures de trottoirs. Pour les résidents qui ont oublié leur clé une sonnette est ins­tallée « allant de la rue du Hameau à la loge du gardien ". Elle devit;mdra électrique en 1892 et il en coûtera 165,50 F. En 1911, l'électricité sera amenée au Hameau, après l'acceptation par la Compagnie Ouest-Lumière de la pose de poteaux. L'année suivante verra l'établissement d'égouts; entre-temps des plaques portant le nom des rues seront

Vue du Hameau fleuri aux environs de 1900 (à gauche, l'allée des Pervenches, à droite l'allée des Myosotis).

posées et la numérotation des parcelles entreprise. Enfin, en 1913, on captera l'eau de source. Ainsi, au fil des ans, le Hameau fleuri verra sa viabilité considérablement amé­liorée.

Mais il n'est pas d'administration, même sage, qui ne sus­cite des litiges. Tous ont pour cause les interprétations par­ticulières que font les propriétaires des stipulations du cahier des charges. S'agit-il des arbres? on proteste contre leur abattage; de la fermeture des grilles? certains exigent qu'elles restent ouvertes en permanence. C'est cer­taine,ment pour des faits de cette nature qu:une Mme Leroy, representant son époux «se /ivre à des voies de fait contre M. Denis" (7). En conséquence, «la réunion décide de se transporter chez Mme Le Voyer où Mme Leroy ne sera pas reçue », L'année suivante cette dernière s'abs­tient de paraître et l'Assemblée générale retrouve son lieu habituel de rencontre: la loge du gardien, Le 5 juillet 1903 : retour de Mme Leroy. L'Assemblée ne veut pas l'admettre, alors «elle (Mme Leroy) est allée chercher son mari et devant le scandale causé il a été décidé de faire la réu­ni~~ dans la propriété de Mme Le Voyer» (0). Il faudra que decedent et Mme Le Voyer et M. Denis pour que Mme Leroy, en 1907, assiste de nouveau aux assemblées générales.

Plus important est le litige qui oppose une partie des pro­priétaires à d'autres qui désirent céder leurs acquisitions. En 1893, l'Assemblée générale s'était préoccupée d'inter­dire la vente de terrain pour tous usages industriels. Mais cette prétention qui ne reposait sur aucune assise juridique, se manifestait bien tardivement. En effet, entre 1879 et 1881 cinq parcelles bordant l'allée des Pervenches avaient été vendues à M. Le Voyer créateur de la blanchisserie du Hameau fleuri dont l'entrée principale se situait rue de l'Ile. Quelques années plus tard, toute la partie ouest du Hameau se trouvait occupée par un immense bâtiment d'un étage surmonté d'une cheminée dont la fumée procurait une gêne certaine aux riverains (8). N'ayant pas su agir quand il était encore temps, il semblait difficile d'imposer une quelconque clause d'interdiction. Or, c'est justement M. Le Voyer qui allait, par son tact et sa volonté, mettre fin à une pratique

dont il avait bénéficié -qui risquait de mettre le Hameau en péril. En acquérant deux autres parcelles il devint, à partir de 1894, le principal propriétaire et à ce titre se fit élire gérant en 1896. Sous son administration, poursuivie par sa veuve, aucun terrain ne fut vendu à usage industriel.

Protéger l'environnement est aussi une préoccupation des gérants. Dès 1899, l'inquiétude est grande, quand une fabri­que de cyanure de potassium s'installe rue du Vieux-Pont­de-Sèvres. La protestation est véhémente mais sans effet, Et, l'inquiétude croîtra, au rythme du développement des usines Renault. En 1912, les habitants seront unanimes pour refuser « /'installation par M. Renault de forges et fonde­ries ». Au même moment, les propriétaires décideront de donner à leur association une existence légale.

(7)

Procès-verbal de l'Assemblée générale du 30 Juin 1901.

(8)

Lors de l'Assemblée générale du 30 iuin 1895 M Le VO:l/er annonpe «qu'~l allait. prendre les mesures n'éces8aires pour suppnmer les tnconvéments et la gêne que la fumée de la chemi­née d'usine cause aux voisin8 ».

Un syndicat de propriétaires

La question est posée, pour la première fois, au cours de l'Assemblée générale du 25 août 1912. M. Vignon, nouveau titulaire de la gérance, obtient l'autorisation « de faire les démarches nécessaires pour que l'association des proprié­taires soit constituée en syndicat ». Les statuts, adoptés le 26 octobre, précisent les buts et le fonctionnement du « Syndicat des propriétaires du Hameau fleuri " dont le siège est fixé 51, quai de Billancourt (!II.

Le groupement a pour but " l'étude des intérêts relatifs à une partie du territoire de Boulogne-sur-Seine au lieu-dit .. le Hameau fleuri ..... , de veiller à l'éclairage, à l'entretien des chemins, à l'aménagement des rues, à la police et à l'hygiène, à la salubrité etc., enfin à tout ce qui peut contri­buer à la prospérité de cette association ». Trois catégories de membres sont prévues : actifs, honoraires et d'honneur. " Pour être membre actif, il faut être majeur, jouir de ses droits civils et être propriétaire de terrains ou de maisons dans le Hameau fleuri..., être présenté par deux membres et adhérer aux statuts ». Les membres honoraires compren­nent les personnes qui sont désireuses de concourir à l'amélioration du Hameau fleuri ..., ils versent une cotisation annuelle de 25 francs..., peuvent assister aux réunions sans prendre part aux votes. Le titre de membre d'honneur est accordé aux anciens membres du bureau qui sont reconnus avoir rendu des services signalés à l'association. Ils sont nommés par l'Assemblée générale à la majorité des mem­bres présents sur la proposition du Comité. Ils assistent de droit à toutes les séances, "ils ont voix consultative».

L'Assemblée générale réunit chaque année en septembre, élit en son sein, au scrutin secret et à la majorité des voix, un Comité composé d'un président, un vice-président, un secrétaire, un trésorier et deux commissaires, aucune fonc­tion n'étant rétribuée. L'article 12 des statuts fixent les attri­butions des principaux membres du Comité :

" Le président convoque et préside les assemblées géné­

rales et fixe le lieu de leurs séances.

1/ est chargé de la surveillance, de la communauté et de la

conservation des plans, registres et autres pièces confiées

au secrétaire et au trésorier.

L'inventaire de ces pièces est exactement tenu et le Comité en fait le récolement et la vérification toutes les fois qu'il le juge convenable.

Le vice-président remplace le président empêché et a les

mêmes pouvoirs que ce dernier.

Le secrétaire adresse les convocations, fait la correspon­

dance et rédige les procès-verbaux des assemblées géné­

rales et du Comité.

Le trésorier encaisse les recettes et paie les dépenses après toutefois que le président aura autorisé ces paiements par un visa, cependant le président peut remplacer ce visa par une autorisation générale donnée sous sa responsabilité; dans ce dernier cas, le trésorier devra, autant que possi­ble, demander le visa d'un membre du Comité ou de la Commission au courant de cette dépense.

Le trésorier est dépositaire des fonds »

'''1 Aujourd'hui Quai de Stalingrad.

Le premier bureau du syndicat était composé de

MM. Vignon, président; Lecomte, secrétaire; Lacourrière, trésorier; commissaires. vice-président; Heymann et Mé Niaux nager,

Louis Renault apparaît

Toujours préoccupé de développer son entreprise, Louis Renault ne pouvait que suivre avec attention les avatars du Hameau fleurL En effet, chaque fois qu'il avait voulu acquérir de nouvelles surfaces il avait eu affaire à des pro­priétaires isolés qui, moyennant indemnisation, se laissaient facilement convaincre. Tel ne serait pas le cas avec le Hameau que représentait un groupement dont l'éventuelle conquête ne serait pas sans poser de sérieux problèmes. On peut donc accepter p,our hypothèse que c'est le désir de savoir ce qui se passait « à l'intérieur ", qui a poussé Louis Renault à devenir propriétaire dans le Hameau.

Le 11 août 1911, il achète à M. Lecoursonnois les parcelles 6 et 7 bordant l'allée des Pervenches, soit 386 m2. Pendant quelques années il sera un propriétaire comme les autres, très soucieux de la sauvegarde des lieux. Au cours de l'Assemblée du 25 août 1912, quand les participants se pro­noncent sur l'enquête de commodo et incommodo relative à l'installation de forges et fonderies, son représentant

M. Laurens, n'intervient pas dans le débat. Quelques mois plus tard, le 26 octobre, il est question d'installer un égout rue des Myosotis aux frais de ceux dont les propriétés bor­dent cette rue. Pour faciliter cette installation qui ne lui sera d'aucune utilité, M. Maitre, au nom de Louis Renault, s'inscrit pour 100 F et donne ainsi un exemple qui sera suivi par le directeur de la blanchisserie. A l'Assemblée du 20 août 1913,

M. Maitre reste silencieux. Le 28 septembre, le syndicat

« adopte le principe que chaque fois qu'un propriétaire

Le Hameau fleuri pendant l'inondation de 1910 (à gauche la blan­chisserie).

voudrait, pour son compte personnel, faire établir des cana­lisations sur les rues, il devrait d'abord obtenir l'accord du syndicat ". Cette fois, M. Maitre vote contre, mais il est seul. Ce sera son unique intervention de l'avant-guerre puisqu'aussi bien il n'assistera pas à la réunion du 26 avril 1914.

Avec la guerre, les intentions de Louis Renault vont se modifier. Il faut que l'usine s'agrandisse et le Hameau est une proie bien tentante. En 1915, c'est le premier assaut; entre août et décembre, il acquiert six propriétés; Cepen­dant, être maître du terrain ne suffit pas pour être maître du Hameau. Le syndicat est en effet constitué de proprié­taires qui, quelle que soit l'importance de leurs biens, n'ont droit qu'à une voix délibérative. Ce qui signifie que, tant qu'il restera, ne serait-ce qu'un membre, la conquête légale ne sera pas assurée. Le service juridique de l'usine va donc mettre au point une tactique, sinon originale du moins effi­cace : l'utilisation de prête-noms. C'est ainsi qu'en décem­bre 1915, M. Duc, en achetant la propriété Ménager, devient membre du syndicat. Cette technique va se développer en 1916 où, pendant que Louis Renault acquiert 10 parcelles en son nom propre, se présentent comme acheteurs : Bus­sonnais, Fuchs, Hugé, Maitre, Richer et Serre tous membres de la direction de l'usine, et un conseiller extérieur Elizalde, docteur en droit.

Première bataille

La première bataille pour la conquête du Hameau se déroule le 7 décembre 1916. A l'Assemblée générale sont présents 29 syndicataires. Le « groupe " Renault représenté par Fuchs, Hugé, Duc et Maitre détient 13 voix. Il est donc minoritaire.

A l'ordre du jour (10) est inscrite, notamment, une « commu­nication des propositions de M. Louis Renault, relatives :

7) à la suppression de la servitude de retrait de 2 mètres; 2) cession aux usines Renault d'une partie de la rue des Myosotis;

3) création d'une voie nouvelle entre la rue des Myosotis

et la rue des Pervenches;

4) autorisation au profit des usines Renault de l'établisse­

ment d'une passerelle permanente au-dessus de l'allée des

Pervenches ".

Avant d'aborder la discussion, le préSident Vignon « explique pourquoi il n'y a pas eu de réunion depuis le 26 avril 1914, en raison des circonstances de la guerre... et aussi par le fait que tous les projets avaient été réalisés : établisse­ment du tout-à-l'égout dans les rues du Hameau, instal­lation de l'eau de source, l'éclairage par l'électricité, la sur­élévation du sol de la rue des Myosotis, etc. Toutes ces améliorations ont été faites grâce au dévouement de chacun et à la bonne harmonie qui a toujours fait la force du syndi­cat ". Il ajoute « que depuis quelques mois, le Hameau fleuri a dû subir d'importantes transformations du fait que

M. Louis Renault s'est rendu acquéreur de la plus grande partie des propriétés... 1/ fait part des différentes conféren­ces qu'il a eues avec M. Renault sur les projets de ce dernier et des objections qu'il a cru devoir lui présenter sur la ques­tion des constructions en alignement et des autres ques­tions à l'ordre du jour de la présente assemblée JO. Et

M. Vignon «appelle l'attention de l'assemblée sur ces questions très importantes tant au point de vue de /'inté­rêt général que de /'intérêt particulier de chacun sur la sau­vegarde des droits des anciens propriétaires ".

Et la discussion s'engage. En ce qui concerne le premier point, M. Duc estime que la suppression de la servitude ne peut procurer aucune gêne aux propriétaires, bien au contraire, puisqu'elle leur permettrait d'utiliser des terrains jusqu'alors inoccupés. Tel n'est pas l'avis de l'Assemblée qui, par 16 voix contre 13, rejette la proposition. Pour les deuxième et troisième points le président rappelle que Louis Renault offre 40 francs du mètre. Mais cet argument ne convainc pas l'Assemblée qui confirme son refus par 16 voix contre 13. Devant cet échec renouvelé, M. Fuchs conteste la qualité des syndicataires «des nouveaux propriétaires présents à la réunion ". Il fait remarquer «que certaines ventes (il en met onze en cause) sont des ventes sous seing privé, non enregistrées, non transcrites» il estime en conséquence que les bénéficiaires ne sont pas, en drOit, propriétaires et ne peuvent participer aux délibérations. Cette position est vivement combattue par le président de la blanchisserie qui proteste :

7) contre cette assertion, attendu que les actes sous seing privé qui ont été produits justifient pleinement du droit de propriété;

2) que M. Fuchs a demandé la production de ces titres alors que la séance était ouverte, que les diverses questions à l'ordre du jour étaient débattues et qu'à ce moment M. Fuchs n'avait pas protesté contre la validité des votes ". Et le « groupe" Renault doit s'incliner non sans « protester contre la validité de certains votes et... déclarer n'avoir émis leurs votes que sous réserve de cette question ".

La forteresse tombe malgré M. Fléchon

Première bataille. Première défaite pour Louis Renault -mais défaite de pure forme -car, sur le terrain, la victoire appa­raît proche. En 1917, cinq acquisitions sont réalisées et, cette fois-ci, il n'est plus besoin de prête-noms. Le prési­dent Vignon a cédé sa propriété à Louis Renault, la blanchis­serie a capitulé elle aussi. Mais sans attendre ces reddi­tions successives -ou pour les précipiter -des bâtiments industriels remplacent les villas et les jardins. En quelques mois le Hameau fleuri n'est plus que l'ombre de lui-même. A la fin de l'année, en dehors de Louis Renault et de ses mandataires, il ne reste plus qu'un propriétaire, un obstiné,

M. Fléchon: Il faudra donc, jusqu'à ce qu'il renonce enfin, observer les formes légales.

A l'Assemblée générale du 5 juillet 1917, 15 propriétaires sont représentés et 7 seulement présents. Un nouveau bureau est élu, composé uniquement de «Renault»; Duc devient préSident, Maitre vice-président et Fuchs secré­taire-trésorier. Des décisions sont prises :

-suppression des rues des Myosotis et des Pervenches;

-attribution à chaque riverain de la moitié des rues au

droit de sa propriété pour ladite moitié être incorporée

définitivement dans chaque immeuble riverain et en faire

partie intégrante;

-suppression du gardien et attribution de partage à

M. Louis Renault de la propriété du gardien moyennant une soulte à répartir entre les divers propriétaires, membres du syndicat, au prorata des surfaces de leurs immeubles res­pectifs;

(10) Procès-verbal de l'A88emblée générale du '"1 décembre 1916.

Les étapes de la conquête du Il Hameau fleuri"

1921 ILOT R ensembLe

193 bis

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État des lieux en 1923, on remarquera que l'allée des Pervenches et l'allée des Myosotis subsistent encore.

suppression et annulation définitive de toutes les servi­tudes communes grevant le Hameau fleuri, résultant tant

de l'origine commune des cat, que du syndicat lui-mê immeubles, me; objets dudit syndi­

-dissolution du syndicat tive de son objet; par suite de l'extin ction défini­

-pouvoirs au président pour régulariser les décisions de

l'assemblée et faire toutes les formalités nécessaires à cet effet.

Compte tenu du rapport des forces, les décisions de cette assemblée ne pouvaient être mises en question. Pourtant, ce qui gênait les représentants de Renault était l'attitude de

M. Fléchon. A chaque réunion, il n'avait jamais manqué de s'élever avec véhémence contre des mesures qui mettaient en péril l'existence du Hameau à laquelle il était très attaché. Mais que faire alors que chaque année le voyait toujours plus isolé? Alors il se réfugia dans le silence et l'absten­tion. Pendant toute l'année 1918, il maintint son attitude, mal­gré les pressions de toutes sortes. Ce n'est qu'en mai 1919 qu'il céda et que, aux termes d'un acte reçu par Me Baudrier il déclara " donner son agrément " aux décisions de l'assemblée du 5 juillet 1917. Mais il fut le dernier à vendre et, quand l'acte fut passé le 5 jUillet 1919, il Y avait exac­tement deux ans que Louis Renault avait effectué sa précé­dente acquisition.

Ainsi finit le Hameau fleuri. Sur son emplacement furent construits les bâtiments E 12, 13 et 14, l'ilot R et une partie de l'îlot L (L5, 6, 7, 8 et 9). Puis avec le temps, des modifica­tions intervinrent. Aujourd'hui, il est bien difficile d'imaginer que, derrière les murs qui bordent le quai de Stalingrad, vers les numéros 55 et 57, s'ouvraient jadis les portes d'un ensemble résidentiel.

Gilbert HATRY

Sources :

-Procès-verbal d'enchères au nom de M. et Mme Levêque

concernant un terrain sis à Billancourt -adjudication -quit­

tances pour solde (acte du 29 avril 1860 passé devant

Me Sebert).

-Compte-rendu des assemblées générales des proprié­

taires du Hameau de 1874 à 1919 (Archives S.H.U.R.).

-Origine de propriété (Archives S.H.U.R.).