02 - Histoire de la Dauphine (2)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Histoire de la Dauphine (2)

La voiture 109 photographiée dans la cour du château Parador d'Oroposa (Tolède) au cours de l'essai d'août 1953 (1" version de la carrosserie).

ches, qu'il m'avait confiée. Auguste Riolfo m'avait remplacé à la direction des études. Une direction des recherches appli­quées avait été créée, avec Gaëtan Coye de Castelet comme directeur, les recherches fondamentales restant sous l'autorité de Jacques Pomey.

3 -Les essais

Les essais des voitures 109 à Lardy -plusieurs avaient rejoint le prototype -sur les pistes et, de plus, six voitures 4 CV chargées pour atteindre un poids total de 1 000 kilogrammes, avec moteur gonflé, faisaient de l'endurance sur route, ce qui permettait de mettre au point parallèlement la nouvelle carros­serie, et la mécanique et le moteur dans les conditions les plus sévères.

Certains soirs, nous sortions pour éprouver les voitures 109 sur les routes de la région de la Ferté-Alais. Nous nous retrouvions avec nos essayeurs occasionnels : Pierre Lefaucheux, Alphonse Grillot, Bernard Vernier-Palliez, Georges Remiot, Paul Guillon et Pierre Vignal, pour provoquer leurs critiques. Dans l'obscurité favorable au secret, nous empruntions les routes nationales de la région, sur un circuit de 80 kilomètres environ.

En avril 1953, Pierre Vignal m'avait invité à la présentation par son ami Metenier -un ancien coureur automobile et agent de Peugeot qui vendait à l'usage des sportifs des éléments pour gonfler les moteurs 4 CV de série -d'une voiture réalisée par un carrossier de Turin sur une plate-forme 4 CV.

Cette présentation eut lieu à Neuilly dans le parc d'une villa du boulevard Bineau. La société Ghia de Turin avait au compte de la société Autobleu construit une berlinette comme elle avait précédemment réalisé sur une plate-forme de Volks­wagen, pour le carrossier Karmann, d'Osnabruck (R.F.A.), la voiture vendue sous le nom de Karmann-Ghia. A cette occa­sion, on me présenta Luigi Segre, président-directeur général de la société Ghia, un homme d'une trentaine d'années, sympathique et dynamique, qui m'invita à visiter ses ateliers de Turin.

Le but poursuivi par Vignal et Metenier était de fournir des plate-formes à Ghia, et de vendre des berlinettes "Autobleu" en France et ailleurs pour le compte de la société Autobleu ­qui aurait gonflé les moteurs -en profitant de la réputation sportive que la 4 CV s'était acquise.

Les choses se passèrent tout autrement. Après le compte rendu que je lui fis de cette visite, Pierre Lefaucheux refusa de vendre des plate-formes, alors que nous n'en produisions pas assez pour répondre à la demande de 4 CV. Il me demanda de me rendre à Turin pour ébaucher avec Ghia une consultation sur

Il

les formes de notre carrosserie 109, qui ne nous donnait pas pleine satisfaction sans qu'on puisse analyser nos impressions.

Sur recommandation de Roy, Robert Barthaud avait en effet prévu un emboutissage du panneau de la porte arrière, afin de canaliser l'air de refroidissement vers le radiateur, ce qui simplifiait la fabrication par rapport à la construction de la 4 CV, où les ouïes d'entrée d'air étaient à la jonction des ailes arrière et de la coque. Cet emboutissage donnait l'impression que la voiture avait reçu un choc à cet endroit.

Ma visite à Turin fut suivie d'une invitation à Billancourt. Luigi Segre, et son directeur technique Boano, s'arrêtèrent au cours d'un voyage qu'ils faisaient à Détroit, où ils rendaient fréquemment visite à Chrysler dont ils étaient stylistes-conseils. Après le déjeuner, Pierre Lefaucheux leur montra une voiture 109, et il fut convenu qu'on livrerait deux voitures à Turin, dès leur retour des États-Unis, afin qu'ils nous proposent les modifications qu'ils jugeraient nécessaires.

Comme Pierre Lefaucheux leur demandait quelles seraient leurs conditions pour effectuer ce travail, Luigi Segre, très bon commerçant, lui répondit: "Vous en dééiderez vous-même, si nous vous donnons satisfaction. Ce sera pour nous l'occasion de vous montrer ce dont nous sommes capables".

Le 30 juillet, Pierre Lefaucheux et moi nous nous rendions à Turin pour juger du résultat. Les deux voitures 109 nous étaient présentées dans deux versions différentes. Les portes arrière avaient été sérieusement améliorées. Le passage d'air était souligné par une nervure qui raidissait le panneau en même temps qu'il enlevait l'impression de déformation par un choc accidentel. Quelques modifications des capots avant et arrière amélioraient la ligne générale. Les planches de bord étaient dessinées avec plus de recherche.

Au cours du déjeuner, Luigi Segre, revenant sur la question de la berlinette qu'il avait réalisée en prototype pour Autobleu sur une plate-forme 4 CV, parlait de la réussite de la voiture qu'il avait faite pour Kharman sur une plate-forme Volkswagen, de l'intérêt qu'y portait personnellement Nordhof, et suggérait d'aller plus loin avec la plate-forme de la 109, en faisant un avant-projet d'une voiture à deux fins, comme faisait Ford: coupé et cabriolet. Cette étude serait faite pour le compte de la Régie, dans le plus grand secret, qui pourrait réaliser cette voiture elle·même, ou la faire construire par qui elle voudrait -pourquoi pas Ghia ?

Il fut si convainquant, que Pierre Lefaucheux, après que je lui eus rappelé que cette variante avait été évoquée lors de la con· férence directives générales du 12 juillet 1951, lors de l'adop­tion du cahier des charges définitif de la carrosserie 109, accepta qu'il fit une maquette à petite échelle, et me chargea de suivre la question, sans en parler à personne à Billancourt.

Assurance pour un échec possible de la 109 ? En tout cas, pas avec l'intention d'y donner suite en cas de succès, persuadé qu'il était qu'on ne devait pas disperser nos moyens techniques et financiers sur des productions de petite série, et offrir à notre réseau commercial une fois de plus l'occasion de papillonner, au lieu de concentrer ses moyens sur la vente de la 109 après la 4 CV.

Retenu à Milan au retour par un retard de 20 heures du Constellation de la T.W.A. qui devait nous ramener à Orly, après une longue conversation sur les conditions de passage de la fabrication de la 4 CV à celle de la 109, où j'eus l'impression que sa décision, après ce que nous venions de voir, était prise, Pierre Lefaucheux, sur une table du bar de l'aéroport de Malpensa, rédigeait une longue note sur cette question fonda­mentale qu'il intitulait" Réflexions sur le passage à la 109" qui était diffusée aux assistants de la conférence de directives géné­rales le 15 septembre. La conclusion était:

"On peut démarrer relativement lentement la montée en cadence de la 109, mais seulement jusqu'à ce que soit atteinte la cadence de 400 " 109" par jour. A partir de ce moment, il faudra, sauf considé­rations d'ordre commercial prohibitives, accélérer la montée en cadence de la 109 (sans doute en agissant sur les prix, c'est·à·dire en baissant le prix de la 109 à son niveau définitif: 460 000 francs sans descendre le prix de la 4 CV jusqu'à la limite inférieure de 400 000 francs, mais en restant au prix précédent de 452 000 francs). "

Au cours du voyage de retour, je lui faisais part de mon inten­tion de faire un essai de la 109, en Espagne, dans les conditions d'un client normal, sans mécanicien, afin de disposer d'un véhicule qui ne serait pas chaque jour vérifié, et éventuel­lement retouché par un homme de l'art, ce qui était évidem­ment le cas de nos voitures de Lardy qui, à intervalles réguliers, passaient à l'atelier pour un examen de routine. Il m'y encou­ragea vivement, et me souhaita bonne route.

Je profitai de l'arrêt des usines pour le congé annuel du mois d'août pour effectuer cet essai en solitaire sur les routes espa­gnoles. Le tourisme n'étant autorisé que depuis peu, et le climat policier régnant dans le pays, n'encourageaient pas les touristes étrangers et en particulier les Français à s'y aventurer. J'avais donc peu de chance d'être remarqué. Le climat chaud d'août, et l'état du réseau routier qui avait beaucoup souffert du sous-développement imposé par quatorze années de régime franquiste rendaient l'essai particulièrement intéressant: routes poussiéreuses, non goudronnées, fréquentées par plus d'attelages d'ânes et de mulets que de voitures automobiles. Les échos que nous avions par la direction de l'Exportation qui y vendait quelques 4 CV étaient très pessimistes à cet égard. Pierre Vignal m'avait encouragé dans mon projet, et m'avait proposé, avant mon départ, un itinéraire qu'un récent voyage l'avait amené à emprunter dans sa visite à notre réseau commercial: Madrid, Tolède, Mérida, Séville, Cadix, Esta­pona, Malaga, Grenade, Murcie, Alicante, Valence, Madrid, soit 2 200 kilomètres de routes en grande partie poussiéreuses.

La voiture 109 nO 3 fut livrée en camion bâché chez notre concessionnaire de Madrid. Arrivé par l'avion du soir, je la pris le lendemain matin, et quittai la capitale, par un temps magnifique et très chaud. Mon principal souci était de dissi­muler au maximum la voiture lors de mes arrêts obligatoires pour les repas et les nuits, exploitant si possible l'hospitalité des paradors -assez peu fréquentés -plutôt que les hôtels de luxe que m'avait recommandés Pierre Vignal.

Sur ce point, tout se passa au mieux, sauf à Cadix où j'avais rangé la voiture, pendant le déjeuner, dans une petite rue, voisine du port, la croyant à l'abri des curieux. Lorsque je vins la reprendre, un pneu arrière était à plat. C'était la troisième crevaison en trois jours. J'avais eu les deux crevaisons précéden­tes, la veille à Mérida, le dimanche, et j'avais eu beaucoup de mal à faire réparer les chambres à air percées par des clous de fer de mulet -panne désormais inconnue sur les routes fran­çaises. Cette fois, ce n'était pas un clou, mais une pièce mise la veille qui s'était décollée. Par chance -si l'on peut dire ­j'étais garé à proximité de l'agent Renault. A l'étoile des roues, il me fit remarquer que ma voiture était une 4 chevaux. J'eus beaucoup de mal à le dissuader que c'était une nouvelle voiture Renault, en lui expliquant que j'avais fait faire à mon compte une carrosserie par un carrossier parisien, sur une plate-forme de 4 CV. Je ne lui avais évidemment pas révélé mon identité.

Mais, à mesure que les jours passaient, j'avais de plus en plus de mal, le matin, à mettre le moteur en route, malgré une température très douce. Je faillis ne pas pouvoir repartir après m'être arrêté pour visiter la palmeraie de Elche, entre Murcie et Alicante. La batterie d'accumulateurs était à plat, la dynamo ne chargeant plus. Je fus obligé de m'arrêter à l'agence Renault d'Alicante pour la faire remplacer. Je tins le même raisonnement qu'à Cadix -a beau mentir qui vient de loin. Malheureusement, il n'y avait pas de génératrice 4 CV en magasin, ni à Madrid, et comme le M.P.R. de Billancourt était fermé, pas d'espoir de dépannage avant la réouverture des usines. Mais les mécaniciens espagnols sont pleins de ressour­ces. Le chef d'atelier diagnostiqua qu'un fil de raccordement d'une section au collecteur était dessoudé. -"Allez déjeuner sur le port, je fais la réparation pendant ce temps, et à 14 heu­res vous pourrez repartir. "

La fin du parcours fut sans émotion. De retour à Madrid, je réintégrai la voiture au garage, en attendant que le camion des essais vint la reprendre.

Quand j'eus fait à Pierre Lefaucheux le compté rendu de mon périple sur les routes espagnoles, avec comme seuls incidents cinq crevaisons et un ennui de génératrice, il me demanda de laisser la voiture à Madrid, et il envoya immédiatement Paul Guillon, Pierre Vignal et Georges Remiot en Espagne, avec comme consigne de parcourir le même itinéraire, en compa­raison avec une voiture Volkswagen louée à Bayonne.

Nous apprîmes leur passage à Séville par une photographie de la voiture publiée par "Auto Journal" dans le numéro de septembre, prise apparemment devant la poste principale ­ce qui leur valut quelques remarques ironiques de Pierre Lefaucheux, à leur retour, quand ils expliquèrent qu'ils avaient laissé la voiture le temps de passer au guichet de la poste restante.

Le voyage les avait enthousiasmés -mais je ne pus savoir quel parcours ils avaient emprunté -seule certitude : le compteur kilométrique marquait 3 000 kilomètres de plus que lorsque j'avais laissé la voiture, soit 800 kilomètres de plus que la route que j'avais suivie. Des conversations que j'eus plus tard avec Paul Guillon et Georges Remiot, j'en déduis qu'ils s'étaient comportés tous les trois comme des collégiens en vacances donnant libre cours à leurs fantaisies. A les voir conduire, soit à Lardy, soit au cours de nos essais nocturnes, je savais que c'était tous les trois des conducteurs très rapides, tirant le maxi­mum des moteurs et des boîtes de vitesses. L'émulation aidant, tout était plausible.

J'en tirais la conclusion que désormais j'assisterais -tout au moins en spectateur -aux essais de prototype par des person­nalités dont ce n'était pas le métier, afin de savoir dans quelles conditions le matériel qui leur était confié était traité pour ne pas dire malmené.

Les conclusions de cet essai étaient de deux ordres : valeur de la 109 en elle-même, et comparaison avec la Volkswagen.

Sur le premier point, les essayeurs occasionnels jugeaient la 109 meilleure en tous points que la 4 CV : vitesse maximum supé­rieure avec meilleure tenue de route, mais faisaient des réserves sur la nervosité à la reprise : "La 1 09 est très brillante en conduite sportive, mais moins en conduite normale", et sou­haitaient une boîte 4 vitesses. Habileté, accessibilité, visibilité remarquables. Mauvaise étanchéité à la poussière (voiture faite à la main, sans outillage).

Le seul point vraiment critique concernait la consommation d'huile, due à une usure des cylindres causée par la poussière (indiscutable lors du démontage au retour).

La comparaison de la 109 à la Volkswagen était plus subjec­tive. Pierre Vignal, qui rencontrait sa concurrente sur tous ses marchés, demandait une cylindrée de même ordre (1 100 cm3), un filtre à air à bain d'huile en plus du filtre à sec, une boîte 4 vitesses et des accessoires de même qualité.

Mais les trois reconnaissaient à la 109 une meilleure tenue de route à grande vitesse, meilleur freinage, meilleure habitabilité et accessibilité du fait des quatres portes au lieu de deux, meil­leure visibilité, meilleur aspect général.

Ils mettaient au crédit de la Volkswagen un meilleur silence, une meilleure suspension, et une meilleure aération.

La décision

Le 17 septembre, Pierre Lefaucheux convoquait une confé­rence de directives générales avec comme ordre du jour

l. -Faut-il adopter définitivement le modèle 109 ?

2. -Si on l'adopte, à quelle date faut-il le sortir? Comme de coutume, il ouvrait cette conférence par la lecture d'un aide-mémoire résumant de qu'on avait déjà dit, et sur la nécessité de discuter sur les deux points à l'ordre du jour.

Il commençait par un examen de la situation du moment :

"La 4 CV est notre cheval de bataille. Elle fait environ 34 % de notre chiffre d'affaires et, avec les activités accessoires qui sont en général rémunératrices, la 300 kg et les véhicules militaires, elle assure notre équilibre financier. C'est certainement la pièce maîtresse de notre système, et si elle venait à manquer, notre situa· tion serait immédiatement très grave sur le plan industriel, social et financier. Il faut donc refaire une fois de plus l'analyse de la situation de la 4 CV. Il s'agit d'un problème très complexe. S'il n'y avait ni le passé, ni les constatations faites à l'étranger, nous pourrions être tout à fait tranquilles: les ventes de 4 CV ont été très bonnes jusqu'à il y a un an, puis de nouveau très bonnes au printemps; en

ce moment, on recueille d'assez bonnes impressions dans le réseau français, les réactions de la clientèle; les lettres que l'on reçoit sont encourageantes. Enfin, nous avons un portefeuille de 16 000 (contre 37 000 en janvier 1952). Seulement, il y a eu l'hiver dernier, et c'est une expérience très inquiétante. S'il y avait eu baisse générale dans les ventes de l'auto· mobile, nous pourrions nous rassurer, mais la baisse a été beaucoup plus sensible chez nous que chez Citroën et Peugeot. Nous pouvons donc nous demander si notre marché n'est pas plus sensible que le leur. Est·ce parce qu'ils touchent une clientèle plus fortunée? Est· ce parce qu'ils fabriquent à une moins grande cadence que nous? Cette crise est également inquiétante pour une autre raison: c'est parce qu'elle s'est prolongée plusieurs mois. Il est vrai, et c'est pour cela que le problème est complexe, que la durée de la crise corres­pond à peu près à la durée de l'expérience Pinay et, accessoirement, à l'assainissement de notre portefeuille. A l'époque, on a entendu des commentaires très différents de ceux faits dans l'euphorie actuelle sur le marché de la 4 CV. Par ailleurs, il y il l'exportation. Or là, partout où Volkswagen nous attaque, il nous bat. Il prend les pays les uns après les autres et toutes les fois nous" passons sous la table". Il s'agit évidemment d'un modèle très différent du nôtre, dont les perfor­mances sont meilleures, dont le moteur a une durée plus longue, dont la réputation date d'avant-guerre, qui bénéficie de la réputation de la technique allemande dans beaucoup de pays ; son prix est plus avantageux partout sauf en Belgique et Volkswagen fait une politi· que commerciale plus libérale que la nôtre vis-à-vis des agents et une publicité beaucoup plus hardie et également plus libérale. Enfin, il y a les efforts personnels de M. Nordhoff qui est avant tout le directeur commercial de son affaire, et cela joue. Et probablement que Volks­wagen a l'aide du gouvernement allemand. En tout cas, il a des faci­lités de crédit de l'Allemagne que nous n'avons pas en France. On peut penser que la 4 CV serait dans une situation très dange­reuse en cas d'ouverture des frontières -solution vers laquelle on s'achemine très lentement, il est vrai. Elle serait menacée par la Volkswagen, les petites voitures anglaises dont la dernière" Stan­dard" est très exactement la 1 09, la 1 1 00 Fiat. Le grand danger pour elle c'est l'invasion du marché par les véhicules étrangers qui sont directement ses concurrents, et ceci est beaucoup plus grave qu'une désaffection du public français, qui peut se produire mais sera tout de même lente, ou que l'apparition d'un modèle français directement concurrent, ce qu'on ne voit pas: Citroën ne pense qù'à sa 2' CV, Peugeot vise un plus grand modèle, Ford aussi. Simca, on ne sait pas. Le seul danger serait donc la 2 CV et, d'après les tuyaux que l'on peut avoir, sa cadence ne va pas monter bien au-dessus de 300 par jour. Autre carte dans notre jeu: la 4 CV laisse un gros bénéfice. Une baisse de 5 à 10 % est possible. A ce moment-là, d'ailleurs, il. faudrait devenir extrêmement modeste en matière d'investis­sements. On prendrait alors le système ': outillages amortis, on ne compterait plus d'amortissements, pourquoi toucher ce qui est bien, on continue à faire des 4 CV. C'est une mauvaise solution. Il est vrai que l'on peut aussi dire que ce serait une période de reccueillement pendant laquelle on pour­rait accumuler des capitaux pour repartir ensuite, mais il ne faudrait pas être en période d'inflation et, enfin, il faudrait que les parties prenantes ne réclament pas de capitaux. D'autre part, il ne faudrait pas baisser les prix! De sorte que je serais plutôt tenté par la méthode G.M.C. indiquée par M. Brownback qui dit: il faut changer de modèle au faîte du succès, mais à condition, évidem­ment, que l'on ait suffisamment amassé de munitions pour faire le changement. Je crois que nous en avons assez ... à condition encore que nous ne les perdions pas au fur et à mesure sur les tracteurs agricoles, diesels et autres 2,5 t.

Je pense que le développement de la production est indispensable.

J'en donne pour preuve ce qui s'est passé pendant la crise: à

cadence réduite, on perdait et dès que la production a repris, on

gagnait 6 %.

Maintenant, nous commençons à connaître les limites de la 4 CV

qui ne sont pas loin de nos chiffres actuels, et si nous voulons vendre

plus, il faut faire autre chose. Cet autre chose doit être assez dif­

férent de la 4 CV.

Si nous voulons remplacer la 4 CV qui, nous pouvons le penser, ne sera pas éternelle, nous pourrons très difficilement tout changer. Rien que le changement de la carrosserie reviendra à 5 milliards. J'avais donc demandé que l'on change seulement la carrosserie mais à ce moment-là, on arrive à une autre considération, c'est que souvent lorsqu'on change la carrosserie, la mécanique ne convient plus. Il faut être sûr que la mécanique de la 4 CV pourra tirer la 109, et ceci est l'une des questions que l'on va débattre. Arrivé là, il faut conclure: adopte-t-on ou pas la 109 ? Le problème posé est-il résolu, c'est-à-dire a-t-on fait une voiture qui, sur tous les points, sera égale ou supérieure à la 4 CV : égale en performances, égale en prix, supérieure en places? Si l'on n'a pas réussi, on n'adopte pas la 109, et on fera, soit une nouvelle voiture sur le même programme, soit une étude sur un programme légè­rement différent (peut-être moteur un peu plus puissant), soit une étude complètement différente: voiture populaire ou variante de la Frégate. Pendant cette nouvelle étude, on pourrait faire avec les éléments Frégate: station-wagon, pick-up, etc. "

Après cet exposé, Pierre Lafaucheux demanda à tous les assis­tants de répondre en toute sincérité à la question posée : faut-il adopter définitivement le modèle 109 ? Les deux doyens de l'assistance se montrèrent à priori réticents_ Lions, qui ne voyait en toute question que les incidences sur la trésorerie, se contentait de dire :

" A condition que le modèle soit réussi, parce que la 4 CV est le seul modèle qui rapporte. "

Quant à Alphonse Grillot, qui sans jamais sortir de son bureau où il collectait toutes les critiques qu'apportaient ses visiteurs sur tous les problèmes de la Régie, à l'exception de celles qui portaient sur les questions tabous de la fabrication, il disait ni oui, ni non.

"En attendant qu'on arrive au prix de revient 4 CV avec les perfor­mances qu'on attend, pendant un an nous serons au-dessus du prix fixé. Si c'est au détriment de la vente de la 4 CV, cela nous mettra en difficulté. Il faudrait donc vendre en même temps 400 4 CV par jour et 120 à 150 modèles 109 ... Nous allons avoir le moyen de faire 575 4 CV par jour, ou d'ici le lancement de la 109, nous les aurons faits et nous aurons gagné beaucoup d'argent, ou nous ne les auront pas faites et nous ferons des 109 en plus. En attendant, ne pourrions-nous pas apporter à la 4 CV certaines améliorations de la 109 ?"

Il était assez piquant de constater que le principal opposant à l'adoption de la 4 CV contre la reprise de la juvaquatre, au cours de la séance du 25 novembre 1945, tenait le même lan­gage vis-à-vis du remplacement de la 4 CV par la 109, n'ayant apparemment rien compris à l'exposé que venait de faire Pierre Lefaucheux.

Par contre, les commerçants répondaient tous positivement­

Pierre Vignal estimait qu'il pourrait vendre la 109 en concur­rence avec la Volkswagen ; elle ne battra pas cette dernière, mais elle permettra de regagner du terrain, ceci sous réserve qu'on puisse démarrer la 109 avec une garantie de 50 000 kilo­mètres.

Grandjean. "Oui pour la 109 sous réserve des perfor­mances.

Paul Guillon. -"Oui pour la 109, sauf en ce qui concerne le passage progressif d'un modèle à l'autre. Je suis pour le change­ment de Pied au galop. " Pierre Debos. -"Oui pour la 109, mais pour la boîte 4 vites­ses, Û y a tout de même un certaz'n nombre de poz'nts à régler. "

Marcel Tauveron. -"Ne dit n'en, parce que ce n'est pas à lui de prendre la décision. Il n'a aucune opz·nion. En ce qui concerne la boîte 4 vitesses, Û croit que moz'ns z1 y a de vitesses, Plus les cHents sont satisfaits. "

Quant à Georges Remiot, il disait: -"Oui, pour la 109, sous deux réserves : pnx en consz'dérant qu'z1 y aura des améHo­rations à faire sur la 109, telle qu'elle est en partz"cuHer au point de vue jz"nz"tz"on et étanchéité. "

J'avais attendu que tous les assistants aient donné leur point de vue pour donner le mien, non par un oui ou par un non, mais pour répondre aux observations faites.

En ce qui concerne les performances, nous avions des possibi­lités de les améliorer en augmentant la cylindrée au maximum possible avec le carter et la mécanique.

Je rappelai que la 4 CV au départ avait une cylindrée de 760 cm3 -limite de la puissance fiscale 4 CV -et qu'on était passé à la demande de la direction commerciale en octobre 1950, à la cylindrée de 748 cm3 (alésage 54,5 mm au lieu de 55) pour permettre à la clientèle sportive de se classer en compé­tition dans la catégorie des moins de 750 cm3 , où elle n'avait pas de concurrent dangereux.

Nous pouvions, sans complication, faire l'opération inverse, en portant l'alésage à 58 mm, ce qui donnait une cylindrée à 846 cm3 , au lieu de 748, soit 13 % de plus pour le couple, donc améliorer l'accélération et la puissance maximum, donc la vitesse maximum. La puissance fiscale serait alors de 5 CV (pour une limite de 948 cm3).

Je proposais aussi de mettre en fabrication en prototype un moteur d'une cylindrée plus forte que nous avions étudié à titre d'assurance, avec une cylindrée de 948 cm3 (65 X 72 avec possibilité de suralésage à 70 mm pour une cylindrée de 1 108 cm3 à la limite des 6 CV).

La question de la boîte 4 vitesses se posait après le renfor­cement de la puissance, au même titre que pour toute la trans­mission. Notre transmission, conçue pour une puissance maxi­male de 20 chevaux, tenait dans des épreuves sportives de 24 heures au plus, mais pour une voiture de série elle doit tenir plus de 100 000 kilomètres.

Ceci demandait une confirmation par des essais à Lardy, sur des voitures 4 CV avec des moteurs gonflés et un poids total roulant de 1 000 kilogrammes. Ces essais étaient en cours, cinq voitures ayant passé 25 000 kilomètres. Il nous faudra du temps pour conclure.

Le filtrage de l'air, avec un filtre à bain d'huile en plus du filtre sec, ne posait pas de problème pour une utilisation de la voiture en terrain poussiéreux. Les essais que nous avons faits en Afrique du Nord et avec les militaires nous ont documentés sur cette question. C'est une petite augmentation de prix, rien de plus.

L'étanchéité de la caisse était plus difficile à résoudre, car c'était une question posée par la structure de la coque en tôle emboutie soudée. La poussIere et l'humidité pénétraient à l'intérieur par les espaces entre les points de soudure. Volkswa­gen et les constructeurs anglais trempent les coques assemblées dans des bains de résines appropriés. C'est un problème à étu­dier par la fabrication.

Quant à la question du prix de revient, nous n'avons pour le moment que des estimations, et aucun travail des services spécialisés.

"Monsieur Picard a fait un travail sur la question (mémoire du 18 août) : " Au prix de la 4 CV + l 340 francs et 40 kilogrammes de plus, on garde la boîte 3 vitesses, on supprime l'antibrouillard et on monte des freins de 45 millimètres. Au prix de la 4 CV + 23 828 francs et 42 kilogrammes de plus, on met toutes les améliorations envisagées: boîte 4 vitesses, montage silence Volkswagen, l'emploi de l'aluminium, permettant de compenser les alourdissements dus au perfectionnement. Il s'agit de deux solutions extrêmes. " "En conclusion, Pierre Lefaucheux pense qu'il faut faire cette voiture 109, mais il y a encore l'hypothèque du prix qui n'est pas levée. Si l'étude démontre qu'il sera de 50 000 francs ou même 20 000 francs plus élevé que celui de la 4 CV, tout sera remis en question. D'ici mars, il faut tout de même travailler la question. " "Je réunirai assez vite une nouvelle conférence pour discuter de la date du lancement et de ses modalités. J'estime qu'il ne faut pas charger notre prix par des investissements trop lourds, ce qui impli­que des frais financiers (suite des emprunts), des amortissements (suite des investissements) et frais d'installation qui vont directe­ment sur les frais généraux. " Cette conférence se tint le 28 septembre 1953.

D'entrée, Pierre Lefaucheux posait qu'il fallait viser une production de 1 000 par jour, ce qui amène à faire d'abord l'inventaire des possibilités actuelles, de nos possibilités faciles à réaliser dans le futur, et de nos possibilités extrêmes, c'est-à­dire avec l'usine de Cléon.

Le déjeuner des cinq de la Régie. De gauche à droite: MM. Tauveron,

Picard, Debos, Rémiot, Guillon.

15

"Les possibilités actuelles sont de 480 4 CV par jour, et avec les travaux des méthodes en cours, ceci nous conduit à 575 moteurs et 535 châssis-organes, chiffres qui pourront sans doute se transfor­mer en 600 et 550 au bout d'un an. Mais c'est notre plafond et après, i! faut sortir de Billancourt, notamment pour la question du personnel. ..

Après des discussions serrées entre Marcel Tauveron et Pierre Lefaucheux sur les délais de démarrage, la capacité des usines de Flins et Billancourt, les dépenses à engager, il était décidé -le bureau d'études ne pouvant pas spécifier la carrosserie avant le 1" mars -que les cadences de sortie de la voiture 109 en série seraient de 0 en janvier 1956 et 200 en mars 1956, la petite série non vendable étant placée dans le personnel en novembre et décembre_ Puis, en diminuant la cadence des 4 CV proportionnellement à la montée de la 109, 400 de juin 1956 à fin 1956, pour reprendre la montée en cadence à cette date. Ce qui ferait disparaître la 4 CV en juin 1956. Arrivés à 600 en mars 1957, nous serions à la limite de nos possibilités pour la production des moteurs et mécaniques.

Marcel Tauveron pensait qu'on pourrait aller à 800 en carros­serie, avec une 4· chaîne de peinture, mais pour 1 000 par jour, il faudrait trois bâtiments à Flins, l'usine était faite pour 400.

Pierre Lefaucheux décidait -pour être prêt en août 1955 ­de demander à la prochaine réunion du conseil d'administra­tion 900 millions sur le plan 1954, en ne parlant pas de la 109 mais de mutation de la 4 CV de Billancourt sur Flins.

Le 15 octobre 1953, dans une note, Pierre Lefaucheux appro­fondissant ces réflexions, se demandait si le programme de lancement envisagé constitue la plus judicieuse de toutes les solutions qui s'offrent à nous.

"En effet, la 109 nous permet de fabriquer plus de carrosserie qu'à l'heure actuelle. Mais comme nous n'aurons pas plus de moteurs qu'au printemps 1954, on en arrive à cette constatation que la 109 est une prime d'assurance, peut-être un moyen de gagner plus d'argent (mais ce n'est pas sûr, et oserons-nous gagner plus d'argent que sur la 4 CV), certainement une opération de décentralisation, mais en tout cas pas un moyen d'arriver à l'un de mes objectifs permanents: réduction des prix de revient par l'augmentation de la production d'un nombre de modèles aussi faible que possible, ce dernier résultat n'étant prévu qu'après achèvement du lancement de la 109 et suppression de la 4 CV.

Et l'on en vient à se demander si, en lançant la carrosserie 109 avant de nous assurer des moteurs en nombre supérieur, nous ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

Dans le programme actuel, nous atteignons les deux premiers objectifs, mais nous n'aborderons le troisième, le plus important, que lorsqu'après avoir augmenté Flins, nous entreprendrons l'extension de nos moyens de production mécanique.

Il est possible de gagner du temps à la seule condition d'admettre que l'on construise simultanément une petite et une grande 4 CV -la 4 CV actuelle et la 109. Le programme consisterait alors à maintenir la 4 CV à Billancourt et à en continuer la fabrication jusqu'à ce qu'elle meure de sa belle mort. Cela nous donnerait 450 voitures moins chères que les actuelles (du fait de l'augmen­tation générale de la production). Flins ferait 150 Frégates et 550 "109", cette production étant atteinte par étapes successives. Pour ces 450 4 CV + 50 300 kg + 550 .. 109", i! faut 1 050 moteurs ce qui implique obligatoirement le lancement prochain d'une tranche de mécanique d'une capacité de

550 moteurs (30 à l'heure) dans une usine de province à détermi­ner. .. Ce n'est que dans une étape ultérieure et forcément lointaine que l'on réaliserait:

a) Le retour à Billancourt du montage de la Frégate, la 4 CV étant

supprimée;

b) La concentration à Flins du montage de 1 000 voitures 109 ;

c) La concentration à Cléon, à la cadence de 60 à l'heure, de

1 000 moteurs 5 CV pour la 109."

Il en résultait un programme d'études pour les services des Méthodes, des Prix de revient, des services financiers, qui déjà ne chômaient pas.

Pierre Debos, par note du 2 novembre 1953 (nO 8 064) deman­dait à Pierre Bézier et Henri Perchat d'étudier dans quelles conditions les cadences horaires de 30 pour les moteurs et 275 pour les organes qui seront atteintes au printemps prochain pourront encore être augmentées. Notre étude doit se baser sur les données suivantes :

1

0

Cadences à atteindre pour pièces et moteurs montés : 45 à l'heure (soit une production journalière théorique de 810 moteurs pour une semaine de 48 heures en double équipe).

20

Cadences à atteindre pour pièces d'organes et organes montés autres que le moteur: 40 à l'heure (soit une production journalière théorique de 720 organes pour une semaine de 48 heures en double équipe).

Et un progra~me de la direction commerciale pour l'année 1954 (note du }<, décembre 1953 d'Albert Grandjean) qui pour une production totale quotidienne de 710 (mois faibles) et 853 (mois forts) prévoyait pour la 4 CV :

Mois faibles (septembre à février) Mois forts (mars à août) France Union française Exportation Total

345 430 30 30 65 75 440 535

Le 6 janvier 1954, la conférence de directives générales faisait à nouveau le point de l'évolution des programmes, et prenait les décisions fondamentales pour le lancement de la voiture 109.

Elle avait été précédée de l'envoi à 10 exemplaires, marqués "secret" et numérotés, d'un mémento de Pierre Lefaucheux, qui précisait les questions à traiter pour l'ensemble du programme:

A. -Précisions concernant le lancement de la 109 : a) Quel est le prix de revient de la 109 1 (Vernier-Palliez et Picard) Ce prix permet-il de prendre la décision définitive de lancement 1 b) Lance-t-on immédiatement les outillages ou, en d'autres termes, la voiture est-elle soit définitive, soit suffisamment avancée 1 Adopte-t-on définitivement la boîte 4 vitesses pour la 109 et la 4 CV 1 c) A quelle date faut-il fixer le lancement de la 109 en tenant compte des désirs du Commercial d'une part, et des suggestions des Études et Essais, d'autre part, et enfin de mon désir de démarrer avec un outillage aussi complet que possible 1 d) Pendant combien de temps est-il souhaitable de conserver paral­lèlement la 4 CV et la 109 1 e) Pendant cette marche parallèle, quels seront les chiffres respec­tifs de la production de la 109 et de la 4 CV, le chiffre total de production des moteurs 4 CV étant supposé de 800 pendant cette période 1 Ce chiffre est-il convenable 1

f) Modalités de l'extinction de la 4 CV -cadence de production finale de la 109 restée seule. Le chiffre de 800 pourra-toi! être porté à 1 000 avant 1960 1

Cette production pourra-t-elle être écoulée avec le moteur 4 CV ou

bien, puisque l'événement ne se produira pas avant plusieurs

années, faut-il envisager un moteur logeable dans la caisse 109,

mais un peu plus puissant, dont le lancement ne serait d'ailleurs

pas concevable avant plusieurs années?

g) Faut-il, dès maintenant, prévoir des carrosseries dérivées direc­

tement de la 109 (petit fourgeon, station-wagon, cabriolet, déca­

potable, etc.) malgré les sujétions du moteur arrière?

Les autres parties de l'ordre du jour intéressant:

B. La Frégate et ses succédanés, et la Colorale.

C. Les tracteurs agricoles.

D. Le fourgon à moteur 4 CV.

E. Camions moyens (1 000 kg -1 400 kg -2 t et 4 X 4).

F. Camions diesel et cars, dans la perspective de l'arrêt prochain de ce programme.

"La forme sous laquelle sont posées ces questions n'est pas la marque de mon désir de faire supporter par d'autres la responsa­bilité des décisions finales à prendre, mais d'éclairer au maximum les motifs qui peuvent me conduire à ces décisions.

La fabrication doit, à défaut d'éléments chiffrés sur le coût des réalisations de tous ces modèles, apporter des indications sur les possibilités de leur réalisation (emplacements, besoins en person­nel, charge des ateliers d'outillage, prix des bâtiments, machines et installations) sans faire évidemment de nouvelles études, mais en reprenant celles, nombreuses, qui ont été faites antérieurement, ou en donnant un aperçu des premiers résultats des études en cours, par exemple pour le passage de la 4 CV, â la cadence 800, dans les principales hypothèses qui peuvent être retenues (Billancourt et Le Mans, Flins et Cléon).

Le rôle du Commercial est le plus délicat. Il doit faire des prévi­sions de vente à plusieurs années de distance, sur des modèles dont il ne connaît que les lignes générales, et pas exactement le prix. Il est, cependant, indispensable qu'il donne des chiffres, parce qu'on ne peut pas faire un programme sans chiffres, .et qu'il est le seul, aidé par le service Toublan, à pouvoir les donner...

Je préfère courir le risque de voir nos installations tourner certaines années à 80 ou 90 % de leur capacité, même en été, que de ne pas utiliser à plein toutes nos possibilités de développement.

Cette remarque permet au Commercial d'estimer l'importance de la dose d'optimisme qu'il peut apporter à ses prévisions.

Ces questions ayant été posées le te' décembre, Pierre Lefau­cheux précisait, dans sa note du 24 décembre 1953, les points de doctrine qui devaient orienter la décision.

"On ne peut pas proposer de solution au problème de nos program­mes à lointaine échéance, que j'ai posé dans ma note du 1" décem­bre sans faire des hypothèses dont certaines ne peuvent manquer de prendre le caractère d'un pari. Il n'est, en particulier, pas possible de prendre position sur le volume probable de production dans les années à venir sans faire des suppositions qui dépassent nos facultés de prévision à tous, sur des sujets qui débordent largement du cadre de notre entreprise, voire de notre pays, et même de notre continent...

Quelle sera, dans les années en question, la position dans le monde de l'économie française? Comment nous trouverons-nous placés, tant dans l'Union française qu'à l'étranger vis-à-vis de nos concur­rents anglais, allemands, américains et russes? Nos frontières seront-elles ouvertes ou fermées? Nos modèles n'auront-ils pas été surclassés par ceux de nos adversaires? Autant de questions, parmi bien d'autres, auxquelles il faudrait commencer par répondre.

Pourtant, si j'en juge par ma propre expérience, ce travail de supputations et de conjectures n'aura pas été inutile. A côté de beaucoup d'inconnues, il est, en effet, un certain nombre de points de doctrine déjà dégagés, ou de perspectives déjà fixées par notre propre volonté, sur lesquels on peut essayer de construire quelque chose. Et, partant de ces bases, on peut arriver, vous le verrez, à réduire à moins d'une demi-douzaine le nombre des solutions qui préfigurent notre avenir.

En reprenant donc tout d'abord l'exposé de ces points de base soli­des auxquels je viens de faire allusion. Ils comportent, en premier lieu, quelques principes que 10 ans d'expérience, pendant lesquels nous les avons trop souvent violés, nous ont permis à tous d'adopter d'un commun accord. Ce sont les suivants:

1.

-La gamme doit être simPle afin de permettre: aux Études d'approfondir les projets et de ne sortir que des matériels bien au point, à la Fabrication de produire bon marché du matériel de qualité, au Commercial de se concentrer sur nos matériels de grande vente, sans disperser ses ressources en hommes et en argent sur des productions qui ne représentent qu'une faible fraction de notre chiffre d'affaires.

2.

-La production des modèles conservés doit être aussi dévelopPée que le permettent nos ressources financières et la capacité d'absorption de nos différents marchés, car les prix baissent quand les cadences montent, et les prix bas sont la clef du succès commercial. Rappelons que, pour les mêmes raisons, il est légitime de prévoir les cadences de vente future non pas en fonction des prix de .-evient actuels, mais en fonction des prix réduits qui pourront être obtenus avec les cadences plus fortes escomptées.

3.

-Nos sources d'approvisionnement en capitaux étant limitées, il faut accorder nos ambitions avec nos possibilités, sans audace excessive, comme sans timidité trop grande. Dès que notre fonds de roulement aura été reconstitué -et ce but est en vue -nous pour­rons et devrons utiliser la presque totalité de nos amortissements à nous développer, ce qui doit nous donner une possibilité d'investis­sements annuels d'environ 6 milliards. On doit admettre, en effet, que le financement saisonnier des stocks de véhicules peut être fait par crédits de campagne, le fonds de roulement étant assuré par le moyen et le court terme. Il ne faut pas exclure non plus l'éventualité de nouveaux emprunts soit obli­gataires, soit à moyen terme dans le cadre de ce que les pouvoirs publics ont manifesté l'intention de mettre à la disposition des industries de transformation pour leurs investissements.

4.

-La versatilité du marché de l'automobile faisant de notre industrie une industrie dangereuse, il ne faut avancer un pied qu'après l'autre -sans aller jusqu'à prétendre n'investir qu'après que notre carnet de commandes comportera un grand nombre de mois de marche aux nouvelles cadences envisagées, il faut cepen­dant, poser en principe que, comme nous l'avons d'ailleurs toujours fait, nous progresserons par bonds successifs, de manière à pouvoir marquer, si le besoin s'en fait à nouveau sentir, des poses ou des paliers analogues à celui de 1953.

5.

-Les programmes d'avenir devront comporter, pour la fabrica­tion, des cadences de production horaires progressant"en marches d'escaliers" à l'occasion des bonds mentionnés ci-dessus, mais étant précisé que lesdites marches devront rester horizontales et aussi lon­gues que possible, et se situer à des niveaux toujours de plus en plus élevés, en proscrivant en principe les retours en arrière, même saison­niers. Les diminutions de cadences horaires entraînent, en effet, des inconvénients graves sur le plan technique, mais elles rendent, en outre, très difficile l'application du système des postes de travail que nous voulons généraliser. En d'autres termes, les variations de production entraînées par le caractère saisonnier des demandes du Commercial seront assurées, non par le stockage et par la modifica­tion des cadences horaires, mais par celle des horaires eux-mêmes qui pourront jouer de 46 à 51 heures, ce dernier chiffre étant un maxi­mum qui ne devra jamais être conservé pendant plus de quelques semaines Uuin et juillet par exemple afin que le coup de collier imposé au personnel soit suivi d'une période de repos) ...

"Ces principes rappelés, énumérons quelques faits que je voudrais p'ouvoir considérer comme acquis, à la condition évidemment que de bons arguments contraires ne leur soient pas opposés à la confé­rence du 6 janvier.

a) Le moteur 4 CV reste à la pointe du progrès dans la technique mondiale des moteurs. Plus généralement, la mécanique 4 CV, rajeunie sur certains points (boite de vitesses, bras de suspension AV., direction, peut·être coussinets de bielles, suspension si Citroën sort quelque chose de sensationnel) a devant elle de longues années pendant lesquelles elle restera compétitive. "Malgré ses dimensions réduites, la carrosserie 4 CV remporte encore un très grand succès, et peut encore trouver sans doute pendant plusieurs années des débouchés pour plusieurs centaines de voitures par jour, dans certains pays, dont en premier lieu la France métropolitaine, et auprès d'une certaine clientèle. Ce succès sera d'autant plus vif que le prix de la voiture sera plus bas. Une baisse de 10 %, si elle est possible, aurait une influence marquée sur le chiffre des ventes. En conséquence, et c'est une parenthèse, car ce point est moins évident que les autres, il semble souhaitable de donner de l'air aux installations du 74.60 de manière:

10

A améliorer le climat de cet atelier, l'un des plus désagréables de Billancourt,

20

A permettre de limiter à Billancourt la fabrication des 4 CV, afin d'éviter la multiplicité des modèles construits à Flins, et amé· liorer dans cette usine, et la productivité des chaînes, et l'exactitude de calcul des prix de revient. Pour que ce dernier résultat soit atteint, il faudrait porter la puissance de production de 74 à 500 4 CV. La chose est· elle possible 1

b) La 109 n'est pas nécessaire aujourd'hui. Mais dans l'auto· mobile, la mode passe vite. Le succès de la Général Motors est venu de ce qu'elle a toujours su abandonner ses modèles à temps: au moment où tous les moyens possibles de faire repartir les ventes (améliorations techniques, baisse de prix et augmentation des remises) étant épuisés, la faveur du public commence à quitter définitivement le modèle. Il faut donc être prêt à lancer la 109, et prévoir dès le départ des moyens de production pour une cadence égale ou supérieure à celle de la 4 CV. Car il ne faut pas négliger l'hypothèse de la 109 tirant radicalement et très vite la 4 CV. "L'hypothèse inverse (marche en parallèle des deux modèles, favo· risée par une différenciation artificielle des prix de vente) est, cependant, à mon avis, plus plausible, et je la considère comme souhaitable. Elle présente le grave inconvénient de prix de revient plus élevés, à cause de l'existence simultanée des deux modèles. Mais elle permet de résoudre le problème de l'emploi du personnel de Billancourt en donnant des délais pour fournir à l'île Seguin une activité de remplacement. Elle permet, en outre, de pallier les conséquences d'une erreur dans la conception même de la 109.

Suivaient des considérations sur le reste du programme

Frégate, 300 kg, Colorale, camions moyens et lourds, cars,

tracteurs agricoles, nécessaires pour les décisions à prendre,

mais hors de notre actuel propos, et Pierre Lefaucheux conti­

nuait:

"Ayant ainsi terminé l'exposé des points que je voudrais voir tous

les assistants de la conférence du 6 janvier, unanimement et sans

réticence, mais évidemment en toute liberté d'esprit, considérer

comme acquis, nous pouvons aborder l'étude des différentes hypo­

thèses -évidemment réduites en nombre, sinon en importance ­

qui peuvent être envisagées.

"L'une des plus troublantes, c'est l'avenir de la Frégate, car elle conditionne tout le développement de Flins. Si nous avons atteint en 1956, comme prévu à l'origine, 250 Frégates ou dérivés par jour, Flins devra pouvoir faire en juin de la même année l'équivalent en Frégate de 500 4 CV, c'est-à-dire qu'il restera bien peu de chose pour la 109 (35 voitures), même après la réalisation des 2 tranches de travaux actuellement prévues (900 + 2 700 millions pour faire 535 unités). Il faut donc lever le plus vite possible l'hypothèque Frégate, comme nous le faisons d'ailleurs actuellement par notre action commerciale, et peut-être en baissant le prix de manière à nous former, au printemps prochain, et même avant le 6 mai, une idée précise de ses possibilités.

"La deuxième inconnue fondamentale, c'est évidemment le succès de la 109. J'ai personnellement la même confiance dans l'avenir de cette voiture que dans celui de la 4 CV. Je crois que, si elle arrive à ne pas dépasser le prix de revient de cette dernière, nous pourrons en fabriquer 750 par jour d'un bout de l'année à l'autre. Mais, là encore, il sera intéressant de voir comment va se comporter, en 1954, la vente des 4 CV. Si, comme je le crois, le succès de cet automne se confirme en février, car dès cette époque on verra plus clair, il faudra nous mettre en mesure de fabriquer 750 (109 + 4 CV) en 1956.

"On voit que nous avons réussi à cerner un peu le problème... Essayons maintenant, en combinant entre elles ces différentes hypothèses, de chiffrer pour chacune les investissements corres­pondants. Nous les étudierons par ordre de pessimisme décroissant.

1.

-L'hypothèse la plus défavorable, c'est évidemment celle d'une stagnation de la Frégate à 150 par jour maximum, et d'une mauvaise campagne 4 CV de printemps 1954. Il faudrait dans ce cas hâter la sortie de la 109, mais ne pas lancer encore les instal­lations permettant de passer à 800 moteurs 4 CV. On transférerait la Frégate à Billancourt au fur et à mesure de la montée en cadence de la 109, la 4 CV disparaissant progressivement pour faire place à la Frégate, de manière à ne pas surcharger l'ile Seguin.

2.

-On peut également prévoir pour un avenir prochain (1955 ou 1956) le succès de la Frégate (250 par jour) annoncé par une vente de 200 par jour au printemps de 1954, mais en conservant la même hypothèse pessimiste qu'au 10 pour la 4 CV et la 109. L'incertitude planant sur l'avenir du moteur 4 CV, on ne lancerait ni l'extension à 800 des mécanismes 4 CV, ni l'extension de Flins au-delà de 535 unités par jour. Dans ces conditions, il faudrait, faute de moyens en carrosserie, diminuer nombre par nombre la cadence 4 CV en même temps que monterait la 109, de façon à dégager Flins de la Frégate ramenée à Billancourt. Les investissements resteraient limités à 3 600 millions.

3.

-Revenant à l'hypothèse de la Frégate restant à 150 par jour, on constaterait le succès persistant de la 4 CV, et prévoir par consé­quent, un bel avenir pour la 109. Il faudrait, dans ce cas, lancer rapidement les 800 moteurs de manière à arriver le plus vite possi­ble à la cadence 750 pour la (109 + 4 CV) ou la 109 seule. Cette dernière serait exécutée à Flins, la Frégate rentrant à Billancourt. Flins montrerait 535 modèles 109 et le complément serait fait à Billancourt (pas entièrement occupé par ses 150 Frégates). La dépense serait alors de 4,5 milliards pour la mécanique, 3,6 milliards pour l'extension de Flins à 535 unités, soit au total 8,1 milliards.

4.

-Enfin, reste l'hypothèse la plus favorable du succès prochain et simultané de la Frégate et de la 4 CV annoncé par de fortes ventes de ces 2 modèles au printemps 1954. Dans ce cas, il faudrait réaliser pour le printemps 1956 : a) La cadence 800 mécaniques, soit. . . . . . . . . . . . .. 4,5 milliards b) La cadence 810 à Flins, soit

900 + 2 700 + 2400 (1). . . . . . . . . . . . .. 6,0 milliards Au total. . . . . . . . . . . . .. 10,5 milliards

"Il faudrait bien entendu, dans ce cas, dresser un plan de 3 ans et s'assurer une part des crédits à moyen terme prévus pour le déve­loppement des industries de transformation, qui doivent être distri­bués sous l'égide de M. Dreyfus.

Suivait le calendrier des décisions à prendre le 6 janvier 1954 et au printemps 1954, et Pierre Lefaucheux concluait sa note:

"D'ici là, nous devons flairer le vent d'après la tendance actuelle, et reprendre avec activité les programmes déjà approuvés, pour rattraper le plus vite possible le retard que nous avons pris en 1953, et qui nous a fait perdre du terrain par rapport à nos concurrents français, étrangers et, en particulier, par rapport à notre adver­saire direct, Volkswagen."

Nous avons cité de très larges extraits de cette note, car outre l'exposé de la stratégie et de la tactique, que préconisait Pierre Lefaucheux, pour la politique industrielle de la Régie, elle montre avec quelle minutie, il préparait les conférences impor­tantes pour son avenir.

Ainsi préparée, la conférence du 6 janvier 1954 prenait effecti­vement les décisions fondamentales pour l'avenir de la voiture 109 et de la Régie.

1° Prix de revient :

Après avoir indiqué qu'un prix prévisionnel basé sur des éléments précis ne pourrait être fourni avant le début de février, je donnais, à titre indicatif, un ordre de grandeur de la différence de prix de revient entre la 109 et la 4 CV, modèle 54.

Le dernier exemplaire construit par la 109 représentait un supplé· ment de poids de 42 kg sur la 4 CV, avec une boîte 4 vitesses hypoïde et de 36 kg lorsqu'elle est équipée d'une boîte 3 vitesses simplifiée.

Dans le premier cas, la différence de prix était de + 10 000 francs, dans le deuxième cas de + 5 800 francs. Avec une boîte 3 vitesses hypoïde, la différence serait de + 8 5'00 francs.

En conclusion, Pierre Lefaucheux décidait de lancer la 109. Cette décision ne serait remise en question lors de l'examen, en février, du prix de revient prévisionnel que si le supplément de prix de cette voiture, par rapport à celui de la 4 CV actuelle, dépassait 20 000 francs.

4° Coexistence entre la 4 CV et la 109, Il est certain que la 4 CV continuera à être fabriquée sous une forme à définir, même après le lancement de la 109. L'on sera donc appelé à fabriquer simultanément les deux carrosseries, et c'est dans cette perspective que les études d'implantation doivent être poussées.

L'une des éventualités à envisager est qu'après la période de démar· rage de la 109, la Régie vendra, d'une part la 109 et, d'autre part, une voiture populaire avec la carrosserie 4 CV. Cette voiture, ayant un caractère marginal et permettant d'accroître le nombre de moteurs et de mécaniques fabriqués, serait vendue à un prix assez bas.

5° Opportunité de lancer les installations pour permettre la fabri·

cation de 200 moteurs 4 CV:

Il est convenu que l'on discutera sur la 3' hypothèse de la note de

M. Lefaucheux dans son mémento du 24 décembre, qui prévoit une somme d'investissements de 8,1 milliards de francs.

On commençait la discussion par les estimations qu'avaient faites du marché MM. Lefaucheux, Grandjean, Guillon, Picard et Debos. Le tableau ci-contre donne les productions journalières auxquelles ils aboutissaient. Pour vérifier l'approximation de ces prévisions, nous y avons ajouté les productions réalisées au cours de l'année 1957 et de l'année des maximums Dauphine 1959.

Estimation des livraisons pour l'année 1957

Réalisations

Lefaucheux Grandjean Guillon Picard 1957 1959

1094 CV 640 544 600 660 1178 2466

Frégate 220 189 200 250 61 -

2° Lancement des outillages:

Il est décidé de lancer immédiatement les outillages de la 109. Dans l'immédiat, il ne s'agit d'ailleurs que d'études d'outillages. En ce qui concerne la boîte 4 vitesses, la question est réservée. La voiture 109 sera équipée, en principe, d'une boîte hypoïde 3 ou 4 vitesses. La boîte 3 vitesses simplifiée ne serait montée sur les voitures 109, que si nous étions dans l'impossibilité absolue d'aboutir à la mise au point des boîtes hypoïdes en temps voulu.

3° Date de lancement:

Après avoir entendu les observations d'Alphonse Grillot sur "le manque de satisfaction d'une clientèle qui, du fait des dimensions nettement plus vastes, n'hésitera pas à surcharger la voiture, ne réalisera pas des performances comparables à des voitures de la classe Aronde ou Peugeot" que ne suivaient ni Bernard Vernier· Paillez, ni Paul Guillon et Pierre Vignal, du fait de la différence de prix qui existerait entre la 1 09 et ces voitures, Pierre Lefaucheux décidait:

"de lancer la 109 équipée du moteur 4 CV à la puissance prévue actuellement, D'autre part, la direction des Études et Recherches poussera, dans toute la mesure du possible, l'étude et la mise au point du moteur de 846 cm' en chargeant les chemises et les pistons du moteur 4 CV, Parallèlement, Grandjean fera étudier les inci­dences diverses qui seraient entraînées par le passage de la puis­sance fiscale du moteur à 5 CV : sur le plan commercial, psycho­logique, fiscal, sur le plan du régime des assurances, etc.

On commencera à faire des pièces et à assembler des voitures à petite cadence à partir du 1" janvier 1956, mais uniquement pour roder les machines et outillages et former le personnel ouvrier et le personnel d'encadrement. La voiture ne sortira en série qu'à partir d'avril 1956.

Comme on peut le constater, même les plus optimistes étaient loin du compte en ce qui concerne le couple 109 + 4 CV, et dans l'autre sens pour la Frégate. Quant à Pierre Debos, il partait d'un autre point de vue. Rappelant que les autres constructeurs, notamment Volkswagen, s'équipaient pour sor­tir des cadences de 1 000 voitures particulières par jour, il esti­mait que la Régie devait en faire autant.

"En conclusion, M. Lefaucheux décide que l'on lancera, en prin­cipe, les installations nécessaires pour fabriquer 800 moteurs 4 CV et les mécaniques correspondantes. Pour l'instant, M. Debos entre­prendra les études, ne lancera que les éléments standards pour machine transfert, machines à plateaux circulaires, etc. et certai­nes machines banales et commandera immédiatement les machines dont les délais de livraison pourraient être longs. Dans trois mois et, compte tenu des observations qui pourront être formulées sur la reprise des ventes au printemps, M. Lefaucheux confirmera ou non la décision du lancement des installations néces­saires pour passer à 800 moteurs,

En ce qui concerne les autres matériels, une décision importante était prise au sujet des matériels diesel, c'est-à-dire des véhicules utilitaires.

En conclusion de la discussion, M. Lefaucheux décide que la fabri­cation des matériels diesel sera, en principe, arrêtée dans un délai de 2 ans et demi au maximum. En ce qui concerne la date exacte, aucune décision n'est prise. M. Debos étudiera quelles sont pour les surfaces et les machines les incidences d'un arrêt de la fabrication des véhicules diesel en juin 1955, sur le problème de l'augmentation des cadences de moteurs et de mécaniques 4 CV et 109."

Au procès-verbal de cette réunion, était annexé le programme de production ci-dessous:

1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960

H E H E H E H E H E

4 CV 460 525 500 525 500 460 330 260 200 100

109 1 200 330 400 460 560 660 660

300 kg 50 40 40 40 40 40 40 40

600 kg 10 70 100 100 100

Frégate 100 150 200 200 225 225 225 225 225 225 225 225

Dériv. Frég. 25 25 25 25 25 25 25 25

5 t -7 t -Cars 9 8 8

Ce qui donnait pour la production des moteurs 4 CV

Mot. 4 CV 510 1 565 1 540 1 565 1 541 1 700 700 710 730 760 760 760

Le premier nombre de chaque année concerne les mois d'hiver (H), et le second les mois d'été (E).

A la fin de cette réunion, où avait été prise la décision de lancer la production de la 109, avec toutefois la réserve que cette déci­sion pourrait être remise en question en février, si l'examen du prix de revient prévisionnel montrait que ce prix dépasserait de plus de 20 000 francs celui de la 4 CV, Pierre Lefaucheux me retint dans son bureau -comme il le faisait souvent après ces réunions -pour commenter avec moi les décisions prises : -Picard, je vous sens mécontent de la façon dont cette confé­rence s'est déroulée, et des réserves que j'ai faites sur la décision de lancer la 109, Je tiens à vous dire que j'ai fait cette conces­sion à Grillot et à Lions, mais pour moi, la décision est défini­tive et il n'est pas question d'y revenir. Je n'ai jamais pensé que la 109 coûterait ce que coûte une 4 CV, surtout après plus de 700 000 unités. Mais, je l'ai fait aussi pour que vous puissiez dire un non formel à toutes les demandes des commerçants -Vignal en particulier -qui vous demanderont telle ou telle addition. Accepter toute dimi­nution proposée sans m'en parler, mais n'accordez aucune augmentation -d'où qu'elle vienne -sans porter la question devant moi. Quant au climat de cette réunion, il a été aussi déplaisant pour moi qu'il l'a été pour vous. Grillot et Lions trouvent et disent ­d'après ce qu'on me rapporte -que je dépense beaucoup trop et que je mène la Régie à la ruine. Ils n'ont pas compris que la 4 CV ne sera pas éternelle, et qu'il est grand temps de préparer activement la relève. Grandjean est un pessimiste né, et il n'est sensible qu'aux jérémiades de Vignal qui tremble devant la concurrence de V.W. plutôt que de l'attaquer. Tauveron est

Fin 1954 : la Dauphine en essai sur les routes de l'État du Maine, aux U.S.A.

cinq des points de l'ordre du jour pour ajuster vos points de vue. Ceci ne peut se faire à l'usine, et doit rester secret. Déjeu­nez ensemble dans un restaurant de la grande banlieue. Je vous promets de n'en parler à personne d'autre que les intéressés. Gonflez Guillon et Tauveron de votre optimisme naturel, et que Debos défende auprès d'eux -comme il le fait auprès de moi, la simplicité des programmes. Tout sera plus facile en réunion.

En mai 1954, d'après les résultats des ventes 4 CV et Frégate, les décisions prises à la réunions du 6 janvier étaient confirmées, sans qu'il fut à aucun moment question du prix de revient prévi­sionnel, Pierre Lefaucheux n'ayant pas jugé nécessaire de rappe­ler cette réserve faite le 6 janvier; et le programme ci-dessus était modifié en hausse pour la 109 et en baisse pour la 4 CV à partir de l'été 1956. Il devenait le 28 mai 1954:

4 CV 1956 1957 1958 1959 1960

H E H E H E H E H E

500 350 300 200

109 250 460 590 810 870 810 870 810 870

300 kg 50 50 50 70 90 90 90 90 90 90

Moteurs 4 CV 551 650 810 860 900 960 900 960 900 960

un sceptique. Quant à Guillon, c'est un cyclothymique La 4 CV disparaissait des programmes en 1957 au lieu de 1958. influencé par les variations des commandes quotidiennes. Ainsi, était prise la décision définitive de production de la voiture 109 à partir de janvier 1956, et son lancement commer­

Pour améliorer l'atmosphère de ces réunions, il faut que vous cial en avril 1956.

réunissiez, avant chacune d'elle, les hommes que je considère

comme les piliers techniques de la Régie avec vous: Debos,

Guillon, Remiot et Tauveron, et que vous débattiez tous les

Fernand PICARD