01 - Avril 1934 : Victoire de la surpuissance et de l'aérodynamisme

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Avril 1934 : Victoire de la surpuissance et de l'aérodynamisme

par gilbert hatry

Au lendemain du Salon de 1929, Baudry de Saunier, le rédacteur en chef de la revue « Omnia» ne cachait pas sa joie : «II y a deux ans encore, écrivait-il (1), /'ombre des États-Unis semblait planer au-dessus de nous comme une menace si redoutable qu'on ne pourrait pas, dans un avenir assez proche, éviter les catastrophes dont elle était char­gée. Or, bien au contraire, les terreurs nous ont été salu­taires. Tout le monde, chez nous, s'est mis au travail et les automobiles de notre industrie nationale sont vraiment les premières du monde ... On peut dire que le Salon 1929 est le Salon du redressement ».

Pourtant, nos concurrents étrangers étaient largement repré­sentés. «Tout autour de la nef du Grand Palais et dans ses angles convergeaient les plus ardentes offensives des fir­mes étrangères... Mais chez nous, nulle médiocrité ne peut y connaÎtre estime soutenue. Une passagère faveur, du snobisme, peuvent mettre en vogue certains types habile­ment présentés. Le succès est éphémère si la qualité ne se confirme pas» (2). Or, la qualité des voitures françaises écla­tait au grand jour, nos constructeurs s'employant sans cesse

« à bannir la médiocrité ».

Certes, les constatations chauvines des commentateurs de l'époque peuvent aujourd'hui paraître puériles. Mais il est indéniable que le danger américain constituait une menace réelle pour l'industrie nationale. En effet, le handicap pris par les constructeurs français pendant les années de guerre était loin d'être comblé. Alors qU'ils avaient consacré tous leurs efforts à la défense nationale, leurs homologues amé­ricains, loin des champs de bataille, avaient développé leur technique et leurs méthodes de fabrication et inondé de leurs produits « le monde combattant» (3)

Ce Salon du redressement était aussi celui de la contre­attaque. Pour triompher, les constructeurs français avaient mis de nombreux atouts dans leur jeu. C'est surtout le confort qui avait été l'objet de tous leurs soins, souvent d'ailleurs au détriment de la performance. Les carrosseries étaient larges, les moteurs plus silencieux et le rapport puis­sance/poids mieux étudié. Enfin, apparaissait la voiture dite « utilitaire", agréable à regarder et d'emploi très économi­que. Les visiteurs du Salon pouvaient donc admirer à loi­sir: la Peugeot 201, les Talbot, les Rochet-Schneider et aussi une nouvelle Renault : la Nervastella.

Nerveuse Nervastella

Une nouvelle voiture qui venait compléter heureusement la gamme des Stella, une voiture de luxe qui allait prendre place entre la Vivastella (la Vive) et la Reinastella (la Reine).

« On jugeait autrefois un modèle nouveau sur ses apparences et sous le seul critérium de la vitesse. Telle voiture se mon­trait «plus vite", qui était jugée meilleure. Aujourd'hui, la voiture a pris une personnalité, et il est d'une heureuse psy­chologie de lui donner un nom qui grave, dans l'esprit de celui qui l'a essayée, un souvenir précis. Nervastella ne

(1)

«Omnia» -Octobre 1929.

(2)

A. Caputo «Omnia» -Novembre 1929.

(3)

Baudry de Saunier «Omnia» -Octobre 1929.

Pour réaliser cette "forme idéale", Louis Renault fit confiance au 153 ...

caractérise pas seulement «un type» : le nom évoque immédiatement une qualité dominante. Nerveuse, cette 8 cylindres l'est à souhait, mais elle l'est aussi avec élé­gance. C'est la nervosité alliée à la souplesse, que ce soit dans l'envolée d'une accélération ou dans l'ardente ascen­sion de la côte.

Il n'est pas d'enchantement plus vif que de vaincre une lon­gue rampe, abordée au ralenti, et de suivre l'aiguille du compteur, qui gagne division par division, à mesure que le moteur puissant entraîne la voiture plus vite, comme s'il se piquait un peu de se montrer plus ardent qu'on lui impose plus d'effort lO.

«La Nervastella est une voiture à moyenne très élevée, sans qu'on ait à dépasser 90 kilomètres à l'heure, si ce n'est par fantaisie sur la ligne droite et libre qui, soudain, vous invite et vous nargue» (3).

Étudiée. pour 4-5 places, la nouvelle voiture de la gamme comportait quelques innovations techniques et des aménage­ments intérieurs originaux. Les commandes d'air, d'avance à l'allumage, d'éclairage et d'avertisseur étaient au centre du volant. Les changements d'éclairage lors des croisements s'opéraient par une pédale, le stop étant relié à la pédale de frein. Quant à la carrosserie, elle était constituée par une carcasse en tôle, montée sur un squelette de bois, qui contribuait à atténuer les bruits et les vibrations.

Une année d'étude et de mise au point avait été consacrée à la Nervastella. Si Renault pouvait affronter sans crainte la clientèle, il restait qu'une démonstration publique ne pouvait qu'exciter l'appétit des éventuels acheteurs. Elle eut lieu le 22 avril 1930.

Ce jour-là, à 8 heures du matin, trois Nervastella pilotées par Liancourt, Garfield et Barthe se présentèrent au départ du Grand Prix du Maroc. La particularité de cette épreuve consistait à indiquer par avance dans quel ordre les trois voitures franchiraient la ligne d'arrivée. Or, au terme de la course, après un parcours de 709,500 km, les trois voitures arrivèrent pratiquement groupées, l'écart entre la 1 re et la 3e étant de 63 secondes. «Une telle performance est unique dans les annales de l'automobile, surtout si l'on tient compte

que les coureurs ne connaissant jamais leur position exacte, par rapport à leurs adversaires, étaient dans la nécessité la plus absolue de pousser au maximum d'un bout à l'autre de la course. Jamais, nous en sommes certains, trois voitures identiques n'ont démontré, d'aussi brillante façon, leur égale perfection JO (4)

Chaque année, la Nervastella allait s'enrichir de nouveaux perfectionnements. Pour 1932, elle reçut ainsi un nouveau châssis trapézoïdal, de nouveaux amortisseurs hydrauliques et une carrosserie plus spacieuse. Elle devint alors la voitùre

« unanimement reconnue comme le type de la voiture réunis­sant à la fois la perfection mécanique et le plus grand confort» (5)

La Nervasport vient à son heure

« La création de cette voiture est l'aboutissement de la poli­tique que nous avons toujours poursuivie depuis la construc­tion de nos premiers modèles» écrit le « Bulletin commercial des usines Renault» en avril 1932, à propos de la Nerva­sport. Certes, le mot «sport» ajouté à ùn nom de voiture pouvait exclure toute idée d'économie d'exploitation. Mais Renault s'était déjà élevé contre cette conception en lançant sa Primastella. Mais, surtout, il fallait enlever à une certaine clientèle son «ultime argument de défense ». En effet, « pour essayer de justifier, dans une certaine mesure, le fait d'être possesseur d'une voiture de marque étrangère, cer­tains Français pouvaient prétendre jusqU'ici qu'ils ne trou­vaient pas sur le marché français J'équivalent des véhicules qu'ils désiraient» (6).

Ainsi la Nervasport «est née du très gros succès qui accueillit la Primastella. Cette derni.ère fut une révélation par sa performance et par son prix. Il n'est pas comme le succès pour déterminer ceux qui se montrent satisfaits à manifester de nouvelles exigences. Ne pourrait-on obtenir davantage encore? Quel rêve ce serait de s'envoler encore plus vite, de vaincre la côte encore plus impérieusement, de totaliser des moyennes encore plus exceptionnelles!

Et Renault a créé sa Nervasport. Vraiment, les plus exigeants pourront, avec elle, concrétiser entièrement leur rêve. Pour une augmentation de poids de 16 % sur la Primastella, on dispose d'un excédent de puissance de 60 %; c'est dire que les accélérations, les reprises, l'aptitude à grimper les côtes sont absolument éblouissantes. La Nervasport a été fort coquettement carrossée en coach.

Telle, elle est on ne peut plus séduisante. Elle synthétise la voiture équilibrée, elle provoque une impression immédiate de puissance et, à la fois, de légèreté. Elle est une des expressions les plus complètes que l'on ait encore réalisée de la voiture vraiment moderne. Si vous ajoutez que Renault, par suite de l'organisation de ses fabrications à éléments

(4)

«Bulletin Commercial des Usines Renault» -Mai 193Q.

(5)

«Ibid.» -Octobre 1931.

(6)

«Ibid.» -Avril 1932.

« standard" peut l'offrir à un prix déconcertant, vous aurez toutes les raisons de la remarquable et immédiate réussite de la Nervasport, en un moment cependant si difficile JO.

« Louis Renault est un séducteur. 1/ a comblé les désirs des sportmen, mais sans se départir de la volonté de conserver à la voiture française sa simplicité si accueil/ante et sa sécu­rité si appréciée JO (7).

Bientôt, la Nervasport est confiée à une équipe de journa­listes sportifs qui vont la soumettre à un essai sur route. 940 kilomètres seront parcourus sur un itinéraire couvrant Paris au puy de Dôme et retour. Sur certaines sections de route, une moyenne horaire de 127 km sera enregistrée. La consommation moyenne d'essence sera de 20,750 litres aux cent kilomètres et la consommation d'huile de 0,500 litre sur la même distance. Les journalistes signaleront l'importance de l'accélération: 450 mètres pour atteindre le 100 km/ho Pour le freinage, les distances d'arrêt mesurées à différentes allures seront de: 8 m à 40 km/h, 17,50 m à 60 km/h, 23,50 m à 70 km/h et 48 m à 100 km/ho

D'autres constatations seront faites sur: l'embrayage (trèi:l progressif, très doux à commander), la boîte de vitesses (absolument silencieuse en seconde vitesse et en prise directe, bien entendu), les freins (de très bonne qualité : leur commande est très douce et ils permettent de bloquer très aisément les quatre roues), la suspension (extrême­ment douce et présentant un confort remarquable, même sur très mauvaise route).

« Quant à la carrosserie» écrit Henri Petit (8), l'un des pas­sagers «ce qui m'a frappé, c'est le fini de l'aménagement intérieur et des garnitures, le soin apporté dans le montage des accessoires... et le silence de la carrosserie et du châs­sis ». Et pour conclure «la Nervasport est une voiture rapide, confortable, bien suspendue, bien assise sur la route, per­mettant de réaliser une grande vitesse instantanée et d'excel­lentes moyennes, et cela avec la plus parfaite sécurité, grâce à la qualité de ses freins. Et, si l'on songe que cette voiture est cataloguée au prix de 36000 francs, on ne peut s'empê­cher de s'étonner d'un pareil résultat. Qu'on de vienne pas, maintenant, nous vanter le bon marché ou la qualité inéga­lable de certaines voitures étrangères : Renault fait en France aussi bien que quiconque et peut affronter n'importe quelle comparaison».

Et Renault allàit bientôt en apporter une éclatante démons­tration.

Montlhéry, haut lieu de la vitesse

Depuis le 12 octobre 1924, date de son ouverture, l'auto­drome de Montlhéry avait été le témoin de multiples tenta­tives de records de vitesse, souvent couronnées de succès. En effet, au fur et à mesure des années, les constructeurs considéraient qu'une victoire à Montlhéry devenait indispen­sable, pour consacrer un modèle exceptionnel de leur gamme. Car, « dans ce genre d'essais, il ne s'agit pas, sur­tout, de montrer officiellement les possibilités d'un type de châssis et d'en fixer la performance. 1/ y a lieu de demander à cette mécanique supérieurement conçue et supérieurement traitée, un essai à outrance, afin de démontrer la qualité de son étude, son haut rendement et son indéfectible endu­rance" (9)

Tous les records, cependant, n'avaient pas la même signi­fication. Plus la durée de la tentative était longue, plus signi­ficatifs se révélaient les résultats. Ainsi en était-il des records des 24 et 48 heures. Car, pour s'attaquer à de tels records, il fallait «une longue expérience, une judicieuse organisa­tion, de patientes études de mises au point" (10). D'autant qu'il ne s'agissait pas de voitures spécialement conçues, des «racers" comme on disait à l'époque, mais de châssis rigoureusement de série. On pouvait applaudir au record du monde de l'heure, établi le 6 mars 1934, par l'Autrichien Stuck von Williez qui, sur l'Avus, avait été crédité de 217,106 km. Mais il pilotait une voiture P du consortium Auto-Union, dessinée et construite sous la direction de l'in­génieur allemand Porsche. Une victoire acquise avec un châssis de série, revêtait un tout autre caractère.

(7)

A. Caputo «Omnia» -Juin 1932.

(8)

«La Vie Automobile» -25 .iuin 1932.

(9) A. Caputo «Omnia» -Août 1934.

(10) «Ibid. ».

Un aérodynamisme n agressif n ••• Les quatre champions du 153, de gauche à droite Berthelon, Quatresous, Fromentin et Wagner.

Pour les 72 heures, une voiture dessinée par l'ingénieur Riffard.

Les constructeurs de trois pays se disputaient ainsi les lau­riers de la gloire: les Américains, les Italiens et les Français. Chacun avait à sa disposition un autodrome réputé; les Américains: Salt Lake City, à la vérité plus une piste qu'un véritable autodrome; les Italiens : Monza, et les Français : Montlhéry. Indiscutablement, ce dernier faisait figure, depuis dix ans, de haut lieu de la vitesse. C'est là, en effet, qu'une pluie de records s'était abattue. On se souvenait encore des exploits de l'équipe Renault, en 1926, avec Garfield, Plessier et Guillon; de ceux de l'équipe Voisin, en 1927, avec Marchand, Morel et Kiriloff, sans omettre les plus récents, à l'actif des équipes Hotchkiss en 1930 et Delage en 1931.

Pour Renault, Montlhéry était aussi un centre d'essais que l'atelier 153, dont le souvenir reste vivace dans l'entreprise, utilisait pour faire «tourner" les nouvelles voitures de la marque. C'est donc sur cette piste que la Nervastella fit ses premiers kilomètres, qu'elle révéla ses qualités et aussi ses défauts et que, peut-être, fut prise la décision de lui donner une soeur la «Nervasport". Mais, écoutons Auguste Riolfo qui fut le «patron" du 153 : «Quand j'ai été engagé en 1930, j'ai appris par mes amis Roques et Dalodier, que la Nerva avait une réputation de «veau", cause de sa mévente. En lisant la notice technique, j'ai cru déceler la cause des mauvaises reprises, dans un réglage de la dis­tribution du moteur, mal adapté à cette voiture. Venant de chez Delage où j'avais étudié ces questions, j'ai pu corriger le manque de reprise de la Nerva. Une voiture ainsi modifiée fut essayée par M. Boul/aire, puis par M. Renault. C'est pour remonter la réputation de la Nerva que fut entreprise la démonstration de 1932".

En mars 1932, une Nervastella, à l'initiative du 153 et en accord avec le directeur commercial, M. Liscoat et le direc­teur des études, C. Serre, prend le chemin de Montlhéry. Elle est strirtement de série, mais bénéficie des modifica­tions apportées par Auguste Riolfo. Sous le contrôle de l'Automobile-Club de France" elle va tourner pendant 24 heu­res à la moyenne horaire de 130,436 km, atteignant durant le dernier tour, une moyenne de 142,007 km/ho Un premier pas est donc franchi. Mais il fallait aller plus loin et c'est alors qu'apparut la Nervasport.

«Çà, c'est un record!»

Ainsi s'exprime Charles Faroux (11) qui poursuit: « De même que la vertu comme le vice ont leurs degrés, les records comportent une hiérarchie. Ceux de vitesse pure demeurent les rois: ceux de très longue durée n'ont pas de grande signification. 24 heures, 48 heures, comportent un ensei­gnement réel".

Certes, cette quête «d'un enseignement réel" n'était pas exclue des calculs de Renault, mais l'argument commercial l'emportait: il fallait qu'au nom de Nervasport soient asso­ciés deux qualificatifs évocateurs: surpuissance, aérodyna­misme. Surpuissance, grâce au moteur de 8 cylindres de 4,800 litres de cylindrée; aérodynamisme, grâce à une car­rosserie très profilée. Pour le moteur, il suffisait d'en préle­ver un sur la chaîne de montage. Quant à la carrosserie ... La direction de l'usine était persuadée que «l'avenir, et l'avenir proche, est aux formes profilées et aérodynamiques... dans une voiture aux formes carrées et désuètes, une partie consi­dérable de la puissance du moteur est utilisée à vaincre la résistance de l'air. Une voiture moderne doit se rapprocher de plus en plus de la forme idéale, que doit avoir un mobile destiné à faire son chemin dans un fluide» (12)

(11)

« La Gazette Dunlop» -Mai 1934.

(12)

«Bulletin Oommercial de8 U8ine8 Renault» -Mai 1934.

Pour réaliser cette « forme idéale ", il n'était nullement'ques­tion pour Louis Renault de faire appel à un carrossier en renom, A cause du secret indispensable? Peut-être; plus certainement, confiance absolue dans le savoir-faire de l'ate­lier d'essais, le 153, que dirige Auguste Riolfo. Et le 153, de marteler la tôle 1 Ainsi va prendre forme la carrosserie de la Nervasport. Soutenue par une armature en bois, elle est bientôt fixée sur un châssis de série. Mais le 153 ne va pas s'en tenir là. Il va aussi donner ses hommes. Et quels hommes!

Voici le maître-d'œuvre : Roger Quatresous, 31 ans, entré au 153 le 1er mars 1931, «un agent technique de grande valeur, intelligent et très bon conducteur" dit Auguste Riolfo ; son adjoint, Louis Fromentin, 24 ans, ancien apprenti, metteur au point «bon praticien et excellent conducteur". Puis, Andrè Wagner, 28 ans, au 153 depuis le 5 août 1929, «bon essayeur et qualifié pour son endurance", enfin Georges Berthelon, 34 ans, issu du 153, devenu chef d'ate­lier au garage de la direction.

Quant à l'équipe technique, elle est aussi formée par le 153. La bataille pour la conquête des records va donc revêtir un certain caractère corporatif, qui la rend d'autant plus sympathique. Pourtant, l'objectif fixé par Auguste Riolfo et la direction est pour le moins ambitieux. Il faudra tenir le temps : 48 heures, la distance : plus de 6300 km et la moyenne : plus de 132 km/ho Mais qu'importe, tout a été prévu, sauf la défaite.

Le mardi 3 avril 1934, la grande aventure commence. A 15 h 37 exactement, la Nervasport prend le départ sous le contrôle d'un agent de l'A.-C.F. Pour le spectateur, la ronde qui va se poursuivre devient vite monotone, mais pour les pilotes? Louis Fromentin s'en souvient encore : «Chaque pilote conduisait pendant trois heures consécutives. La troisième heure était éprouvante, particulièrement la nuit, la piste n'étant balisée que dans le bas, par des lampes­tempête. La «loupiotte» de la cabine de chronométrage revenait toutes les 48 secondes et c'était vraiment halluci­nant. Le ravitaillement en eau, huile, essence et pneus, se faisait en 34/36 secondes ce qui était déjà un record.

Tout se passa bien jusqu'à la 45e heure quand, subitement, la température de l'eau augmenta d'une façon inquiétante. Il fallut s'arrêter. On constata une légère fissure à la partie inférieure du radiateur. Nous remettons de l'eau et reprenons la piste, mais la fuite à une fâcheuse tendance à augmen­ter. Les arrêts deviennent plus fréquents. Il faut trouver rapi­dement une solution à ce problème. Alors, avec les pièces et les outils du lot de bord du véhicule (nous n'avons le droit que de puiser dans ce lot embarqué au moment du départ) soit : un morceau de durite, un tuyau en cuivre, du fil de fer et du chatterton, nous relions la pompe à essence à commande mécanique montée sur moteur, au trop-plein du radiateur et, pour mise à air libre, nous faisons un trou dans le bouchon.

Cette réparation de fortune mérite cependant une explica­tion. La caisse, derrière le pilote, était formée d'un réservoir d'essence alimentant le carburateur par l'intermédiaire d'une pompe électrique. Ce système a fonctionné pendant toute la durée des records. Par ailleurs, le réservoir a essence d'origine, était seulement prévu en dépannage ainsi que la pompe sur moteur. Nous avons rempli d'eau le réservoir et, par l'intermédiaire de la pompe à essence mécanique sur moteur, nous avons établi un circuit d'eau compensant la fuite du radiateur. Il fallait y penser!

Après quelques essais de réglage de débit, effectués en pinçant plus ou moins le tube en cuivre, nous avons ter­miné les 48 heures avec succès' et une température d'eau très régulière".

L'équipe des mécaniciens avec la voiture victorieuse.

Un ravitaillement que Auguste Riolfo, les mains sur le capot surveille attentivement •.•

Après la victoire, de gauche à droite Fromentin, Quatresous, Wagner, Berthelon et Auguste Riolfo.

Pendant près de deux heures, les personnes qui station­naient sur le bord de la piste furent très étonnées de voir fonctionner les essuie-glace alors que le soleil brillait. Mais il s'agissait pour le pilote d'évacuer le trop-plein d'eau qui, passant par le trou ménagé dans le bouchon du radiateur, s'étalait sur le pare-brise. André Citroën, ayant appris com­ment nous nous étions dépannés a bien ri et, d'après un témoin, aurait dit: « Ces gars-là, au moins, ce sont de vrais mécanos! ".

Le jeudi 5 avril, après une marche de 48 h 3 mn 14 s, la Nervasport s'arrête. C'est la victoire. Une victoire totale : 3 records du monde toutes catégories, 9 records interna­tionaux dans la catégorie 3 à 5 litres sont battus. En 48 heu­res, 8037,341 km ont été parcourus à la vitesse moyenne horaire de 167,445 km. « C'est un magnifique succès et c'est aussi le triomphe de nos arguments de vente: surpuissance et aérodynamisme ", déclare la Direction (13). «L'Auto" du 6 avril, souligne que « la marque Renault peut être fière de ce succès, car il marque une belle étape pour le grand constructeur de Billancourt. Il donne aussi des preuves de J'excellence de sa construction, ce que nous n'ignorions pas et que Renault vient de confirmer d'une façon indiscuta­ble ". « Posséder un tel record du monde, écrit « Omnia» (14) est une magnifique consécrati,on. Nous en sommes heureux pour Louis Renault et nous en sommes fiers pour notre industrie française».

La mort de Georges Berthelon

La victoire de Montlhéry allait être exploitée au maximum par la Direction Commerciale. Outre les communiqués de presse, les affiches et les placards publicitaires, la plupart des succursales de France présentèrent la Nervasport à des foules curieuses.

Mais les records, même les plus impressionnants, ne peuvent résister longtemps. Un mois plus tard, le 8 mai 1934, à 16 heures, une Delahaye est au rendez-vous de Montlhéry. Albert Perrot, Marcel Dhome et Armand Girod sont aux com­mandes d'une 6 cylindres de 3,227 litres, «une monoplace adroitement fuselée et dont la vitesse limite est un peu au­delà de 193 km/h» (15). Et le record de la Nervasport est battu, l'équipe Delahaye couvrant 8464,083 km à la moyenne horaire de 176,294 km. Cependant, elle avait voulu faire mieux. « Le but de Delahaye était le record des 48 heu­res. On fêta la réussite. On sabla le champagne puis on songea qu'il était fâcheux de s'arrêter en si bon chemin. On poussa donc jusqu'aux 10000 km, mais on avait perdu près de deux heures qui comptaient cependant pour le record» (16). Et, malgré ce handicap, le record des 1 0 000 km fut battu.

(13) «Ibid. ».

(14)

De mai 1934.

(15)

A. Caputo « Omnia» -Août 1934.

(16) «Ibid. ».

Renault ne pouvait rester indifférent à l'exploit de la Delahaye. Il lui fallait une revanche à la hauteur de sa répu­tation. Alors, la décision fut prise d'établir des records de durée sur 72 heures.

De nouveau, le 153 se met au travail. On décide d'abandon­ner la Nervasport pour un châssis de Vivasport. On fait appel à l'ingénieur Riffard, chef du bureau d'études des avions Caudron. En moins de deux mois, une nouvelle voiture naît. Elle avait belle allure la Vivas port, avec ses lignes mieux affinées que celles de sa devanCière et qui accusaient plus encore son aérodynamisme.

Le 13 août 1934, toute bleue sous le soleil, elle se présente sur la ligne de départ. A 19 h 45, Quatresous est aux com­mandes. Bientôt, la voiture prend sa vitesse de croisière, près de 180 km/ho A 22 h 45, Fromentin assure le relais, l'allure se maintient. Encore trois heures et Berthelon lui succède. Les tours de piste sont accomplis avec une régu­larité d'horloge quand, brusquement, à 3 h 30 c'est l'acci­dent. Brutal, inattendu. Une explosion que l'écho amplifie. Les panneaux qui longent la piste s'effondrent et les flammes qui submergent la voiture jettent une lueur sinistre. Éjecté au moment de l'accident, le malheureux Berthelon est retrouvé empalé sur un pieu, mort.

Cruelle et terrible catastrophe qui atteignait durement l'équipe du 153 et «tous les habitués de l'autodrome» qui « appréciaient ses connaissances techniques et ses qualités de conducteur» (17).

Pour Renault, la disparition de Georges Berthelon allait met­tre un terme à ses tentatives et c'est seulement en 1956, qu'un autre bolide Renault, «l'Étoile fi/ante» se présentera sur la piste de Montlhéry.

Gilbert HATRY

Le 13 août 1934, toute bleue sous le soleil, elle se présente sur la ligne de départ. ..

(17) «L'Auto» -15 aollt 1994.

RECORDS

établis par la Nervasport à Montlhéry

les 3, 4 et 5 avril

1) Records du monde toutes catégories anciens records

4000 milles : 37 h 52 mn 53 s 19/100 41 h 46 mn 14 s 66/100

moyenne : 169,935 kmlh 154,112 km (1)

48 heures distance parcourue : 8037,341 km 7366,537 km

moyenne : 167,445 km/h 153,470 km/h (2)

5000 milles: 48 h 3 mn 14 s 52 h 46 mn 44 s 32/100

moyenne : 167,465 km/h 146,728 km/h (3)

2) Records internationaux

(catégories 3 à 5 litres)

3000 km : 17 h 31 mn 23 s 38/100 19 h 10 mn 28 s 61/100

moyenne : 171,202 km/h 165,457 km/h (4)

2000 milles : 18 h 52 mn 30 s 79/100 20 h 31 mn 37 s 37/100

moyenne : 170,750 km/h 156,802 km/h (5)

4000 km 23 h 24 mn 38 s 67/100 29 h 47 mn 48 s 63/100

moyenne : 170,862 km/h 134,243 km/h (6)

24 heures: distance parcourue : 4 102,119 km 3689,436 km

moyenne : 170,922 kmlh 153,727 km/h (7)

3 000 milles : 28 h 22 mn 28 s 34/100 35 h 58 mn 4 s 24/100

moyenne : 170,153 km/h 134,231 km/h (8)

5000 km 29 h 31 mn 6 s 37 h 10 mn 32 s 37/100

moyenne : 170,348 km/h 134,490 km/h (9)

4 000 milles : 37 h 52 mn 53 s 19/100 48 h 24 mn 37 s 73/100

moyenne : 169,935 km/h 132,974 km/h (10)

48 heures: distance parcourue : 8037,341 km 6382,011 km

moyenne: 167,445 km/h 132,958 kmlh (11)

5 000 milles : 48 h 3 mn 14 s 64 h 13 mn 59 s 71/100

moyenne : 167,465 km/h 125,273 km/h (12)

(1) (2) (3) Le8 7, 8 et 9 mar8 1931" par EY8ton et Denly, 8ur Hotchki88.

(4) (5) (7) Le8 25 et 26 8eptembre 1931, par Bourlier, Sénéchal et Frettet, 8ur Delage.

(6) (8) (9) (10) (11) Le8 5, 6 et 7 octobre 1930, par Tchernonsky et Vas8eur, 8ur Hotchki8s.

(12) Du 6 au 14 mar8 1933, par Cé8ar et Marchand, 8ur Fm·d.