06 - Au service de la publicité Renault (1928-1932)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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AU SERVICE DE LA PUBLICITÉ RENAULT

J'ai quitté la Transatlantique le 30 septembre 1928 et suis entré aux" Usines Renault» le 1 er octobre 1932.

Une de mes relations d'affaires, Tony Levy, un jeune édi­teur, était lié avec Roger Boullaire, un des beaux-frères de Louis Renault, responsable des ateliers de carrosserie. Celui-ci lui demanda un jour s'il ne connaîtrait pas un chef de publicité. Levy parla de moi et m'en parla; je voulus voir, car l'avancement était d'une lenteur désespérante à la Transatlantique. Et puis, devenir le responsable de la publicité de cette grande Maison, c'était tentant... Je ren­contrais successivement Boullaire, puis Paul Hugé, le bras droit commercial de Louis Renault, un des administrateurs de l'affaire. Les choses marchèrent rondement. A la seconde entrevue, Hugé me fit une proposition ferme: trois mois d'essai à 3500 F par mois, presque le double de mon salaire du moment à la Transatlantique; ensuite, 4000 F, mois double en fin d'année. J'hésitais tout de même; je m'étais renseigné, je s~vais que Renault était un patron très dur; en six ans,S~x chefs de publicité s'étaient suc­cédé... mais on m'avait dit aussi: " C'est l'occasion pour vous de bien apprendre le métier; si vous sautez rapidement comme vos prédécesseurs, personne ne vous tiendra rigueur, la réputation de la Maison à cet égard est bien connue, et si vous réussissez à tenir le coup deux ans, vous aurez une référence de premier ordre!» Je savais de toute façon que cela ne pourrait pas durer éternelle­ment... J'ai tenu quatre ans... J'ai rarement autant travaillé que chez Renault, mais je ne regrette pas ces années très dures, pendant lesquelles j'ai eu à gérer un des plus gros budgets de publicité français de l'époque: trente millions... en 1930. Douze millions dans la grande presse, cinq pour les périodiques, cinq pour l'impression publicitaire seule, huit en divers: expositions, affichage, etc. Tout ceci concer­nait plusieurs" budgets» différents: voitures de tourisme

(alors les 6, 8, 10 et 15 CV), voitures de luxe (les Stella), véhicules industriels, tracteurs agricoles, moteurs industriels et marins, aviation (les moteurs Renault triomphaient sur la ligne Latécoère, la future "aéropostale» vers le Maroc, le Sénégal, puis l'Amérique du Sud). La fabrication des chars d'assaut n'impliquait évidemment pas de publicité... Je dépendais de la direction commerciale, coiffée plus spécia­lement par MM. Hugé et Lefebvre Pontalis (ce dernier avait épousé une fille de Fernand Renault, un des frères aînés de Louis) et plus directement d'un nouveau directeur commercial, Gilbert liscoat, entré aux usines un mois avant moi, avec lequel j'eus la chance de sympathiser, d'autant plus facilement qu'il venait de quitter les Messageries Mari­times, ce qui créa entre nous une sorte d'attirance mutuelle. De dix ans plus âgé que moi, célibataire, c'était un gros travailleur, réfléchi, toujours calme; il m'apprécia bientôt et me tint ce langage : vous me plaisez ... vous savez la difficulté pour un chef de publicité de conserver ses fonc­tions dans cette maison, le poste est particulièrement insta­ble... mais vous pouvez compter sur moi, je vous épaulerai autant que je le pourrai et vous préviendrai le jour où cela

ne sera plus possible pour moi de vous soutenir... Et il fit au maximum ce qu'il m'avait dit...

Renault a, sans doute, été en France le dernier représentant du patron de droit divin dans sa forme la plus absolue, et aussi du tyran antique...

Très soigné de sa personne, toujours en complet bleu, chemise blanche, cravate sombre, chaussé de noir, il avait des traits puissants, ravinés, la figure couleur brique; il me faisait penser aux "hamadrias», ces grands singes du jardin d'Acclimatation.

On entrevoyait parfois, à Billancourt, M. Rochefort, chargé de gérer le " patrimoine» Renault.

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La Campagne du Salon

Louis Renault s'occupait de très près de la publicité. Chaque jour, il se faisait présenter les annonces de la concurrence et m'envoyait souvent une note de directives pour demander qu'on lui prépare, dans le plus court délai (toujours... !) une annonce de réponse... au cliché d'un concurrent. Il indi­quait avec précision les arguments à utiliser. Il semblait croire que chaque annonce de la concurrence était une atta­que personnelle contre lui! Il en résultait qu'un programme cohérent d'annonces était très difficile à présenter à l'avance et surtout à respecter.

Pour le salon annuel, la presse était répartie en deux prin­cipales catégories : les grands quotidiens, beaucoup plus nombreux qu'ils ne le sont aujourd'hui, tant à Paris qu'en province (80 environ) et la presse hebdomadaire des «petits régionaux" (le plus souvent des hebdomadaires). Traditionnellement, Citroën paraissait le premier jour du salon, Renault le second et j'avais à prévoir, pour la pre­mière série, une annonce d'une page entière (quelque­fois deux...), une annonce spéciale qui occupait sur deux colonnes de largeur, toute la hauteur de la troisième page, qui était alors la page de « dernière heure " et comme telle la plus prisée, et quatre quarts de page. Dans la seconde série, uniformément deux quarts de page ou demi-pages suivant le format des journaux, ceci pour les modèles de

sene (deux à quatre cylindres: 6 et 10 CV, [deux à six cylindres : 8 et 15 CV], les futures Monasix et Vivasix).

Il fallait encore préparer des annonces spéciales pour les voitures de luxe, bientôt désignées Monastella, Vivastella, Nervastella et Reinastella, respectivement deux six cylin­dres et deux huit cylindres, annonces qui paraissaient dans certains journaux comme «Exce/sior ", un grand quotidien très illustré aujourd'hui disparu, « le Figaro ", « le Gaulois ", «le Temps ". D'autres devaient être préparées pour les grandes revues hebdomadaires ou mensuelles comme

« f'Il1ustration ", «Fémina ", «Vogue ", les revues automo­biles, «Omnia", «la Vie automobile ", etc. Lorsque j'arri­vais à l'usine, Renault voulait que ces dernières soient pré­parées par René Vincent, un dessinateur très en vogue, lUi-même très« peaufiné ", dont les dessins, d'un style élé­gant devaient reproduire fidèlement les modèles « habillés" de jolies femmes et de conducteurs très chics. René Vincent était un homme agréable, nullement pontife et j'ai eu d'excellents rapports avec lui.

La préparation de la campagne du salon commençait le 1·r août; c'était trois mois sans pouvoir dételer, car le salon des véhicules industriels suivait celui du tourisme à un mois d'intervalle et comportait un programme de presse spécial mais un peu moins important. On était vraiment « sur le pont ", pendant cette période, de jour et de nuit, avec constamment des interférences et des difficultés qu'il fallait régler sur l'heure, mais quand on a de 28 à 32 ans... et des moyens (l'argent ni le temps ne comptaient pour Renault), on arrive à se débrouiller. On sortait de cette période absolument vidé...

Au début du printemps, campagne de relance ou, si l'on préfère, rappel pour les modèles de tourisme (généralement sous forme d'insertions en page de « dernière heure ", quelquefOiS des séries [4 ou 5] de quarts de page). Les autres fabrications des usines Renault donnaient lieu, elles aussi, à des insertions plus ou moins nombreuses en cours d'année, notamment dans le quotidien alors très en faveur « la Journée industrielle " (Bernard Precy) et les revues spécialisées. Il arrivait souvent que Louis Renault donne des directives précises qu'on ne pouvait guère discuter... et exige que les maquettes lui soient soumises, ce qui ne voulait pas dire qu'on était assuré de ne pas être enguir­landé quand elles paraissaient... Je me souviens d'une annonce en couleurs destinée au numéro spécial de « l'Illustration " du salon de l'auto (4e page de couver­ture) étudiée à une époque où les maquettes pour cette revue n'étaient plus demandées à René Vincent. En raison des délais de fabrication de ce numéro spéCial, la maquette devait être remise au journal deux mois à l'avance. Quand je l'avais présentée, le patron, de bonne humeur, (une fois n'était pas coutume...) l'avait acceptée et commentée aima­blement; sur ma demande, il l'avait apostillée d'un « d'accord" suivi de ses initiales... Le numéro parait... Je suis appelé à son bureau, où se trouvaient réunis une dizaine de collaborateurs, et suis copieusement engueulé sans pouvoir placer un mot... pour ladite annonce... ! Pro­fitant d'un instant où Renault reprenait son souffle, je lui dis «Monsieur, voulez-vous me permettre... " et je m'esquive pour revenir quelques instants plus tard avec l'original de la maquette, que je remets discrètement à

M. Hugé, assis à côté du patron. Il remarque tout de suite le «d'accord" et la signature, et avec un petit sourire, passe le document à Renault qui regarde, se tourne vers moi et me jette la maquette à la figure en s'exclamant : « Ce n'est pas moi qui ai signé... vous avez imité ma signa­ture... ». On en resta là... Il Y avait des sourires...

Outre cette page, Renault faisait paraitre en rédactionnel, dans ces numéros, quatre photographies dans la rubrique dite « les belles voitures» -l'insertion était facturée, pour chaque demi-page, cinq mille francs -. Cette année-là, Renault avait mis au point son nouveau capot avec, pour la première fois, le radiateur « à l'avant •. On devait le présen­ter au salon sur la Reinastella, le nouveau nom de la 40 CV 8 cylindres. En juillet, Renault spécifie que les quatre pho­tos de la rubrique montreraient cette voiture avec des car­rosseries différentes et une mise en scène de figurants féminins (on faisait appel à des mannequins de grandes maisons de couture). Aucune voiture n'était prête; les capots n'étaient encore que des maquettes en bois, d'ail­leurs impeccables comme apparence. Renault choisit lui­même les photographies prises un matin devant la cascade au Bois. Au début de septembre, il me convoque avec Roger Boullaire, son beau-frère, responsable des questions de carrosserie. Entre temps, il avait décidé de présenter également, avec son nouveau capot, les modèles Nerva­stella, Vivastella et Monastella. On venait de lui montrer le premier spécimen de chaque. Il me demande de montrer les photos retenues pour « l'Illustration» et entre en fureur en constatant que toutes concernaient des Reina. «Mais Louis... tente d'expliquer M. Boullaire, c'est vous qui les avez choisies et vous savez qu'il fallait les remettre en juillet pour qu'elles puissent paraÎtre... ». -«Je m'en f ...,

rétorque Louis Renault» et se tournant vers moi : « Le Masson, débrouillez-vous... sinon vous quitterez l'usine le jour même! » Boullaire et moi sortimes du bureau assez penauds et je remarquais que je n'avais plus qu'à chercher une nouvelle situation... « Prenons toujours contact avec Louis Baschet (le grand patron de « l'Illustration»), me dit Boullaire, il aura peut-être une solution à nous proposer '. Deux heures plus tard, nous étions reçus au 14, rue Saint­Georges, par Louis Baschet -un grand seigneur -qui nous écouta, puis me regardant avec un sourire cordial : « Mon­sieur Le Masson, fit-il, je crois que vous êtes né sous une heureuse étoile» et prenant sur son bureau les bonnes feuilles des pages en question (tirées en héliogravure) : « Je viens de les refuser, la gravure est mauvaise... Je vous accorde trois jours pour m'apporter de nouveaux documents. On vous attendra pour refaire les planches ». -Les usines avaient alors avec « l'Illustration" un contrat de vingt pages annuelles, sans compter les rubriques spéciales; Baschet ne pouvait pas ne pas faire quelque chose ... -Le numéro paru, Louis Renault m'appela. «L'Illustration. était ouverte sur son bureau. Il me regarda et, ironiquement... «Vous voyez, Le Masson, pour Renault, rien n'est impossible... ! •

Une certaine année, Renault avait voulu que sa page entière du 2e jour du salon comporte les prix des modèles; c'était en fait une page de catalogue et un tarif. Les prix ne furent fixés qu'au tout dernier moment, quand Renault eut réussi, par des moyens que je veux ignorer... mais que j'ai bien connus... à connaitre les prix des modèles Citroën... Cette fois-là, il n'était pas question d'envoyer les clichés aux jour­naux de province par les moyens ordinaires; ils ne seraient pas arrivés à temps. On alla les porter dans les gares, pour les confier aux contrôleurs des trains qui acceptèrent de les remettre aux coursiers des journaux, aux arrêts des trains (confortable pourboire évidemment...). C'était absolument irrégulier... Puis on téléphona à chaque journal, en donnant toutes précisions utiles. La chance, « ma » chance voulut (toujours ma «bonne étoile ....) que cela se passe bien...

Une autre année... On éditait pour le salon du tourisme et chaque modèle de tourisme de série, cinq brochures éditées chacune à 100 000 exemplaires, en deux couleurs, une brochure générale pour l'ensemble des modèles, une particulière pour chacune des quatre, toutes illustrées d'après des documents dessinés représentant des voitures vues de profil en style photo. J'avais, pour préparer ce genre de document, un atelier de retouche à l'usine et je faisais également appel à la maison Gonnot, qui travaillait à la perfection et était toute dévouée aux usines, son meil­leur client. Le vendredi précédant l'ouverture, je fis le tour des cinq imprimeries; on calait, les brochures seraient parées pour le jeudi suivant, jour .d'ouverture du salon. Je rentre à l'usine, il était 18 h 30, le personnel venait de partir... les bureaux étaient déserts; je tombe sur liscoat qui s'inquiète des imprimeries. Je le rassure. « Bien, fait-il, vous avez bien travaillé, allons prendre un pot... » En gagnant la sortie de l'usine, nous tombons sur Perrin, un charmant collègue qui faisait la liaison entre le bureau d'étude et le commercial et nous lui proposons de nous accompagner... « Pas question, fait Perrin, j'ai bien autre chose à faire... le patron vient de chambouler la présenta­tion des modèles... Il est en train de s'expliquer avec la fabrication; vous le trouverez au bureau d'étude... ". Dans cet immense bureau, au 4e, un coin était encore éclairé...

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autour de Renault, tout son état-major. « Que me vou/ez­vous encore·, fit-il en nous apercevant, liscoat et moi. liscoat expliqua... « Le Masson, je vous donne rendez-vous demain à 14 heures (c'était un samedi), vous vous arran­gerez, mais je veux que jeudi vous me présentiez vos bro­chures au point; je vous donnerai demain les éléments nécessaires ». Je suis rentré très en retard chez moi, ce soir­là! Avec liscoat, nous avons alerté par téléphone tous ceux que nous avons pu toucher et tous les gens du service, les retoucheurs, les clicheurs, les imprimeurs... Cette fois encore, nous avons réussi, une fois de plus, des tours de force en travaillant de jour et de nuit, y compris le diman­che... Le jeudi matin, je présentais sur le stand au patron, quelques exemplaires de chacune des brochures qu'il avait fallu encarter... l'encre était à peine sèche ...

En ce jour d'ouverture du salon, Renault et Citroën, dont les stands étaient voisins, se rencontraient; on pouvait les voir, coiffés d'un melon et en pardessus habillé, deviser ensemble pendant quelques minutes, de façon très cor­diale, semblait-il... Pour être de féroces concurrents, on était tout de même, entre gens de bonne compagnie...

Les accords de publicité dans la presse quotidienne étaient distribués par l'intermédiaire de l'agence Mignon, 18, boule­vard Montmartre. M. Mignon, à qui je fus présenté dès mon arrivée, ne s'occupait pas lui-même du détail et de l'appli­cation de ces accords; il en laissait le soin à son bras droit et principal collaborateur, René Poisson (t 1942), avec lequel j'étais constamment en contact et avec lequel je me suis très bien entendu.

L'agence Mignon ristournait à Renault une partie de ses commissions pour constituer une «masse de manœuvre " gérée par Mignon, mais des opérations qui en résultaient, je n'eus jamais à m'occuper; c'était un «domaine réservé... »

Le service de publicité s'occupait, pourtant, directement des relations avec les « journalistes de l'automobile ». Sans parler de la presse automobile proprement dite, dans laquelle les figures les plus notoires étaient Charles Faroux de «l'Auto », Baudry de Saunier de la revue «Omnia» (groupe du « Petit Parisien ») et Petit de « la Vie automo­bile», chaque quotidien avait son rédacteur spécialisé dont on attendait ou dont on espérait qu'il serait favorable, dans ses commentaires, à la marque Renault. Je tenais à jour une liste dans laquelle ces journalistes étaient classés en plu­sieurs catégories. Dans la première, figurait seul Gaston de Lafrete (<< Écho de Paris») un journaliste absolument intègre, qui n'acceptait même pas que les constructeurs lui consentent une remise quand il achetait une voiture... Une seconde catégorie était celle des journalistes qui pouvaient bénéficier sur leurs achats de la remise d'agent (envi­ron 20 %); une troisième catégorie concernait les person­nages auxquels on accordait une remise de 40 %, ce qui correspondait à peu près au prix de fabrication. La dernière catégorie comprenait les noms de ceux auxquels, indépen­damment d'une remise maximum sur la voiture, on accordait une « enveloppe» trimestrielle, semestrielle ou annuelle...! Les montants, soigneusement dosés suivant l'importance et la vénalité du personnage, son talent et l'importance du journal, variaient dans des proportions sensibles.

La presse «spécialisée. était conviée deux fois par an à l'usine pour un pot, au moment du salon et au printemps.

Louis Renault paraissait quelques instants; les invités étaient reçus par Hugé, Lefebvre Pontalis, Boullaire, Serre, liscoat, Gallienne (chargé des véhicules industriels), Graechen (un très charmant collègue) qui s'occupait des modèles de luxe, et d'autres, par exemple les deux fils de

Samuel Guillelmon (qui s'occupaient surtout de l'exporta­tion), Henri Robert, le fils de l'illustre avocat (Renault ser­vice), Galopin, responsable du «garage» de l'usine et, comme tel, très précieux à connaître quand on voulait avoir une voiture très au point. Bien entendu, René Poisson et moi assistions à ces «réceptions ».

Pour la première fois', un film Renault

C'est pendant mon « régne » que fut réalisé, pour la pre­mière fois, un film sur les usines. J'en fus chargé... Le « Patron» avait accepté de faire un voyage en t:gypte; il devait être absent un mois. Une semaine avant son départ, il me convoqua, me donna ses instructions, exigeant qu'une grande maison -il y avait alors le choix entre Gaumont et Pathé -fut chargée du film après appel en concurrence... Il voulait que dans les trois ou quatre jours suivant son retour, on lui présente un film d'une durée de projection d'une heure! Il ajouta que je devrais prendre langue avec son second beau-frère, l'excellent graveur Jacques Boullaire, qui serait en quelque sorte l'expert artistique et conseil pour le film ... Ce furent encore cinq semaines de grande bouscu­lade. On était en décembre, ce qui ne facilitait pas les choses au point de vue de la lumière et de l'éclairage. Je revisitais l'usine avec les spécialistes des prises de vues qui demandèrent à faire des bouts d'essai pour apprécier le nombre des projecteurs qui devraient éclairer les ateliers et les chaînes de montage. Les essais montrèrent qu'à la fonderie notamment, il faudrait opérer de très bonne heure (vers six heures du matin...) pour que les fumées de la veille aient eu le temps de retomber ou de se dissiper et avant que de nouvelles fumées ne polluent l'atmosphère. La veille du départ de Renault, je me rendis chez Boullaire pour arrêter définitivement le programme des prises de vues. Il habitait avenue du Bois, un appartement immédia­tement au-dessous de celui du « patron », avec lequel il était relié par un escalier intérieur. Pendant que nous dis­cutions, Jacques Boullaire fut appelé deux fois chez son beau-frère..., puis survint Joseph, le fidèle chauffeur du patron : « Monsieur Le Masson, Monsieur Louis veut vous voir aussi... ». Je montais pour trouver Renault, en veston d'intérieur, entouré de ses principaux collaborateurs; il vou­lait nous répéter, à Boullaire et à moi, ses instructions et recommandations. Pendant qu'il parlait, une porte s'entre­bailla, parut Mme Renault qui commença: « Louis... je vou­drais... » ; elle n'alla pas plus loin ... Son mari se retourna avec fureur vers elle : « Ma chère amie ... j'ai accepté ce voyage, je serai prêt à l'heure convenue, mais d'ici là, j'entends qu'on me foute la paix ». La porte se referma très vite... je redescendis chez lui avec Jacques Boullaire... Il s'excusa de cette scène d' «intimité familiale », mais qu'y pouvait-il, le pauvre homme! Le film fut prêt à l'heure; c'était un reportage d'actualités sans plus, pas plus mauvais qu'un autre d'ailleurs, car les opérateurs d'actualités sont gens d'expérience et nous étions tombés sur une bonne équipe. Ce film n'a jamais été présenté au grand public; il servait aux « caravanes » de démonstration circulant en province pour appuyer l'action d'un agent de la marque qui voulait montrer à ses clients ce qu'était « la gamme» des

véhicules Renault et qui louait une salle dans les villes traversées pour des projections dans l'après-midi; il était également prêté aux grandes écoles, aux chambres de commerce. A ma connaissance, ce fut un des premiers films du genre. Le film d'entracte allait bientôt commencer, mais c'est en 1933 seulement que, pour une des affaires dont je m'occupais alors j'ai pris contact avec Cinéma et Publi­cité.

Une autre innovation qui m'occupa beaucoup pendant quel­que temps fut la préparation d'annonces destinées aux grandes revues tirées sur papier couché comme «/'Illus­tration" et autres dont les maquettes montraient des voi­tures «habitées ". Il s'agissait de remplacer les dessins de René Vincent, dont Renault avait assez! J'utilisais d'abord les services du «studio Lorelle" (M. Anson) puis, à partir de la fin de 1929, ceux de Charles Peignot (la maison Deberny et Peignot) qui venait de monter dans un de ses ateliers de fondeur typographique, 18, rue Ferrus, un atelier de photo publicitaire parfaitement équipé. L'opéra­teur en était Maurice Cloche, alors débutant. Il s'est fait connaître par la suite par d'excellents films documentaires. Peignot, de quatre ans plus âgé que moi, était passionné par la typographie -c'était de famille -. Il allait bientôt créer les caractères Cassandre, Acier et le Peignot; il avait créé la revue « Arts et métiers graphiques ", magnifique publication dont la collection est précieuse à consulter quand on veut connaître l'évolution du style publicitaire et graphique de la période 1925-1939. Peignot s'aidait des conseils de Maximi­lien Vox. Dans le studio Peignot, on reconstitua des scènes

de plage, de neige; certaines fois, pourtant, les « vues » étaient prises en plein air et, à l'époque, j'ai beaucoup hanté les étangs de Hollande et la forêt de Rambouillet. Je crois pouvoir affirmer que Renault a été la première firme auto­mobile à publier des annonces «habillées" de ce genre ". Il fut très vite imité.

Le service publicité

A mon arnvee à l'usine, le service de publicité comprenait environ 25 personnes. Mes deux principaux collaborateurs étaient deux beaux-frères, Andrieu (l'administratif) et Goron, un dessinateur de talent moyen qui supervisait quelques dessinateurs et retoucheurs. Pissavin, dévoué et astucieux, sympathique avec sa bonne figure rougeaude, « conservait» maquettes et retouches et s'occupait des relations avec la maison Gonnot (déjà mentionnée) qui exécutait les retou­ches les plus soignées. Dervin, à la figure de fouine, mais sérieux et connaissant bien le métier, était chargé de l'éta­blissement des clichés commandés pour la plus grande part à Clichés-Union, quelques-uns à la maison Roussel. Clichés-Union (ancienne maison Gillot, de grande réputation) était animée par Laurent, le frère du syndicaliste de la Tri­bune des fonctionnaires; Renault était son principal client. On demandait à Clichés-Union, au moment du salon, d'extra­ordinaires performances; il fallait, parfois que ses ateliers fassent inopinément des heures supplémentaires et travail­lent de nuit... Je ne crois pas qu'on pourrait obtenir, mainte­nant, les résultats obtenus alors. J'appris vite le chemin de la rue de la Grotte et de la rue d'Uzès. Dans les périodes de crise, j'y ai passé de nombreuses heures de jour ou de nuit, à revoir une dernière fois les annonces en « bon à clicher" et à vérifier moi-même les expéditions de clichés, surtout cette fois où des voitures de service, avec dans

chacune un de mes agents, attendaient pour aller porter aux cinq grandes gares de Paris les nombreux paquets de clichés qu'on allait remettre aux contrôleurs de train (voir plus haut). Pas question d'aller déjeuner ou dîner, des sandwiches suffisaient... Deux collaborateurs de Laurent étaient alors presque uniquement chargés de Renault, Bertrand, futur secrétaire général de Clichés-Union et Peltier, un contremaître, actif, intelligent, qui s'était en quelque sorte intégré à Renault... et sur lequel je pouvais entièrement compter. Enfin, j'avais un excellent comptable, Chevalier, pour tenir à jour mes « comptes" et ordonnancer les règle­ments.

Comme je l'ai toujours fait dans les affaires auxquelles j'ai apparter:lu, j'instaurai immédiatement, chez Renault, la conférence quotidienne, «courte ", tenue le matin de bonne heure avec un planning et un échéancier tenus à jour par Andrieu. Au cours de cette conférence, je passais rapide­ment en revue le courrier, attribuant à chacun les affaires dont il s'occuperait, fixant le délai de réponse pour écrire ou m'en reparler. Je me rendis vite compte de l'insuffisance du classement et de la mauvaise tenue de beaucoup de dossiers. Mon premier soin fut de faire numéroter classeurs et dossiers et d'en établir un répertoire, d'établir des modè­les d'appels en concurrence et des consignes précises pour la rédaction des commandes, l'enregistrement du courrier et les diverses opérations du service. Je me montrai intransi­geant pour l'observation de ces dispositions. Enfin, chacun de mes principaux collaborateurs vit ses attributions fixées

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par une note de service, eut un suppléant désigné, qui rece­vait comme son chef de file un double des notes que je pou­vais dicter sur les questions en cours et, toujours, j'indi­quais un délai de réalisation qu'Andrieu devait noter sur son planning. Bien m'en prit. .. car un an après mon entrée à l'usine, alors précisément que j'avais terminé cette remise en ordre et qU(:l cela tournait rond, Renault prit l'habitude d'envoyer inopinément des sortes de « missi dominici » pour contrôler le fonctionnement interne des services et lui faire un rapport dans lequel étaient également appréciées les façons de faire du chef de service... Ces rapports étaient remis à François Lehideux qui venait d'épouser la seconde fille de Fernand Renault et était devenu adminis­trateur au même titre que Lefebvre Pontalis, son beau-frère. Très bien élevé, intelligent et actif, il était âgé d'une tren­taine d'années. Un matin, je trouvai, m'attendant dans mon bureau, un de ces « missi dominici », un garçon d'une tren­taine d'années lui aussi, un ancien H.E.C., qui m'expliqua qu'il «vivrait» à côté de moi pendant huit jours. De fait, il ne me quitta pas un instant pendant ces huit jours, m'accompagnant quand je recevais un visiteur ou faisais

une démarche à l'extérieur. Il assistait aux conférences du matin, était là quand je dictais notes et courrier, se faisant communiquer les dossiers, etc.

De temps à autre, Louis Renault réunissait ses « bras droits » et tous les chefs de service du commercial pour commenter et surtout critiquer le fonctionnement d'un ser­vice. Après quelques généralités sur ce qui n'allait pas, on le voyait parcourir toute l'assistance d'un regard noir et les sourcils froncés, puis il choisissait une « tête de turc» contre lequel il se mettait à déblatérer en public; c'était fort désagréable... Cela m'arriva un jour, mais il dut très vite choisir une autre tête de turc... Lehideux était aussitôt inter­venu, disant en substance que ces critiques avaient parfai­tement pu être fondées (il fallait toujours, d'une façon ou d'une autre, essayer de ne pas prendre le patron à rebrousse-poi!...), mais que le rapport fait sur le fonction­nement actuel du «service» de la publicité qu'il venait de recevoir était très bon -il le lui montrerait... -et que les critiques qu'il commençait à faire n'étaient certainement plus fondées... Louis Renault n'insista pas et son regard alla se poser sur un autre cobaye.

Le budget de la publicité et les questions à traiter avaient beaucoup crû en importance depuis mon arrivée. Les col­laborateurs que j'avais étaient peut-être de bons exécutants dans leurs spéCialités techniques, mais ce n'étaient pas des « seconds» au sens véritable du mot. Je fus autorisé à choi­sir quelques collaborateurs nouveaux et je me rappelle le sourire de Liscoat quand je lui expliquai que j'avais peut­être des « services» mais pas des « bureaux» au sens que l'on donne à ces mots dans un état-major de l'armée. Je lui dis que je voulais des garçons instruits, jeunes, des

H.E.C. de préférence car j'avais apprécié la formation des anciens élèves de cette école rencontrés dans les affaires et c'est ainsi que j'en recrutai cinq qui avaient tous entre 23 et 26 ans. L'aîné, Pierre Istel, devint mon bras droit ou, si l'on préfère, mon chef d'état-major. Fils d'un avocat connu, fin, distingué, plein d'allant et ayant déjà beaucoup d'autorité naturelle et d'entregent, il était israélite par son père, protestant par sa mère. Il nous quitta trente mois plus tard, quand il épousa Gilberte Mannheimer, fille du vice­président de Citroën; son beau-père le fit alors entrer dans cette maison. Il est hélas mort en déportation... Les autres

étaient Siméon, qui avait un sens publicitaire naturel, le sens de la mise en pages aussi; par mariage il devint, plus tard, le gendre du grand patron des papiers à cigarettes Zig-Zag, une très grosse affaire et quitta l'usine peu après moi. Pierre Bouffanais qui devait, par la suite passer le concours de conseiller commercial et faire carrière comme tel. Louis Daquin, qui ne pensait pas encore au cinéma; il devait plus tard, sortir de bons films. André Dujardin, le moins marquant des cinq. Tous m'épaulèrent convenable­ment. J'avais fait des quatre derniers des «chefs de publi­cité » au sens actuel du mot dans une agence de publicité. Je leur confiais l'étude et la préparation des campagnes à entreprendre pour les diverses fabrications des usines; ils en étaient responsables. Cela ne marchait pas mal; je pouvais mieux superviser l'ensemble du service et le diri­ger. Pour trouver ces garçons, je m'étais adressé à Louis Merlin, un contemporain, lui-même ancien H.E.C. et animateur de l'Association des anciens élèves H.E.C. Je le connais­sais assez bien et j'appréciais son intelligence et son bon sens; il commençait à se faire un nom dans la publicité

radiophonique, alors débutante.

J'avais de très bons rapports personnels avec les différents chefs de service de l'usine, qui avaient depuis longtemps compris les difficultés du poste que j'occupais... et cher­chaient toujours à rendre service au titulaire. Je n'en ai jamais connu qui m'aient tiré dans les jambes... J'étais sou­vent en rapport avec Boyer et de Pardieu, responsable du secrétarait HugéjLefebvre Pontalis (j'ai retrouvé plus tard de Pardieu à la Française des pétroles; il sortait comme moi de Sciences Po), Lancesseur (filiales), Loudinot (succur­sales), Gallienne (véhicules industriels), Leisse, Graechen (modèles de luxe), Baldenweck (moteurs industriels et marins), Sabatier et Arrachart, le célèbre aviateur (aviation), etc.

Une des périodes les plus passionnantes

de ma carrière

Le grand nombre d'imprimés publicitaires que je devais commander fit que j'étendis beaucoup le champ de mes relations dans les milieux de l'impression et de l'édition. J'avais été frappé, à mon arrivée à l'usine, par les diffé­rences de prix pratiquées pour des imprimés identiques (des dépliants sur couché, en typo quatre couleurs -on ne faisait pas encore beaucoup d'offset) et pour les mêmes quantités... Je commençai par aligner les prix, à qualité de papier égale, sur le plus bas évidemment, ce qui n'alla pas sans pleurs et grincements de dents. L'un des imprimeurs habituels, Boutin, qui aurait dû baisser ses prix de 40 %... ne voulut rien savoir, et ne pensait pas qu'on « oserait» se passer de lui. .. Il se croyait bien en cour... Je fus très ferme; j'avais deux ou trois autres maisons dans ma manche qui, je le savais, voulaient à tout prix «entrer» chez Renault... et je savais où j'allais. Pour les commandes de renouvellement de ces dépliants, deux sur quatre des four­nisseurs étaient nouveaux..., dont l'Imprimerie centrale. Une maison spécialisée dans la typo, avec laquelle Je travaillais beaucoup, était A.M.!. (Association de maîtres imprimeurs), dont les excellentes machines étaient installées dans le vieux marché couvert de Passy désaffecté, sur le chemin entre l'usine et mon domicile d'alors, ce qui était infiniment pra­tique. Son jeune propriétaire -il avait un an de plus que

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moi -était un garçon charmant, marié à une jolie femme très enjouée. Emmanuel Pouvreau, tout en étant très mon­dain, s'occupait parfaitement de ses affaires et s'amusait alors à faire écrire une «Vie de Louis Renault 1> qui finit par sortir.

L'héliogravure et la rotogravure commençaient à s'implanter. Renault a été une des premières maisons à éditer des bro­chures tirées en rotogravure. J'avais entendu favorablement les propositions intéressantes du sieur Thevoz, un genevois, qui installait une machine à grand débit dans un atelier de Saint-Mandé, la SAP.H.O. Il céda bientôt son installation à « /' Illustration qui la transféra dans sa nouvelle usine

1>,

de Bobigny, alors en construction.

Renault travaillait aussi avec Draeger, réputé comme le premier imprimeur de France pour les travaux de luxe et c'était bien vrai. Sa nouvelle installation de Montrouge -elle était terminée depuis peu -était considérée comme une des plus modernes du monde. Le vieux Georges Draeger, le grand patron, ne dédaignait pas de s'occuper lui-même des affaires qu'il considérait comme flatteuses, et je l'ai rencon­tré assez souvent à propos de Renault. Il était de rapports très agréables; j'avais, étant à la Transatlantique, plusieurs fois travaillé avec Draeger, mais toujours par l'intermédiaire d'un représentant (Breittner). J'avais ordre, chez Renault, de ne passer commande à un éditeur ou à un imprimeur qu'après un appel en concurrence. Trouver l'équivalent de Draeger comme qualité n'était pas facile. L'imprimerie Cremnitz me fournit, pourtant, de bons tirages, mais « son» studio (???) n'avait pas, pour la « création artistique », la classe de celui de Draeger.

De mon temps, Citroën faisait beaucoup de publicité, mais une publicité qu'il n'était pas obligé de compartimenter comme Renault entre des fabrications très différentes et une « gamme» très variée de véhicules de tourisme. Après ses modèles A et B et sa célèbre et excellente petite 5 CV, Citroën ne présenta pendant plusieurs années que deux modèles, les C 4 et C 6, respectivement des quatre et six cylindres, avant qu'il n'en arrive à sa célèbre «traction avant ». Il vendait aussi des camionnettes, mais pas de véhicules industriels lourds comme Billancourt. Il eut d'ail­leurs des idées publicitaires sensationnelles, par exemple, l'utilisation de la tour Eiffel comme support pour présenter son nom..., les croisières noire et jaune.

, J'ai eu quelques contacts directs avec mes collègues de Citroën et Peugeot. Les trois constructeurs avaient décidé de faire une publicité commune pour préconiser l'emploi exclusif de pièces de rechange d'origine. Je rencontrai donc Masson (Citroën) et Vallée (Peugeot). Masson, Le Masson... Georges Draeger, qui pensait, comme quelques-uns, que Renault était parfois à la remorque de son principal concur­rent, se serait esclaffé : « Décidément, Renault courre tou­jours après Citroën, celui-ci avait Masson, Renault a voulu avoir Le Masson ».

Au début de 1932, le torchon brûla sèrieusement entre Louis Renault et moi. Il commençait à m'avoir trop vu et Liscoat, comme il me l'avait dit, me prèvint qu'il me cher­chait une autre fonction dans les usines. Je me fis convo­quer par la Marine pour une période d'un mois et, pendant cette absence forcée, Liscoat suggéra au patron de faire remplir mes fonctions par René Giraud, qui s'occupait alors du "service 1> (après-vente) Renault. Puis, à la veille de mon retour, il suggéra que Giraud continue et proposa que je devienne l'adjoint de Loudinot, chargé des succursales­service, alors en plein développement et qui avait besoin d'aide. Jusqu'à mon départ (31 octobre 1932), je travaillai donc pendant trois mois à ce service, mais Loudinot n'avait que dix ans de plus que moi, il semblait très bien en cour (en fait, Renault se sépara brutalement de lui quelques années plus tard; Renault ne prenait jamais de gants quand il voulait se séparer d'un collaborateur, même ancien...). J'avais donc peu de perspectives d'avancement, n'étant plus chef de service en titre, mais seulement adjoint, et je n'entendais pas en rester aux 5000 francs mensuels que je gagnais depuis la fin de 1930, plus 120 francs mensuels d'allocations familiales pour trois enfants et le mois double en fin d'année...

Mon séjour chez Renault a certainement représenté une des périodes les plus passionnantes de ma carrière; j'y ai énor­mément appris et acquis d'expérience, tant pour la gestion des affaires proprement dites que du point de vue du commandement, ce qui est très important. Je m'y suis fait aussi pas mal de relations agréables; plusieurs m'ont été utiles par la suite. Il est normal de travailler et même de travailler beaucoup, je ne l'ai donc pas regretté et je suis heureux d'avoir vu de près cet homme très remarquable qu'était Louis Renault.

Henri LE MASSON