01 - Les folles équipées

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Les folles équipées

Vers 1910, Louis Renault décide que, désormais, aucune de ses voitures ne participera à une quelconque compétition.

Les courses, affirme-t-il, ne peuvent en rien contribuer au progrès de l'automobile et, commercialement, les débouchés qu'elles ouvrent ne compensent plus les dépenses engagées.

Peut-être a-t-il ressenti douloureusement les défaites dans les deux Grands Prix de l'A.-C.F. de 1908 et 1909. Peut-être aussi, engagé-dans un processus de diversification de ses produits, a-t-il jugé préférable de consacrer toutes ses ressources au déve­loppement de ses usines 1

Quoi qu'il en soit, finie donc la période héroïque, terminée l'épopée sportive qui avaient tant contribué à l'essor de la marque.

Mais ce sentiment du patron de Billancourt était loin d'être partagé par quelques-uns de ses proches, comme par de nom­breux propriétaires sportifs de voitures Renault qui tenaient non seulement à briller dans des compétitions locales ou secon­daires, mais aussi, à l'occasion, à tenter d'établir ou de battre quelque record.

Durant les années qui séparent les deux guerres mondiales, on ne verra plus de Renault dans les grandes épreuves nationales ou internationales. Par contre, nombre d'amateurs n'hésite­ront pas à se lancer dans de folles équipées.

"Folles équipées"? Parce qu'il leur fallait beaucoup d'audace, de courage et une bonne dose d'inconscience pour affronter des adversaires souvent mieux pourvus qu'eux.

Certes, parfois, l'usine se mettra sur les rangs ou sera contrainte de prendre, comme on dit, " le train en marche". Les jours de victoire, Louis Renault laissera aux services spécia­lisés de Billancourt le soin d'assurer l'exploitation commer­ciale.

Un exploit audacieux

Le 29 mars 1926, à midi, une 6 CV Renault commençait une ronde infernale de dix jours sur l'autodrome de Miramas. À l'aube du 9 avril, les journaux pouvaient relater ce qu'ils consi­déraient comme une" histoire d'un bel attrait sportif due à un audacieux automobiliste, M. Bertrand."

Audacieux et sans complexe, tel était effectivement cet agent Renault de Carcassonne, administrateur-délégué de la Société méridionale d'automobiles et président de l'Automobile-Club carcassonnais. Parce qu'il fallait un moral d'acier pour oser, avec une voiture d'à peine 1 litre de cylindrée, tenter de s'approprier les records établis par l'Italien Ansaldo sur le circuit de Monza, en février de la même année.

Sans préparation particulière de la voiture, sans appuis finan­ciers, aidé seulement de quelques amis qui le relaieront au volant et assureront l'assistance technique, Bertrand se lançait dans l'aventure, escomptant bien retirer d'une victoire, dont il ne doutait pas, un bénéfice à la fois moral et matériel. Mais, en prenant à son compte tous les risques de l'entreprise, il espérait bien, le succès aidant, intéresser le service commercial de l'usine et obtenir, a postert"orz: une importante compensation financière qui le couvrirait de ses débours.

Une histoire d'un bel attrait sportif...

Au fil des heures

À midi donc, ce 29 mars, Bertrand est au départ. La ronde solitaire commence dans le secret le plus absolu. La direction de l'usine n'a pas été informée. Elle aurait sans doute jugé inopportune une initiative dont l'insuccès ternirait son image de marque.

Les premiers 1 000 kilomètres sont parcourus à la vitesse moyenne de 87,657 kilomètres/heure. A la vingt-huitième heure, 2 306,409 kilomètres sont couverts, mais la vitesse moyenne tombe à 83,396 kilomètres/heure. C'est alors que Bertrand informe l'usine par télégramme demandant que lui soient adressés, par service rapide, quatre magnétos SEV B 4 avec tocs.

Désormais la communication est établie et les messages se suc­

cèdent :

-31 mars -15 h 30 : "Tentative Miramas -4000 kilo­

mètres en 49 h 54 min -Moteur parfait état".

-1" avril -Il heures : "5 500 kilomètres en 68 heures

Moyenne 80,655".

-1" avril -14 h 55 "6016 kilomètres en 74 heures ­

Moteur parfait état".

Le 3 avril, le télégramme émis à 8 h 30 signale que la tentative en est, après 115 h 33 min, à 9 500 kilomètres. Mais Bertrand appelle au secours : "Demandons aide pour continuer" ; pour­tant le moteur "rend mieux que premier jour".

De quelle aide s'agissait-il? Un nouveau télégramme du même jour à 10 h 20 est plus précis: "Demandons aide matérielle et financière pour permettre atteindre record 15 000 kilomètres" et, ajoute Bertrand, "ai bon espoir vous donner nombreux records".

304 Alors Billancourt se mobilise. Non seulement des félicitations chaleureuses sont. adressées à Bertrand et à son équipe, mais un mécanicien, Dupuy, est envoyé en renfort, cependant que l'Agence marseillaise des automobiles Renault prend le relais de l'assistance technique.

Au moment où l'espoir de vaincre devient certitude, un incen­die accidentel, pendant un ravitaillement, nécessite un arrêt de deux heures, mais les six jours écoulés ont permis à la petite 6 CV de parcourir 11 681,292 kilomètres à la moyenne géné­rale de 81,120 kilomètres/heure. Et la ronde continue !

Le 6 avril, les 14 800 kilomètres sont atteints et Bertrand se fixe comme objectif de battre le record des 10 000 miles. Encore faut-il obtenir l'accord de Billancourt, car, signale l'Agence marseillaise, il y a d'abord une question financière à régler. Le directeur des installations de Miramas exige "le règlement avant le départ de l'autodrome" et l'Agence demande: "Devons-nous, pour compte usine, opérer règlement quel­conque, Bertrand comptant sur participation totale usine". La réponse est immédiate, d'accord pour poursuivre et remise à Bertrand de 8 000 F maximum.

A la cent qùatre-vingt-seizième heure, 15 513 kilomètres sont enregistrés. Le 7 avril, le record des 10 000 miles est établi sous réserve d'homologation et Bertrand se prépare pour les 20 000 kilomètres, à condition que l'usine prenne en charge la totalité des frais engagés depuis le début de la tentative. Mais les frais étant estimés à 35 000 F et le moteur de la 6 CV commençant à donner des signes de fatigue, Bertrand est contraint à l'arrêt. Il pouvait néanmoins être satisfait des résultats obtenus :

-Record des 6 jours, soit 11 681 kilomètres à la moyenne horaire de 81,120 kilomètres;

-Record international des 7 000 miles en 131 h 23 mm (moyenne 81,120 kilomètres/heure) ;

-Record du monde toutes catégories des 10 000 miles en 203 h 22 min (moyenne 79,154 kilomètres/heure).

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Fac-similé de l'un des télégrammes adressés à Billancourt par M. Bertrand.

Il faut régler les comptes

Qui allait payer les frais engagés? Et ils étaient lourds 1 Chaque jour la location de la piste s'élevait à 1 000 francs, celle des lits pour le personnel et les chronométreurs (il en fallait 10) à 10 francs, soit 100 francs. Et le commissaire sportif 1 Sa rétri­bution atteignait 20 francs.

A tous ces frais fixes il fallait ajouter les fournitures, les taxes téléphoniques, le carburant, les salaires du personnel et même un parapluie. A quelle somme s'est donc élevée la dépense glo­baIe? Nous l'ignorons; ce que nous savons, par contre, c'est que la Direction de l'usine, après avoir pris à sa charge 43 000 francs, refusa à M. Bertrand tout complément, "étant assurée, lui écrivit-elle, qu'il comprendrait aisément qu'elle ne pouvait en faire plus ... malgré tout l'intérêt que nous attachons à votre beau succès".

Si, dans cette aventure, M. Bertrand perdit un peu d'argent, il en gagna vraisemblablement, grâce aux retombées publici-Dans des garages des banlieues d'Alger et de Tunis, les concur­rents mettent la dernière main à leurs voitures. Certains ont installé des suspensions spéciales qui donnent à leurs engins un aspect de monstres fantastiques. D'autres ont préféré conserver en l'état les machines sorties d'usines. Enfin, quelques auda­cieux ou inconscients s'apprêtent à mettre en ligne leurs propres véhicules, mais ce sont des amateurs 1

Le 5 février 1930, à 7 h 5 min, en présence du général Meynier, directeur des Territoires du Sud, et de M. Traco, président de l'Automobile-Club d'Alger et commissaire général de l'épreuve, le départ est donné. Les quatre voitures Cottin­Desgouttes peintes d'un jaune terreux, qui forment le groupe l, s'élancent en direction de Laghouat qu'elles atteindront à la tombée de la nuit.

Ainsi débutait le" Rallye Transsaharien" organisé, à l'occasion du centenaire de la prise de possession de l'Algérie par la France, conjointement par le gouverneur général Bordes et l'A.-C. d'Alger. Doté par Le Matz·n d'une coupe de 28000 francs, il devait se disputer sur l'itinéraire Alger ou Tunis-Gao.

Un arrêt à Kival.

taires. En effet, de nombreux journaux célébrèrent cet exploit d'une 6 CV Renault qui en huit jours, selon les expressions uti­lisées, "avait couvert la distance Paris-Melbourne".

Une randonnée saharienne

"Depuis quelques jours, écrit l'envoyé spécial du journal Le Matz·n, Alger-la-Blanche, sous un ciel sombre et bas d'où tombe une petite pluie fine et tenace, a l'aspect mélancolique des villes de notre Nord. Mais, à quelques centaines de kilo­mètres, dans le Sud, le soleil brille."

6 500 kilomètres seraient ainsi à parcourir de la Méditerranée au Niger et retour, par des groupes de 4 voitures françaises, en 22 étapes, avec un repos obligatoire de trois jours à Gao.

Chaque jour, une ville-étape devait être atteinte: Laghouat, Ghardaïa, El-Goléa, Fort Mac-Mahon, Timimoun, Adrar, Reggane, Tanezrouft, Gao, Kidal, Tin Zaouaten, Silet, Tamanrasset, Iniker.

Le règlement stipulait qu'à partir de Laghouat et Biskra, cha­que équipe, roulant en convoi, serait placée sous l'autorité d'un

Dans le Hoggar.

officier des regIons sahariennes, seul qualifié pour prendre toute décision concernant la police de la route, l'orientation et la sécurité. Un commissaire de route lui serait adjoint pour la partie sportive et pratique et, de plus, aurait la responsabilité des frais engagés par les participants.

Quant au classement, il serait effectué d'après le nombre de points attribués à chaque équipe selon les moyennes réalisées, les passagers emmenés, les pénalisations éventuelles calculées d'après le carnet de bord des voitures. Enfin, les départs s'éche­lonneraient du 5 au 23 février et les arrivées du 6 au 28 mars.

De réelles difficultés

"En 1922, nous dit le Bulletin commercz'al des usz'nes Renault, le Sahara n'était encore traversé, de loin en loin, que par des caravanes qui, au prix de mille fatigues et jalonnant leur piste de cadavres, mettaient des semaines pour relier l'Algérie au Soudan. En 1930, une course d'amateurs se déroule joyeuse­ment à travers ces décors farouches, théâtres des drames sanglants de la soif".

Effectivement, en huit années, le Sahara avait révélé la plupart de ses secrets grâce à de multiples explorations terrestres et aériennes. A cet égard, Renault pouvait se prévaloir d'une émi­nente participation. En 1923, c'était la mission Schwob, de Touggourt à Tozeur; en 1924, la mission Gradis-Estienne ; en 1925, le raid du commandant et de Mme Delingette puis la randonnée du lieutenant Estienne, soit 18 000 kilomètres en trente-six jours avec une torpédo 6 CV de série.

Cependant l'itinéraire du rallye n'était pas sans présenter de difficultés et même de dangers. A l'aller, les concurrents devaient franchir 1 300 kilomètres de sable dans le Tanezrouft et, au retour, emprunter les étroits défilés du Hoggar.

Des dunes, dont le sable léger constitue autant d'obstacles, des zones montagneuses aux pentes escarpées, des marécages aux boues traîtresses, d'immenses plateaux hérissés de pointes, de cailloux et de rochers, tels étaient les terrains qui s'offraient aux voitures. Et il y avait le climat. Un climat changeant, aux brusques sautes de température, au vent glacial succédant à un temps lourd, déprimant pour les hommes.

A une topographie tourmentée, à des conditions climatiques déconcertantes, il faudrait encore ajouter la dissidence, toujours imprévisible, de tribus locales. En somme, une conjonction d'obstacles que les hommes et les machines devraient surmonter.

Renault vertes et Renault blanches

Dix groupes de quatre voitures sont engagés dans le rallye : le groupe 1 (Cottin-Desgouttes), le groupe 2 (Citroën), le groupe 3 (Renault amateurs), le groupe 4 (Delahaye), le groupe 5 (Renault), le groupe 6 (Ford), le groupe 7 (Citroën), le groupe 8 (Bugatti), tous homogènes. Le groupe 9 comprend une Fiat, une Renault et deux Citroën et le groupe 10, une Hotchkiss, une Delaunay-Belleville, une Panhard et une Voisin.

Tous les groupes doivent partir d'Alger à l'exception du groupe 2 (Tunis) et du groupe 4 (Biskra).

Deux groupes Renault sont donc au départ. Le premier, dénommé amateurs ou Renault vertes en raison de la couleur des carrosseries, comprend une Vivasix torpédo commerciale, modèle 1930, une Vivastella conduite intérieure, modèle 1929, pilotée par M. Jambon, de Tunis, ayant déjà parcouru 25 000 kilomètres, une 10/11 CV conduite intérieure, modèle 1930, avec Mlle Oulié, et une torpédo 10/11 CV de 1926 avec le docteur Billon, de Marseille, qui a, à son actif, plus de 45 000 kilomètres.

Toutes ces voitures sont" des voitures comme on en rencontre à Paris, sans équipements spéciaux avec de belles couleurs vertes, qui feront sur le sable du désert des taches reposantes à l'œil. La seule verdure du Tanezrouft sera, en février 1930, la carros­serie des Renault amateurs" (Le Matin).

Le deuxième groupe des Renault a pris le nom de "Renault blanches". Il est composé de quatre Vivasix 1930 (un cabriolet et trois conduites intérieures de 5 ou 7 places). Elles sont" tou­tes confortables, dotées de leur carrosserie de série", contraire­ment aux voitures concurrentes qui "utilisent généralement des châssis sur lesquels sont montés des baquets entoilés" (Le Matin).

Les Renault blanches sont dirigées par René Estienne qui pilote la voiture nO 17 avec comme passager le général Fer­rand. La voiture nO 18 est conduite par Roques (passager Rey­gasse), la nO 19 par de Garvadie (passager Desfaux), la nO 20 par Laffont (passager Peignat).

Deux autres Vivasix transportent les journalistes du Matin et de la presse régionale.

Le 5 février, le groupe 1 (Cottin-Desgouttes) quitte Alger; le 6, de Tunis, part le groupe 2 (Citroën) ; le 9, d'Alger, les Renault vertes; le 12, de Biskra, le groupe 4 (Delahaye), et ensuite, d'Alger, le 13, les Renault blanches groupe 5 ; le 15, le groupe 6 (Ford); le 17, le groupe 7 (Citroën); le 19, le groupe 8 (Bugatti) ; le 21, le groupe 9, et le 23, le groupe 10.

Une belle performance

Jour après jour donc, les convois quittent leur point de départ. Des moyennes souvent supérieures à 45 kilomètres/heure sont enregistrées. Quelques incidents mécaniques sont à l'origine de retards. Mais, en général, les étapes étant couvertes avec "une grande régularité", tout laisse à prévoir" une lutte sévère" (Le Matz·n).

Le 6 mars à 15 heures, le groupe Cottin-Desgouttes retrouve Alger. Le 10, ce sont les Renault vertes et, le 13, les Renault blanches. La performance des Renault vertes, qui leur permet­tra de prendre la sixième place au classement général, suscite de nombreux éloges en raison de la composition de l'équipe et des conditions dans lesquelles le parcours a été effectué.

"J'ai fait le désert, raconte Mlle Olié, membre de l'équipe, avec une conduite intérieure Renault Il CV -la première de ce genre qui s'y soit risquée -voiture strictement de série et qui n'avait _même pas été rodée au préalable. Nqtre équipe comprenait aussi une torpédo de 11 CV datant de 1926 et sur­nommée "l'ancêtre du rallye". Ces deux voitures, complétées par une conduite intérieure Vivastella 1929 et une torpédo Vivasix 1930, ont parcouru la distance Alger-Gao par le désert du Tanezrouft, étendue de 1 100 kilomètres sans point d'eau, en soixante-quatorze heures et un itinéraire total de près de 7 000 kilomètres (si l'on compte les retours en arrière, les reconnaissances de la voiture de tête) en deux cent vingt-sept heures. Je précise ces données, d'autant plus significatives que notre équipe, comme on le sait, n'était pas homogène et qu'au lieu de comporter, comme passagers, des éléments très effica­ces, ne comprenait sur 9 participants que 3 mécaniciens profes­sionnels dont un de dix-neuf ans sans la moindre expérience du Sahara. De plus, une des voitures était conduite par un ama­teur, chirurgien de profession; l'équipe, enfin, comptait 3

Les Renault au cours d'une étape.

femmes et 3 hommes sans entraînement sportif. C'est dire qu'elle était particulièrement handicapée et que, en cas d'ensa­blement par exemple -pierre d'achoppement de la circula­tion automobile au Sahara -les forces susceptibles de soulever les voitures et de les mettre" au dur" étaient en nombre limité.

"Nos mécaniciens eurent de gros efforts à fournir, passèrent des nuits sans sommeil à préparer les voitures pour le lende­main. Nos étapes furent souvent de quatorze ou seize heures ou davantage encore ; il fallait bander les muscles pour résister aux sauts des quatre roues à la fois, au tangage sur les mottes de terre ou les plans de granit que nos voitures avaient à sup­porter. Il fallait, plusieurs fois par jour, par 50 degrés au soleil, creuser le sable à deux mains et pousser la voiture enlisée ... ".

Les Renault blanches dans les gorges d'Arak.

La performance des Renault vertes avait donc" une significa­tion et une portée très haute" que le Bulletin commercial des usines Renault vantait, très normalement d'ailleurs, "comme épilogue à cette belle manifestation qui, une fois de plus, a mis en valeur les qualités mécaniques incomparables de nos voitures".

Et le docteur Billon, doyen de l'épreuve, pouvait confier à un journaliste: "Ç'a eté dur, très dur; malgré cela, satisfaction complète; songez que je ramène avec moi ma fidèle 10 CV, vieille de quatre ans et qui a fait ces 7 000 kilomètres sans me causer le moindre ennui; elle rentre intacte, avec une lame de ressort cassée pour toute avarie. Que peut-on demander de plus à une voiture?".

L'injuste pénalisation

En retrouvant Alger, l'équipe des Renault blanches qui possède une avance de 50 minutes sur l'horaire établi est euphorique et Estienne déclare triomphalement : "Nous avons parcouru 6 474 kilomètres à la moyenne de 51,6 kilomètres/heure. Le nombre de points que nous avons acquis est de 2 690, ce qui nous assure la première place".

Ce nombre de points dépassait, en effet, de loin celui attribué à l'équipe Cottin-Desgouttes qui, avant l'arrivée des Renault, faisait figure de vainqueur. Cependant, une dernière formalité restait à accomplir : remettre aux commissaires les 24 envelop­pes, soit 6 par voiture, correspondant aux carnets de bord. C'est le dépouillement de ces enveloppes qui était déterminant car "le règlement du rallye prévoyait une bonification par roue présentée à l'arrivée".

Certes, on pouvait interpréter cette disposition du règlement ou la présentation des 24 enveloppes sur l'ensemble de l'équipe, quelle que soit la voiture, ou l'affectation d'une enveloppe à chaque roue. "Or, raconte le Bulletin, 3 des roues de secours avaient été interverties entre les diverses voitures de l'équipe.

M. Estienne demanda à un officiel s'il fallait en opérer la recti­fication et rendre à chaque voiture ses roues d'origine, faisant d'ailleurs observer que sa grande avance le lui permettait large­ment.

"Sur réponse que cela n'était pas nécessaire, il fut passé outre, mais un concurrent déposa une réclamation contre l'équipe à ce sujet. La commission sportive du rallye, juge de l'affaire, et qui devait procéder au classement, n'ayant pu se mettre

La voiture du docteur Billon en fâcheuse position.

d'accord sur la question, une commission supérieure était saisie

de l'incident". Et la décision tombe comme un couperet, l'équipe des Renault blanches est déclassée au profit des Cottin-Desgouttes, l'équipe Ford prenant la troisième place. Cruelle déception pour la marque. "Il n'en reste pas moins vrai, dit-on chez Renault, au pur point de vue des résultats réels, que l'équipe 5 a fourni la meilleure performance et qu'aucun concurrent n'a pu appro­cher les moyennes réalisées par les Vivasix blanches".

Des Vivasix strictement de série, entièrement carrossées en voitures de tourisme, qui ont, en fait, obtenu une "victoire morale et un prestige aussi précieux qu'une consécration offi­cielle" .

Le docteur Billon, grand amateur de randonnées automobiles, en visite à Billancourt avec sa torpédo 10 CV GS de 1921.

Sur les routes marocaines

Le circuit marocain, tracé dans la partie méridionale du pays, se disputait sur les routes des grands plateaux empoussiérées ou boueuses selon les conditions climatiques.

Long de 844 kilomètres à l'origine, il devait, au cours des années, voir sa distance passer successivement à 685 kilomètres en 1923, puis à 709,500 kilomètres à partir de 1925.

Chaque année, les organisateurs en modifiaient le règlement, soit qu'ils désirassent en accroître les difficultés pour en accuser le caractère sportif, soit encore pour en augmenter l'attrait commercial.

Le circuit marocain changea donc fréquemment de nom : "Grand Prix de l'Automobile-Club marocain", "Grand Prix Automobile du Maroc" et enfin "Rallye international du Maroc". Cependant, une seule clause du règlement ne varia pas, celle concernant les voitures qui, toutes, devaient être strictement de série.

En 1921, année de la création, le circuit relie Casablanca· Meknès-Fès-Rabat-Casablanca. C'est une bataille entre une Delage et une Talbot et la première l'emporte. Parmi les spec­tateurs, Louis Renault, qui couvre à deux reprises 230 kilo­mètres du circuit pour le plaisir ou pour se rendre compte, par lui-même, des possibilités de victoire offertes à sa marque.

Certes, au Maroc, Renault n'est pas inconnu mais, comme l'écrit Le Petz"t Marocazn, cette épreuve a permis"à bon nom­bre de sportmen de fixer leur choix sur les voitures gagnantes". Une victoire dans une compétition de cet ordre, qui n'exige pas un important engagement financier, ne serait pas à dédaigner. D'autant que les agents Renault marocains se déclarent fort intéressés et que l'un d'entre eux n'hésite pas à faire des offres de service.

C'est moi...

M. Leblanc, agent à Safi, écrit à Billancourt

"Je connais parfaitement le parcours du prochain circuit marocain, l'ayant fait des centaines de fois; personne, même au Maroc, ne le connaît aussi bien que moi.

"Cette course sur terrain absolument plat est une course de pure vitesse, car les routes sont droites et la visibilité est très grande. C'est une épreuve terrible pour les moteurs car on doit tenir d'un bout à l'autre de grandes vitesses et il fait très chaud. Le parcours est pour ainsi dire plat, pas de côtes.

"J'ai fait le circuit en 1921 sur Talbot sur ce même parcours, en 5 étapes, et ai été battu de deux minutes par Pierre Delage, ayant mené la course jusqu'à 15 kilomètres de l'arrivée avec trente minutes d'avance sur Delage lorsque j'ai brisé mon châs·

SIS.

"A mon avis cette course est intéressante pour notre marque. Arriver premier serait une réclame.

" Le seul modèle intéressant pour une course de ce genre serait une 40 CV sport avec refroidisseur d'huile et un radiateur bien soigné. Il faudrait des roues de rechange dans toutes les villes sur le parcours et la moyenne devra être autour de 110 kilomètres/heure pour le gagnant. L'homme le plus rapide sur ce parcours jusqu'à présent, c'est moi".

Mais, si à Billancourt on est décidé à concourir sur le circuit de 1922, on écarte la candidature de Leblanc. Le 10 mars 1922, l'agent Renault de Casablanca, M. Amic, reçoit 1 750 francs pour la prise d'inscription de 3 voitures: 10 CV, 12 CV et 40 CV.

Scelle-Lamothe bien placé

L'épreuve se déroule en 4 étapes: Casablanca-Meknès (237 kilomètres), Meknès-Fès (260 kilomètres), Fès-Rabat (200 kilomètres) et Rabat-Casablanca (170 kilomètres). On signale de nombreux virages et accidents de terrain surtout dans la deuxième étape avec le virage de Timhadit à 2 000 mètres d'altitude.

Au matin du 15 avril, 16 voitures sont au départ sur les 31 engagées. C'est aussitôt une bagarre entre Voisin, Delage et Renault. A l'arrivée à Casablanca, Scelle-Lamothe sur sa 40 CV prendra la troisième place du classement général avec un temps de Il h 37 min 4 s contre Il h 2 min 59 s au premier, Rougier sur Voisin et 11 h 22 min 11 s au deuxième, Rost sur Delage.

La deuxième Renault, pilotée par Hurcher, se retrouvera à la douzième place (18 h 31 min 31 s). Quant à Leblanc que Renault avait récusé, il figurait à la dixième place en 16 h 30 min mais au volant d'une Citroën.

Dans son rapport à Billancourt, Scelle-Lamothe devait expli­quer la course des Renault et aussi manifester un certain mécontentement :

"La 12 CV, écrit-il, a dû perdre dès le premier jour deux heures à cause de son exhausteur; la partie mécanique s'est comportée d'une façon merveilleuse ; elle devait prendre la première place de sa catégorie si elle n'avait eu cet inconvé­nient.

"La 10 CV, qui a fait une course merveilleuse jusqu'à 12 kilo­mètres de l'arrivée à Rabat où elle avait 15 minutes d'avance sur la Delage, s'est vue arrêtée par une bielle fondue.

" La 40 CV, malg:é sa mauvaise préparation à Paris, a fait une course assez régulière et, malgré son poids, son empattement et son manque de freins en montagne, s'est classée troisième du circuit général, devant deux concurrents terribles et préparés spécialement pour ce circuit, avec des hommes professionnels coureurs ayant étudié le circuit quinze jours avant la course. En somme, la 40 CV ne pouvait mieux faire sur des routes aussi accidentées avec la pluie et le brouillard toute la seconde journée.

"La moyenne du premier sur Voisin a été de 75 kilo­mètres/heure, celle du deuxième sur Delage 73 kilo­mètres/heure et celle de la troisième, la 40 CV Renault, de 72 kilomètres/heure.

"Je tiens à vous signaler que la 40 CV a été très mal préparée à Paris, à part le moteur qui n'a pas donné d'ennuis. Cette voi­ture est restée, paraît-il, dix jours en carrosserie et, malgré cela, pas un coffre ne fermait, j'ai semé plusieurs fois mon outillage sur la route. Les freins arrière qui ne portaient aucun graissage sur les commandes ont grippé deux fois; j'ai dû démonter les tambours et les arbres. Cas plus grave: il n'exis­tait plus de segments de frein sur la boîte ; ils étaient complè­tement usés ; j'ai dû les changer ici".

Vraiment, à Billancourt, on n'avait pas pris très au sérieux l'épreuve marocaine!

Inutile d'insister

Pourtant les agents Renault au Maroc persistent. Dès le début de 1923, M. Amie propose à Louis Renault une nouvelle parti­cipation. Réponse négative. Alors M. Amic n'hésite pas:

"Je suis moi-même particulièrement désireux de prendre part à cette épreuve et je viens proposer de m'y aider en procédant de la façon suivante: je participerai au circuit avec une 12 CV torpédo avec freins sur les roues avant de votre type normal. Cette voiture serait équipée de 2 roues de secours montées, c'est-à-dire une deuxième roue supplémentaire; de ressorts bien vérifiés et gainés avec du chatterton et de la corde pour éviter les ruptures. Elle serait destinée pour ainsi dire à de la démonstration et serait peinte dans une couleur grenat, mais il faudrait qu'elle me soit débitée à un prix spécial compte tenu des frais que j'engagerai".

Le 3 avril, Billancourt confirme sa non-participation sous quelque fQrme que ce soit, "étant donné que nous considérons que les résultats ne sont pas en rapport avec les frais engagés", et, quant à l'aide que M. Amic sollicite, il ne faut pas qu'il y compte; mieux même, "nous tenons à vous dire de ne pas par­ticiper à ce circuit".

M. Amic va-t-il renoncer? Peut-être, mais auparavant il solli­cite une intervention du maréchal Lyautey, résident général de France au Maroc. Et Louis Renault de recevoir une lettre du maréchal : "Une certaine hésitation règne parmi les construc­teurs. Je suis persuadé que votre marque si célèbre, en prenant le départ, entraînera celui de nombreuses firmes". Le 30 avril, Louis Renault confirme son refus au maréchal: "Nous n'avons pas pris de dispositions pour concourir; d'autre part, ayant à subir des difficultés dans notre fabrication du fait de grèves, nous ne pouvons pas envisager de revenir sur la décision que nous avons prise".

C'est clair, net et définitif: Renault n'ira pas au Maroc, du moins cette année.

"Deux belles victoires de notre marque"

Sous ce titre, le Bulletin commercial des usz·nes Renault de mai 1930 commentait" deux épreuves pleines d'enseignement" qui venaient de "prouver la supériorité mécanique et l'endurance de notre construction de grand luxe".

Il s'agissait du rallye féminin Paris-Cannes qui, le 25 mars, avait été remporté par la comtesse Bernard de Ganay sur une Reinastella 8 cylindres, et du Grand Prix du Maroc dans lequel trois Nervastella s'étaient brillamment comportées.

Renault s'était donc décidé à franchir de nouveau la Méditer­ranée. En vérité, deux années avant l'événement célébré par le Bulletin, Renault avait réapparu, le 15 avril 1928, sur les routes marocaines avec cinq voitures : trois Vivasix et deux Monasix.

Les trois Vivasix "engagées dans la catégorie sport 3 litres, peut-on lire dans le Bulletz"n d'avril 1928, sont arrivées à moins de 14 minutes d'intervalle, se classant première, deuxième et troisième de leur catégorie, la première pilotée par Liaucourt, à la vitesse horaire moyenne de 110,520 kilomètres/heure, par­courant le trajet en 6 h 24 min 38 s. D'autre part, les deux Monasix engagées dans la catégorie sport 1 500 cm3 sont arri­vées à 6 minutes d'intervalle, se classant première et deuxième de leur catégorie, la première ayant parcouru le circuit en 7 h 42 min 9 s, soit à 91 kilomètres de moyenne horaire.

"Ces brillants succès nous sont d'autant plus sensibles qu'ils affectent les 6 cylindres que nous avons été les premiers à fabri­quer en série. Si les Vivasix et les Monasix ont atteint des

Au Grand Prix du Maroc 1928, Liaucourt est premier de sa catégorie.

Les vainqueurs du Grand Prix du Maroc de 1928.

moyennes aussi élevées sur un parcours de plus de 700 kilo­mètres, c'est incontestablement à leurs reprises rapides, à leurs accélérations énergiques et à leur régularité de marche qu'elles le doivent".

Les routes marocaines vont-elles devenir un haut lieu de la compétition pour Renault? Pas en 1929, le Grand Prix n'étant pas disputé, mais en 1930...

Cette année-là, les conditions atmosphériques faisaient redou­ter le pire. Des pluies incessantes avaient contraint les organi­sateurs à reporter au 21 avril le départ prévu initialement pour le 13. Et ce 21 avril, le soleil était revenu, comblant d'aise les concurrents parmi lesquels se trouvaient Garfield, Barthès et Liaucourt, chacun disposant d'une Nervastella 8 cylindres.

"La formule adoptée, écrit La Vie automobile, comportait des départs espacés et présentait ainsi un intérêt sportif de premier plan; aucun coureur, en effet, ne pouvait connaître sa posi­tion par rapport à ses adversaires : roulant isolé pendant toute l'épreuve, il se trouvait dans la nécessité la plus absolue de "pousser" au maximum d'un bout à l'autre de la course".

Garfield sur la ligne de départ.

Barthès en course.

31 concurrents sont en lice. Garfield, chef de l'équipe Renault, a donné ses instructions: ordre de départ et d'arrivée (Liau­court, Garfield et Barthès), moyenne à tenir (121 kilo­mètres/heure). Donc une course de groupe pour une victoire de groupe.

A 8 heures, les Nervastella quittent Casablanca. Dans toutes les villes qui jalonnent les 709 kilomètres du circuit, elles passent, se suivant, à une vitesse constante qui fait sensation. Et c'est dans l'ordre prévu qu'elles retrouvent Casablanca: Liaucourt en tête (5 h 50 min 27 s 1/5, moyenne 121,471 kilomètres/heure), Garfield en deuxième pOSIHon (5 h 50 min 37 s 3/5, moyenne 121,411 kilomètres/heure), enfin Barthès (5 h 52 min 49 s 1/5, moyenne 120,656 kilo­mètres/heure).

L'exploit des Nervastella est d'autant plus remarquable que moins de trois minutes séparent Liaucourt de Barthès et que le quatrième, Bénitah sur Braham Paige, ne réussira que 6 h 37 min 41 s soit une moyenne horaire de 107,042 kilo­mètres.

Liaucourt sur le chemin de la victoire.

"Une telle performance est unique dans les annales de l'auto­mobile. Jamais, nous en sommes certains, trois voitures identi­ques n'ont démontré d'aussi brillante façon leur égale perfor­mance ", proclame sans complexe le Bulletin commerdalo Quant à La Vie automobz1e, elle se plaît "à constater qu'une grande marque comme Renault, dont les succès commerciaux dans tous les pays ne se comptent plus et dont les usines sont obligées de s'agrandir tous les jours, ne croit pas devoir s'endor­mir sur ses lauriers".

Garfield et Barthès commentent les résultats avec M. Amie.

A l'arrivée, Liaucourt pose devant sa voiture victorieuse.

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CASABLANCA MAROC 413-37-.21/4-1900:....' ....:.

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Fac-similé du télégramme envoyé par Garfield à Billancourt annonçant la victoire des Nervastella.

Une nouvelle formule

En 1932, le Grand Prix du Maroc se transforme en rallye inter­national, toujours ouvert aux voitures de tourisme de série.

Partant de différentes villes d'Europe ou d'Afrique du Nord, les concurrents devaient rallier Tanger d'où ils rejoindraient Casablanca. Trois coupes étaient en compétition: une coupe au meilleur classement sur la plus grande distance, une coupe à la concurrente n'ayant à bord aucun passager masculin et ayant obtenu le meilleur classement, et une coupe au concur­rent ayant obtenu le meilleur classement sur une voiture de 1 500 cm3 maximum.

Cette année-là, comme en 1933, aucune Renault n'était enga­gée, sans doute sous la pression de Billancourt dont les préoc­cupations sportives ~e revêtaient pas de caractère prioritaire.

Par contre, en 1934, des amateurs sont sur les rangs. Le 3 mai, parmi les 15 partants de Rome, on compte 5 Renault pilotées par Lampel, Dupuy, Réal et Capel et, de Genève, Gelley. Le 10 mai, sur 5, 3 seulement se retrouvent à Casablanca où ils se classent: Réal à la troisième place, Gelley à la dixième et Lam­pel à la douzième. Succès relatif qui laisse indifférente la firme de Billancourt au point qu'aucune de ses publications n'en fera la plus petite mention. Il est vrai que les records de la Nerva­sport à Montlhéry supplantent, et de loin, la troisième place de Réal. Et puis, il y a la Celtaquatre et son moteur surpuissant de 1,5 litre de cylindrée accumulant des succès qui font les délices de la publicité Renault.

Ainsi "les 20 et 21 avril 1934, une Celtaquatre, conduite inté­rieure de série, a effectué le trajet Paris-Bordeaux et retour, soit 1 III kilomètres à la moyenne horaire de 59,624 kilo­mètres (moyenne maximum autorisée: 60 kilomètres/heure) avec une consommation d'essence de 7,780 litres aux 100 kilo­mètres. Et, le 26 avril, une Celtaquatre a tourné six heures à la moyenne de Ill,466 kilomètres/heure (le Bulletz"n commer­cz"al).

Pour le quatrième rallye, Renault décide d'entrer dans la bataille avec une équipe prestigieuse: Lahaye-Quatresous, dont Billancourt attend des prouesses. La Nervastella qu'ils piloteront sera, en effet, opposée à la Bugatti de Trévoux­Lesurque et à l'Alfa Romeo de Dreir-Edi Kan. Aux côtés de l'équipe officielle, les habituels amateurs, Lampel-Basquet et Réal-Michel.

Les Renault partent de Paris (Lahaye), de Bruxelles (Lampel) et de Rome (Réal).

"Les chiffres mieux que les mots situent l'importance de l'effort demandé aux pilotes et aux machines. Les chiffres sont concrets et impressionnants: 3 800 kilomètres à une moyenne imposée de 50 à l'heure, sans repos, avec des contrôles fixes aux heures bien précisées. Voilà ce que doivent accomplir les concurrents avant d'entamer le circuit marocain, ce fameux circuit qui, d'après les compétences, doit soumettre hommes et machines à une si rude épreuve qu'il constituera un véritable critérium de grand tourisme sportif automobile" (Le Petz"t Marocaz·n). Et la presse de désigner les favoris: les frères Perrier sur Delahaye et l'Allemand Schweder sur Adler.

A Tanger, ce 26 avril 1935, c'est la fête. Des décorations, de la verdure et un ciel superbe. A 17 heures, un paquebot de "Bland Line" débarque 24 concurrents : les Renault sont au complet mais les frères Perrier, lâchés par leur Delahaye, ont dù abandonner.

Dès le lendemain, course de côte dans les lacets du djebel Mokra: 3 000 mètres avec un pourcentage maximum de 14 %. Quatresous se classe premier en 2 'min 12 s, Réal est sixième et Lampel onzième. L'équipe Lahaye-Quatresous prend ainsi une première option sur la victoire finale.

Le 28, la véritable épreuve commence. Tanger-Meknès se dispute sous la pluie à une vitesse moyenne de 70 kilo­mètres/heure. A Meknès, épreuve d'accélération et de frei­nage. 500 mètres à couvrir à toute allure, arrêt à cheval sur une ligne, puis marche arrière avec un nouvel arrêt sur une autre ligne tracée à 50 mètres de la précédente. Lahaye est premier, Réal troisième et Lampel dixième. On compte alors au classe­ment général trois ex aequo: Mlle Dax, Trévoux et Lahaye.

Le 30, Meknès-Marrakech. Après la pluie et la boue, c'est le soleil et la poussière sur une route comportant de nombreux virages avant Khénifra, des cassis entre Khénifra et Tadla, des pentes abruptes sur le N'Rin et une descente vertigineuse sur Ouaouizeght et Bin el Ouidane, ralentie en raison des nom­breux lacets.

Lahaye maintient sa première place avec Trévoux, cependant que Mlle Dax se retrouve en dix-septième position. Lampel conserve sa dixième place mais Réal se retrouve à l'avant­dernière place.

Étonnant~ randonnée

Après une journée de repos, c'est l'étape Marrakech-Agadir. "Lahaye et Trévoux sont maintenant seuls en tête. Ils ont mon­tré tant de qualités que rien ne permet de penser qu'ils ne pourront pas maintenir jusqu'à Casablanca leur précieuse et flatteuse avance. Mais il y a derrière eux tout un lot de concur­rents de classe certaine, pilotant d'excellentes machines qui, pour avoir moins bien réussi les épreuves secondaires du rallye, ont brillé d'un aussi vif éclat" (Le Petz"t Marocain).

17 concurrents restent en course pour cette avant-dernière étape. Ils font preuve d'une audace remarquable sur les "pentes vertigineuses de l'Atlas" et c'est encore Lahaye qui franchit en tête la ligne d'arrivée.

Le 3 mai: Agadir-Casablanca. Ils seront 15, ceux qui auront "pu mener à bien leur pénible tâche". Cependant au classe­ment général Lahaye et Trévoux sont premiers ex eaquo, ce que le règlement n'autorise pas: le rallye international ne sau­rait connaître qu'un vainqueur. Il convient donc de les dépar­tager par une course de 100 mètres, départ arrêté avec retour en marche arrière.

"L'instant est grave, écrit Le Petü Marocazn, car de ces quel­ques secondes dépend une place de premier. Tous les officiels sont rassemblés et l'on donne les derniers conseils aux deux conducteurs : Quatresous et Trévoux.

"Voici la grosse machine jaune sur la ligne de départ. Les secondes s'égrènent et Quatresous bondit au volant, lance son moteur et démarre dans une gerbe de cailloux et une poussière épouvantable. Il file jusqu'au fond de la place et revient à toute vitesse, mais à l'arrivée son coup de frein le met en travers de la piste et il perd de précieuses secondes à se redresser.

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" C'est au tour de Trévoux qui se présente avec son pneu avant Quatresous et â leur Nervasport, nous avons pris au rallye du â plat. Il démarre également en bolide mais revient plus douce­Maroc une très brillante seconde place (derrière une voiture de ment et gagne de ce fait les secondes perdues par son concur­marque spécialisée dans la fabrication des voitures de course)". rent au cours du dérapage. Admirons ce "nous" et l'allusion â Bugatti.

"Une, deuxième course a lieu qui est l'image même de la Mais qu'était-ce, cette demi-victoire, comparée à celle que première. Quatresous dérape et reperd des secondes; Trévoux Lahaye et Quatresous avaient offerte â la marque quelques va plus calmement et arrive sans accroc. Trévoux a gagné !". mois plus tôt, au rallye de Monte-Carlo!

Malheureux Lahaye-Quatresous ! Malgré leur très honorable deuxième place, Billancourt leur tiendra rigueur de n'avoir pas gagné; et le Bulletin commercial attendra un mois avant de leur consacrer ce maigre entrefilet: "Grâce â MM. Lahaye et Gilbert HATRY