05 - L'émigration de Billancourt

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L'ÉMIGRATION DE BILLANCOURT

1870 -LA GUERRE -Elle éclate le 18 juillet.

La situation géographique de Bou­logne met la ville dans un cercle de fer et de feu formé par le fort d'Issy, les redoutes de Brimborion à Sèvres, de Montretout à Saint-Cloud, la forte­resse du Mont Valérien et le mur d'en­ceinte de la capitale.

Losqu'i1s devinrent certains que les Prussiens avaient l'intention de faire le siège de Paris, les habitants des banlieues se trouvant dans la même situation topographique, songèrent avec inquiétude aux moyens d'échap­per aux bombardements et à la famine qui les menaçaient autant, sinon plus, que la capitale.

Ceux qui jouissaient d'une certaine aisance évacuèrent leurs familles en différentes régions, mais beaucoup ne purent partir ni même louer un loge­ment dans la capitale, il fallait au moins 30 francs pour l'emménagement et 50 pour la plus modeste chambre pendant trois mois. Des mères de quatre, cinq ou six enfants, très pauvres, des cou­turières ou ouvrières en blanchisserie dont les économies étaient déjà prati­quement absorbées à la suite d'un chômage qui durait depuis un mois, vinrent trouver avec leurs maris, le curé Gentil.

Mais le curé Gentil pense d'abord à son orphelinat qu'il a créé à Boulogne et qui compte vingt-quatre enfants; douze sont âgés de 4 à 8 ans, 12 âgés de huit à quinze ans. Il fait venir leurs pères, pensant leur rendre leurs enfants, mais ceux-ci protestent «s'ils ne peuvent s'en occuper en temps nor­mal, comment le feraient-ils en période de guerre?". Ils sont de service dans la garde nationale ou occupés aux tra­vaux de terrassement.

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Alors, le curé Gentil propose de les emmener à Chartres où il va lui-même les installer au couvent des Sœurs de la Providence et là, grâce à l'interven­tion d'un habitant de Chartres, fils d'un paroissien de Billancourt, le logement leur est consenti gratuitement pour tout le mois de septembre, dans une partie de leur maison disponible à cette époque de l'année à cause des vacances de leurs jeunes pen­sionnaires.

Le curé est tranquillisé sur le sort de ses orphelines. Il lit dans un journal que le maire d'une ville de province offre l'hospitalité à des réfugiées pau­vres de Paris ou de la banlieue. Cette idée patriotique peut avoir de lourdes conséquences au point de vue de la défense de Paris; si le Gouvernement facilite le transport gratuit des émigrés vers la province, que de bouches en moins à nourrir! 200000 personnes de moins pendant dix jours laissent des vivres disponibles pour trois mil­lions de personnes pendant un jour. Le siège de Paris durant depuis trois mois, la capitale aurait économisé quinze ou vingt jours de vivres. Or, quinze ou vingt jours de plus ou de moins, c'est le plus souvent le salut ou la perte d'une ville assiégée. A la lecture de cet article de journal, le curé Gentil pense qu'une de ses an­ciennes paroissiennes s'est retirée dans la Sarthe à Saint-Jean-d'Assé et que souvent elle lui a parlé des senti­ments religieux des habitants de sa paroisse.

Le curé songe que la nourriture doit être abondante et moins chère dans cette région de France. Il consulte l'abbé Jourdan, grand vicaire de l'ar­chevêque de Paris, archidiacre de Saint-Denis· qui lui dit de faire ce qu'il croit le plus avantageux pour ses paroissiens.

Le maire de Boulogne, consulté, en parle au Conseil et écrit au curé de Billancourt que les Membres présents, en faible nombre, ont vu là une excel­lente idée, il l'engage à écrire au général Trochu et à attendre .1 ou 2 jours. Fort de cet accord tacite, une lettre est remise dès le lendèmain matin au général Trochu, gouverneur de Paris et Président du Gouverne­ment de la Défense Nationale. Elle lui demande le libre passage et la gratuité du transport en chemin de fer pour une quantité indéterminée de personnes, ou alors un asile et du pain dans Paris lorsqu'ils seraient forcés d'y entrer au dernier moment.

Le même jour, le 9 septembre le géné­raI Trochu prévient le curé Gentil qu'il a transmis sa lettre, avec recomman­dation, au Préfet de Police comme objet entrant plus spécialement dans ses attributions.

Le dimanche 11 septembre le curé invite ses paroissiens à se rendre à l'église. Il leur fait part de son intention de les emmener loin de Paris, si toute­fois il obtient le transport gratuit, et leur demande de se tenir prêts à par­tir, les Chemins de fer de l'Ouest pou­vant être coupés très prochainement.

Tous attendent jusqu'au mardi 13 sep­tembre, quand paraît dans tous les journaux un décret du Gouvernement notifiant au public que les portes de Paris seraient fermées à partir du jeudi 15 à six heures du matin, et que per­sonne ne pourrait entrer ou sortir de Paris sans une permission écrite du ministre de l'Intérieur. Le curé Gentil reçoit un véritable coup de foudre en lisant cette annonce, il est d'une part sans réponse à sa lettre à la Préfec­ture et, d'autre part, les ponts de Billancourt, de Sèvres et de Saint­Cloud, déjà minés depuis quelque temps, doivent être coupés d'un jour à l'autre, Paris fermant ses portes et le Chemin de fer de l'Ouest étant sur le point d'être intercepté par l'ennemi, les habitants de Boulogne et Billan­court vont se trouver isolés du reste du monde. Affolé le curé va voir le maire, il est absent. Le premier maire­adjoint le reçoit et décide d'intervenir auprès de la Cie des chemins de fer de l'Ouest à l'effet d'obtenir pour 82 personnes le transport gratuit jusqu'à la gare la plus proche de Saint-Jean­d'Assé.

Il lui remet un certificat destiné à lui servir de passeport et au besoin de lettre de recommandation ainsi libellé:

«Le Maire de Boulogne-sur-Seine, soussigné, a l'honneur de prier les Autorités Civiles de vouloir bien accor­der bon accueil, protection, aide et assistance à M. l'abbé Gentil, curé de Billancourt (dépendant de cette com­mune), ainsi qu'aux familles de sa paroisse dont il a bien voulu faciliter la retraite à l'occasion du siège de Paris. »

Le curé Gentil rapporte qu'en lui remet­tant cette lettre-passeport le maire­adjoint lui fit ses adieux à peu près en ces termes :

« Adieu M. le Curé, ou plutôt au revoir! vous faites là une bonne œuvre, vous rendez service à la commune en met­tant en sécurité un certain nombre de ses habitants, vous rendez service à la Ville de Paris en transportant au loin des bouches inutiles, si l'on avait fait en grand ce que vous faites person­nellement en petit, il en serait résulté pour Paris assiégé un avantage consi­dérable. Que Dieu bénisse votre entreprise! »

Le curé Gentil s'empresse, il fait por­ter la réquisition au Siège de la Cie du chemin de fer de l'Ouest, fait pré­venir tout son monde qui, le soir même à 9 h se retrouve au presbytère; char­gés de quelques hardes, ils quittent à regret leur paroisse. Ils se rendent à pied jusqu'à la station de Bellevue. Le train est déjà bondé, on doit se disperser dans plusieurs wagons. A Saint-Cyr et à Trappes le train ne peut emporter 2000 personnes, qui, pour la plupart attendaient une place depuis deux jours. Le lendemain, à dix heures, ils arrivent à la gare de Montbizot, la plus proche de Saint-Jean-d'Assé, sur la ligne du Mans à Mézidon, fatigués, ayant hâte de se restaurer.

Leur première rencontre est celle de l'instituteur qui les accueille à l'école communale des garçons, il les rensei­

L'École qui accueillit quelques émigrés de

gne pour obtenir du pain et du vin, seule nourriture que l'on peut trouver actuellement dans le pays.

Pendant que son « monde» se repose, le curé Gentil se dirige vers le pres­bytère. Le curé l'accueille chaleureu­sement, met à sa disposition tout ce qui se trouve chez lui.

Pendant ce temps l'instituteur a averti tout le village de l'arrivée des émigrés et chacun apporte à l'école du pain, du vin, du fromage et autres comesti­bles. Tous étaient émus de l'accueil du village de Montbizot et n'avaient plus d'inquiétude sur celui qui leur serait fait à Saint-Jean-d'Assé. Les villageois se chargent de leur faire passer la nuit ailleurs que dans les granges. Ce jour-là, 14 septembre, le tirage au sort des jeunes gens du canton ayant lieu, le maire de Saint-Jean-d'Assé traverse le village de Montbizot avec son adjoint, ils apprennent l'arrivée des émigrés et promettent leur aide pour faciliter leur installation. Les habitants de Montbizot s'offrent à les conduire tous en voiture à Saint-Jean-d'Assé distant de 6 km.

L'arrivée a lieu au milieu de tous les villageois accourus en nombre pour loger chez eux les femmes et les enfants.

Le curé dresse la liste de ses émigrés, on peut y lire après lui-même et sOn sacristain M. Hubert Didier (qu'il signale affligé d'un asthme et d'une hernie) les noms de ménagères, repas-

Billancourt -(aujourd'hui institution religieuse).

seuses, nourrices, concierges, blan­chisseuses, cuisinières, un treillageur

M. Louis Steffan qui a, à ses frais, accompagné sa femme et qui est dis­posé à rejoindre le Département comme Garde National de Saint-Jean­d'Assé. Le curé Gentil n'a fait aucune différence entre ses paroissiennes, pra­tiquantes ou non, il a emmené les plus défavorisées.

Trois mois après, ils sont toujours aussi favorablement retenus au vil­lage et certains même ont entendu des villageois dire qu'ils seraient heu­reux de les voir rester définitivement s'ils ne pouvaient un jour rejoindre la paroisse de Billancourt.

Tout ce qu'il est humainement possible de faire est fait pour les aider, instal­lations, dons divers en bois, légumes, fruits, boissons, beurre, œufs, lait, viande, vêtements, ustensiles de ménage, etc.

Le curé de Saint-Jean-d'Assé met à leur disposition une buanderie et un hangar, assez vastes pour leur servir de cuisine et de réfectoire, une partie de son jardin pour les jeux des enfants, avant et après les repas. Les enfants en dehors de cela passent leur temps à l'école avec le bon instituteur qui a fort à faire avec ces petits paroissiens bien plus éveillés que les enfants de Saint-Jean.

Le curé décide qu'à partir du 16 sep­tembre tous les repas seront pris en commun, il les partage au milieu de tous, la nourriture est saine et abon­dante. Il surveille tout et peut dire en toute modestie qu'il a réussi à dépen­ser en moyenne 0,40 franc par jour et par personne. Certains émigrés n'avaient jamais aussi bien mangé chez eux!

L'abbé payait le demi-kilo de pain blanc de 10 à 15 centimes, le bœuf de 30 à 40 centimes, le porc de 35 à 40, les pommes de terre 60 centimes le double décalitre, mais les pommes de terre et le cidre étaient en quelque sorte donnés à discrétion par les habitants du village.

Le lundi 19 septembre le curé Gentil décide d'aller rendre visite à l'évêque du diocèse au Mans; c'est le maire. de Saint-Jean-d'Assé qui l'y emmène avec sa voiture. Il lui apprend que le Chemin de fer de l'Ouest entre Paris et Chartres a cessé de circuler et qu'il y a menace d'une marche des Prus­siens sur cette ville. Il propose au curé Gentil d'aller chercher ses petites orphelines et de les ramener à Saint­Jean, cette pensée correspond aux désirs du curé qui décide de partir immédiatement pour Chartres. Il a deux heures devant lui avant le départ du train, il va donc rendre la visite projetée à l'évêque qui le reçoit au mieux malgré une indisposition pas­sagère. Il encourage l'abbé et l'invite à revenir le voir souvent.

Le 19 au soir, il est à Chartres entouré de ses orphelines, il leur explique son intention de les emmener en Bretagne. Il entreprend les démarches néces­saires pour obtenir la gratuité de leur transport et prévient par écrit son ancienne paroissienne de Billancourt installée à Saint-Jean, la priant de prendre des dispositions pour les accueillir.

Le mercredi 21, il descend à la gare de Montbizot où cinq voitures des habitants de Saint-Jean l'attendent. Il y a là toute une foule parmi laquelle plusieurs ecclésiastiques. C'est à qui les aidera soit à porter les bagages, soit à porter les petites orphelines vers les voitures. Certains proposent de les garder en pension chez eux jusqu'à la fin de la guerre. Beaucoup se trouvaient là parce qU'ils appor­taient des provisions de bouche aux soldats qui passaient alors continuel­lement sur la ligne de Mézidon au Mans. Apprenant l'arrivée du curé Gentil avec ses orphelines ils avaient été très émus.

La nuit tombait sur Saint-Jean à leur arrivée vers 21 h. Malgré le court laps de temps de 24 heures qui s'était

Le préau de l'École (état actuel).

écoulé, la bonne paroisienne, ancienne de Billancourt, avait réussi à préparer nourriture et logement pour toutes les orphelines et leurs maîtresses qui purent se restaurer et aller se reposer dans de bons lits.

Deux personnes de Saint-Jean avaient aménagé leurs maisons en dortoirs, des lits faits de paille, de couettes, des draps et couvertures appartenant à tous y étaient disposés. La bonne dame avait transformé sa maison en réfectoire, en lingerie, et son jardin en cour de récréation.

La colonie des émigrés compte alors 122 personnes. Le curé possédait au départ de Billancourt la somme consi­dérable de 3 000 francs, somme recueil­lie en partie pendant l'été pour distri­buer aux pauvres en hiver, ou prove­nant des honoraires de messes et éga­Iement une partie destinée au paiement du loyer de l'orphelinat. En calculant la dépense de 120 personnes à 0,50 f par personne et pour cent jours on trouve un total de 6 100 f. Comment combler le déficit? Des dons assez importants sont faits en faveur des émigrés et quelques travaux de cou­ture apportent un peu d'argent mais bien insuffisamment. Aussi, avec l'ac­cord de l'évêque, le curé Gentil chaque dimanche va de village en village prê­cher un sermon de charité.

Des dons de toute espèce lui sont faits. Don modeste de veuve dont le fils est sous les drapeaux, dons d'en­fants vidant leurs tirelires, un phar­macien offre gratuitement les médi­caments dont peut avoir besoin la colonie, cela complète admirablement les soins que gratuitement dispense le médecin de Saint-Jean. Une petite fille est née à la colonie et baptisée par le curé Gentil lui-même.

Les jeunes filles de l'orphelinat accom­pagnent le curé Gentil dans ses ser­mons de vilage en village, contribuent au succès des quêtes. Elles chantent la grand'messe et les vêpres à la satis­faction des curés des églises.

Mais tout cela est insuffisant, le curé fait appel à la presse locale pour faire connaitre la situation dans laquelle il se trouve. Il demande un droit de souscription au même titre que celles ouvertes en faveur des blessés de guerre, malades ou prisonniers, des ouvriers sans ouvrage. Il pense qu'à leur retour à Billancourt ses familles ne retrouveront rien de ce qu'elles ont quitté et qu'elles seront encore plus pauvres et démunies qu'à Saint­Jean-d'Assé.

Une lettre lui est parvenue, par voie aérienne, le 5 octobre envoyée par son vicaire, entré dans Paris d'abord et engagé comme aumônier des gardes mobiles. Elle dit ceci : « Aumônier de deux bataillons des gardes mobiles de J'Aube, et chose curieuse dans votre paroisse, disant la messe dans votre église, où J'on s'est contenté il y a quelques jours de fracturer les troncs... votre paroisse est bien triste à voir, bien abimée; toutes les maisons ont été ouvertes et fouillées, presque par tout le monde, votre maison elle-même n'a pas été épargnée, votre bureau a été tout brisé... pourrez-vous recon­naÎtre votre paroisse plus tard, si tou­tefois elle existe encore? »

« En effet ce que les maraudeurs ont commencé, les canons prussiens ou français l'achèveront peut-être pro­chainement, soit pour /'attaque, soit pour la défense de Paris. »

Que fera la presse pour aider le curé Gentil?

Une « Notice» écrite par lui est impri­mée, elle sera tirée à mille exemplaires et mise en vente au profit des émigrés, mais les Prussiens approchent, aura­t-on le temps d'exécuter ce projet?

A la mi-novembre, première alerte à l'occasion d'une attaque dirigée par les Allemands contre la ville du Mans. Attaque repoussée victorieusement. Des familles décident de quitter la région, c'est une foule de femmes et d'enfants qui traverse Saint-Jean­d'Assé et certaines femmes de la colo­nie du curé Gentil ont envie de partir aussi. Il arrive à calmer tout son monde, il est plus prudent de rester, d'attendre l'ennemi de pied ferme.

Quant aux habitants de Saint-Jean, le curé leur promet de rester parmi eux, il va voir le maire et se propose en otage pour sauver la commune au cas où les Prussiens en demanderaient un.

C'est le jeudi 11 janvier 1871 que les Allemands s'emparent de la ville du Mans. Les troupes françaises se replient en traversant le village. Le cli­mat est à la tristesse. Le 14 janvier vers 9 heures, un cavalier fait savoir que les Prussiens sont à sa poursuite.

Le curé informe ses paroissiennes, demande aux enfants de rester chez eux, près de leurs mères, car il ne serait pas convenable pour des petits Français d'aller voir défiler des soldats ennemis. Il est inquiet pour ses orphe­lines disséminées dans trois maisons différentes. Pour les grandes de quinze ans surtout il se fait du souci, décidé à se rendre chez celles qui sont sur la route de Conlie; sur le point d'en­trer dans la maison, il voit quatre uhlans, l'arme au poing, se dirigeant vers la mairie.

L'église est remplie de soldats, pris au dépourvu, qui passaient la nuit là, exténués de fatigue.

Dès le lendemain, les soldats alle­mands quittent le village mais annon­cent d'autres passages de troupes, sûrement moins clémentes.

En effet, à trois heures de l'après-midi arrivent des cavaliers de Silésie. Ils s'emparent du réfectoire et du dortoir des orphelines, jettent les meubles par les fenêtres, détériorent tout. Le curé intervient auprès d'un supérieur, mais rien à faire, tout sera occupé pendant le passage des troupes qui veulent même installer leurs chevaux dans le dortoir!

On monte les enfants au grenier, parmi la réserve des pommes, du blé et de l'avoine.

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Les cinq maisons, occupées par les enfants, portaiel'lt les inscriptions « ÉCOLE» et les Allemands avaient du mal à croire qu'il y eut cinq écoles pour un si petit village. On leur expli­que la situation, mais ils ne sont là que pour deux raisons: la première se reposer de leurs fatigues, la seconde pour « prendre» tout ce qu'ils trouvent à leur convenance. Ils s'acquittent fort bien de la chose. Plusieurs femmes ne savent plus ou aller coucher, les lits dont elles disposaient de façon si géné­reuse depuis leur arrivée à Saint-Jean

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Tiré à 1 000 exemplaires la notice écrite par l'abbé Gentil est vendue au profit des émigrés.

sont réquisitionnés pour les soldats. Heureusement ceux-ci sont corrects avec les femmes du village, du moins quand ils ne sont pas ivres. Dans cer­taines communes il n'en est pas de même et on rançonne facilement le maire ou le curé.

Le jeudi 19, la commune est débarras­sée de l'envahisseur. On se raconte les vols et préjudices subis. On espère surtout le non-renouvellement de tels actes.

Le lendemain, vendredi 20, après avoir longuement réfléchi, le curé Gentil rassemble ses 123 ouailles et leur fait part de sa décision «une somme de 50 centimes sera attribuée par jour et par personne, laissant à chacun le soin de se débrouiller pour sa nourri­ture". La décision est bien accueillie.

Les bruits les plus divers circulent : Paris capitule, non, Paris résiste... Le curé Gentil se rend au Mans avec le ferme espoir de rejoindre Paris. Il a le mal du pays et pense qu'à Paris il pourra obtenir des subventions pour continuer à secourir sa colonie. L'évêque du Mans le reçoit, écoute son projet et ne lui laisse que peu d'espoir pour une possibilité de laissez-passer que lui remettraient les Allemands. Il conseille d'écrire directement au Prince Frédéric-Charles résidant au Mans, mais celui-ci ne donne aucune suite à la demande.

On apprend que Paris est bombardé et tous les émigrés en âge de comprendre se félicitent d'être à Saint-Jean.

Pourtant arrive une troisième vague de soldats allemands et on réquisitionne le réfectoire pour y loger un officier. Après une longue discussion, le curé obtient de cet officier qu'il se réfugie ailleurs. Il eut été inconvenant qu'il reste parmi les orphelines, les allées et venues provoquées par sa présence n'auraient pas manqué d'occasionner quelques troubles, car les Allemands mangent et boivent plus que de raison.

Le lundi 30 janvier, le bruit de la capi­tulation de Paris parvient au village. Le curé Gentil prévoit de rejoindre Billancourt, même s'il n'y a plus que son église debout, il l'installera de façon à recevoir ses 123 émigrés. Les propriétaires connaissant son retour ne manqueront pas de revenir ouvrir leurs maisons, dans quelque état qu'elles soient.

Le 31 janvier, à sept heures du soir, parvient au curé Gentil le texte même de la capitulation et de l'armistice. La France, pieds et poings liés, est

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donc aux mains de son cruel ennemi Guillaume de Prusse. Le curé se cou­che tôt prévoyant son départ dès le lendemain, pour Versailles. Il pense que quinze jours lui suffiront pour tout préparer et revenir chercher sa colonie.

Au Mans, le 1"' février il obtient un laissez-passer de la mairie. Dès le 2, il pourra prendre le train gratui­tement dans un wagon à bestiaux bien sûr, mais c'est le seul moyen existant.

Avant de quitter Le Mans, il va voir Monseigneur l'Archevêque qui le reçoit dans la cour, car, depuis le matin l'archevêché est en flammes. Les auteurs de ce drame sont des Alle­mands logés là, la nuit même, et qui ont entretenu un feu d'enfer en brûlant jusqu'aux parquets de leurs chambres. L'archevêque griffonne deux adresses sur le carnet du curé Gentil, celle de l'architecte chargé des monuments diocésiens, et celle de personnes dont la famille est réfugiée au Mans.

Le 2 février, le curé Gentil prend le train, il se trouve entouré de femmes de Garches et de Suresnes qui rejoi­gnent elles aussi leurs domiciles, dans un grand état d'anxiété, ne sachant comment elles vont retrouvrer leurs maris, leurs maisons. Quelle tristesse dans ce train! Cinq mois d'inquiétude venaient de s'écouler. Des Allemands voyageaient dans le train, en civil, et comme le curé avait distribué des exemplaires de sa notice sur l'émigra­tion de sa paroisse, l'un d'entre eux lui remit un papier dans lequel se trou­vait une pièce de monnaie -française ­de deux francs. Il avait eu la délica­tesse de ne pas offrir une pièce allemande.

A cinq heures et demie du soir, le train entre en gare de Versailles. Le curé Gentil se rend chez un ami pour y passer la nuit. Dès sept heures du matin, il veut rejoindre Billancourt pour visiter son église, son presbytère, la mairie de Boulogne, et aller dîner et coucher chez son père et sa mère. Deux amis rencontrés dans le train au moment du départ essaieront, avec lui, de franchir le pont de Sèvres. C'est à pied que tous trois se rendent de Versailles à Sèvres. A l'hospice de cette ville, le curé cherche à obtenir des renseignements auprès de la Soeur Supérieure. Les Allemands occupent véritablement le pont de Sèvres, dont deux arches ont été volontairement détruites. Le 20 septembre 1870, il est impraticable, c'est en batelet, moyen­nant 50 centimes, que l'on traverse la Seine. Le curé Gentil n'hésite pas, il les donne de bon coeur pour ne pas ajourner la traversée jusqu'au len­demain.

Il aperçoit le quai de Billancourt, il va revoir ce pays auquel il a déjà consa­cré dix-neuf années de son ministère sacerdotal. Son émotion est si pro­fonde qu'il pleure comme un enfant.

Vieilles maisons de Saint-Jean-d'Assé.

L'Église de Saint-Jean-d'Assé, à droite la Mairie.

Quelques-uns de ses paroissiens sont

là, sur la rive, mais si décharnés qu'il n'arrive reconnaître. Quinze jours ce régime et ils seraient nition.

maigres, si pas à les de plus de morts d'ina­

Le chiffre de la mortalité s'élève à cinq mille personnes par semaine.

Le spectacle qui s'offre à sa vue est désolant. La maison du Parlementaire est détruite, les habitations avoisi­nantes également. Au centre de la paroisse, trois maisons sont littérale­ment criblées d'obus.

Mais l'église est debout. Troncs frac­turés, plusieurs fenêtres cassées, un coin de mur écorné par un éclat d'obus. La maison du curé est habita­ble le jour même, mais la literie y fait défaut. L'orphelinat a perdu ses vingt­deux paillasses et seize matelas de varech. Comment remplacer le tout estimé environ à 30 francs, et comment coucher les orphelines à leur retour? Il reste quatorze matelas de laine seu­lement pour vingt-quatre enfants et leurs maîtresses.

Une femme de la paroisse est morte la veille, 2 février. Elle avait été bles­sée légèrement au sein par une balle de rempart lancée sur elle, du parc de Saint-Cloud, par un Allemand. Cette femme avait imprudemment tiré un coup de fusil dans la plaine de Billan­court, dans son propre jardin, sur des petits oiseaux qu'elle désirait manger. L'Allemand, croyant qu'elle tirait sur lui, l'avait visée et atteinte du premier coup. La blessure ne lui paraissant pas dangereuse, la pauvre femme ne s'était pas soignée. Trois jours après elle décédait.

Aucun des maris et des pères des émi­grés n'a été tué ni blessé, voilà au moins une bonne nouvelle.

Le curé Gentil se rend aux deux adres­ses données par l'archevêque du Mans et il reçoit deux fois cinquante francs pour ses pauvres, il se rend chez ses parents qui le trouvent bien vieilli, bien amaigri.

Il faut organiser le retour de la colonie. Le dimanche, il essaie de regagner Versailles avant six heures (heures de fermeture des portes de la ville), à 5 h et demie il est devant l'église de Sèvres accompagné d'un ami et de plusieurs hommes, qui, comme lui, vont se retrouver à 6 h et demie à Versailles devant les grilles fermées. Les Allemands "ne veulent pas les laisser entrer. Une dame, munie d'un laissez-passer donne un conseil au curé «rendez-vous chez le mar­chand de vin qui se trouve à droite, il a déjà fait passer plusieurs person­nes par dessus son mur, il ne vous refusera certainement pas de vous rendre le même service ».

Le curé passe le premier, demande au marchand de vin le droit de franchir le mur, on lui ouvre une porte. Un quart d'heure après, tous se retrouvent dans le quartier de Montreuil, après la tra­versée de plusieurs jardins. Les senti­nelles n'ont heureusement rien vu. Il se rend chez son ami curé à Ver­sailles, le prie de lui offrir l'hospitalité pour lui et sa colonie d'émigrés pour le samedi suivant. L'heure tardive d'ar­rivée les obligera sûrement à coucher à Versailles.

A 7 h et demie du matin, il reprend le train que la Cie des chemins de fer de l'Ouest fait payer au tarif des pre­mières classes; à 2 h et demie il arrive au Mans, se rend au Siège de la Cie des chemins de fer pour demander la gratuité de transport pour les 123 émi­grés. Sa demande est refusée.

C'est à pied qu'il se rend du Mans à Saint-Jean-d'Assé, le village est

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occupé par les Prussiens depuis le lendemain de son départ pour Billan­court, mais il y retrouve sa colonie au complet, en bon état, et prête à rentrer avec lui à Billancourt.

Le voyage de retour sera difficile. Les uns partent à pied de Saint-Jean­d'Assé, les autres en voiture avec les bagages. A 14 h, ils se retrouvent tous dans un orphelinat du Mans. Le curé Gentil fait déposer l'ensemble des bagages dans un hôtel près de la gare, pour ne pas risquer de manquer le train du lendemain. La Cie de chemins de fer maintient sa décision et n'au­torise par la gratuité du transport, pas même la réduction de 50 % réservée aux groupes de vingt-cinq personnes. Il paie le voyage de retour 2 140 f, somme exorbitante. De 14 à 18 h, le curé voyage dans Le Mans, emprunte une somme de 2 000 francs à rendre, sans intérêt, le plus tôt possible. Il obtient un laissez-passer unique pour sa colonie. Il va et vient sans relâche. Jamais de sa vie il n'avait éprouvé une angoisse comme celle de ce 17 février. Toutes les préoccupations, toutes les inquiétudes durant cinq mois d'émigra­tion, n'ont rien été comparées à celles de cette journée.

Comment passer la nuit? L'infirmerie de l'orphelinat reçoit quatre femmes, les plus délicates et les enfants, tous les autres dorment sur des bancs ou sur des tables. Les garçons dor­ment à terre roulés dans des tapis d'appartement.

Le lendemain, 5 h et demie, le curé dit la messe dans la chapelle de l'orphe­linat, à six heures une excellente soupe est servie à tous.

On prend le train et durant tout le trajet le curé Gentil se pose mille ques­tions angoissantes. A quelle heure seront-ils à Versailles? Comment les quatre femmes si délicates pourront­elles descendre jusqu'à Sèvres; et les enfants? Comment va-t-on porter les bagages? Pourvu que le train arrive à l'heure! A Chartres il a déjà une heure de retard. Comment fran­chira-t-on le Pont de Sèvres avant six heures, heure réglementaire prus­sienne. Va-t-on être obligé de coucher à la belle étoile parmi les soldats prussiens? Non. Le train arrive à Versailles vers 15 h 30. Le débarque­ment produit une surprise indicible sur tous ceux qui en sont témoins, Français et Prussiens. Quand on sait qui sont ces 123 émigrés, chacun décide d'aider et vite car les soldats prussiens récla­ment avec force l'évacuation de la cour de la gare et de la place située en dehors des grilles, ils menacent de fusiller tout le monde si on ne se hâte pas de disparaître. Tous les che­vaux de la ville sont réquisitionnés par les Prussiens, il est impossible de trouver un omnibus, comment va-t-on faire? On se dirige vers une immense voiture habituellement employée à transporter de la paille. Moyennant la somme de 25 f, le conducteur consent à charger tous les bagages, plus quatre femmes et vingt enfants, tous sont perchés au-dessus des paquets. A 5 h et demie ils arrivent \ au Pont de Sèvres après avoir fait, en une heure et demie, 8 km de marche.

Les maris et les pères qui attendent sur l'autre rive de la Seine ont tôt fait de venir leur prêter main forte. A six heures du soir, chacun a retrouvé son logement plus ou moins dévasté, plusieurs doivent passer la nuH sur des bancs dans une dépen­dance de l'église, ou chez des amis.

C'est la fin pour le curé Gentil d'une longue et dure période pendant laquelle il a pris bien des responsa­bilités et couru bien des risques. Du 13 septembre 1870 au 18 février 1871, plus de cinq mois viennent de s'écou­ler. La situation n'est pas brillante car à Billancourt il n'aura pas les facilités de Saint-Jean-d'Assé, il ne manque pas d'adresser è cette commune son meil­leur souvenir et celui de ses émigrés. La vente de sa « notice» sur l'émigra­tion a produit un résultat inespéré. La dette de 2 000 f faite au Mans pour payer le voyage de retour reste à rem­bourser, mais, avec l'appui et grâce à l'intervention du maire de Boulogne, les trois quarts de cette dépense sont annulés par la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest.

Il reste aux Billancourtois à remercier leur bon curé et à l'aider dans la diffi­cile tâche qui l'attend : «reconstruire sa paroisse ».

Carmen ALEXANDRE

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RENAULT

W1LLOWDALE

5840 Yong. St. -223-6950

UN ARGUMENT PUBLICITAIRE: LES CHARS RENAULT DE 1918

Voici une marque qui est plus ancienne que vous ne le pensiez. Les Renault qui ont changé le cours de la guerre dans les tranchées et qui ont valu aux ouvriers de Renault des citations à l'ordre de la Nation.

Venez voir les modèles d'aujourd'hui à Renault-Willowdale.

Cette publicité Renault est parue dans «The Willowdale Paper» de Toronto, Canada, le mercredi 7 novembre 1972.

(communiquée par P. Fridenson)