04 - L'exploit d'Eugène Renaux

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L'exploit d'Eugène Renaux

C'est en 1890 qu'un homme, un Fran­çais, Clément Ader, réussit à s'enlever du sol avec un « plus lourd que l'air ». Treize ans plus tard, aux États-Unis, un résultat identique est atteint par les frères Wright. Mais il faut encore atten­dre trois ans pour que l'exploit soit renouvelé en France.

Le 12 novembre 1906, sur la pelouse de Bagatelle, Santos-Dumont sur son 14 bis l' «Oiseau de Proie", vole 220 mètres à 5 mètres de hauteur en 21 secondes 1 /5 soit à 38 km/ho Louis Renault présent, vécut l'événement.

« Le généreux Archdeacon (1), dans une interview célèbre, voit déjà quasi terminé le règne de l'automobile : l'auto est l'esclave des moindres acci­dents de la route: le dérapage, l'écla­tement d'un pneu, la rupture d'une roue, la rencontre d'un obstacle quel­conque, une embardée un peu trop vive, et voilà parfois la catastrophe! Avec l'aéroplane, rien de pareil. Aucun obstacle dans l'air. Ah! cependant le gouvernail peut se briser; il n'y a qu'à redescendre, en coupant l'allu­mage du moteur. On descend oblique­ment, comme sur une côte douce, et l'on aborde sans secousses. "

Renault et l'aviation

L'intérêt que Louis Renault portait à l'aviation ne datait vraisemblablement pas de ce 12 novembre. Il avait, comme tous les Français, suivi avec passion les premiers vols des machines volantes. Contrairement à Archdeacon, il ne voyait certainement pas dans le développement de ces dernières la fin de l'automobile mais, au contraire, une possibilité nouvelle offerte à l'homme de se libérer. Et il est plau­sible de penser qu'ayant acquis, depuis quatre ans, une solide expérience en matière de construction et de mise au point de moteurs d'automobiles, son attention se portait vers les moteurs d'avions qui constituent «l'âme de l'appareil" (2).

Quelques mois plus tard, en effet, sor­tait le premier moteur, un 8 cylindres disposés en V à 900 par lignes de 4, d'une puissance de 50 CV pour un alésage de 90 mm et une course de 120 mm. Les principes généraux qui en avaient guidé la construction étaient les suivants refroidissement par ailettes (3) «qui remplaçait le radiateur et supprimait, du même coup, les tuyauteries fragiles et gênantes; l'allu­mage par magnéto à haute tension qui prenait la place du délicat allumage par accumulateurs; la démultiplication du mouvement moteur qui assurait un rendement élevé de l'hélice et permet­tait, au bout de peu d'essais, d'aug­menter dans de grandes pmportions la charge utile transportée".

Au cours des années suivantes, le moteur subit des transformations. En 1911, son alésage fut porté à 96 mm ce qui lui donna un surcroît de puissance de 20 CV; en 1914, ce même moteur servit aux premières reconnaissances des armées franco­anglaises, concurremment avec un moteur de 80 CV, ayant le même nombre de cylindres et la même dis­position que le précédent, mais de 105 mm d'alésage et 130 mm de course.

Différents prix ne devaient pas tarder à récompenser les constructeurs de Billancourt. Le 6 juin 1909 au premier concours de moteurs à grande puis­sance organisé par l'Aéro-Club de France, le rapport constatait que :

Le « Maurice Farman» d'Eugène Renaux en

plein vol (photo R.N.U.R.).

« le moteur Renault a pu seul et dans les meilleures conditions, réaliser le programme ». Or, la principale épreuve de ce concours était de tourner à pleine charge sans défaillance pendant 3 heures, ce qui n'avait jamais encore été réalisé. Au meeting de Cannes, le 6 avril 1910, Edmond, également cou­reur de la marque dans les épreuves automobiles, gagne le Grand Prix de vitesse sur un biplan « Henri Farman ". Le 11 décembre de la même année, Tabuteau remporte la Coupe Michelin sur un biplan « Maurice Farman ", cou­vrant une distance de 584 kilomètres 900 en 7 h 48 mn 31 S.

Cependant la grande victoire des moteurs d'aviation Renault pour la période précédant 1914 devait être celle du Grand Prix Michelin en 1911.

Un prix spécial

Le 6 mars 1908, André et Édouard Michelin, les industriels de Clermont­Ferrand qui créèrent le pneumatique, adressèrent au Président de l'Aéro­Club de France, la lettre suivante :

Monsieur le Président,

Désireux de contribuer au développe­ment de l'aviation, cette industrie nou­velle qui, elle encore, a pris naissance en France, nous avons le plaisir de vous offrir une Coupe et un Prix spécial destinés aux « plus lourds que l'air ".

(1)

«Les conquérants du Ciel» de Roner Sauvane (1960).

(2)

L'« Auto» du 9 mars 1911.

(3)

Catalo.Que «Renault moteurs d'aviation»

1914.

10 La Coupe, que représentera· un objet d'art d'une valeur d'au moins 10 000 francs, sera dotée d'une somme annuelle de 15 000 francs et cela pendant la ans.

20 Le Prix spécial sera de 100 000 f.

Ces prix porteront notre nom, ils seront attribués dans les conditions ci-après;

1. -Coupe annuelle

Chaque année, avant le 31 janvier (et exceptionnellement pour 1908, avant le 31 mars courant), l'Aéro-Club de France arrêtera le programme du concours dont la clôture aura lieu le

1er

janvier suivant. Il déterminera ; les dimensions de la piste, J'importance des virages, les hauteurs d'ascension, etc., ainsi que les conditions dans les­quelles devra être parcourue cette piste, laquelle devra être un circuit fermé.

Le gagnant de la Coupe, pour l'année, sera l'aviateur qui, avant le 31 décem­bre à minuit, sur une piste dressée suivant ces données, aura couvert la plus grande distance, soit en France, soit dans l'un des pays dont l'Aéro­Club est fédéré à l'Aéro-Club de France.

Cette distance devra être, chaque année, au moins double de celle cou­verte par le tenant de l'année précé­dente. Le gagnant de la Coupe 1908 devra avoir parcouru une distance double de celle couverte par M. Henri Farman, dans son record du 13 janvier dernier.

Chaque année, la Coupe sera confiée en garde de l'Aéro-Club dont un des membres, présenté par ce Club, aura battu de plus loin le record de l'année précédente.

Le prix de 15 000 francs sera versé au conducteur victorieux.

Si la coupe n'est pas gagnée une année, l'Aéro-Club détenteur en res­tera gardien et les 15 000 francs vien­dront s'ajouter aux 15 000 de l'année suivante.

Le vainqueur de la dixième année res­tera propriétaire de l'objet d'art; un fac-similé en sera remis à l'Aéro-Club dont il sera membre.

Les essais seront faits en France, sous le contrôle de l'Aéro-Club de France; à l'étranger, sous le contrôle de l'Aéro­Club du pays, sous condition que cet Aéro-Club soit fédéré à l'Aéro-Club de France.

2. -Prix spécial (éventuellement)

1er

Si, avant le janvier 1918, un avia­teur, pilotant un appareil à deux places occupées, établit le record suivant, homologué par l'Aéro-Club de France;

S'envoler d'un endroit quelconque des départements de Seine ou Seine-et­Oise, tourner autour de l'Arc de Triomphe; aller tourner autour de la cathédrale de Clermont-Ferrand et venir se poser au sommet du Puy-de­Dôme (altitude 1 465 mètres), dans un délai moindre de 6 heures, comptées de l'Arc de Triomphe au sommet du Puy-de-Dôme.

Il lui sera versé une somme de 100 000 francs.

A partir de ce record, la Coupe Annuelle, au lieu d'être gagnée dans des essais individuels, devra l'être dans une course dont l'Aéro-Club de Francé fixera, chaque année, les condi­tions au moins dix mois à l'avance.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments bien dévoués.

Signé ; Michelin et Cie.

L'annonce de ce dernier prix fut accueillie avec stupeur. Les conditions imposées aux futurs concurrents étaient telles qu'il ne semblait pas possible de les réunir dans l'immédiat. Cependant les progrès de l'aviation devaient bientôt dépasser les prévi­sions des plus optimistes. Moins de trois années et il deviendrait évident que l'épreuve pouvait être gagnée d'un jour à l'autre.

Les premières tentatives

Au cours de ces années, un certain nombre de pilotes s'inscrivirent, le premier était Eugène Renaux, le deuxième Weymann. D'autres aviateurs firent savoir qu'ils comptaient s'aligner dans l'épreuve : les frères Morane, Leblanc sur un Blériot, Pierre Marie sur un R.E.P.

C'est seulement le 7 septembre 1910 que Weymann et Manuel Fay tentent l'exploit les premiers. Ils pilotent un biplan «Henri Farman". Malheureu­sement, à Volvic, à 16 kilomètres de Clermont-Ferrand, ils sont obligés d'atterrir. Premier échec.

Moins d'un mois plus tard, le 5 octo­bre, les frères Morane sur un mono­plan Blériot tentent de nouveau l'aven­ture. Celle-ci manque se terminer tra­giquement. Ils posent leur appareil en catastrophe entre Bonneuil et Boissy­Saint-Léger et sont grièvement blessés.

Une troisième tentative aura lieu. Celle d'Eugène Renaux : elle sera victo­rieuse.

La préparation

Au regard des raids accomplis anté­rieurement, la distance, 340 kilomètres, n'avait rien d'excessif, d'autant qu'elle pouvait être accomplie en une ou plu­sieurs étapes. Le temps accordé cor­respondait à une moyenne d'environ 60 kilomètres et l'altitude du but était inférieure aux hauteurs déjà atteintes.

Les difficultés résidaient dans la néces­sité de suivre l'itinéraire sans se per­dre, ce qui, compte tenu de l'époque ­on ne pouvait utiliser que des cartes routières et une boussole -constituait déjà un exploit. Mais surtout le prin­cipal danger était l'atterrissage sur un terrain inégal, d'une cinquantaine de mètres de largeur, disposé de telle façon qu'il suffisait de la plus petite erreur de manœuvre pour se briser contre les rochers ou dévaler la pente.

La réussite ne pouvait donc être assurée qu'à des hommes compétents, ayant préparé soigneusement leur raid et disposant d'un appareil sûr.

Eugène Renaux s'était fait connaître, depuis le début du siècle, par de nom­breux succès dans les courses à bicy­clettes, puis dans les compétitions automobiles. Son ami Maurice Farman l'appella à Buc en 1910, dans son école d'aviation. Il pilota pour la première fois le 3 juin et, un mois plus tard, le 5 juillet il prit son brevet.

Albert Senoucque, quant à lui, n'était pas un sportif mais un physicien, connu pour avoir accompagné Charcot au pôle Sud. On attribua à son énergie un grand nombre des résultats obtenus par l'expédition.

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Pendant plusieurs mois, les deux hom­mes vont préparer leur vol. Tout d'abord Renaux, malgré le froid, s'habi­tue à des vols d'altitude, montant cou­ramment et quotidiennement à 1 500, 1 800 et 2 000 mètres. Puis, sachant combien il était difficile de se poser au sommet du Puy-de-Dôme, il se prépare sérieusement à des descentes en vol plané, atterrissant dans un espace très réduit. Il ira même sur place reconnaître les lieux. Senoucque, le passager, qui aura pour rôle essen­tiel de suivre l'itinéraire, a mis au point un «casque téléphonique" pour communiquer avec le pilote. Il s'agit d'un casque de motocycliste auquel un tuyau acoustique a été adapté.

C'est un biplan «Maurice Farman", type militaire, que Renaux va utiliser. Cet appareil a les caractéristiques suivantes surface portante 60 m2, longueur 11 m, envergure 12,75 m,

L'avion d'Eugène Renaux survolant une route sur laquelle deux Renault sont arrêtées

(photo R.N.U.R.).

moteur Renault 8 cylindres en V, 60 CV, poids à vide 450 kg, prix 28 000 francs.

Le lundi 6 mars, Renaux essaye une dernière fois son appareil complète­ment équipé. Pour le lendemain le bureau central météorologique indi­quait : Tour Eiffel, vent venant du nord-est : 6 mètres à la· seconde; Puy-de-Dôme, vent venant du sud-est: faible.

L'exploit

Dès l'aube de ce mardi 7 mars 1911 à Buc, c'est le branle-bas de combat dans les hangars Maurice Farman où l'avion est abrité. Renaux et Senoucque sont prêts, ils n'attendent plus que quelques renseignements de différents observatoires avant de décider du départ.

Une brise légère souffle du nord-est et un soleil rouge apparaît, signe pré­curseur d'une belle journée. Vers 8 h 30 le départ est décidé. L'appareil avec ses 120 litres d'essence et ses 20 litres d'huile, suffisants pour alimen­ter son moteur jusqu'à Nevers, est amené au milieu du terrain. Senoucque d'abord, Renaux ensuite, prennent place. On met l'hélice en marche, le moteur ronfle. En quelques mètres l'aéroplane décolle, prend de la hau­teur et se dirige rapidement vers Saint-Cloud où a lieu le départ officiel. Il est exactement 8 h 55.

Maurice et Henri Farman se précipi­tent en automobile à Saint-Cloud et y arrivent juste au moment où Renaux survole le parc. Du sol, un drapeau est agité pour indiquer le virage et à 9 h 12 mn 34 s le passage est enregistré par MM. Richard, chronométreur offi­ciel et Bienaimé, commissaire de l'Aéro-Club.

Avec une sûreté remarquable le biplan vire avec souplesse et pique droit vers le sud.

«Dès le départ, écrit la «France Automobile et Aérienne », on signalait tout le long de la route le passage régulier de la machine volante ; à 9 heures et demie à Juvisy; à dix heures un quart à Montargis; à onze heures, à Gien; un quart d'heure après, elle surplombait Cosne; et, arrivant ensuite en vue de Nevers, contournait la cathédrale de cette ville

A l'escale de Nevers : une tasse de thé (col. L·"lustration) (photo Bibl. nat. Paris).

pour atterrir au lieu-dit «Le Peuplier Seul ", point d'étape fixé pour le ravi­taillement, à 11 heures 53 minutes 30 secondes. A ce moment, la moyenne de marche était d'environ 85 kilomètres à J'heure. "

« Le plein d'essence fait et les avia­teurs réconfortés par une petite colla­tion, J'appareil repartait à 12 heures 7 minutes 37 secondes, passait à Moulins à 1 heure un quart, à 600 mètres d'altitude, en répondant par des saluts aux vivats de la foule, puis à Gannat et à Riom, pour arriver en vue du Puy-de-Dôme quelques minutes après deux heures; à ce moment, Renaux a augmenté son altitude, afin de préparer sa descente; il est bien à 1 600 mètres lorsqu'il va virer, conformément au règlement, autour de la flèche de la vieille cathédrale Arverne. "

« Dès lors il s'incline progressivement, piquant droit vers le sommet du Puy­de-Dôme, et, coupant J'allumage de son moteur qui ne J'a pas trahi un moment, vient se poser en vol plané, avec une précision qui déchaine J'en­thousiasme de tous, au point exact exigé, un petit terrain situé entre les ruines d'un antique temple païen et J'Observatoire juché au sommet du fameux pic désormais vaincu. Il était 2 heures 23 exactement: les 100000 f étaient gagnés. »

Une réception improvisée eut lieu à l'Observatoire au cours de laquelle

M. Mathias, directeur de l'Observa­toire, félicita Renaux pour sa réussite. Quant à M. Michelin fils il annonça, aux applaudissements des personnes présentes, que le prix était gagné. Au même moment, les commissaires envoyaient à l'Aéro-Club de France le télégramme suivant : «Renaux atterrit Puy-de-Dôme sans avaries à 2 h 23 mn 20 s soit en 5 h 10 mn 46 s. "

Et ce fut le retour triomphal à Clermont-Ferrand. Au col de Ceyssat une confortable limousine Berliet atten­dait les héros qui y prirent place sous les ovations d'une foule nombreuse. A l'usine Michelin, André Michelin souhaita la bienvenue à Renaux :

«Eh bien! mon cher Renaux, je vous félicite mais franchement je ne m'y attendais pas. Vous avez fait une admirable performance" et Renaux de répondre : « C'est la faute de mon appareil et de mon moteur".

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Le récit de Renaux

Le même soir à l'Hôtel Terminus, au cours du banquet organisé en l'honneur des vainqueurs, M. Mathias proposa qu'une plaque commémorative soit apposée au sommet du Puy-de-Dôme. Cette proposition fut chaleureusement accueillie. Enfin Renaux et Senoucque rejoignirent l'Hôtel de l'Univers, place de Jaude, devant lequel la foule mas­sée criait sur l'air des lampions «Un chic à Renaux, un chic à Renaux! » (4).

Le lendemain Renaux était de retour à Paris. Aux journalistes venus l'atten­dre il déclara: « Mon appareil est resté là-bas, là-haut, devrais-je dire. On le démontera; il sera descendu grâce à J'extrême obligeance de M. Michelin. Depuis mon atterrissage j'ai dû me conformer aux ordres de Maurice Farman, ordres trois fois télégraphiés: «Sois sage ne t'occupe de rien! ». J'ai été sage et je ne me suis occupé de rien. Je constate seulement que j'ai mis 5 heures pour aller de Paris au Puy-de-Dôme (pas au département, mais au sommet du pic) par les airs et que je viens de faire le trajet de Clermont à Paris par voie ferrée en 8 heures! Décidément le biplan Maurice Farman a du bon ... »

Quelques jours plus tard, Renaux donnait aux journalistes de l'Auto une relation de son voyage :

« Mon voyage ne fut pas exempt de péripéties, il faut vous dire qu'au départ de Paris, était-ce J'émotion ou le froid, mais j'ai commencé par souf­frir d'effroyables crampes d'estomac. En outre, j'avais à travailler ferme, les remous nous secouaient terriblement et à un moment donné lorsque je reconnus Montargis, j'éprouvais une réelle envie de descendre. Par bonheur la brume se dissipait, le temps deve­nait meilleur et le courage renaissait. Je décidai de continuer. Mon vaillant compagnon, fort occupé à lire la carte, m'encourageait aussi par sa crâne attitude. Nous coupions la Loire aux environs de Cosne et peu après nous apercevions Nevers où j'avais installé mon ravitaillement. L'ami Dalliens avait prévu un atterrissage remarquable et je suis heureux de le remercier. »

« Au bout de vingt minutes on se remettait en route. Et, guidé par les fleuves : la Loire, J'Allier, je trouvais aisément mon chemin. Hier je disais à mes amis que si j'avais le bonheur de réussir je ferais le parcours en j'étais moins rassuré. Quel temps allais-je trouver à cette ligne d'hori­zon que je scrutais anxieusement du regard? »

« A Gannat toutefois j'apercevais le Puy-de-Dôme qui me donnait courage encore. A partir de Gannat je commen­çai à m'élever progressivement de 700 à 1800 mètres estimant qu'il convenait de descendre sur le som­met. Le ciel était clair à souhait. Je voyais aussi, après Riom, la fameuse cathédrale dont les flèches figuraient le dernier pylône qui me restait à dou­bler et, en moins de 10 minutes, nous étions au-dessus de Clermont. »

« Ah! je vous avoue que le cœur me battait à ce moment. Je touchais au but, allais-je réussir ? Désormais la silhouette rébarbative des montagnes se dressait devant moi et malgré moi je ne pouvais m'empêcher de penser à J'infortuné Chavez qui paya de sa vie sa gigantesque victoire (5). »

« Je montais toujours si bien que je me vis soudain beaucoup trop haut.

Je surplombais à ce moment la Baraque et la Fourche des routes qui mènent J'une à la Moreno, J'autre à Ceyssat. Vous voyez que je connais le pays! » « L'instant suprême approchait. Je des­cendis un peu, un peu encore. Les banderoles rouges m'indiquaient désor­mais nettement J'atterrissage. Je cou­pai J'allumage et... vous savez le reste: conformément au règlement je vins me poser sur le sol. Je suis bien heureux, bien content, je le dis sans fausse modestie. »

(4)

L'« Auto» du 9 mars 1911.

(5)

Le 23 septembre 1910. Géo Chavez .ieune pilote de vinqt-trois ans parti de Brie­qenber.Q près de Brique. sur son Blériot. met le cap sur le Simplon. le survole à plus de 2000 mètres. débouche au-dessus de la vallée de la Toce et commence sa lonque descente. en coupant et en remet­tant alternativement le contact comme on le faisait .iadis. Alors Qu'il est prét d'at­terrir. à Domodossola. une rupture se produit dans les ailes (aux dires des témoins) et l'appareil s'abat comme une pierre. d'une vinqtaine de mètres de haut. Ghavez est relevé les .iambes brisées et perdant le sanq par la bouche. Gina .iours après. il meurt à l'hôpital. Les Alpes sont vaincues. mais Géo Ghavez n'a pas vu sa victoire. (<< Histoire de l'Aviation» de René Chambre -Flammarion).

L'ATTERRISSAGE DE L'AVIATEUR RENAUX AU SOMMET DU PUY DE DOME

5 heures 1/4. Mais une fois en J'air Reproduction de la première page de l'Illustration du 11 mars 1911 (photo Bibl. nat. Paris). 258

Les gagnants: l<pilote,Renaux et son passager, M. Senouque.

Les donateurs; MM, André et Edouard Michelin.

LE FRIX DE 100.000 H,ANC::;l:'OUR LE V;JYAGf. AÉRlllH DI.:: PARI::; AU PUY-DE-D.:JME

Les donateurs : MM. André et Édouard Les gagnants : le pilote Renaux et son Michelin (col. L'Illustration) (photo Bibl. nat. passager M. Senouque (col. L'Illustration) Paris), (photo Bibl. nat. Paris).

La victoire du moteur Renault

Renaux pouvait être heureux de sa victoire. Sa belle performance il la devait certes à son courage, mais aussi à son avion. Que serait un avion sans moteur? Et la presse tout entière ren­dit hommage au moteur Renault. « Privé à un moment quelconque de sa force motrice l'aéroplane est forcé de revenir au sol, écrivait l'Auto. Dès lors le pre­mier souci du constructeur devait donc être de munir son appareil d'un moteur d'une régularité illimitée. On n'a donc pas été surpris en apprenant que c'était le moteur d'aviation de Louis Renault qui avait permis d'assurer /'impérieuse sûreté de puissance motrice de l'aéro­plane triomphateur. S'il est un cons­tructeur qui ait dû faire face à ce que l'on peut appeler l'application crité­rium à l'aviation de la régularité du moteur d'automobile, c'est assurément le constructeur de Billancourt. De même qu'en automobile où ses inno­vations eurent le succès que l'on sait, il voulut que son moteur donnât les mêmes garanties de régularité que ses moteurs de voitures; mais en outre, il envisagea la question de puissance élevée et surtout celle de la poussée qu'il peut imprimer à un appareil tout spécial tel que l'aéroplane en travail dans l'atmosphère. »

Gilbert HATRY