06 - La 35 chevaux 1907

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LA 35 CHEVAUX 1907

La photographie où nous mon­trons une petite Renault 1 cheval 3/4, datant de 1898, au-dessus d'une vaste limousine 35-chevaux modèle 1907, rappelle assez fidè­lement ces tableaux de statistique à la mode, dans lesquels un géant représente la production de l'année courante, et un pygmée, celle d'il y a dix ans; une différence existe cependant, c'est que les dimensions sont généralement fantaisistes, alors que celles de nos deux voitures n'ont pas été truquées. Elles sont l'image de ce développement colossal prit par la maison Renault frères en peu de temps.

construction. Les tubes classiques, garnis d'ailettes, sont supprimés.·

Il ne reste pour mettre en commu­nication les réservoirs supérieur et inférieur formant collecteurs d'eau, que des tubes de cuivre plus nombreux et plus petits, il est vrai, que les anciens tubes à ailettes, mais complè­tement lisses. Leur efficacité n'est plus à mettre en doute, car depuis le milieu de l'année courante, cette modification à laquelle on gagne de la légèreté, de la résistance et une économie de fabrication, est appliquée sur les modèles Renault: le circuit de la Sarthe a montré que son emploi pouvait être généralisé aux voitures de courses sans le moindre incon­vénient.

Le moteur a les lignes sobres qu'af­fectionnent les amis de la bonne mécanique; un seul arbre à cames, placé à gauche, commande toutes les soupapes: tous les engrenages sont enfermés dans le carter; il n'y a pas de régulateur.

On fait un reproche aux voitures dont le moteur a été démuni de son régulateur: c'est d'être bruyantes au moment où l'on vient de mettre en marche; le moteur s'emballe en attendant que le conducteur ait pu se porter au volant pour agir sur la En 1899, une voiturette Renault gagne Paris-Trouville, c'est le premier mot d'un palmarès qui chaque année, s'enrichit de noms glorieux: Paris ­Bordeaux, Paris-Berlin, Paris-Vienne; cette dernière victoire devait marquer l'apogée du succès de Renault si le Circuit de la Sarthe n'avait égalé son retentissement.

On se rappelle que Paris-Vienne fut le triomphe de la voiture légère contre la grosse voiture, événement sans précédent dans lequel il faut recher­cher l'origine de la disparition en course de la catégorie des voitures légères, événement dont les enseigne­ments devraient encore être présents à l'esprit, Une voiture légère munie d'un moteur moins puissant a souvent plus de chances d'arriver que la voi­ture lourde plus riche en chevaux: maxime dont Louis Renault, qui a toujours eu un sens remarquable de la voiture de course, s'est inspiré en maintes occasions.

Mais quittons le domaine de la course, nous sommes aujourd'hui au tourisme: à côté de la gagnante du Circuit de la Sarthe figure, au salon, la spacieuse 35 chevaux, véritable antithèse de l'autre comme confortable; nous allons

·.en examiner le châssis qui est l'un des plus finis et des mieux compris qui soient.

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Photographies superposées d'une voiturette 1898 et d'une 35 chevaux Renault 1907.

Des trois grandes caractéristiques des Renault, deux subsistent: la fameuse prise directe, qui continue à faire tache d'huile grâce à la bonne entente survenue entre ses inven­teurs et les constructeurs intéressés, et le refroidissement par thermo­siphon; mais comme le changement de vitesse comporte quatre vitesses, le dispositif d'écartement et de rappro­chement des trains est remplacé par un baladeur double.

Par ailleurs, de nombreux perfec­

. tiohmements sont à noter: le châssis est surélevé à l'arrière, un peu plus que l'année dernière, et se relie à l'essieu par deux ressorts latéraux et deux demi-ressorts en crosse, le ressort transversal disparaît donc; les constructeurs lui reprochent de faire balancer les voitures un peu lourdes et hautes lorsqu'on prend les virages; cette modification est une des ten­dances de 1907.

Le radiateur est transformé complète­ment. Sa place, derrière le capot, et le cycle suivi par l'air sous l'action des ailettes fixées au volant pour former ventilateur restent immuables

mais deux choses varient: de fixation (le radiateur maintenant par desserrage écrous seulement), et le le mode s'enlève de deux

mode de

Le châssis 35 chevaux vu de profil.

manette d'admission, reproche très justifié que les frères Renault n'ont pas voulu encourir, eux dont les voitures ont toujours été remarquées comme des plus silencieuses.

Ils ont fait un carburateur permettant la mise en marche sur la position d'étranglement; le boisseau du carbu­rateur est à demi fermé; au repos, le conducteur ne peut agir que pour augmenter l'admission.

Quelques mots sur le carburateur. Il ressemble à celui de l'année dernière, en ce sens que les canali­sations d'air carburé et d'air addi­tionnel se prolongent jusqu'à l'entrée dans la chambre des soupapes; c'est à ce point qu'agit un boisseau double, à la sortie duquel le mélange s'opère seulement. C'est une méthode tout à fait inverse de celle habituellement suivie, sous prétexte qu'il faut donner aux gaz le temps et l'espace voulu pour

se mélanger; mais l'expérience, meil­leure que tous les raisonnements, a démontré aux frères Renault qu'ils étaient dans le vrai.

Un avantage saute aux yeux lorsqu'on examine le dessin, c'est que l'éjection d'essence au milieu du petit tuyau central L, sera beaucoup plus cer­taine aux allures ralenties que si le canal était plus gros. La possibilité de mettre en marche avec boisseau mi-fermé réside en cette particularité. Le carburateur diffère de celui de 1906 par le mécanisme assurant l'automaticité; nous avions précé­demment un disque d'obturation s'éle­vant le long d'une vis à long pas, sous l'influence de la dépression; cette fois, le disque s'élève, guidé sur son axe, mais freiné par le déplacement d'un piston baignant dans l'essence; il ne peut ni ouvrir ni diminuer brusquement le passage qu'il laisse à. l'air. Cet air s'introduit par les orifices disposés circulairement au­dessous de la soupape.

Sur le 35 chevaux comme sur les autres modèles de la marque, l'al­lumage se fait par bougies; la magnéto Simms-Bosch à volet tournant, un peu encombrante, a été remplacée par une magnéto à induit tournant, dont il est facile, à la rigueur, d'empor­ter une rechange dans son coffre, pour le cas, peu probable, de désai­mantation.

Pour faciliter la mise en marche, un décompresseur sur l'échappement est manœuvré à main gauche, pendant que la main droite tourne la manivelle. Supposons le moteur en fonctions, une manette et un accélérateur au pied commandent son allure qui, de 200 tours, peut passer très rapide­ment et sans ratés à 1.400, allure nor­male ou même 1.600, sans qu'il y ait à

Coupe du carburateur de la 35 chevaux.

Le châssis 35 chevaux vu de l'avant

craindre un manquement dans l'allu­

mage ou le graissage, A propos de graissage, la rampe à départs multiples n'est pas inventée d'hier et tout le monde la connaît, mais elle possède un inconvénient: des chauffeurs inexpérimentés ouvrent ou ferment trop les pointeaux, parfois même les ferment complètement, d'où grippage. Pour obvier à cela et obtenir un résultat qu'il faut toujours chercher en automobile, qu'une voi­ture marche non seulement par la science de son conducteur, mais mal­grè lui, les frères Renault ont fixé aux pointeaux trois degrés d'ouverture variable, de sorte que si le moteur marche, il y a toujours débit. Le moteur est, à l'arrêt, graissé très suffisamment par le réglage au mini­mum, et si on oublie de modifier le débit, il y aura mauvais rendement du

moteur qui révélera sa faute au con­ducteur, mais jamais grippage.

De la transmission. j'ai dit l'essentiel: nous pouvons voir, en outre, combien les côtés du châssis ont été dégagés: toutes les tringles, tous les renvois sont à l'intérieur et ne gênent ni l'œil ni l'entrée par côté.

Deux nouveautés qui ne font pas absolument partie du châssis méritent une description détaillée: ce sont l'amortisseur de suspension à peu près identique à celui qui figurait au Salon de l'an dernier et la mise en marche automatique, sensiblement en progrès sur sa devancière.

Le principe de l'amortisseur est de former résistance aux déplacements brusques des ressorts par un freinage qui s'effectuera de façon analogue à celui de la soupape d'air supplé­mentaire dans le carburateur Renault, c'est-à-dire par déplacement d'un piston au sein d'un liquide. Dans le carburateur, le liquide essence était tout indiqué, parce qu'il était à portée et bénéficiait du niveau constant; mais ici les fuites sont moins facilement réparées; il faut choisir un liquide moins volatil et à la fois plus visqueux, car les efforts à mettre en jeu sont autrement importants; l'huile réunit ces qualités.

On en remplit l'espace Il; un piston double chasse le liquide d'une extré­mité à l'autre en le forçant à passer dans un canal intérieur dont l'ouver­ture se règle facilement par le diamètre d'une tige axiale; il est manœuvré par un levier solidarisé par une biellette avec l'essieu.

Primitivement la tige axiale 8 était rétrécie vers le centre pour que l'intensité du freinage soit d'autant plus forte que les écarts avec la position moyenne étaient plus grands; mais l'expérience n'a pas complè­tement confirmé les principes de la théorie; la tige est donc redevenue cylindrique; l'amortissement des oscil­lations n'en est que plus efficace, et tous les clients qui ont essayé du système en ont eu la conviction. Pour permettre la mise en marche par simple ouverture d'un robinet, les frères Renault utilisent d'abord la puissance du moteur qui est supposé avoir tourné une première fois et en second lieu un accumulateur d'éner­gie; voici comment:

Quand le moteur tourne, le maneton 1 solidaire d'un arbre à cames entraîne un piston garni de cuir qui va pomper de l'air atmosphérique pour le com­primer dans une bouteille; une déri­vation 8, faite ingénieusement sur le canal allant à ce réservoir, permet de supprimer tout travail de compres­sion, au moment où le nombre de 12 kilogrammes prévu est atteint. La membrane 10, déformée sous la paroi comme l'est un disque de baromètre anéroïde, soulève la queue de la soupape 4, l'air s'enfuit par le canal 6; la soupape d'admission au réservoir se ferme en même temps et le piston se déplace dans son cylindre sans autre résistance que les frotte­ments qui sont peu de chose.

J'avais parlé d'accumulateur; le nôtre, constitué par la bouteille d'air est chargé. Quand vient le moment de l'utiliser, c'est-à-dire quand le moteur est arrêté et qu'on veut le lancer on soulève, au moyen du levier 2, une soupape fermant la canalisation; l'air se précipite dans deux corps cylin­driques possèdant chacun un piston.

La manœuvre du levier 2 a pour consé­quence, tout d'abord le soulèvement de la soupape, au moyen de rampes dessinées sur la figure, et la fermeture des trous d'air mettant les cylindres en communication avec l'atmosphère.

Les pistons opposés 11 et 12 fuient sous la pression et font tourner un pignon calé sur l'axe moteur 13; le moteur parti les pistons sont remis en place par des ressorts antagonistes.

Le pignon n'est pas invariablement calé sur l'axe, mais deux dispositifs déterminent les conditions de son action; un dispositif de déclenche­ment empêche toute rupture et tout travail anormal du mécanisme, s'il se produit un retour d'allumage; à cet effet, le pignon est poussé par un ressort sur des griffes à dentures inclinées. Il existe, en outre, entre le pignon et la pièce goupillée, une pièce intermédiaire, soumise d'un côté à l'embrayage à denture inclinée, dont nous venons de parler et agissant de l'autre sur une roue libre, de façon que le moteur ne puisse entraîner les pistons.

La manette 2 servant à l'ouverture se remet automatiquement en place après chaque opération, poussée par une tige sur laquelle vient buter la crémail­lère à fond de course.

Sans être munie de ces deux raffi­nements, amortisseur et mise en marche, la 35 chevaux Renault est l'une des plus confortables voitures de tourisme que l'on puisse rêver: rapide, sa puissance l'indique, et silencieuse, son nom le garantit: elle doit faire des heureux. Les clients de la maison Renault ont, d'ailleurs, une affection particulière pour leur voiture parce que dans les modèles de ·10 chevaux comme dans ceux de 35, la recherche de la commodité, l'étude des détails y est poussée à l'extrême.

Si l'exactitude est la politesse des rois, celle des constructeurs consiste à épargner au conducteur les manœu­vres pénibles, leur rendre les autres plus faciles; cette politesse-là, les Renault la pratiquent.

Pol RAVIGNEAUX

(La Vie automobile) du 15 décembre 1906