02 - Quand Renault devient Société Anonyme

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Quand Renault devient Société Anonyme

La longue et complexe vie des usines Renault, fruit du travail de milliers de personnes, contient à elle seule tous les types d'histoires possibles : his­toire des techniques, mais aussi his­toire économique, sociale, culturelle et politique. Alors que beaucoup de gens croient bien la connaitre, elle est riche en épisodes inédits ou contraires aux idées reçues. L'un de ceux-là n'est autre que la fondation de la société anonyme des Usines Renault (S.A.U.R.). Elle révèle que le passage des usines Renault au stade de la grande entre­prise a nécessité une rénovation de leurs structures juridiques et finan­cières et du personnel de direction.

Renault avait d'abord pris la forme d'une société en nom collectif, Renault frères, fondée par Marcel et Fernand Renault le 1" octobre 1898 (1). Puis, à la mort de Marcel en 1903, Louis avait racheté sa part (2). Et, quand Fernand avait pris sa retraite en 1908, la société avait changé son nom en «Automo­biles Renault, L. Renault construc­teur ». Mais l'élargissement de la taille de la maison Renault et de ses activi­tés, commencé avant 1914 et pour­suivi pendant la Grande Guerre, don­nait peu à peu à l'entreprise les dimensions d'un véritable trust. Après la guerre, Louis Renault se mit à déve­lopper ce trust de façon systématique. Il estimait en effet « que dans la société future les grosses organisations seules seront susceptibles de lutter contre les grosses organisations étrangères et seront seules susceptibles de vivre» (3).

Un certain nombre d'autres industriels novateurs pensaient comme lui. Pour eux, il fallait faire évoluer le capi­talisme français dans le sens de « l'exemple américain» (4).

En application de ce vaste dessein, pour mener à bien son activité d'après­guerre, la société des Automobiles Renault transforma sa raison sociale, son régime juridique, et son capital. Elle devint le 17 mars 1922 la société anonyme des Usines Renault, au capi­tal de 80000000 F. Le 18 mars eut lieu la première assemblée constitutive de la Société, dans les locaux de la ban­que Mirabaud où s'était créée en 1905 la Compagnie des automobiles de Place, base par ses taxis de la pros­périté Renault. Une seconde assemblée constitutive se tint le 28 mars afin d'élire le conseil d'administration de la Société rénovée (5).

SOCIÉTÉ ANONYME

DES

USINES RENAULT

AU CAPiTAL. DE 80,000.000 DE FRANCS

.SIÈGE: SOCIAL:

Fac-similé du Rapport du Conseil d'Administration lors de la première Assemblée générale ordinaire de la S.A.U.R. du 21 juin 1923.

Les objectifs

Ce n'est pas le changement de forme juridique qui importe le plus. Un entre­preneur aussi autocrate que L. Renault,

M. Berliet, y avait eu recours dès le 12 décembre 1917 (6). Renault lui-même avait donné le statut anonyme à nom­bre de ses filiales, à commencer par la filia~e anglaise en 1905. S'il l'adopte pour sa propre Société en 1922, cela tient, selon la direction des études financières du Crédit Lyonnais, "proba­blement à des raisons fiscales" (7) : Renault sépare sa fortune propre de celle de sa Société. En d'autres ter­mes, si les usines Renault ont eu, à partir de 1922, une forme juridique plus moderne et plus souple, elles le doivent en partie à l'intervention crois­sante de l'État français. C'est aussi, au témoignage de' M. P. Pain, parce que L. Renault ne voulait pas voir sa propre fortune servir à alimenter la trésorerie de son entreprise asséchée par la crise d'après-guerre.

Plus significative est la modification de la raison sociale. Le mot automo­biles disparaît, au bénéfice du terme usines. L'objet de la Société va en s'élargissant. A ses débuts, elle vise " les industries métallurgiques et méca­niques, et plus spécialement /'indus­trie automobile sous toutes ses for­mes (8)". L'article 2 des statuts de 1940 reprend ce texte et assigne en outre à la société les buts suivants :

" La construction de tous moteurs, tracteurs et véhicules terrestres, aériens, marins et fluviaux, la fabrica­tion de toutes carrosseries et acces­soires, de tous matériels et outillages de traction et de transports agricoles, industriels, de chemins de fer, de guerre, à vapeur, électriques, à essence, à huile lourde, à pétrole ou autres; la fabrication de toutes machi­nes-outils, de tous produits et objets de quincaillerie, de toutes charpentes métalliques, en bois ou en ciment; la fonderie, la forge et l'usinage de tous métaux et alliages, et la partici­pation à toutes entreprises et connexes par voie de création de sociétés nou­velles d'apport, d'achat, de vente, de location, de fusion, d'affermage, d'ex­ploitation directe ou autrement, ainsi que toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières ou immobilières pouvant s'y rattacher directement ou indirectement en France ou à l'étranger (9). »

Bien plus, à cette extension des objec­tifs correspond l'apparition d'action­

naires et de dirigeants nouveaux, en liaison avec des rapports nouveaux entre Renault et les banques.

Les actionnaires

Parmi les actionnaires, L. Renault garde assurément une place prépon­dérante. En rémunération de ses apports (fonds de commerce, brevets, matériel, portefeuille-titres, un immeu­ble et des terrains secondaires), il se voit attribuer sur les 160000 actions de 500 F (150000 privilégiées, 10000 ordinaires) 120000 actions privilégiées et les 10000 actions ordinaires, plus 10 millions de francs "payables dans les deux mois (10) ,,; la S.A.U.R. lui verse aussi chaque année un loyer de 4,5 millions pour l'essentiel des immeu­bles de Billancourt, le magasin des Champs-Élysées et "le gros matériel exclu des apports (11) ». L. Renault détient donc d'entrée de jeu 81,25 % des actions de la S.A.U.R. Restent 30000 actions (18,75 %). Le groupe Mirabaud en a souscrit à l'origine 6900: la banque Mirabaud et Cie 4300, la Société française d'études et d'en­treprises 600, MM. Puerari, Champin et d'Eichtal 2 000 (12). Là encore, un rapprochement s'impose avec Berliet. Sur les 15000 actions de 1 000 F de la S.A. des automobiles Berliet consti­tuée en 1917, des banquiers, les Guérin, en détiennent 600 (13). On peut supposer que les autres actions de la S.A.U.R. ont été acquises par des membres de la famille de L. Renault ou de sa femme, par des chefs de service de ses usines ou des amis. Toutes ces actions minoritaires repré­sentent un apport d'argent frais de 15 millions. Vers la fin des années vingt, L. Renault voulut augmenter le capital de la S.A.U.R. pour financer la création de l'usine de l'île Seguin. La banque Mirabaud considérant que la 6 CV Renault" ramait", c'est-à-dire qu'elle ne se vendait pas assez bien, s'opposa à cette proposition et lui refusa ses capitaux et son concours. Alors L. Renault rompit avec celle­ci (14), sans doute à la fin de 1928 (15). Il souscrivit donc seul la totalité de l'augmentation du capital de 80 à 120 millions décidée par l'assemblée générale extraordinaire des action­naires du 19 janvier 1929, en étalant le paiement de ces 80 000 actions privi­légiées sur 5 ans (16) • Il racheta en 1930 les titres que possédait le groupe Mirabaud, puis, lorsqu'il rompit en 1940 avec son neveu par alliance

F. Lehideux, ceux (500) qu'avait acquis ce dernier, après juin 1936 (17). Le 29 octobre 1940, une assemblée générale extraordinaire porta de la même façon qu'en 1929 le capital à 240 millions, par émission de 240000 actions privi­légiées (18). Nous connaissons enfin la répartition détaillée des actions de la

S.A.U.R. à la mort de L. Renault, le 24 octobre 1944 (19). L. Renault possé­dait alors 464850 actions, soit 96,8 %. Des 15 150 autres titres, 3 660 appar­tenaient à des membres proches ou lointains de sa famille, et le reste à des administrateurs, directeurs, chefs de services des usines Renault. Parmi les 49 actionnaires (20), les plus gros porteurs étaient l'héritier du nom, Jean-Louis Renault (1 560 titres), et trois administrateurs de la S.A.U.R., Samuel GUillelmon (1 320), René de Peyrecave (950') et Roger Boullair.e (720) qui était aussi le beau-frère de L. Renault. Certaines filiales de la S.A.U.R. avaient un actionnariat plus diversifié. Il en va ainsi de la société des Huiles Renault.

En 1936, la S.A.U.R. n'en contrôlait que 9064 actions et L. Renault 1 200 sur un total de 60000; il Y avait 63 actionnaires nominatifs, parmi lesquels on relève, outre un certain nombre de collaborateurs et de parents de Renault, un banquier, Gérard Vernes et des nobles (duchesse de la Trémoille, duc d'Elchingen, baronne Edgard Lejeune, prince Charles de la Moskowa, prince Charles (21) et Joachim Murat (22)).

D'autres sociétés d'automobiles ont une plus grande quantité d'actionnaires que Renault. En 1936, Peugeot a un nombre d'actionnaires" au moins égal» à celui des membres de son person­nel : 15000 personnes. Les petits actionnaires y détiennent "la plus grande partie du capital ». Entre 1925 et 1934, les actionnaires de-Peugeot ont reçu un diVidende de 4,6 % du capital, soit la moitié de ce qu'ils per­cevaient avant-guerre (23).

Les administrateurs

L'empreinte du groupe Mirabaud mar­que de manière encore plus nette la composition initiale du conseil d'admi­nistration de la S.A.U.R. Celui-ci com­prend à l'origine cinq membres. Deux sont des hommes de Mirabaud. Henri Puerari, banquier, est président de la Compagnie des mines de Bor, vice­président de la S.A. des transports automobiles, industriels et commer­ciaux, administrateur des automobiles de Place, de la Compagnie des che­mins de fer du Midi, de la Compagnie française des chemins de fer de Santa Fe, de la compagnie des mines de cuivre du Boléo, de la Compagnie de Mokta el Hadid, de la Société du Djebel Djerissa, de la Compagnie des salins du Midi et de la Société d.'affi­nage des métaux (24).

Marcel Champin surtout, polytechni­cien, ingénieur qui, grâce à la banque Mirabaud, a créé les premiers taxis modernes de Paris et, à cette fin, a fondé en 1905 la Compagnie des auto­mobiles de Place dont il est devenu président, est alors administrateur de la Banque nationale du Commerce extérieur, la Société générale de tou­age et de remorquage, la Compagnie des mines de Bor, la Compagnie des mines d'Ouasta et de Mesloula, des phosphates et chemins de fer de Gafsa, de la Compagnie française de matériel de chemins de fer, des Aciéries et usines à tubes de la Sarre, de Montbard-Aulnoye, de la société Le Métal déployé, de la Société nou­velle de sondages Bonne-Espérance, de la Steaua Romana, de la Steaua fran­çaise, de la société Colombia (il s'agit dans ces trois cas de sociétés franco­roumaines de pétroles), de la Compa­gnie française des pétroles, la Compa­gnie de l'Omnium français des pétroles, de l'Union des consommateurs de pro­duits métallurgiques et industriels, de la Société française d'études et d'en­treprises, des Aciéries de Longwy, président de la société Louvroil­Recquignies (25).

Sa collaboration pendant la guerre avec Ernest Mercier au quartier géné­rai allié en Roumanie, pays riche en pétrole (26), lui a permis de comprendre dès 1919 l'importance du pétrole et les perspectives de développement que cette industrie ouvrait au tube d'acier, tant en ce qui concerne la prospection que l'extraction du pétrole. Ainsi ajoute-t-il, à Louvroil, les commandes des compagnies pétrolières à son autre spécialité, l'emboutissage, la fabrication de petits emboutis dont le principal débouché est l'automobile. Comme métallurgiste, M. Champin est "un homme de décision et un véri­table stratège. " a su, à chaque fois que cela s'imposait, prendre la déci­sion d'investir pour répondre à une demande en expansion". Il pratique dans sa branche à maintes reprises l'absorption d'autres firmes, les enten­tes entre fabricants sur les prix et les tonnages. C'est encore une person­nalité financière que la grande banque protestante consulte pour ses place­ments (27). Assuré du soutien de nom­breux députés, il joue aussi un rôle politique actif dans le sens d'un techno­cratisme libéral. A côté d'autres " managers", il entre en 1927 au Comité de Direction du Redressement français d'E. Mercier, dont il devient le président en 1932 et où il recom­mande la suspension du suffrage uni­versel au profit d'un pouvoir fort (28).

M. Champin, qui a toujours eu un inté-

Louis Renault (à drOite) avec Paul Hugé,

rêt très vif pour le développement des usines Renault, est à la fois fasciné par la personnalité de Louis Renault et hostile à ses conceptions (29).

Les trois autres administrateurs sont

L. Renault, qui préside le conseil, et les deux administrateurs délégués,

P. Hugé, l'inamovible directeur des ser­vices administratifs, financiers et com­merciaux, et S. Guillelmon, H.E.C. de formation, directeur chargé de l'admi­nistration des fabrications, des achats, des affaires immobilières, des ques­tions sociales, ancien directeur géné­rai de Clément-Bayard, que L. Renault a pris à ses côtés en 1917 (30) pour lui confier la direction des fabrications. On ne retrouve pas le nom d'E. Duc car, après avoir assuré pendant la guerre des fonctions de coordination intérieure et de liaison avec les minis­tères, il a quitté la direction de Renault au début de 1922, pour des raisons familiales (31).

vers t902.

Aux termes de l'article 25 des statuts, les administrateurs ont droit à des jetons de présence et se partagent 5 % des bénéfices nets diminués de l'in­térêt du capital (6 %) et des capitaux versés dans la réserve légale (32).

Le conseil de la S.A.U.R. ne se réunit pas très souvent et n'a pas de très grands pouvoirs dans la réalité (33). Cependant, jusqu'en 1928, Puerari et Champin y discutent des questions essentielles de politique financière. Lorsque intervient la rupture de 1928 entre L. Renault et Mirabaud, ils res­tent membres du conseil, Puerari jus­qu'à sa mort en 1937 et Champin jus­qu'à sa démission (1940). Mais ils n'exercent pratiquement plus d'in­fluence, le conseil perd encore de ses pouvoirs, au profit notamment des comités de direction mensuels des années trente, et if se gonfle de nou­veaux administrateurs, directeurs aux usines Renault. Y pénètrent ainsi en 1928 Henri Lefèvre-Pontalis, neveu par alliance de L. Renault, venu aux usines Renault le 5 janvier 1920, directeur d'un des services commerciaux, nommé administrateur le 5 juillet 1928, décédé en 1933, et Roger Boullaire, beau-frère de L. Renault, entré en 1922, directeur de la fabrication de la carrosserie, en 1931 F. Lehideux, neveu par alliance de L. Renault, diplômé de l'École des sciences politiques, licen­cié en droit et en lettres, fils de ban­quier, entré en 1930, chargé de «la direction des fabrications, des appro­visionnements, du personnel et de certaines questions financières» qui relevaient auparavant de la compé­tence de P. Hugé et devenu adminis­trateur-délégué; et en 1936, à la suite des mouvements sociaux, Pierre Rochefort, secrétaire financier de L. Renault depuis 1920, René de Peyrecave, administrateur du Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine et de la Compagnie générale pour la navi­gation du Rhin, engagé en 1934 comme directeur des «relations extérieures avec toutes les hautes administra­tions» et du service aviation, et un vieux co m p a g non, Charles Serre, directeur du bureau d'études depuis 1899 (34). On constate que l'équipe de direction des Usines s'est beaucoup étoffée depuis 1919. Il faut y ajouter d'autres directeurs d'influence compa­rable, dans le secteur technique Marcel Grillot, ancien ouvrier, ingénieur des Arts et Métiers, entré pendant la guerre, Lucien Janin, présent depuis 1912 au moins, Charles Maitre, dans le secteur commercial les fils de Samuel Guillelmon, Marcel et Jean.

Ils sont venus s'ajouter sans heurts

Édouard Richet.

à l'équipe d'avant 1914 amputée des seuls Émile Duc et Édouard Richet, lequel trouve désormais trop lourde la direction des ateliers de montage et part à Toulouse prendre celle des agences du Sud-Ouest. Mais Louis Renault reste le maître absolu du pou­voir dans ses usines, tout comme A. Citroën à Javel. Il y a là une diffé­rence très nette avec la société des usines Peugeot. « Par sa structure, par son organisation», celle-ci représente assez bien «une monarchie constitu­tionnelle ». Robert Peugeot «présidait soit le conseil de direction, soit un des nombreux comités qui traitaient des affaires de chacun des services. Aucune décision, qu'elle fût d'ordre technique, administratif ou commercial, n'était prise sans consultation des chefs de services intéressés. Dans ces réunions la liberté de parole était grande. (...) L'État-major de la maison composait le conseil de direction (qui) se réunissait une fois par mois toute la journée, traitant J'ensemble des affaires qui intéressaient la politique de la maison (35) ». Ce qui frappe, c'est la cohésion du personnel de direction chez Renault, alors que, dans cette période, Citroën (et de même Ford aux États-Unis) est rongé par les divisions intestines et les mutations fréquentes. Bien sûr, aux niveaux inférieurs des ingénieufs et chefs de service, il y a des départs, surtout pour Javel, souvent compensés par des arrivées de Javel. Par exemple, en juin 1933 le grand ingénieur André Lefèvre qui avait quitté Voisin pour Renault en rai­son des «offres avantageuses» de celui-ci, se trouvant «immédiatement stérilisé par les tenants du service technique» de Renault, entre chez Citroën où il sort en 3 mois «la pre­mière de toutes les Citroën à traction avant (36) ». Mais au sommet l'expansion de la firme restait gérée dans la stabi­lité et la continuité (37). Continuité peut être synonyme de sclérose. Ainsi chez Berliet au même moment: « Le manque de jeunes techniciens qualifiés, après les ravages de la guerre, ne rendait pas facile le renouvellement de J'équipe proche de M. Berliet dont les ten­dances autocratiques, galvanisées par J'effort de production de 1914-1918, ne rencontrent aucune opposition cons­

tructive dans ce milieu trop homo­gène (38). » Le caractère très dur et âpre de L. Renault ne le cédait en rien à celui de M. Berliet. Mais il semble bien qu'il ait réussi à associer à la continuité le renouvellement qui fai­sait ,défaut à son rival lyonnais.

M. Lehideux précise cependant que les cadres supérieurs de la S.AU.A. n'étaient pas tout à fait assez nombeux au début des années vingt. Il en va de même pour Peugeot, dont la direc­tion technique en 1922 n'a pas assez d'ingénieurs et doit renforcer ses cadres (39).

Les rapports avec les banques

Le renouveau qui vient d'être décrit touche aussi les relations bancaires du groupe Renault. Le nombre de ses banquiers s'accroît (40). Parmi toutes ces maisons, deux jouent un rôle essentiel avant 1930. Le ~Crédit Lyon­nais consent à Renault des facilités de caisse et d'escompte, des cautions vis-à-vis des Douanes et de l'Aéro­nautique militaire (remises au Crédit Lyonnais: 1926, 44 millions, 1927 -93, 1928 -139) ; le groupe Mirabaud entre­tient avec la S.AU.R. des «rapports étroits» et est le «banquier de plu­sieurs des entreprises en relations avec ses usines» : Automobiles de Place, S.EV., Société française des

-660­

I\ENAULT BILLANCOURT G"LERlE D'E1\POSlTlON

Publicité parue dans l'annuaire LE TOUT­PARIS de 1918.

carburants, Société des transports automobiles industriels et commer­ciaux (41). La banque Mirabaud respecte dans ces « rapports étroits» les prin­cipes définis en ces termes par

L. Renault : «Je compte donc que la trésorerie sera conservée d'une façon suffisante pour les besoins, mais non excessive, que dans les bilans les amortissements et dépréciations seront pratiqués normalement suivant nos méthodes d'avant-guerre, en usage dans notre industrie, que les dépenses de premier établissement devront être aussi réduites que possible, et enfin que la gestion de J'affaire sera pru­dente, en ce qui concerne notamment les distributions de dividende (42) ».

A partir de 1930, la banque principale devient le Crédit Lyonnais, qui entre au conseil d'une filiale de Renault pour les garages, et avec un consortium de banques accorde même des avances. à la S.AU.R., notamment lors de la crise de trésorerie de 1937 (43).

En vérité, l'importance, pour le monde de !'.automobile, des banques et des financiers paraît s'être accrue par rap­port à l'avant-guerre (44) pendant toute cette période. Même si les unes et les autres ont été mal tolérés par les constructeurs. Même si, comme nous l'a assuré M. Lehideux, la banque agis­sait souvent à contretemps par rapport à la réalité industrielle. L'annuaire de la Chambre syndicale des construc­teurs d'automobiles de 1921-1922 révèle la présence de banquiers dans les conseils d'administration de Brasier, Crochat, Mors, Rochet­Schneider, de la S.L.I.M., de S.O.M.UA, d'Unic. La crise écono­mique de 1920-1921 a renforcé cette pénétration de la finance dans l'indus­trie automobile. A la suite de celle-ci, le Crédit Lyonnais a délégué un de ses représentants au conseil de Berliet, qu'il préside de 1921 à 1929(45); un banquier contrôle une autre firme lyonnaise, Cottin et Desgouttes (46) ; Peugeot s'allie avec le financier de l'automobile L. Rosengart qui finance des investissements à long terme par des crédits à court terme (47), et ensuite confie de 1928 à 1930 ses intérêts au banquier Oustric (48); Citroën doit à deux reprises céder les rênes de sa gestion financière, d'abord au même

L. Rosengart de 1921 à 1923, puis à la banque Lazard de 1927 à 1930 (49). De même, pendant la crise de 1929, la maison Voisin obtient d'un banquier des facilités garanties sur son stock (50). Bien entendu, il n'y a aucune commune mesure entre la situation financière de ces cinq dernières firmes et celle où se trouve Renault lorsque, sur la pro­position de ses collaborateurs Fuchs et Rochefort, il accepte en 1922 le concours du groupe Mirabaud (51).

Rien à voir non plus entre la tutelle bancaire sur les firmes précédentes et l'assistance technique de Mirabaud à Renault. Il n'en reste pas moins que Renault s'est mis à collaborer avec Mirabaud comme d'autres au sortir de la crise de 1921, qui laissait sa tréso­rerie à l'étroit. L. Renault craint l'em­prise des banquiers, mais il se sert d'eux à l'occasion. Et lorsque Renault a rompu avec Mirabaud, il a tout de même conservé des liens, certes plus

ténus, avec une banque, en l'occurrence le Crédit Lyonnais. Quand on connaît la volonté d'indépendance et la pru­dence de gestion de Renault, on peut penser que la présence des banques ne relevait pas de la seule conjonc­ture, mais de liens nouveaux qui s'établissaient entre la banque et l'au­tomobile au temps de la production en série. Le propos qu'un de ses bio­graphes prête à L. Renault : «Les banques? Moi vivant, jamais! (52) » est donc, si l'on ose dire, loin du compte. Renouvelée dans sa structure juridi­que, son personnel dirigeant, ses rela­tions bancaires, la maison Renault se trouvait bien armée face aux problè­mes de la croissance d'après-guerre. Elle choisit de reprendre la route de l'intégration des fabrications et des débouchés qu'elle avait déjà suivie avant et pendant la guerre (').

Patrick FRIDENSON

(*) Extrait de : Patrick Fridenson, « Histoire des Usines Renault », tome 1 : «Naissance de la grande entreprise 1898-1939» (Édi­tions du Seuil), pages 122-131.

(1)

Archives du tribunal de commerce de la Seine, convention entre Fernand et Marcel Renault. février 1899 (document aimablement communillué var M. G. Hatry).

(2)

Ibid. convention entre Fernand et Louis Renault. 27 .iuiZZet 1903.

(3)

Archives nationales. 91, AP 80. note de Louis Renault à l'ancien ministre Albert Thomas. 1918 ou 1919.

(4)

Titre du livre d'Émile Servan-Schreiber. varu à Paris en 1917.

(5)

Archives Renault. .iournal varavhé no 12. 1922. Notaire : M. Baudrier. 85. rue Richelieu. Paris.

(6)

M. Laferrère : «Lyon L·me industrieZZe ». Paris. 1960. v. 380-381.

(7)

Archives Crédit Lyonnais. note de mis­sion. 12 iuiZZet 1926.

(8)

Archives Crédit Lyonnais. étude finan­cière à vrovos de la cTéation d'une société foncière Renault. 1~, .:vril 1929.

La Direction générale de la S.A.U.R., de gauche à droite MM. Christian Auboyneau, J. Bonnefon-Craponne, Poisson (agent de publicité),

F. Lehideux, X. (agence Havas), de Peyrecave, Couton (contrôle général), X., Serre, Tordet, André Armand, J. Mettas, Grillot, Giraud, Verdure, Perrin. (document communiqué par M. François Lehideux).

(9)

Archives natiDnales 91 AQ 1 (fDnds Renault).

(10)

Archives Renault..iDurnal varavhé no 12. 1922. Les actiDns de la S.A.U.R. n'Dnt .iamais été cDtées en BDurse.

(11)

Archives natiDnales 91 AQ 1. statuts de 1922.

(12)

Archives Crédit L'lJDnnais. étude citée du 19 avril 1929. NDUS n'avDns VDur le mDment vas vu Dbtenir l'accès aux archi­ves de l'ancienne banQ'ue Mirabaud.

(13)

M. Laferrère. OP. cit. v. 389.

(14)

Interview de M. FranCDis Lehideux. 13 DctDbre 1970.

(15)

A. RhDdes : «LDUis Renault ». LDndres. 1969. v. 101,. seul auteur à aVDir fait allusiDn à cette ruvture (arâce à une interview de M. Lehideux antérieure à la nôtre). la situe en 1926. ce Q'ui ne cadre vas avec la date de l'auamentation de cavital à laQ'uelle il fait vourtant allusion.

(16)

Archives Renault..iDurnal varavhé.

(17)

Cette dernière vente est conue var l'in­terview déià citée.

(18)

Archives natiDnales 91 AQ l.

(19)

Liste communiQ'uée à l'auteur de SDurce vrivée.

(20)

Ces actionnaires sont en cours d'indem­nisation. comme le vrévo'IJait l'ordon­nance de nationalisation.

(24)

Liste établie d'avrès les annuaires des sociétés et A. Hamon : «Les maîtres de la France ». t. 3. Paris. 1938 : passim. Aussi à l'U.C.P.M.I. à vartir de 1932.

(25)

Liste établie d'avrès sa nDtice dans le Dictionnaire de biD.Q'ravhie francaise et d'avrès les annuaires.

(26)

R.-F. Kuisel : «Ernest Mercier. French technDcrat ». Berkele'IJ -Los Anaeles. 1967. v. 26.

(27)

TDUt ceci d'avrès le remarQ'uable travail de C. Graziani et C. Omnes : «Étude d'une entrevrise : VallDurec ». Nanterre. mémoire de maîtrise. 1971. v. 62-63.

(28)

R.-F. Kuisel. OP. cit. v. 61,. 102. 122.

(29)

Entretien avec M. Lehideux. 10 février

1972.

(30)

Archives nationales 91 AQ 39. note d'oc­tobre 1937 et A.N. F 12 801I,. M. Flaaeolet indiQ'ue un Guillelmon. rentier. varmi les actionnaires initiaux de Panhard en 1897 : «Une firme vionnière : Panhard et Levassor .iusQ'u'en 1918» -Le Mouvement social. DctDbre-décembre 1972. v. 34.

(31)

E. Duc reste cevendant administrateur des Huiles Renault et d'autres sociétés du arouve Renault (interview de

M. E. Duc. 19 .iuillet 1972).

(32)

Archives Nationales 91 AQ 1. statuts de 1922.

(33)

Interview citée de F. Lehideux. Ceven­dant Chamvin et Lehideux tentèrent de le réunir vlus souvent lors de la arave

(39)

Ph. Girardet. OP. cit. v. 126.

(40)

Archives nationales 91 AQ 39. mémentO' sur l'oraanisation de la cDmvtabilité néné­raie. Juillet 1926. En 1926. la S.A.U.R. a des comvtes auvrès de la BanQ'ue de France (Bouloane. Paris). la BanQ'ue Nationale de Crédit (Paris). de Mirabaud et Cie (Paris). du Crédit CDmmercial de France (Paris). de Davillier et Cie (Paris). de la BanQ'ue de Paris et des Pa'IJs-Bas (Paris). du ComvtDir National d'Escomvte (BDulonne). du Crédit L'lJDn­nais (Bouloane. Paris. Le Mans. Tou­louse. Bruxelles). de la banQ'ue du Rhin (Strasboura). de la SDciété aénérale (Boulonne. Anaouléme. Di.iDn. Mantes. Nice. Rennes). de la Midland Bank Ltd (Londres) et de J.-P. MDr.Q'an (New York) et Moraan-Har.iès (Paris).

(41)

Archives Crédit L'lJDnnais. étude citée du 19 avril 1929.

(42)

Archives nationales 91 AQ 54. lettre de

L.

Renault à la banQ'ue Mirabaud. 13 mars 1922.

(43)

P. Fridenson : «HistDire des Usines Renault ». t. 1. Paris. 1972. v. 1I,6. 215.

273. 275.

(44)

P. Fridenson. OP. cit. v. 31.

(45)

M. Laferrère. 00. cit. v. 382 et 386.

(46) Ibid. v. 384.

(47) Ph. Girardet. OP. cit. v. 130. 132 et 142.

crise de trésorerie de 1937. (48) R. Sédillot : «Peuaeot. De la crinDline la SDciété aéronautiQ'ue LatécDère : cf.

(21) Le vrince Charles Murat travaillait vour

à la 1,01, ». Paris. 1960. v. 121,.

(34) Archives nationales 91 AQ 1. assemblées

D. Daurat. «Dans le vent des hélices ».

(49) S. Reiner : «La traaédie d'André

aénérales des 19 ianvier 1929. 16 iUin 1932, 28 .iuin 1933. 30 Juin 1937 et A Q 39.

Paris. 1956. v. 119.

Citroën» v. 171,.175. 202. 203. 332. 344. 346.

E. Moreau : «SDuvenirs d'un nouver­actionnaires au 30 sevtembre 1936. Berliet (35) Ph. Girardet : «Ceux Q'ue i'ai connus ».

(22) Archives natiDnales91 AQ 66. liste des note d'octobre 1937.

neur de la BanQ'ue de France ». Paris. 1951,. v. 342 et 352.

avait aussi sa vrovre marQ'ue d'huiles Paris. 1952. v. 128-129.

(M. Laferrère. OP. cit. p. 389).

(50) G. VDisin. OP. cit. v. 13l.

(36) G. Voisin. «Mes mille et une voitures ».

(23) M. Jordan: «QuelQ'ues remarQ'ues sur les Paris. 1962. v. 157-158.

(51) A. Rhodes. 00. cit. v. 104.

su.iets d'actualité et sur un exemvle

d'éconDmie dans une société anon'IJme ». (37) Ceci n'excluait nullement les divernences (52) Saint-Louv : «Renault de Billancourt ».Montbéliard. 1936. v. 22. 26. 29. de vues à court terme.

Paris. 1961. v. 239.

FICHE" TECHNiQUE

Moteur; à pêtrole 4 temps situê à l'avant, monocylindre -Alésage 90 -Course .110 (4 CV). Régime: 1 600 tr/mn. 'Refroidissement par boîte à eau située sous le réservoir il essence,Carbu­rateur à niveau constant. Commallde d'accélération (admission des gal) à maÎn. Embrayage: à

"cÔne garni de cuir. Boîte de vitesses: à '3 vitesses AV et marche AR. La troisième vitesse est en « prise directe », Vitesse maximum : 30 km/ho Châ'ssis: en tube d'acier sans soudure. Poids en ordre de marche: 300 kg. Pont AR: il différentiel à bain d'huile. Transmission il double joint '« ;,.' la cardan ». Commandes: guidon <.k commande de direction sous lequel sont grou· pécs ': là command~ de carburateur, la commande d'accélérateur, l'avance il l'allu;nage. A portée de la main gauche: poignée de changemem de vitesses ct poignée' de marche AH. A portée de la main droite: frein à main agissant sur . les 'roues !\H (tambour CH fOllte, serré par ulle hallde garnie dè cuir). Une seule pédale assurant le dé'/'rilyav,c d, en fin de course. 1(, freinage sm la transmission.

CCinstruiti! e'n 1900 dans les ateliers des (rères R(~nt.rtllt. 10' voitun·ttf~ tvpr C ;Iait é9U(Pf'(~ d'ut! flll,fPfH' :l .(}H ~I CV va ('''(H',~ Elle .pris~ntait J~efJx' s~lut'ions ,techniques révo!utiù(t/HIÎrCttrlour '1~'é;Hiqu,~ : ln Ir;l.fI,'JltlifiSiufl ô duuhtt! joint d lu CfUt!Uf, ~. f~t i>Ht'tnat /u

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