04 - Naissance de la 4 CV

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Naissance de la 4 CV

Je suis entré aux Usines Renault le 4 juin 1935, à la suite de la mise en liquidation de la Société des Automo­biles Delage où j'avais commencé ma carrière industrielle en novembre 1927. Adjoint à Auguste Riolfo, au service des essais s p é c i a u x, j'avais fait mon apprentissage des essais d'automobile sur route et des essais d'organes au banc, lorsqu'arriva la mobilisation de septembre 1939. Après un court séjour sur le front de Lorraine comme officier d'artillerie, je revins aux Usines Renault, en affectation spéciale, début décembre, et Louis Renault me mit à la disposition d'Alfred Asselot, Direc­teur général de Caudron-Renault et de la Société des Moteurs Renault pour l'Aviation (S.M.R.A.), pour m'occuper particulièrement de la production des moteurs d'aviati on Renault, que Caudron montait sur ses bombardiers légers Goëland et ses avions de chasse

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C'est dans cette position que je vécus les événements de juin 1940 et le repli vers Vichy et Gannat de l'ensemble du personnel Caudron et S.M.R.A.

Début septembre 1940, Louis Renault qui était revenu des États-Unis, où le gouvernement français l'avait envoyé en juin 1940, à la tête d'une mission pour livrer au Pentagone le dossier des dessins des chars B, me fit appeler dans son bureau. Il m'informa qu'il me retirait de la direction de la S.M.R.A. « où je n'avais plus rien à faire d'utile », et m'affectait aux Études, comme adjoint à Edmond Serre.

Passé les premiers jours de septembre 1940, où avec Edmond Serre nous nous étions regardés en chiens de faïence, lui parce qu'il était mécontent que Louis Renault ait éprouvé la nécessité de lui imposer un adjoint, moi parce que je le sentais dans cet état d'esprit, la détente peu à peu vint. Nous avions sur la situation des sentiments com­muns : traumatisme de la défaite, haine de l'occupant, mépris pour les hommes de Vichy, et les mêmes espoirs pour l'avenir. C'était à l'époque une bonne base de rapprochement.

Le traité d'armistice interdisait toutes études nouvelles dans le domaine des voitures particulières et des véhicules utilitaires. L'activité du bureau d'études se trouvait donc limitée à l'étude de la mise en fabrication des gazogènes à charbon et à bois, et à leur adapta­tion aux véhicules en circulation. J'avais, au cours des années 1936 à 1939, effectué d'i mportantes recherches aux essais spéciaux sur les modifica­tions à apporter aux différents moteurs pour les alimenter avec des gaz de gazogène. Il n'y avait pour moi, dans ce programme, qu'un travail de routine; quant à Serre, il ne s'y intéressait pas du tout.

Parlant au jour le jour des nouvelles diffusées le soir par les emlssions londoniennes de la France Libre, des mouvements de péniches que nous constations sur la Seine en direction de l'ouest, des bruits de tentatives et d'échecs de débarquements sur les côtes anglaises, qu'apportait la rumeur publique, nous en vînmes à rêver ensemble des jours où nous serions à nouveau libres... Projet d'abord ver­baux, vagues, presque éthérés. Louis Renault ne parlait pas à Serre de l'avenir. Je ne le rencontrais pas. Contrairement à ses habitudes d'avant­guerre, il ne venait plus jamais au bureau d'études. On le vit une seule fois, en décembre 1940, se pencher tude de son neveu, François Lehideux, nommé par Pétain Haut-commissaire à l'emploi, il passait son temps à je ne sais quel soliloque morose, se désin­téressant des études qui, avant la guerre, retenaient toute son attention.

Avec Serre, nous essayâmes d'ima­giner ce que serait la période d'après­guerre. Dans nos réflexions, nous ne retenions que l'hypothèse de la victoire Dans quel état nous laisseraient les batailles de libération du territoire? Une seule certitude s'imposait à notre analyse : la pauvreté de notre pays au lendemain de sa libération serait grande, aussi bien en matières pre­mières qu'en essence et en moyens d'achat. Ce qui impliquait que nos voi­tures du programme d'avant-guerre : Juvaquatre, Novaquatre, Primaquatre, Vivaquatre et Vivasix, seraient inadap­

sur la planche à dessin où Bœuf essayait de placer un gazogène sur un tracteur agricole, car le retard des labours de ses fermes d'Herqueville, par manque de carburant, le préoccu­pait. Écrasé par les événements, rongeant son frein de ne plus être le maître absolu des usines, deux commissaires allemands (le Prince Von Urach et le Dr Scheepert) étant là pour le contrôler, mécontent de l'atti-

Page de journal personnel du 9 octobre 1940.

des Alliés. Mais il y avait derrière elle beaucoup d'incertitudes. Comment et quand se passeraient les événements décisifs? D'ici là, à quelles tourmentes serions-nous soumis? Que deviendrait l'outil de production que constituaient les usines? Nos meilleures machines seraient-elles emportées Outre-Rhin? Nos ateliers seraient-ils bombardés? Serions-nous contraints à fabriquer du matériel de guerre pour les occupants?

tées à la situation nouvelle. Début novembre, nous étions arrivés à pen­ser qu'il fallait envisager une voiture totalement différente, de petites dimen­sions pour exiger peu d'acier, de cons­truction économique pour être vendue bon marché, de performances réduites pour consommer peu d'essence, mais surtout pas un cyclecar comme on en avait construit après la première guerre mondiale, une vraie voiture une Simca 5 améliorée et non une Zèbre. Serre en parla, au cours d'une fin de semaine à Herqueville, à Louis Renault qui haussa les épaules: «On fera la Juvaquatre et la Primaquatre. Rien d'autre".

Malgré cela, nous poursulvlmes nos réflexions, faisant des croquis sur le bord de la planche à dessins, sur des feuilles de bloc-notes, déchirés aussi­tôt que terminés et emportés pour être brûlés à domicile. L'idée mûrissait. Des chiffres s'imposaient à nos esprits : Puissance maximum 4 chevaux fiscaux, c'est-à-dire un moteur de moins de 760 centimètres cubes de cylindrée; une carrosserie à 4 places et 2 portes, malgré l'échec en 1938 de ce type de carrosserie sur la Juvaquatre. Poids maximal de la voiture en ordre de marche: 450 kilogrammes, alors que la Juvaquatre en pesait 760, ceci pour être certain de l'économie de matière et du prix. 80 kilomètres à l'heure nous paraissaient suffisants pour la vitesse maximale. Il nous paraissait nécessaire étant donné la cylindrée du moteur, de prévoir 4 étages à la boîte de vitesses plutôt que trois, malgré son coût élevé. Longueur hors tout en-dessous de celle fixée par la réglementation des garages, pour bénéficier du prix de location minimal, soit 3,70 mètres.

Les difficultés commencèrent quand il fallut décider de la position du moteur et des roues motrices. Nous étions d'accord pour éliminer la solution tra­ditionnelle du moteur avant et des roues arrière motrices. Le plancher plat nous apparaissait indispensable au confort des places avant et arrière. Mais devions-·nous adopter la solution à traction avant, ou la solution à moteur arrière?

Serre qui, en compagnie de Louis Renault, avait en février 1939, au Salon de Berlin, vu exposés les seuls exem­plaires existants de la KDF (Kraft Durch Freude -la force par la joie) du Docteur Porsche, penchait à priori pour la solution du moteur arrière. Évidemment, les documents manquaient pour se référer à cette réalisation qui n'était pas construite en série. Aucune opinion de journalistes sur des essais.

Quelques photographies dans des revues de 1939 : « La Vie Automobile" du 1 0 mars, et «Science et Vie" de mai, où Charles Faroux et Henri Petit rendaient compte du Salon de Berlin.

J'étais personnellement, à priori, pour la solution traction avant, par suite du succès de la 11 et de la 15 CV Citroën, et aussi par ce que j'avais lu

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dans la presse sur la médiocre tenue de route des voitures Tatra à moteur arrière.

La question resta ouverte plusieurs semaines.

Pendant que je faisais des recherches dans les revues techniques sur les réalisations des 10 dernières années, dans les deux techniques, Serre demandait à Chenevoy, qui, dans l'or­ganisation des études était chargé de calculer les devis des projets en cours, de nous fixer sur la différence de prix entre les deux solutions.

La question des joints de transmission, obligatoirement homocinétiques dans le cas de la traction avant, était évidem­ment l'obstacle principal.

Dans les années qui précédaient la guerre, Renault avait construit un pro­totype de tracteur d'artillerie tout ter­rain à 4 roues motrices, et tous, aussi bien aux études qu'aux essais, avaient le souvenir des difficultés que l'on avait rencontrées lors de sa mise au point, avec le comportement du train avant et la tenue des moyeux de ce véhicule.

Voiture 4 CV n° 1 -Vue de profil.

Les ennuis que Citroën avait eus avec le train avant de la 7 CV lors de son lancement en 1934 étaient encore dans toutes les mémoires, d'autant plus que notre service commercial -c'était de bonne guerre -en avait exagéré l'im­portance.

Le secret où nous étions contraints de travailler, du fait des clauses de l'armistice et de l'opposition de Louis Renault à une étude nouvelle, nous empêchait de prendre tout contact avec l'extérieur pour élucider ce pro­blème; pas plus avec J.-A. Gregoire, qui était le spécialiste incontesté de la question et l'inventeur du joint Tracta, qu'avec la Société Glaenzer, le seul fabricant français de joints de cardan, d'autant plus que Renault à cette épo­que fabriquait tous les joints équipant sa production.

L'impossibilité de consulter à l'extérieur des usines et de passer commande, pour cet impératif du secret, devait d'ailleurs nous causer beaucoup d'au­tres difficultés. Pour des raisons d'en­combrement et de prix, nous ne pou­vions adopter les équipements et accessoires de la Juvaquatre de série: carburateur, allumeur, génératrice, démarreur, freins, projecteurs. Fort heureusement, la forte intégration des productions des usines Renault, à l'époque, devait nous permettre de réaliser cette étude par les seuls moyens de l'usine de Billancourt, à l'exception du carburateur qui fut pris sur un moteur de motocyclette, et du distributeur d'allumage prélevé sur une Simca 5.

La pauvreté de nos moyens d'études en hommes, et toujours la nécessité du secret, nous empêchait de réaliser ce que nous aurions certainement fait en période normale: deux études et deux prototypes, l'un à traction avant, l'autre à moteur arrière, laissant à Riolfo (Directeur des essais) et à Chenevoy, le soin de les départager après essais et calcul du prix de revient.

Les documents préliminaires à cette étude ont malheureusement disparu au cours de l'incendie de mon bureau pendant le bombardement de la nuit du 2 au 3 mars 1942, en même temps que la totalité des archives des études. La confrontation de ces papiers et notes diverses avec la réalisation n'aurait pas manqué d'intérêt.

L'enquête sur les réalisations récentes des différentes solutions donnait assez peu d'indications positives pour le choix. Alors que pendant la période historique, la solution à moteur arrière avait eu beaucoup d'adeptes, afin d'éli­miner les difficultés de la transmission du mouvement entre le moteur, situé comme le cheval à l'avant, et l'essieu arrière moteur et supprimer les trans­missions à chaîne ou à courroie ­depuis la « Rapide" de Bollée de 1881, à l'Oldsmobiie «Curven Dash" de 1901, en passant par le break de chasse de Delamare-Debouteville ~ (1883), la Victoria de Gottlieb Daimler (1886), la voiturette à pétrole de Benz (1885), la voiture Rochet (1886), le quadricycle Panhard (1893), la voi­ture Tatra de 1897, la voiturette 3,5 CV de Dion Bouton de 1899, la Fiat de 1899 -les réalisations récentes étaient peu nombreuses, presque toutes déri­vant des travaux du Professeur Porsche, aussi bien en voitures de course (Benz Tropfenwagen -1923) et Auto-Union (1934), qu'en réalisation de série: Tatra 77 (1938) et Mercedes 130 et 170 (1934).

Après la Première Guerre mondiale, la recherche d'abaissement des prix de revient avait amené des réalisations, en France le cyclecar Autocyclette (1923), en Allemagne les taxis de Berlin par Rumpler (1920), la « Rollende Kommisbrod » (1) d'Hanomag (1925), en Angleterre, Trojan 1 100 cm" (1922) et Rover 1000 cm" (1936)... mais aucune de ces productions ne s'était main­tenue en série très longtemps, à part les voitures Tatra, cette marque tchè­que étant restée fidèle au moteur arrière depuis ses origines. En Angle­terre, la 1 100 cm" Trojan avait connu ~ix années de succès commercial, ainsi que la 1 000 cm3 Rover construite encore en 1939.

De nombreux chercheurs indépendants avaient aussi, entre les deux guerres, construit des prototypes suivant ce schéma dans la catégorie des puis­.3antes voitures de luxe : en France, Claveau avec sa «Regina» en 1924­1925, Dubonnet avec sa «Narval» en 1938; aux États-Unis, la Sterkenburg de Briggs en 1933, la Stout Scarab en 1935; en Angleterre, la Mastra, la Damistown-Borney (1935), '" mais aucune n'avait dépassé le stade du prototype ou de l'avant-série.

Pour la solution à traction avant, la période historique était moins riche que pour le moteur arrière, du fait de la difficulté de la transmission et du poids du moteur sur les roues direc­trices : Latil en 1899, la Christie améri­caine en 1906 (encore cette voiture était-elle la première voiture à 4 roues motrices). Il fallait arriver aux années d'après-guerre pour voir apparaître vraiment cette solution. En 1925, avec Miller sur un prototype de course et la voiture prototype de Bucciali en France.

Après rfnvention du joint Tracta par J.-A. Gregoire en 1925 et le succès technique de la première voiture Tracta en 1926, c'est avec la licence Tracta un développement rapide : en Grande­Bretagne, Alvis (1927) ; en Italie, Itala (1928); la voiturette DKW en 1930, l'Adler Trumpf en 1931, la Super-Trac­tion Rosengart en 1933, et surtout la 7 CV Citroën en 1934.

Un échec retentissant : les voitures Cord aux États-Unis .qui, après 3 ans d'efforts de 1929 à 1932 et quelques 6000 voitures livrées, renonçaient à cette construction.

Il aurait été intéressant de savoir pour­quoi, ici et là, certaines réalisations avaient connu le succès et d'autres un échec commercial... Mais les circons­tances rendaient impossible cette en­quête en Angleterre et en Allemagne, et même aux archives de la Chambre Syndicale des Constructeurs d'Auto­mobiles.

En définitive, la réussite de Citroën, Rosengart et DKW apportait un avan­tage marqué dans les dix dernières années à la traction avant, alors que le moteur arrière ne pouvait reven­diquer que le succès limité de Tatra, de Daimler-Benz et de Rover, tous hors de France.

En ce qui concerne les calculs de Chenevoy sur les prix de revient, ils marquaient l'avantage du moteur arrière sur la traction avant, le coût des joints homocinétiques et de la structure avant du châssis, nettement plus élevé que dans le cas du moteur à l'arrière, ne contrebalançant pas la différence de coût du refroidissement et des com­mandes à distance dans ce cas. Les deux solutions étaient toutefois moins coûteuses que la solution tradition­nelle moteur à l'avant et roues motrices à l'arrière.

Finalement la décision fut prise par Serre, en s'appuyant sur la nécessité du secret et en donnant comme argu­ment principal, que jamais le patron n'admettrait que l'on consultât Gregoire et qu'on lui achète une licence de ses brevets sur les joints Tracta... Je ne sais s'il en avait parlé à Louis Renault.

Ainsi, tout paraissant défini, il ne res­tait qu'à passer à l'étude de l'avant­projet, malgré l'opposition du patron à toute étude nouvelle et l'interdiction des autorités d'occupation.

On était en décembre 1940. La pro­duction de 70 camions AHS et AHN par jour était immobilisée sur des chan­delles en bois par défaut de pneuma­tiques, dans les rues de l'usine et sur les quais de la Seine, entre le pont de Sèvres et le pont des Peupliers. Des affiches antianglaises, qui évo­quaient Jeanne d'Arc, Napoléon 1er, Mers el-Kébir, et juin 1940, couvraient les murs de Paris. L'armée d'Égypte des Britanniques remportait ses pre­miers succès dans le désert occiden­tal. Laval connaissait sa première dis­grâce. Premières éclaircies dans notre ciel sombre... Ragaillardis par ces nou­velles qui allaient dans le sens de notre hypothèse, nous décidâmes de sauter le pas. Les chefs de services d'études: Henri Guettier pour la mécanique, Robert Barthaud pour la carrosserie, Payen et Baillargeau pour le matériel électrique, ainsi que Riolfo, Directeur des essais, furent mis dans le secret. Je me chargeais tout particulièrement du moteur, André Burguiere, chef des études moteurs, étant passé inextre­mis, en juin 1940, avec sa famille en Angleterre. Il était convenu qu'un autre projet, intéressant les gazogènes et les camions, à portée du projeteur, devrait venir couvrir la planche à des­sin en cas de visite inopinée du patron ou des occupants, et que nul ne devait parler à qui que ce soit, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'usine, de cette étude.

L'hiver de 1940 et le printemps de 1941 furent occupés par les avant-projets, les projets et les études. Avec Maurice Amise qui dessinait le moteur, je passai de longues et agréables heures sur la planche à dessin. Comme nous avions du temps pour réfléchir, nous calculions tout ce qui pouvait l'être et cherchions les meilleures combinai­sons technologiques pour assurer la sécurité et le bas prix de revient. Il ne pouvait être question, comme on le faisait d'habitude, de consulter les ser­vices de méthodes et les départements de production pour avoir les conseils des fabricants. Certaines pièces essen­tielles, comme la culasse, amenèrent des discussions très longues et d'in­nombrables projets car je désirais inclure dans la pièce de fonderie le maximum d'éléments, en particulier les supports des axes de culbuteurs, et Amise m'opposait, très justement d'ail­leurs, les difficultés de la fabrication. Pour diminuer au maximum le poids sur l'axe arrière, nous avions décidé de faire le carter-cylindres en aluminium avec cylindres rapportés. Pour pouvoir tourner vite -sans ennuis mécaniques ­nous avions remonté au maximum l'ar­bre à cames dans le carter, afin d'avoir de très courtes tiges de commandes des culbuteurs. Enfin, pour réduire au maximum les dimensions du carter­moteur, nous avions adopté des bielles à goujons pour limiter la mandoline (lieu géométrique de l'extérieur de la bielle dans sa course). Serre suivait plus particulièrement les études de la carrosserie et de la mécanique, et comme nous ne pouvions nous réunir pour discuter des solutions proposées autour des tables à dessin des pro­jeteurs, deux à trois fois par semaine

(1) «Rollende Kommi8brod» veut dire en françai8 «Pain du Peuple », ce Qui montre bien Que le con8tructeur vi8ait un marché populaire avec cette vetite voiture dè8 1925, 13 an8 avant la KDF d'Hitler.

les tracés étaient apportés dans notre bureau et nous échangions nos réflexions, Serre et moi, entre dix-huit et dix-neuf heures trente, les ingé­nieurs et dessinateurs partis.

Il était évidemment difficile de main­tenir ces travaux secrets alors qu'une quinzaine de personnes étaient dans la confidence, la plupart y consacrant tout leur temps. Les choses se pas­sèrent bien tant qu'on ne fit que noir­cir du papier. Mais on ne pouvait en rester là. Serre appela un soir le chef du modelage, Dubois, et lui remettant des dessins, lui demanda de réaliser des maquettes en bois de la bielle, du moteur et de la boîte de mécanisme.

Un matin de mai 1941, alors que dans un coin dérobé de l'atelier d'études nous examinions à trois, Serre, Amise et moi, la maquette du moteur, réalisée avec tous ses détails, le chef de l'ate­lier d'études, Tricoche, siffla entre ses dents, et nous aperçûmes un peu en retrait Louis Renault, les mains dans les poches de son veston, les pouces à l'extérieur, suivant une attitude qui lui était familière, qui nous regardait... Serre rougit, comme un enfant pris en faute, et bredouilla quelques mots. Le patron nous bouscula pour appro­cher. Sans une parole, il tourna autour de l'objet de notre examen... Puis sortant les mains de ses poches, il se mit à le caresser avec concentration, comme il l'aurait fait d'une oeuvre d'art. Jamais je n'ai tant vu ses mains que ce jour-là. Avec Serre nous nous regardions, inquiets de sa réaction...

« C'est beau. Qu'est-ce que c'est?".

Serre, embarrassé, lui expliqua : « Comme Picard avait du temps libre, il a dessiné ce petit moteur à culbuteurs pour la Juvaquatre, ou éventuellement pour une petite voiture à moteur arriére, si vous vouliez qu'on en fasse une. Nous avons fait cette maquette pour avoir une idée de l'objet. Mais nous ne pouvons aller plus loin. Nous n'en avons pas le droit".

Ces mots déclenchèrent la réaction qu'il en attendait. Louis Renault ouvrit alors les yeux qu'il tenait mi-clos, pen­dant que ses mains parcouraient les formes de notre engin. Un éclair y passa.

«Pas le droit? M'en fous".

Se tournant vers moi, il ajouta « Faites trois moteurs, et celui-là dans mon bureau".

Il prit alors dans sa main la maquette de la bielle et m'interrogea du regard.

« Cette bielle, où nous avons remplacé les deux boulons ajustés qui serrent le chapeau sur le corps par deux goujons venar.t de forge avec le corps, est sem­blable à celle du moteur. V 8 Ford. C'est un brevet Esnault-Pelleterie de 1906. Elle a l'avantage de présenter un moindre encombrement dans sa tra­jectoire, donc de réduire les dimen­sions du carter en coupe transversale. Mais elle coûte un peu plus cher à fabriquer à cause de l'acier et de l'usinage ".

«Bon. Continuez".

Il prit la maquette de la bielle, la mit dans sa poche et nous laissa.

On fit descendre la maquette dans son cabinet de travail. Elle y resta quelques semaines dans un coin. Il la montra à une certain nombre de ses principaux collaborateurs, sans rien ajouter, comme s'il s'agissait d'une sculpture ou d'un objet curieux... puis la fît retourner à l'atelier d'études.

Mais forts de son accord, nous lan­çâmes en fabrication trois moteurs, et par extension les pièces nécessaires pour la construction de deux voitures. Serre ne m'a jamais dit si Louis Renault avait évoqué cet incident quand ils s'étaient retrouvés seul à seul. Il ne m'en parla pas jusqu'au jour où il essaya la voiture au printemps de 1943, mais il me parla de nombreuses fois de la bielle, désirant qu'on reprenne le dessin de celles des moteurs des voi­tures Juvaquatre, Primaquatre et Viva, suivant le même principe.

Début décembre, les pièces consti­tuant le premier moteur arrivèrent sous des dénominations diverses à l'atelier des essais spéciaux. Cet atelier 153, que dirigeait Riolfo, était célèbre chez Renault car le patron y envoyait toutes les difficultés techniques de tous les secteurs. On fît assembler ce moteur par Revillet, un vieux compagnon très sûr, et le 7 février 1942, le premier moteur, d'une cylindrée de 757 cen­timètres-cubes (alésage 55 mm, course : 80 mm) tournait sur un des bancs d'essai, au milieu des gazo­gènes et des moteurs que nous ten­tions de faire fonctionner avec les carburants les plus variés : alcools éthylique et méthylique, huile d'ara­chide, hUile de ricin, huile de palme, acétylène, gaz de ville, gaz de gazo­gène...

Ces premiers essais furent très satis­faisants : 19,2 chevaux pour la puis­sance maximale au premier coup alors que notre projet n'en exigeait que 18 (Annexe 1). Ceci nous permettait d'en­visager certaines économies de cons­truction que nous avions hésité à adopter. Nous étions loin de nous douter qu'on exigerait plus tard beau­coup plus de ce petit moteur, au cours de sa carrière sportive imprévue.

Parallèlement, les autres éléments de la voiture arrivaient à l'atelier d'études. Depuis l'aventure de la maquette moteur, nous avions pris des mesures de sécurité en dissimulant mieux les

« nouveautés"

Le bombardement de la nuit ,du 2 au 3 mars 1942, qui détruisit les ateliers de Billancourt à quarante pour cent, entraîna de sérieuses perturbations dans nos projets, Le bâtiment en bor­dure de l'avenue Émile-Zola, qui abritait au 2e étage le bureau d'études, fut totalement incendié, A l'aube du 3 mars, il n'en restait que des décombres ~: fumants au ras du sol et quelques treillis de poutrelles tordues que les pompiers arrosaient méthodiquement. Tous les dessins de la 4 CV étaient détruits avec la totalité des archives des études, ainsi que toutes mes notes de réflexions et de calculs... Par chance, l'atelier 153 où notre moteur était au banc, et l'atelier d'études où étaient rassemblées les premières pièces de la voiture prototype, n'étaient pas directement touchés : vitres cas­sées et toits envolés n'étaient pas des dégâts trop graves. Immédiatement, nous mîmes nos dessinateurs à la recherche des «bleus" en cours de fabrication dans les ateliers, pour reconstituer nos archives et faire dis­paraître des documents compromet­tants, Pendant quelques mois, par nécessité, les travaux ralentirent, Toutes les canalisations d'eau et d'élec­tricité étaient coupées; nous ne pou­vions plus faire tourner le moteur 'au banc d'essai. On déblayait les ateliers de fonderie, forge, sérieusement en­dommagés. La plus grande partie de l'effectif du bureau d'études fut trans­férée dans un appartement au 2e étage de l'immeuble, contigu à l'hôtel parti­culier qu'habitait Louis Renault, au coin de l'avenue Foch et du boulevard de l'Amiral-Bruix. On ne conserva à Billancourt qu'un échelon réduit, qui fut installé dans le local de l'atelier d'études. Par prudence, les «bleus" de la 4 CV retrouvés dans les décom­bres, dans la boue et l'huile, souvent à demi-déchirés, furent centralisés pour reconstituti~n dans les bureaux de l'avenue Foch. Serre chargea Camille Morvan, chef de la section dessins du bureau d'études, de la

reconstitution des archives détruites

et de leur reproduction sur microfilm,

afin d'éviter le retour d'une semblable

catastrophe (Annexe IV).

Voiture 4 CV nO 1 -Vue 3/4 avant.

Le 23 décembre 1942, la première voi­ture, peinte vert d'eau -une des tein­tes des Juvaquatre livrées en série en juillet 1939 -à la nuit tombée, descen­dait de chez Tricoche chez Riolfo, pour commencer ses essais. Elle pesait en ordre de marche, avec tous les pleins, 457 kilogrammes La carrosserie était en tôle d'aluminium. Elle n'était pas belle... elle était même affreuse. Dans un but d'économie, Barthaud avait tenté de réaliser une voiture symé­trique utilisant des emboutis communs pour l'avant et l'arrière. Nous n'avions pu, comme de coutume, réaliser ni une maquette à petite échelle, ni une maquette plâtre en vraie grandeur. Les dessins tirés du grand plan étaient directement passés des mains du dessi­nateur dans celles des menuIsiers d'Edant, qui avaient fait les formes nécessaires à ses tôliers pour former au marteau les éléments. A mesure de l'assemblage, nous nous étions rendu compte de la laideur de la nou­velle née. Ronde, courte et trop haute de l'avant, lourde de l'arrière... Dans l'ensemble, «rondouillarde» de par­tout; la couleur claire ne l'améliorait pas. Tant pis, on en redessinerait immédiatement une autre; Barthaud, piqué au jeu, s'y remit aussitôt. L'es­

sentiel était de rouler pour mettre au point la mécanique.

Riolfo au volant, Serre à ses côtés, Guettier et moi à l'arrière, nous nous engageâmes au petit matin du 4 janvier 1943 dans une première sortie. L'opti­misme régnait. L'encerclement des armées d'Hitler à Stalingrad, les suc­cès militaires des Anglo-Américains en Afrique du Nord, nous y incitaient et aussi le fait que cette voiture rou­lait. Nous ne doutions plus de la vic­toire finale et nous lui assignions une date plus proche qu'elle ne devait être en réalité. Le temps pour mettre à exé­cution notre projet se restreignait, 1943 nous apparaissant comme l'an­née décisive. Les quais, le pont de Sèvres, la route de Versailles par Sèvres..., la circulation était réduite par les nombreuses restrictions d'alors. Nous avions immatriculé la voiture du numéro d'une des voitures Juvaquatre de service et collé sur le pare-brise l' « ausweiss" barré de rouge qui l'au­torisait à circuler. Les soucis de cha­cun étaient trop nombreux pour qu'on fit attention à nous. Par la côte des Gardes, nous gagnâmes les bois de Meudon. Le sol était sec, il faisait beau; légère gelée et soleil voilé par une petite brume.

Serre, qui connaissait très bien ces bois pour y avoir fait de nombreux essais avec Louis Renault entre 1900 et 1914, nous fit quitter la route gou­dronnée et prendre des chemins de forêt. Pendant plus d'une heure, cha­cun à notre tour, nous primes le volant, seul dans la voiture ou tous les quatre, escaladant les côtes qui dans cette partie sont assez rudes, empruntant les pistes non empierrées, démarrant en rampe, freinant en descente... La vitesse maximale sur plat fut chrono­métrée à 84 kilomètres à l'heure ce qui, avec la démultiplication prévue, correspondait à 5200 tours par minute pour le moteur. La route du Pavé des Gardes, côté Chaville (17 pour cent), fut montée en prise directe avec les 4 personnes dans la voiture (Annexe V).

Nous rentrâmes de cet essai assez satisfaits et d'un commun accord déci­dâmes pour réduire le prix de revient -de reprendre l'étude de la boite de vitesses pour supprimer le quatrième étage que la puissance du moteur et le poids de la voiture ne rendaient pas nécessaire. Il y avait évidemment beaucoup à travailler : le moteur chauffait par insuffisance de circulation d'air, les vitesses étaient difficiles à passer d'autant plus que l'on débrayait mal, la tenue de route laissait à désirer. Les cannelures des arbres de cardans des roues étaient déformées en torsion. Mais l'outil que nous avions en mains sortait de l'abs­trait. Ce jour-là, pour nous l'après­guerre commençait.

Déjà, cette voiture n'était plus seule dans la clandestinité. Sorti de sa tor­peur de septembre 1940, aiguillonné par la destruction des usines en mars, Louis Renault faisait enfin des projets d'avenir... Ils ne coïncidaient pas avec les nôtres, mais avec Serre nous avions décidé de ne pas les discuter. Le patron voyait un programme iden­tique à celui de l'avant-guerre : la Juvaquatre rénovée, c'est-à-dire avec les freins hydrauliques et un châssis, car il n'avait jamais accepté la cons­truction des carrosseries-coques, et il lui attribuait les défauts de cette voi­ture en particulier sa médiocre tenue de route; une Primaquatre avec une carrosserie toute nouvelle et peut-être un nouveau moteur 4 cylindres 11 CV, et une Viva avec un moteur 6 cylindres dérivant du 11 CV, ces moteurs d'une conception identique à celle du moteur 4 CV que le patron avait adopté sur maquette!

Beaucoup de travail pour nos dessi­nateurs et nos compagnons.

L'installation de nos projeteurs avenue Foch avait simplifié les consignes de secret, bien que les locaux de la Gestapo soient voisins des nôtres. Chaque jour, la fourgonnette qui assu­rait le courrier entre le bureau d'études et les usines de Billancourt emportait au tirage les calques des dessins des nouveaux modèles -et même quelques paquets de tracts ou de journaux clandestins -car le chauffeur, mem­bre de l'O.C.M. (1) comme moi, profi­tait de l'occasion pour assurer à moin­dre risque leur distribution.

La voiture nO 1 sortait souvent, cha­que fois que Riolfo en avait l'occa­sion, pour toutes les mises au point qui s'imposaient refroidissement, embrayage, commandes de vitesses et de freins... Trop souvent, car un jour de mai 1943 le Prince Von Urach,com­missaire du G.B.K. auprès de Louis Renault, fut alerté et me convoqua à son bureau. Je n'avais eu jusque-là que peu d'occasions de le rencontrer, les contacts entre les divers services de l'usine et lui se faisant par l'inter­médiaire de deux ingénieurs qui connaissaient bien la langue allemande et n'avaient aucune fonction organique aux usines, Guérin et De Castelet.

Le Prince Von Urach en imposait par sa prestance. Grand, corpulent, d'un abord agréable mais distant, il avait passé de peu la quarantaine et le paraissait bien. Son visage, aux traits mous, marquait une fatigue qu'accusait le morne du regard. Il parlait un fran­çais parfait, presque sans accent. Héritier de la couronne du Würtemberg, il avait occupé depuis l'arrivée d'Hitler

(1) L'O.C.M. (Organisation Civile et Militaire) était alors diri.Qée par le Commandant Landry (Aimé LepercQ) Qui avait comme ad.ioint Gildas (Pierre LefaucheuxJ. Je n'avais de contact Qu'avec le premier Qui avait commandé au début de la guerre le 2< groupe du 182< Ré.Qiment d'Artillerie Lourde à tracteurs, où j'étais affecté comme commandant de la section S.O.M.

au pouvoir des postes de relations publiques auprès de la direction de Daimler-Benz à Stuttgart, ce qui l'avait désigné automatiquement en 1940' comme contrôleur de Renault. Il s'acquittait de cette mission difficile avec diplomatie, ce qui était souvent insuffisant avec un homme comme Louis Renault, toujours sans brutalité... malgré les ordres du G.B.K.

Notre entretien fut bref :

«Monsieur Picard, vous devez savoir

que le traité d'armistice vous interdit

d'étudier de nouvelles voitures. On me

dit qu'un prototype de petite voiture,

peint en vert, sort de temps à autre

par le pont de Sévres vers la campa­

gne. Est-ce vrai? ».

Voiture 4 CV n° 1 -Vue 3/4 arrière,

J'affirmai qu'il n'en était rien et que toute l'activité du bureau d'études était consacrée aux modifications de des­sins qu'imposaient les restrictions de métaux rares, prescrites par le G.B.K.

«Je prends acte de votre réponse. Je la communiquerai au G.B.K. Mais à dater de ce jour, je vous tiens comme seul responsable du respect de J'in­terdiction ».

Je demandai à A. Riolfo de ne pas faire sortir la voiture pendant une quinzaine et de la faire peindre en noir.

Quelques jours plus tard, Riolfo, appelé dans le bureau de Von Urach pendant une conférence, y était arrêté par la Gestapo et incarcéré à la prison du Cherche-Midi. Pendant quelques jours, je me demandai si ce n'était pas la même affaire... Puis nous apprîmes, par des personnes de l'usine interro­gées au cours de l'enquête, qu'il s'agis­sait de la reproduction et de diffusion de tracts de la résistance, dont il s'était occupé avec Courte, ingénieur au département moteur (1).

Après la guerre, j'ai rencontré le Prince Von Urach, à l'occasion du Salon de Londres, en 1947, devant les voitures 4 CV exposées sur le stand de Renault Limited. Il me dit alors qu'il était très au courant de nos activités, par de nombreuses lettres anonymes, et qu'il était intervenu ce jour-là sur ordre des autorités supérieures elles aussi aler­tées, qu'il n'avait pas été dupe de mes affirmations et qu'il avait rapporté ma réponse au G.B.K. sans commentaire. Il ajouta qu'à ma place, il en aurait fait autant...

Les difficultés croissantes de tous ordres rendaient nos travaux de plus en plus compliqués. Le bombardement américain du 4 avril 1943 avait de nou­veau sérieusement endommagé les usines, mais épargné cette fois nos installations d'études et d'essais. Par chance, une bombe de 500 kg avait traversé l'atelier d'études sans explo­ser et était venue à plat se briser au rez-de-chaussée, sans autre dégât que la perforation de la toiture et des trois planchers. Mais l'arrêt d'activité des ateliers fabriquant les pièces d'étude, les restrictions d'essence et d'huile, les multiples contrôles sur les routes entourant la capitale, nous gênaient. Peu de kilomètres parcourus, et seule­ment par des hommes sûrs.

Louis Renault ne s'intéressait toujours qu'assez peu à la 4 CV, reportant tou­tes ses pensées sur la Juvaquatre avec châssis, et la 11 CV, qu'il voyait tou­jours comme base des productions d'après-guerre. En septembre 1943, il fit conduire notre prototype à Herque­ville par Riolfo, et il le conserva une semaine, le faisant piloter par Madame Renault et par le célèbre journaliste Charles Faroux dont il appréciait les avis. Le prototype de la 11 CV était aussi de la fête. Il ne me parla jamais de ces essais, son fils Jean-Louis non plus... J'appris seulement incidemment, par Serre, qu'au cours d'une démons­tration il avait, dans un virage un peu serré, dérapé sur du gravillon et fini au fossé, sans autre dégât qu'une aile froissée.

Un jour, vers la même époque, Serre en me donnant les dessins d'une roue en aluminium moulé, très originale comme conception, m'indiqua sans plus de détail qu'il avait essayé avec Louis Renault la 4 CV que J.-A. Gregoire avait réalisée pour le compte de l'Aluminium Français et que le patron lui avait, en échange, fait piloter notre prototype dans la vallée de Chevreuse : «On pourrait peut-être dessiner une roue du même genre en tôle emboutie, et on demandera à Chenevoy combien ça coûte ». Comme à l'époque je n'avais jamais rencontré

Voiture 4 CV n° 2 -Vue de face.

J.-A. Gregoire notre collaboration dans le domaine de la voiture économique en resta là.

Pendant ce temps, le moteur 4 CV nO 1 tournait en endurance sur un banc de l'atelier 153 -50 heures à la puis­sance de 21 chevaux et la vitesse de 4000 tr/mn par périodes de 10 heures ­afin d'en éprouver la résistance. Une usure du roulement de pompe à eau après 15 heures 40 et 50 heures nous amenait à adopter des roulements de 15 X 35 au lieu de 12 X 32. La rup­ture d'une vis de réglage d'un culbu­teur d'admission après 42 heures, à porter le diamètre de cette vis de 6 à 7 millimètres. L'examen des différentes pièces, après 50 heures, nous ame­nait à effectu.er un certain nombre de modifications pour améliorer la résis­tance à l'usure, entre autres :

remplacement des pistons en fonte spéciale par des pistons en alliage léger;

élargissement des dentures des pignons de distribution de 14 à 21 millimètres;

augmentation du débit de la pompe à huile, en portant la hauteur des pignons de 13 à 18 millimètres, pour conserver la pression d'huile sur des moteurs usagés.

Toutes ces modifications nous confir­maient que nous avions dans l'étude trouvé les limites de l'allègement, but que nous nous étions proposé.

(1) Arrêtés le 20 mai Riolto et Courte étaient libérés, 44 .iours après, le 3 .juillet 1943.

Voiture 4 CV nO 2 -Vue de profil.

Une fin d'après-midi de septembre, les principaux responsables des usines se retrouvèrent sur le plateau du Petit­Clamart, pour une présentation des pro­totypes en mouvement : la 4 CV nO 1 et la 11 CV.

Louis Renault, René de Peyrecave, Jean Louis, Georges Gallienne, Edmond Serre, sur le bas-côté, nous regar­dèrent passer dans les deux sens : Riolfo au volant de la 11 CV, moi, sur ordre de Louis Renault, aux com­mandes de la 4 CV. Il faisait un temps magnifique. Nous parcourûmes une dizaine de fois la route qui va du car­refour du "Lapin qui fume" à l'aéro­drome Morane.

Le lendemain, la décision était prise de porter tout l'effort sur les outillages de carrosserie de la 11 CV et le châs­sis de la Juvaquatre.

La 4 CV était condamnée sans appel.

Décidément, Louis Renault n'aimait pas les petites voitures. Il n'y croyait pas!

Dès lors, les efforts du bureau d'étu­des -diminué par quelques départs de très bons dessinateurs en Allemagne, malgré nos efforts pour les disperser en province -furent concentrés sur l'application des décisions patronales. Les dessins de la carrosserie 11 CV furent passés au bureau d'études tôlerie, et le service du modelage bois entreprit la fabrication de la maquette et des modèles des outils d'embou­tissage.

Nous terminâmes, toutefois, le mon­tage du prototype nO 2 dont les diffé­rents éléments étaient achevés. C'était toujours une deux portes, mais les formes en étaient plus acceptables. On avait abandonné l'aluminium pour de la tôle d'acier de 7/10e de millimètre d'épaisseur, qui présentait à l'époque moins de difficultés de fabrication et diminuait le prix de revient. Barthaud avait tiré le maximum d'enseignements de la première voiture et médité sur les possibilités de production en grande série.

Tirant l'expérience des kilomètres par­courus avec la première voiture :

la suspension avant comportait 2 ressorts hélicoïdaux, au lieu d'un ressort à lames; la voie avant por­tée de 1,142 m à 1,190 m;

- la boîte de vitesses n'avait plus que 3 vitesses;

- la direction était une direction à

crémaillère avec denture droite;

- le mécanisme était suspendu par une traverse emboutie en U fixée

élastiquement sur la boîte, rigide­ment sur la plate-forme-châssis ;

le diamètre des cylindres de frein des roues avant porté de 19 à 22 millimètres;

- des pneus de 125 X 400 rempla­çaient les pneus de 4,00 X 15 qui s'étaient révélés trop fragiles;

- les amortisseurs avaient des corps en fonte au lieu d'aluminium.

Voiture 4 CV nO 2 -Vue arrière.

Toutes ces modifications avaient alourdi la voiture qui pesait 463 kg en ordre de marche, au lieu de 457 pour la 4 CV nO 1. Descendue à l'atelier d'essai le 17 mars 1944, cette voiture qui était peinte "rouge bordeaux» ne roula pratiquement pas jusqu'à la libération.

Je continuais à rouler de temps en temps, en fin de semaine, avec le pro­totype nO 1 vers la région du Perche où j'allais dans une ferme amie, en quête de beurre, d'œufs et de porc salé, ce qui n'était pas sans poser de problèmes. Un dimanche soir que je rentrais vers Paris à la nuit tombante, je fus arrêté à l'entrée de Saint-Cyr par des coups de sifflet, et je vis deux hommes de la Feldgendarmerie sortir du bas-côté de la route et se diriger vers moi... Ils me demandèrent mes papiers, puis me firent ouvrir le capot arrière. Voyant un moteur où ils croyaient trouver beurre et victuailles diverses, ils n'insistèrent pas dans leur visite. Ils me firent signe de partir et de m'abriter au plus tôt en me criant " Alerte ".

Tous les Allemands ne connaissaient pas la KDF!!

Riolfo fignolait les réglages de carbu­rateur pour améliorer les consomma­tions d'essence, sur la route entre Boulogne et Château-Thierry.

Mais l'affaire 4 CV était définitivement close. Louis Renault, dont l'état de santé s'aggravait, ce qui se traduisait par un énervement permanent et une aphasie de plus en plus marquée, n'en parlait plus. Mais je le tenais au cou­rant de la poursuite de nos travaux. Pendant les premiers mois de 1944, une à deux fois par semaine, vers 19 heures, je le voyais arriver, le pas traînant, au bureau d'études où, seul, je préparais le travail du lendemain. Il prenait mon siège, et je comprenais à son regard qu'il voulait que je lui rendre compte de ce que nous faisions. Il m'écoutait les yeux mi-clos, hochant de temps en temps la tête, calmement même quand je lui pariais de la 4 CV.

Puis, le tenant par le bras, je l'aidais à descendre dans son bureau afin d'éviter que, pris de vertige, il ne tom­bât dans l'escalier.

A la libération des usines, le 20 août 1944, les compteurs kilométriques marquaient 21 250 pour la voiture nO l, 1 230 pour la voiture nO 2.

Depuis le débarquement en Normandie, début juin, nous n'étions pas sortis une seule fois. Quand les routes qui rayonnaient autour de Paris n'étaient pas mitraillées par les avions alliés, c'étaient les troupes allemandes en retraite qui s'emparaient de tout ce qui roulait, pour fuir plus rapidement.

Le 4 octobre, le Gouvernement Provi­soire de la République prenait une ordonnance de réquisition des Usines Renault.

Le 6, Pierre Lefaucheux était désigné comme Président-Directeur Général des Usines et prenait ses fonctions.

Une des premières visites de Pierre Lefaucheux fut pour notre bureau de Billancourt. Industriel et ingénieur, il savait par expérience que ce sont les services techniques qui font les affaires solides et prospères. Passés les soucis de l'épuration, qu'il avait résolus avec courage et diplomatie, il commença son enquête sur l'affaire dont on venait de lui confier la res­ponsabilité, par les Études. Ce fut mon premier contact avec cet homme rude, droit, d'une culture étendue et d'une bonne volonté à toute épreuve. Absent de l'usine pour participer à une confé­rence que tenait le Colonel Lavirotte pour lancer l'étude du char d'assaut ARL 44, je n'avais pu assister à sa présentation aux cadres. Je me pré­sentai à lui, à la porte de notre instal­lation provisoire : "Picard, O.C.M., chef du bureau d'études ». Il me tendit la main : «Gildas, O.C.M. ». «Voulez­vous m'expliquer ce que vous faites et me parler de votre programme d'études ".

Nous passâmes l'après-midi dans un examen critique des travaux en cours. Je ne sais pour quelle raison Serre était absent. Sur une planche à des­sin proche de ma table de travail, j'étalai les tableaux, les plans d'en­semble. Je lui exposai nos idées de l'hiver 1940-1941 sur la voiture d'après­guerre, lui contai l'aventure qu'avait été l'étude, puis la construction de nos deux prototypes, les essais et la déci­sion d'abandonner cette voiture... Puis nous parlâmes des autres parties de notre programme, de la Juva à châssis, de la 11 CV, des véhicules utilitaires légers, des tracteurs agricoles, des

Voiture 4 CV série n° 1 -Vue 3/4 arrière.

véhicules lourds. Beaucoup de ques­tions. Des demandes de précision sur nos méthodes de travail, évidemment fort différentes de celles qu'il avait pratiquées dans l'industrie des fours qui accaparait son activité d'avant­guerre. Il ne s'était intéressé à l'auto­mobile que comme client d'une Viva Grand Sport et n'avait aucune opinion sur notre industrie et ses problèmes. Il avait beaucoup réfléchi, pendant l'oc­cupation, sur la situation économique d'après-guerre, et avec l'état-major de l'O.C.M. échafaudé des structures économiques nouvelles. A certains moments, je le sentais lointain, pris par des réflexions qui l'éloignaient de nos dessins. A la fin de notre entretien, il me dit:

« Quand me faites-vous essayer cette

4 CV?».

«Demain matin à B heures ».

Après l'essai dans les bois de Meudon, il nous demanda de reprendre les essais et études arrêtés, se réservant de choisir un peu plus tard, entre nos prototypes, ceux qui constitueraient le programme de la Régie Nationale.

Cet hiver 1944-1945 fut difficile sur tous les plans. La nationalisation posait de nombreux problèmes qui, joints à la poursuite des hostilités, aux difficul­tés d'approvisionnements en matières premières, compliquaient la reconstruc­tion des usines. Nous avions repris nos travaux. Barthaud dessinait une nouvelle carrosserie à 4 portes, les commerçants -forts de l'expérience de la Juvaquatre en 1938 -estimant qu'une 2 portes n'aurait jamais en France un marché suffisant.

Une série de 5 voitures fut lancée, avec une priorité absolue de fabrica­tion. Parallèlement, en haut lieu, la Production Industrielle cherchait à imposer une politique dirigiste. Pons, qui avait la responsabilité de l'automo­bile à la Direction des Industries Méca­niques et Électriques, dont le patron était Bellier, avait conçu un plan qui agitait fortement les esprits. Les prin­cipes étaient simples : Pas d'importa­tion -réduction du nombre des modè­les pour augmenter l'importance des séries et diminuer les prix de revient. Les difficultés commençaient avec la répartition autoritaire des modèles, entre les différents constructeurs. Pour les voitures de petite cylindrée, Pons qui dès 1943 avait décidé que le pro­totype Aluminium Français -Gregoire, financé en partie par l'État, serait fabri­qué par Panhard, se trouvait d'autant plus gêné qu'en octobre 1944 le gou­vernement avait placé J.-A. Gregoire à la tête de Simca, en remplacement d'Hector Piggozi -qui, poursuivi par le Comité d'épuration était en fuite ­et que le Conseil d'administration de cette firme avait décidé de sortir en grande série cette même voiture.

Citroën avait, avec les 11 CV et 15 CV, la priorité pour les cylindrées moyennes et fortes.

La Régie Renault était ainsi éliminée du marché des voitures particulières ­où Renault avait la deuxième place en 1939 -et devait limiter son activité au partage avec Berliet du marché des véhicules industriels.

Pierre Lefaucheux, soutenu par les cadres unanimes, lutta avec acharne­ment contre ces projets de répartition, malgré son adhésion aux principes pianistes.

Ces discussions durèrent plusieurs mois. J.-A. Gregoire, dans son livre

«Histoire de cinquante ans d'automo­biles», en conte les péripéties, côté Panhard et Simca.

Pierre Lefaucheux -qui n'avait pas encore choisi officiellement entre la voiture 4 CV et la voiture 11 CV -se battait pour maintenir à la Régie Nationale une place dans le domaine des voitures particulières, conscient qu'une autre politique aboutirait à une diminution de l'activité des usines.

Voiture 4 CV série n° 1 -Vue de face.

Voiture 4 CV série nO 1 -Vue 3/4 avant.

Il n'ignorait pas que les ennemis de la nationalisation de Renault, le Pré­sident de la Chambre syndicale, le Baron Petiet en tête, soutenaient le projet Pons -malgré leur opposition à toute planification -dans cet espoir de voir décliner la place de Renault sur le marché.

Le 6 février 1945, il invita Bellier et Pons à essayer notre prototype nO 2. Nous partîmes de Billancourt peu après 11 heures, et après un bref essai en forêt de Meudon, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à la « Popote des Ailes» à Chaville, où, malgré les restrictions, alors plus sévères qu'aux plus som­bres moments de l'occupation, on pou­vait à prix honnête faire un repas modeste mais correct. J. Louis qui, comme Directeur général adjoint, avait la responsabilité des études et du commercial, nous y rejoignit. La conver­sation fut un éloge du dirigisme, en qui Lefaucheux et Pons mettaient tous leurs espoirs de redressement de notre industrie terriblement affaiblie. Bellier restait muet. J. Louis écoutait avec scepticisme, n'intervenant que rare­ment pour calmer les ardeurs pianistes de nos deux champions et les mettre en garde contre un optimisme exagéré. Il connaissait trop les milieux patro­naux pour penser que -malgré l'attrait des monnaies-matières -les choses iraient si facilement. La suite devait lui donner raison.

Dernières mises au point.

De gauche à droite: MM. Roy -

Barthaud -Guettier -Picard.

Mes arguments sur l'économie de cons­truction de la 4 CV en matière pre­mière (Poids de tôle nécessaire : 223 kg), en main-d'œuvre, et l'économie de son utilisation en carburant (5,500 litres aux 100 kilomètres), ne décidè­rent pas le Directeur Pons à inscrire la voiture dans son programme ce jour­là. Mais probablement à la maintenir en ligne, ce qui à ce moment n'était pas si mal étant donné les menaces d'élimination.

P. Lefaucheux, continuant son enquête intérieure, consultait les différents res­ponsables des principales directions :

A. Grillot, Mettas, Tordet, P. Debos,et

P. Peltier, pour la production; J. Louis,

A. Grandjean, P. Guillon, pour les ser­vices commerciaux. Il leur posait bru­talement la question : «Pensez-vous que nous devons faire de la 4 CV l'élé­ment principal de notre programme? ».

A ceux qui hésitaient, il demandait de l'essayer avant de répondre. Il ne pres­sait pas ses interlocuteurs de prendre position sur le champ. Il s'était donné un an pour faire un choix et déterminer le programme sur lequel il engagerait tout l'avenir de la Régie Nationale.

Notre travail d'études avait repris, tout en profondeur. Dans la clandestinité, nous n'avions pu consulter les princi­paux fournisseurs pour leur demander de faire les études d'adaptation néces­saires : une pompe à essence de petites dimensions, un distributeur d'al­lumage de diamètre réduit, un appa­reillage de bord simplifié, un carbura­teur adapté à notre problème. De même, il était indispensable de discuter de tous les dessins avec les services de méthodes et de fabrication, pour produire à meilleur compte. Beaucoup de pièces furent redessinées pour tenir compte de leurs observations. On décida en particulier de remplacer le carter en alliage léger du moteur par un carter en fonte, pour à la fois en diminuer le prix de revient et utiliser les moyens de production existants.

Le 9 novembre 1945, se tint dans le bureau de Pierre Lefaucheux la confé­rence décisive. 19 personnes y assis­taient : tout l'état-major de la Régie. Sur les douze que Lefaucheux avait vus, seul à seul, dans la quinzaine précédente, 4 seulement avaient répondu positivement à sa question. J'en connaissais trois : Serre, Riolfo et moi; je n'ai jamais pu identifier le quatrième. La réunion qui avait pour objectif de fixer le programme quin­quennal commença dans une atmos­phère tendue. C'était la première fois dans la maison qu'une telle conférence se tenait. Chacun était à la fois inti­midé et inquiet. Successivement,

J. Louis, Davesne (qui avait remplacé Chenevoy, tué dans la rue par un véhi­cule militaire allemand en juillet 1944), Tordet, Debos, Peltier, exposèrent les problèmes d'organisation, de prix de revient, d'investissement et d'installa­tion, que la fabrication des 4, 6 et 11 CV posait... Discussion technique où des chiffres furent alignés, discutés, contes­tés. Comme souvent en cette matière, la discussion s'enlisait. C'est alors que

P. Lefaucheux ouvrant le bloc-notes couvert de sa fine écriture qu'il avait devant lui, posément, prit la parole. Il entreprit la lecture des réflexions que ses conversations particulières lui avaient inspirées : «II est inutile que chacun reprenne ses arguments. Je vais les reprendre les uns après les autres. Personnellement, je suis extrê­mement heureux de la façon dont cette étude a été menée et de l'effort d'ob­jectivité fait par chacun. Maintenant, il faut choisir une solution et, quelque paradoxal que cela paraisse, la déci­sion à prendre n'est peut-être pas celle qui est la plus évidente. Il est certain que la fabrication la moins coûteuse eût été celle qui aurait été adoptée avant la guerre. En ce moment, le mar­ché n'est et ne sera plus le même. Je voudrais faire le point de ce qu'il est. Nous sommes en économie diri­gée, et mal dirigée. Ce n'est pas tant à cause des hommes qui sont à la tête : les uns sont bien, les autres moins bien, seulement les mécanismes ne sont pas au point. Le plan de

M. Pons est un gros effort de perfec­tionnement de l'économie dirigée, mais il n'est pas parfait. Nous ne devons pas le torpiller. Nous pouvons essayer de l'amender. L'auteur est d'ailleurs d'accord avec nous pour le faire évo­luer. " l'a prouvé en nous autorisant formellement à préparer les outillages de la Il CV en même temps que ceux de la 4 CV",,,,

La tension montait à mesure qu'il exa­minait les différentes hypothèses envi­sagées, dans un silence absolu ­chacun se remémorant ce qu'il avait dit en entretien particulier.

« Je pense que la 4 CV est bien dans la ligne générale de l'évolution du pays et qu'il faut la faire le plus vite pos­sible et en grande série... D'après le plan Pons, nous devons faire 170 000 voitures 4 CV en 5 ans. Pour augmenter ce chiffre, nous avons un moyen qui consiste à garder les dates du Plan et à augmenter les cadences annuelles prévues. Nous pouvons essayer de la commencer dès la année du Plan

2e

et cela nous permettra de réduire les frais d'amortissement. Les cadences pourraient être :

2e année 30 000 (715 par jour)

3e année 45 000 (175 par jour)

4e année 55 000 (215 par jour)

Se année 70 000 (270 par jour) ».

A une question de P. Debos, P. Lefaucheux précisait qu'il fallait prévoir l'outillage pour une production de 20 à l'heure en 2 équipes.

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ANNÉE 46

Après l'énoncé de cette décision et de ce programme, une courte discus­sion s'engagea, que P. Lefaucheux termina rapidement: « Il reste à résou­dre la question de l'obtention des crédits pour l'achat des machines en Amérique, c'est-à-dire 8 millions de dollars. C'est mon affaire. Maintenant que la décision est prise, bonne ou mauvaise, suivant l'idée des gens, il faut faire tous nos efforts pour qu'elle réussisse. En particulier, il faut arriver à sortir la 4 CV le 1er juillet 1947. Je suis persuadé que chacun fera tout ce qu'il pourra ».

Dans le couloir, les commentaires allè­rent leur train. Ëmile Perrin, appuyé par Albert Grandjean, affirma :

« C'est de la folie. Vendre 300 voitures par jour d'un seul modèle! Nous n'en avons jamais vendu plus de 120 d'un même type et à quel prix! ».

A quoi A. Grillot et Tordet répondaient

avec septicisme :

«Rassurez-vous. Nous n'avons plus

d'usine. Nous n'avons pas d'argent;

alors 300 voitures par jour vous n'êtes

pas près de les avoir! ».

Pour rassurer Paul Guillon qui, malgré son avis favorable, manifestait quelque inquiétude sur l'exiguïté des places arrière que sa taille (1,92 m) justifiait, je l'emmenai au bureau d'études et, examinant le grand plan, tous trois avec Robert Barthaud, nous réussîmes à gagner deux centimètres de plus pour les places arrière en reculant la tôle arrière au maximum.

La collaboration franche et amicale, nouvelle dans l'entreprise, qui ainsi

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Voiture 4 CV série -Cotes d'habitabilité.

s'instaurait entre les études et le com­mercial, devait être par la suite très bénéfique pour la Régie.

Le 15 novembre, la voiture nO 3, 4 por­tes, aux lignes rénovées, réétudiée et fabriquée depuis la libération, faisait son entrée à l'atelier d'essai, cette fois-ci de jour, sans précaution spé­ciale. Elle pesait 545 kg en ordre de marche (185 kg sur l'essieu AV., 360 sur l'essieu AR.); le remplacement de l'aluminium par la fonte pour le moteur, la carrosserie à 4 portes au lieu de 2 portes, et diverses autres modifica­tions l'avaient donc alourdie de 88 kg par rapport à la voiture nO 1.

Dès lors, tous les efforts des diffé­rentes directions et services se por­tèrent sans réticence sur l'exécution du Plan du 9 novembre. Gilbert Liscoat, revenu à l'usine après sa disgrâce de 1939 où il avait été remplacé à la direc­tion commerciale par Albert Grandjean, était chargé de coordonner l'action des différentes directions pour tenir les délais fixés. Il s'y employa avec fermeté et diplomatie. Les difficultés ne manquaient pas, depuis celles qui venaient des Pouvoirs Publics où, dans le climat général de pénurie, il était quasi-impossible d'obtenir les maté­riaux nécessaires à la reconstruction des usines et à la fabrication des outil­lages, jusqu'à celles que suscitaient les différentes catégories de person­nel à propos de multiples revendica­tions. Pierre Lefaucheux usait dans tous les secteurs de l'autorité .qu'il avait su acquérir en quelques semaines. Il était partout, au ministère, aux conférences, dans les ateliers, sur les chantiers de reconstruction, bousculant les résis­

, '

VOITURE

RENAULT

ID6E

tances, remontant le moral des décou­ragés, calmant les conflits qui ne ces­saient de surgir.

La voiture 4 CV était acceptée par tous et partout. Dans l'usine, une mystique entourait la préparation de sa mise en fabrication. Le personnel ouvrier lui-même y participait et met­tait dans cette petite voiture beaucoup d'espoir.

En mars 1946, Robert Lacoste fut rem­placé au ministère de la Production Industrielle par Marcel Paul, Député communiste. Les efforts de Pierre Lefaucheux n'allaient-ils pas être remis en question par la nouvelle équipe?

Le matin du 6 mai, Pierre Lefaucheux m'appela dans son bureau :

« Il nous arrive, Picard, une histoire de « cornecul ». On nous a amené dans la nuit de samedi le Professeur Porsche et son gendre Pieech. Ils sont prison­niers et doivent être jugés comme criminels de guerre. Le Ministre désire que nous les fassions travailler; il désire aussi avoir l'avis de Porsche sur la voiture 4 CV. Voulez-vous y penser? ».

Réfugié après la fin des hostilités à Gmund en Carinthie, il était sur la liste des criminels de guerre. On lui repro­chait certaines brutalités et déporta­tions au cours de son passage aux usines Peugeot de Montbeliard où il avait été commissaire pendant l'occu­pation. Le Ministre Marcel Paul, sans consulter Pierre Lefaucheux, avait décidé de le faire venir à Billancourt et de le mettre au travail sous sur­veillance.

La première réaction de P. Lefaucheux fût d'écrire, le 14 mai, une lettre pré­cisant la position de la Régie :

Monsieur le Ministre,

En exécution de la décision que vous avez prise et qui m'a été notifiée par MM. André et Moret, de votre cabinet, le Professeur Porsche et M. Pieech ont été remis entre les mains de M. Fleury, chef du service de la surveillance de la

R.N.U.R. Ils sont nourris, entretenus et logés par nos soins à Meudon, dans une propriété dite «Maison Galice» achetée récemment par nous en vue d'y installer un service de caractère social. Aucun traitement ne leur sera versé.

Lors des conversations que j'ai eues avec MM. André et Moret, il avait été convenu que ces ingénieurs seraient gardés par deux surveillants fournis par le ministère. D'après ce qui a été indiqué verbalement par M. Moret à

M. Fleury, cette garde serait devenue sans objet.

Je vous serais très obligé de bien vou­loir me le confirmer afin de dégager sur ce point la responsabilité de

M. Fleury et, par conséquent, la mienne. Jusqu'à ce que cet accord me soit parvenu, je fais assurer une sur­veillance par des gardiens de la Régie.

Je profite de la présente lettre pour résumer nos entretiens avec MM. Moret et André et pour préciser quel­que peu la position de la Régie Nationale :

Il a été convenu que tous les frais entraînés par le séjour de MM. Porsche et Pieech feraient l'objet d'un compte spécial qui vous sera soumis mensuellement, et que la Régie est autorisée à déduire les sommes en question du montant de la taxe de 0,40 % qu'elle doit ver­ser au Centre d'Études Techniques de l'Automobile et du Cycle

(C.T.A.).

2° J'ai accepté de remettre au Pro­fesseur Porsche un dossier concer­nant la voiture de 4 CV dont nous exécutons actuellement les outil­lages. Nous étudierons bien entendu avec la plus grande attention les remarques qui pourraient être faites par lui sur cette voiture, mais il est bien entendu que nous restons seuls juges de l'opportunité de sui­vre ou de ne pas suivre ces sugges­tions éventuelles. Le dossier en question est dès maintenant entre les mains du Professeur Porsche.

30 Il a été convenu que nous remet­trions au Professeur Porsche le pro­gramme de l'usine destinée à la construction des véhicules indus­triels que nous avons l'intention d'installer à Elizabethville (entre Mantes et Meulan), pour réaliser une usine moderne fabriquant en grande série cette catégorie de véhi­cules tout en décongestionnant Billancourt dont les usines pour­raient se consacrer entièrement à la fabrication de tous les moteurs et au montage des véhicules de tourisme.

Le Professeur Porsche pourra, dans ces conditions, établir un avant­projet qui nous permettra peut­être d'améliorer les études que nous avons entreprises depuis déjà plusieurs mois, étant encore une fois précisé que nous gardons notre entier libre-arbitre concernant la suite à donner à ces suggestions.

Le programme en question a été également remIs au Professeur Porsche.

Je crois être ainsi, Monsieur le Minis­tre, entré complètement dans vos vues car il m'a semblé opportun d'essayer d'utiliser au maximum l'eXpérience acquise par cet ingénieur en matière de construction automobile et de cons­truction d'usines.

Je ne pense cependant pas qu'il faille se faire trop d'illusions sur l'efficacité du concours qui nous sera ainsi appor­té et ce, pour les raisons suivantes :

1° Je ne crois pas que la valeur tech­nique du Professeur Porsche soit supérieure à celle des ingénieurs du bureau d'études de la Régie. Il ne faut pas oublier, en effet, que s'il revendique la paternité complète de la Volkswagen, cette paternité lui est contestée par des ingénieurs tchécoslovaques (v. Bulletin de la Société des Ingénieurs Civils de France -Année 1946 -fascicules nOS 6 et 7 -p. 47).

2° J'ai constaté personnellement au cours des deux entrevues que j'ai eues avec lui que le Professeur Porsche a subi les atteintes de l'âge, de la maladie et de l'inquiétude que lui causent les graves accusations qui ont été portées contre lui. Il ne fait preuve d'aucun dyna­misme, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de M. Pieech qui paraît, au contraire, désireux de profiter le plus possible des avantages maté­riels que pourrait présenter pour lui la situation actuelle.

3° Le Professeur Porsche paraît s'être mépris sur le rôle qu'il doit jouer vis-à-vis de la Régie. Il soutient que vos représentants l'auraient chargé de porter un jugement (beurteilung) sur notre 4 CV et a émis, en conséquence, diverses pré­tentions irrecevables, notamment celles de visiter nos ateliers pour

VOITURE

AMNEE 1939 PEI'IAULT

"ElFKA

Voiture Juvaquatre -Cotes d'habitabilité.

étudier nos outillages, de pratiquer sur notre voiture des essais à lon­gue distance, etc... Il s'agit évidem­ment là, de sa part, d'une mau­vaise interprétation, car il n'a cer­tainement jamais été dans vos idées, Monsieur le Ministre, de faire décider des qualités d'une voiture construite par la Régie Nationale par un technicien allemand dont la supériorité est au moins discutable, mais seulement de faire travailler à son service un individu qui se trouve au pouvoir de la France en raison des actes commis par lui pendant l'occupation, qui peuvent lui être reprochés.

Je crois avoir ainsi bien interprété votre pensée et je vous serais obligé, Monsieur le Ministre, de bien vouloir me le confirmer.

Recevez, Monsieur le Ministre, l'assu­rance de ma haute considération.

A cette lettre, le Ministre répondait en date du 5 juillet (réf. CAB. No 22265 J2, AR.51.245) et précisait :

4° Il serait absurde de notre part de ne pas utiliser les ingénieurs alle­mands en cause qui, vous le savez, nous ont été âprement disputés par nos alliés. L'appréciation qu'ils émettront sur chaque problème, y compris sur la 4 CV Renault doit être pour nous un élément de réflexion et non un jugement. Nous devons tenir compte de toutes les expériences; il est donc indispen­sable qu'ils puissent visiter l'usine Renault en détail et essayer la voi­ture 4 CV dans les conditions que vous jugerez convenables.

Dans l'intervalle, P. Lefaucheux m'avait interdit tout contact avec les hôtes de la villa Galice, en précisant que ce serait lui qui déciderait du moment où l'on ferait essayer une voiture, mais qu'en aucun cas cet essai ne devrait troubler notre programme.

Au moment de l'arrivée du Professeur Porsche, 5 voitures existaient :

-les deux voitures 2 portes construi­tes pendant l'occupation;

- trois voitures 4 portes.

La voiture nO 3 était immobilisée, suite à un accident survenu après 13979 kilomètres.

La voiture nO 4, aux essais depuis le 8 février 1946, avait parcouru 6000 kilomètres.

Quant à celle qui portait le nO 5, aux essais depuis le 22 mars, on la prépa­rait pour effectuer, conduite par Émile Lafont, des essais en Algérie afin d'étu­dier son comportement sur les pistes sahariennes, tant pour le sable que pour les températures élevées.

Il ne pouvait être question de confier un de ces véhicules au Professeur Porsche sans entraver sérieusement le développement de notre programme d'essai déjà très tendu.

Un long voyage aux États-Unis début juillet, en compagnie de P. Lefaucheux, suivi de la fermeture des usines pour le congé annuel, m'éloignèrent prati­quement de Billancourt jusqu'à fin août.

La situation ayant évolué, P. Lefaucheux m'autorisa à rencontrer F. Porsche et à lui faire essayer une voiture... Le 17 septembre 1946, je rencontrai pour la première fois les prisonniers de la villa Galice. Henri Guettier m'accom­pagnait ainsi que Ernst-Metzmaïer qui nous servait d'interprète, ni Porsche, ni son gendre ne parlant le français.

Voiture 4 CV 1950 -Vue 3/4 avant.

La réunion eut lieu dans une grande salle du premier étage, assez délabrée. Le Professeur Porsche était malade, et son moral se ressentait à la fois de sa situation et de son état de santé. Il avait alors 71 ans mais donnait l'im­pression d'un vieillard. Son vêtement de drap gris foncé, flottant sur son corps amaigri, avait l'allure d'un uni­forme d'hôpital. Visage mal rasé, teint blafard, nez rouge, regard morne. Il passait au lit une grande partie de ses journées. Il fit des remarques sur le dossier de dessins qu'on lui avait remis en mai et insista pour qu'une voiture lui fût prêtée, afin qu'il puisse donner sur son fonctionnement l'avis que solli­citait le Ministre de la Production Industrielle.

Le 3 octobre, deux voitures portant les numéros 7 et 8 furent amenées à la villa Galice, et F. Porsche, accompagné de son gendre, put les essayer dans la région parisienne. Déjà, le 21 sep­tembre, après un essai rapide exé­cuté fin août d'une des voitures, au cours d'une conférence avec Messieurs André et Fauvelais, du cabinet du Ministre, d'après le procès-verbal de cette réunion, signé Pieech, il avait déclaré:

«20 Problème général de la 4 CV. Nous indiquons que nous estimons que la 4 CV peut être lancée en série dès un an.

Nous pensons également que, à cause de sa faible consommation, cette voi­ture présente des possibilités de vente intéressantes en France et en Europe.

Néanmoins, nous regrettons que des relations techniques, sous la forme de celles de ces dernières semaines, n'aient pas eu lieu plus tôt; cela, en effet, a limité nos possibilités de pro­poser des suggestions concernant des améliorations éventuelles que notre expérience industrielle de la voiture à moteur arrière nous mettait à même d'indiquer.

L'état d'avancement de l'outillage de serte rend maintenant impossible d'éventuelles modifications de quelque importance. Nous avons ensuite indi­qué nos remarques de détail sur la 4 CV».

Nos réunions devaient avoir lieu toutes les semaines. L'état de santé de

F. Porsche en fit annuler plusieurs. Il y en eut neuf en tout : les 17 et 24 septembre, 1er, 22 et 28 octobre, 6, 20 et 26 novembre, la dernière le 6 décembre.

Aucun travail positif ne sortait de ces entretiens qui se passaient en jéré­miades, demandes de personnel des­sinateur allemand et de matériels pour étudier une voiture de course, insis­tance pour faire venir les familles... Manifestement, l'esprit n'était pas à la collaboration. Souvent la conversa­tion tournait au dialogue de sourds.

Marcel Paul quittait le ministère de la Production Industrielle le 28 novembre.

Le 27 janvier 1947, P. Lefaucheux écri­vait au ministère de la Production Industrielle pour lui demander le départ de Porsche :

Après une expertence prolongée « pendant plusieurs mois, et au cours « de laquelle les services techniques « de la Régie ont, selon mes direc­« tives, fait tous leurs efforts pour uti­« liser au maximum les services que

« M. Porsche pouvait être susceptible « de nous rendre, nous avons dû cons­« tater les résultats décevants de cette « tentative.

Porsche et son gendre Pieech res­tèrent à la villa Galice jusqu'à la fin janvier 1947. Ils repartirent dans le plus grand secret, comme ils étaient arrivés, pour être à nouveau incarcérés à la prison de Dijon.

Cet épisode Porsche fut, comme on le voit, purement négatif. Je n'en aurais pas parlé si la malveillance et certains intérêts n'avaient pas pris prétexte du séjour accidentel de Porsche à la villa Galice, pour diffuser des informations mensongères. Volkswagen, en particu­lier, a fait courir à certains moments le bruit que la 4 CV avait été étudiée par le Professeur Porsche et son équipe pendant son séjour à Paris en 1946 (Voir à ce sujet la partie de l'ouvrage édité par les éditions Mara­bout Service sur Porsche, où il est question de son séjour à Billancourt).

Pendant que se déroulait dans le silence de la villa Galice l'épisode Porsche, d'autres événements mar­quaient le développement de l'opéra­tion 4 CV.

Le voyage aux États-Unis que nous entreprenions courant juin 1946, avec

Voiture 4 CV 1950 -Vue 3/4 arrière.

Pierre Lefaucheux, avait pour objectif principal de prendre contact avec l'in­dustrie automobile américaine, «de nous mettre des usines dans J'œil", mais aussi de poser des questions à propos de la fabrication de la 4 CV et de nous en poser. Nous n'y man­quâmes pas...

Le 28 juin, dans le bureau du Directeur technique Lindsay des usines Budd de Detroit, Pierre Lefaucheux posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs mois, que des esprits mal­veillants lui avaient mise dans la tête:

« Que pensez-vous de J'utilisation de tôle de 7 dixièmes de millimètre dans cette carrosserie?».

La réponse fut nuancée, mais honnête: -«Vous gagnerez du poids, mais pas

d'argent... Ces tôles coûtent plus cher que les tôles de 95 centièmes". -«A égalité de prix le gain de poids

nous intéresse. Mais n'aurons-nous

pas d'ennui à J'emboutissage?". -«Vous verrez à la pratique, nous n'avons pas assez d'expérience des faibles épaisseurs pour vous donner une réponse valable ".

Cet avis du spécialiste de Detroit nous déçut, mais ne nous découragea pas. Nous nous en remîmes, comme il nous le proposait, au jugement des presses à emboutir pour fixer l'épaisseur mini­mum des tôles. Barthaud et Royen tinrent compte dans le dessin des gal­bes des pièces et des outils.

L'expérience fut concluante. Aujour­d'hui l'industrie américaine emploie sans hésiter des tôles minces dans certaines parties de ses carrosseries.

Nos visites d'usines terminées à Detroit, et nous en avions visité beaucoup, en fin de journée du 2 juillet nous embarquâmes dans l'avion qui devait nous amener à Chicago... Pen­dant ce bref voyage, P. Lefaucheux comme de coutume couvrait son bloc­notes de sa fine écriture, résumant ses impressions du jour. Un moment il s'interrompit, retira ses lunettes et se tournant vers moi dit :

« Picard, rai beaucoup appris au cours de ces visites. Ce n'est pas 300, mais 600 par jour que j'aurais dû donner comme programme pour la 4 CV",

Et il me développa les idées qu'il venait de confier au papier, sur l'inévitable développement du parc et de la circu­lation en France et en Europe.

«Nos commerçants, Grillot, Serre, Tordet, me parlent toujours de 1938, comme si c'était une référence valable, alors que la situation française sur tous les plans était très mauvaise et que depuis dix ans notre position écono­mique reculait. Je ne veux plus qu'on me parle de la référence 1938".

Les cadences de production de Gene­rai Motors, de Ford, de Chrysler, le faisaient rêver d'une industrie euro­péenne qui serait à la même échelle, enfin libérée des entraves des fron­tières et des douanes.

La suite devait lui donner raison.

En septembre 1946, au début du mois, Pierre Lefaucheux fit essayer la voi­ture à Marcel Paul, Ministre de la Production Industrielle.

Avec A. Riolfo, nous rejoignîmes notre Président dans la cour du ministère, rue de Grenelle, au début de l'après­midi. P. Lefaucheux prit le volant, le Ministre à ses côtés, A. Riolfo et moi aux places arrière.

Par les quais de la Seine, nous gagnâ­mes le pont de Saint-Cloud et fîmes quelques kilomètres sur l'autoroute de l'ouest, qui en comptait encore bien peu. En conduisant, P. Lefaucheux détaillait au Ministre les difficultés de tous ordres -la plupart administratives, qui venaient de son ministère -qui sur­gissaient dans la réalisation de nos projets.

Au moment du demi-tour, P. Lefaucheux offrit au Ministre de prendre le volant:

«Je vous remercie. Je ne conduis pas, mais j'ai été très intéressé par cette promenade. Je n'ai d'ailleurs aucune qualité, ni compétence, pour formuler un avis valable ".

Il ajouta:

«Je vous fais confiance, mais sachez

bien que si cette affaire était un fiasco

je vous en tiendrai responsable ".

Revenu dans la cour du ministère, très encombrée à cette heure de l'après­midi de 11 CV Citroën noires et de chauffeurs en uniforme, le Ministre nous fit ranger dans l'angle le plus proche de son cabinet. Il tapa dans ses mains et nous fûmes bientôt entou­rés d'une douzaine de chauffeurs curieux de voir notre voiture. Lefaucheux nous fit lever le capot arrière pour montrer le moteur au Ministre qui, après l'avoir examiné, se tourna vers nous, entourés du cercle des curieux.

«Je suis enchanté, Monsieur le Prési­dent, de cet essai. 1/ y a aussi une bataille de la petite voiture. Je souhaite que Renault la gagne, car c'est une Régie Nationale -.

Et il disparut. suivi de P. Lefaucheux. sous les applaudissements des chauf­feurs qui nous entouraient.

La date de la présentation à la presse arriva.

Les journalistes furent invités le 26 septembre 1946 dans les salons Pierre Charon. après une visite des ateliers de Billancourt qui avait pris la matinée. Une voiture les accueillait à l'arrivée dans le hall d·entrée.

Quelques minutes plus tard. alors que le brouhaha des conversations prési­dait à la dégustation des apéritifs. Pierre Lenoir s'approchait de moi et me disait sur le ton de la confidence :

«Vous allez avoir des ennuis avec « les Mines". les projecteurs ne sont pas à la hauteur réglementaire ».

J'encaissai le coup avec sang-froid... mais dès que je fus rentré à Billan­court. je fis appeler R. Barthaud et

P. Payen. C'était exact : au cours de l'étude ce détail nous avait échappé. Sans se préoccuper des règlements. Barthaud avait placé les projecteurs à la hauteur qui lui avait semblé la meilleure étant donné les dimensions et la ligne de la voiture. c'est-à-dire 550 millimètres du sol au lieu de 600 (bord inférieur du phare. voiture en charge).

Les gros outillages d'emboutissage étaient presque terminés. Il était maté­riellement impossible de redessiner l'avant de la voiture et de refaire les maquettes. les calibres. les modèles et les outillages concernés. dans les délais que le planning fixait.

L'oreille basse. je me rendis auprès de

P. Lefaucheux pour le mettre au cou­rant de cette catastrophe.

«" n'y a qu'une solution. faire modi­fier le règlement. Voyez Jean Louis et arrangez cela avec lui".

J'affrontai alors. pour la première fois. la machine administrative. Il fallait d'abord convaincre l'Ingénieur général Weill. Président de la commission des projecteurs -et terreur des construc­teurs -de bien vouloir présenter à la commission un texte modifiant la hau­teur des projecteurs à 550 millimètres au lieu de 600.

Ce ne fut pas chose facile.

Jean Louis. Directeur général adjoint. m'accompagnait lors de la première visite. L'lngénieur général Weill nous accueillit d'autant plus fraîchement que

J. Louis avait eu maille à partir avec lui pendant I·occupation. pour des dépas­sements de la consommation de gaz industriel et que les discussions avaient été assez dures.

Je lui expliquai le dossier et lui fit valoir que la hauteur des projecteurs de la Volkswagen était de 430 milli­mètres et que l'inspection des Mines avait délivré le certificat de conformité. afin que les officiers français en occupation en Allemagne. qui s'en étaient procuré. puissent les faire immatriculer.

Il ne voulait rien entendre pour nous accorder une dérogation et ne nous offrait qu'une issue: la réunion de la Commission Nationale Automobile. qui comptait 42 membres représentant. outre les ministères intéressés par

1235 1645

1512

VOITURé

RENAULt

107 E

l'automobile. la gendarmerie. les cons­tructeurs. les usagers. les assurances. l'armée.... à condition que nous le convainquions que la hauteur sur notre voiture n'apporterait aucune gêne aux autres usagers de la route.

Nous fîmes plusieurs sorties de nuit dans le bois de Boulogne, pour appré­cier l'influence de cette hauteur sur l'éblouissement des conducteurs des voitures adverses.

Finalement, à une réunion dans son bureau où je lui exposais une fois de plus tous les arguments en faveur de cette modification. il me dit:

«Je ne suis pas d·accord. Mais comme vous n'en ferez que très peu et qu'elles ne sortiront pas des villes. car ce ne seront jamais des routières. je signe le projet d·arrêté. mais ne recommen­cez pas".

Je sortis soulagé de cette aventure. ne retenant que cette décision et non sa sombre prévision sur les chances de diffusion de cette voiture où la Régie mettait de plus en plus tous ses espoirs et tous ses moyens.

Le million de 4 CV. qui ont roulé sur toutes les routes du monde. lui a fort heureusement infligé le plus éclatant démenti. et leurs projecteurs n'ont jamais ébloui personne.

Ce projet déposé. Jean Louis et moi nous répartîmes les visites aux 42 membres de la commission pour leur présenter le dossier. et le projet d'ar­rêté fut adopté malgré les réticences de l'Ingénieur général. Président de la commission.

Le personnel de la Régie. à tous les échelons. jouait l'avenir de la 4 CV. Les cadres. ingénieurs et techniciens, se précipitaient pour essayer les 40 voitures de présérie réalisées avec des moyens de fortune.

P. Lefaucheux mit en concours. parmi l'ensemble du personnel. la décou­verte du nom qu'on donnerait à la nouvelle venue. De nombreuses répon­ses arrivèrent. qui relevaient de la plus haute fantaisie. Beaucoup par­taient du mot Régie : Régine -Régina -Régie Stella -Réginette -... Il retint finalement la désignation la plus simple et la plus naturelle: 4 CV.

La présentation au Salon de Paris. en octobre 1946. eut un grand succès de curiosité. La position du moteur à l'arrière -nouvelle en France -fut l'oc­casion d'innombrables anecdotes pour les caricaturistes. les revuistes et les chansonniers. L'esprit français en pro­fitait -comme de coutume -pour criti­quer le Pouvoir et les difficultés de l'époque.

Sur une caricature, un client demandait au vendeur qui, le capot avant levé, lui vantait le volume de l'emplacement réservé aux bagages :

« Mais, il n'y a pas de moteur? ». «Pourquoi voulez-vous un moteur, il n'y a pas d'essence ».

Sur une autre, devant le capot arrière levé pour montrer le moteur, un bon bourgeois disait à sa compagne :

«Regarde, on voit bien que Renault est nationalisé. Quel gaspillage! Il donne maintenant en plus un moteur de rechange».

Le chansonnier Edmond Meunier chan­tait aux «Deux Anes» quelques cou­plets, sur l'air des Trois Cloches, qui avait alors grand succès avec Piaf et les Compagnons de la Chanson

Minable au fond de la vallée

Presqu'oubliée, presqu'ignorée

Une nouvelle voiture nous est née,

C'est la 4 CV qu'elle se nomme,

Tout va par quatre dans ce bijou,

4 chevaux, 4 cylindres, 4 portes;

et en général quatr'roues (1).

Jean Rigaud dans son monologue « L'autre jour, ma femme rencontre une amie en panne, la tête sous le capot

relevé, contemplant son moteur d'un air navré ». «T'en fais pas, ma chérie, lui dit ma

femme, j'ai un moteur de rechange dans la malle arrière! ».

Dans ,leur ensemble cependant, les réactions étaient favorables. Le désir qu'avaient beaucoup de Français de rouler à bon compte, malgré les restric­tions d'essence, les faisait accueillir cette nouvelle voiture avec sympathie, sinon avec enthousiasme.

Devant cette réaction, le réseau com­mercial surpris pressait la direction générale d'accélérer la sortie en série, et prenait des commandes avec des promesses de livraison peu en rapport avec le programme que nous nous étions tracé.

Dans le rapport de gestion pour l'exer­cice 1946, le Président P. Lefaucheux résumait ainsi les efforts de l'ensemble de la Régie:

« ••••••••••.••••••••••••••••••••••

Mais le gros de notre effort s'est porté, cette année, comme vous l'annonçait

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d'ailleurs mon dernier rapport de ges­tion, sur la préparation du lancement de la fabrication en grande série de la nouvelle 4 CV.

Bureaux et ateliers d'études, labora­toire, services d'essais, bureaux de méthodes et de chronométrage, ser­vices de travaux, ateliers de modelage et d'outillage, fonderies, ont eu à accomplir, au cours de l'année, pour tenir les délais qui leur avaient été fixés dans le détail, suivant un plan­ning préparatoire dont l'élaboration n'a pas été la tâche la moins importante ni la moins difficile, des efforts d'une ampleur telle qu'il était permis, au premier abord, de douter de leur suc­cès. Ces efforts se chiffreront, en effet, en définitive, par un total de près de 1 million d'heures d'ingénieurs, de dessinateurs et de techniciens, et de 2 millions d'heures d'ouvriers. La néces­sité d'accomplir certains travaux sui­vant l'horaire fixé, et sans compro­mettre le déroulement harmonieux du programme, a imposé, pour certains ateliers, des horaires de 54, 60 et même 65 heures par semaine qui ont été courageusement respectés par tous, car je me plais à reconnaÎtre que les cadres, la maÎtrise, les techniciens, les ouvriers et les employés ont accompli sans déf ai1/an cel'effort intense et prolongé qui leur était demandé.

Le démarrage de la fabrication de la 4 CV s'effectuera donc comme prévu, sous la seule réserve de la livraison en temps utile des machines comman­dées à l'étranger. Ce lancement nous aura coûté, en définitive, beaucoup de temps, de peine et d'argent. 1/ comporte entre autres, l'acquisition ou la fabri­

aux États-Unis en 1949.

cation de plus de 1 000 machines neu­

ves, le déménagement et l'aménage­

ment de deux ateliers d'une surface

totale de 30 000 mètres carrés entière­

ment consacrés à l'usinage des orga­

nes de la nouvelle voiture, la transfor­

mation de plusieurs ateliers existants

(emboutissage, tôlerie, peinture, mon­

tage carrosseries, etc.). Mais cet effort

doit nous mettre au niveau des fabri­

cations étrangères modernes, et la

Régie sera fière de présenter, quand

cette tâche préparatoire sera terminée,

une fabrication en grande série, utili­

sant des procédés entièrement conçus

par ses ingénieurs et ses techniciens,

d'une voiture également sortie tout

entière de nos bureaux d'études et de

nos services d'essais. Elle sera fière,

surtout, d'avoir osé ce grand effort,

et de l'avoir réussi.

••••••••••••••••••••••••••••••••• »

(1) Le Général Catroux, héros de la France Libre, alors Ambassadeur de France à Moscou.

Le début de l'année 1947 fut tout en­tier pris par la mise en place des machines-outils, des outillages et l'ins­tallation des nouveaux ateliers, ainsi que par les ultimes mises au point de la voiture après les voyages d'essai en Algérie, en Guinée et au Brésil, que fît avec beaucoup de courage l'agent technique Ëmile Lafont, seul au volant.

Avec le soutien constant de Pierre Lefaucheux et de Pierre Debos, Pierre Bezier, bousculant les réticences de la vieille garde, avait mis au point en un délai record les premières machines­transfert conçues pendant les heures sombres de sa captivité.

Le 12 août 1947, la première 4 CV de série tombait des lignes de montage de l'île Seguin à Billancourt. Elle pesait en ordre de marche 565 kg et les 300 voitures destinées au réseau com­mercial français étaient fidèles au rendez-vous d'octobre. Peintes en jaune crème, elles traversaient, grou­pées, Paris pour être remises aux concessionnaires de la marque, la veille de l'ouverture du Salon. Par cette présence massive dans une circulation encore clairsemée, elles montraient que désormais il faudrait compter avec elle.

La première voiture de la série, portant le nO 1130575 (1), subissait les 9 et 10 septembre les essais du Centre Ëtudes Techniques de l'Automobile et du Cycle, imposés par la réglementation d'alors, sur le parcours Paris-Grenoble et retour, chargée de 4 personnes et 60 kg de bagages, soit une charge totale de 360 kg (Procès-verbal nO 478 CTA).

Le parcours aller était effectué à 64,4 kilomètres à l'heure de moyenne avec une consommation de 5,57 litres d'es­sence aux 100 kilomètres. Le parcours retour à 63,8 kilomètres à l'heure de moyenne avec une consommation de 5,47 litres aux 100 kilomètres (2).

Devant l'ampleur de la demande, la production de 300 par jour, fixée par Pierre Lefaucheux fut dépassée le 31 mars 1949, avant la date prévue, et les 500 atteintes en juin 1953. En avril 1954, on fêtait au Palais de Chaillot la livrai­son de la 500000e 4 CV, chiffre qu'au­cune voiture produite en série en France n'avait atteint jusque-là.

Depuis juillet 1952, la Dauphine, qui reprenait la majeure partie des élé­ments mécaniques de la 4 CV, était aux essais. L'expérience de la produc­tion et de la clientèle avait été mise à profit dans l'étude de cette voiture,

Moteur 2 litres 85 X 88 -Vue gauche.

ainsi que les essais d'endurance qu'avaient subis les nombreuses 4 CV engagées, souvent avec succès, dans les rallyes et les compétitions (Rallye de Monte-Carlo, Mille Miles, Coupe des Alpes, Liège-Rame-Liège, 24 Heures du Mans, etc.).

Cette nouvelle voiture était lancée en série au mois de mars 1956, un an après la mort tragique de Pierre Lefaucheux, sans qui la 4 CV n'aurait jamais existé industriellement. En 1960, la production totale 4 CV -Dauphine atteignait 2 000 voitures par jour.

L'existence de la 4 CV, dans sa ver­sion initiale, se poursuivit malgré la présence de la Dauphine jusqu'en juillet 1961 ; la dernière 4 CV descen­due de chaîne portait le numéro de série 1105500 (:J).

Fernand PICARD

(1)

Numéro de la plaque ovale : numéro de fabrication depuis l'origine des véhicules Renault.

(2)

Cette voiture fut utilisée comme voiture de service à l'usine .iusqu.'à fin février 1949. Elle fut vendue d'occasion le 24 mars 1949 à M. Vergne. qui l'a conservée 4 ans avant de la céder d'occasion à son tour.

(3)

Numéro dans la série 4 CV frappé sur un endroit confidentiel du cadre-châssis.

annexes

1. -Description du moteur 4 CV nO 1.

II. -Courbe de puissance du moteur 4 CV nO 2. -15 avril 1943.

III. -Poids du moteur 4 CV.

Modifications apportées au cours de sa mise au point.

IV.

-Reconstitution des Archives du bureau d'études, détruites au cours du bombardement du 3 mars 1942 (note Morvan).

V.

-Essai de la voiture 4 CV n° 1 -le 4 janvier 1943.

VI. -Fiche de pesée de la 4 CV nO 1 -7 juillet 1943.

VII. -Essai d'endurance du moteur 4 CV n° 1 -Août 1943.

VIII. -Description de la voiture 11 CV -107 E 2.

IX.

-Fiche de pesée du 8 juillet 1943.

X.

-Texte in-extenso de la Conférence-Programme du 9 novembre 1945.

ANNEXE 1 TYPE MOTEUR 4 CYL. 55 X 80

REFROIDISSEMENT A EAU. -CYLINDRÉE 760 cm3

Cycle : 4 temps.

4 cylindres en ligne.

Alésage : 55 mm. -Course : 80 mm.

Distribution à soupapes en tête commandées par culbuteurs.

Moteur prévu pour être monté à l'arrière de la voiture. -Le ventilateur

est placé au-dessus du carter de volant, il est entraîné par une courroie qui commande en même temps la dynamo et qui reçoit son mouvement d'une poulie placée en bout de l'arbre à cames.

Carter-cylindres en alliage léger LR 10. -Chemises en fonte rapportées. Culasse en alliage léger genre Y formant à la partie supérieure support

des culbuteurs. Carter inférieur en tôle d'acier. Vilebrequin en acier coulé. -Arbre à cames en fonte. Taquet en acier A cémenté, soudé à mi-hauteur. Pompe à huile en aluminium, crépine d'aspiration en magnésium. Bielles en acier nickel-chrome, avec goujons faisant corps. Tubulure d'admission avec hot-spot réglable automatiquement.

ANNEXE Il

MOTEUR 4 CYL. 55 X 80

Annexe 1

i

Carburant = 58 % essence. -42 % alcool

Moteur no 2

AOA = 7".

20

AFA = 45°.

>

0

AQE 45°.

li

i

19

19

AF2 = 7°.

.< ,. 18,7

17,1

17

Se. "

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15,1

15

14

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13

"

320

s

~ 310

300

~ 290

.3

260

1500

12,5

324 -'

3 2,98

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2 •

"ii

/299

.3

'-:!b4---------­

4500

2000 2500 3000 3500 4000

le 15 avril 1943

Poids des éléments principaux du moteur 4 CV.

ANNEXE III

kg kg

Vilebrequin nu 7,400 Bielle ..................... . 0,325

Bloc-cylindres avec goujons 11,675 Pompe à huile ............ . 1,040

Culasse complète .......... . 6,410

Pompe à eau .............. . 1,267

Volant et couronne ........ . 3,990

Piston fonte ............... . 0,220

Carter inférieur ............ . 2,530

Taquet .................... . 0,045

Démarreur ................ . 4,935

Tige de culbuteur .......... . 0,020

Dynamo .................. . 3,670

Culbuteur ................. . 0,030

Carburateur ............... . 0,870

Soupape admission '; ....... . 0,030

Allumeur .................. . 0,560 Soupape échappement ..... . 0,035

Ventilateur Aéoroto ........ . 1,965

Ressort de soupape ....... . 0,020

Couvercle de culbuteurs (bakélite) ............. . 0,230 Piston aluminium .......... . 0,144 Pompe à essence S.EV.... . 0,355 Plaquette du piston (chaque) 0,008 Pompe à essence Guiot .... . 0,570 Piston aluminium .......... . 0,144

Modifications importantes apportées en cours de mise au point.

10 Remplacé les pistons fonte par des pistons en aluminium (pour supprimer une légère vibration aux hauts régimes et diminuer les efforts sur les paliers). 20 Élargi les dentures des pignons de distribution à 21 mm au lieu de 14 mm (la roue Celoron intermédiaire a eu sa denture arrachée). 30 Monté des chicanes d'huile pour réduire la consommation d'huile. 40 Augmenté les sections des orifices de communication entre la culasse et le carter-cylindres pour améliorer l'aération du carter et l'écoulement d'huile. 50 Augmenté la section du reniflard sur carter. 60 Modifié la construction de l'avant du carter pour améliorer l'étanchéité. 70 Modifié la pompe à eau (roulement de 15 X 35 au lieu de 12 X 32). 80 Modifié la bride de pompe à huile (3 trous en !:::,. au lieu de 2) : fuite par la bride à la suite des déformations de cette bride. 90 Porté les vis de réglage de culbuteur à 7/100 au lieu de 6/100 (rupture). 100 Bagué en bronze les corps de pompe à huile (usure rapide de l'aluminium). 11 0 Augmenté le débit de la pompe à huile (hauteur des pignons 18 au lieu de 13) pour conserver de la pression sur les moteurs usagés. 120 Porté les goujons de bielle à 8/100 au lieu de 7/100 (allongement des filets). 130 Augmenté la vitesse de rotation de la dynamo pour avoir une conjonction à plus basse allure de la voiture.

Poids du 1 er moteur: 58,500 kg, sans ventilateur, ni' bobine, ni filtre à air. Poids du 3e moteur: 75,100 kg, avec ventilateur, bobine et filtre à air.

Note sur la reconstitution des archives du bureau des études (S.A.U.R. et

ANNEXE IV

S.M.R.A.) après le bombardement du 3 mars 1942.

Contrairement aux assertions du journaliste Édouard Seidler dans son ouvrage «Le Roman de Renault », je suis en mesure d'affirmer qu'à cette époque il n'existait aucun microfilm de dessins dans les archives de l'usine.

C'est seulement à partir de cette date qu'à commencé la constitution d'archi­ves de sécurité, sous forme de microfilms, de tous les plans au fur et à mesure de leur reconstitution.

J'étais à cette époque le chef de la section de dessins du B.E. et c'est sur les instructions de Monsieur Serre que j'ai entrepris l'étude et la réalisation d'une installation pour microfilmer tous les dessins refaits.

ANNEXE V

Après le 3 mars 1942, le bureau des études a été transféré dans un étage disponible de l'inimeuble contigu à la résidence de Louis Renault à l'angle de l'avenue Foch et du boulevard de l'Amiral Bruix, pour ce qui concerne les dessinateurs. Une partie d'étage d'un autre immeuble (appartenant également à L. Renault) sis à l'angle de la rue de la Pompe et de l'avenue Foch a été aménagé en labo-photo pour microfilmer les dessins.

1. -Réfection des dessins. Au fur et à mesure des besoins, des bleus récupé­rés dans les bureaux d'atelier, au M.P.R. et chez des clients tels que

S.N.C.F. et l'Armée étaient recalqués en travail supplémentaire à domi­cile, par les dessinateurs disponibles, qui emportaient des lots de 20 à 30 dessins ou à l'unité, s'il s'agissait de grands dessins tels que les ensembles pour faire le soir ou durant les week-ends. On .profitait de cette occasion pour que les dessins soient refaits sur des formats nor­malisés.

2. -Microfilmage. Cette opération était effectuée selon les formats des dessins.

a) Formats A4. Par des meubles automatiques à débit continu qui exis­taient chez Kodak et déjà en service pour les banques (chèques, autres documents) mais limités à 21 X 27.

b) Formats A3 et plus grands. Par un appareillage fabriqué en notre atelier d'études et qui consistait à développer des films de 35 mm, type cinéma, dans des bacs multiples sur lesquels se déplacait une espèce de cage d'écureuil de 60 à 70 cm de diamètre, sur laquelle étaient enroulés en spirale des films d'environ 20 m de longueur. Cette cage mue par un moteur électrique plongeait successivement dans les différents bacs nécessaires (développement, fixation, lavage). L'appareil de prise de vues était fourni par Kodak. Le tout était exploité par un jeune photographe, Louzon, engagé spécialement à cet effet.

C'est donc après le 3 mars 1942 et non avant, qu'ont été constituées les archives de sécurité sous forme de microfilms à l'Usine Renault.

Le 25 Mars 1974

Camille Morvan, ex-chef de la section dessins du B.E., actuellement retraité.

Essai de la voiture 4 CV No

Première voiture descendue aux essais spéciaux, le 23 décembre 1942.

Poids en ordre de marche, pleins d'eau et d'huile, 2 litres d'essence

Avant 155 kg

Arrière 287 kg

Total 442 kg

Essai du 4 janvier 1943. -Montée en prise de la route du Pavé des Gardes, côté Chaville (17 %) avec 4 personnes dans la voiture. Vitesse maximale chronométrée : 84 km/heure. Avec la démultiplication qui prévoyait 4500 tr/mn du moteur pour 73 km/h, le moteur tournait à 5200 tr/mn. On décide de moins démultiplier -84 km/heure pour 4500 tr/mn -et de reprendre lès essais avec une boite 3 vitesses, la 4e paraissant inutile. Les cannelures des arbres de cardan de roues sont déformées en torsion (acier C donnant R = 70 kg). On refait des cardans en acier H 4.

ANNEXE VI

Fiche de pesée de la 4 CV No 1

Essai d'endurance du moteur 4 CV nO 1 (août 1943)

ANNEXE VII

Conditions de l'essai : Puissance : 21 CV, 4000 tr/mn -Température huile 900 -Pression : 2,5 kg.

Réglage du carburateur : 18 -80 X 220 -45. 50 heures par périodes de 10 heures.

Consommation d'huile: Au début: 5,8 gr/CV/ho Moyenne 5,4 gr/CV/ho

Incidents constatés après 15 h 40 (pompe à eau -usure roulement et bague).

après 42 h 00 (rupture vis de réglage du culbuteur admission).

après 50 h 00 (pompe à eau -usure roulement et bague).

Débit d'eau à travers du circuit de la voiture : 2000 tr/mn 16,5 I/mn 3000 tr/mn 22,6 I/mn 4000 tr/mn 28,5 I/mn

CARACTËRISTIQUES DE LA VOITURE 11 CV

ANNEXE VIII

1. -CHASSIS.

Le châssis et ses traverses en tôle emboutie et soudée présentent de larges sections caissonnées. Il est très solidement lié à la caisse avec interposition de cales en caoutchouc.

II. -BLOC MOTEUR.

Le moteur est à 4 cylindres, alésage 85, course 88, soupapes en tête, chemises rapportées, refroidissement par circulation d'eau.

L'embrayage est monodisque fonctionnant à sec.

La boîte de vitesses donne 3 combinaisons en marche avant et une en marche arrière, la 2e et la 3e vitesses étant obtenues par engrenages hélicoïdaux entraî­nés par un crabotage à synchronisation.

La boîte de vitesses est commandée par un petit levier placé sous le volant de direction.

Le bloc moteur est relié au châssis par trois coussinets de caoutchouc absor­bant les vibrations. Il reçoit la poussée de l'essieu moteur par l'intermédiaire d'une rotule.

III. -AXE ARRIÈRE.

L'axe arrière est à carter banjo, rigidement lié par un tube et deux jambes de force à la rotule de poussée, à l'intérieur de laquelle se trouve le joint de cardan qui transmet le mouvement de la boîte de vitesses au pignon conique par l'intermédiaire d'un arbre tubulaire.

IV. -SUSPENSION.

Les roues avant sont indépendantes et réagissent chacune sur un ressort en hélice avec amortisseur hydraulique à double effet.

Le pont arrière est suspendu par l'intermédiaire de deux ressorts en hélice avec amortisseurs hydrauliques à double effet. Il est maintenu transversalement par une bielle attachée au châssis.

V. -DIRECTION.

La direction est à vis globique et galet, sa timonerie est constituée par trois barres articulées de façon à éviter toute réaction pendant le débattement des roues avant indépendantes.

VI. -FREINS.

Le freinage sur les quatre roues est obtenu par transmission hydraulique Lockheed.

Un frein à main à transmission mécanique agit sur les roues arrière.

VII. -CARROSSERIE.

Carrosserie conduite intérieure 4 portes, 4/5 places.

Cette carrosserie se monte sur un châssis indépendant à longerons trapézoï­daux. La fixation de la caisse sur le châssis est faite sur des petits corbeaux et isolée par des bagues amortisseurs en caoutchouc.

Décomposition des principaux éléments de tôlerie :

-Panneaux latéraux monopièce caissonnés et soudés électriquement par contact aux planchers AV. et AR.

-Le pavillon comprend la baie de lunette. Il s'assemble avec la baie extérieure AV. pour constituer le monopièce de toit.

-L'assemblage avec les panneaux latéraux est fait de façon identique à la voi­ture 4 CV. Toutefois, la liaison AR. avec les panneaux est assurée par une soudure en feuillure tôle à tôle et ensuite garnie et finie à l'étain.

Les éléments transversaux sont constitués par:

le tablier, le plancher AV., la traverse de talon, le plancher AR. et le pare­

close, la jupe AR. de la caisse.

-Les portes sont constituées par les panneaux extérieurs, les caissons et le U encadrement coulisse de glace. Les glaces sont prévues descendantes. -Les portes AV. sont munies de la baie pivotante (Licence Fisher).

Les éléments indépendants de la caisse sont constitués par :

la calandre qui est utilisée comme support de radiateur, les ailes AV. et

bavolets avec phares encastrés, les ailes AR.

La roue de secours est fixée à l'intérieur de la porte de coffre AR.

Confort de la carrosserie.

Les sièges AV., très confortables, sont à ossature tubulaire. Les coussins et dossiers AV. et AR. sont du type" Epeda ".

Poids de la tôle utilisée : 210 kg.

Les épaisseurs de tôle prévues sont de 70/100 -95/100 et 200/100.

ANNEXE IX

Fiche de pesée de la 11 CV

ANNEXE X

COMPTE RENDU DE LA

CONFÉRENCE-PROGRAMME DU 9 NOVEMBRE 1945

4 CV -11 CV

Étaient présents :

MM. LEFAUCHEUX, LOUIS, GRILLOT, ANSAY, SERRE, PICARD, GRANDJEAN, GUILLON, DUPUICH, TORDET, DEBOS, RIOLFO, DAVESNE, PELTIER, MARS, METTAS, PERRIN, TOUBLAN, RIVAL.

M. LEFAUCHEUX annonce que M. Pons admet maintenant que nous fassions simultanément les outillages de la 4 CV et de la 11 CV. Il désire tout de même qu'une priorité soit donnée à la 4 CV mais nous pourrions, si nous le désirions, obtenir de commencer par la 11 CV. Cependant, M. Lefaucheux signale la campagne qui se fait en ce moment dans la presse sur la 4 CV. Cette voiture n'intéresse pas seulement les français, puisque Skoda fait, paraît-il, une 4 CV.

M. Louis rappelle le Plan Quinquennal sur lequel nous nous basons. Nous avons envisagé plusieurs solutions. En premier lieu, la possibilité d'un démar­rage par la 11 CV et nous avons considéré que pour que nous puissions arri­ver à un prix acceptable, il fallait la prévoir à la cadence de 150 moteurs par jour, soit 135 voitures, et nous avons constaté que nous pourrions produire simultanément la Juvaquatre à la cadence de 80 par jour, plus les fourgonnettes, c'est-à-dire 120 par jour.

Il n'y a dans ce programme aucune impossibilité technique, mais nous arrivons à la conclusion que si nous produisions réellement ce nombre de voitures de tourisme, nous ne pourrions pas tenir le programme du Plan Quinquennal en véhicules industriels.

En second lieu, la possibilité de faire simultanément la 4 CV et la 11 CV :

10 en démarrant avec la 11 CV à la cadence de 135 par jour et en préparant la 4 CV qui se substituerait à la 6 CV, à la cadence de 280 par jour. Or, nous n'avons ni les moyens, ni la place de faire ce nombre de voitures. Il faudrait faire seulement 160 4 CV par jour, en plus des 135 11 CV et MM. Tordet et Debos signalent que les moyens à mettre en œuvre pour ce nombre, les machines ne seraient pas aussi perfectionnées et que le prix s'en ressentirait certainement. Toutes choses égales d'ailleurs, à condition de faire la 4 CV à la cadence de 280 par jour, M. Tordet est certain de diminuer le prix de la main-d'œuvre d'usinage de 40 %.

20 en s'équipant résolument immédiatement pour faire la 4 CV au rythme de 280 à 300 par jour, abandonnant la 6 CV et remettant la fabrication de la 11 CV à une date assez éloignée.

Des travaux ont été faits pour fixer les prix comparés de la 4, de la 6 et de la 11 CV. Pour cette dernière, les études sont beaucoup moins poussées que pour la 4 CV et M. Davesne ne peut indiquer quelque chose d'aussi précis. Il a été tenu compte des organes communs avec la 6 CV.

4 CV 6 CV 11 CV

-matière (poids brut) ....... . 693 kg 1 083 kg 1351 kg

Valeur chiffrée Déc. 1944 .. (5334) 10677 12545

(7902)

6500

accessoires (3862) 5400 7033

(5015)

4200

- 5 roues pour la 4 CV ..... 400

- main-d'œuvre

(à 24,84 f l'heure) ......... 205 h

5125

144 h 230 h 269 h 30

3580 5713 6689

- Frais généraux d'atelier

(252 %) .................. . 9032 14415 16076

ce raisonnement n'est pas

exact en ce qui concerne la

4 CV car le coefficient de

frais généraux sera plus éle­

vé pour la 6 et pour la 11 CV

du fait même que nous au­

rons un outillage plus per­

fectionné pour la 4 CV.

Par contre, ces machines

perfectionnées consommeront

moins.

-Amortissement d'outillage .. 1 600

25312 36205 43143

-Frais généraux généraux 6900 10570 12601

32212 46775 55744

- Pneus ................... . 2477 3437 4310

34689 50212 60054

Dans ce raisonnement, nous avons supposé que les amortissements de la 6 CV étaient faits et il nous reste à ajouter les amortissements d'outillages et de machines pour la 11 CV et pour la 4 CV. Pour ces deux modèles, MM. Tordet et Debos ont fait les constatations suivantes :

a) 4 CV. -300 organes (280 voitures) par jour -20 à l'heure: 1 000 machines nouvelles dont 200 spéciales. Compte tenu du fait que les prix actuels des machines importées d'Amérique sont majorés d'une taxe de péréquation qui tend à mettre le dollar à 100 f, nous pouvons faire abstraction d'une modifi­cation de change. Le prix moyen des machines serait de 450000 f, y compris les machines qu'on fera ici. Il y a un point inquiétant : la possibilité de se procurer ces machines, aussi bien en France qu'en Amérique, excepté pour les machines spéciales.

M. Tordet estime qu'on peut commander 50 % des machines d'ici 3 mois et le reste d'ici 6 mois. Il faut que nous ayons la proportion des machines que nous pourrons faire à Billancourt ou commander en France et de celles qu'il faut se procurer en Amérique.

M. Tordet pense que certaines machines, comme les tours, pourraient être faites en France, mais il faut qu'elles soient changées. Pour la rectification, etc., il faut des machines américaines.

En ce qui concerne les approvisionnements en machines, M. Lefaucheux rap­pelle l'Allemagne.

A ces 450000 f il faut ajouter une estimation pour les montages, les outillages, les outils de contrôle et les frais d'installation, au total en moyenne, 100000 f par machine, c'est-à-dire que chaque machine coûterait en moyenne 550000 f.

b) 11 CV -cadence 10 à l'heure (160 par jour) : on s'en tirerait avec 500 ma­chines nouvelles : 300 pour les nouvelles chaînes et 200 pour compléter les chaînes de Juva et de Prima.

c) Dans l'hypothèse ou nous commencerions par faire la 11 CV et ensuite la 4 CV à la cadence de 160 par jour, il faudrait tout de même, à peu de choses près, 1 000 machines. Ceci est contre la formule : démarrage 11 CV.

M. Peltier, de son côté, a fait des estimations plus précises pour tout ce qui n'est pas usinage :

- Démarrage 11 CV : 120 millions

4 CV (160 par jour) 70 millions

-4 CV seule ............................................ . 320 millions auxquels il faut ajouter les outillages de fonderie, de forge et d'emboutissage, ce dernier poste pour ................ . 50 millions

M. Peltier précise que la différence provient des presses. M. Mars ajoute qu'on gagne sur le nombre d'heures.

10 11 CV/4 CV.

a) 11 CV :

Machines-outils d'usinage ............................... . 275 millions

Chaîne : presses, installation ........................... . 120 millions

Outils forges et fonderie ............................... . 30 millions

Outillages d'emboutissage ............................... . 50 millions

475 millions

b) 4 CV :

Machines-outils 450 millions Presses, installation .................................... . 70 millions Outillage emboutissage ................................. . 50 millions Forges, fonderie (complément) .......................... . 15 millions

585 millions Total général 1 milliard environ.

20 4 CV.

Machines-outils 550 millions Installations presses chaîne ............................. . 320 millions Outillages d'emboutissage .............................. . 50 millions Forges, fonderie ....................................... . 30 millions

950 millions

Il est à remarquer que dans la première formule, nous n'avons à engager tout de suite que 475 millions et le reste 1 an ou 18 mois plus tard.

Rien de tout cela ne fait double emploi avec les programmes passés au Conseil. Il y a cependant un petit chevauchement avec certaines commandes.

M. Tordet estime qu'on peut concevoir que ses estimations et celles de M. Debos sont un peu larges.

Il est évident tout de suite, que si nous divisons cette dépense par la produc­tion sur 4 ans, qu'au bout de ce temps le matériel ne sera pas désuet, avec cette réserve que pour la 4 CV il s'agit de très petites machines. MM. Debos et Tordet s'ingénieraient d'ailleurs à trouver des machines qui puissent égaIe­ment servir pour la 6 CV et même pour la 11 CV. Cela s'intègre donc partielle­ment dans le programme des machines-outils. Ce point est par conséquent favorable à la solution 4 CV.

M. Louis amortirait sur 4 ans les outillages forges, fonderie et les montages. Pour les machines proprement dites, les presses et, à un moindre degré, les chaînes, il estime qu'il serait sage de dire qu'au bout de 4 ans elles auront encore une valeur qui sera au moins de 30 à 35 %.

M. Lefaucheux propose l'amortissement sur 10 ans. Cela paraît un grand maximum.

Le plan de M. Debos pour ramener l'âge moyen des machines à 13 ans prévoit l'achat de 800 machines par an à l'extérieur et la construction de 200 machines à Billancourt.

M. Peltier propose un amortissement sur 7 ans qui est le chiffre de M. Lapi­quonne. M. Lefaucheux est d'accord.

Les machines traction avant Citroën sont à bout en 10 ans et elles ont très peu travaillé pendant la guerre. A ce propos, M. Louis donne quelques indica­tions sur les fabrications Citroën. M. Toublan signale que leur grand souci est le renouvellement de la ligne. Citroën a fait des prototypes de nouvelles voi­tures qui sont très aérodynamiques.

L'outillage amorti en 7 ans donne 143 millions par an, c'est-à-dire 2000 f par voiture pour la 4 CV. En comptant 1 600 f valeur Décembre 1944, nous sommes donc dans la note. Pour la 11 CV, même amortissement et pour la 6 CV, honnê­tement, on peut ajouter 300 f. Les chiffres sont donc respectivement de : 34689 f, 61 654 f et 50512 f.

Il y a actuellement, entre le prix de la Juva et le prix de la 11 CV Citroën, une différence qui est insignifiante et qui frappe beaucoup la clientèle. Nous sommes à 106000 f, contre 120000 f. M. Lefaucheux fait remarquer que nous avons le coefficient 4,96 alors que Citroën a 4,80 et il y avait déjà, en 1939, une assez faible différence de prix : Juva 16700 f et 11 CV Citroën, 19400 f. Le Service Commercial n'était pas gêné par cette faible différence à cause des frais d'entretien qui étaient beaucoup plus élevés pour la 11 CV et cela est toujours vrai.

M. Mettas rappelle qu'en 1939 Citroën nous surclassait en ventes tourisme. Il y a un terme de comparaison plus intéressant : la 202 qui a un prix plus élevé que celui de la Juva.

M. Grandjean signale qu'il a entrepris des démarches au C.O.A. pour que nous conservions la majoration de 24 % mais il a appris que la réaction de Citroën était précisément de ne pas garder la sienne.

Avant la guerre, il y avait donc un faible écart entre la 6 CV et la 11 CV. Or, dans les estimations que nous faisons ici, il y a un assez important écart entre la 6 et la 11 CV de la Régie.

Pour arriver au prix de vente, il faut ajouter au prix de revient la marge béné­ficiaire. Ça arrive à : 50000 -72 500 et 80500. Il faut encore ajouter à cela, le coefficient de hausse de 1,7 sur la matière et 30 % pour la main-d'œuvre. En se basant sur le prix de vente de la Juva de 106000 f on obtient le coeffi­cient de 1,46 qui donnerait: 73500 f pour la 4 CV et 132700 f pour la 11 CV.

M. Lefaucheux pense que c'est le moment de faire le point. Il est inutile que chacun reprenne ses arguments. M. Lefaucheux va les reprendre lui-même les uns après les autres. Pour commencer, il a été extrêmement heureux de la façon dont cette étude a été menée et de l'effort d'objectivité fait par chacun.

Maintenant, il faut choisir une solution et, quelque paradoxal que cela paraisse, la solution à prendre n'est peut-être pas celle qui est la plus évidente. Il est certain que la fabrication la moins coûteuse eut été celle qui aurait été adoptée avant la guerre. En ce moment, le marché n'est et ne sera plus le même.

M. Lefaucheux voudrait faire le point de ce qu'il est :

10 Nous sommes en économie dirigée, et mal dirigée. Ce n'est pas tant à cause des hommes qui sont à la tête : les uns sont bien, les autres moins bien, seulement les mécanismes ne sont pas au point. Le Plan de M. Pons est un gros effort de perfectionnement de l'Économie dirigée mais il n'est pas parfait. Nous ne devons pas le torpiller. Nous pouvons essayer de l'amender. L'auteur est d'ailleurs d'accord avec nous pour le faire évoluer.

Il l'a prouvé :

a) en nous donnant des cars et en augmentant le nombre des GK ;

b) en nous autorisant formellement à préparer les outillages de la 11 CV en

même temps que ceux de la 4 CV.

20 L'économie française est ruinée, et plus encore que cela ne. se voit. Elle offre des perspectives contradictoires : on a besoin de tant de choses, qu'il y a un marché pour tous les articles, mais on manque de charbon pour faire tourner l'industrie. D'autre part, les perspectives de nationalisations vont stériliser complètement certaines branches de l'économie qui se sentent menacées. Tout cela s'arrangera, mais nous avons certainement des crises à prévoir.

Il faut que nous puissions choisir entre toutes ces perspectives pour savoir où l'on va et prendre nous-mêmes notre décision. Nous pouvons nous baser sur deux schémas :

1.

-L'économique suivant le politique, la France cessera d'être, comme avant la guerre une nation comportant des pauvres, c'est-à-dire des gens sans pouvoir d'achats; ouvriers, employés, petits fonctionnaires, retraités et pensionnés et des gens à l'aise : industriels, commerçants, professions libérales, propriétaires de terres riches, d'immeubles, intermédiaires, bour­siers, agents d'assurances, etc. Dans sa nouvelle organisation, disparaî­tront, des éléments classés parmi les gens à leur aise : les intermédiaires, les commerçants qui s'enrichissaient en 4 ans, les industriels des indus­tries mal équipées, en un mot toute une catégorie de gens qui vivaient du travail des autres.

2.

-Les rentiers et les retraités restant rUines par la dévaluation qui nous guette, on verrait se reconstituer une nouvelle classe de gens à leur aise avec tous les enrichis des marchés noirs, des industries qui ont tra­vaillé pour les allemands, et la classe des pauvres s'augmenterait de tous les gens ruinés, incapables de travailler.

Le pays va s'orienter entre ces deux solutions, mais pour le moment nous sommes en plein dans la seconde : toute une série de gens ont de l'argent qu'ils ont gagné pendant la guerre et la classe des gens qui, par leur travail, vont obtenir un pouvoir d'achat plus élevé est encore dans le 36e dessous. La question qui se pose est de savoir combien de temps cela durera.

Il peut paraître logique de se dire qu'il y a pas mal de nouveaux riches prêts à payer n'importe quoi pour avoir une 11 CV -et plus gros si possible ­d'anciens clients qui peuvent encore acheter une telle voiture. Il peut venir également à l'esprit la solution d'essayer de nous placer entre les deux tableaux et de faire une voiture qui puisse aller dans les deux cas: la 6 CV qui permet­trait de toucher les gens qui ont de l'argent et ceux qui vont en avoir. M. Lefau­cheux pense qu'il faut voir plus loin. Il faut augmenter la différence avec la 11 CV car cette dernière, suivant la politique de Citroën, sera une voiture très bon marché. Pour nous qui envisageons un développement plus grand, qui dépenserons de l'argent, il va y avoir une période critique à traverser à cause de la concurrence que va nous faire Citroën qui va essayer de nous livrer bataille en pratiquant des prix auxquels nous ne pourrons pas arriver. Il faut donc que nous cherchions un secteur où nous n'aurons pas à craindre la concurrence de la 11 CV.

On peut penser que les gens qui peuvent acheter des 11 CV actuellement vont voir diminuer très rapidement leur pouvoir d'achat. Que se passera-t-il le 1er juillet 1947? Peut-on admettre que ce sera le moment où le nombre des clients 11 CV diminuera et où celui des acheteurs de la 4 CV augmentera?

M. Lefaucheux pense que la 4 CV est bien dans la ligne générale d'évolution du pays et il pense qu'il faut la faire le plus vite possible

10 Parce que dans 15 mois, au moment où elle sortira, le marché ne sera pas encore saturé et on vendra encore tout ce qu'on voudra. A ce moment, il est bien certain que le Chef d'Atelier de la Régie ne sera pas encore en mesure de s'acheter une 4 CV, mais il verra la voiture et il aura le désir de s'en acheter une.

20 Nous ne serons pas seuls à faire des 4 CV. Panhard et Simca vont en faire aussi et il y a des positions à prendre par la première qui sortira.

30 La production de la 4 CV Simca est dès maintenant vendue à Rolls-Royce qui en a pris la licence et s'engage à en vendre 100 000 par an. Le fait qu'une marque anglaise admet que l'on pourra vendre une grande quantité de 4 CV en Angleterre même, peut nous donner l'espoir que sur d'autres marchés d'exportation nous aurons un débouché. Mais il faut arriver vite parce que ces marchés seront tentés par les voitures américaines.

Enfin, il faut faire la 4 CV en grande série et les chiffres donnés aujourd'hui confirment M. Lefaucheux dans cette idée. La seule raison qui nous amène à faire la 4 CV est la question de prix : entretien et première mise. Nous ne pouvons obtenir un prix de vente bas qu'en fabriquant en grande série. Donc, il faut éliminer la solution de faire simultanément, au début, la 4 CV et la 11 CV. Il faut porter résolument tous nos efforts sur la 4 CV en nous disant que nous avons avec la 11 CV uri très bon modèle que nous serons peut-être amenés à faire par la suite, si la 4 CV ne remporte pas le succès attendu.

D'après le Plan Pons, nous devons faire 170 000 voitures 4 CV. Pour augmen­ter ce chiffre, nous avons un moyen qui consiste à garder les dates du Plan et à augmenter les cadences annuelles prévues. Nous pouvons essayer de la commencer dès la 2e année du Plan et cela nous permettra de réduire nos frais d'amortissement. M. Lefaucheux pense qu'il faudrait décider les cadences suivantes:

2e année 3e année 4e année 5e année

30 000 45 000 55 000 70 000

115 par jour 175 par jour 215 par jour 270 par jour

M. Lefaucheux retient ici deux idées qui l'ont frappé :

10 Il ne faut pas faire deux séries de machines et d'outillages capables chacune de la moitié de la production totale;

20 Il faut assurer nos arrières : la 4 CV n'est pas encore vendue. Et

pour cela, nous avons la 11 CV. Mais en attendant, il faut savoir combien

nous allons faire de 4 CV.

Avant la guerre, l'usine faisait 302 véhicules par jour dont 265 tourisme et 37 V.1. Si l'on fabrique 100 voitures 11 CV et 92 V.1. (au lieu des 128 du Plan), on ne pourra évidemment pas faire 270 4 CV. Il faut trouver une solution intermédiaire. Est-il possible de dire que nous ferons une seule chaîne toutes les fois qu'en adoptant cette solution nous réaliserons une économie conSidérable? Mais que toutes les fois qu'il sera possible de faire 2 ou 3 chaînes sans augmentation de prix, c'est cette solution que nous prendrons? En d'autres termes, est-il nécessaire de faire tout de suite une chaîne pour la cadencè de 280 ou peut-on proèéder par étapes? De même, il faut essayer de réutiliser, au moment où nous atteindrons la cadence maxi­mum, les machines et outillages qui servent maintenant à la 6 CV et qui pour­ront être transformées.

M. Peltier pense que c'est possible si l'on a de la place mais on ne fera pas 260 4 CV et 135 11 CV dans l'île Seguin.

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Ce n'est pas de cela qu'il est question puisqu'on ne fera la 11 CV que si la 4 CV ne réussit pas comme nous l'espérons.

M. Peltier pense que si la chaine doit être prévue pour arriver à la cadence maximum, elle occupera dès le début toute la place. Et il ne peut pas installer à la fois la 4 CV, la 6 CV et les V.1. M. Lefaucheux rappelle que les chiffres du Plan, pour ces derniers, seraient réduits.

M. Debos estime que la solution serait facilitée si l'on commençait par enlever des ateliers de série tout ce qui n'est pas de série et si l'on mettait l'atelier des pièces de rechange à l'extérieur. Déménager le M.P.R. coûterait 100 mil­lions qui seraient vite amortis par le chiffre d'affaires.

M. Lefaucheux est persuadé qu'on trouvera la solution. M. Peltier aussi, mais pas dans 18 mois.

M. Lefaucheux en arrive au programme détaillé, année par année

du 1el'/l /46 au 1/7/46 : période préparatoire pendant laquelle on ne fera que des 6 CV.

FI' jUillet 1946 : démarrage du Plan de 5 ans. Jusqu'au 1er juillet 1947 : 6 CV.

1el' jUillet 1947 : 4 CV tout en gardant encore une queue de fabrication de la 6 CV (M. Grillot pense que c'est possible).

M. Guillon pense que si la 4 CV est une réussite technique, ce qu'il croit, on ne vendra plus de 6 CV. M. Lefaucheux estime qu'on vendra bien 10000 6 CV qui peuvent d'ailleurs être maintenues en fourgonnettes. M. Mettas ajoute qu'on peut faire les grosses cadences de ce modèle au début et aller en décroissant.

1el' juillet 1948 : 4 CV seule.

M. Debos demande les cadences horaires. M. Lefaucheux indique les cadences du Plan de 5 ans 8, 12, 16 et 20.

Dans l'hypothèse où la 4 CV ne trouverait pas d'acheteurs, nous aurons la possibilité d'introduire, vers la fin du Plan, la 11 CV. Il faut compter qu'au début de 1948 nous serons fixés sur le succès de la 4 CV. A partir de ce moment, combien de temps faudra-t-il pour lancer la 11 CV si c'est néces­saire? Les études seront faites puisque les bureaux d'études vont être pro­gressivement dégagés des études de la 4 CV. Il faut prévoir un délai de 18 mois environ.

Puisque nous avons pris la décision de nous en tenir au Plan de 5 ans et de faire la 4 CV, M. Lefaucheux a l'intention de faire une démarche pour déga­ger la voie en écartant la concurrence de Citroën. Il faut obtenir que ce dernier reste sur sa 11 CV puisque c'est le véhicule qui lui est attribué. En ce qui concerne Simca, nous devons arriver à faire un prix nettement inférieur au sien.

Il reste à résoudre la question de l'obtention des crédits en dollars pour l'achat des machines en Amérique, c'est-à-dire 8 millions de dollars.

M. Grandjean signale qu'il faut prévoir la conduite à droite pour l'exportation.

M. Serre y a pensé.

Maintenant que la décision est prise, bonne ou mauvaise, suivant l'idée des gens, il faut faire tous ces efforts pour qu'elle réussisse. En particulier, il faut arriver à sortir la 4 CV le leI' juillet 1947. M. Lefaucheux est persuadé que cha­cun fera ce qu'il pourra. Comme directive générale, dans chaque service inté­ressé, il faut faire le point de ce qui est nécessaire comme moyens pour faire la 4 CV dans le délai indiqué et le demander.