04 - Du cours Eugénie à l'avenue Émile-Zola

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Du cours Eugénie à l'avenue Émile-Zola

Le docteur Albert Bezançon, fondateur du musée de Boulogne, garde un souvenir exquis du quartier du Hameau fleuri où l'appelaient des clients (1).

A l'automne, la couleur jaune des feuilles de tilleul illuminait les jardinets et les grands parcs des propriétés tranquilles. Pas un bruit; surtout pas de bruit de moteur; des chants d'oiseaux, des cris d'enfants. Les promeneurs, piétinant les feuilles mortes, aimaient s'attarder au long de cette superbe voie champêtre qui conduisait au Hameau fleuri et aux bords de Seine où une barque permettait d'atteindre l'île Seguin dans laquelle il était possible d'herboriser.

Comment est né et a disparu ce cadre enchanteur? (2)

En 1825, lorsqu'elle achète ce qui reste de la " Ferme de Billancourt", la Société de Gourcuff trace un plan d'aménage­ment des terrains. Elle construit, notamment, un chemin qui prend naissance sur la route de Versailles et conduit à'la Seine en s'élargissant à mi-parcours pour former une promenade plantée de tilleuls. Les bâtiments de la ferme se trouvaient au carrefour de la rue Yves-Kermen et de l'avenue Émile-Zola.

La promenade est appelée " le cours" (promenade publique plantée d'arbres) et la rue qui la précède" rue du Cours" (longueur 690 mètres, largeur de 16, 26 et 28 mètres).

(1)

Le docteur Bezançon a fêté son 102' anniversaire le 13 novembre 1981.

(2)

Cf. « les Rues de Boulogne» par A. Couratier.

(3)

Nos lecteurs pourront se reporter à d'autres textes parus dans le Bulletin de la Section d'Histoire et notamment : «l'Effondrement du bâtiment C4 Uuin 1971) », " l'Expansion territoriale" Uuin 1971) ; " la Mort tragique de Marcel Renault" (juin 1972): "les Inondations de 1910" (décembre 1974) ; "le Bombardement du 3 mars 1942" Uuin 1974).

En 1836, M. de Gourcuff cède par contrat la promenade et la rue à la commune d'Auteuil et, en 1860, la commune de Boulogne succède aux droits de celle d'Auteuil. Elle s'en désin­téressera à tel point que l'architecte Voyer, en 1892, les considérait à tort comme voies privées (3).

La Société de Gourcuff, pour protéger la promenade, avait interdit, de façon absolue, d'y faire pénétrer et circuler les chevaux, bestiaux et tous véhicules quels qu'ils fussent.

L'avenue du Cours en 1906.

En 1857, successeurs de la Société de Gourcuff, la Société Bonnard (Comptoir Naud) désire continuer la vente des ter­rains. Étant gênée par cette interdiction, elle décide de la tour­ner en établissant de chaque côté de la promenade une allée de 2 mètres de large, propriété privée des acquéreurs, non sou­mise à la servitude qui, elle, demeure et que la commune est tenue d'observer.

En épousant Napoléon III, en 1853, Eugénie-Marie de Montijo de Guzman, née à Grenade en 1826, devint impéra­trice des Français. On dénomma la promenade "cours Eugénie", et la rue "rue du Cours-Eugénie". Quand l'Empire s'effondra en 1870, ces appellations disparurent et la désignation d'avenue des Tilleuls devint courante.

Au numéro 8, la famille Renault possédait sur le cours une propriété où naquit Marcel Renault en 1874 et où mourut son père en 1891. Louis Renault y fabriqua sa première voiture en 1898, et les premiers ateliers A, B, et C s'édifièrent entre 1900 et 1904 aux angles du cours, de la rue du Cours et de la rue Gustave-Sandoz.

A la mort en course de Marcel Renault en 1903, le journal l'Auto, sur souscription, proposa d'élever un buste sur la place Nationale. Le maire, M. Lagneau, refusa mais consentit un emplacement à l'entrée et au milieu du cours.

La délibération du conseil municipal de Boulogne, le 21 octobre 1903, indique:

A la suite de l'accident survenu à M. Marcel Renault, lors de la course Paris-Madrid et qui a occasionné sa mort, un comité s'est formé à Paris, dont le but est de lui élever une statue par souscription publique.

Le président de ce comité, M. Desgranges, a adressé à M. le maire, une demande que votre deuxième commission a eu à examiner et qui sollicite l'emplacement de la place Nationale pour son érection.

Il a été reconnu que la course Paris-Madrid avait été organisée non pour l'obtention des prix aux premiers arrivés, mais pour l'avenir d'une industrie qui débute. Or, l'industrie automobile, de l'avis de tous, est une industrie essentiellement française qui, en présence de la concurrence, doit maintenir sa réputation.

Dans ces conditions, il y a lieu d'approuver la conduite de

M. Renault qui a risqué sa vie personnellement en dehors des avantages pécuniaires dont il n'avait nul besoin, mais pour aider au bon renom d'une industrie qui honore la France et procure du travail à bon nombre d'ouvriers.

M. Marcel Renault étant enfant de Billancourt, y ayant fondé en collaboration avec ses frères une usine qui ne peut que faire prospérer la localité, votre commission a donc décidé de faire droit à cette demande. La place Nationale, pour différentes raisons n'a pu être retenue, mais votre commission vous pro­pose de concéder un emplacement à l'extrémité de la rue des Tilleuls à titre précaire, ne pouvant engager l'avenir en ce qui concerne cette voie, et sous réserve de certaines modifications à apporter à l'entourage du monument.

Il restera entendu que MM. Renault frères resteront chargés du bon entretien de ce monument et de son entourage ; sans jamais qu'aucune charge pécuniaire ne puisse incomber à la commune...

A la séance du conseil municipal du 19 juin 1904, le maire informa que la famille Renault venait de lui faire parvenir cinq cents francs pour les pauvres de Boulogne, en remerciement de l'emplacement qui lui avait été accordé pour l'érection du monument.

En 1920, ce dernier fut transféré sur un bas-côté du cours. Détruit lors du bombardement du 3 mars 1942, le buste de Marcel Renault a été récemment retrouvé; il est maintenant dans le parc de l'Amicale du Groupe Renault.

Cette même année 1920, le niveau de l'avenue fut relevé et les arbres enlevés. La société Renault devenue seul possesseur des propriétés riveraines, l'avenue devint une voie de circulation comme les autres.

Cependant un quidam argua devant le Conseil d'État qu'on violait ainsi le contrat de 1836 et la promesse du maire d'Auteuil de ne pas changer la destination des voies et prome­nades. La société Renault invoqua le droit de l'Administration d'aménager les voies publiques comme elle l'entendait et que, si ses usines en profitaient, la prospérité générale y trouvait son compte. De son côté le ministre de l'Intérieur observa que la destination des lieux n'a pas été modifiée, et que la munzàpa­lité de Boulogne, tenue par le contrat en question d'eniretenir les rues, n'a poursuivi l'0pératz'on envisagée qu'en vue d'assurer l'exécution dudit contrat.

Prudent et subtil, le Conseil d'État conclut que le préfet avait respecté les formes légales et que le plaignant aurait dû s'adres­ser au conseil de préfecture en mettant en cause, non le préfet, mais le conseil municzpal. Ce qui mit un terme à la réclama­tion. Renault annexa les contre-allées, ce qui était son droit. L'ancienne promenade fut incluse dans la rue.

Le 12 mars 1920, le conseil municipal de Boulogne décida de l'appeler du nom du romancier français né à Paris en 1840 et décédé en 1902, Émile Zola, chef de l'école naturaliste.

Que d'événements allaient se produire là ! Que de bruit après le calme, que de " batailles ", que de conquêtes! Conquêtes territoriales nombreuses, bien sûr, et peu d'échecs vis-à-vis des riverains, puisque seuls trois propriétaires résistèrent aux assauts répétés de Louis Renault. Il s'agit de trois commerçants " marchands de vins ", restaurants... deux à l'angle de l'ave­nue Émile-Zola et de la rue Yves-Kermen, dont le très connu " Vin blanc fraise ", le troisième à l'angle de la place de l'Église (Bir-Hakeim).

La rue du Cours, au début du siècle, n'a pas d'égouts sur toute sa longueur. Par lettre du 2 juin 1906, lorsque les frères Renault demandent à la commune d'allonger l'égout existant de 55 mètres, ils proposent également une participation finan­cière, à condition que l'ouvrage soit achevé dans un délai de six semaines maximum.

La commune veut profiter de cette suggestion et décide de pro­longer l'égout sur 108 mètres (coût F 6000) -les frères Renault en donneront 2 000 -et la ville fera le maximum pour que le délai demandé soit respecté.

Si je cite cette demande des frères Renault, c'est que dans son genre c'est un modèle. Chaque fois qu'on aura besoin d'un accord de la municipalité, il sera procédé de la même façon; " Désir. .. d'améliorer les lieux" au profit de tous, menace de procéder différemment et à moindres frais, ultimatum pour les délais, participation financière très large pour influencer dans le meilleur sens.

Les affaires seront toujours rondement menées de cette façon. Qu'il s'agisse des passages souterrains reliant deux ateliers, ou qu'il s'agisse d'une passerelle aérienne simple ou double au-dessus des voies publiques.

Les obstacles sont abattus les uns après les autres. Quelquefois la décision fait une victime; c'est ainsi que M. Martin, conseil­ler de Billancourt, fut révoqué des usines Renault pour avoir émis une opinion défavorable concernant le souterrain de la rue Gustave-Sandoz (conseil municipal du 19 février 1911).

Le 31 août 1910, la commune demande une redevance annuelle de F 1000 pour le souterrain Sandoz, mais Louis Renault s'adresse au préfet qui la réduit à F 10 ; alors Louis Renault s'engage à verser F 2000 au bureau de bienfaisance... à condition de pouvoir commencer immédiatement les travaux.

Le 19 décembre 1911, Louis Renault est autorisé à construire un passage aérien rue Gustave-Sandoz. Le maire fait remar­quer à son conseil que sa présence gêne l'esthétique de cette rue, surtout aux abords de l'avenue des Tzlleuls (Émile-Zola) ; ce qui n'emPêchera nullement Louis Renault de présenter une

L'avenue du Cours en 1902 vue à partir de la rue Gustave-Sandoz en 1922.

nouvelle demande de construction de deux passerelles aérien­nes superposées au-dessus de la rue Gabrielle et d'avoir l'accord du même conseil.. _ moyennant une redevance annuelle de F 500 par passage pour occupation de la voie publique_ Réac­tion de Louis Renault par une lettre du 21 décembre 1915___ et le 27 février 1916 le conseil municipal laisse le soin à

M. Renault d'appréàer le montant de la redevance. Finale­ment, si le passage est constitué de deux niveaux, la redevance, elle, ne sera pas doublée.

Plusieurs entreprises de Boulogne saisiront et profiteront de cet exemple pour leur propre compte : Farman pour un passage souterrain sous la rue de Billancourt, et Salmson sous la rue des Longs-Prés, la rue Molière et la rue Saint-Germain.

Pendant la Première Guerre mondiale plusieurs rues furent barrées par Louis Renault qui passa une nouvelle convention avec la ville de Boulogne, prévoyant que les rues devraient être rendues à leur destination première dans un délai de dix ans après l'arrêt des hostilités (4).

Peu de temps après l'armistice, la rue du Cours fut rendue à la circulation..

Le souterrain reliant les usines B à C.

Que va-t-il pouvoir encore arriver à notre avenue? Le 16 juillet 1919, Louis Renault demande l'autorisation d'y construire un souterrain; en 1926 c'est l'installation d'une voie ferrée entre la rue de Saint-Cloud (rue Yves-Kermen) et la place de l'Église, contre une redevance annuelle de F 600 fixée par le conseil municipal dans sa séance du 12 mars 1926. En 1928, il faut rectifier l'alignement dans la partie comprise entre le quai et la rue Gustave-Sandoz. Un arrêté préfectoral du 13 décembre 1902 avait fixé la largeur à 16 mètres; il manquait deux mètres entre les rues Sandoz et Traversière. La ville proposa à Renault la cession de la bande de terrain nécessaire. Elle avait besoin d'argent car il entrait dans ses projets d'acheter un

(4) Cf. .. l'Affaires des rues Renault" (Bulletin de la S.H.U.R. -juin 1975).

premier terrain 169 et 171, rue du Vieux-Pont-de-Sèvres et un second contigu, rue d'Issy (dans la partie qui deviendra rue Émile-Pouget en août 1938, entre la rue de Meudon et la place de l'Église, terrain qui sert de dépôt à Renault depuis la guerre de 1914.

Louis Renault a déjà une option sur ces terrains, il a même versé un million au propriétaire. La ville tient à l'acquisition de ces parcelles car le quartier en raison de son caractère indus­triel a besoin d'un espace lz"bre, que l'on pourrait aménager en promenade publique (délibération du 30 juillet 1928). Un second projet de stade est à réaliser sur un terrain donné par

M. de Rothschild, rue de Sèvres. Il faut de l'argent pour réaliser ces deux projets.

Puisque Louis Renault est devenu le seul propriétaire riverain de plusieurs rues de Billancourt, pourquoi ne pas lui céder les sols des rues Gustave-Sandoz, du Hameau, Gabrielle,

m2

Théodore et Traversière, soit 18 957 environ pour F 4 696 091 ?

La proposition convient à Louis Renault qui cède alors à la ville l'option des terrains de la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres. Pendant six années la commune extraira du sable en cet endroit et y implantera un square, inauguré en 1934 et en 1935, qui sera dénommé Henri-Barbusse au moment de la mort de l'écrivain.

Après le bombardement du 4 avril 1943, le conseil municipal estime qu'û y aurait lieu, avant tout, de ne pas reconstruire sur Place les usz'nes de guerre msées par les am"ations ennemz'es et, en premz'er Heu, les uszrœs Renault (délibération du 7 avril 1943). On sait ce qu'il en est aujourd'hui où l'avenue Émile-Zola est certainement une des voies les plus animées de Billancourt.

Le 7 mars 1947, le préfet de la Seine approuve une décision du conseil municipal tendant à éclairer l'avenue Émile-Zola. Il en coûtera F 100 000 à la ville et F 150 000 à la Régie Renault. La société Forclum établira dix foyers lumineux entre la rue de Saint-Cloud et le quai. La même année s'effectuera la signalisation lumineuse au carrefour Sandoz -Zola.

En décembre 1950, la Régie Renault, représentée par Pierre Lefaucheux, et la commune dirigée par Alphonse Le Gallo se mettent d'accord pour la cession à la Régie: -de la partie de l'avenue Émile-Zola comprise entre le quai de Stalingrad et la limite de mitoyenneté des numéros 35 et 37 de ladite rue, soit une surface de 10 509,20 m2 -la partie déclassée subsistante de la rue du Hameau, soit une surface de 554 m2 ; le tout pour une somme forfaitaire de cinq millions soit F 451 environ le mètre carré. Un arrêté préfectoral du 9 mai 1952 autorise les déclassements, et la prise en possession devient effective le 1e< janvier 1953.

Une grille que nous connaissons sous le nom de " grille Zola" sera placée à hauteur du nO 35. Elle sera le témoin de nombre d'événements et sa fermeture définitive interviendra à la suite des tragiques événements de février 1972.

Carmen ALEXANDRE

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Sortie des ouvriers vers 1910.

Angle de l'avenue du Cours

(Émile-Zola)

et de la rue de Saint-Cloud

(Yves-Kermen) en 1922.