03 - L'usine du Temple à Saint-Michel-de-Maurienne (3)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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L'usine du Temple à Saint-Michel-de-Maurienne (3)

VI -La sidérurgie de 1945 à 1975

Les Aciéries de Saint-Michel-de-Maurienne étaient une propriété personnelle de

M. Louis Renault et n'appartenaient pas, juridiquement, à la Société anonyme des usines Renault dont les usines furent réquisitionnées le 26 septembre 1944 et qui fut nationalisée par l'ordonnance du 16 janvier 1945 pour devenir la Régie nationale des usines Renault.

Cependant, Louis Renault, écroué à Fresnes le 23 septembre 1944, y était décédé le 24 octobre, dans des conditions qui ne furent jamais bien établies et, bien qu'il n'ait été l'objet d'aucune condamnation, ses biens furent aussitôt spoliés. De plus, l'ordonnance du 16 janvier 1945 précisait que "la confiscation des participations de Louis Renault per­mettrait à l'État de devenir principal actionnaire de toutes les entreprises satellites des usines Renault et de leur imposer ses directives"

C'est ainsi que l'usine de Saint-Michel devint finalement un atelier décentralisé de la R.N.U.R., par un arrêté du 5 octobre 1945. Il Y eut conflit à ce sujet entre l'État et les héritiers de Louis Renault.

Le compromis, proposé par M. Pierre Lefaucheux, et signé par le ministre de la Produc­tion industrielle et le représentant des héritiers de M. Louis Renault, le 15 mars 1947, précise:

" ... § 4: Comme conséquence de l'arrêté interministériel du 31 décembre 1945 pronon­çant la confiscation des actifs financiers des Aciéries Louis Renault à Saint-Michel-de­Maurienne, la Régie nationale prend entièrement à sa charge, sans exception ni réserve, le passif exigible de ladite exploitation ...".

A noter à ce sujet que, ainsi que M. Grémeaux l'avait appris au cours d'une conférence tenue fin 1943 dans le bureau de M. Rochefort, installé dans le même immeuble que les appartements du Patron, 88/90 avenue Foch, Saint-Michel -propriété personnelle de Louis Renault -était le futur héritage de Jean Renault son fils.

Tout compte fait, compte tenu de ce que l'on va lire ci-dessous, la Régie lui a peut-être, par cette spoliation, évité une faillite.

Donc, le 15 octobre, arrive à Saint-Michel M. Jean Grémeaux (ingénieur A.M., PAI7, qui occupait jusqu'alors les fonctions de chef des achats métaux à Billancourt), envoyé par M. Lefaucheux pour occuper le poste de directeur.

Il arrivait dans une usine complètement désorganisée. De l'ancienne équipe, il restait en place M. Gentil qui assurait l'intérim de l'usine depuis septembre 1944, époque à laquelle il avait été "nommé" directeur par le C.V.A. (Comité d'unité d'action des syndicats). Il avait fallu, par la suite, négocier avec lui sa rétrogradation d'abord et son départ ensuite.

Octobre 1945 : la cour principale de l'usine. (Arch. Roux).

La caisse était vide : les fours haute fréquence de l'aciérie venaient d'être vendus pour assurer la paie. Les fournisseurs n'étaient pas payés. Avant que M. Grémeaux ne parte de Billancourt pour Saint-Michel, son patron direct d'alors,

M. Louis, avait dit à M. Lyons, le financier: "Donnez cinq millions à Grémeaux ; avec ça, il pourra faire". Mais c'était bien en dessous de la réalité. Le chef comptable, M. Germain, ayant fait un recensement des dettes, arrivait à un chiffre bien supérieur et, en plus, il fallait un fonds de roulement pour faire tourner l'usine. Enfin, la note de M. Germain était incomplète, car certains engagements ne lui étaient pas connus. Pechiney, par exemple, réclama quelques mois plus tard la "restitution" de 1 600 kg de cobalt "empruntés". De mème, un intermé­diaire suisse vint un jour réclamer dans le même sens au sujet d'aciers rapides qu'il disait avoir vendus pour Saint-Michel.

Dans son rapport de gestion de l'année 1946, adressé à la direc­tion générale de la R.N.U.R., M. Grémeaux fait une noire description de ses impressions lors de son arrivée : "... les toitures de l'usine sont en très mauvais état et à reprendre entièrement ; il manque toutes les vitres des grandes baies de la façade, sur la route nationale, et 25% de celles des lanter­neaux ; les bâtiments, construits en 1929 et 1930, comportent des éléments assemblés par des boulons; la moitié de ceux-ci manquent; les rails des ponts roulants sont fixés par des moyens de fortune et se déplacent pendant la marche des ponts; à l'aciérie, les ponts de coulées de 12 t sont chargés à 18 t. Deux pilons Massey sont abandonnés, l'un à l'extérieur, parmi la ferraille, l'autre à l'intérieur sous un tas de terre; le four à lingots Waldrich est à moitié enterré et hors d'usage; la presse à forger de 800 t ne marche plus depuis 1940, car elle est hors d'usage ; des produits réfractaires, du matériel automo­bile, des accessoires électriques, des pièces de rechange, des matières premières, du matériel inemployé et récupérable sont laissés à l'abandon autour de l'usine ou de ses dépendances.

"Nous nous apercevrons ultérieurement que, pendant une période de plusieurs années, les résultats du laboratoire ont été volontairement faussés; le matériel, pour l'usinage et le traite­ment des éprouvettes, est dans un état qui ne permet pas de tirer des conclusions précises des essais qui sont faits; à l'ori­gine, il y avait un refroidissoir mécanique au train de 305 ; il a été riblonné, mais rien ne l'a remplacé.

"Vers 1940, le système de la double équipe a été introduit aux laminoirs, diminuant ainsi le rendement du personnel; aux laminoirs, par suite de l'insuffisance des fours à réchauffer, la production est de l'ordre de 28 t par poste au train de 550, alors qu'elle atteint le double, sans moyens mécaniques particuliers, dans d'autres usines possédant un outillage analogue; au train de 305, la production n'excède pas 20 t par poste, alors que l'on obtient des productions de 50 à 60 t à Hagondange, sur un train analogue et pour les mêmes fabrications. ( ...)

"Une cantine a été installée avec un statut et une complète absence de discipline qui en ont fait un estaminet à l'intérieur de l'usine où n'importe quel ouvrier (ou plus) peut venir consommer pendant ses heures de travail.

"Les domaines de l'usine ont été bornés jusque vers 1930 ; toutes les acquisitions faites depuis lors ne le sont pas. Il existait une documentation sur les domaines de l'usine; celle-ci a disparu.

"En 1945, les logements libres ont été répartis sans tenir aucun compte des cadres qu'il y avait nécessité d'engager pour rem­placer les épurés ; certains chefs ont des grades qui ne sont pas justifiés par leur compétence; des avantages matériels ou pécuniaires ont été consentis à certaines personnes, sans consi­dération d'ordre général, en créant ainsi des injustices."

Il Y avait donc une grosse tâche à accomplir pour que l'usine retrouve un rendement admissible et, indépendamment des problèmes de réorganisation des services administratifs, tech­niques et de production, la remise en état des matériels de l'usine, de la centrale et des conduites forcées constituait une priorité.

Il fallait aussi s'occuper des questions de logement, car non seulement cela constituait un problème pour des gens de Saint­Michel, par suite du bombardement de 1944, mais aussi et d'une façon encore plus aiguë pour l'équipe que M. Grémeaux avait amenée avec lui pour le seconder dans sa tâche.

Citons parmi ceux-ci et parmi ceux qui vinrent par la suite compléter cette équipe ou remplacer certains départs : Beaujard, ingénieur principal, décédé prématurément, Jean Jurine, chef du service laboratoire-métallurgique et contrôle, qui eut comme adjoint Léon Glénat, puis Roger Rambeaud, futur directeur des Aciéries d'Hautmont, lequel eut comme successeur au laboratoire Jean Sellier, futur directeur de la S.A.F.E., puis A. Serres et Pierre Excoffier, Guillaume Dubruel au service du personnel, futur directeur général adjoint de la S.A.F.E. et de la S.A.T. (au départ de

M. Grémeaux en 1951, MM. Jurine et Dubruel furent chargés, "conjointement et provisoirement", des relations avec le siège, ce qui, pratiquement, se traduisit par le fait que le premier assurait les fonctions de directeur d'exploitation et le second, celles de directeur administratif, et ceci, jusqu'à fin 1954, avec le départ de M. Dubruel pour la S.A.F.E. et la création de la S.N.U.P.A.T., M. Jurine étant alors seul directeur de l'usine), Henri Agenis au bureau de fabrication, Jean Bedon, Jean Debard, chef du service aciérie, avec, comme adjoint, Pierre Pichon, puis Bourdon, décédé accidentellement à la sortie de l'usine et auquel succéda Gérard Monnereau.

A l'entretien, il y avait René Genévrier, futur sous-directeur de Flins, son adjoint Serge Jorcin, futur P.-D.G. d'A.M.S. à Grenoble, et André Philip chargé plus spécialement des problèmes de logement et des bâtiments.

On vit ensuite à l'entretien moi-même, Jacques Bauchet, Serge Gaudu, futur directeur des Établissements Defontaines, Paul Durif, Hector Thomas qui devint directeur de la S.A.T. quand

M. Jurine prit sa retraite en décembre 1968.

Aux services laminoirs, il y avait Jean Mathieu qui s'était fait embaucher par M. Gentil mais qui fut rapidement remplacé par Jean Hautcolas, ingénieur principal forge-Iaminoir­parachèvement et futur directeur des Aciéries de Rehon et, plus tard, Maurice Thomat, puis Antoine Thomasset et Léon Anselme. Le service approvisionnement fut confié à Max Joselzon, ingénieur I.E.G., qui avait passé une partie de la guerre camouflé à l'usine comme ouvrier électricien car il était

M. Jean Jurine. (Arch. Roux). M. Guillaume Dubruel. (Arch. Roux).

1949 : les camions 2,5 t et 5 t, qui sont équipés sommairement pour le transport du personnel, viennent d'amener le personnel pour le poste de 14 à

22 heures et vont remonter vers les villages le personnel du poste du matin. (Arch. Roux).

1\91

israélite. Il Y eut Jean Fabre au magasin, Pierre Stephan au contentieux et, à la comptabilité, Edmond Beaudet, qui plus tard dirigea les services administratifs et du personnel avec le titre de sous-directeur.

Il n'est pas possible de citer tous ceux qui ont laissé un souvenir parfois haut en couleur et qui, par leur présence, ont marqué toute cette période d'après-guerre, qu'ils fussent cadres, mensuels ou horaires.

Citons, parmi ceux non déjà nommés plus haut, quelques per­sonnalités marquantes telles que: Debey, Rencurel, Karatych, Poirier, Bardet, Goubert, Gutton, Aimé Plasquier, Joseph Deléglise, Désiré Bertrand, Cornier, Bertrand, Frier, Mares, Boileau, Jacquemoz, Grange, Pittoreau, Mougel, Piette, Bouvier, les frères Blanchoz, etc., Pierre Jacob, contrôleur (la vigilance de Billancourt 1).

Sans doute, l'ambiance de la paix retrouvée après toutes ces années passées difficiles, l'enthousiasme devant la tâche à accomplir, le fait aussi qu'à cette époque, on vivait beaucoup les uns avec les autres, ne disposant pas de télévision et ayant peu de possibilités d'évasion (peu d'autos, peu d'essence), ont fait que tout ceci se passa dans un climat qu'avec le recul on peut dire exceptionnel; tous ceux qui l'ont vécu en gardent un souvenir impérissable.

Vue générale de l'usine prise en 1953. Au centre de la photo à droite, le défilé du Pas du Roc. Le fort

du Télégraphe

est situé tout en haut à gauche. (Arch. Roux).

Un ski-club florissant rassemblait les dimanches d'hiver, toutes catégories de personnel confondues, de nombreux adeptes pour des sorties à proximité immédiate ou parfois plus loin­taines. La montagne n'était pas encore équipée comme main­tenant et l'essentiel des remontées se faisait à peaux de phoque ou à peluches.

Aussi, des bénévoles, avec les moyens du bord (et aussi ceux du service entretien de l'usine 1), avaient même construit à Mougin, à proximité du col du Télégraphe, un célèbre "tire­fesses" motorisé qui connut un certain succès.

C'était aussi, pour beaucoup, l'époque de la redécouverte de la voiture automobile qui, pour l'usage privé, avait pratiquement disparu de la circulation depuis 1940. Aussi, les ]uvaquatre puis les 4 CV de service étaient-elles fort sollicitées, entre midi et 14 heures, pour des leçons de conduite, dont certaines, fort mémorables, se terminèrent heureusement sans conséquences graves, si ce n'est matérielles, sur les rives de l'Arc, dans quelque mur de vignes ou sur un tas de ferrailles.

Certaines mauvaises langues disaient même que la principale charge des fours électriques était constituée de carcasses de voitures hors service !

D'une façon générale, le problème des transports, complète­ment bloqués en Maurienne à la fin de 1944, était encore loin d'être simple, deux ou trois ans après. Les camions de l'usine fonctionnaient au gazogène. Ils eurent même à se substituer à la S.N.C.F. pendant un certain temps pour aller jusqu'à Saint­Pierre-d'Albigny, à 60 km de là, trouver une gare où amener la production de l'usine et d'où ramener les matières premières, car un pont provisoire du chemin de fer s'était écroulé sous une locomotive à Aiguebelle, interdisant ainsi une nouvelle fois la Maurienne au trafic ferroviaire.

Il y eut aussi des moments fort déplaisants, comme le fait que l'effectif, qui était de 818 en 1948, chuta brutalement à 482 au 1"' janvier 1950, par suite des licenciements, conséquence d'une réorganisation douloureuse sans doute, mais nécessaire pour la survie de l'entreprise.

En 1947, l'usine du Temple perdit l'exploitation de ses centrales. En effet, au lendemain de la Libération et dans le cadre de la nationalisation des ressources énergétiques, les industriels, qui disposaient de leurs propres sources d'électricité, devinrent tributaires d'E.D.F.

Par la convention de nationalisation, E.D.F. s'engageait, vis-à­vis des industriels qui produisaient eux-mêmes leur courant pour leurs usines de fabrication et dont elle acquit les centrales, à leur livrer l'énergie dans des conditions de quan­tité, de qualité et de prix équivalentes à celles qu'ils obtenaient jusqu'alors par eux-mêmes et ceci jusqu'en 1998. Ces livrai­sons, faites au titre de l'article 8 de la loi de nationalisation, concernaient, en Maurienne, principalement Pechiney avec Bissorte et l'usine du Temple. Cette fraction des besoins devait être facturée au prix coûtant, toute contestation étant écartée grâce à une gestion en comité mixte, composé de représentants d'E.D.F. et des industriels.

La loi et ses décrets d'application prévoyaient en effet qu'un "comité paritaire" réglerait les relations entre E.D.F. et chacun des industriels spoliés de ses sources d'énergie: trois membres de chaque côté, mais ceux d'E.D.F. comprenaient le président avec voix prépondérante, de sorte qu'E.D.F. avait toujours rai­son, même pour des décisions économiquement contestables, le recours étant le Conseil d'État, ce qui n'est pas suspensif des décisions contestées.

C'est ainsi que Pierre Olivier, directeur des usines Pechiney de Maurienne, réunissant un jour à la maison d'administration de Saint-Jean les directeurs des usines de Maurienne pour qu'ils

1946 : on installe le magasin, les bureaux et l'atelier d'entretien dans l'ancien bâtiment des fours à carbure. (Arch. Roux).

fassent connaissance avec les trois interlocuteurs communs à toutes les usines, leur apprit qu'E.D.F. avait décidé de majorer le prix de revient du courant de 30 % pour "frais de gestion".

Ce fut sans doute une des causes qui firent que Pechiney augmenta sa participation dans les usines norvégiennes de Norsk·Hydro plutôt que d'investir en France.

Le prix de revient du courant, très variable d'une usine à l'autre en fonction de l'hydraulicité et des charges d'entretien et de renouvellement, dépassait déjà 0,03 Fen 1971 et renché­rissait rapidement en raison de l'âge des installations déjà très anciennes pour la grande majorité. E.D.F., en remodelant récemment l'aménagement de l'Arc moyen (suppression de Saint-Félix, prise d'eau en haute Neuvache pour alimenter Super-Bissorte), a rendu caduque l'ancienne procédure, mais le principe de facturation à part de ces kW fictifs a été conservé.

Néanmoins, quand l'industriel a besoin d'énergie en quantité supérieure à la production des centrales, c'est-à-dire en période de basses eaux, il paie cette énergie beaucoup plus cher qu'il ne vend à E.D.F. le surplus de l'énergie qu'il n'utilise pas en période de hautes eaux; pratiquement, l'avantage du prix moyen très bas du kW en 1947 n'a fait que s'estomper progres­sivement, et, bien qu'encore avantageux, il ne représente plus actuellement ce qu'il a été au départ. La convention sera d'ail­leurs caduque très prochainement.

Il serait trop long de vouloir énumérer tous les travaux qui furent exécutés pour la remise en état et la modernisation de la sidérurgie à l'usine du Temple, à partir de 1946.

Citons-en quelques-uns au hasard des souvenirs et dans un ordre chronologique fort approximatif.

Une des premières choses entreprises fut la transformation des halls des ateliers des carbures et ferros afin d'y installer service et ateliers d'entretien, ainsi que le magasin général, le prolon­gement dans l'usine des voies ferrées de l'embranchement. Pour le terrassement de ces dernières, on eût pu croire un moment avoir découvert un gisement intéressant, mais ce n'était que le fuel qui, depuis de nombreuses années, avait dû s'écouler des cuves de stockage enterrées ... et percées!

1948 : quelques-uns des 25 chalets préfabriqués en bois. (Arch. Roux).

Il Y eut aussi la construction de logements, en particulier en 1947-1948 vingt-quatre chalets préfabriqués en bois, solution de dépannage (qui est toujours en place trente-six années plus tard et à la satisfaction des occupants) suivie, quelques années plus tard, par la réalisation, à l'ouest de l'usine, de la cité de la Collombette avec villas des cadres, immeubles collectifs et maisons individuelles en accession à la propriété.

A propos des petits chalets en bois, le chef monteur, chargé de leur construction et qui appartenait à l'atelier de menuiserie de Billancourt, eut une fin tragique. Il descendait du. petit village d'Albanne un dimanche soir et, trompé par les lumières de l'usine de Calypso, il quitta le sentier et tomba à la verticale, plusieurs centaines de mètres en contrebas, dans les gorges étroites de la Valloirette.

1953 : le parc à lingots et l'atelier de meulage, écroûtage, grenaillage. (Arch. Roux).

Dès 1946, il fut créé à l'usine un centre d'apprentissage, avec treize élèves au départ, pour former en particulier de jeunes ouvriers professionnels qualifiés dont avait besoin le service entretien.

MM. Léon Anselme, Sibue et Buttard en furent les moniteurs. A l'aciérie, on ne conserva que les deux fours de 10 t dans lesquels on élabora directement même les aciers à coupe rapide, ce qui ne se faisait alors qu'aux U.S.A. dans des fours d'aussi grande capacité. On construisit des fosses de refroidisse· ment lent pour les lingots et on aménagea un parc à ferrailles à l'abri des intempéries.

Les fours furent progressivement agrandis pour en augmenter la capacité avec, comme corollaire, le renforcement des engins de levage et des charpentes ; le système de régulation des fours fut remplacé par du matériel plus moderne.

Pour avoir une qualité de plus en plus stricte et ceci parallèle­ment aux exigences de plus en plus sévères de l'industrie auto­mobile, le laboratoire, agrandi et rénové, fut installé en 1953 dans les locaux de l'ancien atelier des carbures métalliques. Il y fut installé en spectrographie, dont la mise au point délicate fut faite par Michel Dewyspelaere. Cet appareil d'analyse des composants des aciers, actuellement d'un emploi généralisé, était alors rarement utilisé dans l'industrie.

Les laminoirs causèrent au début de gros soucis.

L'unique moteur de 1 000 ch présentait des signes de fatigue: il attaquait directement le train de 305 et, par l'intermédiaire d'une courroie en cuir et d'un volant de 32 t, le train de 550. L'arbre de ce gros volant reposait sur des paliers avec des cous­sinets en bronze, paliers qui grippaient fréquemment car, d'une part, ils étaient d'un diamètre trop petit pour la charge supportée et, d'autre part, suivant les variations du niveau de la nappe phréatique sous-jacente, les fondations insuffisantes bougeaient, ce qui modifiait l'alignement. De plus, la grande courroie de cuir sur champ, de 0,80 m de large et de 40 m de long, en profitait pour dérailler.

Un premier palliatif fut de remplacer ces gros paliers rigides en bronze par des paliers à rotule avec régule. Ensuite, on profita de l'arrêt de l'été 1949 (il n'y avait que quinze jours de congé à ce moment-là!) pour modifier entièrement le dispositif de commande de ces deux trains, en substituant au moteur de 1 000 ch à bout de souffle le groupe Kraemer de 800 ch qui ali­mentait l'ancien train Dahlbruch de 225. Celui-ci avait, entre­temps, été vendu à des Italiens qui l'avaient eux-mêmes fait remonter dans une usine d'Amérique du Sud.

Cette grosse modification, à exécuter dans un délai aussi court, ne fut pas sans suspense et les équipes chargées de ce travail ont sans doute eu l'occasion de battre tous les records de durée du travail hebdomadaire et d'heures supplémentaires, de nuit et de dimanche. Il avait fallu, préalablement (et pendant la marche des ateliers), démonter un des poteaux supportant les charpentes et le remplacer par un poteau déporté et préparer de nouvelles fondations. Les éléments de la nouvelle transmis­sion étaient fabriqués chez Dellis-Riquaire et auraient dû être livrés avant l'arrêt de l'usine, mais, le samedi après-midi, ils étaient encore à Maubeuge en cours d'usinage. Des camions très ordinaires, mais avec un chargement anormalement lourd et hors gabarit, mirent trois jours pour traverser la France, l'un d'eux ayant même failli, à l'arrivée, basculer et vider son char­gement dans le tunnel de la S.N.C.F., en franchissant le dévers du passage à niveau du Pas du Roc.

Quand tout fut quand même en place, quelques heures avant la reprise du travail des ateliers de fabrication, il fut impossible de faire démarrer le groupe Kraemer. Celui-ci, d'un type assez spécial, était constitué de trois machines tournantes : un moteur asynchrone, une commutatrice, un moteur à courant continu, formule originale qui permettait une régulation de

1950: le camion Renault prototype à moteur Diesel rapide et disposé à plat était au banc d'essais sur le circuit Billancourt-Saint-Michel et retour deux fois par semaine -sauf incidents! (Arch. Roux).

vitesse continue sur une plage très étendue mais qui, solution très noble mais sans doute trop coûteuse, n'avait été construite qu'à trois exemplaires. Celui de Saint-Michel était, pensions­nous, le seul existant encore en 1950 et le docteur Kraemer était mort depuis longtemps. (En réalité, il y en avait encore un à l'U.C.P.M.I. à Hagondange, datant de 1911 et monté sur le trio de 450.)

Nous ne possédions aucun schéma électrique d'origine pour vérifier si le montage était correct ou non. Un ingénieur, hautement qualifié, spécialiste des machines tournantes, était venu d'Alsthom-Belfort pour essayer de nous sortir de ce mau­vais pas et sans succès. Une semaine s'était déjà écoulée et les équipes du laminoir étaient toujours en chômage technique.

Une information fortuite nous parvint alors. le dimanche matin: un vieux monteur allemand, qui avait, autrefois, travaillé avec le Dr Kraemer, se trouvait en déplacement à Ugine où il procé­dait à des travaux de révision d'une installation électrique.

Aussitôt, nous sautons en voiture et fonçons à Ugine. On trouve l'homme en train de consommer dans un café. On l'embarque sans lui donner le temps de trouver des objections à cette façon de procéder ...

Et la touche était bonne, il a pu nous fournir la clef du mystère: l'ensemble ne pouvait démarrer convenablement que s'il avait un certain couple à vaincre, alors que nous avions volontaire­ment enlevé la courroie de transmission aux volants, croyant au contraire qu'il valait mieux procéder aux essais à vide plutôt qu'en charge et, de plus, par suite de la coupure d'une résistance du rhéostat de champ du moteur à courant continu, dès que le bras de ce rhéostat passait sur le plot correspondant à cette cou­pure, l'alimentation de l'inducteur shunt était coupée et le moteur accélérait avec un fort appel de courant, d'où disjonc­tion. Entre-temps, dès le lundi matin, la direction d'Ugine avait interpellé M. Grémeaux par téléphone, n'ayant que peu appré­cié les initiatives, sans doute efficaces, mais fort cavalières de ses ingénieurs 1

C'était donc parti et ça a marché ensuite de nombreuses années sans histoire, mais ce que nous avons aussi appris, par la suite, c'est que la nouvelle courroie de cuir de 1,200 m de large, qui reliait le groupe Kraemer au volant du train de 305 et qui avait, à plein régime, une vitesse tangentielle de 120 km/h, constituait, pour ce genre de transmission, un record du monde 1

L'année suivante, on modifia les vieilles cages des laminoirs en les équipant de coussinets en Céloron et de dispositifs de réglage des cylindres plus commodes. (Une cage ainsi aména­gée se trouve actuellement, comme relique du passé, sur une pelouse de la cour d'entrée de l'usine.) Puis on équipa le train de 550 d'un box dégrossisseur de 450 et on mécanisa l'évacua­tion et le débitage des barres à la sortie du 305. La forge fut réimplantée, afin de rendre la desserte des pilons plus ration­nelle, et les fours de réchauffage furent remplacés. On installa également un très gros pilon double effet de 5 t, destiné princi­palement au dégrossissage des lingots en blooms de 220 de diamètre avant passage au 550. Ce pilon Davy, construit à Sheffield en 1916, s'était promené au Mans et à Billancourt et son installation avait nécessité une énorme fondation consis­tant en un cuvelage en béton de 10 X 10 X 10 m dans lequel se

Le pilon de 5 tonnes. (Arch. Roux).

trouvait un revêtement de base etlatéral antivibratif enserrant un second cube de béton qui, lui-même, contenait un lit de bois "debout" et la chabotte métallique de 70 t. Le terrasse­ment avait posé de gros problèmes, car on était tombé sur un énorme ~t très dur rocher d'alluvion glaciaire qu'il avait fallu débiter comme dans une carrière; les sondages préalables, que nous avions arrêtés à -45 m, alors que la carotte remontée était un morceau de bois parfaitement conservé, avaient "tangenté" cet obstacle sans le révéler.

Pendant qu'on débitait donc ce caillou, des pompes s'essou­fIaient à évacuer jour et nuit 200 m3/h d'eau, afin d'abaisser la nappe phréatique, au grand dam des fondations des poteaux de la charpente et d'un des fours qui surplombaient la fouille. Ces travaux étaient réalisés par l'équipe permanente de l'entre­prise de travaux publics Truchetet-Tanzini, qui construisait alors pour E.D.F. le barrage de Plan-d'Aval au-dessus d'Aussois et dont le chantier enneigé était en sommeil pendant cet hiver 1951-1952. Nos 800 m3 de béton étaient peu de choses par rapport à leur barrage, mais ils s'en souviennent bien quand même. A noter que c'est sur ce chantier du barrage d'Aussois que l'on tournait le film "La meilleure part" et que l'on y rencontrait fréquemment Gérard Philipe.

Nous avions, de temps en temps, la visite de M. Lefaucheux (souvent accompagné de son aide de camp, de haute taille comme lui-même, Bernard Vernier-Palliez). Il utilisait comme moyen de transport, tout au début, un prototype de 11 CV (ou 14 CV?) avec un moteur de Primaquatre et une carrosserie qui ressemblait un peu, tout au moins vue d'avant, à une 203. Ensuite, quand il ne venait pas par le train, il avait une 4 CV dont les dimensions paraissaient encore plus réduites quand il était debout à côté de sa voiture. Il s'arrêta un jour de l'automne 1952. On allait démarrer ce fameux pilon de 5 t. Il revenait de Turin où il avait visité notamment la très belle forge de Fiat-Mirafiori, atelier magnifique au sol entièrement carrelé, d'une propreté remarquable. Le fait que cette forge fonctionnait à l'air comprimé, technique d'avant-garde pour cet usage à ce moment-là, y était pour quelque chose, alors que Saint-Michel utilisait encore la vapeur produite par les deux vieilles chaudières Babcock et Wilcox qui, entre-temps (en 1949), avaient été équipées au fuel avec des brûleurs Pillard.

Décision : il faut mettre la forge de Saint-Michel à l'air comprimé. Cette décision, venant du P.-D.G. lui-même, c'était très intéressant car il n'y avait plus besoin de s'essoufIer pour justifier de la rentabilité, rentabilité qui apparaît tou­jours dans l'étude faite par les techniciens intéressés à un pro­jet, mais que les financiers ont l'art de mettre en doute. Les choses allèrent donc très vite, encore que le choix des compres­seurs nécessaires s'était porté sur trois ensembles de 2 groupes en V, Schneider-Westinghouse, entraînés chacun par un moteur de 400 ch. Mais, pour des raisons de relations entre le groupe Renault et un autre groupe industriel, il fallut com­mander les compresseurs à Dujardin à Lille, qui réalisèrent de tels engins et leur régulation automatique dans un temps record, bien que ce fût là, pour eux, des prototypes.

Tout fonctionnait début 1954. Pour obtenir le rendement opti­mal, on utilisait l'air comprimé chaud, sans refroidissement à la sortie du compresseur, ce qui, du point de vue sécurité (risque d'explosion spontanée si les vapeurs d'huile combinées à l'air venaient à constituer un mélange détonant), posait des problèmes et demandait certaines précautions qui, à l'usage, s'avérèrent efficaces.

Les forgerons qui servaient ces pilons travaillaient à la "tenaille" et au "tourne·à-gauche", ce qui n'était pas un mince labeur quand le produit à dégrossir pesait 300 ou même 900 kg, même si des potences mécanisées soulageaient la charge; aussi furent-ils, à partir de 1957, munis de manipula­teurs de forge, engins automoteurs assez remarquables par leur maniabilité et leur robustesse.

Dès 1954, des consultations avaient été faites à ce sujet et, un jour de printemps, nous vîmes arriver à Saint-Michel, venant d'Italie, un certain M. Dienenthal, patron de la firme alle­mande Dango-Dienenthal qui construisait ce genre de matériel (lequel fut d'ailleurs celui qui fut retenu par la suite), qui venait proposer son produit. C'était le type même du Prussien de caricature, sec et glabre. A table, il se levait et se figeait au garde-à-vous chaque fois qu'il vidait son verre, après avoir claqué et les talons et un retentissant "Prosit" !

Mais hélas, ce jour-là, il était fort humilié: sa Mercedes chauf­fait! Aucun des nombreux mécaniciens sollicités au cours de son périple en Italie n'avait décelé la cause de l'incident. Nous fîmes mettre la voiture au garage de l'usine et Masset, le chef de garage, fit semblant de bricoler savamment dans le moteur, en profitant en même temps pour enlever discrètement le man­teau de toile cirée capitonnée qui recouvrait le radiateur, et qui l'avait protégé de la froidure pendant le long hiver de l'Europe du Nord. Der Herr Dienenthal ne s'était pas rendu compte que, même quand on passe entre deux murs de neige au Brenner ou au Mont-Cenis et que le soleil donne, il peut faire aussi chaud qu'en été. Toujours est-il qu'on fit à plein gaz un essai de grimpée au col du Télégraphe et qu'il repartit le soir de Saint-Michel avec le souvenir qu'il y avait, dans cette filiale de la Régie Renault, des mécaniciens auto drôlement compétents et même capables de redonner vie à une "Mercedes" atteinte d'un mal mystérieux.

Une autre étape importante avait été la construction de quatre nouveaux fours de recuit des barres Ugine-Infra et la mécani­sation de l'atelier de parachèvement des produits. C'était nou­veau à l'époque de s'intéresser beaucoup à ce genre de disci­pline qui arrivait en queue des opérations sidérurgiques amont, considérées par les techniciens de la profession comme d'un niveau beaucoup plus noble. Le parachèvement était alors un peu le parent pauvre.

On mécanisa donc les principales manutentions et ceci au moyen, entre autres, de lignes de rouleaux automoteurs atta­quées par les fameuses têtes électromécaniques japy, les

T.E.M.l qui avaient servi à M. Bézier pour équiper les pre­mières chaînes-transferts d'usinage de la 4 CV à Billancourt et que nous avions récupérées quand elles avaient été changées par suite de l'adoption d'un modèle plus compact.

Cette réalisation avait été appréciée par les membres de la Commission des lamineurs d'aciers spéciaux à qui elle avait été présentée lors de leur sortie annuelle qui avait eu lieu à Saint­Michelle 15 juin 1951.

1950 : l'atelier de parachèvement. Au premier plan, les bancs de vérifi­cation des barres, équipés de rouleaux automoteurs commandés par les

T.E.M.1. (Arch. Roux). •

En 1952, les bâtiments de l'usine avaient été agrandis avec la construction du hall à lingots et demi-produits à l'ouest et du hall des aciers rapides des rectifieuses Centerless et des fours à bains de sel à l'est. A cette occasion, l'atelier de réparation des produits avait été entièrement rééquipé (bancs de meulage avec aspiration des poussières, ensemble de nettoyage des billettes sur double ligne de grenaillage Graber et Wening ...).

Fin 1954, les Aciéries du Temple virent leur statut modifié en ce sens qu'au lieu d'être un atelier décentralisé de la R.N.U.R., elles en devinrent une filiale. Elles furent en effet transformées en société anonyme, par transfert de l'actif à une société (Société des usines de Pontlieue) ayant encore une existence juridique, mais non matérielle.

M. Eugène de Sèze. (Arch. Roux).

Pontlieue était un lieu-dit, à proximité du Mans, là où est ins­tallée l'usine Renault. Cette appellation fut ensuite utilisée pour l'usine de Saint-Étienne (où se trouve actuellement la suc­cursale de la R.N.U.R.), où se situaient les Établissements Leflaive, constructeurs de tours et machines-outils, que Louis Renault acheta pour y construire des tracteurs.

L'usine s'appela donc la S.N.U.P.A.T. : Société nouvelle des usines de Pontlieue, Aciéries du Temple. Le P.-D.G. en fut

M. Chabert qui, malheureusement, peu de temps après, fut amené à donner sa démission pour raison de santé, démission qui précéda de peu son décès.

Ce fut M. Eugène de Sèze, par ailleurs directeur général des Aciéries du Temple depuis 1949 et directeur général de la S.A.F.E., qui lui succéda et qui occupa ce poste jusqu'au 31 décembre 1973, date de son départ en retraite. Entre-temps (1961), cette appellation fut abrégée et l'usine devint la S.A.T. : Société des aciéries du Temple.

Le 11 février 1955, Pierre Lefaucheux, qui se rendait à Strasbourg au volant d'une Frégate, dérapa sur une plaque de verglas à Saint-Dizier et se tua. La nouvelle de sa mort fut reçue avec une vive émotion à Saint-Michel, qui avait souvent reçu sa visite. Un hommage lui fut rendu le 27 février dans le hall de l'usine au cours d'une émouvante cérémonie à laquelle assistaient de nombreuses personnalités du département.

Parmi les faits marquants de l'histoire de l'usine du Temple, il faut mentionner, bien qu'elles n'aient heureusement pas eu de conséquences graves pour l'usine elle-même, les deux dernières crues de l'Arc et de ses affluents qui, à un cheveu près, auraient pu être catastrophiques.

Une première fois, au printemps 1955, le torrent de la Neuvache, transformé en cascade de boue, affouilla tellement les fondations de la centrale qu'il s'en serait fallu de peu qu'elle ne s'écroulât si, une grande partie de la nuit, on n'avait, sous une pluie battante, confectionné et mis en place des gabions pour limiter les dégâts. Un jeune ingénieur des Travaux publics, M. Grégoire, de l'entreprise Milliat de Grenoble, qui avait un chantier à Saint-Michel et qui nous avait aidés, dispa­raissait et trouvait la mort quelques instants après nous avoir quittés, dans une excavation que l'Arc en furie avait ouverte dans la route nationale, entre Saint-Michel et Saint-Jean-de­Maurienne. Cinq ou six autres personnes subirent le même sort cette nuit-là.

Mais c'est surtout les 12,13 et 14 juin 1957 que l'Arc causa des dégâts considérables. Alors que les sommets de Haute­Maurienne étaient encore couverts de neige, d'énormes masses d'air chaud et humide, apportées par la "lombarde", se condensèrent sur les crêtes frontalières de la Galise jusqu'au Mont-Cenis. A la pluie diluvienne s'ajouta la fonte brusque de la masse neigeuse.

L'Arc atteignit brutalement le débit de 600 mS/seconde, enle­vant sur son passage comme fétus de paille des parties entières de pays à Bonneval, Lanslevillard, Lanslebourg. Le torrent de Sollières, rive gauche en amont de Bramans, avait par ailleurs, en barrant de ses laves le cours de l'Arc, créé un lac temporaire de 3 km de long et dont le niveau s'élevait à 2,80 mau-dessus de celui de la route nationale. Le barrage céda; le mascaret ainsi formé ravagea Modane et, bien qu'amorti, arriva encore puissant à Saint-Michel, déferlant au travers de la rue princi­pale. La voie ferrée fut emportée à hauteur de l'usine du Temple, tandis que les cuves d'électrolyse d'aluminium de l'usine de la Saussaz, noyées, explosaient. Cependant, depuis quarante-huit heures sur la brèche, les membres du personnel de l'usine du Temple, déjà attaquée par les flots de la rivière en crue, ne comptaient ni leur temps ni leur peine pour construire des gabions et remplir des sacs de sable. Grâce à leur abnéga­tion, ils sauvèrent l'outil de travail d'une dévastation qui eût été irrémédiable.

1963 : la ligne des fours Heurtey de traitement des barres. (Arch. Roux).

En 1963, on prolongea de 60 m vers le nord le hall du para­chèvement pour y implanter un ensemble de traitements thermiques qui fut un des fleurons des Aciéries du Temple.

Cet ensemble assez exceptionnel fut le résultat d'une étroite collaboration entre l'utilisateur qui avait à bien définir le pro­blème et le constructeur qui devait réaliser un engin efficace et capable de fonctions multiples. Le promoteur en fut M. Jurine, avec l'aide efficace de Jean Sellier, puis de A. Serres pour la S.A.T., et de Paul Guesne pour les Établissements Heurtey.

On y traitait des barres de toutes sections, jusqu'au diamètre 140 et 2 m à 9 m de longueur.

On y réalisait, avec une grande précision thermique, les traite­ments de trempe et de revenu et les différents types de recuits, notamment des recuits donnant une structure homogène perlite-ferrite à grain moyen, convenables pour le brochage (cycle de recuit isotherme), des recuits donnant une structure cémentite globulaire ferrite, convenables pour l'usinage des aciers au carbone ou alliés à carbone élevé, supérieur à 0,5% (recuits de coalescence).

L'ensemble, disposé en U, comprenait, outre les tables de pré­paration des charges, d'enfournement et de défournement et le pont-transfert, un four de trempe, un bac de trempe, un four de recuit et revenu. On pouvait travailler en atmosphère nor­male ou contrôlée et tremper à l'huile, à l'Aquatrempe, à l'eau ou à l'air. .

Une disposition originale du bac de trempe permettait de limi­ter la déformation habituellement constatée sur barres longues dans ce genre d'opérations: les nappes de barres, sortant à grande vitesse de la zone d'austénisation, rentraient par l'inter­médiaire d'une trappe directement dans le liquide de trempe, le niveau du liquide étant maintenu constant à l'aide de pompes à grand débit compensant le débit de fuite de l'ouver­ture ainsi pratiquée.

Ce four travailla avec efficacité jusqu'en 1976, avec les produc­tions de la S.A.T. normalement, puis les derniers temps, quand l'aciérie était déjà arrêtée, en sous-traitance. Sa locali­sation à Saint-Michel ne se justifiant plus alors, par suite de la trop grande importance du coût des transports, il fut vendu aux Forges de la Providence et remonté à Hautmont, après modification portant sa capacité à 12 m.

Les effectifs de Saint-Michel, qui étaient descendus à 482 au 1« janvier 1950, étaient progressivement remontés à 770 en 1961, mais baissaient par la suite jusqu'à 640 à la fin de 1968, car cette usine subissait déjà le contrecoup de ce qui allait être la crise de la sidérurgie, dont peu de personnes encore soup­çonnaient l'ampleur qu'elle allait atteindre.

Dès cette époque, le problème de son avenir commençait à se poser, car la dégradation de l'avantage d'un prix du kW réduit, le désavantage d'une situation excentrée des lieux de consommation de l'acier faisaient qu'il ne restait plus grand­chose des mobiles qui avaient présidé, en 1924, au choix de l'installation d'une usine sidérurgique en Maurienne.

(A partir du 1" janvier 1955, la réglementation du Marché commun prévoyait que l'utilisateur d'aciers avait le droit d'exi­ger que les produits rendus en ses ateliers lui reviennent au même prix, quelle que soit la situation géographique de l'usine productrice ; cela revenait à dire que les frais de transport étaient à la charge du sidérurgiste.)

En 1965, à la demande de M. de Sèze, M. Dreyfus envoyait à Saint-Michel, avec mission de faire une première approche d'une reconversion de l'usine, un ingénieur du service de

M. Jardon, M. Michel Charbonnel.

De nombreuses études furent entreprises pour chercher quelle solution retenir. Une usine d'aciers spéciaux de taille plus importante aurait peut-être été plus compétitive, mais par manque de surface, dans une vallée étroite, une telle formule était à priori exclue. La survie de l'usine du Temple, en tant que sidérurgie, s'avérait de plus en plus problématique et, dans l'esprit de la direction générale, une reconversion totale était considérée comme inéluctable.

Une première étape de cette reconversion fut, en 1968, l'atelier de fabrication d'outillages, puis une seconde étape, en 1970­71, fut l'atelier de la fonderie de précision, mais il s'agissait là, pour une grande part, de créations d'emplois qui ne résolvaient que partiellement le problème de reconversion de la sidérurgie proprement dite. Celle-ci avait besoin pour tourner d'un effec­tif minimal et il n'était guère possible que l'on puisse laisser, petit à petit, s'étioler cet effectif pour alimenter des ateliers nouveaux. On observa ainsi une pointe de 811 personnes ins­crites en fin 1970, pointe expliquée par le fait qu'une demande momentanée et exceptionnelle d'aciers spéciaux eut lieu à ce moment et à laquelle il fallut faire face, d'où l'impossibilité de dégraisser les effectifs en sidérurgie et l'obligation d'embaucher pour le démarrage de la fonderie de précision.

Ce fut l'époque de la constitution des dossiers dont l'examen allait aboutir à une décision de reconversion définitive. Des hypothèses éventuelles fort diverses furent envisagées, alors que la crise attendue de la sidérurgie se confirmait. Ce fut finale­

ment la frappe à froid qui fut retenue et sa mise en place se tra­duisit par l'arrêt par étapes des différents ateliers traditionnels: l'aciérie fit sa dernière coulée le 2 août 1975 (mais des lin­

gots furent expédiés à la S.A.F.E. jusqu'en janvier 1976),

la forge pilonna une dernière fois le 14 août,

les meules s'arrêtèrent le 22 septembre,

et la dernière barre passa dans le train de laminoirs de 305

le 17 octobre 1975,

et ceci non sans une émotion certaine pour tous ceux qui avaient jusque-là travaillé dans cette branche qui, pendant quarante-cinq ans, avait été la plus connue des activités de l'usine et avait fait la réputation des aciéries du Temple.

Pour clore ce chapitre "Aciéries du Temple", citons le témoi­gnage de M. Cadilhac, particulièrement qualifié à ce sujet, de par les hautes fonctions qui furent les siennes aux laboratoires de Billancourt.

t

"Les productions de cette usine, enfant chéri de M. Louis Renault, étaient vivement appréciées par les utilisateurs de Billancourt pour leurs qualités mécaniques aussi bien en long qu'en travers, la propriété du métal qui en facilitait l'usinage avec une moindre usure des outils et la grande homogénéité de composition d'un bout à l'autre des coulées par suite de la faible ségrégation du carbone et des éléments d'alliage, tout ceci dû à l'emploi de petits lingots de 1 t, 600 kg et 300 kg."

Les bureaux d'études exigeaient l'emploi de l'acier "AT" pour des pièces chargées. Ce fut le cas de la pignonnerie, de boîtes de vitesses de voitures de tourisme et camionnettes où, dès 1934, l'emploi d'acier chrome-molybdène assurait à ces pièces une tenue élevée à l'usure, que ne donnaient pas les aciers nickel-chrome. La dureté élevée après traitement de cyanura­tion (puis carbonitruration) et la résistance aux chocs des den­tures a été, en 1947, vivement appréciée par les utilisateurs (boîtes de vitesses non synchronisées). La liaison étroite avec le laboratoire de Billancourt a été, au point de vue de la mise au point des nuances nouvelles d'aciers à outil et d'aciers de construction, absolument primordiale (travaux de MM. Pomey et Chevassus). Saint-Michel avait le monopole absolu de la fourniture des aciers très alliés (aciers d'outillage, aciers pour soupapes d'échappement), ainsi que des aciers pour pignons de boîtes de vitesses. Vers 1937, un chef d'approvisionnement s'était vu remercié (mis à la porte) pour avoir acheté chez Bedel quelques centaines de kilogrammes d'acier pour soupapes d'échappement.

Des essais de fourniture des nuances WE (35 et 38 CD4) pour pignons de boîtes furent faits à partir de lingots de 6 t et 10 t en provenance d'un four de 30 t. Ils durent être stoppés car les dis­persions de carbone entre pied et tête et un corroyage trop important faisaient tomber les caractéristiques mécaniques des pignons, se traduisant par un retour catastrophique de pièces cassées en clientèle. C'est seulement après 1945 que la S.A.F.E., travaillant en charge solide et, de plus, en coulée continue, plus tard, put égaler la qualité "Saint-Michel" et devenir fournisseur attitré.

(à suivre)

Michel ROUX