02 - L'affaire de la Motor-Car

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L'affaire de la Motor-Car

Du 23 avril au 12 mai 1900 se déroule, en Angleterre, une course de ville à ville, les « 1 000 miles}). La Société Motor-Car Company limited, dirigée par M. Ford (1), y engage dans la classe B (voitures d'un prix de 5000 à 7500 francs) deux voitu­rettes appelées MCC Triumph.

De Londres, 59 voitures prennent le départ à l'aube du 23 avril. L'épreuve remporte un très grand succès popu­laire. Dans chaque ville-étape, des expositions attirent des foules nom­breuses. La Motor-Car a tout lieu d'être satisfaite puisque ses deux voi­tures se classent en tête de leur catégorie. Profitant de cet exploit, elle entreprend une intense campagne publicitaire, faisant paraître des annonces dans tous les journaux britanniques et distribuant à profu­sion des catalogues vantant les mérites des voitures victorieuses.

Transmis par M. Jacquier, représen­tant les intérêts de Renault frères à Londres, des catalogues parviennent à Billancourt. Jugez de la stupeur des frères Renault quand ils constatent que la MCC Triumph n'est autre que la voiturette qu'ils construisent. Fort mécontents, ils décident de pour­suivre la Société Motor-Car devant la justice anglaise et chargent de leur cause un avocat londonien Me Halse Trustram.

M. Ford, très gêné par cette initiative, demande alors à Maurice Farman, ami des Renault, d'intervenir auprès d'eux afin qu'une solution acceptable pour les deux parties soit recherchée.

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1) La Motor-Car publiera dans tous les journaux de sport ayant parlé de la MCC Triumph, un communiqué rappelant que les voitures qui ont couru dans la course des 1 000 miles sous le nom de MCC Triumph sont des voiturettes Renault frères cons­truites en France, 139, rue du Point­du-Jour à Billancourt.

2) La Motor-Car s'engagera à ne vendre, construire ou faire construire aucune contrefaçon ou imitation de la voiturette Renault frères.

3) La Motor-Car s'engagera d'une part, à ne plus distribuer ou envoyer de catalogues parlant de la MCC Triumph et, d'autre part, à adresser à tous les marchands de bicyclettes ou d'automobiles, les clubs cyclistes ou automobiles des villes où est passée la course, des catalogues de la voiturette Renault frères en y joignant une lettre disant que les voitures qui ont fait la course sous le nom de MCC Triumph sont des voiturettes Renault frères.

Moyennant l'acceptation par la Motor­Car de ces conditions, le procès sera abandonné et les frais partagés par moitié. En outre, les frères Renault se déclarent prêts à accorder à la Motor­Car l'agence pour la vente en Angle­terre de leurs voitures pour l'année 1900, suivant un contrat qui sera rédigé ultérieurement.

De retour à Londres, M. Ford fait part à ses associés des résultats de sa mission. Si les trois premières clauses ne soulèvent aucune opposition, il n'en est pas de même pour la dernière. Mieux même, sur les conseils de son avocat, la Société Motor-Car exige d'abord, que les frais qu'elle a exposés lui soient remboursés en totalité, et ensuite, que les clauses du compromis soient insérées dans le jugement à intervenir.

Informés de ces dernières prétentions, les frères Renault dans leur désir d'aboutir à un accord, acceptent de rembourser les frais de la Motor-Car sous la réserve qu'ils soient inférieurs à ceux qu'ils avaient eux-mêmes engagés. Quant à l'insertion du compromis dans le jugement à inter­venir, ils n'en voient pas la nécessité attendu qu'ils préfèrent un règlement amiable.

décidés à abandonner l'instance intro­duite. Mais leur avocat leur fait valoir que ce n'est pas le moment de céder, car le jugement ne peut que leur être favorable, il faut, au contraire faire traîner la procédure. Les frères Renault, tout en se rendant à ces raisons, ne désirent pas que les frais à engager dépassent la somme de 8 livres sterling. Cependant, quelques jours plus tard, recevant la note de leur avocat et s'apercevant qu'elle s'élève déjà à 12 livres, ils mettent fin à

l'instance.

Ils chargent alors M. Jacquier de prendre contact avec M. Ford pour une dernière tentative de conciliation. Parallèlement ils passent un marché avec M. Farman par lequel ils s'en­gagent à lui livrer 10 voitures du type C sans marche arrière et 10 voi­tures à construire avec le prochain moteur de Dion à refroidissement d'eau. Sur le prix de 4500 francs fixé pour chaque voiture ils consentent un escompte de 10 %. Bien entendu ces voitures sont destinées uniquement à l'Angleterre. Par ailleurs Maurice Far­man doit adresser à tous les marchands de bicyclettes ou d'automobiles des villes où est passée la course des 1 000 miles, des catalogues de la voiturette Renault frères, en rappelant que la MCC Triumph n'est autre qu'une Renault frères. En acceptant ces conditions, Maurice Farman devient le propriétaire de l'Agence de Londres.

Au même moment, la mission de

M. Jacquier aboutit à un accord confirmé en ces termes, le 8 août 1900 par Billancourt:

... Suivant entente intervenue entre

nous, nous abandonnons le procès

intenté par nous à Londres contre la

Motor-Car Company et conserverons

à notre charge nos frais actuels à ce

jour et vous les vôtres; à aucun titre

ce procès ne pourra être repris dans

l'avenir.

Signé: Renault frères.

Ainsi prit fin l'affaire de la Motor-Car

qui avait provoqué une vive émotion

à Billancourt.

Georges FLORIS

(1) Nous ne savons pas si ce M Ford avait des liens de parenté avec le constructeur Henry Ford.