01 - Renault et l'aviation (2)

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Renault et l'aviation (2)

par Gilbert Hatry

Les raids et performances qui marquèrent la deuxième décen­nie du siècle ont rendu possible ce que les pionniers avaient tenté de démontrer: la capacité, pour l'avion, de transporter courrier et passagers.

Déjà, en 1909, le pilote Pesquet avait assuré, aux Indes, le pre­mier vol postal, essai suivi plus tard par les Anglais entre Londres et Windsor, par Védrines entre Paris et Deauville. Louis Bréguet, de son côté, avait ouvert la voie au transport de passagers en enlevant, un matin de juin 1911, onze personnes à bord de son G 3.

Expériences prometteuS€s sans doute, mais sans lendemain. Il restait à l'aviation trop de progrès à accomplir encore. Or, la guerre les avait prodigieusement accélérés et ce qui hier sem­blait utopique devenait désormais réalisable.

Parallèlement aux exploits sportifs et progressant grâce à eux, l'aviation commerciale part à la conquête de la terre, et des hommes vont donner leur vie pour quelques sacs postaux.

Un avion aux ailes repliées porté par un camion Renault quitte les usines Caudron en 1932.

Les premières compagnies commerciales

Le premier à tenter l'aventure est Pierre Latécoère. Établissant à Toulouse sa base de départ, il réalise, le 9 mars 1919, la pre­mlere liaison France-Maroc avec des Bréguet-Renault. Secondé par Didier Daurat, il défriche au cours des années sui­vantes l'itinéraire France-Amérique du Sud pour lequel allaient s'illustrer de valeureux pilotes tels que Mermoz, Saint­Exupéry, Guillaumet et tant d'autres.

La « Société des Lignes Latécoère ", creee par Pierre Laté­coère, assure bientôt un service régulier entre Toulouse et Casablanca. En 1923, Dakar est atteint; 4 695 kilomètres sont ainsi couverts.

Pour les pilotes, l'épreuve est rude. Il leur faut voler de nuit comme de jour, en affrontant de multiples dangers : la brume, le vent, la chaleur. Et aussi la redoutable panne de moteur qui oblige à se poser dans une région désertique où sévissent des bandes de pillards avides de rançons et qui, à l'occasion, n'hési­tent pas à tuer. L'aviateur Gourp y connaîtra une fin atroce alors que Mermoz, Reine et Serre, longtemps prisonniers et maltraités, ne recouvreront la liberté que contre paiement d'une forte rançon. Différent sera le sort de Saint-Exupéry qui, contraint d'atterrir en plein Sahara, n'en sortira que grâce à sa farouche volonté.

Les exploits héroïques se multiplient et, parmi eux, il convient de citer la dramatique première traversée de la Cordillière des Andes accomplie par Mermoz le 2 février 1928.

Accompagné par son mécanicien Collenot, il quitte Buenos Aires sur un vieux Laté 25 à moteur Renault de 450 Cv. Après avoir franchi le mur rocheux de 4 300 mètres, il doit, à la suite d'une panne de radiateur, se poser en pleine montagne.

Pendant quatre jours et quatre nuits, alors que le monde entier croit les aviateurs disparus, ils trouvent, malgré le froid intense et la fatigue, assez d'énergie pour ne pas désespérer.

Avec des moyens de fortune, ils réparent. Et Mermoz, après plusieurs tentatives infructueuses, parvient enfin à arracher son appareil du sol au moment même où un énorme précipice s'ouvre sous ses roues.

Ainsi, grâce au courage et l'opiniâtreté des hommes, la ligne de l'Atlantique-Sud sera tracée peu à peu. La mort de Mermoz, survenue en plein ciel le 8 juillet 1936, fera entrer dans la légende les hommes qui constituèrent ce qui fut appelé la « Phalange de l'Atlantique-Sud ".

L'après-guerre voit se former d'autres compagnies aenennes qui utiliseront des appareils à moteur Renault. Parmi elles, la « Compagnie des Messageries aériennes" dont Bréguet est le promoteur.

Dans sa démarche, Louis Bréguet, se prévalant des récentes inventions radiogoniométriques et des progrès qu'on pouvait raisonnablement prévoir, ne doutait pas que, selon son expres­sion « dans un délai Plus ou moins rapproché, on arrivera à diriger les avions à coup sûr et d'une façon constante au moyen des ondes hertziennes, à les faire atterrir, en quelque sorte automatiquement, sur un terrain précis, même la nuit ». Il fallait donc « s'atteler sans perdre un instant à l'installation des ports aériens et des postes de signalisation de toute nature et, en particulier, à l'aPPlication généralisée de la science radiogo­niométrique ».

Pour Louis Bréguet, le transport aérien devait être bon mar­ché, donc accessible à tous. Le fret lui-même ne devait pas être réservé à quelques marchandises mais à toutes, quel que soit leur caractère.

Ce programme, pour l'époque, ne manquait pas d'audace et, pour l'appliquer, il fit entrer au conseil d'administration de sa compagnie les industriels les plus prestigieux: Louis Renault, Louis Blériot, Robert Morane et René Caudron.

Après quelques vols expérimentaux sur Paris-Strasbourg, des liaisons régulières sont établies sur Paris-Lille, Bruxelles, Londres et Marseille, avec des Bréguet-Renault.

D'Air-Union à Air-France

Malgré toutes les créations de sociétés -on n'en comptait pas moins de dix vers 1923 -l'avenir de l'aviation commerciale n'était pas sans nuages.

Outre que les cellules et les moteurs atteignaient des prix élevés, le public.boudait encore le nouveau mode de transport et les surtaxes pesant sur le courrier n'étaient pas de nature à encourager l'usage de la poste aérienne.

A partir du 23 novembre 1932,

Ludovic Arrachart effectue un voyage d'études sur les deux grandes lignes reliant la France à Madagascar. Le voici à son retour au Bourget; de droite à gauche: le capitaine de Saint-Esteban, représentant du ministre de l'Air, Mme Arrachart et le capitaine, Paul Hugé, administrateur des usines Renault et le mécanicien Puillet.

L'État s'était rapidement rendu compte que le déficit financier qui atteignait les différentes compagnies risquait, à terme, de les mener à la banqueroute. Or, il estimait nécessaire qu'existe, aux côtés de l'aviation militaire, une forte aviation civile.

Dans le cas de conflit, en effet, l'apport de cette dernière ne serait pas à négliger. L'avion de transport pourrait rapidement être converti en avion de bombardement, cependant que les pilotes, quotidiennement entraînés, constitueraient une force d'appoint immédiatement utilisable.

L'aide de l'État va constituer en l'attribution de primes de différents types: prime d'achat couvrant une partie du mon­tant de l'appareil; prime kilométrique calculée en"fonction des kilomètres parcourus et prime de rendement commercial paya­ble selon le nombre de voyageurs transportés, cette derniêre étant la plus élevée.

Pendant deux années, le montant de ces primes permet aux compagnies de réduire leur déficit. Mais, en 1922, à la suite de circonstances atmosphériques défavorables et de la publicité intempestive faite par la presse autour d'accidents, le rende­ment commercial baisse et, en conséquence, le montant des primes correspondantes.

Certaines compagnies doivent alors disparaître, d'autres fusionner.

C'est en 1923 que la compagnie Air-Union est formée entre la Compagnie des Messageries Aériennes de Louis Bréguet, la Compagnie des Grands Express Aériens des frères Pelabon et l'Aéronavale de Lioré et Olivier. Louis Renault est l'un des administrateurs.

Développant son activité, la nouvelle compagnie, qui assure un service régulier Paris-Londres et Paris-Bruxelles avec des Bréguet-Renault, conclut des accords avec des compagnies étrangères: Impérial Airways, Sabena, Swissair et avec une compagnie française, celle de Henry Farman, la Société des Transports Aériens qui, avec des Goliath-Renault couvre la ligne Paris-Londres,

La concentration va se poursuivre au cours des années suivan­tes, notamment avec la création de la Compagnie Aéropostale en 1927, qui prend la suite de la compagnie fondée par Pierre Latécoère.

En 1932, il n'existait plus que cinq compagnies françaises: l'Aéropostale, la Compagnie Farman, Air-Union, Air-Orient et la Compagnie Internationale de Navigation Aérienne (C.I.D.N.A.). Louis Renault était actionnaire de deux d'entre elles: Air-Union et Air-Orient.

Malgré l'aide de l'État, ces compagnies continuaient à connaî­tre de nombreuses difficultés financières et ce sont ces dernières qui furent à l'origine du krach de l'Aéropostale.

C'est alors que le gouvernement se décida à intervenir. Une loi du Il décembre 1932 définit le statut de l'aviation marchande et stipula que l'aide de l'État ne pourrait être accordée qu'à une seule compagnie.

Le 14 avril 1933, le ministre de l'Air, Pierre Cot, en applica­tion de cette loi, confie l'exploitation des lignes aériennes à une société à créer, répondant aux critères établis. Quelques semai· nes plus tard, les quatre compagnies restantes constituèrent la Société Centrale pour l'Exploitation des Lignes aériennes et rachetèrent l'Aéropostale. Enfin, le 30 août, c'est la création d'Air·France.

Société anonyme au capital de 120 millions de francs, Air·France dispose de 240 000 actions non cotées en Bourse. L'État s'en attribue 80 000. Louis Renault devient administra· teur en souscrivant 100 actions et la Société Anonyme des Usines Renault 5 090.

La création d'Air·France, décidée par voie législative, s'avéra bénéfique pour l'aviation commerciale. Mais, dans l'immédiat, l'État économisa 25 % sur les crédits alloués à l'aviation privée et, ultérieurement, sa subvention décrut progressivement en raison du d.éveloppement considérable que connut la nouvelle compagnie.

Entre 1933 et 1939, son réseau passa, en effet, de 38 000 kilo­mètres et 24 lignes à 46 450 kilomètres et 33 lignes, cependant que le nombre de voyageurs atteignit 104424 en 1938 contre 15407 en 1933.

A côté d'Air·France continuèrent de subsister des compagnies qui assuraient les liaisons africaines: Air·Afrique du comman· dant Dagnaux et l'Aéromaritime, exploitée par la Compagnie des Chargeurs Réunis. Mais, sur le territoire national, allait bientôt naître: Air·Bleu.

Air-Bleu

L'idée de la création d'une liaison postale aérienne rapide entre les villes françaises n'était pas originale. Déjà, en 1923, Didier Daurat l'avait avancée et, dès 1926, Louis Bréguet drai­nait le courrier de la région du Nord, le rassemblait sur son ter­rain de Douai·la-Brayelle pour le transporter à Paris par avion spécial.

Contre toute attente, cette initiative n'avait pas connu de déve­loppement, les efforts ayant surtout porté sur les lignes extra­continentales. Or, des pays voisins, pourtant venus plus tard à l'aviation, avaient tissé au cours des années de véritables toiles d'araignées de lignes nationales. En Allemagne, par exemple, où 15 lignes intérieures fonctionnaient régulièrement, de même en Italie qui en comptait 16.

Vers la fin de 1934, Beppo de Massimi qui avait, aux côtés de Pierre Latécoère, participé à la création de l'Aéropostale, reprend l'idée à son compte.

Le réseau Air-Bleu.

Départ quotidien _

« Nous avons pensé, écrivait-il dans son projet, que la création de lignes aériennes à l'intérieur de la France s'imposait, car c'est au moment où la situation économique de la France rend les rapports entre les diverses branches de l'activité moins fré­quents et Plus rudes, qu'il paraît utile de les stimuler par les moyens que le progrès a mis à notre portée : l'avion.

« Réduire au minimum le temps dans les relations entre commerçants, industriels ou autres, garder à la correspon­dance son caractère confidentiel et ne point imposer à l'usager une taxe prohibitive; là est, croyons-nous, le secret d'un stimu­lant des affaires et tel est le but à atteindre.

« Il s'agit donc d'organiser un service de poste aerzenne en France, et de développer par la raPidité des communications les relations d'affaires et les échanges d'idées entre Français en les rendant Plus faciles.

« Aucun moyen actuel ne réPond aux besoins du moment, ni le chemin de fer, ni l'automobile. Pour la poste, ces deux moyens de transport sont désormais trop lents. Quant au téléPhone et au télégraphe, ils n'offrent aucune garantie de discrétion et, de Plus, leur tarif est trop élevé.

« L'administration postale a bien créé l'enveloppe pneumati­que, mais elle ne fonctionne que dans la Seine et la Seine-et­Oise et ne s'étend pas à la province. La lettre « express" enfin, dont le prix est de 3 francs, n'offre qu'un avantage de temps insignifiant et ne justifie pas un pareil tarif·

« La solution du problème nous a donc paru se trouver dans la formule suivante: établir un type de correspondance aussi raPide que le télégramme, aussi discret que la lettre, avec les mêmes possibilités de détails et de précisions et ce, à un tarif égal à celui du télégramme le moins coûteux, qui est de 3 francs pour dix mots. Sa réalisation est facile par une étroite liaison entre l'avion d'une part et les moyens les Plus raPides dont peut disposer l'administration des Postes, pneumatique

dans la caPitale, motocyclette en province.

« Une pareille liaison permettrait à un habitant de Paris de réPondre à une lettre trouvée dans son courrier le matin vers 9 heures. Le destinataire de province recevrait son message au début de l'après-midi et, s'il y avait urgence, l'avion, en ren­trant, pourrait rapporter la réponse le soir même, par une let­tre distribuée encore avant la fermeture des bureaux. "

Le projet prévoyait l'établissement de sept lignes reliant Paris à Lille, Le Havre, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille et Strasbourg.

Mais il restait des oppositions à vaincre. D'abord celle de Louis Bréguet « vivement ému ", disait-il, « en tant que propagan­diste de l'aviation postale à l'intérieur de la France, comme membre du conseil d'administration d'Air-France et comme industriel ayant des intérêts importants dans le Nord de la France ".

Ensuite celle d'Air-France dont l'administrateur-délégué esti­mait qu'il s'agissait d'une idée du groupe Latécoère « sans doute pour se venger du scandale de l'Aéropostale ".

Un autre obstacle se dressait devant le promoteur : le ministre des Postes; le transport de courrier étant un monopole d'État, une autorisation était nécessaire.

Et Beppo de Massimi passe aux actes. Fin 1934, il crée la Société anonyme Air-Bleu, ainsi dénommée en raison de la couleur des enveloppes et feuilles de correspondance : bleu clair, barrées sur l'angle supérieur gauche d'une bande étoilée bleu clair sur bleu foncé.

Le capital social de 5 millions de francs était constitué par 10 000 actions de 500 francs. La Société Anonyme des Usines Renault souscrit immédiatement 1 000 actions et devient ainsi le principal actionnaire, aux côtés notamment des Messageries Hachette et de la compagnie des Chargeurs Réunis.

Le 3 janvier 1935, une convention est passée avec le ministre des P.T.T., aussitôt ratifiée par le ministre de l'Air et approu­vée le 8 janvier par le Conseil des Ministres.

Par cette convention, Air-Bleu obtenait l'exclusivité de trans­port des correspondances rapides entre Paris et les différentes villes de province, et une rétribution de 200 francs par kilo­gramme transporté, ces garanties étant acquises pour cinq années. En contrepartie, Air-Bleu déposait à la Caisse des dépôts et consignations un cautionnement de 500 000 francs, remboursable par septième au fur et.à mesure de la mise en exploitation des lignes prévues.

On peut se demander pourquoi Louis Renault s'est engagé dans une affaire que ni Louis Bréguet ni Air-France ne croyaient rentable. L'argument décisif qui dut le convaincre fut, sans doute, que la nouvelle compagnie n'utiliserait que des Simoun, l'avion construit par l'ingénieur Marcel Riffard, du groupe Caudron-Renault.

Le logo Caudron-Renault

Certes, cet appareil n'avait encore aucune performance à son actif. Le premier profit que Louis Renault va retirer de l'entre­prise, c'est l'apport des pilotes d'Air-Bleu, dirigés par Raymond Vannier, qui, par les modifications apportées, vont activer la mise au point du Simoun.

Le second profit, c'est l'impact publicitaire. Selon Didier Daurat, qui sera le troisième directeur d'Air-Bleu après Paul Routy, successeur de Beppo de Massîmi, Louis Renault ima­gine « d'intéresser tous ses directeurs d'agences régionales à la vie de la ligne. Ceux-ci conduisaient leurs clients aux aérodro­mes et la régularité des escales constituait la meilleure des propagandes pour la qualité des fabrications Renault ".

Le 10 juillet 1935, en présence du général Denain, ministre de l'Air, et Louis Renault, le ministre des P.T. T. Georges Mandel remet symboliquement à Raymond Vannier le premier sac de courrier à destination de Bordeaux.

Avec une flotte de six Simoun, la longueur du réseau exploité atteindra 2 294 kilomètres à la fin de 1935 et 2 656 kilomètres au cours du premier semestre de 1936.

Mais le grand public, qui semble ignorer les possibilités qui lui sont offertes, boude le système. Les milieux d'affaires, qui le connaissent pourtant, ne sont guère plus enthousiastes. A cause du prix, peut-être, la lettre par avion coûte en effet 2,50 francs contre 0,50 franc pour le pli ordinaire. Air-Bleu a beau modi­fier ses horaires pour les aligner sur les heures d'ouverture des bureaux de poste, rien n'y fait. Et, le 2 août 1936, les services sont interrompus.

Des pourparlers s'engagent alors avec le ministère des P.T.T. et Air-France. En 1937, une société tripartite est formée, et les actions réparties à raison de 52 % pour l'État, 24 % pour Air­France, et 24 % pour Air-Bleu qui fait apport de son matériel.

Le 7 juillet 1937, avec 8 pilotes et 12 appareils (11 Simoun et 1 Goéland), trois services reprennent: Paris-Bordeaux-Mont­de-Marsan-Pau, Paris-Toulouse-Perpignan, Paris-Clermont­Ferrand-Saint-Étienne-Lyon-Grenoble. A la fin de l'année, 70 946 kilogrammes de poste auront été acheminés, et, l'année suivante, 236 949 kilogrammes.

Malgré ces résultats prometteurs, Air-Bleu est encore très fra­gile et, la guerre survenant, elle disparaît définitivement en 1940, absorbée par Air-France.

Renaissance des Coupes

La fin de la Première Guerre mondiale est le signal de la renaissance des Coupes qui avaient tant contribué au dévelop­pement de l'aviation.

Cependant, les immenses progrès accomplis durant. les hostili­tés imposaient aux promoteurs de nouvelles modalités, dans le domaine de la vitesse notamment. Si l'on songe qu'en 1914, la moyenne imposée dans la Coupe Michelin était de 30 kilomètres/heure, il aurait été pour le moins ridicule de ne pas la réviser, de même pour la distance à parcourir.

Dès 1919, les anciennes Coupes sont rétablies ou remises en jeu. Pendant quinze ans vont ainsi renaître, et pour certaines, dis­paraître: les Coupes Schneider, Michelin, Deutsch de la Meur­the, Gordon-Bennett. Entre 1920 et 1930 d'autres vont être créées. Par des avionneurs, des motoristes ou des accessoiristes tels que Bréguet, Dunlop, Zénith ou encore par des mécènes: Esders ou Beaumont.

Et aussi Louis Renault qui, pour marquer sa satisfaction de l'exploit réalisé par Ludovic Arrachart et Henri Lemaître, met en compétition une Coupe réservée aux constructeurs et pilotes français, dotée de 250 000 francs de prix en espèces, à raison de 50 000 francs par compétition annuelle et d'un objet d'art, challenge d'une valeur de 5 000 francs.

Le vainqueur serait le concurrent qui, sans escale et sans ravi­taillement en vol, aurait c~uvert, entre le 1 e< août d'une année et le 31 juillet de l'autre, la plus large distance, soit en ligne droite, soit en circuit fermé. Quant à la coupe, elle serait défi­nitivement acquise à celui qui aurait à son actif trois épreuves, consécutives ou non.

Ludovic Arrachart en 1933 devant son Farman-Renault.

Les autres conditions du déroulement de la compétition, fixées par l'Aéro-Club de France, concernaient le départ qui devait obligatoirement ètre pris d'un aérodrome situé à moins de 60 kilomètres de la cathédrale de Paris, et la distance à courir, soit 3 216,300 kilomètres, supérieure de 50 kilomètres au record établi le 3 février 1925 par Arrachart et Lemaître.

Aussitôt connu, le règlement de la Coupe Renault fut étudié par tous les grands constructeurs et il ne se trouva aucun pilote qui ne songeât à s'attribuer le nouveau trophée.

La compétition est à peine ouverte que le capitaine Cirier et le lieutenant Dordilly quittent le Bourget sur un Bréguet 19 à moteur Hispano-Suiza. D'un seul coup d'aile, ils joignent Paris à Omsk soit 4 715,900 kilomètres. Aucune autre tentative ne réussissant au cours de l'exercice, ils deviennent les premiers détenteurs de la Coupe Renault.

La deuxième compétition, qui débute le 1" août 1926, voit la victoire du lieutenant Challe et du capitaine Weisser sur Bréguet 19 moteur Farman, qui réalisent 5 174 kilomètres sur la distance Le Bourget-Bender-Abbas. Record difficile à bat­tre et qui demeurera durant les deux exercices suivants. Il fau­dta attendre le 27 septembre 1929 pour que Costes et Bellonte, avec leur Bréguet 19 moteur Hispano-Suiza, atteignent 7 905 kilomètres sur le Bourget-Tsitsikar.

Dès lors, aucun compétiteur ne se manifestera, et la Coupe Renault ne sera jamais plus attribuée, pas mème lors de la tra­versée de l'Atlantique-Nord par Costes et Bellonte, le 1" septembre 1930, la distance de Paris à New York étant infé­rieure au record établi précédemment.

De toutes les Coupes, il est incontestable que c'est la Coupe Deutsch de la Meurthe qui connaîtra la plus grande notoriété. Dans sa nouvelle formule, elle ouvrira la voie à de nouveaux progrès, popularisera l'aviation auprès d'un public toujours plus enthousiaste mais, paradoxalement, elle provoquera l'irri­tation des avionneurs et des compétiteurs.

Henri Deutsch de la Meurthe, industrie! français, un des pre­miers mécènes de l'aviation, meurt en 1919, et la Coupe qui porte son nom disparaît en 1922. Dix années plus tard, sa fille Suzanne décide de la rétablir sous une forme nouvelle en la dotant d'un premier prix de 100 000 francs et d'un règlement général fort bref :

« L'épreuve est internationale, elle est ouverte à tous les engins Plus lourds que l'air. A chaque compétition, l'Aéro-club de France déterminera la cylindrée maxima qui ne pourra jamaz's être suPérieure à 8 lz'tres. Elle peut être courue, suivant la déci­sion de l'Aéro-club, sur terre ou sur l'eau, tous les ans ou tous les deux ans. Elle doit comporter un parcours d'au moins 2 000 kilomètres. Elle sera définitivement gagnée par le concurrent qui l'aura gagnée troz's foz's. »

Pour 1933, année où la Coupe serait mise en compétition pour la première fois, l'Aéro-club avait élaboré un règlement parti­culier qui stipulait que « les escales étaient autorz'sées, maz's leur temps ne serait pas déduit, saufpour une escale obligatoire au millième kilomètre, escale d'une heure et demie, à l'expiration de laquelle tout concurrent serait considéré comme parti ».

Il était également prévu que, préalablement, tous les concur­rents devraient avoir, avec leur appareil de course, effectué un vol de 100 kilomètres au moins, à une vitesse minimum de 200 kilomètres/heure.

Pour la première fois, l'État avait renoncé à exercer tout contrôle sur les appareils. Mieux même, il avait affecté une somme de 3 millions à des primes « réservées aux concurrents françaù pilotant des engins entt'èrement construüs en France, cellule et moteur ». De plus, le ministère de l'Air avait mis à la disposition de l'Aéro-club l'aérodrome d'Étampes-Mondésir et permis à ses fonctionnaires et officiers de collaborer avec les organisateurs.

Le circuit de 100 kilomètres que les concurrents auraient à par­courir formait un triangle dont les angles se situaient à Étampes-Mondésir, Chartres et Boncé-Dammarie, chaque angle étant signalé par des pylônes métalliques de 8 mètres de hauteur portant à leur extrémité deux panneaux métalliques de 1 mètre de large.

Au moment de la clôture des engagements, 13 appareils étaient inscrits: 2 Albert (moteur Régnier), 1 Comper-Swift (moteur de Havilland), 3 Farman (moteurs Renault et Hispano-Suiza), 1 Kellner-Béchereau (moteur Delage), 4 Cau­dron (moteurs Renault, Régnier et Baudot) et 2 Potez (moteur Potez).

Après les éliminatoires, qui se déroulèrent le 14 mai 1933, 8 appareils restaient en course. Ils avaient pour pilotes: Lemoine (Potez-Potez), Sale! (Farman-Farman), Détré (Potez­Potez), Delmotte (Caudron-Renault), Arnoux (Farman­Renault), Valot (Caudron-Régnier), Arrachart (Caudron­Renault) et Comper (Comper-de Havilland). Tout était donc prêt pour le grand départ fixé au 26 mai.

Or, le 23, une malheureuse nouvelle jette la consternation dans les milieux aéronautiques : la mort de Ludovic Arrachart. Ce jour-là, le pilote aux multiples exploits s'était envolé « à 6 heures 40 de l'aérodrome de Mondésir dans le but de s'entraîner et d'essayer son appareil. Parti dans la direction de Chartres sur le circuit même de la Coupe, l'avion volait à 200 mètres d'altitude envz'ron lorsque, suivant un cultivateur qui, d'un champ voz'sin, suivaü la marche de l'appareil, le moteur s'arrêta. n'après un second témoin, le moteur cessa bien de fonctionner maù reprit sa marche quelques secondes Plus tard. Quoi qu'il en soit, l'avz'on sembla amorcer un vz'rage, puz's s'abattit brusquement sur le passage à niveau de Maùons, sur la ligne de chemin de fer de Chartres à Orléans, à proxi­mité d'Auneau. Lorsque les secours arrz'vèrent, il était trop tard, et ce ne fut qu'un cadavre qu'on retira des débrù de l'appareil» (Le Petit journal).

Outre l'émotion produite par la disparition d'un pilote fort estimé, tant par son courage que pour la place qu'il avait prise dans l'évolution de l'aéronautique, la mort de Ludovic Arrachart souleva une polémique qui faillit bien remettre l'épreuve en cause.

Le 25 mai, en effet, l'Union des pilotes civils de France fit savoir qu'elle s'opposerait à la tenue de la compétition en rai­son du manque de préparation des pilotes et des risques aux­quels ils étaient exposés_ De multiples réunions se tinrent alors à l'Aéro-Club et, le 26 mai, le ministre de l'Air, Pierre Cot, convoqua les représentants des différentes associations intéres­sées, les constructeurs, les pilotes des appareils engagés, les commissaires et les organisateurs_

A la suite d'un vote secret, il fut décidé de maintenir l'épreuve à la date fixée. Cependant certaines mesures de sécurité furent prises, « la vitesse imposée fut abaissée de 350 à 3 00 kilomètres/heure et les pilotes furent autorisés à se ravitail­ler tous les 500 kilomètres, le temps de ravitaillement devant être déduit du temps de course. Il fut également recommandé aux coureurs d'observer l'altitude de 300 mètres en vol et aux virages, et d'équzper leurs avions de parachutes, ainsi que de surveiller de très près l'état physique des pilotes par un contrôle médical à chaque escale» (L'Aérophile).

En fait, la plupart de ces recommandations ne purent être observées par les pilotes, notamment celles concernant l'alti­tude, d'une part pour des raisons de visibilité, d'autre part afin que les virages autour des pylônes puissent être effectués correctement.

La première Coupe Deutsch

Le dimanche 28 mai 1933, à 9 heures, tous les concurrents sont prêts au départ sur l'aérodrome d'Étampes, sauf un, Valot qui, trois jours plus tôt, s'est retourné au sol.

Les appareils sont peints en bleu « France », comme il est d'usage dans les courses d'automobile -même l'avion de l'Anglais Comper pour qui les commissaires ont invoqué la nationalité française de celui qui avait engagé l'appareil.

Tout est prévu dans les moindres détails. L'O.N.M. organise la « protection météorologique» du circuit à l'aide des informa­tions transmises par les postes d'Étampes et de Chartres, les

Le circuit de la Coupe Deutsch.

postes les plus lointains de Deauville, Argentan, Rennes, Angers, Tours, Romorantin, Orléans, Châteaudun, Avord, Romilly, Compiêgne, Beauvais et Le Bourget assurant un ser­vice « d'avertissement au grain ».

Les concurrents de la Coupe Deutsch 1933 avant le départ. De gauche à droite: Arnoux, Delmotte, Comper, Détré, Lemoine et Salel.

Après sa victoire, Maurice Arnoux est félicité par le ministre de l'Air, le général Denain.

Le capitaine Lepetit s'apprête à informer le nombreux public des péripéties de la course, Hervé Lauwick se chargeant du « reportage par T.S.F. ». Et les officiels sont là : représentants du ministre de l'Air, organisateurs, constructeurs et, parmi eux, Suzanne Deutsch de la Meurthe.

Le directeur de la course, l'ingénieur en chef de l'Aéronauti­que Hirschauer, scrute anxieusement le ciel ; le plafond est bas et le vent souffle dans une mauvaise direction. Une heure passe sans que les conditions atmosphériques s'améliorent. Il faut renoncer, l'épreuve devant durer onze heures, il est maintenant trop tard pour qu'elle se termine avant la tombée de la nuit. Elle est donc reportée au lendemain.

Le lundi, le ciel est dégagé et le vent souffle dans la bonne direction ; le départ peut être donné. A 9 heures 46 minutes 20 secondes, Comper décolle en 14 secondes, à 9 heures 50 minutes 35 secondes, c'est au tour de Salel (décollage en 15 secondes); puis, à 9 heures 55 minutes 35 secondes, Delmotte (décollage en 22 secondes). A 9 heures 59 minutes 10 secondes, le départ est donné à Arnoux qui, après avoir roulé une centaine de mètres, brise son atterrisse ur monoroue sur un accident de terrain et casse son hélice. A 10 heures 5 minutes 40 secondes, Détré sur son Potez met 34 secondes pour quitter le sol et Lemoine, son compagnon de marque, qui s'élance sur la piste à 10 heures 10 minutes, ne parvient à décoller qu'en 40 secondes.

Les cinq concurrents sont maintenant sur le circuit. Salel revient le premier à Étampes, couvrant le tour à 301,500 kilomètres/heure de moyenne; il est suivi de Comper, Détré et Delmotte. Quant à Lemoine « après avoir eu ses lunet­tes embuées au déPart et prenant ensuite l'ombre d'un nuage

Le montage des avions Caudron à Étampes, avant l'épreuve.

pour une forêt, il s'égare et ne termina son premier tour -qui n'a pu être homologué, aucun poste de contrôle n'ayant constaté son passage -que 34 mznutes après son départ» (L'Aérophüe). Il abandonnera d'ailleurs au cinquième tour en même temps que Salel qui a perdu le filtre à huile de son moteur.

Les 1 000 premiers kilomètres sont couverts respectivement, par Détré en 3 heures 5 minutes 7 secondes, Delmotte en 3 heures 8 minutes et Comper en 4 heures 8 minutes 43 secondes, déduction faite des temps de ravitaillement pour Delmotte (16 minutes 47 secondes) et Comper (11 minutes 22 secondes).

Après l'escale imposée de une heure et demie, les trois pilotes reprennent l'air pour la seconde manche. Elle se déroule sans incident. Détré franchit la ligne d'arrivée à 17 heures

Hall de montage

·des avions aux usines Caudron en 1934.

47 minutes 26 secondes, Delmotte à 18 heures 27 minutes 46 secondes et Comper à 20 heures 22 minutes 3 secondes. La première coupe Deutsch est donc gagnée par Détré à la vitesse moyenne de 322,800 kilomètres/heure, suivi de Delmotte, 317,040 kilomètres/heure et Comper, 239,550 kilomètres/heure.

Au lendemain de l'épreuve, l'ingénieur Hirschauer remarquait que de très importants progrès avaient été réalisés par Potez et Caudron vers la plus grande vitesse : « Potez a présenté un modèle remarquable de train escamotable, train qui était blo­qué quelle qu'en soz"t la position. Quant au train fixe de Gau­dron, réalisé avec des jambes à amortisseurs oléopneumatiques Gharlestop, non haubannées, il avaz"t une résistance à l'avance­ment extraordinairement faible ... Seuls des moteurs à refroi­dissement par air sont restés en course, mais les solutions à refroidissement par eau de Farman et de Delage sont à revoir, le temps ayant manqué pour leur mise au point. »

Dans l'ensemble, les appareils étaient de pilotage aisé « bien que les déParts az·ent été nettement trop Pénibles ". Par contre, « les atterrissages ont paru beaucoup moins diffiâles, en parti­cuHer le Gaudron, grâce à ses ailerons, fut sPécialement remar­qué.. . Tous les concurrents vz·raient bien; Salel, sur son Farman, assez serré, Delmotte assez large, mais ceà pouvaz"t être une tactique» (L'AéroPhile).

Henry Potez pouvait donc être satisfait de la tenue de son appareil et de la maîtrise de Georges Détré que sa victoire dési­gnait comme un pilote de grande classe. René Caudron, quant à lui, n'avait pas vu la chance lui sourire, la mort de Ludovic Arrachart, l'accident de Valot, avaient anéanti des années d'effort. Il pouvait cependant espérer que son regroupement avec Renault allait lui permettre de connaître un avenir plus prometteur.

Le groupement Caudron-Renault

Les affaires de René Caudron n'étaient pas des plus florissan­tes. Il est vrai qu'il « cherchaz"t déjà depuis Plusieurs années à vz·vre tout seul, sans soutien de l'État, sa cHentèle étant presque entièrement privée" (La Vie Automobile), et que, selon Louis Renault, « il étaz"t un vz·eux pratzâen, économe et prudent, qui reconnaissait lui-même que le stade actuel de l'aviatz"on ne pou­vaz"t se contenter du travail artisanal ".

Pourtant, à l'égal des Blériot, Farman et Voisin, René Caudron avait su prendre une place de choix dans l'histoire de l'aviation_ Né en 1884 à Favières (Somme), fils d'un riche agri­culteur picard, il avait, très tôt, renoncé à l'agronomie pour se consacrer aux sports aériens. Av~c son frère Gaston, son aîné de deux ans, il avait construit, dans la ferme paternelle de Romiotte, un premier planeur. Avant même son expérimenta­tion' les deux frères, ne doutant pas de l'avenir, créaient une association baptisée pompeusement « Aéroplanes Gaudron frères ".

En mars 1909, René Caudron, aux commandes d'un engin rudimentaire, se faisant remorquer par la jument Luciole atte­lée à une charrette et guidée par Gaston, survolait les dunes du

Louis Renault conversant avec Marcel Riffard.

Crotoy au grand étonnement des villageois. Bientôt, équipé d'un moteur Anzani, l'appareil réussissait alors « par les moyens du bord, une série de Hgnes droites en juin 1909" (L'Aérophile). Ainsi débuta la construction Caudron.

Pendant les années qui précédèrent la Première Guerre mon­diale, les deux frères construisirent quinze types d'avions et quatre d'hydravions dont certains brillèrent en compétition, notamment dans le Circuit européen en 1912, l'année suivante dans les meetings de Deauville et Reims.

Mobilisés en août 1914, ils furent rappelés dans leur usine du Crotoy qui, devant l'invasion allemande, fut évacuée à Lyon. Et c'est sur l'aérodrome de Lyon-Bron que Gaston Caudron devait trouver la mort à bord d'un R 4 au cours d'un essai, le 10 décembre 1915.

Désormais seul à la tête de l'entreprise, René Caudron poursui­vit sa tâche. Huit nouveaux types d'appareils furent construits dont le C 23 de bombardement qui, à l'époque, reçut le quali­ficatif de remanluable.

Après la guerre, il se consacra surtout à l'aviation de tourisme. Entre 1919 et 1932, il mit sur le marché vingt-huit types nou­veaux. Pendant toutes ces années, sa collaboration avec Renault fut pratiquement inexistante, seuls quatre appareils furent équipés de moteurs Renault, le C 91 (1923), biplan de transport à quatre places, le C 232 (1930), biplan de tourisme de deux places à ailes repliables, le C 272 (Luciole) à deux pla­ces (1931), et sa version de 1932.

A partir de 1930, on assiste en France à une restructuration de l'aviation, et c'est dans ce cadre qu'il faut placer la naissance du groupement Caudron-Renault. Quelques années plus tard, en 1933, le ministère de l'Air demanda à Louis Renault de prendre le contrôle de Caudron, car, selon une note du 5 mars

1936, « en applt"quant à l'aviation la puissance des moyensuti­lisés pour la constructz'on des autos, des moteurs ... on devaz"t pouvozr obtenir des résultats nettement amélt"orés quant à la rapz'dité de production et au prix de revient ».

La « Soâété Anonyme des Avions Caudron» naît le 30 juin 1933. René Caudron en est le fondateur. ~e capital social est fixé à 4 millions de francs, divisé en 8 000 actions de 500 francs dont 3 600 sont attribuées à René Caudron en représentation de ses àpports. Les autres actions sont souscrites par Louis Caroulle, Paul Hugé, Émile Duc, François Lehideux, René Tassin de Montaigu et la Société Anonyme des Usines Renault. En fait, Renault détient la majorité, soit direc­tement, soit par l'intermédiaire de Paul Hugé, Émile Duc et François Lehideux, administrateurs de la S.A.U.R. De plus, lors d'une augmentation de capital de 2 millions de francs décidée le 19 janvier 1934, Renault accroît encore sa participa­tion en souscrivant 3 598 actions sur les 4 000 émises.

Dès sa première assemblée générale, le Conseil d'administra­tion désigné comprenait Émile Duc, président, François Lehideux, secrétaire et René Caudron, administrateur­délégué. Cette prédominance de Renault dans la société Cau­dron explique l'effort d'intégration qui sera poursuivi par Louis Renault au cours des années suivantes.

Maurice Arnoux l'emporte

Le groupement Caudron-Renault va grandement contribuer, pendant les quelques années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, à l'essor de l'aviation française. Pour l'instant, il s'attache surtout à accroître la vitesse de ses appareils.

De gauche à droite: François Lehideux, Paul Hugé et Samuel Guillelmon à Étampes, lors de la Coupe Deutsch de 1934.

Pour la deuxième Coupe Deutsch, deux avions sont construits par la nouvelle association, le C 450 et le C 460. Les cellules sont dessinées par l'ingénieur Marcel Riffard, de Caudron, qui

a prévu deux types de trains d'atterrissage; l'un fixe pour le C 450, l'autre escamotable pour le C 460. Quant aux moteurs, ils sont préparés par le bureau d'études de Renault dirigé par Edmond Serre dont l'effort a surtout porté sur l'augmentation de la puissance (de 145 à 300 CV).

Coupe Deutsch 1934, sur le terrain, de gauche à droite Lacombe, De1motte, R. Caudron, Riffard, Manville et Arnoux.

Le 27 mai 1934, à 9 heures, sur l'aérodrome d'Étampes­Et c'est Arnoux qui l'emporte, avec un temps total de 5, heures Mondésir, les huit pilotes qualifiés sont prêts à l'envol. Il y a 8 minutes 31 seconde~, et une vitesse moyenne de 389 kilo­là: Détré (Potez-Potez), Lemoine (Potez-Potez), Massotte mètres/heure. Il est suivi de Massotte (5 heures 32 minutes (Caudron-Régnier), Delmotte (Caudron-Renault), Monville 28 secondes, moyenne 361,083 kilomètres/heure) et de Monville (Caudron-Renault), Comper (Comper-Gibsy), Arnoux (5 heures 51 minutes 52 secondes, moyenne 337,230 Kilo­(Caudron-Renault) et Lacombe (Caudron-Renault). mètres/heure).

Le C450' vainqueur de la Coupe Deutsch 1934.

Et la ronde commence. Déjà, Arnoux se distingue en attei­gnant, au cours des cinquième et neuvième tours, la vitesse de 400 kilomètres/heure, établissant ainsi le record du circuit. Au dixième tour, Détré abandonne, une panne sèche l'ayant obligé à se poser en rase campagne. A l'issue de la première manche, le classement s'établit ainsi:

1" - Arnoux 2 heures 32 minutes 35 secondes

moyenne 393,308 kilomètres/heure

2e - Delmotte 2 heures 34 minutes 57 secondes

moyenne 387,300 kilomètres/heure

Lemoine 2 heures 42 minutes 49 secondes

moyenne 368,470 kilomètres/heure

4e - Massotte 2 heures 44 minutes 3 secondes

moyenne 365,750 kilomètres/heure

Monville 3 heures 9 minutes

moyenne 317,460 kilomètres/heure

Comper 4 heures 42 minutes

moyenne 270,000 kilomètres/heure

7e - Lacombe 4 heures 50 minutes

moyenne 207,000 kilomètres/heure

A 13 heures, débute la seconde manche, mais il reste seulement quatre pilotes en course. En effet, Comper et Lacombe ne se présentent pas au départ, et Lemoine ne peut faire décoller son Potez. La lutte s'annonce serrée entre Arnoux, Delmotte et Massotte. Mais bientôt, Delmotte est éliminé. Au 1ge tour, en effet, il est contraint d'atterrir près de Chartres à la suite d'une panne d'huile.

C'était donc une très belle victoire pour Caudron qui voyait triompher trois de ses appareils. C'était aussi une victoire pour Renault dont les moteurs équipaient le C 450 d'ArnOJ;!x et le C 460 de Monville.

Pour Maurice Arnoux, c'était une sorte de consécration. Pilote de guerre, il avait obtenu huit citations à l'ordre de l'Armée et était titulaire de la Médaille militaire et de la Légion d'hon­neur. Il comptait à son tableau de chasse cinq avions ennemis homologués officiellement. «Du point de vue sportif, écrivait «L'Aérophz'le », Arnoux a battu sur son avion personnel Far­man, le record françaz's d'altz'tude d'aw:ons légers bzplaces avec 6855 mètres. Il a effectué le tour d'Europe du Challenge d'avions de tourz'sme 1932, se classant troz'sième des Françaz's, et compte, en outre, une seconde place dans la Coupe Dunlop, ainsi qu'une deuxième Place dans la Coupe Zénz'th 1931. De Plus, z'l a battu les records de vz'tesse en monoPlace sur '100 kz'lomètres et en bzplace sur 100, 500 et 1 000 kz'lomètres. » Enfin, dans cette Coupe Deutsch, Arnoux avait porté .à 393,308 kilomètres/heure le record de vitesse sur 1 000 kilomètres. 'Sa satisfaction pouvait être d'autant plus grande que le président de la République, Albert Lebrun, l'avait personnellement félicité. Fait particulièrement remar­qué, le président, accompagné du ministre de l'Air, le général Denain, devait regagner Paris à bord d'un trimoteur colonial Dewoitine du gouvernement. C'était la première fois qu'un président de la République en exercice empruntait un avion.

Victoire pour Caudron ; défaite pour Potez que la malchance avait poursuivi. Mais il restait au groupement Caudron­Renault à prouver sa prédominance dans la Coupe, ce à quoi il allait s'employer.

Gilbert HATRY