02 - Histoire de la Dauphine (4)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Histoire de la Dauphine (4)

5 -La préparation du lancement

Tandis que l'on mettait en place les moyens de production, la direction des études poursuivait ses travaux pour la mise au point de la Dauphine, suite aux essais d'endurance, aux remar­ques de la direction des méthodes et de la direction de la qua­lité, et définissait les présentations extérieure et intérieure de la carrosserie.

a) La suite des essais

Les essais avaient lieu avec 15 Dauphines et 10 voitures 4 CV équipées de moteurs de 1 063, chargées pour avoir le même poids total qu'une Dauphine à pleine charge, à la fois sur les pistes de Lardy et sur les routes métropolitaines et les pistes de Guinée, au départ de la base d'essais tropicale de Kankan, située à mi-chemin de Conakry et de Bamako (Mali).

Les kilomètres parcourus s'élevèrent à Lardy à : 954000 kilomètres en 1954, 1 094000 kilomètres en 1955, et sur route à 2 002 000 kilomètres en 1954 et 1 850 000 kilo­mètres en 1955.

En juin 1955, sur demande de Pierre Dreyfus, une confronta­tion de la Dauphine avec ses concurrentes les plus probables: la Volkswagen 1 200 et la Fiat 1 100 D, eut lieu dans le sud de l'Italie. L'annexe 1 donne les caractéristiques comparées de ces véhicules.

Assistaient à cette épreuve, outre Georges Rémiot, directeur de la qualité, Paul Guillon et Pierre Vignal pour la direction commerciale, et Tino Maïfredi, fils de notre importateur en Italie, installé à Brescia. J'étais présent à cet essai, comme observateur, passant successivement dans chaque voiture avec chaque conducteur, pour recueillir les observations et opérer les chronométrages. En fait, pour m'assurer du comportement de chacun, en souvenir des essais d'Espagne de 1953.

Essais en Calabre. De gauche à droite MM. Tino, Rémiot et Guillon.

Ligne de finition des Dauphines à l'usine de Flins.

La Dauphine fut livrée à Rome, comme d'habitude en camion bâché, le 15 juin dans la matinée. J'assistais aux travaux du 4" congrès mondial du pétrole qui se tenait du 6 au 15 juin. Nous partîmes aussitôt pour Naples, terme de notre première étape. L'itinéraire comportait le passage par Cosenza, Messine, Syracuse, Agrigente, Palerme, avec retour à Rome.

La confrontation tourna souvent en une compétition entre les conducteurs, malgré ma présence, et on risqua plusieurs fois, sur les routes sinueuses de Calabre, l'accrochage ou la ren­contre avec les arbres et les rochers.

De l'avis unanime la comparaison fut en tous points à l'avan­tage de la Dauphine et Paul Guillon, Pierre Vignal et Georges Rémiot revinrent à Billancourt très confiants dans la compéti­tivité de notre voiture. Tant et si bien qu'à la conférence du 26 septembre, après réflexion, les trois représentants de la direction commerciale, Albert Grandjean suivant les prévisions de Paul Guillon et de Pierre Vignal, manifestaient la crainte de manquer de Dauphines, et demandaient d'envisager sérieuse­ment de produire en 1956 plus de 1 000 Dauphines par jour, ce qui entraînerait la réalisation de nouveaux outillages pour la carrosserie et pour les moteurs.

La question se posait alors de décider si on ferait des nouveaux outillages pour le moteur de 845 centimètres cubes (4 cylindres 58 X 80) ou s'il ne fallait pas envisager le moteur de 935 cc à la limite des 5 chevaux (4 cylindres 65 X 72), qui conviendrait mieux pour l'utilitaire de 800 kg, et pourrait éventuellement équiper une variante de la Dauphine plus performante.

À la conférence d'études lointaines du 15 décembre 1955, je donnai connaissance du rapport de Louis Buty, directeur des essais, qui concluait que les essais à pleine charge montraient que le moteur 4 cylindres 58 X 80 tenait sans aucune interven­tion de 80 000 à 100 000 kilomètres mais que, comme pour la voiture 4 CV de série, le point le plus faible résidait dans la tenue de la transmission dont le couple conique flanchait entre 35 000 et 40000 km à Lardy.

Georges Rémiot précisait que, d'après les statistiques d'après­vente, la tenue en clientèle pouvait être estimée, pour la 4 CV, de 50 000 à 60 000 km, ce qui ne posait pas de problème pour la réparation et la vente de la voiture.

Dans ces conditions il était décidé d'adopter définitivement, sans aucune réticence, le moteur de 845 centimètres cubes, toutes réserves à propos des performances étant disparues après ces essais. On conservait la transmission de la 4 CV, et le service commercial renonçait à sa demande de synchronisation de la première vitesse, vu l'augmentation du prix de revient (2 400 francs) qui en résulterait.

Mais il était décidé de poursuivre l'étude du moteur de 935 cc qu'on pourrait éventuellement porter à 1 062 cc à la limite des 6 chevaux fiscaux (avec un alésage de 72 mm au lieu de 65, mais il ne fallait pas compter sortir ce moteur avant 1960).

Quant à la transmission, on étudierait d'urgence une nouvelle version avec une boîte 3 vitesses avec première vitesse synchro­nisée qui aurait un couple conique hypoïde, mais il ne fallait pas en prévoir la spécification avant fin janvier 1958, des essais d'endurance étant nécessaires.

On avait, le 10 octobre, bien que l'augmentation du prix de revient en fût de 1 175 francs, spécifié le chauffage" Sofica " pour être monté en option sur la ligne de montage.

b) La présentation de la voiture

La coïncidence de trois critiques sur la présentation de nos voi­tures de série avait amené Pierre Lefaucheux à réfléchir sur les conditions de préparation des voitures.

En 1950, le président de la General Motors, visitant ses filiales européennes, avait demandé à rencontrer Pierre Lefaucheux et l'avait accompagné à Flins. À la fin de la promenade au long des lignes de montage, il lui avait dit : " Vos lignes sont tristes ". Effectivement, à l'époque, les teintes de nos carros­series étaient noires ou grises.

Parallèlement, une enquête en clientèle du service Toublan sur l'influence des épouses dans le choix des voitures achetées par les ménages avait abouti à des conclusions qui éliminaient beaucoup d'idées reçues. Elle concluait entre autres que l'épouse ne poussait pas à l'achat de la voiture la plus chère, dans l'idée de laisser des disponibilités financières pour ses achats personnels de prestige : toilettes, fourrures, aménage­ments domestiques, mais que, laissant le choix du type de véhi­cule à son époux, elle se réservait de donner son avis pour les teintes de carrosseries et des garnitures intérieures, comme de la qualité des tissus, des sièges et des tapis.

Enfin, Mme Paul Marot, décoratrice et créatrice de tissus d'ameublement, dont le magasin rue de l'Arcade avait révélé au grand public le talent, avait offert, par une lettre, de colla­borer avec la Régie pour la décoration de nos véhicules.

Pierre Lefaucheux m'avait demandé de recevoir Mme Marot pour examiner avec elle comment nous pourrions profiter de sa collaboration.

Il en était résulté une nouvelle organisation.

Jusque-là, la direction des études ne s'était que peu intéressée aux aménagements intérieurs et à la présentation extérieure des voitures. Les couleurs des carrosseries étaient laissées à l'ini­tiative de la direction commerciale qui s'arrangeait avec le ser­vice fabriquant les peintures et vernis (Pascal Mousselard) et avec le service publicité pour proposer les trois ou quatre options offertes à la clientèle.

Quant à la conception des sièges et du garnissage intérieur, la tâche depuis l'avant-guerre était confiée à Georges Caron, installé à l'usine a oû l'on carrossait sous l'autorité de Roger Boullaire les voitures de luxe. On lui envoyait les caisses pro­totypes qui sortaient de l'atelier d'étude, et il les habillait en toute indépendance. Il choisissait avec la direction des achats les tissus des garnitures et s'arrangeait avec les responsables du montage pour organiser la confection des garnitures inté­rieures, sièges, portes et pavillons. Il le faisait d'ailleurs bien, quoique d'une manière très personnelle, n'acceptant aucune critique.

L'occasion s'offrait de réformer ce circuit en intégrant le service Caron dans la direction des études et en l'installant au centre de recherches de Rueil. Je créais en même temps un groupe de travail qui proposerait la présentation intérieure et extérieure des véhicules à la direction générale, après l'avoir fait réaliser par Georges Caron.

Ce groupe de travail qui se réunissait tous les lundis matin, sous ma direction, était composé de personnalités extérieures : -Mme Paule Marot, artiste peintre et décoratrice (prix Blu­menthal 1928), -M. Walter Cuinet, ingénieur retraité de la société Budd, qui avait une grande expérience de la carrosserie, ayant dessiné la caisse de la Il CV Citroën, et de personnalités intérieures : -Georges Caron, -Robert Barthaud, très heureux de pouvoir enfin dire son mot dans un domaine dont il était jusque-là exclu, -Mme Reine Leroy, ma secrétaire, qui était chargée de gui­der Mme Marot dans le dédale Renault, mais aussi de repré­senter avec elle le goût féminin dans le choix des tissus et des teintes qui intéressaient tant les épouses.

Comme on peut le penser, cette révolution de palais n'allait pas

être de tous les goûts, d'autant plus qu'en même temps, dans

un souci de qualité, je demandai à Jacques Pomey de s'équiper

pour faire intervenir le laboratoire dans le jugement sur la

résistance des tissus à l'usure et des peintures aux agents atmos­

phériques (soleil, humidité, gel, corrosion) sous tous les climats.

Avec un peu de fermeté et beaucoup de diplomatie, le résultat

fut acquis.

L'organisation, rodée avec la présence des Frégates Amiral et

Grand Pavois, se chargeait au cours de l'année 1955 des Dau­

phines, et choisissait :

-les teintes de lancement des voitures,

-les tissus des sièges en adoptant le tissu bayadère en trois

variantes de teintes assorties aux peintures.

Mme Paule Marot dessinait le médaillon de capot et obtenait la collaboration de Jacques Arpels, le créateur des bijoux de Van Cleef et Arpels, place Vendôme, pour la décoration de la planche de bord.

c) Le lancement La Corse avait été choisie pour la quasi-certitude d'avoir du

La préparation du lancement de la Dauphine, prévu pour le 6 mars 1956, retenait l'attention des services de la publicité et de la direction commerciale.

Au mois de décembre était tourné par les services de l'usine, avec une assistance technique extérieure, le film " Une voiture est' née" qui devait être projeté lors de la présentation au palais de Chaillot. Pendant plusieurs jours, cinéastes, maquilleuse, électriciens, s'installaient avec leurs sunlights et caméras au bureau d'études pour reconstituer les différentes étapes de la conception de la Dauphine dans les lieux mêmes où elle était née. Grand plan, maquettiste, modélistes, tous étaient mis à contribution.

Un scénario léger était mIS au point pour faire vIsIter aux spectateurs du film les ateliers les plus impressionnants de Billancourt. Bachex, très photogénique, était la vedette d'une promenade à travers les fonderies, les forges, les machines­transferts, avec comme mission d'apporter dans mon bureau la bielle du moteur, pendant une conférence qui groupait, autour de ma table de travail, Robert Barthaud, André Bur­guière et Jean Riolfo, tous maquillés, comme moi, ainsi que des comédiens des studios de Billancourt.

Pendant ce temps, Robert Sicot, du service des relations exté­rieures, préparait en Corse la campagne d'essais par les journa­listes spécialisés de la presse française et étrangère. Campagne qui devait se développer en février avec l'engagement des parti­cipants de ne rien publier avant la date du 6 mars.

beau temps en cette période de l'année, pour son attrait touris­tique auprès de nos invités, et aussi pour son réseau routier assez accidenté et tourmenté.

La direction des essais y installait, sous le commandement de Fromentin, une équipe de mécaniciens connaissant bien la Dauphine par leur collaboration aux essais de Lardy, pour entretenir les six voitures destinées à ces essais.

Le programme de ces essais, très original, constituait une pre­mière dans l'histoire dans nos relations avec la presse. Quatre journalistes, parlant autant que possible le français, étaient convoqués le lundi ou le mercredi après-midi à Paris, où ils étaient accueillis par Robert Sicot au Royal Monceau. Un dîner les réunissait au restaurant de cet hôtel pour les pré­senter à la personnalité technique ou commerciale des usines qui, avec Sicot, les accompagnerait en Corse. Au cours de ce dîner on leur parlait de la voiture qu'on allait leur présenter et du séjour en Corse où ils pourraient l'essayer librement, une voiture étant prêtée à chacun pour parcourir un itinéraire de leur choix afin de rejoindre la ville de Bonifacio où devait avoir lieu le déjeuner.

Le lendemain matin, une voiture les prenait à 7 h 30 au Royal Monceau pour les conduire à Orly où le Bréguet deux ponts d'Air France les conduisait à Marseille d'où une Caravelle les amenait à Ajaccio.

Après le déjeuner, dans un restaurant très couleur locale de la banlieue d'Ajaccio avec au menu des spécialités corses (pâté de merle et vin du Cap Corse), on leur présentait les Dauphines: amphi sur les caractéristiques de la voiture, dossier technique,

. .

mIse en mams.

La Dauphine dans le port de Bonifacio en février 1956.

Le soir, dîner au " Bec Fin" avec les mécaniciens de l'équipe. Bonnes histoires et intermèdes chantés par Steigelman, un des mécanos qui avait une magnifique voix de ténor qu'il avait cessé d'exploiter sur la scène pour des raisons personnelles. Puis retour à l'hôtel avec rendez-vous le lendemain à 8 heures pour les essais.

On remettait à chacun une voiture, une carte Michelin de la Corse, avec les numéros de téléphone où appeler en cas d'inci· dent et on leur donnait rendez·vous pour le déjeuner à " la Rascasse ", restaurant de Bonifacio, à 12 heures.

Chacun était libre du choix de son itinéraire mais on recom­mandait la route qui, partant d'Ajaccio, traversait la monta­gne pour arriver à Porto·Vecchio sur la côte est puis rejoindre à Bonifacio à 100 kilomètres.

Après le déjeuner, retour à Ajaccio par la route Sartène· Propriano. Dîner en commun, avec les mêmes que la veille, et le lendemain matin départ en Caravelle pour Paris via Marseille.

J'accompagnai le premier groupe qui comprenait un journa­liste italien, le comte Lurani, un journaliste autrichien, Otto Karner, rédacteur en chef d'Austro-Motor, un journaliste you· goslave et un journaliste grec.

Je me rendis ainsi compte de l'excellent accueil que les Dauphi· nes eurent auprès d'eux dès le déjeuner à Bonifacio et de leur surprise le soir devant les performances et la consommation d'essence des voitures essayées.

Il n'y eut qu'un pépin tout à fait exceptionnel. Le mercredi matin, il gelait et Ajaccio était sous la neige ainsi que les pal­miers du quai. L'avion d'Air·France ne pouvait atterrir, la piste de l'aéroport étant verglacée, et nous dùmes attendre le vendredi matin pour repartir vers Paris. On en profita pour faire une promenade aux îles Sanguinaires où la tempête fai­sait rage.

d) La présentation au public

La présentation au public parisien eut lieu comme prévu le 6 mars à partir de 18 heures au palais de Chaillot. Six voitures étaient à la disposition des invités au foyer, mais on avait peine à pénétrer dans les voitures tant la foule était dense et curieuse d'y prendre place.

Le film " Une voiture est née" était projeté dans la salle du cinéma, mais les buffets, copieusement garnis, attiraient davantage les visiteurs.

Le lendemain, toute la presse, en première page, relatait l'évé­nement. Le plus malveillant citait le nombre de bouteilles de champagne consommées à cette occasion comme exemple des gaspillages de la Régie Nationale, mais passait sous silence les consommations d'essence réalisées par son journaliste au cours des essais en Corse.

Le 8 mars, le Salon de Genève ouvrait ses portes, la Dauphine y était présentée en première mondiale.

Le 7, à Genève, un déjeuner avait réuni, à l'Hôtel Métropole, les concessionnaires suisses, et le soir un dîner les représentants de la presse suisse et internationale pour leur moritrer, en avant-première, les voitures qui seraient le lendemain sur le stand de la Régie.

Le soir du 8, une réception était offerte aux personnalités hel­vétiques et genevoises au parc des Eaux-Vives.

Les concessionnaires suisses rayonnaient de joie et ne taris­saient pas d'éloges après les essais qu'ils avaient effectués dans la journée sur le circuit d'épreuve tracé sur les pentes du Salève. L'atmosphère était au beau fixe.

Nos commerçants exultaient, sentant se confirmer l'accueil qu'ils pressentaient. Tandis que Paul Guillon et Pierre Vignal pressaient Pierre Dreyfus de faire accélérer la mise en place de moyens supplémentaires pour répondre à la demande, Georges Rémiot prenait à part Alphonse Grillot et, en ma présence, le taquinait sur ses réticences au cours des années qu'avaient duré les discussions sur ce programme.

Dans les jours qui suivaient, les voitures montées depuis le début de l'année étaient livrées aux succursales et conces­sionnaires français pour être montrées à la clientèle, et les commandes enregistrées.

La nouvelle voiture était née...

(à suivre)

Fernand PICARD

ANNEXE 1

Cylindrée Puissance Nombre Vitesse Consom- Position

Type (cmS) fiscale de portes maxi. mation moteur

km/h 1/100 km

Dauphine 845 5 CV 4 115 6,00 arrière

Volkswagen 1200 1 192 7 CV 2 115 7,50 arrière

Fiat 1100 D 1 221 7 CV 4 130 8,50 avant