01 - Le centre de formation de Saint-Pierre-Lès-Nemours

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Le centre de formation de Saint-Pierre-Lès-Nemours

Situé à proximité de Nemours (Seine-et-Marne), le centre de formation de la Régie Renault est implanté sur une plaine de dix hectares bordant la forêt de Fontairtebleau.

Nombre d'agents de maîtrise, cadres et ingénieurs des diffé­rentes usines du groupe y ont séjourné mais rares sont ceux qui connaissent les avatars du site. Et d'abord pourquoi Renault a jeté son dévolu sur Saint-Pierre-Iès-Nemours ?

Bien avant la dernière guerre mondiale, les usines Renault s'approvisionnaient en sable de fonderie dans,Ia région; mais, plus vraisemblablement, ce qui a été déterminant, c'est une rencontre fortuite du fils du patron, jean-Louis Renault, avec le lieutenant Crochard, chef d'atelier à l'usine O.

Dès le début de la guerre, en effet, le terrain avait été aménagé en Centre d'organisation de l'artillerie (C.O.A.) et jean-Louis, engagé volontaire dans l'artillerie, y avait été affecté. Il y avait rencontré le lieutenant Crochard, l'un des officiers du centre et, entre les deux hommes, d~s rapports privilégiés s'étaient établis.

Après la fin des hostilités, alors que se posait le problème d'ouvrir des colonies de vacances, jean-Louis se souvint vrai­semblablement des lieux et en fit part à sa mère, Christiane Renault, alors chargée des oeùvres sociales.

L'histoire du "camp" de Nemours débute donc en 1939.

Les avatars d'une plaine sablonneuse...

Avant la dernière guerre cette plaine sablonneuse était traver­sée par un chemin communal, la "Ruelle du Port". Quatre propriétaires se la partageaient : une société et trois particuliers. La "Société anonyme d'exploitation des sables et grès de Fontainebleau et Nemours" en possédait la plus grande partie (7 hectares environ), mais cette société avait un action­naire majoritaire, la "Société anonyme des verreries réunies de Vallérysthal et Portieux" qui détenait 1 900 actions sur les 2 000 formant le capital de la Société des sables. Les trois autres propriétaires étaient Mme Borderon (deux parcelles d'un contenu supérieur à 1 hectare) et MM. Duché et Métais pour le reste.

Quand la Société anonyme des usines Renault décida d'utiliser les lieux, elle contracta des baux avec les propriétaires : le 2 juillet 1942 avec la "Compagnie industrielle des sables de Nemours", locataire depuis 1941 de la S.A. des sables et grès de Fontainebleau; le 16 février 1942 avec M. Duché et le 31 décembre avec la commune de Saint-Pierre-Iès-Nemours pour le chemin de la "Ruelle du Port". Quant aux terrains app~rtenant à Mme Borderon et à M. Métais, elle les occupa tout simplement.

C'est la Régie Renault qui se rendra acquéreur des terrains: en

1945 (Borderon), en 1946 (Société V allérysthal), (Métais), en 1954 (Saint-Pierre-Iès-Nemours) et (Duché). L'unité du camp sera ainsi assurée. en en 1947 1955

Des réquisitions

En 1939, les autorités militaires avaient réquisitionné les terrains, mais cette réquisition "n'a pas été faite dans des conditions régulières et la Société des sables et grès ne possède aucun bon de réquisition. On lui a fait savoir simplement verbalement que le terrain avait fait l'objet d'une réquisition collective" .

Néanmoins, les militaires s'étaient mis au travail. Les planta­tions de pins existantes furent anéanties et 25 baraques en bois de 40 mètres sur 10, construites pour y installer le C.O.A.

Dès l'invasion allemande le terrain est considéré comme prise de guerre. Le 26 mars 1941, la S.A.U.R. s'adresse à la Feldkom­mandantur de Melun pour lui demander d'utiliser les baraques et d'occuper le terrain. Le 15 mai, la Feldkommandantur répond que le terrain lui est indispensable pour des besoins mili­taires. Cependant, à la suite de tractations verbales, l'accord est donné à Renault pour qu'une colonie de vacances soit installée.

Après le départ des Allemands ce sont, de nouveau, les auto­rités militaires françaises qui s'intéressent au camp. En date du 27 février 1945, un ordre porte réquisition au profit du minis­tère de la Guerre ; en fait le terrain avait été pris en charge par les militaires dès le 1" novembre 1944. Ce n'est que le 1" jan­vier 1946 que ces derniers abandonneront Nemours après avoir renoncé à l'acquisition des terrains.

Des colonies de vacances

Jusqu'en 1939 les colonies de vacances qui accueillaient les

enfants du personnel Renault étaient placées sous l'égide : -pour les jeunes filles, du service social de la Caisse de compensation,

-pour les jeunes gens, du Groupe des industries métallur­giques de la région parisienne.

L'usine participait aux frais de transport et d'hébergement.

La défaite et les difficultés d'existence qu'elle entraînait, sur­tout dans le domaine de l'alimentation et de l'hébergement, conduisent la direction à organiser elle-même une colonie de vacances. On a vu par quel concours de circonstances elle choisit Nemours.

Implantation du camp de vacances.

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Plan de masse du "Camp de vacances Renault".

La décision définitive est prise en mai 1941 et l'ouverture du camp prévue pour le 2 août. Du fait de l'attitude des Allemands, les travaux d'aménagement ne purent commencer que le 19 mai. Dix jours plus tard, nouvelle intervention allemande. "Nous apprenons, écrit M. Guillemard, que la Kriegsverwaltungsgruppe de Melun a donné ordre aux entre­preneurs locaux de retirer les baraques placées sur le terr'ain et de les charger sur des wagons. Nous entreprenons sans tarder des démarches auprès de cette autorité mais nous n'obtenons pas satisfaction. Nous nous adressons alors à l'Intendance de Saint-Germain à laquelle nous confirmons, par lettre du 3 juin, notre demande de maintenir les baraques en place.

Cette autorisation nous est donnée, d'abord verbalement, puis officiellement par lettre en date du 20 juin. Sept baraques avaient été enlevées et dirigées sur une destination inconnue, mais les baraques alors en place nous restèrent".

Les travaux furent achevés le 1 e, août "grâce à l'appui du secré­tariat d'État à la Jeunesse qui contribua à l'exécution des tra­vaux et nous fournit une grande partie du matériel, en particu­lier lits et matériel de couchage", Et le camp ouvrit le 2 août comme prévu, malgré les protestations de la Compagnie indus­trielle des sables de Nemours: "elle avait déjà eu assez d'ennuis avec les autorités militaires et maintenant que la situation n'était plus la même, elle entendait que ce terrain ne soit pas l'objet de nouvelles discussions".

L'intérèt social du camp de Nemours avait été reconnu par le "Secours national". Un contrat fut bientôt signé entre ce der­nier et la S.A.U.R, "Le concours du Secours national consis­tera : en avances de fonds remboursables, couvrant les frais de premier établissement ; participation à fonds perdus aux frais d'exploitation; en fourniture de matériel; (...) démarches auprès du Gouvernement ou des autorités occupantes; une somme de 4 millions de francs remboursable sans intérêt par la

S.A.U.R. en quatre versements annuels de 1 million, le dernier remboursement de 1 million devant être effectué le le, juillet 1945".

Des bruits ayant couru affirmant que la colonie de Nemours était entièrement financée par le Secours national, René de Peyrecave adressa une mise au point à un membre du comité directeur de cet organisme: "Votre comité directeur nous a consenti en 1941 un prêt de 4 millions de francs ( ...) et nous a accordé une aide de 5 francs par enfant hébergé à Nemours. De leur côté, les usines ont dû faire face en 1941 à 4 844 000 francs de premier établissement, tant pour la construction même du camp que pour les achats de matériel. Le prêt qui nous a été consenti par vous a donc été intégralement absorbé. Étant donné que nous avons décidé de doubler le nombre des enfants

appelés à bénéficier de cette colonie de vacances, nos prévisions de dépenses pour l'année 1942 ( ...) sont de l'ordre de 6 millions de francs. L'exploitation de l'année 1941 nous a laissé un défi­cit de 1 725 000 francs dont il faut déduire les 196 000 francs versés par le Secours national ; comme cette année-ci nous allons largement doubler le nombre des enfants, c'est donc une somme d'au minimum 3 millions de francs qu'il nous faut pré­voir. En résumé, en face d'un prêt remboursable de 4 millions de francs et d'une participation du Secours national qui s'est élevée pour 1941 à 196 000 francs, les usines auront à faire face, pour les exercices 1941 et 1942, à un minimum de dépenses de 15 millions de francs".

La capacité du camp était de 1 452 personnes auxquelles s'ajoutait le personnel administratif logé dans des chambres individuelles ou par petits groupes, soit, au total, environ 1 500 personnes.

Le camp était placé sous l'autorité d'un directeur et la gestion assurée par trois services (administration, intendance, encadre­ment). Deux sessions étaient organisées chaque année, une pour les filles, une pour les garçons. Les enfants étaient répar­tis suivant les âges en quatre divisions; 4 équipes de 10 à 15 enfants formaient un groupe occupant une baraque. Les apprentis étaient également constitués en équipes et en groupes mais formaient un camp à part.

Matin et soir l'ensemble du camp, apprentis et enfants, se retrouvait autour d'un grand mât pour assister à la présen­tation des couleurs.

Clos par une palissade longue de 1 400 mètres, le camp dispo­

sait des installations suivantes : 18 baraques en bois de 40 mètres sur 10 (14 dortoirs et 4 pour les services),

6 bâtiments de 40 mètres sur 20 (4 dortoirs, 1 salle de jeux,

1 réfectoire),

1 cuisine de 33 mètres sur 10,

4 groupes de lavabos,

4 groupes de W.C.,

1 bâtiment (douches),

et, en outre: 1 transformateur, 1 cave et 1 soute à combustible, 1 puits, 1 château d'eau de 400 m3 , 1 terrain de sport avec une piste de 400 mètres, une piste de 100 mètres, 3 terrains de basket-baIl, 3 terrains de volley-baIl, 4 sautoirs en hauteur, 4 sautoirs en longueur et 1 portique.

Année Filles Garçons J.O. et apprentis Total

1941 491 817 70 1 308

.1942 720 943 140 1 663

1943 0 0 143 143

Quelques moniteurs du camp de vacances: à gauche, Bernard Vernier­Palliez, au centre, Jean Myon.

A la demande des pouvoirs publics qui insistèrent en 1943 pour qu'il n'y ait pas de grands rassemblements dans les régions menacées par les bombardements, le placement familial fut institué en Haute-Saône avec l'aide de la Croix-Rouge.

Pour les vacances de 1945, le placement familial fut organisé dans le Jura. En 1946 et pendant les années suivantes le camp de vacances retrouva sa vocation: 213 garçons et filles en 1946, 2 215 en 1948. Cette année-là il fallut installer un camp de "toiles" à quelques kilomètres de Nemours.

Nemours ne sera pas vendu

Le 1« mai 1947 le Comité d'entreprise, qui, par décret du 24 mars, était entré dans le droit commun et doté de la person­nalité civile, prend en charge le camp de vacances.

Cependant, la détérioration constante des rapports entre la direction et les délégués C.G.T. du Comité d'entreprise allait connaître son point culminant en 1950. A la suite d'incidents survenus pendant les vacances 1950, le secrétaire d'État à l'Enseignement, à la Jeunesse et aux Sports, décida l'interdic­tion de réouverture du camp en 1951.

Le dortoir des filles.

La direction demanda alors aux C.E.M.E.A. (Centres d'entraέnement aux méthodes d'éducation actives) de "prendre en main la gestion pédagogique des centres de vacances". Il s'agis­sait là d'une mesure conservatoire. Quelques temps après, la direction décidait de réduire la subvention allouée au Comité d'entreprise en lui établissant un budget conforme à celui prévu par la loi. Le Comité renonça alors à la gestion du camp ainsi d'ailleurs qu'à celle d'autres œuvres sociales.

C'est dans cette conjoncture que fut créée, le 1" octobre 1951, 1"'Association pour la santé physique et morale de l'enfance" dont la présidence échut à M. François, inspecteur général de l'Éducation nationale. Par la suite, cette association devait prendre le titre de "Santé physique, morale et éducation" (S.P.M.E.).

La S.P.M.E., qui allait rapidement prendre en charge les œuvres sociales destinées à l'enfance, ne tardera pas à élargir son champ d'activité en mettant à la disposition de 'Jeunesse et Sport" un certain nombre de lits, pour des stages de formation.

L'avenir de Nemours semblait donc assuré quand, en septem­bre 1960, la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts avisait la R.N.U.R. qu'elle avait fait porter une emprise sur les terrains du camp pour compléter des acquisitions anté­rieures. Le but de cette opération immobilière, quoique indé­terminé à l'époque, devait être ultérieurement la construction d'un lycée et d'un collège technique.

Carte postale du camp.

Le 29 septembre 1961, la direction décida de procéder à la vente de Nemours en raison : du projet de prolongement de l'autoroute du Sud, du projet de construction d'immeubles d'habitation à proximité de la propriété et de l'état des bâti­ments dont la réfection s'imposait.

Cette décision ne sembla pas cependant faire l'unanimité parmi les décideurs et, après la renonciation des services de l'Éducation nationale, les différents promoteurs qui se présen­tèrent virent leurs propositions refusées au motif qu"'achetant le terrain au maximum 30 francs le mètre carré, ils le reven­dront beaucoup plus cher". C'est vraisemblablement en 1964 que la direction renonça à son projet de vente.

Le pilon implanté à Nemours, véritable monument d'art industriel.

Sous le signe de l'éléphant

Toujours administré par la S.P.M.E. qui renonce à partir de 1962 à Yorganiser des séjours de vacances, le site n'étant pas suffisamment attractif, Nemours va recevoir des stagiaires "Sport et Jeunesse". Et c'est en 1972 que son utilisation par le Service formation des ingénieurs et cadres de la Régie va être envisagée. L'année suivante, après d'importants aménage­ments, le "Centre de formation" est créé sous l'impulsion de René Houdart alors directeur central du personnel et des rel a ­tions sociales. Désormais le centre recevra des stages de respon­sables commerciaux, de chefs de département et d'agents de maîtrise. Notons que, la convention avec l'Éducation nationale restant en vigueur, des sessions "Jeunesse et Sport" seront accueillies en fin de semaine et pendant les vacances scolaires.

Placé sous le signe de la légende de Shravesti, le centre rappelle à tous les stagiaires que les problèmes posés aux responsables ne peuvent être analysés correctement que par la mise en commun des perceptions individuelles.

Gilbert HATRY

_______________________ Sources _______________________

Archives S.H.U.R. -Dossier Nemours, notamment note Guillemard du 16 juin 1941, monographie des services sociaux de 1944, descrip­tion du camp et disposition des bâtiments, 18 septembre 1941. Témoignages de MM. Pierre Chevalier et Jean-Marie Despinette.