08 - Comment j'ai couru et gagné les premières 24 heures de New York en 1909

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COMMENT J'AI COURU ET ... GAGNÉ LES PREMIÈRES 24 HEURES DE NEW YORK EN 1909

Bien que né à Odessa, mon père me déclara français au consulat de cette ville. A l'âge de huit ans, je fis connais­sance avec mon pays. Lors des années 1895, 1896 et 1897 mes parents étaient en Angleterre et il" m'envoyèrent au lycée Janson de Sailly. J'étais pensionnaire chez un de mes professeurs M. Petit, qui donnait des leçons particulières à Louis et à Marcel Renault.

Le jeudi et le dimanche Louis Renault m'invitait à Billancourt et c'est lui qui, indiscutablement, m'inspira la passion de l'automobile. Cette solide amitié ne devait jamais se démentir, et, quelques années plus tard Louis Renault me proposa une situation de metteur au point à l'agence Renault de New York. C'était en 1903 et, à l'époque, cette agence recevait près de 1.500 châssis par an.

Comme je me passionnais pour tout ce qui touchait à l'automobile, j'en vins à m'intéresser aux premières courses que l'on organisait là-bas. J'ai vu Ford courir en bras de chemise et en salopette... Il était déchaîné.

A titre publicitaire je courus les épreuves New York-Creeple-Crer, ce qui m'amena à faire la connaissance de M. Waagner, fils du directeur de l'agence Renault de Dallas (Texas).

Je participai encore à la fameuse course de côte Bridge-Port-Connec­ticut sur une Renault 25-35 ainsi qu'aux épreuves New York-Chicago, New York-Boston et New York­Philadelphie.

LE 26 AOUT 1909

Ce jour-là, je reçois un coup de télé­phone de Paul Lacroix, directeur général de la succursale Renault Frères de New York. «Vous me rem­placez dans le tirage au sort des emplacements de départ de la course des 24 heures de Coney Island)}. J'étais aux anges!

Dans la salle de l'automobile-club, nous étions dix à tirer un numéro du chapeau du Président de la course. La chance voulait bien me sourire et je sortais le nO 1, ce qui me plaçait près de la corde. Heureux présage ...

Quelques jours avant l'épreuve, j'étais allé m'entraîner régulièrement sur le circuit, une piste à chevaux qu'on avait fait rouler pour en faire un autodrome. Cette précaution que ne prirent pas tous mes concurrents et dont ils ne surent pas tirer tous les enseignements qui en découlaient, fut pour une grande part dans ma victoire.

La piste ovale, longue de 1.905 mètres, située à Coney Island dans la banlieue de New York, était perpendiculaire au grand parc d'attractions américain et qui, la nuit, était ruisselant de lumières, d'illuminations et de feux d'artifice. Toutes les fois que je me trouvais en face de ce parc, j'étais ébloui et obligé de ralentir. Je fis donc ajouter à mes lunettes des espèces de visières, qui, lorsque je baissais la tête, m'évitaient le fatal éblouissement.

Ce qui me permit la nuit de la course, de conserver mon allure normale à l'encontre de mes concurrents qui n'avaient pas pris la même précaution.

La piste, de par sa nature, était inca­pable de résister sans dommage au passage des voitures lancées à toute vitesse. Je fis donc préparer pour me préserver des projections de terre et de cailloux, des garde-boue très légers, destinés à être posés au-dessus des roues avant. Ils ne furent mis en place qu'après le premier tour, afin de ne pas donner à mes adversaires une idée dont j'entendais bien être le seul à profiter.

Pour 1.000 dollars, une épingle et un télégramme

Le vendredi soir, à 22 heures, le départ était donné. Dès que le starter eut abaissé son drapeau, ce fut la ruée.

Quant à moi, pratiquant une tactique d'attente, ne poussant pas ma voiture à la limite de ses possibilités, je me contentai pendant les sept premières heures de la seconde place. Tous les concurrents n'eurent pas cette pru­dence. Aussi quelle bagarre! J'en fus donc récompensé. Même si je m'étais arrêté à la 21 e heure, ayant couvert 963 milles, j'avais déjà gagné la course, puisque le second à la 24e heure n'en avait parcouru que

938.

La Renault 25-35 gagnante des premières 24 heures de New-York en 1909 (archives R.N.U.R.).

C'est ainsi qu'en 1909, la construction française représentée par Renault, montra sa supériorité en parcourant

1.050 milles en 24 heures sur une piste à chevaux de 1 mille au tour, ce qui représente 2.100 virages non relevés. J'ai parcouru ces 1.050 milles, chose à peine croyable à l'époque, et ceci est à la gloire des pneus qui équipaient ma voiture, sans une crevaison.

Je dois dire que fidèle à ma politique de prudence, je m'arrêtai 21 fois, soit pour ravitailler, soit pour changer de jante dès que quelques fils blancs s'échappant de la gomme me faisaient craindre une usure inquiétante du pneu.

Je dis jante, car à cette époque, la roue était clavetée sur l'essieu et c'était une jante amovible qu'il était nécessaire de déboulonner. Ravitail­lement et changement arrivaient à se faire dans le temps Jecord de 5 minutes.

Je fus accueilli à l'arrivée par des manifestations d'enthousiasme déli­rant, àlamanière américaine. Reve­nant par la route à New York avec ma voiture fleurie et pavoisée aux cou­leurs françaises et américaines, la foule, tout le long de la route, me fit une ovation et les policiers me gra­tifièrent de saluts impeccables.

Ces 24 heures de New York me rap­portèrent très exactement 1.000 dol­lars et une magnifique épingle de cravate en forme de fer à cheval toute sertie de diamants.

Le lendemain, par contre, je reçus un télégramme dont la teneur n'avait rien de commun avec les félicitations d'usage. Il était signé Louis Renault et rédigé à peu près en ces termes: «Sommes très mécontents de votre heureuse initiative -A la suite accords Michelin-Renault, interdiction for­melle de courir ».

C'était la douche écossaise! Mais, comme des milliers' de . kilomètres nous séparaiel")t de la maison-mère, je dormis tout dé même tranquillement. ce soir-là.

.Louis RAFFALOVICH

Le texte ci-dessus est extrait des déclarations faites ên 1954 et 1959 à l'Espoir de Saint-Ëtienne et l'Auto­Journal par L. Raffalovich (communiqué par notre correspondant M. Sulpice). Nous aurions aimé parler de cet événement avec M. Raffalovich, malheureu­sement, retiré dans l'Allier depuis de nombreuses années il est décédé à Yzeure le 29 décembre 1967.

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