05 - L'usine du Mans (1918-1945) (fin)

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L'USINE

DU MANS 1918 - 1945 (fin)

6. LA SOCIÉTÉ ANONYME DES USINES DE PONTLIEUE (S.A.U .P.)

Le 22 juin 1938, en acceptant le projet de création d'une

société indépendante, le général Happich avait garanti à

Renault une "commande d'un certain nombre de chenillettes

avec un supplément de prix pour chaque chenillette, ce qui

constituerait la participation de l'État aux frais de décentrali­

sation" (53). Le 14 décembre un projet de contrat était accepté

en même temps qu'étaient soumis aux autorités militaires les

statuts de la "Société Anonyme des usines de Pontlieue" dont

les installations allaient occcuper les terrains de l'îlot 7.

L'objet du contrat était le suivant (54) :

a) L'État s'engage à acquérir et à mettre en dépôt à l'usine de

Pontlieue de la Société le matériel et les installations néces­

saires pour :

1) la fabrication de 6 carcasses de chenillettes U. E., 6 bennes et

6 remorques par jour en deux équipes travaillant chacune huit

heures;

2) le montage, les essais, la mise au point et la livraison de

3 chenillettes par jour avec une équipe;

b) La Société de Pontlieue s'engage à construire des ateliers de

fabrication d'une superficie suffisante pour recevoir les machi­

nes et installations prévues au paragraphe ci-dessus;

c) La Société s'engage à conserver et entretenir pendant vingt

ans les ateliers et les machines ci-dessus ( ...).

Le présent contrat est lié à l'engagement pris par l'État de

commander, tant à la Société de Pontlieue qu'aux usines

Renault, 2 500 collections complètes de chenillettes (carcasses

et collections de pièces mécaniques et diverses), étant entendu

que ces collections devront être livrées avant la fm de

l'année 1940 et que le prix de ces collections, d'une part,

comprendra une prime spéciale dans le but d'amortir les

constructions ( ...) et tiendra compte, d'autre part, des condi­

tions particulières de travail et de transport dans l'usine de

Pontlieue.

Les statuts de la "Société Anonyme des usines de Pontlieue", établis par François Lehideux, définissaient ainsi l'objet de la Société:

-les industries métallurgiques et les constructions méca­niques en général et plus spécialement la fabrication des véhi­cules spéciaux se rattachant à l'industrie automobile,

-la construction de tous moteurs, tracteurs, véhicules quel­conques, fabrication de toutes carrosseries et accessoires, de tous matériels et outillages de traction et de transports,

-la fabrication de toutes machines-outils ou de charpentes métalliques,

-l'usinage de tous métaux et alliages,

-la participation directe ou indirecte, par tous moyens pos­sibles, à toutes affaires ou entreprises, publiques ou privées, et dans toutes opérations commerciales ou industrielles pouvant se rattacher même indirectement à l'un des objets précités, par voie de création de sociétés nouvelles, d'apport, souscription ou d'achat de titres ou droits sociaux, fusion, association ou parti­cipation ou autrement,

-et généralement toutes opérations commerciales, indus­trielles, immobilières ou mobilières, techniques et financières se rattachant directement ou indirectement aux objets ci-dessus spécifiés ou qui pourraient avoir pour résultat un développement des opérations de la société. Le tout tant en France, Colonies, pays de protectorat ou mandats, qu'à l'Étranger."

Le capital social était fixé à F 5 000 000 -divisé en 5 000 actions de F 1 000 chacune dont 250 actions d'apport et 4 750 de numéraire. En rémunération de son apport, Louis Renault recevait 250 actions entièrement libérées.

(53)

AN 91 AQ38 -Société anonyme des Usines de Pontlieue.

(54)

AN 91 AQ54 -Contrat et statuts de la S.A.U.P.

Les statuts de la Société furent déposés le 31 mai 1939 ; en fait les fabrications avaient débuté en décembre 1938. Cependant, en raison du manque de main·d'œuvre qualifiée et des difficul­tés d'approvisionnement, les objectifs fixés par le programme ne furent pas atteints, comme l'indique le tableau ci-après (55) ;

Programme Réalisation % réalisé

Carcasses 300 198 65

Bennes V.E. 205 132 65

Remorques V.K. 205 139 68

Remorques V.K.R. 50 45 90

Suspensions 95 62 65

Afin de développer ses fabrications, la Société Anonyme des usines de Pontlieue loua à Saint-Étienne, à la Société de la Chaléassière, filiale de Schneider, des immeubles et terrains à usage industriel. Le bail devait expirer à la date de cessation des hostilités avec facilité de prorogation pour le temps néces­saire à la terminaison des commandes en cours. L'ensemble comprenait deux bâtiments, l'un de 7 560 m2, l'autre de 1 350 m2 ; une chaufferie de 130 m2 et une conciergerie de 66 m2•

7. LE DÉPARTEMENT 50

Dès le début de 1939, Louis Renault se préoccupe de transférer au Mans les fonderies de Billancourt et la fabrication des mail­lons de chars.

En effet "la fonderie d'acier moulé et la fonderie de fonte mal­léable de Billancourt sont rassemblées sur une surface relative­ment peu importante, toutes les machines et appareils étant resserrés. Si cette partie de nos Usines était atteinte par un bombardement, une seule bombe pourrait paralyser toute la fabrication ( ... ). Il semble donc nécessaire ( ...) de prévoir le plus tôt possible une usine de repli pour la fabrication de l'acier moulé et pour celle de la fonte malléable" (56).

Le 13 mars 1939, des représentants de Renault viennent entre­tenir l'ingénieur militaire en chef Broutin "d'un projet d'éta­blissement d'une aciérie au Mans qui comprendrait ;

-une installation destinée à produire mensuellement environ 500 tonnes d'acier moulé ordinaire au sujet de laquelle un accord a déjà été donné par le ministère de l'Armement,

-une installation destinée à produire mensuellement environ 500 tonnes de fonte malléable" (57).

Pourquoi ces installations, s'interrogent les techniciens du ministère de l'Armement? Parce que "la fonte malléable pro­duite serait substituée à l'acier dans la fabrication d'un certain nombre de pièces de camions, en particulier les roues, ce qui permettrait une économie de main-d'œuvre. En fait il ne s'agis­sait pas pour Renault de modifier les véhicules existants mis en chaîne pour les besoins de l'Armée, mais de préparer un nou­veau modèle de camion qui serait prochainement étudié et qui serait notamment équipé d'un moteur de 6 cylindres" (58).

(55)

AN 91 AQ38 -Note D 378 de M. de Longcamp à M. Heurtaux -3 janvier 1939.

(56)

AN 91 AQ 38 -Projet d'aciérie au Mans -1" décembre 1939.

(57)

AN 91 AQ 38 -Ministère de l'Armement -Note pour le cabinet technique ­14 novembre 1939.

(58) Ibid.

L'état-major de l'usine du Mans en 1939 au cours d'une sortie collective (cl. M. de Longcamp). La cité ouvrière d'Arnage en 1942.

Après de nombreuses discussions, le ministère de l'Armement considère "qu'il n'y a pas lieu de repousser la demande de la Maison Renault. Toutefois cette installation ne correspondant pas à des besoins de fabrication de guerre, elle devrait être réa­lisée par les soins de l'industriel, l'aide de l'État ne pouvant être envisagée que sous forme d'avances remboursables pour pallier une insuffisance éventuelle de trésorerie" (59).

On était loin de la formule que préconisait Louis Renault : création de l'aciérie aux frais de l'État et location à Renault. "J'ai fait valoir, écrit M. Baldenweck à M. Lehideux (60), qu'il ne serait pas équitable que les Usines Renault, construisant à leurs frais une usine nécessaire aux besoins de la Défense N atio­nale, soient moins bien traitées que si elles avaient eu la jouis­sance de l'usine sans avoir d'autres choses qu'une location annuelle".

L'investissement à consentir s'élevait à F 18 000 000 pour l'aciérie et F 2 000 000 pour les branchements électriques. Une demande d'autorisation d'amortissement sur trois années fut, semble-t-il, accordée (61). La mise en route prévue pour juillet-août 1940 ne put s'effectuer en raison des circonstances.

La décision de transférer à l'usine d'Arnage la fabrication des maillons de chars fut officialisée par une "Instruction générale" du 18 avril 1939 (62) portant sur "L'Organisation administrative des ateliers du Mans". De nouveaux ateliers étaient créés :

595 service administratif et comptabilité,

596 fabrication des carcasses de chars,

597 fabrication des maillons,

598 centrale

599 entretien

600 scierie,

l'ensemble formant le département 50.

"Ce département, précise l'Instruction générale, exercera son activité en se conformant, au point de vue de la fabrication, aux consignes applicables aux autres Départements de l'Usine. Il sera donc soumis aux règles techniques et de contrôle habi. tuelles.

Par contre, en raison de son éloignement, le nouveau départe­ment aura l'autonomie dans les domaines suivants: embau­che, comptabilité, paiement des salaires, des petits approvi­sionnements et des travaux d'entretien urgents.

Vue extérieure du mess des chefs de service (1942).

Il sera géré, au point de vue comptable, en s'inspirant des prin­cipes généraux qui régissent les relations entre les usines Renault et les succursales. Les règles administratives applica­bles aux fournitures réciproques seront établies d'après ces principes ( ...)."

M. de Longcamp, à qui avait été confiée la direction de l'usine de Pontlieue en novembre 1938, fut désigné pour assurer la fonction de chef du nouveau département sous la dépendance de Louis Heurtaux "avec qui il correspondra directement" (63).

8. DE LA DÉCLARATION DE GUERRE A L'OCCUPATION

En septembre 1939, M. de Longcamp rejoint son unité. Il est remplacé par A. Mégret. Le même mois la maison Schultz de Mulhouse est évacuée sur l'usine d'Arnage avec son personnel et son matériel. Cette entreprise sous-traitait pour le compte de Renault les carters de mécanisme de chars BI de 35 tonnes (64).

A la fin de l'année, l'effectif s'élevait à 1 080 ouvriers (680 au département 50, 400 à Pontlieue). "Ce personnel est presque entièrement constitué par des embauchages effectués sur place depuis le 1"' septembre, 80 % de notre personnel déjà en place au 1<' septembre ayant été mobilisé" (65). Compte tenu de l'augmentation des cadences de fabrication, les prévisions d'effectif étaient de 2 160 ouvriers au 1"' mars 1939.

Se posait alors le problème du logement "qui était déjà insolu­ble en ne tenant compte que des ressources locales". Dans sa note à Louis Renault, L. Heurtaux exposait ce qui avait été fait et ce qu'il conviendrait de faire dans ce domaine :

"Nous avons essayé, en louant ou réquisitionnant, dans un périmètre de 12 à 15 kilomètres, les chambres, appartements et

(59) Ibid.

(60) AN 91 AQ38 -Entretien avec M. Nathan, directeur de la Direction économique des

matières premières pour équipement industriel.

(61)

AN 91 AQ 38 -Note de M. Peltier à M. Lehideux -14 février 1940.

(62)

Signée François Lehldeux.

(63)

A l'origine les chantiers du Mans étaient placés sous la responsabilité du directeur de la succursale du Mans. A partir de 1934 cette responsabilité échut à Louis Heurtaux.

(64)

Témoignage de Paul Compain.

(65)

AN 91 AQ 54 -Note de L. Heurtaux à Louis Renault -12 décembre 1939.

même propriétés disponibles, de faire face aux premiers besoins; mais cela ne nous procurera pas plus de 250 à 300 logements; c'est donc à une demande de 700 logements supplémentaires que nous aurons à faire face.

Après étude du problème, il me semble que, seules, des constructions nouvelles pourraient résoudre le problème.

Il ne peut être question, dans les conditions actuelles, de construire des maisons ouvrières où pourraient être logés les ouvriers et leur famille ; je préférerais la formule (...) pré­voyant des maisons qui seraient actuellement utilisées par des groupes de 4 à 8 ouvriers, maisons qui, après la guerre, pour­raient, sans trop de frais, être aménagées en logements indivi­duels.

Je vous demande donc de m'ouvrir un crédit de 6 à 7 millions

de francs, qui servirait à construire une cité sur le terrain vous

appartenant et actuellement utilisé par le stade Renault.

Une réalisation, même rapide, du programme exposé ci-dessus ne pourrait néanmoins, dans les meilleures conditions, mettre à notre disposition en temps voulu les logements indis­pensables ; je me permets donc de vous demander instamment de ne plus transférer jusqu'à nouvel ordre de nouvelles fabrica­tions au Mans afin de nous permettre d'assimiler les augmenta­tions de cadence (...)."

En raison des circonstances, le programme de construction de logements subira quelque retard. Cependant deux "cités ouvrières", les Courbes et la Gauterie, seront pratiquement ter­minées en 1942.

De septembre 1939 à mai 1940 l'usine du Mans connut une intense activité. En l'absence de statistiques, il n'est pas pos­sible de déterminer les quantités de matériels produits; on sait néanmoins que Le Mans seconda efficacement l'usine de Billancourt.

Premiers contacts avec l'occupant

Devant l'avance allemande, le ministre de l'Armement ordonna, le 10 juin 1940, l'évacuation de Billancourt. Le Mans suivit le 15 juin, trois jours avant l'arrivée des premières troupes allemandes motorisées. Le personnel rallia Rochefort où "le matériel, notamment les montages d'usinage des méca­nismes de chars BI", était évacué (66). Il restait cependant à Pontlieue 49 remorques UK "prêtes à être livrées, dont l'achè­vement est presque terminé" (67). Le repliement devait être de courte durée.

"Entre le 29 juin et le 2 juillet 1940, écrit A. Mégret (68), de retour aux usines Renault du Mans, après un court exode, je reçus la visite d'un commandant allemand qui me demanda à visiter les usines.

Je lui fis faire le tour des ateliers et il s'intéressa tout particuliè­rement à l'usinage de pièces de chars et à la fabrication des chenillettes d'infanterie. A l'issue de cette visite, il me déclara que nos installations lui convenaient parfaitement et que, très prochainement, notre Société passerait sous le contrôle de l'Inspection des Armements qui nous ferait continuer nos fabrications de chars.

Je lui fis observer que cela me paraissait être tout un pro­

gramme et il me répondit: "C'est en effet tout un

programme."

Étant ainsi informé, je m'empressai de disperser mon personnel en lui recommandant de se fixer si possible à la campagne et je repartis en zone libre.

A Clermont-Ferrand je pus être reçu, dans les premiers jours de juillet, par le général Weygand, à qui je fis part de mon émotion et qui me répondit: "Ne craignez rien et ne cédez pas car cette exigence est contraire aux clauses de l'armistice."

Quelques jours plus tard, je vis à Vichy M. Renault qui reve­nait d'Amérique. Je lui rendis compte également de cette conversation et il me confirma qu'il n'était pas question de construire des chars pour les Allemands.

La même réponse me fut faite à Vichy le 14 juillet 1940 par

M. de Peyrecave qui repartait le même jour à Wiesbaden.

Revenu au Mans vers la fin du mois de juillet, je fis sortir des ateliers toutes les pièces de chars BI déjà usinées et les outil­lages correspondants, de telle sorte que la pluie qui tombait en

(66)

Témoignage de Paul Compain.

(67)

Arch. S.H.U.R. -Note P 2467 de A. Mégret à M. de Peyrecave ­26 septembre 1940.

(68)

Arch. S.H.U.R. -Note sur la remise en route de l'usine du Mans -19 juin 1945.

La cité ouvrière de la Gautherie (1942). Les bureaux de la Direction (1942).

abondance à cette époque puisse rapidement oxyder et, par conséquent, rendre inutilisables ces pièces usinées avec une très grande précision. Cette opération fut faite sur l'ordre de M. de Peyrecave.

Entre-temps, le personnel, qui ne s'était poiht reclassé à la campagne comme je lui avais suggéré, sollicitait du travail à l'usine, mais il fut seulement possible d'occuper un effectif réduit à des travaux de nettoyage et de classement vite achevés.

Nous pûmes alors obtenir que le service des Eaux et Forêts uti­lisât un certain nombre de nos ouvriers à des travaux de défri­chement et de voirie dans la forêt de Perseigne, mais notre per­sonnel, mal préparé à cette tâche, éloigné de ses foyers, logé dans des conditions peu confortables, s'accommoda fort mal de cette situation."

Dès le début d'août, le bâtimentJ est réquisitionné parJunkers pour la réparation de moteurs d'aviation. Un embargo général est mis sur tous les stocks sur l'ordre du lieutenant Menze qui fait expédier l'étain en Allemagne. Une démarche est effectuée le 13 août au Mans avec l'appui des autorités allemandes de Billancourt pour obtenir la levée de l'interdiction. Préalable­ment, le 9 août, A. Mégret avait remis à la Kommandantur du Mans un "programme général de travail" (69) préconisant:

a) pour Pontlieue :

usinage et montage des tracteurs agricoles,

fabrication et montage des gazogènes pour tout ou partie de

ces tracteurs,

fabrication et montage d'appareils de carbonisation,

fabrication de charrues et appareils agr:coles,

montage de gros châssis poids lourds ;

b) pour Arnage :

-fabrication en série de pièces de rechange pour Billancourt,

-pièces de tracteurs agricoles,

-pièces spéciales pour les moteurs industriels et montage des

moteurs industriels.

Effectif prévu pour les deux usines : 1 500 ouvriers environ.

Cette démarche fut vaine et, écrit A. Mégret (70), "comme nous avisions nos interlocuteurs de notre intention d'afficher à la porte de l'usine que celle-ci resterait fermée d'ordre des Allemands, il nous fut répondu que la seule affiche que nous étions autorisés à placarder était que la France avait déclaré la guerre à l'Allemagne et qu'elle avait été vaincue."

Et la mainmise allemande se poursuit. Début septembre, Junkers réquisitionne le second bâtiment de Pontlieue en vue d'une extension de son programme. La 87' division de l'Armée menace à son tour de procéder à des réquisitions (71).

Durant les premiers mois d'occupation, c'est le lieutement Menze qui règne en maitre. "Contrairement aux ordres reçus de Billancourt et portés par M. von Urach lui-même au Mans, il empêche nos propres marchandises de revenir du Mans à Billancourt. Enfin il a fait visiter les usines du Mans à un groupe d'officiers et à un général de l'Armée allemande" (72). L'intention affirmée du lieutenant Menze est "d'englober l'usine du Mans dans un régime commun aux usines d'arme­ment voisines" (73). Par contre, von Urach, le commissaire de Billancourt, est persuadé qu'il a autorité sur l'usine du Mans.

Ces attributions de compétence seront encore compliquées par la création de divers organismes allemands. En décembre 1940,

A. Mégret aura affaire à six autorités: la Orts, la Kreis, la Feld, la Rustungs Inspektion, le lieutenant Menze et Junkers (74).

Alors que les discussions se poursuivent afin de savoir si l'usine reprendra une activité, le personnel est occupé à divers travaux. Au 26 septembre 1940 l'effectif est le suivant:

Nombre d'ouvriers Nombre d'ouvriers

occupés occupés Différence

au 14 juin 1940 au 26 septembre 1940

Département 50

Ouvriers ....... 1 302 775 -527

Collaborateurs .. 118 123 + 5

Pontlieue

Ouvriers .. . . . . . 676 277 -399

Collaborateurs .. 140 96 -44

Total

Ouvriers ....... 1 978 1052 -926

Collaborateurs .. 258 219 -39

U ne certaine activité

En décembre 1940, la situation se présente ainsi

-Junkers utilise les bâtiments1 et C. "Le bâtiment1 est entière­ment occupé par un atelier de réparation de moteurs d'avion qui occupe environ 100 ouvriers. Le matériel et les machines néces· saires proviennent en partie des usines Gnôme et Rhône. La puissance absorbée par cet atelier est de l'ordre de 100 kW. Le bâtiment C est à peu près utilisé au quart par1unkers pour garer et réparer des camions. Les trois autres quarts sont encore occu­pés par les machines originairement installées dans cet atelier. (On vient de m'informer) que l'extension de leurs travaux leur imposait d'occuper entièrement le bâtiment C et qu'en consé­quence, les machines devraient être évacuées d'urgence" (75).

1unkers qui n'est pas considéré "comme une Société privée, mais comme un service de l'armée d'occupation" (76), semble s'acheminer vers la prise de possession complète de Pontlieue, peut-être pour, en accord avec les militaires, "continuer certai­nes fabrications de chars" (77).

Quant au commissaire von Urach, après avoir rappelé que toute fabrication de tracteurs et de gazogènes est interdite ainsi que la terminaison de la fonderie et le rapatriement à Billan­court de pièces usinées, il estime: "inutile d'ouvrir une nou­velle usine au Mans, alors que celles de Billancourt chôment, inutile de transporter des pièces entre Billancourt et Le Mans et retour, alors que les moyens de transport font défaut" (78).

(69)

Arch. S.H.U.R. -Note non signée du 13 août 1940 : situation actuelle au Mans.

(70)

Note citée.

(71)

Arch. S.H.U.R. -Note non signée du 17 septembre 1940 : situation au Mans.

(72)

Ibid.

(73)

Ibid.

(74)

Arch. S.H.U.R. -Lettre de A. Mégret à M. de Peyrecave -9 décembre 1940.

(75)

AN 91 AQ 79 -Lettre de A. Mégret à Louis Renault -13 décembre 1940.

(76)

Arch. S.H.U.R. -Lettre de A. Mégret à M. de Peyrecave -10 décembre 1940.

(77)

Arch. S.H.U.R. -Lettre de A. Mégret à M. de Peyrecave -26 septembre 1940.

(78) Ibid.

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A la position du commissaire, Louis Renault oppose sa volonté : "Les usines du Mans travailleront quand même; nous terminerons la fonderie" (79). Il obtiendra satisfaction: "Lassés par nos demandes répétées, les Allemands nous autori­sèrent finalement à faire 300 tracteurs agricoles, ce qui nous permit d'obtenir l'expulsion de Junkers des bâtiments de Pontlieue où nous voulions justement installer cette fabrication (...). Par la suite, pour donner aux Allemands l'impression que l'usine du Mans était "occupée" et n'était donc pas disponible pour d'autres usages, nous avons obtenu des commissaires, malgré leur opposition première très forte à ce projet, le trans­fert au Mans de la fabrication de certains organes de camions" (80).

Cette remise en route de l'usine du Mans va être l'occasion d'une modification des structures administratives. En février 1941, A. Mégret quitte l'entreprise. Il est remplacé par

M. Uberti, jusqu'alors directeur de l'usine de Saint-Étienne.

Le 7 avril la Société Anonyme des usines de Pontlieue loue à la Société Anonyme des usines Renault ses ateliers du Mans (81). Une nouvelle organisation est définie (82) qui couvre les deux USInes en :

Départements de production: _____________

51 -Usinage.... ... . .... ... ........ ..... M. Jannin

52 -Forge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . M. Marchel

53 -Fonderie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . M. Coqueugnot

60 -Montage .......................... .

Services généraux: __________________

Secrétariat Comptabilité générale et

industrielle -Service immobilier. . . . . . . . . M. Izarn

Personnel Embauche Assistance

sociale -Infirmerie -Surveillance . . . . . . M. Guichard

Approvisionnements M. de Broves

Bureau central ....................... . M. Piffaut

Réception -Expéditions -Transports ... M. Chevalier

Entretien ............................ . M. Sergent

Centrale ............................. . M. Vialard

Travaux neufs ........................ . M. Lombard

La question se pose de savoir si l'activité de l'usine du Mans a renforcé ou non le potentiel industriel de Billancourt durant les années d'occupation. En l'absence de statistiques, il semble difficile de formuler une réponse satisfaisante, notamment en ce qui concerne les fabrications de camions. Il faut cependant considérer que "les usines Renault dans leur ensemble ont tra­vaillé ( ...) très au-dessous de leurs possibilités globales mais aussi très au-dessous des possibilités de Billancourt seul" (83). Les fabrications décentralisées au Mans correspondaient non "à une extension d'activité mais à un transfert d'activité" (84). Quant à la fabrication dans son ensemble, elle fut incontesta­blement perturbée par les prélèvements de main-d'œuvre et les bombardements.

Vue panoramique de la centrale thermique (1942).

Lors des discussions relatives à la décentralisation au Mans des usines Gnôme et Rhône, il avait été avancé que l'ensemble des installations industrielles groupées autour de la gare de triage allait constituer un "merveilleux objectif pour l'aviation de bombardement". Aucun des partenaires de l'époque n'envisa­geait, bien évidemment, que l'aviation de bombardement en cause serait celle des Alliés. A trois reprises l'usine sera touchée.

Une attaque menée en plein jour se déroule le 4 mars 1943 sur la gare de triage; le 9 mars, c'est le tour de Renault. 15 Mosquitos des escadrilles 105 et 139 du groupe 2 de l'aviation américaine lancent 60 bombes de 500 livres dont 8 à retardement. 4 bâti­ments sont atteints et des incendies se déclarent (85).

La deuxième attaque a lieu dans la nuit du 13 au 14 mars 1944 de 0 h 3 à 1 h 13. 330 points d'impact sont dénombrés sur l'ilot 1; sont atteints (86): les bâtiments D (1 bombe), S (2 bombes), E (4 bombes), G (5 bombes), les cantines (4 bom­bes), le hangar à locomotives QH (1 bombe), l'embranche­ment particulier (10 bombes), les égouts collecteurs (3 bombes), les collecteurs aériens (3 bombes), le réseau d'eau (1 bombe), le pont-portique (1 bombe), le poste de transfor­mation (1 bombe) et les clôtures (16 bombes). Sur l'ilot 7, 4 bâtiments sont touchés (l, H, J, A) cependant que 33 bombes éclatent sur la partie de terrain non construite. Hors de l'usine les ilots 2, 3, 4, 5, 6 ne sont pas épargnés, 62 points d'impact seront relevés. Quelques maisons particulières sont détruites.

(79) Ibid.

(80)

Arch. S.H.U.R. -Note non signée sur la remise en route de l'usine du Mans ­12 juillet 1945.

(81)

Arch. S.H.U.R. -Instruction générale nO 116 -7 avril 1941.

(82)

AN 91 AQ 79 -Instruction générale nO 117 -14 mai 1941.

(83)

Arch. S.H.U.R. -Note non signée s. d.

(84) Ibid.

(85)

US Bomber Command -Interpretation Report nO S.A. 247 -12 mars 1943.

(86)

Arch. S.H.U.R. -Procès-verbal de constat dressé par M' Jean Lesage (huissier­audiencier près le Tribunal civil du Mans).

La troisième attaque se situe dans la nuit du 22 au 23 mai 1944. Elle a pour objectif principal la gare de triage et Renault comme objectif secondaire. Selon les Américains

(87) : "sur les trois grands bâtiments situés au sud-ouest de l'objectif, deux ont souffert de dégâts aux toitures et un petit bâtiment est sérieusement ébranlé. Dans la zone principale et au nord-est, un grand bâtiment avec de nombreuses baies est également très ébranlé, alors que deux autres vastes construc­tions n'ont été touchées que dans une moindre mesure. Plu­sieurs petits bâtiments, dont un à plusieurs baies, sont endom­magés à des degrés divers. Il y a un très grand nombre de cra­tères dans le terrain sur lequel sont situés les bâtiments. Un camp de 22 baraquements a été sévèrement touché. 5 d'entre eux avaient été sérieusement affectés avant le 15 mars, et à pré­sent 18 autres sont soit détruits, soit gravement endommagés. Plusieurs bâtiments industriels non identifiés situés au nord­ouest de l'objectif ont considérablement souffert".

9. LA NATIONALISATION

Le 8 août 1944 au matin, les premières troupes motorisées américaines, venant du sud de la Mayenne, entrent au Mans. Quelques semaines plus tard, elles s'installent "dans l'enceinte de l'usine, spacieuse, bien raccordée par ses voies ferrées au réseau extérieur" (88). Quelques bâtiments resteront occupés jusqu'au début de 1945, un autre bâtiment, le R, utilisé comme magasin par l'armée américaine, ne sera évacué que dans le courant de l'année 1946.

Jusqu'à la fin de 1944 l'usine ne connaîtra qu'une activité très

réduite et nombre d'ouvriers seront affectés dans des chantiers

extérieurs.

Comme à Billancourt, l'un des premiers problèmes qui trou­bleront le climat social sera celui de l'épuration. Cependant, aucun comité spécifique à l'usine n'étant créé, c'est le "Comité d'Épuration de la S.A.U.R.", mis en place en décembre 1944, qui aura compétence pour régler les cas qui lui seront soumis (89). En fait un seul chef de département sera licencié pour faits de collaboration (90). Quant au directeur, M. Uberti, il sera "déplacé d'office et remis à la disposition de l'Administra­tion centrale des usines Renault" (91), non pour "avoir favorisé par une surproduction les entreprises de l'ennemi" mais "en raison du conflit aigu qui a opposé et opposerait encore

M. Uberti à une fraction très importante du personnel sur des éléments qui semblent cependant échapper à la compétenc~ du Comité" (92). Il sera remplacé dans ses fonctions par P. Auger.

Un état des lieux

L'ordonnance du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usines Renault visait toutes les propriétés industrielles de Louis Renault. Cependant c'est un arrêté du 14 novembre 1945 qui attribuera à la R.N.U.R., à dater du 1"' janvier 1945, "la pro­priété des biens situés dans les communes du Mans et d'Arnage ayant appartenu à Louis Renault et faisant partie des usines du Mans et de leurs dépendances ainsi que tous les droits qui s'y rattachent sans exception ni réserve ( ...)" (93).

L'inventaire établi par une commission instituée par l'arrêté du 21 avril 1945 donne un tableau précis de l'usine du Mans telle qu'elle se présentait en 1945.

______________________ lferrains ______________________

Le Mans:

Îlot 1 ..................................... .. 769039 m 2

Îlots 2 et 3 .................."................ . 214750 m 2

Îlots 4, 5 et 6 ................................ . 264214 m 2

Îlot 7 ...................................... . 272214 m 2

1520903 m2

Arnage :

Cité et Ferme de la Gauterie ................... . 359125 m 2

Total ...................................... . 1880028 m"

___________________ Bâtiments:

Îlot 1

Bâtiments appartenant à Louis Renault: A, B, D, F, L, N.

Bâtiments appartenant à la S.A.U.R. sur sol Renault: E, G,

H, l,J, K, M, P, R, S.

Îlot 2 :

Bâtiments appartenant à Louis Renault: bureau d'embauche,

service médical et social et 6 bâtiments à usage de cantines.

Îlot 7 :

Bâtiments G, H, 1 appartenant à la S.A.U.R.

Bâtiments A, B, C, D appartenant à la S.A.U.P.

Plan de l'usine du Mans en 1943.

(87)

US Bomber Command -Interpretation Report nO K 2212 -24 mai 1944.

(88)

Allocution de M. Auger -5 février 1946.

(89)

L'affiche annonçant la creation du Comité est datêe du 21 décembre 1944. Parmi ses membres figure M. Auger, futur directeur du Mans, à cette époque chef du départe­ment 6.

(90)

Arrêtê de A. Savary, commissaire de la République pour la region d'Angers ­23 octobre 1945.

(91)

Arrêté de M. Debré, commissaire de la République pour la region d'Angers ­17 janvier 1945.

(92) Ibid.

(93) Arch. S.H.U.R. -Arrêtê du 14 novembre 1945 signé R. Lacoste, ministre de la Pro­duction industrielle, R. Pleven, ministre de l'Économie nationale et des Finances.

______ Maisons ouvrières: _________

Îlot 1 6 (dont 2 démolies pour la construction de la villa du directeur).

Îlot 2 : 2.

Îlots 4, 5, 6 : 6 (dont 2 détruites par bombardement), 1 groupe

de maisons à la Bourdonnière.

Arnage: groupe d'habitations à la Gauterie.

_________ Autres locaux: __________

Îlot 1 : vestiaire du Parc des sports, conciergerie de l'usine.

Îlot 2 : habitation du chef de la centrale. Fermes: la Chauvinière et la Gauterie.

A ajouter: le château d'eau, la station de pompage sur la Sarthe et les embranchements particuliers.

P. Auger, directeur

Dès son arrivée au Mans, P. Auger définit un programme en

trois points (94) :

"-Refaire le climat moral de l'Usine.

-Rechercher la meilleure position pour la production.

-Amplifier l'action sociale en en modifiant profondément le

caractère."

D'abord faire confiance aux agents de maîtrise "à condition que les ordres qu'ils donneraient soient justes, humains, empreints de la dignité qu'un chef se doit dans l'exercice de sa fonction". Ensuite, mettre ou remettre chacun à sa juste place afin de permettre "à certains qui ont montré des aptitudes par­ticulières de gravir un échelon supérieur et en même temps de parfaire leur valeur technique".

Pour ce qui concerne la production, il procède en deux temps. Il regroupe à Pontlieue "le maximum de travaux qu'il était possible d'exécuter" et commence "la reconstruction des bâti­ments sinistrés où les ouvriers travaillaient presque à l'air libre". Il "hâte la mise en usinage et le montage des nouveaux tracteurs". Il reprend"du travail à Billancourt pour nos fonde­ries, pour nos ateliers de bois".

L'effectif qui s'élevait à 1 580 en janvier 1945 atteindra 1 708 à fin décembre. Cependant "en attendant des jours meilleurs" une partie du personnel est dirigé vers des chantiers extérieurs. "Il faut que chacun sache, dit P. Auger, que, grâce à leur abnégation, à leur esprit de solidarité, il m'a été possible de tenir toute l'année l'horaire de quarante-cinq heures. Vos délé­gués vous diront combien de fois nous nous sommes réunis avec la perspective d'un volant de travail qui n'excédait pas une semaine. Nous avons tenu, malgré les difficultés de transports, de manque d'acier, de manque de charbon, de manque d'éner­gie électrique (...)".

P. Auger qui a mis en place le Comité d'Entreprise sous le nom de "Comité local des usines du Mans" se félicite des rapports qu'il entretient avec les représentants élus. "Ils vous diront comment nous travaillons ensemble et l'aide que je désire leur apporter pour que le Comité fonctionne tel qu'il a été conçu (...). Le Comité du Mans n'est jamais en retard sur son évolu­tion, et souvent les idées que nous débattons ensemble servent à mettre au point certaines discussions qui naissent dans nos réu­nions générales à Billancourt."

La première page du premier numéro du "Bulletin d'Information" destiné au personnel de l'usine du Mans.

Malgré toutes les difficultés rencontrées, l'organisation appor­tée au Mans "a permis à nos frais généraux d'être réduits de 50 % sur l'année précédente".

En ce qui concerne l'action sociale, elle a été largement déve­loppée : répartition de produits, colonie de vacances dans la région de Baugé, cantines d'Arnage et de Pontlieue.

Quant aux projets, ils sont particulièrement nombreux : future école d'apprentissage, création d'une section de secours mutuels, construction d'un stade à proximité de l'usine "afin que tous les membres du Personnel puissent en profiter en créant de nouvelles sections et en développant celles qui existent" ; recherche de logements, nouvelle coopérative, mai­son d'accouchements avec son organisation complète.

Enfin, en ce qui concerne la production, 141 tracteurs ont été construits en 1945 et 2 100 885 heures travaillées (95).

P. Auger pouvait conclure: "Nous avons dans les mains un bel instrument de travail, c'est à nous de savoir nous en servir au profit de l'ensemble du personnel de la Régie et de notre pays."

Gilbert HATRY

(94)

Allocution au personnel -5 février 1946.

(95)

Rapport annuel de gestion pour l'année 1945.