04 - L'île de Monsieur

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L'île de Monsieur

Lorsqu'on franchit le pont de Sèvres et que le regard se porte vers la rive gauche et la manufacture de porcelaine, on est sur­pris de voir le long du fleuve un entrepôt industriel, formé de bâtiments couverts de tôles, qui dénaturent le paysage.

Les lieux affectent distinctement une forme convexe, le long de la Seine. Et, si l'on examine une vue aérienne, ou simplement une carte, on devine que cet endroit a été une île : il s'agit de l'île de Monsieur, toujours désignée ainsi au cadastre. C'est l'histoire de ces lieux, traversés par la voie ferrée Issy-Puteaux et occupés dans leur quasi-totalité par la Régie Renault, que nous évoquons aujourd'hui.

Les pages qui suivent formeront deux parties distinctes :

-d'une part, un historique où nous essayerons de remonter jusqu'au Moyen Âge;

-d'autre part, puisqu'une intense polémique s'est élevée ces dernières années sur l'utilisation de ces lieux, nous exposerons les arguments de tous ceux qui se sont opposés à ce sujet.

Monsieur, duc d'Orléans (Extrait de Fleury, comte, Le palni..-de Saint-Cloud, p. 38).

En manière d'introduction

Les bords de la Seine et le fleuve même, entre la rivière de Sèvres (notre ancien ru Marivel, transformé en collecteur) et Saint-Germain-en-Laye, se trouvaient, au Moyen Âge, dans la juridiction de l'abbaye de Saint-Denis. C'est donc dans les riches archives de cette abbaye (aux Archives nationales et aux Archives des Yvelines) que nous avons relevé bien des mentions sur ces lieux. Mais les identifications sont difficiles: les basses eaux du fleuve -non dragué ou canalisé comme aujourd'hui -laissaient sou­vent à découvert des bancs de sable, alluvions, atterrissements, motteaux (détritus accumulés), etc. Il y a donc des îlots minus­cules et leur physionomie varie, au fil des ans, suivant la plus ou moins grande hauteur des eaux. Rien n'est définitif. Ce qui existe au Moyen Âge disparaît au XVIIe siècle: cela s'explique aisément car le courant du fleuve vient frapper la rive gauche, juste à la boucle de la Seine qui remonte brutalement vers le nord. La terre, le limon, le sable, le gravier ont donc tendance à s'accumuler et comblent progressivement les lieux. Certes, il suffit d'une inondation, d'une fonte de glaces ou de neige, d'une débâcle, pour emporter -mais en partie seulement -tous ces matériaux accumulés antérieurement.

Pourtant, une île émerge près du parc de Saint-Cloud. Mais, comme elle est située très près de la rive gauche, ce bras du fleuve sera progressivement comblé, en raison du phénomène naturel que nous venons de décrire. Et, au XIX· siècle, l'île se trouvera définitivement rattachée à la terre ferme.

Les limites de juridictions

Ces lieux -nous l'avons dit -seront sous la juridiction de l'abbaye de SaintDenis, en raison d'une donation faite le 9 octobre 873 par le roi Charles le Chauve, qui comprenait notamment la réserve de pêche "depuis le ruisseau de Sèvres jusqu'à Chambry, avec les rivages et les impôts royaux sur eau et sur terre, à quelque autorité que les rives soient soumises" (1). Ces "réserves de pêche" sont devenues par extension un droit de pêche et c'est bien ainsi que ce texte a été compris pen­dant tout le Moyen Âge.

Tel est donc le fondement des droits des religieux de Saint­Denis sur le cours de la Seine. Mais la rive gauche du fleuve, c'est-à-dire la seigneurie de Saint-Cloud, appartenait à l'arche­vêque de Paris qui, lui aussi, eut tôt fait de revendiquer le droit de pêche. Les deux seigneurs -moines de Saint-Denis et archevêché de Paris -vont donc affermer leurs droits à des maîtres pêcheurs organisés en maîtrises. Comme on s'en doute, tout cela n'ira pas sans contestations ... "Droit de pêche", "droit de l'eau", "droits de justice", moulins, se trouveront l'objet de bien des procès ou de transactions.

Les limites de la juridiction de Saint-Denis ont été renouvelées, assez tôt dans l'histoire, d'une façon très précise. Dès mars 1217 (1218, n. st.), Gautier, évêque de Senlis, nommé arbitre, accorda à Pierre de Nemours, évêque de Paris, l'usage de l'eau pour la pêche et les moulins du pont de Saint-Cloud "depuis le rus de Seve... jusques à une lieue et demie au-dessous du rus de Seve" (2). Philippe Auguste, à la même date, confirma que l'eau de la Seine et les moulins susdits "font partie de la régale et sont de la mouvance du roi".

Mais les différends reprirent de nouveau, cette fois-là entre l'évê­que de Paris (seigneur de Saint-Cloud) et l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés (qui possédait la rive gauche du fleuve, depuis Paris jusqu'à Sèvres). Une transaction fut signée en février 1229, entre l'évêque Guillaume et les religieux, afin de nommer des arbitres chargés de faire les recherches conve­nables et de fixer les limites des parties.

L'accord fut réalisé en mai 1230 et des lettres signées par Eude (chanoine de Paris) et par Guillaume (trésorier de Saint­Germain-des-Prés) firent connaître les décisions prises, après audition de témoins. On posa en droite ligne trois bornes vis-à­vis du village de Sèvres: la première, sur le bord de la Seine, au

(1)

TESSIER (G.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, t. II, p. 648·654 ; GIRY (A.), "Examen critique de trois diplômes de Charles le Chauve", dans MélangesJulien Havet.

(2)

Arch. Yvelines, D 745 ; Actes de PhiliPpe Auguste, N° 1468.

lieu nommé "la grande nouë d'Etienne Herou" ; la seconde sur le bord opposé; et la troisième "étoit un grand pieu planté au milieu de l'eau" (3).

Bien plus tard, une nouvelle contestation éclata entre les offi­ciers de la maîtrise de Saint-Germain-en-Laye (au nom du roi) et l'abbaye de Saint-Denis. Le Parlement nomma des commis­saires par arrêt du 24 juillet 1494 ; un jugement du 22 mars 1496 donna satisfaction aux moines de Saint-Denis : "La rivière de Seine leur appartenoit, depuis le fleuve de Sevre, allas Marine!. .. (4)." Et un procès-verbal de bornage fut rédigé le vendredi 26 avril 1497, jour de Pâques, afin que personne n'ignore les limites ainsi prescrites (5).

Topographie ancienne

C'est donc dans ce cadre que nous situons la présente étude. Et c'est dans un censier de l'archevêché de Paris (manuscrit com­portant la liste des cens perçus par le seigneur), très difficile à déchiffrer (il date de 1336), que nous trouvons les premières mentions de la future île de Monsieur (6). L'île est dite "isle Rocheret", "isle de Rocherel", "vis à vis de l'isle Rochette". Tel est le premier nom de cette île, qui restera ainsi désignée jusqu'à la fin du XVII· siècle. Un autre censier, également de 1336 (7), indique notamment que "Rocherel" fait partie du "terroir de Sêve". Les redevables y sont clairement énumérés : Guillaume Chapelain a des droits sur la "sausaye de Ronche­rail" ; Hugues Sacriste a aussi les "sausayes de Ronchereuil" ; de même, Jean de Lalouette qui possède un "demy arpent de sausaye scize à Roncherail".

Passons sur les noms des locataires des environs immédiats et retenons qu'ils ont la jouissance des saussaies, ce qui prouve que les saules étaient nombreux et exploités. Ces arbres pous­sent du reste de préférence au bord des eaux, qui leur convien­nent bien et l'on peut penser que leur bois fut surtout utilisé en menuiserie -étant par contre de mauvais emploi pour le chauf­fage. Nous rencontrerons souvent l'existence d'osiers, dans les contrats de location: on sait qu'il s'agit d'un rameau jeune et flexible de saule, employé en vannerie. Il y a donc là encore une activité, puisque les opérations de vannerie comprennent l'épluchage, la mise à l'eau, le décorticage et le séchage. Vans pour agiter le grain et en chasser les poussières, paniers à usa­ges variés, donnent une rémunération pour quelques pauvres travailleurs des environs. L'île Rochette et ses abords ne sont donc pas désertiques.

Des indices ne trompent pas et confirment qu'une activité existe sur les bords du fleuve : on parle du "petit port de Sevre", d'une "saussay en la Rivière de Seyne". Les pièces de

(3) Dom BOUILLART, Histoire de l'abbaye royale de Saz'nt-Denis, 1724,

p. 120 et pièces justificatives 83·85 ; Arch. nat., LL 1157, p. 543-a ; L 808, doss. 4, pièce 10.

(4)

Arch. nat., S 2353.

(5)

Idem, LL 1193, fol. 347-349 (original) ; Arch. Yvelines, D 745 et 751 (copies).

(6)

Arch. nat., S 12717.

(7)

Arch. Yvelines, D 745.

vignes, sur les premières pentes du futur parc de Saint-Cloud, sont souvent mentionnées. Guillot le Vacher a une maison à "Belle polle" et Jean Remond a aussi à cet endroit une

"masure",

Les documents d'archives, outre leur lisibilité difficile, sont souvent obscurs et n'apportent guère la précision souhaitée. Si les noms des propriétaires changent forcément au cours d'une longue période, les noms des lieux devraient être toujours iden­tiques. Il n'en est rien, hélas 1 D'abord, parce que l'orthogra­phe varie au fil des ans ; et, surtout, parce que les scribes, tabellions et autres officiers seigneuriaux ne se soucient guère de désigner concrètement les vignes, terres ou moulins, leur bail étant désigné pour des parties censées connaître les lieux et non poq.r l'historien -futur. C'est tellement vrai que souvent les limites des propriétés restent en blanc dans l'acte notarié 1

Où peuvent être situés "la saussaye dessus le Ru", appartenant à Syer le Lile (1336), le quartier de terre "au lieu dit Sur le Ru", limitrophe du président Faucher et qui est à Elisabeth Philipes, veuve de Jean Terlain (1581) ou encore la vigne de Laurent Phillot, "au lieudit le Ru" (1581) ?

Comment localiser le "quartier de sausaye assis au-dessous du Ru de Seve, tenant d'une part à la communauté de l'église de Saint-Cloud, d'autre (part) à Gilles de Villaine, aboutissant d'un bout au Ru, et d'autre à la chapelle Saint-Michel" (1503­1504) ? Où était précisément la maison de Jean de Ganay, "apellée la Thuillerie", qu'on dit sise près du moulin de Saint­Cloud et près des "pastures" aboutissant à ce moulin (idem) ? Cette maison est pourtant mentionnée souvent et Jacques du Tillet y réside: l'acte mélange le petit moulin de Saint-Cloud, le chemin de la rue Daunay, le chemin de "Seve" et les pâtures de Saint-Cloud...

Comment retrouver le "tierceau de sausaye assis au Ru de Seve" ayant appartenu à Nicolas de La Faucherie, puis à Mar­tin du Bots, et qui tenait "par haut" à l'Hôtel-Dieu de Saint­Cloud (1503-1504)? Qu'est devenu le "demy tierceau de vigne, assis en fortures" (1538) ?

Certes, il est connu (8) que deux papetiers prirent à bail, le 26 mai 1376, de l'évêque de Paris, un grand moulin à papier, à Saint-Cloud, lieu-dit "La Jou", pour faire du papier. Plus d'un siècle plus tard, en 1485, ce moulin passa à Jean Langlois. Des difficultés ne tardèrent pas à survenir et ledit Langlois fut accusé, en 1497, de moudre du blé, sans autorisation de l'évê­que de Paris. Plusieurs laboureurs de Saint-Cloud, ainsi qu'Estienne Moriset, de Sèvres, témoignèrent le 13 janvier 1497 et déclarèrent qu'il y avait eu autrefois deux moulins à blé, mais qu'ils avaient "esté brullés par les Anglois".

Ce lieu-dit "La Jou" apparaît assez souvent: ainsi, dans une déclaration à Saint-Martin-des-Champs, le 12 décembre 1532, on parle du "Triage et Terroir de la Jou", où 12 arpents se

(8) STEIN (H.). "La papeterie de Saint-Cloud". dans BibliograPhe moderne, 1904, N°S 3-4.

composent de jardin, pré et saussaie; le tout aboutit "au ru du Moulin et au ru des pastures de Saint-Cloud" (9). La même déclaration est renouve'lée le 20 aoùt 1611 (10).

Nous connaissons encore une sous-location, renouvelée pour six ans le 18 avril 1545, en faveur de Pierre Regnault, meunier à Saint-Cloud, d'un moulin à eau "servant à blé". Le moulin est dit sur le ru de Sèvres, près les Pastures, propriété de Mme d'Alluye. Le prix annuel est fixé à 60 livres tournois, un pourceau gras de 6 livres tournois (ou sa valeur, au choix du preneur) et quatre chapons gras (11).

Quelques noms resteront parmi ceux qui sont à l'origine du château de Saint-Cloud : tel messire Hiérôme de Gondi qui obtint en février 1578 l'hôtel d'Aulnay et ses dépendances, sis aux terroirs de Sèvres et de Saint-Cloud. C'est là que ce fameux financier construira le château, avec terrasses et jardins, sur le terrain agrandi de quelques acquisitions; en 1601, on dira que son moulin est "au Ru assis à Saint-Cloud, tenant à Mad. de Saint-André, d'autre aux pâtures et usages de Saint-Cloud et par-devant sur la rue d'Aunay" (12).

Les cartes, inexistantes au xve siècle, ne commenceront à être précises qu'au début du XVIIIe, et encore, seulement pour le parc de Saint-Cloud, à cette époque totalement élaboré. Mais les rives de la Seine et l'île Rochette ne seront guère qu'esquissées.

Les contemporains du "Grand Siècle" devaient savoir que la géographie des bords de Seine s'était profondément modifiée. Leurs observations ne nous sont pas parvenues, sauf un rapport du 18 novembre 1706 qui nous donne des détails intéressants (13). On y affirme que le ruisseau de Sèvres faisait tourner deux moulins (l'un peu avant les bâtiments actuels du Centre international d'études pédagogiques ; l'autre, au bas de l'actuelle avenue de la Division-Leclerc). Mais ce ruisseau "ne joignoit qu'en partie dans la Rivière, au port de Seve". Et l'on précise que le ru de Sèvres faisait tourner un troisième moulin "au bout de la rue d'Aunoy, par laquelle on alloit du pont de Saint-Cloud à Seve, à l'endroit où sont aujourd'huy les cascades".

Ce qui veut dire que le ruisseau de Sèvres non seulement se jetait dans la Seine, près du port, mais qu'il continuait encore son cours le long de la rive, vers Saint-Cloud. Les cascades du parc actuel se trouvant relativement près du pont de Saint­Cloud, on voit ainsi le cours du ru suivre curieusement le bas du parc. A cette date de 1707, une route avait déjà remplacé les lieux "par où les Eaus s'écouloient de ce moulin, à l'endroit des Cascades, dans la fosse qui est au bout, à cent pas du pont, et cet endroit s'apeloit la Rüe du petit Moulin".

(9) Arch. nat., QI 1492-1493.

(10) Idem, QI 1485.

(11)

COYECQUE. Recueil d'actes notariés, t. I. N°S 3450-3451.

(12)

Arch. Yvelines. D 745 (papier censier de Saint-Cloud. copie. fol. 5).

(13) Idem.

Un second document, du jeudi 16 juin 1707, confirme cette théorie. Le ruisseau de Sèvres "a été rassemblé dans une gout­tière" ; sa profondeur est de 5 à 7 pieds et ses bords sont cou­verts de gazon et de ronces. Tout près du pont de Sèvres existe une digue artificielle, formée de deux hautes "marches" de pierre, qui élève et détourne l'eau, "pour luy faire prendre un cours forcé". Il Y a un petit bâtiment contigu à cette digue.

Mais une troisième pièce d'archives, du 17 juin 1707, contesta la théorie de la rivière ayant longé le bas du parc de Saint­Cloud. On argua surtout que le ru venant de la vallée de Sèvres avait trop de précipitation pour pouvoir continuer son cours plus au nord: on ne peut "laisser croire qu'il ait jamais circulé le long de cette Rivière" (le fleuve). Pourtant, l'archevêque de Paris continua à soutenir que le ru de Sèvres se jetait partie à Sèvres, mais partie également au pont de Saint-Cloud, après avoir longé la Seine 1

Sans doute avait-il raison, car, déjà en 1581, un terrier signale des vignes, "assis sur le Ru tendant de Sevre à Saint-Cloud" ; le même document indique souvent : "au Ru qui va à Saint­Cloud" et l'on précise que le ru du Moulin est bien le ru de Sèvres (14).

Tous ces changements ne sont pas impossibles. L'île Rochette a dû se trouver en pleine Seine, comme on le voit sur une estampe d'Israël Sylvestre du XVIIe siècle. Mais, dès 1750, le bras de la rive gauche devait avoir diminué, sous l'effet des alluvions déposées par le courant. L'île elle·même subira des modifications au cours des âges et cela n'échappa pas aux contemporains. Ainsi, en 1679, on estime l'île à 28 arpents; or, dès 1758, il n'y avait plus que 22 arpents 1 Une note d'archives dit donc très justement : "Il est certain, suivant d'anciens plans, que cette Isle avoit beaucoup plus d'étendue qu'elle n'en a aujourd'huy, la rivière la diminuant toutes les années dans les tems de ses crües" (15).

Tout ceci explique donc que même au début du XVIIIe siècle, on hésitait : on voit l'archevêque de Paris soutenir que l'île Rochette du Moyen Âge n'est pas l'île de Monsieur, dite encore d'Armallan ou d'Ermallan, qui lui était contiguë. Argument non probant, et Mmes de Saint-Cyr répondent judicieusement : "Ce sont donc une même chose, contiguë dans un même lieu". Mais un acte du 9 janvier 1597 mentionnait déjà "l'isle de l'hostel dieu de Saint-Cloud" ; de même, le terrier de Saint· Cloud de 1620 cite souvent des îles non identifiées... Tout cela ne contri­bue pas à résoudre nos problèmes topographiques 1

Les pêcheries

Mais il y a surtout, en 1336, le "Gort le parlent" : il s'agit là d'une pêcherie, le gord étant formé de deux rangs de perches plantées dans le fond de la rivière et ayant un angle dont un des côtés est fermé par un filet. Cette pêcherie semble avoir été

(14)

Arch. nat., S 1313, fol. 12, 36, 48, etc. ; Arch. Yvelines, D 745 (copie du registre précédent).

(15)

Arch. nat., QI 1485.

Dessin gravé d'Israël Silvestre (1621-1691). Après un séjour en Italie, de 1640 à 1655, Silvestre revint se fixer à Paris,

où son œuvre gravé fait revivre le monde de la Cour et de la Ville. On peut donc dater cette gravure des environs de 1675.

Il s'agit d'une des premières vues du cours de la Seine, en aval de Paris, dont le pont de Saint-Cloud assure la défense.

L'île de Monsieur, en pleine Seine, apparaît distinctement; quand le cliché est agrandi, on distingue trois bergers gardant des moutons...

considérable; on la retrouve encore en 1542, c'est-à-dire deux siècles plus tard_ En attendant, le jeudi 30 novembre 1357, l'abbaye de Saint-Victor (possesseur de Billancourt) acquiert le gord, "que l'on dit le gort d'Espeulant (ou Despeullent), assis en la rivière de Saine, à l'endroit de la ville de Sevre" _ Les ven­deurs sont Regnaud Dacy (ou Regnault d'Acy), chevalier, et Jehanne, sa femme. Ils prêtent serment "aux Saints Evangiles de Dieu et par la foy de leurs corps". La vente est faite pour 1 0 livres tournois, en bonne et forte monnaie, reçue en florins d'or. Des actes ultérieurs vont préciser que cette pêcherie est ratt~chée à l'île Roncherel : le 23 juillet 1358, Guillot Thibault et Jean Prieur prennent bail de 3 arpents et demi de terre "en isle, en la rivière de Seyne, en l'isle de Roncherel, à l'endroit du gord d'Es.peullant", moyennant 22 sols chaque année.

La pêcherie sera l'objet de contestations, car une sentence arbi­trale du 25 mai 1476 est rendue par le Châtelet, au sujet d'une rente de 40 sols parisis (16). Un registre des censives de l'évêché de Paris mentionne longuement la "recepte" des cens de 1491 : on y lit que la veuve Guillaume de Livres, "pour le gort de per­lent, assis à la rivière de Seine, à l'endroit de l'isle Rocheret, qui fut (à) Me Philipes de Corbie et Pierre de Chaillot", a versé 12 sols pour 24 arpents (17). D'autres mentions parlent égale­ment de la pêcherie, et l'on trouve notamment la présence de Martin Bellefaye, des dames de Montmartre (18), etc.

Citons aussi un précieux compte rendu, fait par Nicolas de La Faucherie et adressé à Jean Simon, évêque de Paris, concer­nant les recettes de Noël 1493 à Noël 1494, qui mentionne que Jean Moisel (quelquefois Moirel) a un demi-arpent de terre au gord de Parlant. En 1542, le jeudi 13 juillet, un titre dit que le gord d'Espeullent et un demi-arpent de terre de "l'isle de Rocherer" sont chargés de 4 sols parisis (19).

Nous n'entendrons plus parler du gord d'Espeullent. Pourtant, le 28 juin 1692, un bail à loyer concerne deux gords sur la Seine, dont l'un est au-dessus du pont de Saint-Cloud et l'autre au-dessous du ru de Sèvres. La location est faite pour 5 ans 112 par Nicolas Léger, receveur de la seigneurie de Saint-Cloud, au profit de Pierre Germain, aide du pont de Saint-Cloud. Le bail, passé devant Clergery, tabellion à Saint-Cloud, prévoit le versement de 6 livres en argent, 4 anguilles et 4 plats de poisson chaque année. Trois mois plus tard, le 25 septembre, pour des raisons ignorées, une rétrocession de ce bail fut faite au profit de Marie Drouart, veuve de Simon Enclin, maître pêcheur à engins (20).

Dans un rôle d'impôt du 9 février 1700, on voit les sieurs Jean Compoing, Léonard et Jean Descoings imposés pour 3 livres en raison de leur gord "appelé La Royère", sur lad. rivière de Seyne, au finage de Seve" (21). On rencontre enfin un contrat

(16)

Idem, S 2137 (grand diplôme. parchemin, en français).

(17)

Arch. Yvelines. D 745, fol. 33 (mention). Par ailleurs: "Ce gord, dit De Perlent. est dit à l'endroit de l'Ille Rocheret".

(18)

Idem. fol. 45 et 62.

(19)

Arch. nat., S 2137.

(20)

Idem, S 1268 bis. fol. 153.

(21) Idem, QI 100.

du 27 juin 1762, passé devant Jourdain, notaire à Paris, par lequel les dames de Saint'Cyr concèdent à Henry Mari, maître pêcheur, "une place de bouche de gord à pescher poisson, vis­à-vis la plâtrière de Saint-Cloud et à la hauteur de Boulogne", moyennant 100 sols de cens annuel. La justice de Saint-Cloud, au nom de l'évêque de Paris qui proteste, condamne alors le sieur Mari à une amende de 12 livres par année d'usage et à la démolition du gord (22).

L'île Rochette

Les mentions sur l'île sont quasiment identiques : un registre des ensaisinements indique, à la date du 23 septembre 1416, queJean de Pontalisle s'est dessaisi de plusieurs maisons et héri­tages sis à Saint-Cloud et notamment "un quartier de sausaye, en l'isle Rocheret, qui a appartenu à Sirot de Lisle" ; un sieur Jean Bouillon exploite aussi un arpent "à l'isle Rocheret" (23), etc.

L'abbaye de Saint-Victor obtient, le 26 janvier 1427, une sen­tence du Châtelet de Paris qui lui adjuge 3 arpents "scis en ladite isle de Rocherel", pour 3 mailles parisis de cens. Le registre des cens de 1491, déjà cité pour le gord, dit que Gilles de Villaines (quelquefois Villeneuve) etJean Belin (quelquefois Bellin) ont deux pièces de saussaye "assis en Rocheret", soit 2 arpents 112 ; la veuve Denis Thumery a aussi 6 arpents envi­ron en "l'isle Rocheret" (ailleurs: "en l'Ille Rocherel") ; la veuve Guillaume de Livres possède également un quartier en saussaie dans la même île, comme d'autres exploitent quelques arpents "situez en l'Ille Rocherel".

Et le compte de Noël 1493-1494, aussi cité, mentionne à peu près les mêmes noms, ainsi que 6 arpents, toujours spécifiés en "saussaye", "siz en l'Ille Rocheret", à Denis Thumery. Quel­ques années plus tard, le samedi 20 février 1506, les femmes Noëlle, veuve de Jehan Prieur, et Thomasse, veuve de Colin Prieur, en leur vivant laboureurs, ainsi que Germain Guil­laume, éga lement laboureur, tous trois demeurant à Saint­Cloud, confessent qu'ils sont détenteurs de 3 arpents faisant partie de 4 arpents "d'isle en pré", "assis au Terrouër dud. Saint-Cloud, appellée l'Isle de Rocherets".

Nous retrouvons les Prieur dans un acte du 9 octobre 1524, passé devant le tabellion de Saint-Cloud, où les intéressés confirment qu'ils ont 4 arpents dans "l'isle de Rocherel", ter­roir de Saint-Cloud. Cette famille Prieur apparaîtra souvent: par exemple, on trouve le 2 décembre 1551 des frères Prieur en procès avec Jean Patard, tous pêcheurs d'engins, "à cause d'aucuns angyns à pescher que led. Jehan Pastard disoit luy avoir esté prins..." (24).

Cette même famille aura des contestations en 1559-1560 : Nicolas Prieur, pêcheur, avait obtenu de l'évêque de Paris, un atterrissement "vis-à-vis le port de Sèvres", comme étant dans la censive et justice de Saint-Cloud ; mais les mêmes lieux furent aussi baillés à Nicolas Coulon, par le procureur du roi.

(22)

Idem, L 437.

(23)

Arch. Yvelines. D 745. fol. 150 et 162 vO.

(24)

COYECQUE. op. cit., t. II. N° 597l.

en la Chambre des Eaux et Forêts (25). Le terrier de Saint­Cloud de 1581-1582 mentionne souvent l'île: les noms des loca­taires n'offrent guère d'intérêt (Nicolas de La Ruelle, Pierre Chabaune, Jean Le Bresse, Antoine Le Coigneux, Adam La Planche, etc.), mais leurs biens montrent l'exiguité des superfi­cies. Ce sont des pièces de terre d'un arpent, ou "un patu meneaux d'isle assis aud. lieu et es Environs de l'isle Rocheret, contenant 3 minots une perche, tenant de toutes parts à la rivière", ailleurs un demi-arpent, voire "25 perches d'isle", "un tierceau tenant au pré...", etc.

Il s'agit bien de l'île Rochette, car, dans les titres de propriété de la même maison, on trouve ce nom, notamment de 1611 à 1619, où un arpent d'île est affermé 12 livres par an et une dou­zaine de bottes d'osiers. Un bail postérieur, le 2 décembre 1629, parle de "L'Ille Rocheret, planté(e) en sault" et précise que le bénéficiaire en est Jean Cocquard, aide au pont de Saint-Cloud et pêcheur, pour 9 ans, à dater de la Saint-Martin 1629, moyennant 15 livres par an et 2 bottes d'osiers. Enfin, toujours pour cet arpent, "dans l'Isle Rocheret, entre Sevre et Saint-Cloud", un bail de 1644-1650 est fait au profit de Cathe­rine de Sailly, veuve de Jean du Tort, pour 18 livres de loyer par an.

De même, après 1600, des contrats de vente faits à différents particuliers font état de prés et saussaies sis dans l'île de Mer et dans l'île de Rocherel, en la censive de l'archevêché de Paris. Cette île de Mer -qui ne· nous intéresse pas ici -était située après le pont de Saint-Cloud, près de la rive droite. Les droits du seigneur de Saint-Cloud s'étendaient par conséquent "du costé de Lisle de maire, aultantJusques au port de Seure, où il y a droict de bac et passage" (27). Cette dernière mention est intéressante : elle laisse supposer qu'un bac existait entre les deux rives du fleuve. Le fait n'est pas impossible, car, si les ter­ritoires de Boulogne et de Billancourt forment une vaste plaine inhabitée, des relations ont dû être nécessaires entre la rive gauche et la ferme de Saint-Victor.

Dans une description d'une maison de Sèvres, en date du 9 jan­vier 1597, on lit que le propriétaire a aussi: "1 arpent de pré, isle, saulsaye, assize au terroir de Saint-Cloud, tenant d'une part à la Rivière, près le Bras d'Eaüe du port de Seure, à Saint­Cloud, d'autre part aux hers (héritiers) de Monsieur de Baril­Ion, Par haut à l'Isle de l'hostel dieu de Saint-Cloud, et d'un bout à Monsieur Le Cogneux" (26). L'indication est succincte, mais elle sera renouvelée le 5 mars 1605, où l'on précise que la "susdite île" a été baillée à Pierre Bourcereau, maître pêcheur à Saint-Cloud, pour 9 ans, moyennant 12 livres et une dou­zaine de bottes d'osiers par an.

Tout cela est bien fragmenté et sommaire: est-il nécessaire de citer tous les noms relevés dans l'île Rocherel ? Un registre de 1614-1615 mentionne que Jean Bouillon y a 14 arpents; à la fin de 1614, André Le Hecq, la veuve Philippes Germain et

(25)

Arch. nat., S 1268 bis, fol. 147 (mention). Les pièces de procédure sont dans L 437.

(26)

Idem, QI 1487. (2'7) laem, L 437, doss. 13.

Robert Luyt ont respectivement 1 arpent 3 quartiers, 1 arpent et 2 arpents 1/2, en pré, dans "l'isle Rocheret". Le terrier de Saint-Cloud, en 1620, parle de Rocheret, Rocherel, Rocherail, Rochereuil. Plus tard, le 1"' août 1634, Marie de Longueil, veuve d'Antoine de Coigneux, déclare tenir en héritages 8 arpents dans l'île ; il en est de même le 19 août 1642 où Louis Bocage possède 5 quartiers 5 perches (28).

La Prévôté de la Cuisine

On voit par ces quelques actes que le seigneur de Saint-Cloud, en l'occurrence l'évêque de Paris, a bien autorité sur l'île Rochette. Au contraire, l'abbaye de Saint-Denis n'a que le droit de pêche sur la Seine. Cette "forêt aquatique", sa justice et son administration furent gérées par le "grand cuisinier" et l'organisme ainsi créé prit le nom curieux de "Prévôté de la Cuisine". Les revenus de cette prévôté (29) se composaient des pêcheries fixes (les gords), des baux de pêche, du repêchage des épaves, des cens et rentes dus sur quelques îles, îlots et moulins, des droits sur les ventes et échanges, etc.

Dès février 1562, le cardinal de Lorraine, abbé de Saint-Denis, obtient des lettres qui l'autorisent à passer déclaration et recon­naissance des "droits de la prévôté, cuisine et rivière de Seine et dépendances, depuis la borne de Marinel (c'est-à-dire le ru de Sèvres) jusqu'à la borne de Tancul". C'est ce que confirme le "terrier de la Cuisine", de 1562, qui énumère toutes les îles de la Seine, les gords, motteaux, etc., avec leurs possesseurs et redevances (30).

Les places, le long du fleuve, étaient baillées à cens ou à ferme, très souvent à des pêcheurs "à verge", autrement dit à la ligne. Mais de nombreux contrats précisent que le pêcheur pourra exercer son activité "à la grande raye et grand trouble". Le ray est un filet de pêche en forme d'entonnoir et à mailles très étroites; la trouble, ou truble, était composée le plus souvent d'un filet en forme de poche, maintenue ouverte par un cercle de bois et reliée à un manche.

Tous les pêcheurs sont organisés en maîtrise; ils sont reçus et prêtent serment à l'abbaye de Saint-Denis. Les officiers de l'abbaye tenaient deux fois par an des assises "sur la rivière" ; là, ils donnaient ou renouvelaient des ordonnances de police. Ils prenaient alors la qualité de "Prévôt et procureur fiscal de la Prévôté de la Cuisine et rivière de Seine, depuis le Ru de Sevre jusqu'au Pecq". Tous les maîtres pêcheurs étaient tenus de se trouver devant ces assises, venant de tous les lieux rive­rains du fleuve: Sèvres, Saint-Cloud, Boulogne, Suresnes, etc. Les bénéficiaires de ces droits de pêche avaient l'obligation de présenter au prévôt de la Cuisine tout poisson de taille ou qua­lité exceptionnelle, et ceci non à titre gratuit, mais simplement en priorité d'achat. La Seine elle-même .avait été divisée en trois lots: Sèvres-Bezons, Bezons-Aupecq et les affluents.

(28)

Toutes ces mentions proviennent des Arch. des Yvelines. D 745.

(29)

BIGARD (L.). "La prévôté de la cuisine...". dans Comm. des Ant. et des Arts de S.-et-O., tomes 39-44,1919-1925; SORDES (R.). "A propos de la Seine...", dans Bull. de la Soc. hist. de Suresnes, 1951, p. 11-23.

(30)

Arch. nat., S 2804.

Innombrables sont donc les baux de pêche que l'on retrouve dans les cartulaires, terriers, papiers de juridictions, etc. Leur énumération n'offrirait aucun intérêt. Il suffira de citer quel­ques exemples : le 6 décembre 1616, un sieur Vanteclaye (vieille famille de la région) possède un arpent d'eau sur la rivière de Seine. Jérôme Le Vanneur, lui, n'a droit qu'à un demi-arpent d'eau, suivant son bail du 9 septembre 1619. Jean Le Vanneur, au contraire, obtient le 19 octobre de la même année, le droit de pêcher "à la grande raye et grande trouble", ainsi que l'office de "premier huissier ou sergent de la rivière de Seine" ; l'acte est passé devant frère Jacques Poussemotte, reli­gieux et sous-cuisinier de Saint-Denis, et la location est de 36 livres par an. Toutes ces conditions -fonctions et prix ­seront renouvelées le 7 décembre 1638 au même Jean Le Van­neur, en présence de Jean Hiret, greffier et tabellion au bail­liage de l'Aumône-Saint-Denis. Le Vanneur a probablement certaines difficultés, car une sentence du bailli de Saint-Denis intervient au sujet de son droit de pêche (31). Enfin, le même bénéficiaire et son fils, Michel Le Vanneur, voient leurs droits renouvelés, le 6 octobre 1658, moyennant 50 livres par an (32). Tout augmente 1 Jean de La Motte verse la somme énorme -et incompréhensi­ble -de 1 000 livres chaque année, suivant bail fait le 3 août 1620 par frère Augustin de Valles, religieux et prévôt de la Cuisine. Un autre bail du 19 janvier 1625 est plus "normal" : Estienne Michel paye une redevance annuelle de 14 livres pour le droit de pêche "sur la rivière de Seine, depuis la borne de Marine!, près Saint-Cloud, jusqu'à la borne de Tancul" ; l'acte est passé devant Augustin Giraut, tabellion à Argenteuil. Il en est de même pour un autre bail signé le 2 avril suivant, mon­tant à 8 livres par an (33).

Naturellement, toute cette activité ne va pas sans poser des problèmes. Le bailli de Saint-Denis publie, par exemple, une sentence condamnant des pêcheurs à l'amende "pour avoir pêché les jours de fêtes et de dimanches". Les intéressés protes­tent et font appel. Mais un arrêt du Parlement de Paris, rendu le 24 juillet 1665, confirme la sentence, tout en réduisant l'amende à 20 sols contre chacun des contrevenants.

Il fut alors décidé que les plaintes au sujet des règlements seraient portées en la première audience de chaque mois devant le bailli de Saint-Denis, où les pêcheurs seraient assi­gnés, pour se défendre, sans frais. Le receveur de la rivière pouvait continuer à donner des permis de pêche, sauf à engins défendus, sous peine de 200 livres d'amende. Quant aux pêcheurs, ils pouvaient accomplir leur tâche, mais "aux alozes et autres poissons passagers, les jours ouvriers seulement" (34). Sans doute y avait-il des gens non autorisés par les moines de Saint-Denis, car deux ordonnances, les 4 avril et 18 mai 1668, font défense à toute personne de pêcher sans permis "à la trou­ble et à la raye", sous peine de 12 livres d'amende et confisca­tion des bateaux et engins (35).

(31)

Idem, LL 1197. fol. 11,63,64 et 572-573.

(32)

Idem, LL 1198, fol. 514.

(33)

Idem, LL 1197, fol. 91,184-185 et 189.

(34)

Idem, LL 1199, fol. 213.

(35) Idem, ibidem, fol. 333.

La pêche est donc une forme de l'activité économique qui a son importance: on le voit bien dans un registre grand in-folio, couvert en parchemin, qui contient 17 plans des îles et bords de la Seine, en 1695 (36). Cet admirable travail de Claude Les­cuyer évalue à 109 arpents 50 perches la rivière de Seine, "à commencer vis-à-vis le Ru de Seve jusqu'au pont de Saint­Cloud, y compris les petites Isles qui appartiennent à Monsieur (le) duc d'Orléans, consistant en neuf arpents et demi". Il Y a en outre 9 arpents 50 perches pour "Les deux bords de laditte Rivière pris de deux perches de large". Le document indique enfin la grandeur des héritages, le nom des propriétaires et les cens payés.

On procède à cette époque à une sorte de recensement et, si l'on examine les déclarations faites entre le 17 juin 1696 et le 25 mars 1703, devant Estienne Caron, greffier et tabellion de Saint-Denis, on totalise 102 pêcheurs autorisés à exercer leur profession, moyennant 6 livres par an 1

Nous avons pris des exemples pour le XVIIe siècle. Mais il est évident que les actes du siècle suivant pourraient être rapportés longuement : réceptions des maîtres pêcheurs, de Sèvres au Pecq (1702-1790 et 1763-1790), sentences (1763-1789), rap­ports concernant les délits commis sur le fleuve (1767-1787), etc. Tous ces documents des Archives nationales (37) montrent que la pêche dans les eaux proches de l'île Rochette a connu un

(36)

Arch. Yvelines. D 734.

(37)

Cf. Arch. nat.. Z2 4137 à 4141.

"Plan de Saint-Cloud levé et dédié à S.A.S. Monseigneur le duc de Chartres",

par l'abbé de La Grive, géographe de la ville de Paris, publié en 1744.

Ce plan, à l'échelle de 1/70 000, montre les bois, prés, vignes, terres labourables, routes et chemins, etc.

Nous reproduisons ici la partie du plan de la "rivière" de Seine, avec "l'isle de Monsieur" et le petit îlot dit "de la Rochelle".

grand succès. Cette pratique a dû être transmise sans altération au cours des âges, depuis le moment où l'homme est apparu dans notre région...

La "Prévôté de la Cuisine" resta seule bénéficiaire et justicière du domaine aquatique jusqu'en juin 1698. A cette époque, Louis XIV, sous l'influence de Mme de Maintenon, réunit la manse abbatiale de Saint-Denis à la communauté des Dames de Saint·Cyr . C'est ainsi que l'autorité de la vieille abbaye passa entre les mains des protégées de l'épouse morganatique du vieux roi. La "Prévôté de la Cuisine" devint la "Seigneurerie de la Seine" : ce fut le seul changement que perçurent les fer­miers et riverains...

La prévôté de l'eau

Mais l'archevêque de Paris, en tant que seigneur de Saint­Cloud, avait également le droit de pêche. C'était là, d'ailleurs, quelque chose d'exceptionnel, car, dit Delamarre, "toutes les rivières navigables et flottables appartiennent au Roi". Ce pri­vilège datait de mars 1217 où l'abbaye de Saint-Denis avait consenti que les eaux de la Seine demeureraient à l'évêque de Paris, à perpétuité, "depuis le ru de Sevre jusqu'au lieu appelé le Moreblanc". Ce droit fut néanmoins contesté, car l'on retrouve un "Mémoire concernant le droit de pêche apparte­nant à l'archevêché de Paris", qui fut envoyé le 27 août 1762 aux Dames de Saint-Cyr, en tant que successeurs de la manse abbatiale de Saint-Denis.

Ce fut donc le greffe de Saint-Cloud, en tant que "ferme de la prévosté de l'eaue", qui passa des baux de pêche, comme le fai­sait la "Prévôté de la Cuisine", au nom des moines de Saint­Denis. Tous ces actes originaux, souvent peu lisibles, qu'on retrouve depuis avril 1421 jusqu'en 1545, n'offrent guère de différences avec ceux rédigés par l'abbaye de Saint-Denis (38).

(38) Idem, S 1133 (surtout baux. originaux et copies. de 1421 à 1545. de "la ferme de la prevosté de l'eaue de lad. ville de Saint-Cloud").

Le fleuve

Nous sortirions du cadre de l'île de Monsieur si nous parlions de la Seine et de l'activité batelière qui y régnait. Soulignons cependant que le fleuve roule lentement ses eaux, à travers des bancs de sable apparents et qu'un monde de barques de toutes sortes, de bateaux lourdement chargés, de trains de bois for­mant de longs radeaux suivent le courant. Tous sont montés par des bateliers munis de grandes perches. Les chevaux tirent les bateaux pour remonter vers la capitale et le chemin de halage, libre de tout obstacle, est une nécessité.

L'abbé de La Grive, dans son étude faite entre 1732 et 1737, dit que le tirage des bateaux se fait par la rive droite, de Chail­lot à Saint-Cloud. Dès qu'on a passé le pont de Sèvres (à la pointe de l'actuelle ne Seguin), à 300 toises (600 m), on trouve dans le fleuve un lieu appelé "Gore les plans" : sans doute faut­il y voir une ancienne pêcherie, car on y signale "des pierres et des pieux à arracher". L'endroit est désigné comme étant un "bassier", c'est-à-dire un fond bas. Juste en face, sur la rive gauche, se trouve "l'île de Saint-Cloud". Au pont de Saint­Cloud, qui a 13 arches, il y a un moulin à la dixième arche (en partant de Saint-Cloud et en amont). "La rapidité est peu sen­sible et ne demande que deux chevaux de renfort" (39). Tous ces détails sont confirmés par l'admirable carte du même abbé de La Grive, dessinée en 1738 (40). Par contre, Mmes de Saint-Cyr, en 1707, affirment en parlant de la rive de Saint-Cloud: "D'ailleurs, de tous les tems, ça été le chemin de la Navigation; (ce) chemin très (étroit) étoit bordé d'une chaîne de Montagnes d'un côté et de la rivière de l'autre" (41). De son côté, Claude Lescuyer, voyer de Saint­Denis, dans son procès-verbal de 1695, dit que les deux bords de Seine appartiennent à l'abbaye et ont 2 perches de large (42). Le 30 janvier 1616, une ordonnance du prévôt des marchands ordonne au maître du pont de Saint-Cloud et aux bateliers des environs de repêcher et conserver les objets provenant de la chute des maisons des ponts de Saint-Michel et Pont au Change survenue dans la nuit. Deux jours plus tard, le 1" février, une ordonnance du bureau de la ville de Paris enjoint à tous les riverains de la Seine de déclarer au greffe ce qu'ils auront sauvé des épaves desdits ponts : "Ce qui sera publié à son de trompe et cry publicq le long des rivières, depuis lesdictz ponts jusques à Sainct Cloud... , ad ce qu'aulcun n'en pretendre cause d'ignorance" (43).

(39)

Bibl. nat., Ge CC 1283.

(40)

Idem, Ge CC 1389, pl. 25.

(41)

Arch. Yvelines, D 745.

(42) Idem, D 734.

(43) Reg. des délibér. du bureau de la ville de Pans, t. 16, p. 358. Une ordon­nance du 23 déc. 1669, du Bureau des finances de la généralité de Paris, réclame pour "les Isles de Saint-Cloud" une taxe de 20 livres par arpent de pré et 10 livres par arpent de terre labourable. Dans les comptes des Domaines aliénés de la ville de Paris, nous trouvons, à la date du 6 févr. 1676, les adjudications suivantes: la première, de "trois arpents 1/2 de pré en l'isle Saint-Cloud", pour 400 livres; la seconde, de "deux moteaux en ozier en l'isle cy-dessus", pour 200 livres (Arch. nat_, T 186­23, impr., gd 4°, 7 pages; Q' 706, fol. 269, N°S 960-961)_

La municipalité parlSlenne exerce aussi son autorité sur le fleuve, ses marchands et ses marchandises. Aucun obstacle ne doit entraver la navigation, aucune pêcherie ne doit gêner le commerce fluvial; les délinquants, "tant d'amont que d'aval", subissent les rigueurs du prévôt des marchands.

Les deux galiotes de Saint-Cloud et de Sèvres se livrent une concurrence acharnée, et des incidents comiques ou tumul­tueux éclatent entre leurs conducteurs ou leurs passagers. Nombreux aussi sont les bachots, petites barques transportant des voyageurs.

Enfin, apparaissent différents services de messageries, à l'exis­tence plus ou moins éphémère. L'un de ceux-ci est attribué en 1663 à Pierre Séjourné, voiturier à Suresnes, qui obtint pour 6 ans le privilège des "bateaux des hardes" ; il transporte les den­rées encombrantes (hardes, denrées, vins, etc.). L'abbaye de Saint-Denis intenta un procès aux gens de Suresnes, mais le perdit (44).

Un service analogue est accordé, le 10 mai 1674, par brevet et lettres patentes, en faveur du maréchal duc de Noailles, pour faire circuler chaque semaine, "à jour nommé, deux bateaux ou coches de diligences de la ville de Paris pour aller en celle de Rouen, et deux de la ville de Rouen à Paris pour y faire porter et conduire, sur la rivière de Seine, toutes personnes, hardes et marchandises..., en dix jours de temps ou moins s'il était possi­ble...". Il était défendu aux autres personnes "d'avoir de pareilles voitures", sous peine de 10 000 livres d'amende. Ce privilège sera révoqué seulement en 1706 (45).

En mars 1722, un entrepreneur sollicita un service de dili­gence, entre Paris et Rouen: il propose de transporter oranges, huîtres, huiles, etc., en 6 jours, au lieu des 6 semaines ou 2 mois, comme le font -prétend-il -les autres voituriers (46).

Mais, devant l'île Rocherel, passent souvent des flotilles somp­tueuses, car les rois donnent de magnifiques fêtes vénitiennes, entre Paris et Saint-Germain-en-Laye... Les propriétaires du domaine de Saint-Cloud ne seront pas les derniers à offrir de tels spectacles: le 5 juin 1659, le roi, la reine mère, Mademoi­selle, le cardinal Mazarin et leur suite s'embarquent au Lou­vre, sur une galiote aux chambres tendues de cuir doré. Le bateau suit lentement le cours de la Seine jusqu'au pont de Saint-Cloud et tous les invités se rendent dans les jardins du parc (47).

En juin 1663, la princesse Henriette d'Angleterre, femme de Monsieur, ayant reçu de son frère Charles II une magnifique barge, peinte d'azur et d'or, offre à la reine une navigation sur la Seine. Le léger vaisseau part du Louvre et atteint, à l'heure de la collation, le bas du parc de Saint-Cloud, ce "paradis champêtre" de Monsieur (48).

(44) SERON (0_), Suresnes d'autreJOIs et d'aujourd'hui, 1926, p. 405_

(45)

ISAMBERT, Recueil des lois, t. 19, p. 28 ; ANXIONNAT, Les coches d'eau. p. 59_

(46)

Bibl. nat.. ms_, Joly de Fleury 22, anc. fol. 191 (nouv_ fol. 102-108).

(47)

MAGNE (E.), Le château de Saint-Cloud, 1932, p. 43_

(48) Idem, p. 55_

L'île de Monsieur

C'est le 26 octobre 1658 que Monsieur, frère de Louis XIV, acheta à Barthélemy d'Hervart la propriété, déjà magnifique, sise sur la colline de Saint-Cloud. Le prince, appelé Philippe, duc d'Anjou, d'Orléans, de Chartres, de Valois, de Nemours et de Montpensier, était né à Saint-Germain-en-Laye le 21 sep­tembre 1640. L'acquisition de Saint-Cloud avait été surtout faite sur la proposition de la reine et de Mazarin. Dorénavant, le nouveau possesseur agrandira sans cesse son domaine, y construisant un château et y créant un parc qui s'étendra un peu plus chaque année.

Dès 1663, Monsieur acquiert sur les bords de la Seine 13 arpents 6 perches (49). Puis, l'année suivante, il achète, par dizaines de perches, les vergers, les champs, les saulaies qui confinent à son bien et l'étendent vers le terroir de Sèvres (50). Le 19 juillet, on trouve, par exemple, une vente de 14 perches de "saulsaye", pour 112 livres tournois: c'est le sieur La Cou­ture qui cède "une Petitte saulsaye assize au terroir de Saint­Cloud, sur le ruisseau qui vient de Sèvres audict Saint-Cloud" (51).

On retrouve donc, comme au Moyen Âge, l'existence de nom­breuses saussaies : le 5 août 1663, Monsieur achète moyennant 500 livres, un arpent de pré "en une pièce au bout de laquelle il ya quelque quantité de saulx" (52). Les achats de terres vont se succéder pendant de longues années et le parc de Saint-Cloud prendra forme. Pour cela, à partir de 1670, le prince continue à acheter des terrains aux vignerons, jardiniers, laboureurs possesseurs de quelque héritage ; terres et maisons sont surtout acquises entre 1673 et 1675 (53). Il existe encore aux Archives nationales des centaines de documents (arpentages, actes d'achat) qui montrent cette volonté tenace de créer un immense domaine sur la "montagne" de Saint-Cloud.

Un fait va du reste accélérer cette concentration de terres : le sieur Pierre Monnerot, banquier, avait la moitié de la seigneu­rie de Sèvres, notamment une importante propriété avec jar­dins et bois (ce sera la mairie actuelle). Or, le banquier ayant été mêlé à l'affaire Foucquet, son domaine fut saisi le 2 janvier 1676, puis adjugé à Louis XIV le 20 janvier 1678. A son tour, le roi, par lettres patentes de décembre 1678, fit don à son frère d'une partie des terres de Monnerot (54); enfin, d'autres lettres patentes de décembre 1679 offrirent en totalité les biens de Monnerot à Monsieur pour "un embellissement considérable à son chaste au et parc de Saint-Cloud" (55). Parmi l'énuméra­tion des biens composant ce domaine de Sèvres, il y avait une pièce de 10 arpents, en pré, située dans "l'isle Rochelette" (56).

(49)

Arch. nat., QI 1485.

(50)

MAGNE, p. 55-56.

(51)

Arch. nat., QI 1490.

(5:::) Idem, ibidem.

(53)

MAGNE, p. 105-106, 116, 117.

(54)

Arch. nat., QI 1487 (original, parchemin, signé "Louis", et copie). Cf. aussi autres copies dans 0 1 3870 ; K 193, N° 44 ; QI 1494-1495, etc. Cf. ERLANGER (Ph.), Monsieur, frère de Louis XIV, p. 48.

(55)

Aux sources ci-dessus, ajoutons 0 1 3865, doss. 2, pièce 11 ; P 1832 et P 1971, pièce 5.

(56) Idem, 01 3870.

Ce sont ces 10 arpents, "en une pièce Seize dans une Isle estant dans la rivière de Seine, au-dessous du port de Seve" (57), que l'on retrouve dans un mémoire signifié le 19 février 1677. On signale encore un cens de 10 sols 10 deniers pour 8 arpents 67 perches 1/2 "pour partie de l'Ille Rocherer', -cens qui fut perçu pendant 18 ans (1675-1695) (58).

Philippe d'Orléans continuera jusqu'à la fin de sa vie à aug­menter son domaine. Emile Magne, l'un des meilleurs histo­riens de Saint-Cloud, écrit que le frère de Louis XIV achètera en 1695 l'île de Monsieur (59). La date est erronée, car des documents permettent d'affirmer que c'est à la fin de juin 1678 que Monsieur commença à acquérir un terrain "dans Lisle Scέtuée devant son chaste au" ; la pièce de terre, estimée 175 livres, était petite: un "demy arpent environ", planté en osier et loué par le receveur de Saint-Cloud à Jacques de La Garde, pêcheur, moyennant 12 livres par an (60).

Puis, dès l'année suivante, c'est-à-dire en 1679, la totalité de "l'isle Rochelet" fut acquise par le duc d'Orléans: "Une grande Isle, seize au dit lieu de Saint-Cloud, plantée en ormes, partie en labour et partie en pré, faisant face au parc" (61), conte­nant 28 arpents environ.

C'est donc à partir de cette époque que l'île Rochelet devint l'île de Monsieur. Sa physionomie n'a pas dû changer. Il faut attendre en effet le 26 avril 1690 pour voir Le Bel de Courville, fermier du domaine de 1680 à 1689, réclamer une indemnité de 100 livres "pour le dégât fait dans l'Ille" : le fermier se plaint d'avoir été obligé de faire faucher l'herbe avant sa maturité, ce qui "n'a pu servir de fourrage pour les vaches pendant l'hiver" (62). Contestations encore, car le fermier déclare que 5 arpents 112 de pré, "dans l'Ille de Saint-Cloud", ont été loués à la veuve Marquis. Le Bel demande donc pour sa non-jouissance une indemnité de 594 livres! S.A.R. Monsieur estima au con­traire que tout cela ne valait que 3 livres l'arpent...

C'est aussi en 1679 que Monsieur acquiert un arpent en pré "Scis dans l'isle De Rochelet... pour le croissement et embellis­sement de son Jardin de Sàint-Cloud", estimé 3 livres 10 sols. L'affaire fut réglée tardivement -exactement en 1699 (20 ans après 1) -au profit de Marie Comans Daslvy, veuve de Jean Rouillé, comte de Meslay, conseiller d'État (63).

Mais l'île était-elle sur la seigneurie de Sèvres ou sur celle de Saint-Cloud ? Un document affirme qu'il y a "9 arpents ou environ de prez dans l'Isle attenant le Jardin de Saint-Cloud" qui font partie de la seigneurie de Monnerot, à Sèvres (64). Cela est confirmé par Charles Leroux, sous-fermier de Sèvres,

(57)

Idem, QI 1482, pièce 81.

(58)

Idem, QI 1485.

(59)

MAGNE, p. 143.

(60)

Arch. nat., QI 1492-1493.

(61) Idem, QI 1485.

(62) Idem, QI 1491 (en double). Le procès-verbal ajoute: "Sur la lecture de cet article, Les gens qui étaient présens sur les lieux ont levé les épaules, Disans qu'il n'a ni raison, ni fondement quelconq".

(63) Idem, QI 1487.

(64) Idem, QI 1482, pièce 10.

qui réclame au duc d'Orléans une diminution de son bail, entre 1700 et 1708. Un sieur Langot dit qu'il jouissait de la moitié de l'île qui, bon an mal an, lui rapportait 1 500 à 2000 bottes de foin (65). A la même époque, le 10 février 1708, Estienne Tavenet, arpenteur, certifie qu'il a été pris à la terre de Sèvres, 7 arpents 60 perches "dans l'Isle" pour être joints au parc de Saint-Cloud.

Par contre, en 1719, le duc d'Orléans déclare qu'il tient, de la mouvance de l'archevêque de Paris, et cela depuis 1678, 8 àrpents 67 perches 112 et un tiers, ayant appartenu à plu­sieurs particuliers, "en Lisle dit Rochelet, devant et au-dessous des Cascades" (66). En 1736, on recense le domaine de Saint­Cloud et on l'estime à 1 156 arpents de superficie; sur ce chif­fre, dès 1753, on évalue à 203 arpents 50 perches les terres pro­venant du terroir de Sèvres (67).

et les cens sur l'île, arguant qù'elle se trouvait sur le territoire de Saint-Cloud: mais l~ demande ne semble pas avoir abouti (69).

Monsieur, frère de Louis XIV, va mourir à Saint-Cloud le 9 juin 1701. Son fils, le duc d'Orléans, futur régent de France (1715-1723), lui succède. La branche d'Orléans gardera le domaine jusqu'en 1785, date à laquelle Marie-Antoinette acheta le château. Les lieux, insensiblement, s'embellissent. Le sieur Chalibert Dancosse, dans sa Généralité de Pans, publiée en 1708, décrit ainsi les bords du fleuve: "La rivière de Seine, le long des jardins bas, forme un large et beau canal qui moüille les Gazons d'une terrasse plantée en allées à parte de vûë : ces jardins bas sont ornez de quantité de maronniers et autres arbres, de parterres, de cabinets, de bosquets, de salons, de bassins, de jets d'eau d'une hauteur surprenante et surtout d'une cascade merveilleuse".

Cette estampe est de Bourgeois; datée de 1819, elle parut chez Delpech. On distingue nettement la partie aval, vers Saint-Cloud, de l'île de Monsieur. Deux bâtiments agricoles apparaissent au premier plan (coll. Pierre Mercier).

En tout cas, en août 1753, on se borna à constater: "On y a trouvé plus d'embarras, a(t)tendu le changement de la surface du Terrein qui ne laisse aucun vestige des limites, temoins et bornes qui separoient le territoire de Sevre de ceux de Saint­Cloud et de Ville-d'Avray" (68). De même, en décembre 1758, le chapitre de Saint-Cloud, à la demande de l'archevêque de Paris, tenta de percevoir les dîmes

(65)

Idem, QI 1491.

(66)

Idem, QI 1487.

(67)

Idem, QI 1485 .. Ainsi. 17,5 % (69 ha) du parc de Saint-Cloud apparte­naient à Sèvres. Il est curieux de noter que la superficie du domaine de Saint-Cloud est actuellement à peu près identique (392 ha). Un document du 12 juin 1791 (Arch. Yvelines, 36 L 28) attribue 1423 arpents 86 per­ches 1/2 à Sèvres.

(68)

Idem, QI 1485.

Et, lorsque le 16 février 1708, le duc d'Orléans se débarrasse d'une partie de l'ancienne seigneurie de Sèvres, au profit de sa maîtresse, Mme d'Argenton, il prit soin de bien spécifier qu'il se réservait "l'isle de Saint-Cloud (autrement apellée l'Isle Rochelet ou l'Isle de Monsieur)". Un état annexé à l'acte de donation dit qu'il y a là 7 arpents 60 perches (ce qui n'est pas, évidemment, la superficie de l'île) (70). Un "Projet de la décla­ration de Monseigneur le Duc d'Orléans à M. l'archevêque de Paris", probablement de 1719, précise que l'île a environ 28 arpents. A cette époque, il est curieux de relever le nom de

(69)

Idem: "Réponse au projet de Déclaration censuelle demandée à Mon­sieur le duc d'Orléans de la part de M. l'archevêque de Paris ..."

(70)

Idem, 0 1 3870; P 1846 et 1971 ; QI 1482-1483,1485,1487,1494-1495, etc.

Marguerite-Thérèse Rouillé, veuve d'Armand-Jean Duplessis, duc de Richelieu : elle se dit héritière de J. Rouillé et reconnaît avoir reçu, du duc d'Orléans, intérêts et capital "pour une por­tion de prez, qui estoit scituée dans l'isle de la Rochette".

L'île fait donc partie du domaine de Saint-Cloud et c'est bien ainsi qu'on la désigne dans tous les actes concernant le domaine, sans précision particulière. C'est le cas, par exemple, dans les estimations de Legrand, architecte, en août 1735, puis en 1753. A la fin de 1736 et en 1737, on note quelques menues dépenses "pour avoir entouré d'oziers l'Isle de Monsieur" ; ailleurs, le 27 novembre 1736, un sieur Henry Trou reconnaît avoir reçu 163 livres "pour les frais que j'ay débourcé pour Les plans des osiers de Lisle de Monsieur". Les comptes de 1737 peuvent être reproduits, comme exemple d'une abondante documentation: 22 journées de travail "a arracher les Epines Et Boutures qui Etoient dans Les plans D'oziers", ou encore les frais engagés au cours de l'été de 1737 pour les fauchage, ramassage, liage et transport de l'avoine et de l'orge de 18 arpents de l'île, à raison de 4 livres par arpent (71). Tous ces travaux sont effectués sous la responsabilité d'un nommé Marquis, que nous retrouverons un peu plus loin.

Après 1743, Louis d'Orléans se retira à l'abbaye de Sainte­Geneviève, laissant à son fils, Louis-Philippe d'Orléans, le châ­teau. Le nouveau prince et sa femme, L.-H. de Bourbon­Conty, donnèrent, le 24 septembre 1752, une fête magnifique (72). A 3 heures de l'après-midi, des joutes sur la Seine attirè­rent une foule nombreuse. Deux escadres de matelots distin­gués par leurs couleurs et montés sur de petits bateaux, "peints galamment", offrirent ce spectacle, auquel ils ajoutèrent le jeu de l'oie qui ne finit qu'à la nuit tombante. Entre Sèvres et Saint-Cloud, sur la rive, les arbres étaient illuminés et un feu d'artifice fut tiré sur le fleuve même, applaudi par une foule énorme, venue sur la rive de Boulogne. Puis apparut une flotte de 31 bateaux dont les matelots, habillés à la grecque, firent retentir l'air de mille cris de joie. La flotte, ancrée entre la rive et l'île de Monsieur, ramena ensuite à Paris les invités de leurs Altesses Royales ...

Un peu de cartographie

Cartes et plans (73), inexistants jusqu'au XVIIe siècle, ne nous seront guère utiles pour décrire l'état de l'île Rochette. Le cours de la Seine, entre Paris et Poissy, attribué à Jouvin de Rochefort, entre 1672 et 1675, ne mentionne même pas notre île et le pont de Saint-Cloud (74). Par contre, le "Plan de la

(71)

Idem, QI 1492-1493_

(72)

MAGNE, p_ 191 ; FLEURY, comte, Le palais de Saint-Cloud, p_ 83 ; Arch_ Yvelines, 16 F 1-2 (manuscrit de Penel-Beaufin sur Saint-Cloud)_

(73)

Nous ne distinguons pas entre les termes de "carte" et de "plan" : on con­sidère, en archivistique, comme cartes tous les plans dont l'échelle est inférieure à 1/20 000_ Pour ce chapitre, nous devons beaucoup à l'aide apportée par Mme Nicole Felkay, conservateur des Plans aux Archives nationales, et par Mlle Joly, archiviste. De leur côté, M_ et Mme Schmitz, conservateurs du Domaine de Saint-Cloud, nous ont communiqué les admirables atlas du Chevalier de Moléon, faits au début du XIXe siècle. Le département "Géographie" de la Bibliothèque nationale a également été mis à contribution.

(74)

Bibl. nat., Ge C 6103 (ms., 84 x 47 cm).

Rivière de Seine et Prévôté de la Cuisine", levé en 1695 par Claude Lescuyer, voyer de Saint-Denis, comporte 17 plans des îles et bords de la Seine, avec nomenclature de la grandeur des héritages, nom du propriétaire et cens. L'île qui nous intéresse est bien dessinée et reliée à la rive de Saint-Cloud par un petit pont; trois îlots sont à sa pointe amont (vers Sèvres) ; un autre îlot, plus allongé, est parallèle à l'île Rochette. Une seconde édition de ce plan comporte quelques additions jusqu'en 1725 : les plans coloriés y sont plus soignés, mais il y a moins d'indica­tions de détails (75).

Chronologiquement, il s'agit donc du premier document que nous pouvons utiliser en cartographie. Mais nous avons aussi un "Plan de Saint-Cloud", manuscrit daté de 1698, fait par Harcouet "pour sa description". "Lisle" est très bien dessinée, un ponceau la relie à la terre et deux petits îlots (l'un en amont, l'autre sur le côté) sont esquissés. Un chemin entoure la totalité de l'île qui semble en pré ou pâturage. Ce manuscrit, conservé à Sceaux, nous a beaucoup intrigué: l'auteur en est Harcouet de Longeville, dont nous connaissons sa Description des gran­des cascades de la Maison royale de Saz'nt-Cloud, publiée en 1706. Peut-être y eut-il une édition antérieure, proche du plan de 1698 ? En tout cas, nous avons aussi relevé aux Archives nationales (76) une "Description des eaux de la cascade de Saint-Cloud", manuscrit non signé, mais que Magne, dès 1932, avait reconnu être le texte original, avec quelques variantes insignifiantes, du texte imprimé de 1706.

De même, toujours sans date et sans légende, un plan manus­crit des Estampes de la Bibliothèque nationale (77) : l'île est toujours la même; si le bas du parc de Saint-Cloud est déjà en allées, avec bosquets et gazon, il est curieux de voir toute la col­line en terres, prés et labours... Un "Plan Général des Château, Parc, Jardins de St-Cloud...", gravé par Croisey et publié chez Blaizot à Versailles, dédié au duc d'Orléans, représente l'île de Monsieur avec tout autour une double rangée d'arbres (78).

Dorénavant, les plans du domaine de Saint-Cloud vont donner une représentation de l'île à peu près toujours semblable, ce qui laisse penser que sa physionomie n'a guère changé et est exacte. Ainsi les plans de Nicolas de Fer, de 1703 et 1705, indi­quent "L'Isle de Monsieur", avec aussi cette double rangée d'arbres et le ponceau sur la rive. Cette fois-là, il y a deux îlots en amont (79). Une autre carte manuscrite, qu'on peut dater de 1708, indique les mêmes détails et une rose des vents à 32 branches est orientée à l'est (80). Le plan de Roussel, de 1731, est également semblable, mais il n'y a plus d'îlots en amont;

(75)

Arch. Yvelines, D 734-735.

(76)

Arch_ nat., 0 1 1703, pièce 3.

(77)

Bibl. nat., estampes, Topogr. de la France, Saint-Cloud, bobine 20507.

(78) Idem, Ge D 1779 (1 flle, 46 x 34 cm), reproduit dans Amis de Saint Cloud, N° l, février 1955.

(79)

"Plan de la belle et magnifique maison de Monsieur à St-Cloud_ .. ", 1703. Certains exemplaires sont rectifiés en "1705" (Bibl. nat., Ge D 5554) et ont été insérés dans Les beautés de la France, 1724, pl. 44 (idem,DD 586 bis). L'île de Monsieur et son îlot sont bien signalés dans la carte sur Paris et ses environs, du même N_ de Fer, parue en 1717 (idem, D 13643)_

(80)

Idem, Ge B 221!l (1 flle, ms, couleurs, 83 x 155 cm, "Eschelle de 100 Toises").

par contre, de nouveau, une îlette est signalée le long de l'île, entre celle-ci et la rive de Boulogne (81). Tous ces îlots, aux formes et emplacements variés, sont donc plus probablement des bancs de sable.

Les deux: exemplaires de la carte de la Capitainerie royale de la Varenne des Tuileries, levée en 1733 et gravée en 1737 par Bonnier de La Mosson, sont utiles pour qui veut connaître les cultures de la banlieue ouest de Paris ; les trois îles (Saint­Germain, de Sèvres et de Monsieur) sont simplement mention­nées (82).

Enfin, nous voici en présence des admirables cartes de l'abbé de La Grive, géographe de la ville de Paris, l'une de 1740, l'autre de 1744. L'île de Monsieur, toujours en prés et avec sa double rangée d'arbres, n'est plus reliée à la terre ferme; l'îlot, en pleine Seine, apparait et est même désigné, sur la carte de 1744, par "1. de la Rochelle (sz'c 1). Cette carte de 1744 sera encore éditée cette même année "par les Srs Parent..." (83).

Les Archives nationales possèdent depuis 1910 une série d'atlas qui donnent des indications utiles à celui qui s'enquiert de l'état des lieux avant 1789. Ce sont les plans des routes de géné­ralités de France, dessinés de 1745 à 1780, sous la direction de Trudaine et de Perronet. Sept volumes de ces merveilleux albums sont relatifs aux environs de Paris et l'un de ceux-ci

(84) mentionne bien "notre" île, isolée de la rive de Saint­Cloud, et ses deux rangées d'arbres, ainsi que l'îlot à l'est.

Les archives des Yvelines ont aussi quelques documents: un "Cours de la Seine, du Bas Meudon à St-Cloud, n'est qu'un brouillon informe où l'on devine la rive gauche, du Bas­Meudon à la pointe amont d'une île (c'est l'île de Monsieur), dite en "pré" (85). La carte de Cassini (1756) esquisse simple­ment l'Ue de Monsieur (86) ; par contre, les plans de 1757­1758, faits par l'arpenteur La Noüe, reprennent, pour l'essen­tiel, les plans de 1695 et 1725, précédemment cités: l'île, très proche de la rive gauche, n'a aucune indication et, de nouveau, trois Uots sont à sa pointe amont (87).

Mais le plus beau document est sans conteste le "Plan général du Château, Jardins et Parc de St-Cloud, appartenant à S.A.S. Monseigneur le Duc d'Orléans", publié chez Mariette. La date n'est pas précisée sur l'épreuve de la Bibliothèque nationale

(88)

-comme sur la nôtre rehaussée par des couleurs modernes; par contre, le British Museum indique que son exemplaire est de 1760. Quoi qu'il en soit, l'île est reliée par un pont aux bas­jardins de Saint-Cloud, face à la "Demi-lune et Grille de l'Isle". Sur l'île, elle-même, un petit bassin est entouré d'un gazon cir­

(81)

Le plan de Roussel est dans l'Atlas des anciens Plans de Paris, grand in-folio, t. III, à la Bibliothèque historique de Paris.

(82)

Arch. nat., N II Seine 196 (89 x 64 cm) et N III Seine 831 (76 x 56 cm).

(83)

Les cartes de l'abbé de La Grive sont à la Calcographie du Louvre; celle de Parent est à la Bibl. nat., Ge DD 2987-B (838).

(84)

Arch. nat., FI4 bis 8449, cartes 10 et 12. Cf. l'Illustration, 5 octobre 1935.

(85)

Arch. Yvelines, A 525.

(86)

Bibl. nat., cartes et plans, album des clichés photographiques.

(87)

Arch. Yvelines, D 736.

(88)

Bibl. nat., Ge C 1395 (1 flle, 56 x 43 cm). Le Bcitish Museum donne en dimensions: 56 x 41 cm.

culaire, d'où partent des allées régulières vers les extrémités amont et aval. La légende du plan dit que "l'Isle (est) plantée suivant le projet donné par M. Degost" : ce projet n'a pas dû être réalisé, mais M. André Marie, dans son excellent Saznt-Cloud " 14 siècles d'histoire, écrit pourtant en 1979 :

"La recherche esthétique fut poussée jusqu'à transformer l'île de Rochelet (ou de La Rochelle), en aval du pont de Sèvres, en un lieu ordonné avec allées et bosquets qui, dès lors, fut dési­gné sous le nom d'He de Monsieur".

Cela nous semble improbable et nous avons vu que tous les plans représentent l'île en pré et pâturage. De plus, le sieur Marquis était chargé d'entretenir le parc, du côté de Sèvres, notamment le potager, le boulingrin, le parterre de Vénus, l'ormois, etc., moyennant 1 000 livres par an. On trouve ce jar­dinier en mai 1737 labourant l'île de Monsieur, en juillet fau­chant les bas-jardins ou à la fin d'août rentrant la moisson de l'île sur un bateau, aidé par un batelier (89). Comme on décida de ne lui laisser que l'entretien du potager, un plan en couleurs fut fait, représentant les parties qu'on lui enlevait (90) : or l'île est bien en pré, avec son ponceau joignant le parc de Saint­Cloud, mais il n'y a ni bosquets, ni allées...

S'il fallait résumer l'île au XVIIIe siècle, disons qu'elle a eu cer­tainement une double rangée d'arbres, tout autour. Nous pou­vons même préciser qu'il s'agit d'ormes 1 D'abord, un docu­ment d'archives (91), probablement de 1719, dit que l'île est plantée partie en ormes, partie en pré et labour. Et un autre acte de décembre 1758 le prouve: "Cette Isle n'est plus plantée en ormes; on les a fait jetter bas (en marge: "cette année 1758") pour donner de la vüe dans la partie des bas Jardins vis à vis de la quelle elle est située" (92). Nous pouvons donc ima­giner les lieux avec ces ormes champêtres, dits ormes rouges, facilement reconnaissables à leurs feuilles dissymétriques à la base et à leur feuillage épais. On sait que cette essence a besoin d'être bien arrosée, en sol profond, ce qui était le cas sur nos bords de Seine, souvent recouverts par les crues ...

Les plans ultérieurs, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, ne seront guère différents: celui de 1767, fait par Regnier, pour justifier les droits de l'archevêque de Paris, se borne à signaler "l'Isle Rochelet", et un registre explicatif, joint à l'atlas, précise que l'île est à Mgr le duc d'Orléans et qu'elle a 21 arpents (93).

(89)

Arch. nat., QI 1492-1493.

(90)

Idem, 01 3870.. La veuve Marquis restera "jardinière du potager", sous Marie-Antoinette (cf. idem, 0 1 3795).

(91)

Idem, QI 1487.

(92) Idem, QI 1485.

(93) Idem, N IV S.-et·O. 22 et 22 bis. -Il Ya bien d'autres plans sur l'île de Monsieur, notamment ceux retrouvés tout récemment par Mme Nicole Felkay et cotés F213581. Egalement un plan (N·III S.·et-O. 70), en cou­leurs (55 x 60,5 cm), écho 1/2200, où l'île de Monsieur, sans nom, a une échelle en toises et en mètres, ce qui permet de l'évaluer à environ 500 m dans toute sa longueur: l'Inventaire de la série N date ce plan de 1825, mais cela est erroné: l'ancien pont de Sèvres est seul indiqué, ainsi que la "caserne" de Sèvres, ce qui situe ce plan aux premières années de l'Empire.

Sous la Révolution

De nos jours, ce qui fut l'île de Monsieur ne fait pas partie du domaine national de Saint-Cloud et le terrain est devenu pro­priété de la S.N.C.F. Cela s'explique par la situation des lieux: coupée des bas-jardins par la Seine, l'île ne fut pas aménagée en allées et bosquets. Un chemin, sur la rive gauche, facilitait le halage des bateaux et le passage du public. Au XVIIIe siècle, les voitures n'hésitaient pas à passer à l'intérieur du parc, en contrebas, le dégradant, ce qui provoqua une protestation du duc d'Orléans. Celui-ci, par l'intermédiaire de l'abbé de Bre­teuil, demanda le 22 juillet 1775 aux Ponts et Chaussées de paver le chemin reliant le pont de Sèvres au pont de Saint­Cloud. Le duc d'Orléans prit même l'engagement, tant qu'il serait propriétaire, de laisser circuler chez lui lorsque le chemin le long du fleuve serait recouvert par les crues.

Perronet ne se montra guère enthousiaste devant cette demande: la dépense était évaluée à 42000 livres pour 693 toi­ses de long. Les inondations resteraient fréquentes et un pas­sage sur la rive droite (côté Boulogne), un peu plus élevé, coû­terait tout de même 35 000 livres (94). Néanmoins, la voie publique fut enfin mise en état. Quant à l'île elle-même, on la trouve louée à un sieur Guilloteaux, qui en occupe 17 arpents 27 perches, par bail de 9 ans, signé le 16 novembre 1779. Guil­loteaux possède également, par ce même bail, une moitié de grange, une vacherie et une centaine d'arpents enclavés dans le parc de Saint-Cloud. Il paye pour la totalité un loyer de 1 755 livres par an. Seulement, comme on lui enlève la grange ci-dessus pour en faire une écurie, il propose pour non­jouissance des trois ans restant de son bail de ne rien payer pour l'île de Monsieur, ainsi qu'une indemnité de 2 466 livres : Marie-Antoinette -devenue propriétaire du château de Saint­Cloud -prescrivit, le 28 décembre 1785, de lui verser seule­ment un an de 'temise, soit 1 755 livres (95).

Marie-Antoinette et son royal époux ne résidèrent que rare­ment dans leur nouveau domaine. La Révolution pointait à l'horizon, mais auparavant la reine dut régler une rente à un sieur Jean Phelippes de Souville, ayant droit d'une veuve de Louis-Anne de Fontenay : celle-ci avait vendu autrefois, à Monsieur, 2 arpents 112 de pré dans l'île Rochelet et l'affaire n'avait jamais été réglée 1De même, la reine accepta de verser une petite somme de 17 livres 10 sols au profit de Pelletier, conseiller au Châtelet, ayant droit de Marie Bouticourt, qui soutenait avoir eu, conjointement avec un sieur Varin, un ter­fain dans l'île : aucune preuve ne fut retrouvée dans les titres du domaine, mais la reine, en raison de la modicité de la demande, accepta sans rechigner (96).

(94)

Idem, FI4 199·4 et 201-A. Deux plans furent néanmoins étudiés (18 janv. 1776) ; des devis très détaillés furent produits (31 mai 1778) et, finale­ment, un mémoire du 24 juillet 1778 indique que Barthélemy Raimbault obtint l'adjudication, pour 295 800 livres, des travaux à effectuer aux ponts de Poissy, Meulan, Saint-Cloud, Sèvres et pour le chemin de Sèvres à Saint-Cloud. En réalité, en juillet 1781, on discutait encore sur les tra· vaux du chemin de la rive gauche.

(95)

Idem, QI 1708, pièce 87.

(96) Idem, pièce 64.

Enfin, chaque année, la propriétaire de Saint-Cloud versait régulièrement 558 livres à Gandolphe, curé de Sèvres, pour non-perception de dîmes sur les terres enclavées dans le parc, ainsi qu'une rente de 13 livres à l'archevêché de Paris qui soute­nait avoir eu des droits dans l'île Rochelet (97).

Les séjours du couple royal ne se prolongèrent pas au-delà de 1790. Auparavant, le 1er octobre 1789, l'intendant de Saint­Cloud passa contrat, en faveur de Jacques-François Legry, marchand de bois, demeurant à Sèvres, de l'île Rochelet, con­tenant 15 arpents, moyennant 300 livres par an. Legry, dont l'offre remontait à avril, avait déjà commencé à défricher l'île, par consentement verbal. Il s'engagea à ensemencer et cultiver les lieux, à n'y faire ni construction, ni dépôt de matériaux; en cas de crue qui enlèverait ses bestiaux, il ne pourrait réclamer aucune indemnité (98).

Dès 1790, Legry (ou Legris) s'opposa à François Delaporte, entrepreneur de Bellevue, qui exploitait une plâtrière (occu­pant 5 p. 1 t. 24 pieds) (99), "Sur le bout de l'Isle dite Mon­sieur" et qui avait déjà déposé 4 000 fagots et deux gros tas de pierre à plâtre. L'huissier à cheval Claude Duchin, de Sèvres, fit les sommations d'usage, le 17 mai, au nom de Legry qui voulait ensemencer. Dès le 28 mai, Delaporte riposta en envoyant à son tour Florentin Renard, huissier à Saint-Cloud, expliquant que Legris, lorsqu'il avait loué les lieux, connaissait l'existence de la plâtrière. Delaporte proposa néanmoins, pour résoudre la contestation, de payer l'arpent qu'il occupait au double de sa valeur.

Legris ne garda l'île en location que quatre ans, jusqu'à la Saint-Martin 1793. Peu de mois auparavant, dès le 1er mars 1793, on procéda à l'adjudication de différentes terres dépen­dantes du domaine de Saint-Cloud et l'île Rochelet fut mise en vente au profit de Jean-François Delaporte, pour 1 000 livres (100). Plusieurs remarques sont à noter: cette fois-là, il s'agit d'une vente et non d'une location ; on estime l'île à 17 arpents environ (au lieu de 15 en 1790) ; enfin, chose curieuse, on parle surtout de "L'Isle de Rochelet", parfois de "l'Isle dite de Mon­sieur ou Rochelet, située près du parc de Saint-Cloud, bordant Les fossés". Dès le 7 mars, Delaporte fit connaître que sa cau­tion était André Dada, dit Lorange, marchand chaufournier à Chaville.

Cette vente s'explique aisément: le parc de Saint-Cloud était devenu domaine national et transformé en promenade publi­que. Plusieurs terres et bâtiments furent vendus à des particu­liers et c'est ainsi que l'île de Monsieur sera définitivement séparée de la propriété princière et royale. Il ne semble pas que Delaporte ait pris réellement possession de l'île, car nous ne voyons plus son nom et, au contraire, une nouvelle vente devra avoir lieu en 1794. Quoi qu'il en soit, la Révolution a pris un

(97) Les comptes, de 1785 à 1791, sont dans QI 3795 et 3796.

(98) Idem, QI 1480·1481.

(99) Arpentage de La Grange dans Qi 38'/0.

(100) Arch. Yvelines, 2 Q42.

essor irréversible et le baiser de Mirabeau et de la reine, sous les ombrages de Saint-Cloud, n'a pu empêcher le destin tragique du couple royal et la perte de la monarchie. Les sans-culottes de Sèvres ont une activité débordante dans leur Société popu­laire, fondée le 6 novembre 1793. On les voit, le 15 ventôse an II (5 mars 1794), proposer au District de Versailles que l'île Rochelet soit divisée en plusieurs lots pour donner "grand avantage aux habitants de la commune de Sèvres" ; deux com­missaires, Eckard et Bonastre, exposeront aux autorités dépar­tementales l'intérêt de diviser l'île en lots de 1 ou 2 arpents, "pour les cultivateurs peu fortunés" (101).

Le District refusera cette solution (102) : la vente avait été pré­vue pour le 26 messidor (14 juillet), puis repoussée en raison de la fête anniversaire de la prise de la Bastille devant avoir lieu ce jour. L'adjudication définitive fut faite au profit de Joseph­Albert Noël, le 31 juillet: l'île est dite avoir 17 arpents 34 per­ches et cette indication permet de dater un plan où cette super­ficie identique apparaît (103). L'île est toujours dénudée et seuls trois arbres s'élèvent à l'extrême pointe amont, où un petit pont rattache l'île à la terre. Sur la rive de Saint-Cloud, le passage de l'eau de la Seine semble bien étroit et on a même spécifié cet endroit par ce terme: "AnèÏen Bras".

Pourtant, nous retrouvons J.-Fr. Delaporte qui propose d'acquérir, comme biens nationaux, les 25 et 28 mai 1796, res­pectivement 20 perches de terre dans le bout de l'île, à côté de sa plâtrière, et 20 autres perches entre l'île et le parc. La plâ­trière est dite "sur le bord d'un bras, non navigable, de la rivière de Seine, entre l'Ile Rochelet et le chemin conduisant de Sèvres à Saint-Cloud". On précise que ce bras du fleuve n'est recouvert par les eaux que lorsqu'elles sont très hautes... (104)

L'île devient territoire de Sèvres

Les limites entre Sèvres et Saint-Cloud n'avaient jamais été fixées d'une façon précise. Déjà, au début de la Révolution, des contestations s'étaient élevées entre les deux communes, en rai­son des propriétés enclavées dans le parc de Saint-Cloud. Cou­pin, président du District de Versailles, avait été chargé, le 23 juillet 1791, d'intervenir auprès des officiers municipaux des deux communes (105). L'accord fut réalisé peu après (106) et,

(101) Collection de l'auteur.

(102) Arch. Yvelines, 2 Lk 15 Versailles, fol. 524 ; 2 Lk 30 Versailles (minute).

(103) Idem, 2 Q 44.

(104) Idem, loi de ventôse, dossier 1950.

(105) Idem, 2 Lk 4 Versailles, fol. 356.

(106) L'ouvrage du C.N.R.S., Paroisses et communes de France, indique que l'accord se fit le 30 juillet ou le 30 août (?).

le 23 novembre suivant, les notables de Sèvres se disent satis­faits (107), sans donner plus de précisions.

Il faudra attendre la chute de l'Empire pour qu'une solution définitive intervienne. Les deux municipalités tombèrent de suite d'accord et c'est le procès-verbal de délimitation, du 5 octobre 1816, rédigé par Girard, géomètre, qui fut accepté:

Art. 4. "Partant de notre quatrième point de reconnoissce au milieu de la rivière de Seine, et au levant de l'extrémité Nord de l'Isle de Monsz'eur, point où se réunissent les trois communes de Boulogne, Sèvres et Saint-Cloud, la ligne de démarcation entre ces deux dernières, ainsi que nous l'avons reconnue, est formée:

"1 0 par une ligne droite, passant à la pointe de l'Isle Monsz'eur, prolongée jusqu'au chemin qui borde le Parc de Saint­Cloud;

"20 par ce dit chemin, dans la direction Sud, jusques vis-à-vis le nouveau pont de pierre, que l'on vient de construire".

Le procès-verbal est signé par Lambert, Dupuis et Silly, respec­tivement maires de Sèvres, Ville-d'Avray et Saint-Cloud, ainsi que par les "indicateurs" ou témoins des trois communes (108).

Deux plans furent effectués ensuite (109) et les édiles de Sèvres et de Saint-Cloud les entérinèrent les 1er et 9 avril 1817. Un projet d'ordonnance fut préparé le 31 octobre et l'ordonnance elle-même fut publiée le 12 novembre (110). C'est donc depuis cette date précise que l'île de Monsieur fut rattachée au terri­toire de Sèvres. Il est difficile de comprendre pourquoi cette bande de terrain -à l'époque pratiquement rattachée à la terre -a été attribuée à Sèvres. Sans doute a-t-on voulu gar­der l'intégralité du parc de Saint-Cloud dans la commune du même nom; de plus, l'ancienne île n'avait guère d'intérêt...

Mais il faut bien reconnaître que le cadastre sévrien a àinsi une forme peu orthodoxe : territoire compact, composé grosso modo de la Grande-Rue de Sèvres et des coteaux limitrophes et l'île de Monsieur se trouve à l'écart, comme une verrue en excrOIssance...

Quoi qu'il en soit, après Delaporte, nous trouvons les trois frè­res Collas -Jean-François, Denis-Jacques et Jean-Grégoire ­qui deviennent propriétaires des lieux: d'abord une maison de campagne, avec jardin et dépendances, près du parc de Saint­Cloud, de 24 ares environ, "tenant du levant au bras non navi­

1

gable de la rivière de Seine, du couchant à la berge dudit bras, du midi au chemin qui conduit de Sèvres à Saint-Cloud et du nord sur le bord de ladite berge". Il y a ensuite un terrain "for­

(107) Arch. Yvelines, Suppl. E 830.

(108) Arch. nat., F2 II S.-et-O. 5.

(109) Idem. Le second plan, presque identique, conservé aux Arch. des Yveli­nes, a été reproduit dans les Amis de Saint-Cloud, N° 82, nov. 1980.

(110) Nous n'avonS pas retrouvé l'original de cette ordonnance, mais seule­ment l'annonce, le 18 nov., de son envoi au préfet de Seine-et-Oise qui en accuse réception le 21. Les cartons F 1-A 1120-1121, qui compren­nent les ordonnances de nov. 1817, ne contiennent pas celle relative à Saint-Cloud-Sèvres. Il en est de même de F 1-A 2003-1 oû l'on trouve des plans annexes d'ordonnances, arrêtés et décrets de 1817. Les recherches de M. Franz Jayot, archiviste, ont été également infructueuses.

." Maison de Collas prise de la culée du pont de Sèvres" par Constant Troyon et exposée au Salon de 1833. Le peintre Troyon, né en 1810 à Sèvres, est surtout connu par les nombreux animaux qu'il a introduits dans ses sujets champêtres, mais seulement à partir de 1847 après un voyage en Hollande où il fit connaissance des œuvres de Paulus Potter.

La peinture reproduite ci-contre est donc une de ses premières études faites d'après nature, alors qu'il est âgé seulement de 23 ans. Le document est essentiel à la connaissance des lieux de notre région en ce premier tiers de XIX' siècle et les bâtiments du sieur Collas, sur l'île de Monsieur, sont parfaitement reconnaissables sur la carte du baron Pelet, datée de 1845. (Musée de l'Île-de-France, à Sceaux; cliché Giraudon).

mant l'ancien bras de la rivière", de 14 a 77 ca, entre le jardin de la maison précédente et l'île Rochelet. Enfin, l'île elle­même, contenant 7 ha 40 a environ.

L'acte est passé le 1er décembre 1818, moyennant 50 000 F (111). Les trois frères avaient formé une société, sous la raison "Collas frères" ; les deux premiers habitaient au pont de Sèvres, sur la route de Paris, commune de Boulogne; le der­nier demeurait à Argenteuil (112).

Leur demeure -qui a plutôt l'aspect d'une ferme -a son entrée face au sud, c'est-à-dire face au nouveau pont de Sèvres, tout proche. Constant Troyon en a fait un tableau célèbre conservé au musée de Sceaux, sous le titre inexact Entrée du

(lll) Arch. Yvelines, J 608. _

(1l2) Il semble qu'on peut rattacher à cette famille le sieur Jean Collas, mar­chand de fer à Paris, qui apparaît dans une sentence des prévôts et éche­vins, le 3 mars 1733 (Bibl. nat., F 23719, N° 600)_ Un Florimond Collas, greffier, tabellion ou procureur fiscal de Sèvres, est cité très souvent, entre 1681 et 1691, dans les papiers de l'ancienne justice seigneuriale de Sèvres. Les Collas comptent parmi les notables de la région : Denis­Jacques est électeur du collège électoral du département et de l'arrondis­sement dès 1824, juré de la cour d'assises, juge-suppleant au tribunal de commerce de Versailles. En 1828, "commerçant en bois", il acquiert une pépinière à Paris (Sommier des biens nationaux aux Arch. de Paris, t. I,

p. 224 et 245). Désigné maire de Sèvres au lendemain de la Révolution de 1830, une lettre du 25 nov. du préfet de Seine-et-Oise, au ministre de l'Intérieur précise: "Le choix d'un maire était difficile, et M. Collas était le seul qui réunit les qualités désirables" (Arch. nat. F-l-b-II S.-et-O. 22) ; il quitte cette fonction dès 1831, est élu conseiller général le 10 nov. 1833 et meurt en 1838. Jean-Baptiste, cons. mun. de Boulogne, dès 1802-1804, maire de 1829 à 1831, puis de 1833 à 1838, mort en 1852 (PENEL-BEAUFIN, Hist. de Boulogne, t. II, p. 7 et 52).

Sur les contestations de Jean-François avec Seguin, cf. notre Bulletin,

juin 1976, p. 229 et juin 1981, p. 136, n. 1. Les Collas apparaissent comme négociants "au pont de Sèvres" dans l'Annuaire de Seine-et-Oise de 1824. L'un d'entre eux fonde une école primaire "installée dans une dépendance de sa propriété, à l'entrée de la plaine de Boulogne, près le pont de Sèvres" (Annuaire, 1829, p. 148). L'édition de 1838 mentionne de nombreux autres Collas, dont l'un est maltre de poste.

village de Sèvres en 1834. En réalité, la peinture est connue depuis le Salon de 1833, sous cette dénomination: Maz'son Col­las prz'se de la culée du pont de Sèvres. Le tableau est "marqué au coin des nombreux défauts communs aux fervents du pay­sage classique" (113) ; il a été précédé par une aquarelle qui servit d'étude (114).

Ce qui est frappant, c'est de comparer cette peinture avec le "Plan du parc de Saint-Cloud et de ses environs", levé en 1845, sous la direction du lieutenant-général Pelet. On voit sur cette carte les trois entrées de la propriété, avec les deux mêmes hangars dissymétriques, ainsi que la végétation en arrière des bâtiments (115).

Les frères Collas ont des contestations avec Balzac et celui-ci est

condamné, le 9 octobre 1839, à payer 232,45 F pour des effets impayés.

Dans les comptes de l'écrivain, le passif de décembre 1839 indique une

somme de 294,10 F, à "Collas, marchand de bois". Les manuscrits

Lovenjoul, à Chantilly, parlent aussi d'un sieur" Acollat, marchand de

pierres", mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la famille Collas (cf

BOUVIER et MAYNIAL, Les comptes dramatiques de Balzac, p. 287,

297, 305, 306, 308 et 328.

On voit aussi Mme Paul Collas quêter, le 4 juillet 1897, en faveur de

l'hospice de Sèvres: elle habite "Au Rochelet, route de Saint-Cloud,

Sèvres" (collection de l'auteur).

Le conseil municipal de Sèvres, séance du 29 mars 1899, propose de

nommer "rue Collas" le chemin dit N° 3 ; il admet la dénomination

"place Rochelet" au terre-plein situé près de la gare du pont de Sèvres,

en face la propriété de M. Collas (La Rive gauche, 31 mars 1899). Au

début du siècle, un Collas est conseiller municipal (idem, 23 juillet

1909). Actuellement, plusieurs familles Colas ou Collas vivent à Sèvres,

sans que nous puissions apporter d'autres précisions...

(1l3) HUSTIN (A.), Constant Troyon, 1893, p. 6. BENEZIT, Dictionnazre des peintres, t. 10, dit aussi que ce tableau est peint "dans la forme mes­quine et conventionnelle alors à la mode". Ph. BURTY (La Presse, déc. 1865, article repris dans la préface du Catalogue de la vente Troyon et dans la notice parue dans Louis SOULLIE, Constant Troyon, mai 1900) estime que ce tableau n'a "même laissé aucune trace dans le souvenir de ses amis". Cela nous semble injuste.

(114) Musée municipal de Sèvres, N° 33.

(1l5) La carte de Pelet est à la Calcographie du Louvre.

Quant à l'ne elle-même, elle portera parfois le nom de ses pro­priétaires : "ne Collas" (116), mais on trouvera encore le nom originaire, à peine déformé: "ne Rocher", notamment sur les cartes d'Alexis Donnet (117) et sur le Cassell's comPlete atlas édité à Londres (U8).

Les frères Collas resteront plus de trente ans dans l'ancienne ne de Monsieur. Nous les retrouverons en effet en 1847, où l'un d'eux écrit au préfet de Seine-et-Oise et aux Ponts et Chaus­sées, les 6 et 7 septembre, pour demander une "banquette" et des trottoirs "le long de la route nationale N° 187, bordée sur le côté droit d'un ancien bras de rivière, à sec une partie de l'année, mais rempli d'eau lors des crues de la Seine" (119).

Pourtant, petit à petit, l'aspect se modifie; des constructions apparaissent. On devine que l'industrie naissante va s'emparer des lieux. La guerre de 1870-1871 amène son cortège de déso­lations : le château de Saint-Cloud disparaît dans les flammes, les canonnières de la Seine bombardent la colline, la batterie prussienne de Breteuil écrase les quartiers sud de Paris. De

"Plan du parc de Saint-Cloud et de ses environs. Levé en 1845 par les Officiers du Corps Royal d'état­major, sous la direction du Lieut.-Général Baron Pelet, Pair de France".

Jean-Jacques Pelet est une figure mar­quante du XIX' siècle: ingénieur géographe, il fut blessé sous l'Empire et promu général en 1813 ; il combattit encore pendant la campa­gne de 1814 et à Waterloo. Direc­teur du dépôt de la guerre, c'estlui qui fit commencer la

carte de France pour l'état-major. n se lança dans la politique (député en 1831) et fut blessé lors de l'attentat de Fieschi en juillet 1835. Sénateur en 1852, il fut élu à l'Académie des sciences morales en 1855 et mourut à Paris en 1858. Le fragment de son plan de Saint-Cloud reproduit ici montre les moindres détails de la région -détails confirmés ailleurs par des documents d'archives ou iconographiques. On peutle comparer utilement avec le plan de l'abbé de La Grive, paru un siècle aupara­vant, en 1744.

(116) COURATIER, Bull. mun. off de Boulogne-Billancourt, N° 91, mars 1959.

(117) Nombreuses éditions, de 1831 à 1877, à la Bibl. nat. ; le British Museum possède une édition de 1867.

(118) Bibl. nat., Ge DD 1876 (atlas in-folio, planche 131-a, cartouche ovale dans un angle: "The environs of Saint-Cloud").

(119) Arch. nat., F14 1644. Les frères Collas offrent 25 F, mais les travaux sont estimés 2 000 F (lettre du commissaire du Gouvernement au ministre des Travaux publics, 23 déc. 1848).

chaque côté du fleuve, moblots et uhlans déclenchent des fusil­lades, dont les échos se répercutent longuement dans le parc de Saint-Cloud, où des tertres funéraires recouvrent les corps de quelques Prussiens inconnus... Le communiqué militaire fran­çais du 24 septembre 1870, au soir, annonce les événements de la veille: "Les canonnières revenant de Suresnes ont été vive­ment attaquées en passant devant le parc de Saint-Cloud. La mitraille a fait taire le feu de l'ennemi, en lui faisant éprouver des pertes sensibles ; nous avons eu deux marins blessés assez grièvement. Le fort d'Issy a tiré assez vivement ce soir dans la direction de Sèvres, où l'ennemi paraissait établir des batteries" (120).

A la fin de la guerre, une photographie (121) montre les lieux avec de vieilles constructions, juste devant la manufacture (nouvellement construite) et les ruines du pavillon de Breteuil. .. On a l'impression qu'il s'agit, à peine modifiée, de l'ancienne propriété Collas. Pour un peu, on croirait même découvrir les "hangars Renault" 1Mais n'anticipons pas.

Un dernier outrage -mais était-ce le dernier? -allait être infligé à l'ne de Monsieur : sur toute sa longueur, le terrain va être traversé par la ligne de chemin de fer Issy-Puteaux. La ligne fut ouverte le 1er mai 1889, à l'occasion de l'Exposition universelle, par "l'Administration des Chemins de fer de l'Ouest", qui devient ainsi possesseur de la totalité des lieux.

Dorénavant, le public traversera en chemin de fer à vapeur toute l'ne de Monsieur : voyage pittoresque (al,!-cune société écologique ne crie en voyant les panaches de fumées noires des machines 1), qui eut un grand succès, coûtant 2,40 ou 1,30 F en 1re ou 2e classe (pour aller à Saint-Lazare) et 1,95 ou 1,30 F (pour aller au Champ-de-Mars). Les trains partaient au moins toutes les heures et quelques-uns avaient des wagons-bars 1

Pierre MERCIER

(à suivre)

(120)

Le "rapport militaire" français est dans HEYLLI (G.),journal..., t. l,

p.

242 ; LARCHEY (Loredan), Mémorial ... , p. 62 ; PIEROTTI (Dr E.), Rapports militaires officiels ... , p. 38. -Les deux canonnières fran­çaises étaient La Claymore et Le Sabre. -Tout cela est parfaitement confirmé par les historiens prussiens: Stieler von HEYDEKAMPF, Opé­rations du V' Corps prussien, trad_ HUMBEL, p. 174, dit que le batail­lon Klass du 58' régiment d'infanterie, en occupant le parc de Saint­Cloud le 23 'septembre 1870, a subi une fusillade de la rive opposée qui coûta 8 hommes blessés à ce bataillon; cf aussi KUSSLER (Ch_), sup­plément, p. 785.

(121) Bibl. nat., Folio Z Le Senne 679.

(122) Les travaux, longtemps retardés, furent réellement poussés en 1886. Il a fallu résoudre le difficile problème consistant à maintenir le niveau de la ligne, placée sur la berge même de la Seine, au-dessus des plus hautes eaux de 1876. (Cela n'a pas empêché que l'île de Monsieur a été totale­ment recouverte par la crue de janvier 1910)_ Le peu de consistance du sol dans le voisinage immédiat du fleuve a nécessité des travaux impor­tants de consolidation (cf. Le Génie civil, 18 mai 1889). 115 ouvriers tra­vaillant à la construction firent grève en juillet 1888 pendant un mois ; leurs salaires (45 à 48 centimes de l'heure) furent portés à 47 et 50 centi­mes (Arch. nat., Fl2 4664). Parmi les cartes de l'époque, cf. celle d'A. Leclerc, architecte du domaine de Saint-Cloud, faite en 1894 (Caisse nat. des Monuments historiques, cliché 167267), où figure la ligne de chemin de fer. -Le trafic marchandises de la gare de Sèvres­Saint-Cloud s'est élevé, en 1977, à 61 310 t au départ et à 51 500 t à l'arrivée.