01 - Objectif Renault : le bombardement du 3 mars 1942

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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OBJECTIF

RENAULT

Le bombardement du 3 mars 1942

Dans un aérodrome voisin de Londres: Au mess des sous-officiers, les ser­gents, en pantoufles, boivent des pin­tes de bière noire. Nous parlons des usines Renault.

« Nous avions J'ordre de rapporter nos bombes plutôt que de les laisser tom­ber par mégarde sur les quartiers d'ha­bitations. Mais il n'y avait pas moyen de se tromper, dit un jeune Canadien. C'était la première fois que je voyais Paris. La lune éclairait la ville comme en plein jour. Nous avons tourné deux ou trois fois autour de la Tour Eiffel et puis nous avons piqué droit sur les Usines. Nos premières bombes sont tombées sur le gazomètre qu'elles ont enflammé et dont la lueur nous a éclai­rés davantage. Et d'ailleurs nous som­mes descendus sur les usines Renault plus bas que sur n'importe quel autre objectif que nous ayons attaqué. Cer­tains d'entre nous n'étaient pas à plus de 100 mètres de hauteur. 1/ n'y avait d'ailleurs aucune D.C.A. C'est à croire

Photo prise par la R.A.F. pendant l'attaque: 1 et 2 incendies en extension, 3 et 5 explo­sions de bombes, 4 flammes provoquées par l'éclatement d'une grosse bombe. (photo Imperial War Museum).

Vue aérienne de la zone prise avant l'atta­que. Les indications en anglais renvoient à des vues de détail faites après le bom­bardement (photo Imperial War Museum).

que les Allemands étaient sûrs que nous ne viendrions jamais, ou bien qu'ils souhaitaient qu'il y eût des vic­

times" (1).

Un clair de lune de printemps baignait la région parisienne ce mardi soir 3 mars 1942. A Boulogne-Billancourt, les habitants se préparaient au repos sans inquiétude. Depuis le début de la guerre, la ville n'avait subi aucun bom­bardement, ni lors de l'avance alle­mande de 1940, ni après l'armistice. Le seul et unique dégât enregistré avait été causé le 3 juin 1940 par un obus de la D.C.A. française qui traversa, sans éclater, un immeuble de la rue de Billancourt. Bien sûr, de très nom­breuses alertes avaient eu lieu depuis lors mais, l'habitude aidant, peu de personnes s'en souciaient. Le ronron­nement lointain des avions que n'ac­compagnait aucun tir de D.C.A. sem­blait indiquer leur itinéraire habituel : l'Allemagne. A cette époque, la popu­lation ne croyait pas que les Anglais puissent présenter un danger pour elle. Elle attendait même avec impatience

(1) Jean Oberlé : «Imaaes analaises» extrait de « La France Libre» du 17 avril 1942. Cette revue mensuelle. diriaée var André Labarthe. varaissait à Londres.

La zone du gazomètre. Vue prise le 4 mars lors d'un vol de reconnaissance effectué par la R.A.F. (photo Imperial War Museum).

les avions anglais. .. Les slrenes ne précipitent presque personne dans les tranchées et les abris qui, d'ailleurs, n'inspirent pas confiance. -S'il faut mourir, je préfère mourir dans mon lit ; -d'ailleurs les Anglais font attention aux civils; ils visent juste, eux" (2).

Quant à ceux que l'alerte tirait de leur lit, ils ne voulaient pas renoncer au spectacle des projecteurs, des fusées lumineuses, des .éclatements d'obus de la D.C.A. Ils se transformaient en ba­dauds.

Cependant, ce soir-là, les slrenes ne se firent pas entendre. Tout commença vers 21 heures 10. Au-dessus du bois de Boulogne, de nombreuses lumières rouges s'allumèrent dans le ciel, pro­jetant bientôt une clarté intense qui éclaira toute la ville.

«J'habitais au premier étage d'un im­meuble situé avenue Édouard-Vaillant, juste en face de l'atelier 26. Avec ma femme, nous étions en train de manger des pommes de terre qu'un de nos amis nous avait apportées quand la concierge nous a appelés. Elle criait: .. Cette fois-ci, c'est pour nous! .. Nous avons alors quitté rapidement l'appar­tement dans l'intention de nous rendre à l'abri qui se trouvait de l'autre côté de l'avenue. Mais, arrivé au rez-de­chaussée, je me rendis compte qu'il était impossible de sortir de /'immeu­ble : on y voyait comme en plein jour et le bruit des avions s'amplifiait. Alors tout le monde s'engouffra dans la cave et bien nous en prit» (3).

Bientôt les premières bombes tombè­rent sur Billancourt dans un bruit épou­vantable, atteignant les usines Salm­son. Puis, par vagues successives, les bombardiers de la Royal Air Force dé­versèrent leur chargement de mort. Les explosions se succédaient à de très courts intervalles. A 22 heures 15, une accalmie relative se prolongea pendant une demi-heure. Puis, le bom­bardement reprit pour ne cesser qu'à 23 heures 15. Pendant près de deux heures, 222 avions avaient largué 461

2

tonnes de bombes de tous calibres qui faisaient s'écrouler des bâtiments en­tiers et dont l'effet de souffle arrachait les toitures et brisait les vitres.

La ville ne fut bientôt plus qu'un amas de décombres que les fusées éclai­rantes et les incendies qui faisaient rage, rendaient encore plus sinistre. « De petites habitations, soufflées par l'explosion violente de bombes puis­santes, s'écroulaient, ensevelissant leurs occupants... Des gens sortaient de leurs immeubles, à demi-fous, cou­rant de droite et de gauche» (.).

Et ce fut le silence. .. A la lueur des incendies, gigantesques torches, jetant leurs sinistres lueurs sur un chaos in­descriptible de toits, de murs écroulés, d'enchevêtrements de poutres, les sau­veteurs, pompiers, défense passive... déblayaient les décombres, retiraient les corps pantelants ou exsangues, chargeaient les blessés dans les ambu­lances... Grelottant autant de peur que de froid, les sinistrés étaient dirigés, soit vers des maisons amies, soit vers des -centres d'accueil pour y finir la nuit sinistre .. (5).

La zone des fonderies. Vue prise le 4 mars

lors d'un vol de reconnaissance effectué

par la R.A.F. (photo Imperial War Museum).

Au milieu des ruines

Une douceur de printemps vêt les rui­nes et les deuils semés en une nuit parmi une population laborieuse et pa­cifique.

Dans les rues envahies par les ba­dauds, curieux mais graves, des tas de vitres brisées remplacent les mon­ticules de verglas. De rue en rue, de place en place, le sinistre spectacle se renouvelle, monotone dans sa tristesse. Tout le coin d'un immeuble moderne, solidement construit, s'est effondré. De l'amoncellement calciné par endroits de ses matériaux enchevêtrés, une. épaisse colonne de fumée monte en­core. Des pompiers, des ouvriers, s'ef­forcent de déblayer. La foule, mainte­nue distante, épie, recueillie

c y a-t-il encore quelqu'un?

-Sans doute ...

Une ambulance passe et va s'arrêter près d'un pâté d'immeubles. Et voilà qu'on amène des corps roulés dans des couvertures en loques. Non loin, deux hommes fouillent f'amas de plâ­tras qui fut leur boutique.

«Là, raconte un agent, ils ont eu de la veine. Ils étaient dans la cave six ou huit. Tout leur est tombé dessus, comme vous voyez. Le bombardement fini, ils sont sortis sains et saufs. Mais dans quel état! Ils avaient été se­coués! Tout le charbon de la cave avait été précipité sur eux. Ils étaient noirs comme des charbonniers».

Hélas, ailleurs, d'autres pauvres gens n'ont pu être sortis de leur cave obstruée et noyée par le flot d'une conduite d'eau crevée. Dans les grou­pes, le regard encore hagard, le visage et même le corps courbé, encore mar­qués par l'épouvante, des survivants, des témoins de l'atroce chose, décri­vent ces heures tragiques.

c On vient d'en dégager... Il y a deux jours qu'ils n'ont rien pris... Ils sont comme fous.

-Il y avait une vieille femme... la bombe est tombée presque sur elle. Ses vêtements ont été arrachés et brû­lés... et elle n'a rien eu.

-Un garçon de café se trouvait der­rière son bar, entouré d'une demi-dou­zaine de personnes. Une bombe tombe. Tout le devant du bar s'effondre dans la cave avec les gens, et les débris des étages les ensevelissent. Affolé, le garçon se sauve droit devant lui, sans une égratignure.

-Six hommes étaient sur le quai... le souffle d'une bombe les a envoyés au milieu de la Seine.»

Au hasard des rues on croise des am­bulances, des voitures à bras chargées de mobiliers à demi-brisés. Une femme

(2)

Henri Amouroux: «La vie des Français sous Z'occu'Pation ». 'P. 351 (Libr. Arthème Fayard. 1961).

(3)

TémoiQnaQe de ROQer Vabre.

(4)

«Le Petit Parisien» du 5 mars 1942.

(5)

«Le Petit Parisien» du 5 mars 1942.

Avenue Émile-Zola vue prise de la place de l'Église.

passe, la tête entourée d'un panse­ment, les bras souillés de sang. Deux grandes maisons sont comme coupées au couteau. Des pièces apparaissent, presque intactes ainsi que des décors de théâtre. Des portraits pendent aux murs. Le lustre a gardé son globe dé­poli. La table reste mise. Dans la cham­bre voisine, le plancher s'interrompt au ras du dos du lit.

Cependant, la vie reprend. Des en­fants jouent. On répare. Un camion amène des glaces pour la devanture d'une boulangerie. Des hommes por­tent sur leur dos, des vitres. On retape comme on peut les fenêtres disjointes.

A la porte d'une coopérative, dont la vitrine volatilisée est remplacée par des tôles ondulées, une file attend, patiente, la distribution du jour (6).

Là, une maison de six étages, fendue du haut en bas, laisse voir des inté­rieurs où des familles vivaient heureu­ses, unies. On a rassemblé les corps: un bébé de quelques mois est à côté de sa mère; celle-ci le tient tendre­ment serré entre ses bras. Le père, vêtu encore de sa cotte bleue, repose aussi dans le grand sommeil éternel. Plus loin, un autre immeuble a ense­veli dans un abri souterrain ceux qui s'y étaient réfugiés. Pompiers, agents, sauveteurs bénévoles, s'acharnent à retirer de ces décombres les malheu­reux emmurés.

Avenue. Émile-Zola vers la Seine.

C'est partout le même spectacle de désolation et d'horreur. Partout, des femmes pleurent; les hommes, les yeux pleins de larmes, serrent leurs mâchoires tremblantes. Des gosses appellent leurs papas et leurs mamans que le cyclone a emportés (7).

Des ensevelis viennent d'être retirés vivants 1 .. Comme un château de car­tes, un immeuble construit cependant en béton armé, s'était effondré sur ses occupants, pour la plupart réfugiés dans les caves. Une centaine de loca­taires, croyait-on, s'y trouvaient emmu-­rés, mais comme sur eux pesaient des tonnes et des tonnes de matériaux, était-il possible qu'ils en pussent ré­chapper? Encore qu'il y eut peu d'es­poir, on se devait de tenter d'impossi­ble, et on le tenta. Par bonheur, l'esca­lier conduisant aux caves semblait avoir résisté à la formidable pression de l'immeuble effondré, la cage de l'ascenseur l'ayant miraculeusement protégé.

Des fouilles furent entreprises. Une galerie -un boyau plutôt -fut creu­sé, qui devait permettre de l'atteindre. Avec quelles précautions furent con­duits les travaux, la moindre fausse manœuvre risquant d'amener l'effon­drement du conduit.

Vingt-huit heures passèrent, lourdes d'angoisse, vingt-huit heures pendant lesquelles, se relayant sans relâche, pompiers de Paris et requis civils de la défense passive se dépensèrent pour mener à bien ce travail de taupe. Car c'est seulement vers 3 heures du matin, l'autre nuit, que les premiers appels de secours furent perçus. Un sauveteur crut les avoir entendus. Mais n'était-ce pas une illusion? Et l'auto­suggestion n'avait-t-elle pas joué à plein? Un second le remplaça, puis un troisième. Tous deux furent aussi affir­matifs. Nul doute, on touchait au but.

A 5 heures enfin, après encore deux heures d'effort, le premier enseveli était ramené au jour. C'était un hom­me, un pauvre homme que le manque d'air et de nourriture avait réduit à l'état de loque. Mais il vivait. Avec des précautions infinies, des soins lui fu­rent prodigués sur place avant qu'on le hissât, apparemment sauvé, dans une ambulance. Une heure plus tard, un second rescapé était ramené, puis, à intervalles irréguliers, un troisième et un quatrième. On en comptait cinq à 10 heures du matin, et douze à 4 heu­res de l'après-midi (8).

« Ce matin encore, une personne a été

retirée vivante des décombres, nous

déclare un sauveteur, mais au fur et à mesure que le temps passe, les chan­ces que l'on a d'en saùver d'autres s'amenuisent.

-Il nous faut maintenant dégager ceux qui ont été le plus profondément ensevelis, nous dit un autre; il faut prendre des précautions contre les éboulements et cela n'est pas fait pour accélérer notre tâche».

Auprès des travailleurs bon nombre de rescapés sont venus. Les uns recher­chent des objets familiers; d'autres attendent avec angoisse, le moment où l'un des leurs sera retiré de la gangue des débris.

Un homme d'une trentaine d'années est là, immobile. C'est le concierge de l'immeuble dont on explore en ce mo­ment les caves.

-J'étais à cinq cents mètres d'ici, lorsque les bombes ont commencé à tomber, dit-il, d'une voix morne. Je ne suis pas arrivé à temps. Ma femme et mes trois enfants, 3, 6 et 7 ans avaient dû descendre dans la cave. Ma femme a été sortie après quinze heures de travail. On désespère de la sauver. Les gosses qui avaient longtemps crié : «Papa, Maman!» se sont tus. Dire qu'ils sont là-dessous!

Le Bureau d'études.

Mais, dans l'entonnoir où peinent les sauveteurs, l'un de ceux-ci s'est retiré, l'air soudain très grave. Il lâche sa pioche et délicatement avec la main, il écarte des plâtras. C'est l'ainé des trois enfants, Claude, qu'il vient d'exhu­mer. Le père se précipite. Les assis­tants sont devenus silencieux. Quel­ques secondes se passent, puis brus­

quement le pauvre homme que sou­

tiennent des amis, fond en sanglots

déchirants.

Près de cent cinquante cadavres, nous a-t-on dit, gisent encore sous les dé­combres (9).

(6)

«Le Matin» du 6 mars 1942.

(7)

«Le Petit Parisien" du 5 mars 1942.

(8)

«Le Petit Parisien" du 6 mars 1942.

(9)

«Le Matin» du 1 mars 1942.

Une campagne antibritannique

C'est par un communiqué de la Pré­fecture de Police, publié dans la presse parisienne du 4 mars, que la population apprit le bombardement. Sous le titre « Lâche agression de la R.A.F. sur les quartiers civils de la Région Pari­sienne ", une première version de l'évé­nement était donnée :

« Au cours des derniéres heures de la soirée d'hier, des avions anglais ont bombardé la banlieue de Paris.

La population civile a subi des pertes légéres. Cette lâche agression sur des objectifs civils a suscité l'indignation générale de l'opinion publique.

L'aviation anglaise n'ayant pas réussi à atteindre des objectifs militaires, dont les attaques infructueuses sur les ba­teaux de guerre allemands à Brest et

Entrée angle avenue Gustave-Sandoz. Emile-Zola et rue dans la Manche sont la preuve (10), la R.A.F. a choisi à présent, comme nou­

veau terrain d'action, les quartiers ou­

verts d'habitations civiles de la ville

de Paris ".

A partir du 5 mars, la presse collabo­

rationniste paraissant sous contrôle

allemand, engagea une violente cam­

pagne antibritannique. Le raid de la

R.A.F. était présenté comme une

«odieuse agression anglaise (11), «un

nouvel attentat de l'Angleterre contre

la France" (12\ «un crime sans ex­

cuse" (13), «un nouveau crime de

Churchill" (14). Dans GRINGOIRE (15),

Henri Béraud, après avoir cité Shakes­

peare : «éventrer les Français, c'est

sauver l'Angleterre et son roi" (16), par­

Iait de la vieille haine britannique à

l'égard de la France.

Et pourquoi cette attaque? Parce que

«l'Angleterre aux abois veut imposer

à l'opinion française le sentiment d'une

force qui, en fait, est irrémédiablement

perdue et condamnée » (17) ; parce que

«n'ayant enregistré que de cuisants

insuccès dans tous les secteurs de

combat, la Cité de Londres a froide­

ment organisé le massacre en grand

de paisibles populations françaises"

(18)

Des objectifs militaires? « Il existe des

concentrations militaires et industrielles

d'une autre envergure. Mais il faut du

courage pour les atteindre. Il vaut

mieux bombarder Paris, ville ouverte.

L'Anglais veut tout mais sans risquer.

Même pas assassin, escarpe, apache,

4

voilà l'Anglais" (19). Selon la formule employée par le ministre français de la production industrielle «les avions anglais ont opéré comme s'il s'agis­sait pour eux de diminuer, en vue de l'après-guerre, le potentiel de la France" (20).

Non «cette abominable action ne pou­vait se couvrir d'aucun prétexte d'ordre militaire. Nous ne sommes pas en guerre contre l'Angleterre. Par ailleurs /'inutilité de ces lâches et sanglantes attaques de nuit contre des agglomé­rations inoffensives n'a-t-e/le pas été démontrée aux Britanniques? " (21)

Que convient-il de faire? «La France attaquée par la Grande-Bretagne doit se défendre contre la Grande-Bretagne et se venger de la Grande-Bretagne" (22).« Cette fois la mesure est comble et la France se doit de répondre et de répondre vite et énergiquement... Il n'y a plus de place pour des protestations platoniques. L'inutile verbiage qui fut de règle dans les précédentes occa­sions doit nettement, catégoriquement, faire place à des actes» (23). Et un pre­mier acte est possible: «Des Anglais, toutes sortes d'Anglais se promènent encore et se remuent en zone non oc­cupée, et ne se gênent guère, ce n'est le secret de personne, pour se livrer à leurs services d'intelligence, fût-ce sous le couvert de l'ambassade améri­caine. Se décidera-t-on à prendre con­

tre ces meurtriers de Français, de Fran­çaises et de petits Français, contre eux et leurs complices, les mesures qui s'imposent» (24).

(10) Les navires allemands Sc~arn~ort. C;:n~i­seneau et Prinz Euae.n. au' ava,e;tt rejo,nt Brest. vurent avvareûler. malare les bom­bardements de la R.A.F. et. forcant le détroit du Pas-de Calais. rallier sans en­combre leur vort d'attache en Allemaane le 19 février 191,2.

(11)

«Le Cri du Peuvle» du 5 mars 191,2.

(12)

«Au.iourd'hui» du 5 mars 191,2.

(13) «Le Matin» du 5 mars 1942.

(14)

«Le Petit Parisien» du 5 mars 191,2.

(15)

du 13 mars 191,2.

(16)

Shakesveare « Henru V». acte 4. scène D.

(17)

Georaes Suarez : «Au.iourd'hui » du 8 mars 191,2.

(18)

Gu:v Zuccarelli : «Les Nouveaux Temvs» du 5 mars 191,2.

(19)

«Le Cri du Peuvle» du 6 mars 191,2.

(20)

«Les Nouveaux Temvs» du 6 mars 191,2.

(21)

«Au.iourd'hui» du 7 mars 191,2.

(22)

«Les Nouveaux Temvs» du 6 mars 191,2.

(23)

«Les Nouveaux Temvs» du 5 mars 191,2.

(24)

«L'Œuvre» du 1, mars 191,2.

Une catastrophe nationale

Dès les premières heures de la nuit du 3 au 4 mars, le gouvernement de Vichy était informé du bombardement de Billancourt. Au matin, il publiait un communiqué dans lequel, après avoir indiqué que le maréchal Pétain s'incli­nait avec douleur devant les familles

<L

ouvrières victimes innocentes de cette lâche tuerie et dont, au lendemain des journées de misère et de faim l'ardent patriotisme vient d'être mis si tragi­quement à l'épreuve, ", il indiquait que « dans un pays lourdement atteint par la guerre et ses suites, et privé de toute défense, la sanglante attaque de la nuit du 3 au 4 mars, frappant les seules populations civiles, soulèvera l'indignation générale et revêtira le ca­ractère d'une catastrophe nationale ". En conclusion «avant de mettre au point le détail des mesures de secours et d'assistance aux familles éprou­

vées" le Maréchal décidait que la jour­née des funérailles serait une journée de deuil national.

Le 4 mars au soir, à la Radio de Paris, le délégué du gouvernement dans les territoires occupés, l'ambassadeur de Brinon (25) adressait un appel à la po­pulation. Après avoir dressé un premier bilan, 300 morts et 1 000 blessés dont plus de 200 dans un état très grave, il ajoutait : «les pilotes anglais osent annoncer qu'ils reviendront pour ac­complir la même besogne. A tant de stupide cynisme il n'y a qu'une expli­cation: c'est que le gouvernement bol­chevisant de M. Winston Churchill use désormais des armes du désespoir; pour répondre aux appels de Staline lui enjoignant de passer à l'action, il frappe sans aucun souci d'humanité des coups désordonnés dont les fa­milles françaises, celles que la propa­gande communiste appelle «les fa­milles prolétariennes ", sont les pre­mières victimes ".

xxx

«A la Mairie, la lugubre animation s'est à peine ralentie. Des ambulances, des camionnettes vont et viennent. Sur des brancards recouverts de couvertures, sous les plis desquelles se dessinent les membres rigides, on amène des morts atrocement mutilés.

A quelques pas de là, devant la cha­pelle ardente, on défile. Des parents, des amis attendent pour reconnaÎtre les leurs. Les cercueils ouverts sont alignés côte à côte sur des files im­pressionnantes. Le lamentable specta­cIe des femmes terrassées par la dou­leur, des hommes aux yeux hagards, des enfants terrorisés, s'étale devant la gigantesque mairie aux mille fenê­tres sans vitres.

A /'intérieur de la Mairie, l'entraide d'hiver a servi neuf cents repas chauds. Il y a là des vieillards, des humbles, des enfants, dont beaucoup n'ont pas dormi depuis deux jours. Ils ne savent maintenant où porter leurs pas" (26).

Les cinq jours de Mars

Mercredi 4 (27)

• L'amiral Darlan (28) arrive à Boulo­gne dès les premières heures de la matinée. Il est accompagné de M. Le­hideux, secrétaire d'Ëtat à la produc­tion industrielle, de l'amiral Bard, pré­fet de Police, de M. Magny, préfet de la Seine et de M. Trochu, président du Conseil Municipal de Paris. Après une visite de la partie bombardée, l'amiral Darlan fait un don de 50000 francs pour un secours d'urgence.

Angle avenue Émile-Zola et quai de Billancourt

De 13 h 25 à 14 h 20, alerte sur Paris.

Le secrétaire d'Ëtat au Travail envi­sage des mesures immédiates pour venir en aide aux ouvriers réduits au chômage.

Le bâtiment U 5.

• Vers 16 heures, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, vient apporter son hommage pastoral aux victimes.

Jeudi ·5

Le gouvernement britannique dans une déclaration lue à la Radio de Londres « regrette la mort de ceux qui ont été les victimes du bombardement et exprime ses condoléances respec­tueuses aux familles des victimes ". La presse de Paris clame son indigna­tion. «Le peuple de Paris, tout à son deuil, écrit «Le Petit Parisien ", accueil­lera cette déclaration de Sa Majesté Britannique comme le plus abject et le plus lâche des outrages. Ce n'est pas les condoléances de l'assassin Chur­chill qu'appelle le sang des ouvriers français, c'est la vengeance, et la ven­geance la plus terrible et la plus impi­toyable qui soit ».

Une souscription est ouverte par la presse parisienne; la première liste atteint la somme de F 1 031 000.

A la suite d'une réunion présidée par M. Belin, secrétaire d'Ëtat au Tra­vail, des mesures sont adoptées pour le déblaiement de la zone sinistrée. Les ouvriers atteints par le chômage seront employés à des travaux de dé­blaiement. Ceux qui ne pourront être employés immédiatement recevront les allocations de chômage.

Vendredi 6

• Le général-major Hanesse au nom du maréchal de l'Air Sperrle présente ses condoléances à l'ambassadeur de Brinon.

(25) Fernand de Brinon. convaincu de colla­boration avec l'ennemi. sera fusillé en

191,5.

(26)

«Le Petit Parisien» du 6 mars 191,2.

(27)

Ce chapitre constitue une sunthèse des informations données par la vresse de Paris.

(28)

François Darlan. vice-vrésident du Conseil. désioné var l'acte constitution­nel no IV ter comme successeur du Chef de l'État. Assassiné à Aloer le 21, décem­bre 191,2 var Olivier Bonnier de la Chapelle.

Les maires des ports bombardés remettent une adresse au maréchal Pétain.

On fait remarquer à Berlin que la Luftwaffe ne bombarde pas Dublin et l'Irlande fournit pourtant du matériel de guerre à l' Ang leterre.

M. Belin précise les dispositions qui seront prises pour venir en aide aux ouvriers qui se trouvent en chômage : « La grande majorité du personnel sera remployée sans délai dans la plupart des entreprises importantes. Le dé­blaiement des immeubles et des voies endommagées requerra lui-même dans l'immédiat l'utilisation de personnel qui ne trouvera pas place dans les ate­liers. On peut estimer que plus de la moitié des ouvriers retrouvera du tra­vail dès lundi et cette proportion ira grossissant très vite dans les jours sui­vants. Pour les quelques jours d'arrêt obligatoire, les allocations de chômage seront payées sans délai ni formalités inutiles aux ouvriers et il s'y ajoutera des secours de toutes natures ".

Distribution dans les communes si­nistrées de 250 grammes de légumes secs contre le ticket DV de la carte d'alimentation, et de 1 kilogramme de pommes de terre ou topinambours ou rutabagas contre le ticket DU. En outre, pour le cas spécial des habitants sinis­trés, des distributions de pâté, de cho­colat ou autres denrées similaires se­ront faites sur présentation de la carte de sinistré, à partir de dimanche.

Samedi 7

A l'occasion des obsèques des vic­times, journée de deuil national. A Vichy et dans les principales villes de France, des messes sont célébrées.

Un autel est dressé en plein air au sommet des marches du perron de l'Hôtel de Ville de Boulogne. « A droite de cet autel (29) mais au bas des mar­ches, s'élève la tribune préparée pour le seul orateur de la cérémonie, le

Ile Seguin, atelier 147.

Garde des Sceaux. A gauche de l'au­tel, le trône, qu'un dais recouvre et où va s'asseoir S. Ém. le cardinal Suhard, archevêque de Paris. A peu près dans le même temps viennent occuper les places qui leur sont réservées, au bas des marches, face à l'autel, M. Barthé­lémy, Garde des Sceaux, représentant le Chef de l'État, M. Lehideux, secré­taire d'État à la Production industrielle, et qui, à titre privé, accompagnera le cortège jusqu'au cimetière, M. de Bri­non, ambassadeur de France, repré­sentant du gouvernement dans les ter­ritoires occupés, M. Scapini, celui que

Ile Seguin bâtiment 6.

la voix populaire nomme l'ambassadeur des prisonniers, M. Magny, préfet de la Seine, l'amiral Bard, préfet de Police, les présidents des assemblées de Paris et de la Seine, des conseillers municipaux de la ville martyre, Si Kad­dour ben Ghabrit, délégué chérifien, les représentants des autorités d'oc­cupation.

L'abbé Christini dit la messe. Le chant de Kyrie Eleison s'élève, puis c'est le Requiem. Dans la foule, alentour, le si­lence est absolu. De marche en mar­che, leur ligne blanche et bleue s'éle­vant vers l'autel, s'alignent des infir­mières de la Croix-Rouge. Certaines en sont à leur quatrième nuit de veille. Des barrages, difficiles à franchir, ayant été établis sur la place de la Mairie, nombreux sont les habitants qui, pour voir et entendre, se sont ju­chés sur les toits des maisons demeu­rées debout.

C'est /'instant de l'Élévation. La clique, clairons et tambours de la musique des gardiens de la paix, tambours voilés de crêpe et clairons aux flammes bleu et rouge, couleurs de la Ville de Paris, sonnent « Aux champs ". La messe est dite. Maintenant M. Barthélémy gravit les degrés de la tribune pour lire d'une voix émue le message du Maréchal : «L'histoire a déjà jugé la criminelle agression de l'ancien allié qui n'a laissé nos soldats entrer seuls dans la mort que pour y jeter deux ans plus tard, avec la plus froide résolution, nos civils innocents. 1/ n'est pas de loi de la guerre, il n'est point de prétexte qui puisse justifier devant la conscience humaine, d'aussi sanglantes hécatom­

bes ".

Le cardinal Suhard va donner l'absoute. Un cortège, formé des familles assis­tées des autorités locales, prend le chemin du cimetière entre une double et compacte haie d'amis et de conci­toyens saisis de douleur et frappés de colère ".

Dimanche 8

Organisée par le ministère de l'Inté­rieur, une cérémonie se déroule à Notre-Dame de Paris. Parmi les per­sonnalités officielles on remarque M. Barthélémy, F. de Brinon, le ministre allemand Schleier, G. Butti, ambassa­deur d'Italie, le lieutenant -général Schaumburg. Après la messe, le cardi­nal Suhard prononce une allocution : «Au milieu de ces atrocités, quelque chose se dégage, et cela nous voulons le dire et le saluer: le sacrifice de nos morts ".

Une cérémonie analogue se déroule au Temple de l'Étoile.

Place de la Concorde, près du mur des Tuileries, un catafalque symbolique est dressé. A 11 heures, venant de Notre-Dame, les représentants du gou­vernement et des ambassades d'Alle­magne et d'Italie, déposent des cou­ronnes.

(29) André Salmon «Le Petit Parisien» du 8 mars 191s2.

Ile Seguin, Pont Pigeaud.

« Les clairons des gardiens de la paix sonnent aux morts. Les fronts s'incli­nent. La minute est poignante. Il semble que J'ombre pitoyable des pauvres morts plane sur cette masse immobile et recueillie. Au premier rang des délé­gations, voici celle de la presse : ré­dacteurs, agents de maitrise, employés, ouvriers, conduite par MM. Jean Lu­chaire, président du groupement cor­poratif de la presse, et Jacques Rou­jon, vice-président de ce groupement et directeur général du «Petit Pari­sien ». C'est ensuite le tour des orga­nisations patriotiques : Parti populaire français dont le chef, Jacques Doriot, combat sur le front de J'Est avec la Légion; le M.SR., le Rassemblement national populaire; toutes défilant dans un ordre impeccable, scandant le pas. Puis des petits groupes d'abord qui, après J'heure du déjeuner, se transfor­meront rapidement en une large théo­rie ininterrompue, défilent devant le cénotaphe» (30).

• Des intellectuels français publient un manifeste : «Au-dessus de toutes nos petites querelles, il nous faut com­prendre aujourd'hui le danger qui nous menace si un grand nombre de Fran­çais s'obstinent à penser que J'Angle­terre peut et veut secourir la France. L'Angleterre n'a qu'un intérêt, un seul: c'est que la France n'existe pratique­ment plus. Si la France et J'Allemagne s'entendent, J'Angleterre est perdue. Elle le sait. Si la France et J'Allemagne s'entendent, la France est sauvée. Comprenez-le ». Parmi les signataires on relève les noms de : Abel Bonnard (de l'Académie française), Ramon Fer­nandez, Jean Ajalbert, Henri Béraud, Georges Blond, Louis-Ferdinand Céline, Maurice Donnay, Abel Hermant, Phi­lippe Henriot, La Varende ...

La France occupée

En ce début d'année 1942, le monde entier est embrasé. Sur tous les conti­nents, la guerre fait rage. En Europe, sous le poids des armées allemandes, la Russie a dû abandonner une grande partie de son territoire : l'ennemi campe aux portes de Sébastopol, Mos­cou et Léningrad. En Asie, les Japo­nais ont débarqué à Java, poursuivant leur offensive commencée le 7 décem­bre 1941 par l'attaque surprise de Pearl Harbor. En Afrique, l'Afrika Korps que commande Rommel reprend Benghazi.

Partout, les puissances de l'Axe sont victorieuses et Hitler semble avoir eu raison qui proclamait que 1942 serait

« J'année des plus grandes victoires ».

Pourtant l'armée allemande vient de connaître son premier échec : devant Moscou et Léningrad, le mythe de son invincibilité a pris fin.

A la division des belligérants en deux camps correspond une situation politi­que et économique. Du côté de l'Axe, se trouvent les partisans d'un ordre qu'ils baptisent «nouveau ». Ils aspi­rent à édifier un système politique qu'ils voudraient millénaire. Pauvres en matières premières, ils escomptent en quelques mois de guerre-éclair, parve­nir à conquérir celles que possèdent les autres pays. Du côté des alliés, il ne peut être question que d'essayer de sauver ce qU'ils ont: un système poli­tique qui leur est propre. Riches en matières premières, ils sont encore loin d'avoir coordonné leurs efforts et leur union est plutôt un mariage de raison.

Depuis sa défaite de juin 1940, la France est coupée en deux. Au nord, la zone occupée par les forces alle­mandes; au sud, la zone dite « libre» placée sous l'autorité du gouvernement siégeant à Vichy dirigé par le maréchal Pétain. Ce dernier tente de promouvoir une politique de collaboration avec l'adversaire d'hier. Il s'efforce d'obte­nir, contre l'assurance donnée de dé­fendre l'empire colonial français contre les Britanniques et les Français de Londres, la libération des prisonniers de guerre, l'adoucissement du sort de la population et une place privilégiée dans l'Europe d'après-guerre.

Mais cette politique n'est pas celle qu'Hitler entend poursuivre à J'égard de la France. Dans sa volonté de me­ner à son terme victorieux la bataille qu'il a engagée, Hitler vise exclusive­ment à exploiter, pour son seul profit, toutes les possibilités humaines et in­dustrielles, toutes les ressources éco­nomiques de la France. La politique de collaboration est donc vouée à J'échec; cependant le gouvernement de Vichy a donné des gages à J'adversaire. Déjà, le 25 septembre 1940, J'aviation française a lâché 600 tonnes de bom­bes sur Gibraltar en représailles de J'action des anglo-gaullistes sur Dakar. En juin 1941, c'est la guerre au Levant contre les mêmes, qui se solde par la perte de la Syrie; en cette occasion le gouvernement de Vichy a frôlé la collaboration militaire sans réserve avec le Reich (31).

On comprend dès lors la vive campa­gne que le gouvernement de Vichy et la presse mènent contre l'ancien allié britannique et les Français de Londres groupés autour du général de Gaulle. On peut comprendre également que les Anglais, engagés dans une lutte à mort contre l'Allemagne de Hitler, soient très attentifs à tout ce qui se passe en France. Les faits sont là : l'économie française est au service de l'Allemagne.

«En avril 1 941, sous la direction du responsable de la production indus­trielle, Pierre Pucheu, le gouvernement du maréchal Pétain accepte de faire fabriquer du matériel de guerre pour le compte de J'Allemagne. La première tranche de production comporte : 3 000 moteurs d'avion, 1 million d'obus de D.C.A., 1 million d'obus antichars, 13000 camions, 5000 postes émetteurs­récepteurs de radio pour la marine, 70000 tonnes de poudre.

C 7, Magasin général d'outillage, atelier 310.

« En sus des énormes prises de guerre en France en 1940 et des prélèvements directs faits par J'autorité allemande en 1941 en zone occupée, le gouverne­ment de Vichy livrera, d'avril 1941 à avril 1942, les approvisionnements sui­vants, prélevés pour J'essentiel sur les réserves de la zone non occupée ou sur les fournitures de J'Empire: 5 mil­lions de tonnes de fer et d'acier, 225 000 tonnes de cuivre, 340000 ton­nes de bauxite, 170000 tonnes de laine, 950000 tonnes de cuir, 200000 tonnes de pneus, 16200 tonnes de caout­chouc, 3000 locomotives, 150000 wa­gons, 110000 camions, 16000 machi­nes-outils, 8000 moteurs, etc.

(30) «Le Petit Parisien» du 9 mars 1942.

(31) Robert O. Paxton : «La France de Vichy». '/J. 125 (Le Seuil. 1972).

« Suivant le rapport de J'administration militaire allemande compétente, ces seules livraisons françaises de 1941 ont permis à J'Allemagne la fabrication du matériel nécessaire pour la consti­tution et J'entretien de 18 divisions blindées et de 40 divisions d'infanterie; pour la production de 2 500 avions, de 300 sous-marins; et pour la confection des deux tiers de la totalité des équi­pements d'hiver utilisés par la Wehr­macht sur le front de J'Est pendant J'hi­ver 1941-1942» (32).

Dans J'aide économique à J'Allemagne, aucun autre pays d'Europe ne compte, pour une aussi large part, dans les armements et même les marchandises. Et les Français employés dans J'indus­trie, les chemins de fer, la navigation fluviale et la majeure partie de la ma­rine marchande, travaillent presque exclusivement pour le Reich (33).

Parmi les entreprises françaises qui travaillaient pour l'Allemagne, Renault occupe une place de choix tant par son potentiel industriel que par la qua­lité et la diversité de ses produits. C'est pourquoi la Royal Air Force s'est fixé Renault comme objectif. « Les usi­nes Renault travaillaient pour J'armée allemande, les usines Renault ont été frappées» (34).

Renault dans l'économie ennemie

Tout avait commencé avant 1914 lors­que l'usine fabriquait des moteurs d'aviation et des camions destinés à l'armée. Dès le début de la première guerre mondiale elle s'était, comme beaucoup d'autres, entièrement recon­vertie et, pendant cinq années tous ses produits, complétés à partir de 1917 par le char FT 17, furent destinés à la défense nationale,

Au premier plan, C 7, à l'arrière plan, C 6.

Atelier 138.

Après la guerre, certaines fabrications demeurèrent. C'est ainsi qu'à partir de 1935, sortirent les chars R 35 utilisés par l'Armée française au début de la seconde guerre mondiale. Ces chars légers de 9,9 tonnes, propulsés par un moteur de 82 CV furent fabriqués en 2000 exemplaires. Quelques-uns d'en­tre eux, capturés par l'ennemi en juin 1940, se retrouvèrent par la suite sur le front russe.

1er

«Au septembre 1939 les fabrica­tions de guerre (chez Renault) repré­sentent 18 % de J'ensemble des fabri­cations. Dans ce total les chars entrent pour 10,7 %, les camions et voitures pour 4,1 %, les fabrications d'aviation pour 2,4 % »(35). Mais à cette époque, à la suite des nationalisations interve­nues en 1936, Renault n'est plus qu'un simple fournisseur d'organes et de piè­ces détachées, ses ateliers de montage et d'essai étant placés sous le contrôle direct de l'autorité militaire.

L'ensemble des fabrications de chars était confié au département 17 (M. Heurtaux) qui groupait le service 982­fabrications spéciales (bâtiment Astra, rue de Bellevue (36»), les ateliers 193 montage (bâtiment Astra) et 377 -essais (Satory). Dans le bâtiment Fiat (avenue du Général-Leclerc, entre la rue de Sèvres et le quai Alphonse-Le Gallo) se trouvait l'atelier 171 -montage matériel blindé. L'atelier 206 (angle rue Yves­Kermen et rue du Vieux-Pont-de-Sè­vres) fabriquait des maillons ainsi que l'atelier 597 situé au Mans; les car­casses étaient construites à l'atelier 596 (Le Mans). Quant aux camions, ils étaient assemblés dans l'ile Seguin (département 14, M. Verdure).

Le 18 juin 1940, l'armée allemande oc­cupe Paris. Un Paris vidé par l'exode de sa population. L'administration alle­mande est aussitôt mise en place. Le 24 juin, l'usine est saisie et ses issues gardées militairement. Un commissaire allemand, Carl Schippert (37) ancien di­recteur général de Mercedes, assisté du prince W. Von Urach, venant égale­

ment de Mercedes, s'installe dans dif­férents bureaux de la Direction et prend possession des locaux précé­'demment occupés par le contrôle mili­

taire français (38).

La première mesure prise par les auto­rités d'occupation est la réquisition des ateliers situés dans les bâtiments Astra et Fiat (39). Désormais, ils dépen­dront directement de la firme Daimler­Benz et leur activité sera limitée à la réparation des chars. Quant au reste de l'entreprise, il continuera d'être administré par l'équipe antérieure de Direction sous le contrôle du commis­saire allemand.

A fin mai 1940, l'effectif total de l'usine s'élevait à 32626 personnes dont 27 795 ouvriers et le parc machines à 16974 unités. En juin et jUillet,les ate­liers sont pratiquement fermés. En août, le travail reprend en partie, à la fin du mois, 13834 personnes sont employées. A partir d'octobre, l'effec­tif augmente régulièrement mais il n'atteindra jamais, pendant les années de guerre, celui de mai 1940.

(32) Hervé Villeré : «L'Affaire de la section s'/Jéciale », '/J. 59-60 (Tallandier, 1913).

(33) Robert O. Paxton. O'/J. cit.. '/J. 145.

(34)

Titre d'un tract lancé sur Bouloane '/Jar la R.A.F. auelaues iours a'/Jrès le bom­bardement.

(35)

Patrick Fridenson : «Histoire des Usines Renault », t. 1. '/Jaae 292 (Le Seuil. 1912).

(36)

Le bâtiment Astra fut acauis '/Jar la

S.A.U.R.

le 23 décembre 1925 de la société Astra-Nieu'/Jort. Le bâtiment Fiat fut acauis le 30 novembre 1933 de

M.

Gaveau, facteur d'oraues.

(37)

Carl Schi'/J'/Jert avait une secrétaire aui venait du bureau Mercedes de Paris. Il ne devait rester â ce '/Joste aue '/Jendant six mois. Il fut rem'/Jlacé '/Jar son adioint le '/Jrince Von Urach aui occu'/Ja la fonc­tion de commissaire allemand iusau'à la Libération ('/Jrécisions a'/J'/Jortées '/Jar Jean Guittard aui les doit à l'obliaeance de Monsieur P. Guérin). De son côté M.

P.

Pommier nous a indiqué aue la secré­taire de Von Urach était Mlle S:vbill.

(38)

A l'em'/Jlacement du fond du '/Jremier étaae de l'infirmerie centrale actuelle.

(39)

Fiat réauisitionné eut '/Jour chef d'atelier Schremmer venant é.aalement de Mercedes.

Cependant, dès septembre 1940, la production de camions reprend. «Les

installations qui, auparavant, étaient destinées aux automobiles étaient ca­pables de se convertir à un niveau beaucoup plus élevé de la production de camions, jusqu'à environ 2400/ mois ", car « Renault est une usine par­faitement intégrée pour la construction de véhicules automobiles et possède même la possibilité de fabriquer des machines-outils. Elle fait elle-même ses roulements à billes et ses pneus. Elle fabrique beaucoup de pièces pour le marché comme pour son propre usa­ge. Elle possède un important dépar­tement consacré à la réparation des camions" (40). Ce qui explique, pour septembre 1940, la production de 1 000 unités (41), le chiffre maximum de 1 500 sera atteint en juillet 1941 pour baisser ensuite sensiblement : 650 en décem­bre 1941. A partir de janvier 1942, la production augmente : 750 en janvier, 1 100 en février et les prévisions éta­blies à ce moment indique une crois­sance régulière : 1 150 pour mars et avril, 1 400 pour mai, 1 500 pour juin et 1 900 pour juillet. A fin février 1942, l'effectif atteint 20128 personnes (16403 ouvriers, 3725 collaborateurs) ; sur ce total on compte 2 044 femmes

parmi lesquelles 1 351 ouvrières.

Opération Highball

Le bombardement des usines françai­

ses posait de sérieux problèmes aux

Britanniques; non pour des raisons

techniques mais pour les conséquen­

ces psychologiques qui pourraient en

résulter. La décision ne pouvait être

prise que par la plus haute instance

responsable de la conduite de la

guerre : le cabinet de guerre présidé

par Winston Churchill. Il en fut saisi,

pour la première fois, le 8 janvier 1942

sur l'initiative du secrétaire d'État à

l'Air. Peu de choses ont transpiré de

cette réunion sinon une déclaration du

Lord du Sceau Privé qui fit valoir que

« le fait que nous n'ayons pas encore

bombardé ces usines est considéré

comme un signe de faiblesse de notre

part". Tout ce qu'on sait c'est que rien

ne fut déterminé en raison de la posi­

tion des chefs d'état-major. Ces der­

niers, en effet, tout en faisant préparer

par leurs services des opérations de

ce type, préféraient attaquer des objec­

tifs situés en Allemagne plutôt qu'en

France. Il fallait donc les convaincre,

ce qui fut fait par Sir Charles Portal

le 20 janvier. Le 2 février, I"e Cabinet

Bâtiment K 8.

de guerre put donc prendre la décision de lancer une série de bombardements sur des objectifs économiques fran­çais (42).

Le but de ces bombardements était non seulement de détruire les objec­tifs fixés mais aussi «de décourager la main-d' œuvre française à contribuer à l'effort de guerre allemand et de dé­montrer au peuple français la puis­sance offensive de nos bombardiers"

(43). Quatre opérations étaient pré­vues : Z 253 -Renault à Billancourt, Z 312 -Gnôme et Rhône à Gennevil­liers, Z 166 -Ford à Poissy et Z 204 ­Ateliers d'aviation à Villacoublay. Dans les instructions adresséès au comman­dant en chef du « Bomber Command ", il était insisté sur «J'objectif premier de ces opérations (qui) est la destruc­tion totale d'usines, prémice du destin qui attend les industries en territoire occupé qui continuent à travailler pour J'ennemi. 1/ est admis que la mort acci­dentelle de travailleurs et d'employés français est dans une certaine mesure inévitable, mais le bénéfice de J'attaque sera perdu et notre prestige dans la population en souffrira si un grand nombre de civils est tué alors que la cible attaquée n'est pas endommagée d'une façon décisive". C'est pourquoi était souligné « le besoin d'une organi­sation et d'une coordination soigneuse des attaques et d'un soin extrême de tous les équipages qui largueront les bombes pour qu'on ne puisse songer à aucun moment à un bombardement sans discrimination". Les usines Re­nault constituaient le premier objectif à atteindre «dès que les conditions météorologiques le permettraient.

Le Commandement des bombarde­ments mit aussitôt au point l'ordre d'opération nO 140. «L'usine Renault de moteurs et d'armements est non seulement l'usine de France la plus importante parmi celles travaillant pour l'ennemi mais elle est aussi particulière­ment bien adaptée pour une attaque avec de lourdes bombes GP et explo­sives» (44). Après avoir attribué le

nom de code Highball à l'opération, il précisait:

« La force de bombardement attaquera en trois vagues :

-force avancée : tous les Stirling et tous les Manchester et Halifax dispo­nibles autres que ceux équipés pour transporter des bombes de 4 000 livres pour lesquels existent des équipages de confiance.

-force principale : spécialement sé­lectionnée, composée de bombardiers moyens à J'exception des Wellington équipés pour les bombes de 4 000 li­vres. Les groupes devront choisir leurs équipages les plus appropriés.

-force arrière: tous les Manchester, Halifax et Wellington équipés pour le transport de bombes de 4 000 livres.

« Les avions de trois groupes devront attaquer la partie de la cible située dans l'I/e sur la Seine. Les autres atta­queront la partie principale de la cible située sur la rive.

(40)

Ra1J1JOrt du département amerwam des bombardements stratéQiaues 1945-194'"1 «< StrateQic bombinQ surve1J Renault motor vehicles plant Bilancourt» -Bibl. nat.J.

(41)

D'après le rapport américain un camion léQer est compté pour 1 unité. un camion m01Jen pour 11/6 unité.

(42)

P.R.O. Londres -AIR 20/2408 et notam­ment une note siQnée Bird du 21 .ianvier 1942 rendant compte de la préparation d'un raid sur les Usines Renault.

(43)

Lettre 3.46368/DCAS du vice-maréchal de l'Air N.R. Bottomle1J au commandant en chef du Bomber Command en date du 5 février 1942.

(44)

Bomber Command operation order no 140 du 6 février 1942.

Pont roulant effondré, bâtiment C 8.

«La force avancée attaquera entre

o heure et Z + 15 minutes. La force principale attaquera entre Z + 15 mi­nutes et Z + 45 minutes. L'arrière attaquera entre Z + 45 minutes et Z + 1 heure.

« Les forces avancée et principale atta­queront entre 1 000 et 4 000 pieds et la force arrière entre 4 000 et 6 000 pieds.

« Tous les avions transporteront le ma­ximum de fusées éclairantes compati­ble avec le nombre de bombes qui leur est alloué. Les avions de tête de la force avancée largueront un nombre suffisant de fusées éclairantes leur permettant de localiser et d'identifier la cible ».

Une note sur «la vulnérabilité de la cible» jointe à l'ordre d'opération excluait une attaque menée exclusive­ment avec des bombes incendiaires, « les structures des bâtiments contien­nent très peu de matériaux combusti­bles" et « les services de lutte contre le feu sont d'un très haut niveau. De plus, les pompiers de la ville sont par­mi les meilleurs du monde ». Par contre, elle notait que les 1re et 2e vagues seraient équipées de bombes lourdes amorcées pour exploser après avoir traversé la partie supérieure des toitures dans le but de faire s'écrouler ces dernières par le souffle p,ovoqué à l'intérieur des bâtiments, la 3e vague achevant la destruction par le larguage de bombes de 4 000 livres.

Il était prévu que 235 appareils appar­tenant aux groupes nOS l, 3, 4 et 5 par­ticiperaient au raid (20 Halifax, 23 Withley, 26 Manchester, 29 Stirling, 48 Hempden et 89 Wellington de diffé­rents types). Sur ce nombre, 13 n'at­teindront pas Billancourt pour des rai­sons diverses, un seul ayant été abattu par la D.C.A. allemande.

Il ne restait plus aux forces aenennes qu'à attendre l'ordre d'exécution. Il fut donné par le Quartier Général dans la journée du 3 mars, les conditions mé­téorologiques étant favorables. « L'état de la lune était bon pour un bombarde­ment de précision mais plutôt clair pour une cible très bien défendue. Les usines Renault de Billancourt ont donc été choisies et on a ordonné à des forces importantes d'attaquer à basse

altitude» (45).

Un peu avant vingt heures, les lourds bombardiers quittèrent leurs bases de départ, une heure et demie plus tard débutait pour Billancourt la nuit infer­nale.

(45) Rarl1Jort du Bomber Command 8ur le8 ovération8 de la nuit du 3 au 4 mar8 1942.

Messages adressés au Quartier général du Commandement des bombardements par le Groupe 1 (*)

20 h 55 Gazomètre touché, explose avec des bandes de flam­ 21 h 17 La cible est complètement enflammée quand nous arri­

mes orange, les bâtiments de J'extrémité ouest de la vons. Nos bombes explosent le long des ateliers d'essai

cible brûlent bien. des moteurs à essence et diesel.

20 h 58 Nous voyons exploser nos propres bombes parallèle­ 21 h 18 Explosion de bombes dans le coin ouest-nord-ouest

ment à la rive du fleuve à J'extrémité ouest-nord-ouest de J'endroit visé. Importante explosion de J'autre côté

du point visé. Voyons des éclairs bleus en ligne paral­ de l'atelier d'essai des moteurs dont nous voyons le

lèlement et légèrement au sud du bois de Boulogne. toit se désintégrer. Avons laissé le bâtiment en flam­

Un groupe de bombes passe ouest-sud-ouest vers mes. Il y a un important feu dans la zone des bureaux

est-no rd-est dépassant l'endroit visé et all.ant s'enfon­ et bâtiments adjacents quand nous approchons de la

cer dans des zones construites. cible.

21 h 02 La première bombe est tombée près du centre de la cible, les suivantes traversent le reste de la cible dans une direction nord-ouest. Une bombe de 1 000 livres a produit une explosion terrifiante dans un grand bâtiment 21 h 22 Des bombes explosent parmi les hangars et ments. La cible semble être en flammes arrivée. les bâti­à notre

au coin nord-est de la cible. Les toits semblent vouloir aller à la rencontre des avions. 21 h 23 Une bombe touche un important bâtiment vers est-ouest provoquant un éclair très vif se transformant en un

21 h 03 Les bombes encadrent la cible. Avons observé cinq important incendie visible à 50 miles.

feux importants sur la cible en arrivant. De la vapeur

s'échappe de la centrale électrique au nord de J'Ile. 21 h 24 Avons observé des bombes tomber sur les bâtiments

au centre de la rive nord suivi d'explosions.

21 h 04 La zone de la cible étai~ en feu quand les appareils

du groupe sont arrivés. Nos bombes explosaient au 21 h 30 Des bombes touchent des hangars au centre de la

nord de J'Ile et des incendies se déclaraient. cible, elles explosent avec un éclair aveuglant.

Des bombes de 1 000 livres explosent sur les bâtiments

21 h 05 Des bombes éclatent dans la partie est de la cible de l'usine situés sur la rive sud du fleuve. On suppose

suivies de grandes explosions et un bâtiment s'écrase que des bombes de 500 livres tombent le long de la

dans le fleuve. Un appareil rapporte que ses bombes rive nord.

sont tombées sur la cible, mais pas d'autre résultat

observé à cause de notre rapide départ nécessité par 21 h 35 Des bombes explosent au-delà de la cible du nord-ouest

J'encombrement. au sud-est. Des bâtiments à J'extrémité nord-est se

21 h 06 Bombes larguées sud-est-nord-ouest de l'autre côté de désintègrent avec des flammes brillantes. Des bombes encadrent la cible. Une bombe de

l'atelier d'essai des moteurs où on voit exploser une 1 000 livres explose sur les bureaux provoquant des

bombe de 1 000 livres, et d'un bâtiment au nord-ouest. incendies.

Toute la partie sud de la cible est en feu et le gazo­

mètre au nord-ouest de J'atelier d'essai a explosé peu après avoir été bombardé. Beaucoup de dégâts appa­rents tant dans J'usine que dans l'Ile. 21 h 38 Des bombes explosent de J'autre côté de la cible nord­ouest vers sud-est.

21 h 08 Cinq explosions sur le bâtiment situé à 1/4 de mile 21 h 40 Nos bombes tombent juste au nord-ouest des ateliers

au nord-est de l'Ile, la première sur la tour cylindrique. d'essai des moteurs diesel. Les bâtiments flambent bien.

Bâtiments désintégrés suivi d'incendies. Feu important Le département de réparation des véhicules est en feu.

vu pendant dix minutes après notre départ. Le centre de J'Ile est en flammes. Toutes explosions

observées dans les bâtiments entre les bureaux et

21 h 10 Bombes larguées d'un point de la berge opposé au J'atelier des moteurs diesel. Le bâtiment au nord de

point nord-ouest des ateliers de J'Ile en ligne droite l'atelier diesel explose projetant des débris à 1 000

par delà les ateliers au sud-est. Le souffle des explo­ pieds en l'air, des nuages de fumée montent à 1 000

sions a été nettement ressenti mais le résultat observé pieds. Les bâtiments derrière les bureaux au nord-ouest

a été l'incendie provoqué par la dernière bombe. Avant s'écroulent comme des jeux de cartes. (Cet appareil

d'atteindre la cible avons observé un foyer d'incendie a passé 45 minutes sur la cible).

important dégageant de la fumée près de J'endroit où Importante explosion verte dans le bâtiment à l'est de

la première bombe est tombée. l'atelier d'essai des moteurs. Le bâtiment situé au sud­

est de celui-ci est complètement éventré.

21 h 12 Explosions à proximité d'un incendie important au

bord du pont sur le point visé. Incendies sur le point 21 h 49 Toute la zone est en feu à notre arrivée. La lueur

visé visibles de 40 miles. Les fusées éclairantes ren­ est visible à 40-50 miles. Observons nos explosions

dent la cible visible de 20 miles. entre le gazomètre et l'atelier des moteurs diesel.

C*) P.R.O. Londres -AIR 25/7 -Operations record book -Group 1 January-June 1942.

Les heures indiquées devant chaque message sont celles de l'Europe occidentale. En 1942, la France avait été mise à l'heure de l'Europe centrale soit un décalage de 60 minutes. Les messages du groupe n° 1 couvrent donc le temps allant de 21 h 55 à 22 h 49 (heure française).

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Ce jour-là, comme à l'accoutumée, le personnel en « normale» quitta le tra­vail à 17 heures, les collaborateurs (46) suivant à 18 heures. Il ne restait plus dans l'usine que les ouvriers en équipe du soir, environ 1 000 personnes qui, ayant pris le travail à 14 heures 30, devaient le quitter à 22 heures 30, la relève étant assurée, de 22 heures 30 à 6 heures 30, par une équipe de nuit comprenant une centaine de per­sonnes.

Parmi le personnel de sécurité on comptait neuf pompiers dont un à l'usine O. Les pompiers étaient ins­tallés dans le bâtiment P, à l'entrée du pont qui mène à l'île Seguin. Aux 2e et 3e étages, logeait le chef du service incendie, M. Cloutot. Pour assurer leur service, les pompiers dis­posaient de deux vedettes, deux four­gons et un bateau, le Renault-fèu, qui

n'était autre que « La Bécasse », l'an­cien yacht de Louis Renault construit avant 1930 (47).

Quand l'état de danger aérien (48) fut donné, les pompiers de garde se ras­semblèrent, conformément aux ordres reçus, au rez-de-chaussée du bâtiment, prêts à intervenir.

«Quelques instants après, raconte le pompier Croquesel, des fusées éclai­rantes tombèrent de tous côtés, puis ce furent les bombes. M. Cloutot des­cendit de son appartement et, comme sa femme avait peur, il la conduisit aux carrières du Bas-Meudon (49). Les bom­bes continuaient à tomber. Le chef de poste, M. Chevalier, nous dit d'aller nous mettre à l'abri sans pour autant nous éloigner trop. Je me dirigeai rapi­dement vers celui qui était situé à la porte Zola, à G 7 sur le trottoir, juste au moment où je vis le monument de Marcel Renault (50) s'effondrer. C'est à ce moment-là qu'un éclat m'a sectionné les tendons de la main droite. »

Les bombardiers volant à faible alti­tude attaquaient l'objectif. A 23 heures 15, tout ètait consommé. Dans l'usine, les incendies faisaient rage. Sortant de leurs abris, les pompiers rejoi­gnirent leur poste, seul manquait le sapeur Croquesel qui, après s'être présentè à l'infirmerie de l'usine était dirigé vers l'hôpital Ambroise Paré qui l'envoya à l'hôpital Necker.

« Le premier foyer éteint (51) existait à l'atelier du poste des pompiers dans la réserve de tuyaux d'incendie. D'autres existaient dans l'ile Seguin, au 4e étage (peinture), au 3e étage (apprêts), au 2e étage (confection), au rez-de-chaus­sée (petit émaillage, fils électriques, montage des châssis), ainsi qu'aux tré­mis à déchets de bois et aux réservoirs à mazout de la centrale Seguin.

«Les secours se dirigèrent sur l'ile Seguin sous la direction de M. Dalo­dier. Le feu fut d'abord éteint aux 4" et 3e étages au moyen des extincteurs, puis attaqué simultanément au 2" étage et à l'atelier 147 au moyen de deux grosses lances branchées sur le Renault­feu. Pendant ce temps, M. Dalodier avait fait une reconnaissance à la cen­trale Seguin où il jugea sa position

(46)

Ce terme, depuis la Convention Collective de la métallurnie de .iuin 1936 désinnait les emplo:vés. anents de maîtrise. dessi­nateurs et techniciens.

(47)

«Le chalutier BÉCASSE est un t:vpe de bâteau du Nord. Ses formes très défen­dues et son arrière pointu du t:vpe nor­vénien en font un bateau extrêmement marin et très sûr. «Primitivement construit pour la pêche au chalut dans les durs paranes de la mer du Nord. il a ensuite été aménaGé en :vacht. L'espace disponible SOU8 le pont a permis des aménaGements spa­cieux et confortable8. Le moteur de pro­pulsion est un moteur Renault 8emi-diesel développant 80 ch à 300 tr/mn. du tupe Il M.B.I. muni d'un channement de mar­che ». (Extrait d'un texte édité par l'a.Gence Renault de Coutances Gui avait la char.Ge de vendre pour 150 000 francs le chalutier Gui appartenait personnelle­ment à Louis Renault. Il faut croire Gu'aucun acheteur ne se pré8enta PUi8­Gue nous retrouvons la BÉCASSE. douze ans plus tard. aménaGée en bateau-feu).

(48)

«L'état de danner aérien avait été 8iGnalé à la défense passive auelaue8 minute8 avant le bombardement. mais aucune sirène ne sinnala le début et la fin de l'alerte ». (Compte rendu du Maire de Boulonne en date du 15 mars 1942 -Arch. municipales).

(49)

Dè8 1939. les anciennes carrière8 creu­sées dans la craie situées dan8 les coteaux de Meudon. derrière la liGne de chemin de fer reliant la nare de Puteaux à celle d'I88u-plaine. avaient été aména­née8 en abris contre le8 bombardement8 aériens.

(50)

Pour les emplacement8 8uccessifs du monument. voir G. Hatru : «La mort traniaue de Marcel Renault ». (<< De Renault frères à la R.N.U.R ». no 4.

P. 117).

(51)

Rapport du service incendie rédiné par

M.

Cloutot le 4 mars 1942. (Arch.R.N.U.R.).

13

critique et me donna J'ordre de la pro­téger immédiatement. Les établisse­ments des ateliers 147 et 125 furent coupés et le Renault-feu dirigé sur la centrale où trois grosses lances furent établies avec J'aide du personnel de la centrale, J'extinction des réservoirs réalisés après quatre heures d'effort. Le Renault-feu fut ensuite ramené vers le centre de J' He et les foyers des ate­liers 30, 125, 147 et 203 éteints.

«Simultanément à ces opérations,

M. Lasne, venu de J'usine 0 à bicy­clette, s'employait avec une équipe de quatre pompiers, à dégager la télépho­niste prise sous les décombres, mais le feu les gagnant de vitesse, tous les efforts furent vains. Ensuite, il fit établir deux grosses lances dans les bâtiments de la Direction, bran'chées sur le four­gon-pompe mis en aspiration en Seine et préservait une grande partie des bureaux. Il fut aidé par les pompiers de Paris.

«Dès le début du bombardement, le pompier Croquesel a eu J'avant-bras droit déchiqueté. Il ne restait donc plus que sept hommes pour faire face à cette situation et cette équipe a dû être dédoublée dès le début des opé­rations, c'est-à-dire une équipe de qua­tre hommes avec M. Lasne pour les bureaux et une équipe de trois hom­mes avec moi pour J'ile Seguin. Cet effectif a été grossi assez rapidement par J'arrivée de huit pompiers au repos habitant près de J'usine, ce qui porta J'effectif total à quinze pompiers alors qu'il en aurait fallu le double. »

Pendant le reste de la nuit la lutte contre les incendies se poursuivit. Au petit matin, tous les foyers étaient cir­conscrits mais l'usine, à première vue, n'était plus qu'un amas de décom­bres : murs écroulés, charpentes effon­drées, chaussées défoncées.

De leur côté, les pompiers de Paris combattaient les incendies qui s'étaient déclarés dans différents quartiers de Boulogne Farman, rue de Silly; Salmson, rue du Point-du-Jour; chan­tier de bois, quai de Billancourt; garage Packard, quai de Boulogne; laboratoire, rue de Bellevue; atelier de carrosserie, avenue Édouard­Vaillant; immeubles, rue du Vieux­Pont-de-Sèvres, rue de Silly, rue de la Saussière, quai du Point-du-Jour, rue Francis-Garnier (52).

« Le personnel disponible ainsi que des équipes de sauvetage sont employés à dégager les victimes ensevelies sous les éboulements notamment rue du

AUX POPULATIONS DE 'LA FRÀ.NCE OCcUPÉE ~s"'''"

absolument slIr vous po~r ne pas relâchert en quoi qJie ce

soit~ vos efforts.

le tl1ome~nt est ~bien ch9isi., "Aujourd'hui no~ efforts

combinés peuvent atteindre leur effet maximum. L'enne­

mi qui, il y a un an, paraissait tout ...puissant, se tropve

aujourd'huÎ ,dal)s ~ne situation critiqüe. Harcelé en

Russie et en Afriqu~ il a besoip (Je tout, ~ur rééquiper

ses armées. En Russie., sÎ jamais il veut éviter la défaite

lotale, il n'a que peu de temps 'pour réparer ses,énormes

perteS en matériel.

Ouvriers fran~is, vous êtes ~e nouveau en éfa:t de por.

ter des coups directs contre les arm~ allemandes.

Ne ctaîgnez pas que les 'bombes que nO\;l~ "lançons en

France dim~nuent, le ,poids 4e 00;5 :attaq,4e$ ~ontre ~e,s

~entr.. industriels e!stratégiqùeSen AII~m"gne.c·est là

notre principale tlich~ -et elle durerà aus.si lon~tempa

qu'il,le faut. • . ' ':,.' ::. ,':" ,',

En France,' comme,'aille~r$t nos ohJ~tîfs, S?n~ ehQ;is~$

d~apr<~s des te~seîgne!11tHltS;,,~técis~ '~t ;t.fi,~ ,~e 4on,n~r, J,és

résultats les plus immédiats. .'" "

~ç'us v~r~ns' au~i';<~a~~ent ',~u~' ';s~ibJe,. ~',:~:<,';' :',

nous CO,nnaissons potre affa,ire. ,,' Il ~ ~':lra, çe~n<lllnt, ~es bgmbe. qùiPasJer0l't'!at~lemerii à:~!F·. . ....... :. ,'•. 1 Aidez-riousà·évli.,·!es' /iertès de YieS franÇaiSes: '\.::: ' ,

M~t~~vqU~ :~:: l'~,~b~/' ":(' ,'" "'<,,,~,~,';~" ):',,:<'\~':,,",;\,',~:,'?:L'; '>~ i

Élpl8fle~.sf~il?le; ';'l's'fal'r\ill~i dÜ:.vÇ;i'i~'ge\!e t~ut '

. objeetff ~verttucil:Ç;es:ôbj~fs.you.' le, cql!nai~âu~sj ,

b~J:~~~~~~.~re~d~:~r .... .i/::

Tract jeté au-dessus du territoire français par la R.A.F. (photo Bibl. nat.).

Liste des victimes Renault du bombardement du 3 mars 1942

Nom et prénom Atelier Profession

DURANTON Marie 653 Téléphoniste

GILLIOCQ Émile 110 Électricien

NEMER Ahmed 66 Manœuvre

SURUGUE Gustave 754 Manœuvre

LUZIN Émile 758 Gardien

LE LAY Jean-Pierre 537 Ouvrier spécialisé

CAUSON Charles 110 Électricien

(52) Quai de Billancourt (au? auai de Stalin­uradl. auai de Bouloune (au? Quai Alphonse-Le Gallo). amentœ Édouard­Vaillant (au,? avenue du Général-Leclerc).

Age

60 ans

50 ans

26 ans

37 ans

59 ans

40 ans

53 ans

Tract jeté au-dessus du territoire français par la R.A.F. (photo Bibl. nat.).

(53)

Rapport des pompiers de Paris.

(54)

«Volant très bas. ils reconnurent Qu'ils descendirent .ïuSQu'à 100 mètres d'alti­tude» (Déclarations d'aviateurs analais ­Émission de la France Libre du 29 mars 191,2 -Notes d'écoute de Pierre Mercier). Dans le compte rendu du Bomber Com­mand. il est fait mention d'altitudes variant de 1000 pieds (301, m) à 6000 pieds (1828 m).

(55)

Note 8ianée J.-W. Daker du 1, mar8 191,2.

(56)

Carte des points d'impact8 établis 1Jar la Municipalité de Bouloane JArch.muni­cipale8).

Vieux-Pont-de-Sèvres, rue Traversière, rue de Silly, rue de Paris. Les recher­ches et le dégagement des victimes seront poursuivis sur toute /'étendue de la zone bombardée. De nom­breux foyers peu importants seront éteints au fur et à mesure de leur réveil jusqu'au mardi 9 mars 1942 à 19 heures 30» (53).

Les victimes

Dans un large titre de première page, « Le Petit Parisien» du 5 mars annon­çait un nombre impressionnant de vic­times : 500 tués, 1 200 blessés. Ce bilan dressé au lendemain du bombar­dement, pour hâtif qu'il soit et destiné sans aucun doute à grandir le ressen­timent de la population à l'encontre des Anglais, devait se révéler cependant très proche de la réalité.

Certes, les militaires britanniques pou­vaient se féliciter de la façon dont le raid avait été exécuté. Le nombre impressionnant de fusées éclairantes larguées avait eu pour conséquence une «illumination remarquable» de l'objectif, l'absence totale de défense anti-aérienne avait permis un bombar­dement à très basse altitude (54), enfin et, pour la première fois, une partici­pation très importante d'avions confir­mait les vues de l'État-Major selon lesquelles une concentration de 200 appareils/heure était possible (55). Il n'en restait pas moins que sur 754 bombes de tous calibres larguées par la R.A.F., seules 288, soit moins de 40 %, étaient tombées à l'intérieur du périmètre des Usines. Dans les diffé­rents quartiers de Boulogne, on releva 396 points d'impact (56) et 70 bombes s'éparpillèrent sur les communes avoi­sinantes : Sèvres, Meudon, Clamart, Issy-les-Moulineaux et sur d'autres plus lointaines : Neuilly, Le Pecq et Rueil-Malmaison.

Sur les lieux du travail, on releva 5 morts et 2 blessés grièvement atteints qui devaient décéder quelques jours plus tard; parmi eux, une femme, Marie Duranton qui avait refusé de quitter son poste de téléphoniste.

Quant au nombre des blessés, il s'éle­vait à 35 dont une infirmière. On en comptait notamment 10 de l'atelier 81 (parc aux aciers), 4 de l'atelier 19 (fonte malléable), 4 du 185 (sciage des grumes), 3 de la centrale E, 3 de l'atelier 340...

Un état établi par la municipalité de

Boulogne mentionne 374 victimes déga­gées des ruines ou relevées sur la chaussée entre le 3 et le 16 mars, y compris 39 tués sur les lieux du travail (6 Renault, 22 Salmson, 10 Kellner, 1 S.N.CAC.). A ce nombre, il convient d'ajouter les décès enregistrés à Sèvres (28), Meudon (5), Issy-les-Mou­lineaux (22). Les hôpitaux de Paris, quant à eux, font état de 34 décès. Si nous incluons ces nombres à l'état de Boulogne on obtient un total de 463 victimes.

Parmi les tués habitant Boulogne, on en comptait 130 dans les rue adjacen­tes aux Usines : 72 au na 223 de la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres et 4 au 108 de la même rue; 13 rue Francis­Garnier (au na 2); 9 rue Jules-Ferry (aux nOS 3 et 10) ; 3 rue Nationale (no 5 et 23); 2 rue Liot (no 14); 4 avenue Émile-Zola (no 3); 12 quai de Billan­court (devenu quai de Stalingrad, nOS 4 et 19); 1 avenue Édouard-Vaillant (no 51), 8 rue de St-Cloud (devenue rue Yves-Kermen nOS 19, 40 et 42); 2 rue Traversière (no 20). Dans les rues pouvant être considérées comme hors du périmètre de l'Usine, on comptait 236 victimes : 51 rue de la Saussière (nOs 43, 45, 47, 50, 52) ; 85 rue de Paris (nos 11, 37,110,110 bis, 119 et 119 bis); 12 rue de Sèvres (nos 86, 88, 91 et 128); 6 route de la Reine (nos 36, 38, 39 et 88); 8 Sente de la Pyramide (nos 4, 5 et 13) ; 20 rue du Point-du-Jour (no 101) ; 16 rue de Silly (nos 62,78,81, 93, 110, 140, 158 et 172); 5 rue d'Aguesseau (nOS 131 et 134) ; 4 ave­nue des Moulineaux (devenue avenue Pierre-Grenier (nOS 35 et 55); 3 rue de la Paix (n09) ; 4 rue des Longs-Prés (n° 15) ; 4 rue de Seine (nOS 7 et 22) ; 3 rue Gallieni (nOS 181, 233) ; 3 quai du Point-du-Jour (no 56); 3 rue du Par­champ (no 17); 2 quai de Boulogne (devenu quai A. Le Gallo, n° 32); 1 boulevard Jean-Jaurès (no 228); 1 rue de Billancourt (no 43); 1 rue Louis-Pasteur; 1 rue Émile-Landrin (no 14 bis); 1 avenue Jean-Baptiste Clément (no 106); 1 rue Paul-Bert (n° 26) et 1 chaussée du Pont (n° 15).

. Les blessés furent certainement nom­breux mais leur recensement est diffi­cile. Certains d'entre eux reçurent les premiers soins à l'hôpital Ambroise Paré ou dans les postes d'urgence installés à la Mairie. Le service social de Boulogne en a dénombré 317; de leur côté, les hôpitaux de Paris en auraient admis 247.

15

Les dégâts

A la diligence de Jean-Louis Renault, un huissier, Me Desagneaux, fut invité à constater les dégâts subis par l'Usine. Il se présenta les 5, 6, 7, 10 et 23 mars. Il releva sur un plan les points de chute des bombes et procéda en­suite aux constatations par bâtiment, chacune d'entre elles étant accompa­gnée de photographies prises en sa présence.

A la suite de ce constat une note de synthèse fut établie. En voici le texte:

Bombes:

Nombre de points de chute rele­vés dans l'usine et dans les rues

adjacentes .................... 288

Nombre de bombes explosées .. 245

Nombre de bombes non explo­sées.. . . . . ........ . ... . . . . ... 43

Les chiffres se rapportant aux points de chute relevés dans l'usine et aux bombes explos'ées sont sûrement infé­rieurs à la réalité. Sur certains bâti­ments complètement ou partiellement détruits, le nombre de bombes n'a pu être compté avec précision.

1 -Bâtiments, charpentes de couverture et manutention. -10% de la surface couverte, soit

m2

environ 70000 sont à reconstruire

entièrement,

-70 % des tuiles sont détruites,

-60 % des tôles ondulées de couver­ture sont détruites,

-90 % des vitrages sont détruits,

-80 % des dessous de toitures sont

à refaire.

" -Installations.

a) Bureaux : les installations et le

matériel de bureau dans les bâtiments

administratifs sont presque entièrement

détruits.

b) Laboratoire et documentation : les

installations et le matériel sont entière­

ment détruits.

c) Égoûts, conduites de fluides

(vapeur, air, eau, oxygène, acétylène,

gaz) câbles et fils (force, lumière, télé­

phone) sont très endommagés soit en

aérien, soit en souterrain. Toutes les

ampoules électriques sont brisées.

d) Ateliers de fabrication : dégâts

importants dans les cI'laÎnes de mon­

tage, bureaux d'ateliers, fours, étuves,

gazogènes, établis, etc. ainsi que sur

les transmissions et courroies. En parti­

culier sur 160 ponts roulants, 50 envi­

ron sont endommagés et 7 entièrement

détruits (sous réserve d'examen plus

complet).

16

e) Magasins: le magasin général d'ou­

tillage (M.G.a.) est entièrement détruit.

Dégâts dans les magasins et ateliers.

f) Voie ferrée de l'usine : coupée en

de nombreux points.

'" -Machines-outils et matériel.

Sur un total d'environ 18000 machines,

500 environ sont entièrement détruites,

550 environ sont gravement endomma­

gées, 1 000 environ sont légèrement

endommagées.

Les machines électriques tournantes,

transformateurs, tableaux de distribu­

tion sont en partie détériorés.

Toutes les autres machines et le maté­

riel sont à remettre en état (détériora­

tions par suite d'intempéries ou par

projection ou chute de matériaux

divers).

IV -Outillage.

Les outillages de fabrication: matrices,

formes, montages d'usinage, gabarits,

modèles bois, modèles métalliques

sont en partie détruits ou détériorés.

Le petit outillage est partiellement

détruit (voir les magasins d'ateliers et

le M.G.a.). L'outillage de contrôle est

partiellement détruit.

V -Véhicules et organes.

Soit en cours de fabrication ou termi­

nés, soit en service, véhicules de

manutention, camions, tacots, cars

électriques, chariots, tracteurs, voi­

tures de tourisme, wagons (ainsi que

les automoteurs et péniches) sont en

partie détruits ou endommagés.

VI -Pièces brutes (en cours de fabri­

cation ou terminées) en partie détruites

ou endommagées.

VII -Matières premières et demi-pro­duits, sur parc, en magasins ou dans les chaînes, en partie détruits ou détériorés.

VIII -Combustibles, carburants, ingré­dients et produits chimiques détruits ou fortement endommagés.

Des indications plus précises allaient être données ultérieurement par les services spéCialisés de l'Usine. Une note (57) du 1er avril 1943 signale qu'en fait, en 1942, le parc-machines se composait de 18069 unités et un réca­pitulatif des destructions établi le 20 décembre 1943 (58) fait état d'une perte de 3 108 unités (721 machines détruites ou disparues, 800 gravement endommagées et 1 587 légèrement en­dommagées) dont l'âge moyen mini­mum s'établissait à 17,64 ans.

Mais « en dehors des effets directs du bombardement, beaucoup de machines se sont trouvées exposées pendant longtemps à la pluie et aux intempéries dans des bâtiments dont la couverture avait été ou totalement détruite ou en­dommagée. D'autre part, certaines ont reçu des gravats au moment du net­toyage des toitures ou de leur réfec­tion. Des poussières s'introduisant dans les organes ont parfois provoqué par la suite des usures anormales» (59).

(57)

Note 8iQnée P. Pommier (Arch. R.N.U.R.J.

(58)

Par P. Debo8 (Arch. R.N.U.R.J.

(59)

«Con8idération8 8UT certain8 facteur8 de la vroduction vendant la vériode d'occu­vation» (note de P. Debo8 du 23 novem­bre 191,1, -Arch. R.N.U.R.J.

Parmi les véhicules prêts à être livrés, 116 furent détruits et 606 endomma­gés. A l'atelier de réparation, parmi les camions de l'armée allemande qui y séjournaient, 9 furent détruits et 51 gravement détériorés. Ils appartenaient aux types : VTD, YFAC, ADH, ABFD, ZYAC, AGR, AGK, PRB, OS 5, AHN, AHS, AGC, ZPDF, UD 6 DE, AGC 3, ZPAG. Dans le stock d'organes du même atelier, on enregistrait la perte de 10 moteurs, 42 bielles diverses et 5 pompes à injection (60).

A l'extérieur de l'entreprise les dom­mages n'étaient pas moindres. Pour l'ensemble de la ville de Boulogne­Billancourt, 120 immeubles étaient détruits dont 13 de plus de trois éta­ges, 1 800 « abîmés» et 272 inhabita­bles. Les dégâts immobiliers s'éle­vaient, selon une estimation du service d'architecture, à f 1098343900 (61). Parmi les immeubles sinistrés, on en comptait 20 qui étaient propriété de la Société Anonyme des Usines Renault (62). Par un hasard quasi mira­culeux, l'hôpital Ambroise Paré, situé dans le quadrilatère formé par les rues Cast é j a, du Vieux-Pont-de-Sèvres, Yves-Kermen et avenue du Général­Leclerc, ne fut touché que par une seule bombe qui explosa à proximité du pavillon des enfants (63). Par contre l'église de l'Immaculée Conception, située à l'emplacement actuel de la

D.C.P.R.S. place Bir-Hakeim, fut gra­vement frappée, seuls un Christ et la statue de sainte Thérèse étant épar­gnés (64). Huit bombes tombèrent devant le musée national de la Céra­mique de Sèvres dont une à proximité de la loge de la concierge dont le mari fut tué (65).

« Dès le lendemain matin, vers 7 heu­res, raconte Francis Mahé, je me suis rendu à l'usine dont tous les abords immédiats offraient le pénible specta­cle qu'on imagine, tel que l'ont popu­larisé depuis toutes les photos et films de guerre dans tous les pays. Mais, le plus triste et le plus inquiétant était la découverte des immeubles d'habita­tion entourant l'usine et où l'on redou­tait d'apprendre la mort de col/ègues et d'amis quittés la veil/e au soir en pleine vie.

« J'ai retrouvé mon patron dans le cou­rant de la matinée, instal/é dans un bureau du bâtiment de la Direction, dont seule l'aile gauche (côté bureau de Louis Renault) avait été touchée. 1/ m'a immédiatement chargé de résou­dre le problème de /'information au personnel car il s'agissait d'abord de venir en aide et pour cela d'informer le personnel de ce qui al/ait se faire de suite pour le dépanner: payes spé­ciales, distribution de vivres et de vête­ments, de bois de chauffage, etc.

« Je me suis donc attelé à cette tâche urgente d'aide sociale. J'ai recherché des emplacements auprès des commer­çants dans les points «stratégiques» de Boulogne, la place Marcel-Sembat par exemple, où j'avais fait mettre un panneau d'affichage à la pharmacie située à l'angle de l'avenue Victor­Hugo et du boulevard Jean-Jaurès, et ensuite de faire imprimer et apposer les avis sur tous les panneaux. C'est ainsi que j'ai démarré en mars 1942 les «Avis Direction ".

Parmi le personnel de l'usine on recen­sait 120 sinistrés totaux et 900 partiels. Dans les jours qui suivirent le bombar­dement 2 500 000 francs en espèces leur furent distribués et le Comité d'aide aux sinistrés, constitué le 4 sep­tembre 1942, pouvait faire état des dons en nature suivants : 250 pièces de mobilier, 600 de vaisselle, 700 vête­ments divers; en outre 1 050 déména­gements avaient été assurés (66).

De son côté, la Municipalité de Bou­logne instituait une carte de sinistré qui fut délivrée à 9548 personnes. Les secours suivants furent attribués

Secours en espèces :

Allocations aux sinistrés journalières .......... 2 184017 F

Secours provenant de dons. . . . . . . . . . . . . . . . .. 3438262 F

Sommes versées directe-

par les donateurs aux familles signalées par ser­vice social ............ 220000 F

Sommes versées par l'in­termédiaire du service

social ................. 180 000 F

Secours d'urgence (103 secours) par le Secours national local .......... 44 155 F

Secours variables donnés

par le Secours national local (500, 250, 100 francs à 4478 familles) ........ 2235350 F

Secours versés par le Syndicat des Métaux ... 500 000 F

Des secours importants furent égaIe­ment versés par la Préfecture de la Seine et le Comité ouvrier de secours immédiat (C.O.S.L).

Secours en nature : Bons de chaussures 5571 Bons de vêtements. . . . . . . . .. 31 690 Bons d'alcool à brûler de

1 litre ..................... 1 800

Bons de pétrole de 1/2 litre .. 500 Bons de paquets de bougies . 250 Bons de savonnettes ....... . 1830 Bons de savon (75 g) pour

linge ..................... . 1500 Feuilles de tickets : Pain ..................... . 12990

Denrées diverses ......... . 9650 Viande ................... . 9300 Bons pour un tonnage de

charbon de ............... . 1600 Repas servis par le Secours national : Petits déjeuners ............ 18200 Déjeuners ................. 78034

Dîners .................... 60 143 Boissons chaudes .......... 18 200 Vestiaires (Secours national) :

Nombre de personnes ..... . 10780 Pièces fournies ............ . 43884 Chaussures ............... . 4086

(60)

Note de P. Ladreut du 16 mai 191,1, (Arch. R.N.U.R.). Selon Marcel Amand. l'atelier de réparations travaillait à 95 % pour les forces d'occupation. Pour la remise en état des véhicules. les Alle­mands devaient présenter un bon éma­nant du Krafthart-Park 503 de Courbe­voie ou 513 de Vincennes. La validité de ces bons donna souvent lieu à des inci­dents. les Français exioeant Gu'ils soient riooureusement conformes au modèle créé par l'administration allemande.

(61)

Compte rendu du Maire de Bouloone (Arch. municipales).

(62)

D'après une note du service immobilier de la S.A.U.R. en date du 18 mai 191,2 (Arch. R.N.U.R.). Les immeubles sinis­trés étaient situés : 9. rue Heinrich. 31. avenue Émile-Zola. 16. 71. 79 et 81. rue de St-Cloud (rue Yves-Kermen). 9. rue Francis-Garnier. 121. 157 et 163. avenue Édouard-Vaillant (Général-Leclerc). 1,0. 1,5 et 1,7. rue Traversière. 3. rue Théodore.

12. rue de Meudon, 4. rue Nationale. 12, Guai de Billancourt (StalinGrad). 183 et 185. rue du Vieux-Pont-de-Sèvres.

2. Guai de Boulorme (A. Le Gallo).

(63)

Le personnel de l'hôpital put ainsi soi­oner les blessés. Cependant. en raison de sa situation. l'Administration. dès le len­demain du bombardement décida l'éva­cuation de l'hôpital Gui fut transféré dans le XVIe arrondissement de Paris. «On vit alors arriver par dizaines des «pira­tes» Gui pillèrent les bâtiments ». (Témoi­anaae de Mme Rose Besnard recueilli par C. Alexandre).

(64)

«L'Illustration» du 14 mars 1942 publia une photo prise de l'intérieur de l'éalise en ruines. (Document communiGué par Pierre Mercier).

(65)

Pierre Mercier au lendemain du bombar­dement a relevé sur une carte les huit points d'impacts. M. H.-P. Fourest l'ac­tuel conservateur en chef du Musée indi­Gue par contre «Gue l'on a touiours estimé à 17 le nombre des bombes tom­bées sur le bâtiment et aux alentours. Je sais Gue le mari de la concierae fut tué et sa femme blessée. Le briaadier -du Musée et sa femme furent ensevelis sous des décombres et ne purent être déaaGés Gue le lendemain. Elle dut subir une tré­panation ». Quant aux déGâts. selon

M.

Fourest. ils ne furent iamais chiffrés ce Gui n'empêcha pas L'Œuvre du 6 mars 191,2 de les évaluer à environ 50 millions de francs.

(66)

Chiffres cités par M. Guillemard. Direc­teur des Services sociaux. les 29 ianvier et 9 février 191,3. lors de ses conférences aux Inoénieurs débutants (Fonds histo­riGue de la S.H.U.R.).

Les usines Renault travaillaient pour l'armée allemande

Tract jeté au-dessus du territoire français par la R.A.F. (photo Bibl. nat.).

En outre, le Secours national fut chargé des distributions suivantes : 8000 paquets de cigarettes mis à la disposition par le Ministère de l'Inté­rieur; 17 508 kg de navets, carottes et oranges répartiS entre les com­munes sinistrées de Seine et de Seine-et-Oise; 900 kg de beurre distri­bués à 3600 personnes : 500 kg de lavocine et 1 000 kg de savon distri­bués à 5700 personnes; 8 caisses de poulets, 7 caisses de lapins et 3 mou­tons utilisés en cuisine pour la confec­tion de 4430 repas (67).

La Récupération

Les Français de Londres faisaient preuve d'un bel optimisme quand ils annonçaient dans leur journal (68), ci­tant une dépêche d'un correspondant du TIMES à la frontière française, que «les usines Renault ont subi des dé­gâts si considérables... que leur réfec­tion nécessiterait des travaux d'une année au moins, lesquels, dans les cir­constances actuelles ne sauraient être entrepris... Les choses resteront donc en état jusqu'à la fin de la guerre... quant aux ouvriers qui se trouveront mis en chomâge forcé, ils seront affec­tés à des travaux agricoles... ». Il est vrai qu'une dizaine de jours plus tard (69), Cet optimisme se trouvait tempéré par l'annonce que Louis Renault avait décidé de reconstruire ses usines.

« Les Allemands lui ont offert les maté­riaux nécessaires à cette reconstruc­tion et l'offre a été acceptée. On ignore toutefois si les nouvelles usines seront édifiées· sur l'ancien emplacement ».

En fait, si les usines avaient subi d'in­contestables dommages, elles n'étaient pas pour autant mises hors d'état de produire. Mais, faut-il croire Saint-Loup quand il affirme (70) que «les usines Renault ont été frappées ... mais juste­ment dans leurs parties qui ne travail­laient pas pour les Allemands»? Certes, «les estimations de perte de production furent largement supérieu­res à la réalité. On estima que la re­prise en main prendrait des années alors que la production d'avant l'atta­que fut dépassée en quatre mois» (71) ;

mais, il n'en reste pas moins que toute production fut arrêtée pendant trois ou quatre semaines et que, pour la pério­de de mars à juillet 1942, la perte en camions se chiffra à 2 272.

Le 4 mars au matin donc, la question se posa : «Fallait-il ou non recons­truire l'usine? ». Dans l'hypothèse de la non-reconstruction, il était hors de doute que les ouvriers mis en chô­mage ne seraient pas àffectés à des « travaux agricoles », le Reich hitlérien avait trop besoin de main-d'œuvre qualifiée pour la laisser s'éparpiller dans les campagnes sans profit pour lui. Bien au contraire, il la prendrait en

charge pour l'envoyer dans ses pro­

pres usines.

De fait, dès les premières heures de

la matinée, trois généraux allemands dont le Commandant du « Grand Paris» arrivaient à l'usine. Après avoir pré­senté leurs condoléances et affirmé qu'il n'y avait pas lieu d'avoir d'inquié­tude pour l'entreprise, ils rejoignaient le prince Von Urach. La Direction générale ne pouvait connaître encore l'étendue des dégâts mais elle sentait la menace qui pesait sur l'entreprise et son personnel. Elle en fit part au repré­sentant du ministre du Travail qui la rejoignit vers 11 heures. Mais, à cette heure, elle avait déjà pris sa décision : minimiser les destructions et recons­truire. Louis Renault arrivé d'Herque­

(67)

De nombreux conseils munivaux firent des dons aux communes sinistrées. Dans sa séance du 30 .iuin 1942. le Conseil Muni­cival de BoulolJne remercia ceux de N euilhl (subvention de 25 000 francs) et d'AllJer (50 000 francs à révartir entre les différentes communes sinistrées). En novembre, le maréchal Pétain fit un don de 250000 francs en faveur des enfants de BoulolJne-Billancourt réfuaiés en vro­vince. (Séance du Conseil Municival du 26 novembre 1942).

(68)

«France» du 19 mars 1942.

(69)

«France» du 30 mars 1942.

(70)

Saint-Louv : «Renault de Billancourt ».

D. 302.

(71) Ravvort du dévartement américain des bombardements stratélJiaues.

ville, peu de temps après, confirma cette position (72). «La reconstruction serait concentrée sur la production de camions moyens et les ateliers consa­crés à la fabrication et au montage des moteurs. On accorderait une priorité moindre aux pièces de rechange" (73).

Et l'usine se remit à l'œuvre.

D'abord, déblayer les ruines. 753369 heures de travail y furent consacrées et fin avril tout était terminé. Ensuite, reconstruire les bâtiments détruits ou détériorés. Avec l'aide d'entreprises extérieures, 1 000 ouvriers des Usines y furent affectés. Les travaux qui nécessitèrent 4705036 heures de tra­vail furent achevés en cinq mois et demi. Pour mener à bien cette tâche, on employa: 8075 tonnes d'aciers de tous types, 6800 tonnes de ciment, 2 800000 briques, 180000 m2 de verre

m2

coloré, 50000 de glace ordinaire,

m2

20000 de bardeaux, 1 500000 tui­

m3

les, 3200 de cadres en bois, 90000 m2 de toiture, 20000 m3 de plâ­tre brut et 700 tonnes de mastic.

Parallèlement, la production reprend. Les dégâts survenus aux camions ter­mmes ou en cours sont réparés, 438314 heures de travail seront néces­saires. La production de camions légers qui n'avait été que très peu retardée, à cause des dégâts moins importants survenus aux installations et à des stocks de pièces de rechange plus importants, reprend. Néanmoins, on dut baisser les standards de vérifica­tion, ce qui réduisit le taux des rejets par l'acceptation de nombreuses piè­ces défectueuses (74).

Un raid terroriste ou une nécessité douloureuse ?

« Le 23 février 1942, Sir Arthur Harris devient commandant en chef de /'avia­tion de bombardement (76). On lui avait injustement reproché d'être un ogre assoiffé de sang. A quoi il répondait qu'il faisait uniquement ce que le Cabi­net de guerre (c'estcà-dire Churchill) lui disait de faire.

(72)

Témoinnane de Jean Hubert. à l'épo~ue. secrétaire nénéral des Usines. M. Hubert a souvenir d'une réunion oui se tint dans le hall du bâtiment de la Direction au cours de la~uelle Louis Renault. bien oue parlant difficilement. a dit «on reba­tit l'usine et on tourne ».

(73)

Rapport du département américain des bombardements stratéaioues.

(74)

Tous les chiffres oui précèdent sont extraits du Rapport américain.

(75) Témoinnane de M. Visane. Le 1er mai 1943. un nouvel atelier fut créé au Chesnau. le 430 (boulons -bielles -pis­tons fonte) et de nouveaux numéros attribués au 361 oui devint le Ml6 et au 68 oui devint le Ml9.

(76) Annus Calder: «L'Annleterre en nuerre ». P. 282-283 (Gallimard. 1912).

Tract jeté au-dessus du territoire français par la R.A.F.

(photo Bibl. nat.).

D'autre part, des ateliers sont dépla­cés : 22 sur un total de 300; il s'agit de ceux consacrés à la fabrication des vannes, des pistons, des ressorts, des écrous, des clavettes, des pompes à huile. Certains d'entre eux sont trans­férés hors de Billancourt; c'est le cas des ateliers 367 (culbuteurs, chambres à combustion, coussinets élastiques) et 68 (bagues bronze) qui se retrou­vent au Chesnay, près de Versailles, dans un bâtiment neuf appartenant aux Établissements Bauche (75).

Toutes ces mesures expliquent la rapi­dité avec laquelle l'usine reprit sa marche. En mars: 200 unités, en avril : 350, en mai : 900, en juin : 1 200, en juillet: 1 520. Sans atteindre les chif­fres prévisionnels (1 150 pour mars et avril, 1 400 pour mai, 1 500 pour JUIn et 1 900 pour juillet), il n'en reste pas moins que dès fin juin, l'usine a retrouvé son rythme. La récupération n'aura donc duré que trois mois.

" France", édité par les Français libres de Londres, annonce dans son numéro du 5 mars, le bom­bardement" des usines de la Région parisienne fabriquant des armements pour le Reich" (photo Bibl. nat.).

Affiche apposée dans l'usine le 10 mars 1942 (Communiquée par Jean Hubert).

« Lindemann (77) avait convaincu Chur­chill que, pour arrêter l'Allemagne, il fallait attaquer les maisons de la classe ouvrière. Quand Harris prit son com­mandement « on pensait généralement, a-t-il noté, que le principal objectif du bombardement était d'attaquer le moral des travailleurs de /'industrie ». « Il était d'ailleurs lui-même fort impression­né par les possibilités des raids incen­diaires, et il ordonna une attaque expé­rimentale sur le port de Lübeck, ville historique d'une grande beauté ». « Ce n'était pas une cible vitale, a-t-il écrit, mais il me sembla préférable de détrui­re une ville industrielle d'importance moyenne que de manquer de détruire une grande ville industrielle ». «Dans la nuit du 28 au 29 mars, la moitié au moins de la ville fut détruite par une attaque incendiaire concentrée» (7,8).

Le bombardement de Billancourt peut-il être classé dans la catégorie des raids de terreur ordonnés par le Cabinet de guerre britannique? Certainement pas, et nous avons vu que la décision d'attaquer des objectifs économiques en France occupée ne fut pas facile à prendre. Cependant, l'argument pre­mier des Britanniques «Renault fabri­que des tanks» ne correspondait pas à la réalité (79).

Un tract (80) lancé par l'aviation britan­nique sur les territoires occupés à l'au­tomne 1941 et représentant des tanks de l'armée allemande pris par les Russes affirmait : «Ce ne sont pas des tanks allemands, mais des tanks français. Examinez bien, si vous con­naissez le matériel français, leur train de roulement avec son triple jeu d'amortisseurs. Ce sont les chars Re­nault 35 de l'Armée française. Ces chars que les Allemands emploient au­jourd'hui contre la Russie furent pris à l'armée française avant l'armistice ou fabriqués depuis dans des usines ,fran­çaises sous le contrôle allemand ».

On le sait, Renault ne fabriquait pas de tanks et un autre tract diffusé quelques jours après l'attaque le reconnaissait implicitement «la production annuelle de camions en France est évaluée au­jourd'hui à 40-50 mille, soit plus que le double de' celle de l'année qui pré­céda la guerre. Cette production est presque entièrement dirigée sur l'Alle­magne et suffit à' doter avec le trans­port nécessaire 20-30 divisions d'in­fanterie motorisée. Les usines Renault produisaient 25 % de ce chiffre ».

Mais, tanks ou camions, Renault tra­vaille pour l'Allemagne, et le gouverne­ment britannique a l'intention de frap­per la machine de guerre allemande partout où elle se trouve. Il le dit et le répète suries ondes de la B.B.C. Il le proclame dans ses appels aux populations de la France occupée :

«Les ouvriers français qui travaillent actuellement, non seulement dans les usines de guerre, mais dans n'importe quelle industrie aux ordres des Alle­mands, contribuent directement ou indi­rectement au potentiel de guerre de l'Allemagne ». Ils doivent donc « adop­ter d'urgence les mesures suivantes :

10 Éloigner leurs familles du voisinage de ces usines. 20

Trouver si possible un autre emploi

à la campagne.

30 Dans l'impossibilité de partir, insis­

ter sur des mesures de protection ab­

solue.

40 Se mettre en grève. »

La R.A.F. va attaquer progressivement toutes les usines qui, en France occu­pée, travaillent pour le compte de Hitler. «Nous savons que vous nous approuverez, . disent les Anglais aux ouvriers français. La R.A.F. fera de son mieux pour toucher les objectifs et rien que les objectifs... Nous viserons aussi exactement que possible et... nous connaissons notre affaire. 1/ y aura

cependant des bombes qui passeront fatalement de côté. Mettez-vous à l'abri ".

De fait, après Renault, d'autres usines subissent le même sort, à commencer le 6 avril par Ford à Poissy. Ainsi donc le bombardement de Renault, loin d'être une action de terreur, fut une nécessité douloureuse imposée par la guerre.

(77)

Ami intime de W. Churchill. devenu Lord Cherwell en 1941.

(78)

La répon8e allemande fut le8 raids dit8 « beadeker» 8Ur Exeter. Bath. Norwich. York et Canterburu.

(79)

Le 4 mar8 1942 le8 iournaux analai8 et notamment le DaHu Mail et le DaHu Expre88 aocréditaient cette idée par leur8 titres de première paae : «La R.A.F. bombarde l'usine de tanks Renault ». Hitler perd 8es tank8 fabriaué8 en France ».

(80)

Mot d'oriaine analai8e.

Tract jeté au-dessus du territoire français par la R.A.F. (photo Bibl. nat.).

Une contribution à l'apparition de l'aube

Cependant, pour atroce qu'il fût, le

bombardement du 3 mars ne souleva pas l'indignation de la population pari­sienne. Malgré l'exploitation forcenée de l'événement auquelle se livra la presse collaborationniste, malgré les communiqués et les reportages diffu­sés par la radio sous contrôle alle­mand, malgré les déclarations officiel­les et les mesures prises par le gou­vernement de Vichy, on ne put que déplorer -selon une expression de l'époque -'« l'indifférence coupable de la population ". «On ose à peine le croire, lit-on dans les -« Nouveaux Temps» (81l , indépéndamment des ex­Français (82), il Y a encore en France, à Paris même, des Français qui se ré­jouissent du bombardement du 3 mars. Ces admirateurs de la R.A.F. sont-ils nombreux? Sont-ils rares, volubiles, mystére! MAIS ILS EXISTENT». De son côté «Le Petit Parisien» (83) affirmait son intention de poursuivre sa campa­gne de protestation « en dépit de ceux qui persistent à nous écrire, menaçants, qu'ils souhaitent que la R.A.F. réédite ces exploits ».

En vérité, aucun Français ne pouvait se réjouir du bombardement; on ne rit pas quand les victimes sont des êtres humains, quand elles sont une partie de soi-même. Mais, en ce troisième printemps de la guerre, la population commençait à comprendre l'immense entreprise d'asservissement dévelop­pée par Hitler. «Une fraction importante du peuple français n'a pas encore com­pris le sens de cette guerre. Il y a encore un grand nombre de Français qui considèrent l'Angleterre comme l'alliée continuant la lutte contre le na­zisme, une alliée dont dépend le sort de la France» (84) ; car « ••• ses alliés et le général de Gaulle continuent à commander les sympathies des trois quarts de la population française et les espoirs secrets de toutes les parties de cette population» (85). «Le raid de la R.A.F . ... n'a pas seulement détruit des maisons et causé des morts, il a jeté la confusion dans les esprits et -a confirmé /'incapacité de certains Fran­çais à percevoir la réalité et à disso­cier les vrais intérêts de la Nation de leurs conceptions brumeuses et de leurs préjugés» (86).

La réalité? Les Parisiens pouvaient la percevoir en lisant, le 9 mars, une affi­che apposée sur les murs de la capi­tale qui annonçait, sous la signature du Commandant du Grand Paris, SOURCES Schaumburg, que «vingt communistes

Archives de la R.N.U.R., de la ville de Bou­

et juifs» venaient d'être fusillés. Quoi

logne.

d'étonnant alors qu'ils mettent tous

Bibliothèque nationale (tracts anglais et

leurs espoirs dans les alliés?

journaux).

«Nous espérons tous qu'un jour les «The United States strategie bombing sur­Alliés, débarqués sur le sol de France, vey (Renault motor vehicles plant Billan­écrit Georges Gorse (87), Y repousse­court, Paris », (1 re édition novembre 1945).

ront, mètre par mètre, l'ennemi. Alors P.R.O. Londres :

songeons aussi que cela ne sera pas AIR 20/2408 -« Bombing of French factories

sans que des Français meurent sous 8-1-1942/11-4-1942 ».

AIR 14/755 -« Directives to No. 4 group ».

les bombes, sans que des villages AIR 14/3408 -« Final reports on operations

français ne soient rasés. Si nous vou­

raids, February-September 1942 ».

Ions la libération de la France, il nous

AIR 24/241 -«Operations records books

faut admettre en serrant les dents que

appendices. Bomber Commando -March

les Anglais bombardent Paris occupé

1942. Operations branch D. par l'ennemi comme les Allemands ont AIR 25/7 -«Operations record book. bombardé Londres, et que des Fran­Group 1 -January-June 1942 D. çais tombent sous des bombes alliées,

OUVRAGES CONSULTÉS : victimes de la seule Allemagne au Henri Amouroux, « La vie des Français sous même titre que les morts de la campa­l'occupation» (Paris, 1961). gne de 1940 et que les fusillés de Robert O. Paxton. «La France de Vichy» Nantes et Paris. Les ouvriers de Bou­(Paris, 1972).

Hervé Villeré, « L'affaire-de.la Section spé­

logne-Billancourt ont eu raison de voir ciale» (Paris, 1973).

dans les raids de mars une promesse

Patrick Fridenson, «Histoire des Usines

de libération. Et ceux d'entre eux qui

Renault» (Paris, 1972).

sont morts ont apporté eux aussi « leur

Saint-Loup, « Renault de Billancourt D (Paris,

contribution à l'apparition de l'aube ».

1961). Angus Calder, «L'Angleterre en guerre» Gilbert HATRY (Paris, 1972).

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidé dans ce travail et notamment MM. Jean Guittard et Paul Pommier qui ont bien voulu -apporter des corrections au texte d'origine, Patrick Fridenson qui a consulté les archives anwaises, Mlle Alexandre pour ses recherches dans les archives municipales et aussi ma fille, Francine, pour ses traductions.

(81)

du '"1 mars 1942. court» vublié var «France-Tou.iours»

(Le Caire. Mars 1942).

(82)

Cette exvression désinnait les Francais de Londres et ceux vivant outre-mer (85) Le «Rénime Fascita» extrait de Geornes

dans les territoires ralliés au nénéral Gorse art. cit.

de Gaulle. ­

(86) «L'Avenir du Plateau central» extrait de

(83)

du 13 mars 1942 sous la sinnature de Geornes Gorse art. cit. Claude Jeantet.

(87) En écrivant ·~on article. Georaes Gorse

(84)

Citation du «Borsen Zeituna ». extraite sonneait-il Gue. trente ans vlus tard. il de Geornes Gorse « Boulonne-Billan-serait maire de Boulonne-Billancourt?

Carte des points d'impacts des bombes sur le territoire occupé par les usines (Archives R.N.U.R.).

Carte montrant les destructions opérées par la R.A.F. (Archives R.N.UR).