01 - La grève du chronométrage (1912-1913)

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La grève du chronométrage

(1912 -1913)

Le mardi 11 février 1913, vers 8 heures, un grand nombre d'ouvriers grévistes se retrouvaient place Na­tionale et dans les rues avoisinantes. Des groupes se formaient, discutant avec animation. Pour tous ceux qui étaient ainsi assemblés il s'agissait de savoir ce qu'il convenait de faire: attendre un signe de la direction et reprendre avec elle les pourparlers interrompus la veille, ou entrer dans les ateliers pour débaucher les hési­tants et rendre général l'arrêt de travail. Finalement et spontanément ils choisirent la seconde solution.

Alors empruntant la rue Gustave­Sandoz (1) ils pénétrèrent dans l'usine A, puis dans l'usine C. Partout le débauchage (2) s'opéra sans dif­ficulté. A 10 heures, le travail avait cessé dans tous les ateliers.

Ainsi s'ouvrait le dernier acte du conflit qui, depuis plusieurs mois déjà, opposait la direction à ses ouvriers.

L'origine du conflit

Louis Renault s'efforçait alors d'im­planter dans son usine le système cree par l'ingénieur amencain

F.W. Taylor (3). Une récente visite aux États-Unis l'avait persuadé de tout mettre en œuvre pour y réussir, assuré de voir là le seul moyen qui lui permettrait de faire face à la concurrence, tant allemande qu'amé­ricaine, qui se manifestait sur le marché. Mais il s'agissait d'une trans­formation profonde qui ne pouvait s'opérer sans heurt, car elle consacrait une rupture brutale avec les habitudes. Dès l'origine de l'entreprise, en effet, les ouvriers avaient été rémunérés à l'heure ou aux pièces. Comme l'indi­quait le règlement général publié en 1906: « les travaux étaient générale­ment remis à forfait à un ou plusieurs ouvriers en équipe, à des prix établis par le service du chronométrage. Si les délais étaient réduits, les ouvriers avaient droit à un boni. Cependant les pièces loupées étaient retouchées sur le compte de l'ouvrier, mais, si elles ne pouvaient être retouchées, le prix du travail payé ainsi que la moitié du prix de la matière employée, étaient déduits du compte de l'ouvrier au moment du règlement du bon de travail )}.

Ce mode de rémunération, d'ailleurs très traditionnel à l'époque, même s'il ne donnait pas satisfaction à l'ouvrier, ne portait cependant pas atteinte à ce que ce dernier consi­dérait comme sa dignité d'homme: il exécutait son travail comme il l'entendait, sans intervention étran­gère, il affûtait lui-même ses outils, il faisait preuve d'initiative et avait ainsi une influence directe sur la

production.

Le système Taylor

Avec le système de l'ingénieur Taylor il en allait autrement. L'idée dominante de Taylor, affirmée dans son livre qui venait de paraître en France (4) était que « l'ouvrier ne produit en général qu'une infime partie du tra­vail qu'il est susceptible de produire )}.

Et cela pour deux raisons essentielles: d'abord parce que «la direction de l'usine ne sait pas organiser le travail pour en tirer tout le rendement possible, ensuite parce que l'ouvrier ne cherche pas à produire tout ce dont ii est capable. Il limite son travail, soit par indifférence, soit pour éviter qu'on lui demande de faire pl us qu'il n'a fait auparavant)}.

Mais pour obtenir de l'ouvrier un rendement plus considérable, il faut «fixer les salaires en utilisant les seules connaissances techniques des ingénieurs et majorer les salaires des bons ouvriers. Dans ces conditions on peut arriver à tripler et même quadrupler le rendement. Pour fixer les salaires en dehors de toute inter­vention de l'ouvrier, les ingénieurs doivent au préalable faire une étude très détaillée, et chronométrée, de toutes les opérations élémentaires du travail. Au besoin ils mettront eux­mêmes la main à la pâte)}.

Cependant l'application du système Taylor est toujours délicate. Il faut à l'origine « user de beaucoup d'habi­leté pour améliorer, malgré lui, le bien-être de l'ouvrier et il faut égaIe­ment montrer une grande connais­sance des hommes )}.

(1)

Aujourd'hui englobée dans l'usine (de la plac3 Nationale à l'avenue ~mile-Zola).

(2)

On ne disait pas encore débrayage.

(3)

Taylor (Frédéric-Winslow) Ingénieur et écono­miste américain né à Garmantown en 1856, mort à Philadelphie en 1915. Connu pour l'invention des aciers à coupe rapide (1900) et au vanadium (1906) permettant de tailler les métaux avec une grande vitesse, et surtout par sa création d'un ~ystème relatif à une organisation rationnelle du travaIl appelé aussI taylorisme.

(4)

{( Principes d'organisation scientifique des usines» (Paris 1912 -Dunod et Pinat).

Second point, la méthode Taylor est impitoyable: «elle élimine les non­valeurs et ceux qui ont dépassé l'âge de la pleine activité musculaire. Ici on songe au mot rapporté na­guère par Fraser, cet ingénieur an­glais, ayant visité Pittsburgh et ayant été frappé de ce fait qu'il y rencon­trait des ouvriers jeunes et vigoureux, demanda à l'ingénieur qui le pilotait: Où sont donc vos vieux ouvriers? D'abord l'Américain ne répondit pas, puis devant l'insistance de Fraser il lui tendit son étui à cigares et dit négligemment: Prenez-donc ce ci­gare et, tout en fumant, nous irons visiter le cimetière)} (5).

Une application irraisonnée

L'instauration du système Taylor était loin de faire l'unanimité dans les rangs mêmes de la direction et parmi les contremaîtres. Certains, par­mi les chefs de service y étaient opposés, non sur le fond car le développement de la production im­posait une nouvelle organisation, mais sur la forme. Le chef du chronomé­trage, M. de Ram (6), estimait certes {( qu'il était très bien de chronométrer et de fixer aux ouvriers un temps pour l'exécution de leurs travaux)} mais encore «fallait-il mettre à leur dispo­sition les moyens qui leur permettent d'exécuter le travail dans le temps qu'on leur impose)}. Il aurait fallu des outillages suffisamment puissants pour éviter toute perte de temps aux guichets de distributions et pour re­mettre et maintenir en bon état les machines-outils et le petit outillage. «Or, d'une façon générale, les ma­chines-outils sont dans un état d'en­tretien déplorable )}. Avant donc toute mise en application du système « il convient de prévoir une organisation nouvelle et obtenir la confiance des ouvriers )}.

Mais Louis Renault n'était pas homme à entendre raison. Il avait décidé d'appliquer le système Taylor; il l'appliquerait donc quelles qu'en fussent les conséquences.

Le premier acte

Vers le 1 er décembre 1912 certaines réclamations furent formulées disant que le chronométrage pratiqué dans certains ateliers était inacceptable. Les

ouvriers s'appuyaient sur le fait que les chronométreurs travaillaient avec une rapidité trop grande et ne se soumettaient pas aux opérations d'ou­tillage, de recherches de pièces au magasin comme ils étaient contraints de le faire eux-mêmes. En conséquence ils demandaient la suppression pure et simple du chro­nométrage et ajoutaient quelques re­vendications telles que: augmentation des manœuvres, obtention de facilités pour la remise des bons, etc. A ces réclamations Louis Renault répondit que son intention absolue était de régir d'une façon très équi­table la question du chronométrage de façon à mettre l'ouvrier dans la possibilité de gagner largement son salaire. Il garantissait même, que lorsqu'un prix serait établi, il ne pourrait plus être réduit quel que soit le taux auquel l'ouvrier arriverait. Après différentes discussions les délé­gués des ouvriers se mirent d'accord avec Louis Renault pour accepter l'établissement du chronométrage sur des bases précises qui firent l'objet d'une note datée du 2 décembre:

(( Lorsque le chronométreur aura ter­miné l'étude d'une pièce et qu'il aura déterminé toutes les conditions de travail, il devra établir une fiche d'outillage donnant toutes les indica­tions nécessaires pour l'usinage et le montage de la pièce. Ensuite on devra procéder à l'établis­sement d'un procès-verbal d'établis­sement de prix qui devra être établi comme suit; (( Le chronométreur sera tenu de faire une série de pièces. Cette série de pièces devra être ouverte et fermée à la pendule. Elle devra être exécutée dans les conditions normales de travail, sans interruption ni suspension sauf en cas de force majeure. Les pièces terminées devront être vérifiées; par le service de vérifica­tion par le contremaÎtre de l'atelier, par tous les contremaÎtres qui pour­raient être intéressés à l'usinage de cette pièce. Une pièce sera prise dans le lot, il ne devra pas être choisi une pièce spécialement finie, mais une pièce moyenne du lot usiné (cette pièce type devra être poinçonnée, gardée en vérification et servir de modèle

d'usinage). Dans le cas où les pièces seraient trop encombrantes, la pièce type pourra être supprimée, mais sur la fiche d'outillage des indications com­plémentaires devront être données, tant du point de vue du fini qui sera

exigé de la pièce, que des parties spécialement précises ou les parties pouvant profiter d'une grande tolé­rance d'usinage. Le chronométreur devra régler son bon à un taux horaire toujours supé­rieur au taux moyen de l'atelier. Si le prix ainsi établi par le chronomé­treur semble pouvoir être accepté sans discussion par les ouvriers, le procès-verbal sera immédiatement établi et signé par le chronométreur, par le contremaÎtre, par le vérifica­teur et par les contremaÎtres des autres ateliers intéressés s'il y a lieu. Si, au contraire, sur la réclamation d'un ouvrier, le prix ainsi établi semble être insuffisant, une seconde série de pièces devra être exécutée par un chef ouvrier qui devra l'effec­tuer dans les mêmes conditions que le chronométreur, c'est-à-dire avec les mêmes méthodes d'ouverture et de fermeture, travail continu, etc. Les pièces seront à nouveau vérifiées et le chef ouvrier devra également signer sur le procès-verbal. Dans toutes les pièces où il y aura un temps de montage à prévoir, le chronométreur ou le chef ouvrier sera tenu de faire poinçonner le commence­ment du montage ainsi que sa termi­naison; le montage sera considéré comme terminé lorsqu'il aura une ou deux pièces usinées, suivant les coutumes ou les besoins. Il est entendu que la machine devra être complète­ment déréglée avant de commencer le montage. Dans le cas où un seul monteur con­

duirait plusieurs machines il devra être tenu compte, dans le temps de montage, de la perte de temps qui pourrait être occasionnée par la con­duite des autres machines. En cas de contestation sur le temps de montage, le chronométreur ou le chef ouvrier devra faire un essai de montage, tout en conduisant les autres machines )).

Cet accord pourtant ne donna pas satisfaction aux ouvriers. Outre le fait qu'ils voulaient la suppression du chronométrage, ils estimaient que le texte ne donnait pas de garantie suffisante sur le taux que devait régler le chronométreur. D'autre part les procès-verbaux d'établissement

(5)

L'AUTO du 1·' février 1913: « La méthode Tay­lor» par C. Faroux.

(6)

Entré à l'usine le 1·' février 1903 il fut successi­vement directeur des ateliers de réparation de Londres puis Chef du Service du Chronométrage de 1908 au 10 janvier 1913 date à laquelle il se sépara de Louis Renault en raison de ses désaccords qu'il manifesta dans une lettre du 15 février. Les phrases entre guille­mets sont extraites de cette lettre. Nous aurions aimé rencontrer M. de Ram malheureusement notre demande arriva quelques jours après son décès survenu le 15 novembre 1970.

des prix ne portaient pas la signature des ouvriers intéressés. Le méconten­tement loin de se calmer s'amplifia donc et le mercredi 4 décembre à 16 heures les ouvriers quittèrent l'usine. Le lendemain matin cependant, la confusion fut telle parmi les grévistes que nombre d'entre eux reprirent le travail.

A la suite de ce mouvement qui, malgré sa courte durée avait néan­moins traduit l'inquiétude des ou­vriers, les conversations reprirent. Pen­dant toute la journée du 5 décembre les délégués des ouvriers discutèrent pied à pied avec Louis Renault et en fin de journée un accord intervint.

L'accord du 5 décembre 1912

Cet accord portait sur deux points

essentiels: l'établissement d'un rè­

glement du chronométrage et la no­

mination des délégués ouvriers. Le

règlement du chronométrage, tout

en reprenant

note du 2 décembre,

cord des deux parties sur le chrono­

métrage dans son article 1:

« Il a été convenu que le principe du

chronométrage était établi ».

sait les prix de base des différents ateliers au-dessus desquels le chro­nométreur devait régler son bon au taux de 20 % supérieur. Ces taux étaient fixés de 0,95 F pour les manœuvres, à 1,20 F pour les ouvriers de l'atelier Pfeiffer (7), et même 1,30 F pour les chefs compa­gnons de l'atelier Huet. En ce qui concerne l'institution des délégués, le texte fixait les modalités de nomina­tion (les délégués devaient être choisis parmi les plus anciens ouvriers de la Maison) et délimitait leurs fonctions

(ils avaient pour mission de formuler les réclamations relatives au chrono­métrage).

En prenant connaissance des noms des délégués Louis Renault constata qu'ils n'avaient pas tous été choisis parmi les plus anciens ouvriers. Aussi le 11 décembre leur écrivit-il une lettre dans laquelle il déclara «Quoi­que je ne veuille critiquer en rien le choix qui a été fait et quoique, en fait, je n'ai pas de parti pris pour aucun d'entre vous, j'aurais bien aimé que l'esprit de nos conventions ait été plus strictement suivi. Je me contente de vous signaler ce fait et vous prie d'en faire part à vos camarades; s'ils désirent absolument vous maintenir et s'ils ne voient pas la possibilité de nommer quelques­uns des plus anciens ouvriers de l'usine, je n'insisterai pas car je n'entends pas faire pression sur le choix des délégués. La raison pour laquelle nous avions convenu de choisir les délégués parmi les plus anciens est que ceux-ci peuvent être considérés comme les ouvriers les plus stables et que de ce fait nous avions moins de chances d'être obligés par suite du départ de certains d'entre vous, de procéder à leur remplace­ment ». Cependant les ouvriers main­tinrent leur choix ce qui mit fin à cette controverse.

(7) A l'époque tous les ateliers et services de l'usine étaient appelés du nom de leurs chefs,

A la suite de cet accord quelques applications de chronométrage furent faites dans différents ateliers. Les délégués furent constamment solli­cités par les ouvriers de présenter des réclamations au bureau du chro­nométrage. L'une des premières objec­tions faites était que les chronomé­treurs se bornaient toujours aux bonnes pièces et qu'on se gardait bien de toucher aux mauvaises, ce qui aurait eu pour résultat de les augmenter. En définitive ces applications per­mirent de faire quelques augmenta­tions de salaire, mais les diminutions furent certainement plus nombreuses. Deux mois passèrent au cours des­quels la tension monta. Chacun se rendait compte qu'il suffirait d'un quelconque incident pour qu'un con­flit éclate.

le lundi 10 février 1913

Le lundi matin (8) une plainte amenait des délégués au sujet d'un chronométrage exécuté, selon leur expression, comme un « tour d'acro­bate ». Un chronométreur notamment manœuvrait deux manettes à la fois. A 14 heures 30 les délégués étaient reçus par Louis Renault, pendant que les ouvriers des ateliers Winckler et Boulicaut attendaient, bras croisés, les résultats de l'entrevue.

L. Renault expliqua aux délégués «qu'il avait toujours considéré que le chronométreur devait faire sinon de l'acrobatie, du moins un record et qu'il considérait également comme absolument normal que ce chrono­métreur travaille en manœuvrant deux manettes à la fois; cette manière de faire est constamment employée par les ouvriers sans que, pour cette raison, cela soit pris pour une acro­batie ».

Les délégués réclamaient aussi le renvoi de deux chronométreurs, en affirmant que s'il ne leur était pas donné satisfaction les ouvriers aban­donneraient certainement le travail.

L. Renault leur expliqua «qu'il ne pouvait pas être question de ren­voyer un chronométreur sur des faits dont on avait à se plaindre et qu'il était nécessaire de se rendre compte de la manière dont avait été fait le chronométrage. A ce sujet il donnait à M. Janin des instructions pour retourner dans les ateliers avec les délégués et refaire une démonstra­tion pour voir exactement si le prix qui avait été établi par le chronomé­treur était réellement applicable ».

Les délégués dirent qu'ils allaient expliquer à leurs camarades la réponse de L. Renault, mais qu'ils doutaient fort qu'ils acceptent cette solution, puisque leur demande était de ne plus voir dans l'atelier les chronométreurs incriminés.

Aussitôt après le retour des délégués dans les ateliers, «des conciliabules eurent lieu entre eux et les ouvriers, et le débauchage commença; les ouvriers de l'atelier où s'opérait le chronométrage entraînaient tout le personnel et à 17 heures 30 les usines s'arrêtèrent ».

la grève au jour le jour

Mardi 11 février (9)

La rentrée se fait en partie pour tous les ateliers autres que ceux de méca­nique. Des ouvriers grévistes entrent par l'usine A et vont retrouver les ouvriers de l'usine C pour les dé­baucher. A un moment donné de nombreux ouvriers se dirigent vers le bureau du chronométrage, et enva­hissent les bâtiments de l'usine A qu'après une intervention des délégués ils évacuent.

A 9 heures 1/4 les délégués entrent en conversation avec L. Renault et présentent les revendications des ouvriers: suppression du chrono­métrage, maintien de la commission ouvrière, suppression de l'indemnité à payer pour les pièces loupées ou l'outillage cassé.

L. Renault répond qu'il ne lui est malheureusement pas possible de donner satisfaction à son personnel pour ce qui concerne la suppression du chronométrage mais que par contre, en ce qui concerne la question des pièces loupées il pensait qu'il y aurait peut-être un terrain d'entente ou de transaction. Cependant il consi­dère la seconde question comme subsidiaire et, ne pouvant céder sur la première il ne voit pas réellement le moyen de donner satisfaction aux revendications présentées. Une se­conde entrevue à 4 heures de l'après­midi permettra aux délégués de main­tenir la seule revendication présentée par les grévistes: la suppression du chronométrage.

En fin de matinée une réunion s'orga­nise en plein air dans un terrain vague rue de Saint-Cloud. «3 000 ouvriers se pressent dans ce terra'ln" qui devient bientôt réduit. Les uns mon­tent sur les arbres, d'autres sur les murs ».

Loyau du syndicat des mécaniciens relate en quelques mots les causes du conflit et démontre que le moment est propice au mouvement étant donné l'abondance des commandes dans l'usine. «Le mouvement peut s'étendre à toute l'industrie automo­bile, il faut se préparer à une lutte longue et dure ».

Nectou, un des délégués rend compte de la démarche faite auprès de la direction et les grévistes se séparent plein d'enthousiasme.

Mercredi 12 février

Nouvelle entrevue entre la Direction et les délégués. Ces derniers indi­quent d'une façon nette et définitive que la revendication de la suppres­sion du chronométrage est maintenue comme revendication absolue de la part des ouvriers. L. Renault répond qu'il regrette qu'à la suite d'un accord intervenu et nettement précisé à peine deux mois auparavant, les ouvriers viennent déchirer les conven­tions et renier purement et simplement leur acceptation. Cet entretien, extrê­mement court, terminé, les délégués s'en retournent en disant que le Comité de grève se tient place Natio­nale et que s'il y avait de nouveaux entretiens à avoir, ils le feraient savoir à L. Renault.

Toute la journée la place Nationale est très animée. Les groupes de grévistes discutent et se promènent. A 14 heures, la foule, pl3ine d'ardeur, emplit le terrain de la rue de Saint­Cloud. De nombreux grévistes pren­nent la parole et se prononcent tous avec la dernière énergie contre le chronométrage.

Le soir L. Renault fait adresser indi­viduellement à tous les grévistes, sous pli recommandé, la lettre suivante:

Monsieur, Étant donné que vous avez cessé brusquement le travail lundi, nous vous informons qu'à partir de cette date vous ne faites plus partie de notre personnel et que nous avons décidé de régler votre compte dont

(8)

Les phrases entre guillemets sont extraites du dossier R.N.U.R. '-'

(9)

Le chapitre «La grève au jour le jour» est consti­tué d'extraits du dossier R.N.U.R. et des comptes rendus quotidiens publiés par la «Bataille Syndica­liste» seul journal qUI ait rendu compte du déroulement de la grève.

nous tiendrons le montant à votre disposition le vendredi 14 courant à 8 heures.

Signé: pour L. Renault Le Chef du Personnel: Bouchet

En même temps un avis est apposé sur les murs de l'usine informant les ouvriers des heures auxquelles ils devront se présenter pour percevoir leur compte.

Jeudi 13 février

Le service de protection de l'usine est assuré par des agents cyclistes de Billancourt et par des gendarmes qui sont logés à l'usine. Ils sont au nombre de 150.

Les ouvriers se pressent autour des tables de distribution des cartes de grève. Beaucoup de femmes accom­pagnent leur mari. Des grévistes munis de listes de souscription partent pour faire des collectes dans les usines d'automobiles. Un appel est fait à toute la corporation et à la classe ouvrière tout entière. Une certaine nervosité règne dans quel­ques grandes usines de l'industrie automobile et fait penser que le mouvement pourrait s'étendre.

Vendredi 14 février

La paie commence à 7 heures du matin. Au-dessus des guichets de paie et sur les murs de l'usine sont placées des affiches relatives, l'une à la reprise des vêtements et outils, l'autre concernant le boni sur les bons en cours, une troisième relative aux certificats qui sont à la disposi­tion des ouvriers. Afin d'éviter des difficultés des barrages de gendarmes ont été établis aux différentes portes; la consigne des gendarmes est de surveiller qu'il ne s'approche que les ouvriers venant se faire régler. Dans la crainte que ces barrages n'em­pêchent les chefs de service et employés de pénétrer jusqu'aux bu­reaux, il est remis à chaque personne qui doit entrer dans l'usine une fiche signée à la main.

En même temps que leur compte il est remis aux ouvriers la lettre sui­vante:

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous informer que

je serais très désireux de reprendre

au plus tôt mon travail.

En conséquence, je vous serais très

reconnaissant de bien vouloir me

convoquer dès que vous rouvrirez·

votre maison.

Veuillez agréer, Monsieur, mes sincères

salutations.

A 18 heures près de 800 demandes de reprise de travail sont déposées.

Samedi 15 février

Les opérations de paie se pour­suivent. Au cours de la réunion quo­tidienne, Dumoulin de la C.G.T. vient apporter des paroles d'encourage­ment dans un langage simple et expressif qui porte bien {( sur cette masse qui cherche encore sa voie».

Lundi 17 février

Aujourd'hui, tournant dangereux dans toute grève, les portes de l'usine sont encore fermées. Fidèles au ren­dez-vous les ouvriers au nombre d'environ 500 se rendent vers l'usine pour empêcher toute reprise. Au cours de la réunion quotidienne prennent la parole : Labbé, délégué de la fédération des métaux et Loyau. Dans la soirée la Direction fait le point de la situation: Effectif présent dans les ateliers 612 Lettres de réembauchage reçues ................. . 2772 Soit un total de ......... . 3384 Effectif au moment de la grève ................. . 4050 Différence .............. . 666

Mercredi 19 février

Les grévistes se concentrent sur le terrain de la rue de Saint-Cloud et se dirigent en rangs serrés vers la salle de l'Alhambra, rue du Dôme. La grande salle qui contient 1 800 places assises est remplie en un clin d'œil. Plus de 700 personnes restent debout.

Couergou, du syndicat des ferblan­tiers, fait le réquisitoire du chronomé­trage et exhorte les grévistes à la résistance jusqu'au bout. Loyau dans son discours enregistre les résultats de la matinée et précise la situation. Il est acclamé. La femme d'un gré­viste prend ensuite la parole. Simple et sincère elle s'adresse aux femmes des ouvriers, les adjure d'encourager, de seconder leur mari et préconise la résistance. Une lettre de sympathie des ouvriers métallurgistes de Lyon est lue par un membre du Comité de grève. Enfin on propose de voter la continuation de la lutte. Comme un seul homme les 2500 grévistes lèvent la main et un formidable cri de {( Vive la grève» emplit les voûtes de la grande salle.

Jeudi 20 février

Afin d'éviter tout incident, la perma­nence du Comité de grève est trans­férée loin de l'usine. A la réunion l'arrivée de Jouhaux, secrétaire de la C.G.T. est saluée par des applaudis­sements prolongés. Il termine son discours en invitant les grévistes à pousser, à la manière des grévistes anglais, trois fois le cri de {( vive la grève». On entend ensuite Loyau et la femme d'un gréviste Bonnardeau. Aujourd'hui il y a 4400 francs dans la caisse de grève dont 1 000 francs de la fédération des métaux, 500 francs de l'union des mécaniciens, 100 francs du syndicat des ferblantiers, 100 francs des P.T.T. Les ouvriers de la Société l'Air liquide se sont engagés à verser 0,25 franc par jour et par homme pour venir en aide aux grévistes.

Vendredi 21 février

A leur demande les délégués sont reçus par L. Renault. L'entrevue est brève. L. Renault déclare qu'il a établi un règlement du chronomé­trage qui doit être respecté. {( Non seulement je maintiens le principe du chronométrage, mais je tiens à re­venir aux dispositions existant avant les conversations du 5 décembre; désormais les délégations ouvrières par atelier sont supprimées ».

Au cours de leur réunion les gré­vistes décidés à aller jusqu'au bout, font leur [a proposition de Dumoulin d'installer les marmites communistes.

Samedi 22 février

Le comité de grève commence la distribution des secours: aux ouvriers non syndiqués sont alloués 0,75 F par homme, même somme pour la compagne et 0,50 F pour chaque enfant.

De nouveaux versements sont enre­gistrés au Comité de grève: Union de Syndicats, Mors, Farman, Panhard, Éclairage Électrique, etc.

Lundi 24 février

Les soupes communistes commencent à fonctionner; plus de 120 déjeuners sont servis. A la réunion, Dubreuil, nouveau secrétaire du syndicat des mécaniciens apporte le montant des collectes faites dans les différentes maisons d'automobiles: des délégués de chez Darracq et Brasier s'en­gagent à verser 0,25 F par jour. Il est décidé l'impression de timbres de solidarité à 0,25 F.

Mardi 25 février

La situation demeure inchangée. Les soupes communistes fournissent 400 déjeuners et 250 dîners.

Mercredi 26 février

A la réunion, les délégués du Comité de grève exposent la marche du conflit et rendent compte de la solidarité matérielle des organisations syndicales. 1ngweiler, secrétaire de l'Union syndicale des travailleurs sur métaux met en garde les grévistes contre les manœuvres de certains individus déclarant à tout venant que des défections continuelles se produisent.

Puis une causerie éducative a lieu démontrant la nécessité du groupe­ment et la tactique du syndicalisme révolutionnaire en période de grève, «tactique excluant l'intervention des politiciens dont l'action ne peut être que négative en matière économique ». D'autre part on annonce l'arrivée de «renards» (10) à l'usine; certains d'entre eux sont recrutés en province.

Vendredi 28 février

A la réunion, Fay, docker et ancien secrétaire du Comité de grève des inscrits maritimes du Havre, raconte comment il s'est laissé recruter par un contremaître de l'usine. Après avoir réuni une équipe d'une quaran­taine d'ouvriers il se présente à Billancourt et demande à voir

L. Renault pour lui dire que tous ils se refusent de travailler dans une usine en grève.

Samedi 1er mars

1 000 repas sont servis chaque jour. Au menu aujourd'hui: rosbif et len­tilles au jus. A la réunion, Merrheim, secrétaire de la C.G.T. réfute un des principaux arguments qui s'efforcent d'excuser le chronométrage par les nécessités de la concurrence étran­gère. Il prouve que, malgré la formi­dable production des États-Unis l'exportation des voitures francaises s'accroît tous les ans. Si l'ind'ustrie automobile américaine est inférieure

c'est que, précisément, on applique aux États-Unis la méthode Taylor. Les ouvriers devenus automates perdent toute leur initiative et avec elle toute valeur technique.

Loyau dit ensuite l'importance qu'aura

la victoire des grévistes de Billan­court. Couergou fait le procès du chronométrage et Calinaud, du syn­dicat de la voiture, dans un vibrant discours, démontre la nécessité de l'éducation syndicale.

Lundi 3 mars

Début de la quatrième semaine de grève. A la réunion quotidienne, Mer­rheim continue la démonstration qu'il avait commencée samedi. Il termine en exprimant l'espoir qu'après tant de preuves de solidarité, les grévistes sauront ne pas trahir leur cause et la confiance qu'on leur témoigne. Loyau démontre la valeur morale du mouve­ment et, avec les grévistes, pousse un triple hourra en faveur de la lutte.

Mardi 4 mars

On signale l'arrivée dans les ateliers d'ouvriers recrutés en province. La Direction affirme que de nombreuses rentrées sont enregistrées. A la réunion Labbé et Loyau démontrent qu'il s'agit là de faux bruits. Le syndicat des ouvriers métallurgistes de Lyon vient d'envoyer un secours de 300 francs.

(10) Renard: ouvrier qui refuse de faire la grève, ou encore Jaune, d'après l'organisation syndicale créée en 1899 et dont l'insigne était un genêt et un gland jaune. Le premier groupement de jaunes apparut au Creusot le 1 e, novembre 1899. Par la suite on enre­gistra la création de plusieurs unions de syndicats «réformistes» qui protestaient contre la limitation de la journée de travail, contre l'internationalisme, la lutte de classe. Ils considéraient l'union du capital et du travail comme une nécessité industrielle et un bienfait social.

Page de couverture du catalogue de 1913 (don de M. Liali).

La 40 Chevaux 6 cylindres de 1913 (extrait du catalogue de 1913 -don de M. Liali).

({ La Bataille syndicaliste» du 13 février 1913

(cl. Bibliothèque nationale).

Mercredi 5 mars

Journée d'énervement. Des bruits répandus produisent un certain flot­tement. Mais il suffit aux grévistes de se retrouver ensemble pour que ce malaise passager soit surmonté. Parmi les sommes versées au Comité de grève on enregistre 62 francs (Thom­son Houston) et 1 00 francs (Fédéra­tion nationale des instituteurs). Les soupes communistes «fonctionnent admirablement ».

Jeudi 6 mars

Le comité de grève soumet à l'assem­blée des grévistes l'idée d'entrer en pourparlers avec M. Renault. Par une majorité écrasante ils refusent (sur 1 000 présents une trentaine seule­ment manifeste un désir contraire). On apprend que le matin les grévistes ont tenté de débaucher les renards. Ils se sont concentrés au pont de Billancourt et ont réussi à persuader une quinzaine d'inconscients de se joindre au mouvement. Les quelques agents cyclistes qui se trouvaient comme par hasard, près du pont, affectèrent de surveiller la manœuvre. Mais en réalité ils attendaient du renfort; quelques minutes après sur­vint un tramway rempli d'agents.

Vendredi 7 mars

Arrestation de deux ouvriers qui avaient participé au débauchage du pont de Billancourt. A la réunion la poursuite de la grève est votée à l'unanimité.

Samedi 8 mars

La solidarité ouvrière se. mani­feste de façon continue, aujourd'hui 3 848,55 francs sont parvenus au comité de grève ce qui porte ~ 11 000 francs l'actif en caisse. A la réunion, Yvetôt reçoit un accueil chaleureux et symphatique.

Mardi 11 mars

Les délégués sont reçus par Louis Renault qui leur fait la déclaration suivante:

(( Je n'ai aucune concession à faire.

Je n'aurais pas attendu quatre se­maines pour vous le faire savoir. Je reconnais que les bons ouvriers sont dehors. Mais que voulez-vous! ceux qui croient qu'il faudrait une brouette pour les amener ici n'ont qu'à se chercher du travail ailleurs. Vous avez dit dans les journaux que la Maison ici est un bagne. Cependant mon usine fonctionne normalement. Nous avons 3400 ouvriers qui s'y trouvent bien qui prétendent bien gagner leur vie. Je mettrai trois ou quatre mois pour remplacer le bon noyau de ma Maison. Je le sais. Mais il sort maintenant 17 ou 18 châs­sis par jour et je continuerai )).

Mercredi 12 mars

Le Comité de grève au complet (32 membres) se présente de nouveau devant Louis Renault. Dès le début ce dernier indique aux délégués qu'il a établi un nouveau règlement qui comporte la suppression des déléga­tions ouvrières par atelier. Les chrono­métreurs effectueront des séries d'es­sais qui serviront à déterminer le prix de montage et le prix d'usinage. Les pièces loupées devront être payées comme auparavant mais la valeur de la retenue à faire sur un bon ne devra pas dépasser le montant de la moitié de la valeur de ce bon, ni être supé­rieur au montant d'une journée de salaire total. Les délégués ne dissi­mulent pas que ce nouveau règle­ment aggrave la situation et n'est pas de nature à mettre fin au conflit, bien au contraire. Ils refusent donc de poursuivre l'entretien. Louis

Renault déclare alors qu'il est désor­mais inutile que les délégués se représentent chez lui mais que par contre, il est prêt à réintégrer les ouvriers qui demanderaient à re­prendre le travail.

L'annonce de la rupture des pour­parlers, faite à la réunion quotidienne, provoque une vive émotion. Jouhaux dans un discours vigoureux engage les grévistes à continuer la résistance. ({ Manifestons dans la rue» ({ Allons à l'usine» crie l'assistance. Aussitôt la colonne se forme et, sans proférer un cri, les grévistes, Jouhaux, Loyau et les membres du comité en tête, accompagnés des femmes, escortés de camarades à bicyclette, prennent la rue Thiers pour s'engager route de Versailles. La population se montre extrêmement sympathique, sur les balcons, devant les fenêtres, dans la rue, on applaudit. Des enfants crient «Vive la grève! ». Par la rue du Cours on aboutit à l'usine. Des agents barrent les portes. La colonne s'approche.

-Mes excuses, dit poliment un brigadier, je vous prie de retourner. Ce sera mieux pour vous et pour nous.

La colonne retourne ensuite. La police se concentre rapidement pour barrer toutes les issues de l'usine. Mais les manifestants déjouent la manœuvre. Ils ne cherchent point à s'approcher de l'usine par des voies détournées où la police les attend, mais s'en vont à travers les rues de Billancourt pour manifester devant les établisse­ments industriels et la population. La manœuvre réussit parfaitement. C'est maintenant au chant de « l'Inter­nationale» aux cris de «Conspuez Renault, hou hou la jaunisse!» que se poursuit la manifestation. Partout l'accueil est sympathique. Les cris et les chants redoublent lorsqu'on passe devant les établissements Farman, les Abattoirs, les Forges de Basse-Indre, et surtout devant les maisons habitées par des jaunes.

Par la rue Carré, la rue de Billancourt et la rue de la Plaine (11), nous arrivons au boulevard de Strasbourg, où un court arrêt se fait devant les soupes communistes et enfin nous regagnons le point de départ: la rue Thiers et le local du Comité de grève. C'est fini, il est presque 6 heures. On se sépare les visages illuminés, pleins de confiance en se disant «à de­main» (12).

Jeudi 13 mars

Une certaine lassitude semble se mani­fester chez les grévistes. A la réunion une écrasante majorité se prononce pourtant pour la poursuite de la grève mais il n'y a qu'environ 800 ouvriers présents.

Vendredi 14 mars

La cinqUieme semaine s'achève. On signale que sur 1 150 ouvriers travail­lant sur les machines-outils, 310 sont rentrés, 450 sont partis travailler ailleurs, 390 restent en grève. « Ceux qui ont trahi la cause sont pour la plupart de très médiocres travail­leurs» (13). La grève ne va pas tarder à se trouver à son tournant décisif.

La dernière semaine

La manifestation du 1 2 mars aura été le chant du cygne de la grève. De nombreux ouvriers avaient repris le chemin de l'atelier, d'autres plus nombreux encore avaient préféré se faire embaucher dans d'autres entre­prises; il ne restait plus qu'un noyau d'irréductibles, quelques centaines, qui ne pouvaient espérer obtenir satisfaction. Relancer la grève? Il ne fallait plus y songer. Demander la rentrée en bloc? Louis Renault s'y refusait, exigeant que chacun fasse une demande individuelle de réinté­gration. Alors les 350 grévistes réunis pour la dernière fois dans la salle de l'Alhambra le samedi 22 mars votèrent l'ordre du jour suivant qui mettait fin à la grève:

(( Les ouvriers grévistes, réunis à l'Alhambra, se voient dans la nécessité de mettre fin au conflit malgré la résistance apportée par eux et la solidarité montrée par toutes les maisons d'automobile. Abandonnés par les inconscients qui ont repris le travail, bien que ces inconscients aient tout en main pour emporter la victoire, les ouvriers se trouvent dans /'impossibilité de continuer la lutte. Mais bien que battus, ils sauront prouver au monde du travail que leur énergie n'est pas éteinte et que partout, ils seront à J'avant-garde pour combattre le chronométrage.

Ils envoient leur salut fraternel à tous ceux qui ont soutenu moralement et pécuniairement leur cause. Ils envoient également leur salut aux emprisonnés)) (14).

Une semaine plus tard les fonds détenus par le Comité de grève furent répartis entre les 350 derniers grévistes qui, se refusant à faire une demande de réintégration, cherchèrent du travail dans une autre maison.

(11)

Rue Carré: rue Fernand-Pelloutier -rue de la Plaine: rue Gallieni -boulevard de Strasbourg: boulevard Jean-Jaurès.

(12)

La bataille syndicaliste -13 mars 1913.

(13)

La bataille syndicaliste -15 mars 1913.

(14)

L'allégation de Saint-Loup selon laquelle c'est le socialiste Albert Thomas qui aurait convaincu les grévistes de reprendre le travail est dénuée_de tout fondement.

Une cause perdue

On a peine a Imaginer aujourd'hui la place qu'occupait la France en 1913 dans la construction automo­bile. Cette place était la première mais, déjà, s'éveillait le géant améri­cain sous lequel Ford apparaissait. Louis Renault, dont la marque était solidement implantée aux États­Unis (15) suivait avec attention les progrès de son concurrent. Il se rendait compte qu'il devait, sous peine de perdre sa prépondérance, s'inspirer des principes qui triom­phaient de l'autre côté de l'Océan. Ford, l'homme du modèle unique dont l'usine fonctionnait en autarcie, l'homme qui avait organisé sa pro­duction selon les principes de Taylor, constituait l'exemple qu'il fallait imiter. On retrouve là une des règles chères à Louis Renault: prendre aux autres ce qu'ils ont réalisé de meilleur, le perfectionner et lui donner une dimen­sion telle qu'elle s'impose à ceux­là mêmes qui l'ont inspiré. Avant tout, appliquer le système Taylor -rapidement. Avec Louis Renault c'est «tout de suite ». Quels que puissent être les obstacles, quel qu'en soit le prix. Voilà sa grande erreur. Car, cette fois-ci, il ne s'agit pas de mécanique, il s'agit d'hommes et rien de durable ne peut être fait sans l'homme. Là où il aurait fallu convaincre, il impose. Là où il aurait fallu du temps, il brûle les étapes. Alors que la transformation est inéluc­table, qu'elle doit apparaître comme telle tôt ou tard aux hommes, il va, par sa précipitation, être la cause

Manifeste de l'Union Mécaniciens.

corporative des Ouvriers

d'un conflit qui le marquera lui et sa maison, définitivement (16).

Face à lui, une communauté ouvrière qui n'a conscience que de sa dignité. Des hommes connaissant leur métier, le «bon noyau» selon son expres­sion, qui se refusent à devenir des automates, exagérant même le danger qui plane sur eux. Cette communauté est seule. Le syndicat (17) n'est le fait que de quelques isolés, pour­chassés de l'entreprise, tout juste tolérés à l'extérieur. Cette grève -sauvage comme on dirait aujour­d'hui -est considérée certes avec sympathie mais surtout avec curiosité. Comment ces ouvriers « réfractaires à l'organisation» et qui «ignorent les liens d'intérêt commun» (18) vont-ils se conduire? Auront-ils assez d'énergie pour aller jusqu'au bout? Ils eurent cette énergie et, quand l'heure sonna de renoncer, ils eurent le courage de le proclamer haute­ment.

Cette grève ne pouvait connaître une issue victorieuse. Les transfor­mations qui l'avaient motivées étaient inscrites dans l'évolution nécessaire. Dès son origine elle était marquée du sceau de la défaite. Elle ne fut pas pour autant négative; dès le len­demain de la reprise du travail, Louis Renault en tira les leçons. Il prescrivit des mesures propres à remédier « à quantité de défauts dans l'organisation des ateliers» qui lui avaient été révélés, notamment en ce qui concer­nait «les pertes de temps considé­rables qui avaient lieu à la distribu­tion de l'outillage» (19). Un peu tard, il donnait ainsi raison à son chef du chronométrage et aux de­mandes des délégués des ouvriers. Mais la rupture était définitivement consommée. Désormais rien n'irait «comme avant », et seule la guerre qui déjà se devinait à l'horizon, remettrait à plus tard les échéances inévitables.

Gilbert HATRY

(15)

Dès 1905, le nom de Renault était bien connu dans les milieux automobiles américains. Trois ans plus tard, Louis Renault, associé pour la circonstance avec quelques financiers et sportifs de New York créa un département des ventes. En 1909 des agences étaient installées dans les principales villes des États­Unis (d'après Ocee Ritch Renault informations publicité -Spé?ial U.S.A.; novembre-décembre 1970),

(16)

« Pour n avoir pas su parler à ses ouvriers en 1912, quand il en était encore temps, il ne leur parlera plus jamais, pour trouver finalement sa perte dans un silence désespéré» (Saint-Loup). (17). Groupés dans la confédération générale du travail de nombreux syndicats de professions existent· les ouvriers de l'automobile sont du ressort du syndicat de la mécanique.

(18)

La bataille syndicaliste du 23 mars 1913.

(19)

Note pour M. Janin.

Les frères Renault acceptent cette La Motor-Car cependant reste sur ses proposition et invitent M. Ford à se positions. Il est vrai qu'elle connaît rendre à Billancourt. Au cours d'un des difficultés financières qui long entretien, les conditions d'un n'échappent pas aux frères Renault. compromis sont ainsi fixées: C'est pourquoi ces derniers sont