04 - Le char Renault D2

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Le char Renault D2

La Direction de l'Infanterie qui avait été à l'origine du Renault Dl, décida de faire réaliser un char plus blindé que le précédent. Le Ministre fut saisi de l'affaire par une note du Capitaine Deygas, en date du 23 janvier 1930.

Le nouveau matériel, dénommé D 2, devait avoir les principales caracté­ristiques suivantes

blindage maximum 40 mm moteur ...... 120 CV -longueur sans queue.. . . ... 5 m -largeur ...... 2,34 m -hauteur . . . . .. 2,30 m -garde au sol 0,45 m -vitesse maximum 20 à 22 km/h armement 1 canon de 47 mm 2 mitrailleuses -poids maximum 15,5 t

De nombreux organes seraient les mêmes que ceux du Dl, ce qui devait faire du D 2 un matériel peu coûteux. Ce nouveau char léger était conforme au programme de motorisation de l'ar­mé9 de 1930 qui reprenait, pour l'es­sentiel, le contenu du programme de 1926, en l'adaptant aux nouvelles condi­tions techniques.

La Direction de l'Infanterie demanda le 26 mars 1930 à l'État-Major de

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D 2 prototype, en essai à la commission de Vincennes (Photo EC armées).

l'Armée (EMA) de lancer l'étude du D 2. L'EMA donna son accord le 14 avril 1930.

La Maison Renault fut contactée en mai 1930 pour un marché d'étude, mais l'accord n'intervint avec ce construc­teur qu'un an plus tard. Le marché du 8 décembre 1931 prévoyait la construction d'un prototype sans tou­relle, livrable en mars 1932.

Renault termina, en fait, le matériel en avril 1932 (sa désignation était char U Z).

Les premiers essais se déroulèrent aux docks de Rueil. Ils se poursuivirent jusqu'en mai 1933. Après remise en état, on envoya le D 2 au 503e R.C.C.. En décembre 1932, deux nouveaux prototypes avaient été commandés. Dans l'ensemble, ce char donna satis­faction et se montra nettement supé­rieur au Dl; aussi le Conseil consul­tatif de l'armement se prononça pour son adoption le 12 décembre 1933. L'EMA donna l'ordre de mettre en commande 50 D 2, le 19 janvier 1934.

La tourelle, dont nous n'avons pas encore parlé, devait être définie par la Commission spéCialisée qui s'était déjà occupée de la tourelle du D 1.

Cette dernière avait eu une gestation difficile et le modèle retenu en défini­tive ne donnait pas entière satisfaction. On envisagea, au début, d'équiper le char D 2 avec la tourelle du D 1 (dénommée ST 2) mais, dès décembre 1933, on préféra mettre à l'étude un nouveau modèle conforme aux dési­rata de la commission spéCialisée (il était demandé, en particulier, un champ de tir propre pour la mitrailleuse).

Les deux nouveaux prototypes du char mis en commande en décembre 1932, furent terminés en août 1933 et récep­tionnés en novembre de la même année. Aussitôt, ils entrèrent aux ate­liers de Rueil pour subir les modifica­tions qui s'avéraient nécessaires, par suite de l'expérimentation du prototype. En particulier, les freins à rubans dont ils étaient équipés, furent remplacés comme sur le char nO 1 par des freins à mâchoires.

Le premier prototype étant en revlslon au même moment (fin 1933), on déCida de munir ces 3 chars de moteurs diffé­rents : l'un reçut un moteur diesel Lorraine-Dietrich; l'autre un moteur diesel Renault 6 cylindres de 123 CV ; le troisième conserva son moteur à essence Renault de 120 CV.

A l'issue de ces transformations, les trois engins partirent pour le camp de Châlons où une série d'essais devait être menée.

Ce n'est qu'à la fin de 1934, que la commission de Vincennes reçut l'ordre de procéder à l'expérimentation du char D 2. Elle devait déterminer sa valeur mécanique, son aptitude à se déplacer sur route et en terrain varié et ses possibilités de franchissement des obstacles naturels ou artificiels du champ de bataille.

Les essais débutèrent le 24 décembre 1934. Ils portaient sur le char proto­type nO 1.

Ce matériel se distinguait du D 1, dont il procédait, par une meilleure protec­tion (40 mm au maximum) ayant néces­sité une puissance motrice accrue et une plus grande robustesse des divers organes. De nombreux détails étaient, en outre, améliorés.

Le prototype présenté, différait du modèle définitif prévu. Il n'en avait pas le moteur, ni l'axe arrière, ni la tou­relle, ni les supports de suspension des chenilles, ni le réservoir d'essence. Les aménagements intérieurs n'étaient pas réalisés. Une visite détaillée permit de constater les principales caracté­ristiques :

longueur 5,38 mètres

largeur ............ 2,24 mètres

garde au sol ....... 0,41 mètre

poids du char armé, approvisionné, mais sans équipage, ni munitions, ni lot de bord : 12,520 t.

Il est intéressant de noter que le pot d'échappement était à droite.

L'expérimentation se déroula sur le polygone de Vincennes. On obtint une vitesse maximum sur route de 16,940 km/h et une vitesse moyenne sur piste difficile de : 7,730 km/ho De graves incidents intéressant la suspension obligèrent à arrêter prématurément les essais le 31 décembre 1934. La com­mission estima que pendant son indis­ponibilité, on pouvait apporter au char une partie des améliorations prévues pour le D 2 définitif, en particulier les supports de suspension détériorés devaient être remplacés par les nou­veaux modèles déjà définis.

Les essais reprirent le 14 janvier 1935. On atteignit la vitesse de 18,650 km/h en 4e vitesse, le moteur n'ayant pas permis de poursuivre l'expérimentation sur la 5e vitesse. A ce sujet, il faut noter que bien que le moteur ait fait l'objet d'une mise au point poussée, aucune amélioration n'en résulta. Le char franchit une coupure à bords francs de 2,40 m de largeur et une tranchée de 1,70 m. Il passa une ban­quette de 0,80 m de hauteur et monta une pente de 40 % sur sol friable.

Par la suite, en janvier et en février 1935, on obtint sur route des vitesses de 23,20 km/h au maximum et de 18,40 km/h en moyenne mais on cons­tata, outre l'impossibilité de tenir la 5e vitesse, une usure prononcée des chenilles, de grandes difficultés à virer à gauche en fin de marche et à s'inscrire correctement dans les vira­ges; le bruit produit par le véhicules était assourdissant, le refroidissement insuffisant et l'autonomie trop faible. Les essais furent interrompu le 14 février 1935 et, après une visite som­maire, le char quitta Vincennes pour l'atelier de construction de Puteaux.

Les périodes de réparations, qui émail­lèrent l'expérimentation avaient permis d'avancer la mise au point de ce proto­type. Bien que diverses améliorations avaient déjà été prévues avant l'arri­vée du char à la commission, il restait à remédier à d'autres défauts, dont le rapport de la commission faisait état. Celle-ci estima que son impression peu favorable devait être tempérée par le fait que le véhicule essayé était déjà usagé à son arrivée, qu'on l'avait amé­lioré en cours d'essais, et qu'un char définitif pouvait bénéficier de bon nom­bre de modifications. Une commande de série (réduite) pouvait être passée dès maintenant, mais il s'avérait néces­saire de poursuivre l'étude sur les prototypes. Les exemplaires définitifs eurent :

-une caisse blindée renforcée et de forme un peu différente (surtout à l'avant) ;

o 2 de serie, armé du canon de 47 mm SA 34 (Photo EC armées).

o 2 en 1940, armé du canon de 47 mm SA 35 (Photo EC armées).

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TABLEAU DE CARACTÉRISTIQUES

Elles concernent le véhicule de série

(Ces renseignements sont donnés à titre indicatif)

Désignation.. . . . . . . . . . .. char D 2

Constructeur.. . . . . . . . . .. Renault

Poids (en t) ............ 19,75

Longueur totale (en m)

sans queue ............ 5,460

Largeur totale (en m) .... 2,223

Hauteur totale (en m) ... 2,666

Hauteur du châssis (en m) 1,756

Garde au sol (en m) .... 0,400

Voie (en m) ............ 1,810

Empattement (en m) ..... 4,810

Largeur des chenilles

(en m) ou dimensions des

pneus .. . . . . . . . . . . . . . . .. 0,350

Blindage maxi. (en mm) .. 40

Équipage ............... 3

ARMEMENT:

Moteur ....... . . . . . . . . .. Renault

Puissance totale

du véhicule (en CV) 150

Nombre de cylindres

par moteur ............. 6

Cylindrée (en litres) 9,5

Carburant (en litres) 351

Vitesse maximum

(en km/hl .............. 23

Autonomie (en km) ..... 100

Passage à gué (en m) ... 1,20

Bords francs (en m) .... 2,10

Obstacle vertical (en m). 0,80

Pente (en %) .......... 50

canon de 47 mm SA 34 (120 obus) ou SA 35 (108 obus) en tourelle;

mitrailleuse de 7,5 mm en tourelle;

mitrailleuse de 7,5 mm de capot.

- un moteur à diesel ayant essence, les versions été abandonnées;

- une plus grande réserve d'essence (quatre réservOirs);

- le pot d'échappement reporté sur le côté gauche;

- une cloison étanche entre les cham­

bres du personnel et du moteur;

- une tourelle réalisée par l'atelier de construction de Puteaux, l'APX 1, qui était armée d'un canon de 47 mm SA 34 et d'une mitrailleuse; cette dernière avait un champ de tir pro­pre de 15 degrés; cette même tou­relle équipait aussi les chars B 1.

L'engin était constitué d'une caisse blindée, tenant lieu de châssis, suppor­tée par des chenilles métalliques.

A l'avant, on avait la chambre de combat occupée par 3 hommes. Le conducteur et le radio étaient à l'avant. Le premier se plaçait à gauche, il dis­posait, pour l'observation, d'un trou latéral, d'un épiscope et d'un péris­cope orientable; le radio était assis à droite devant ses appareils de T.S.F., à droite de ces derniers il y avait une mitrailleuse semi-fixe. Le tireur se trouvait au centre sous la tourelle.

Une issue de secours pratiquée dans le plancher du char servait de sortie dans les situations critiques.

l

A l'arrière, on avait le moteur Renault à 6 cylindres placé dans l'axe du char, jla boîte de vitesses, les réservoirs d'essence d'une contenance de 351 litres, les radiateurs et les organes de ventilation.

La chenille, débordante à l'avant, était maintenue en place par trois chariots à 4 galets doubles, auxquels étaient adjoints à l'avant et à l'arrière, un galet-guide supplémentaire. La poulie de tension en acier moulé était à

D 2 en 1940 (Photo EC armées).

l'avant et le barbotin à engrainement central à l'arrière. A la partie supé­rieure, quatre rouleaux doubles sou­tenaient et guidaient la chenille. La première série de 50 0 2 fut notifiée à Renault le 29 décembre 1934 et sa réception intervint, avec un certain retard, entre mai 1936 et février 1937.

Le 1er octobre 1937, le 1ge bataillon équipé de ce matériel, était mobilisable. Un peu avant, en mai 1937, le Conseil consultatif de l'armement avait décidé de commander une deuxième série de 50 D 2, dont le marché fut notifié en juin 1938. Ces derniers chars équi­pèrent les co m p a g nie s autonomes nOS 345, 346 et 350 qui furent mobili­sables entre le 22 mai 1940 et le 13 juin 1940.

L'unique bataillon de D 2, opérationnel à la déclaration de guerre, en 1939, reçut le numéro 19. Le 8 mars 1940, ordre lui fut donné de faire remplacer les canons de 47 SA 34 par des 47 SA 35. La dépose des tourelles eut lieu à Cirey. Elles furent expédiées à Rueil par lots de cinq, pour installa­tion de la nouvelle arme. Tous les chars ne semblent pas avoir été modifiés.

On procéda à diverses expérimenta­tions sur le char D 2. Le 25 août 1939, l'atelier de Rueil livra à la commission de Vincennes un prototype de queue.

On la monta sur un char le 2 septembre 1939 et les essais débutèrent le 11 septembre 1939. Le dispositif compre­nait une grande tôle courbe avec un crochet escamotable à la partie supé­rieure et un support de cric. L'assem­blage se faisait par rivets. Après trois jours d'expérimentation, il s'avéra que cette queue était trop fragile; les têtes de rivets se cisaillaient, le crochet était mal placé et le montage peu solide, mais le profil était bon.

L'atelier de Rueil construisit et monta un second prototype constitué par des tôles d'acier rivées ou soudées de 9 à 10,5 mm d'épaisseur, avec un crochet coulissant et un dispositif d'arrimage du cric. Son poids était de 210 kg à vide de 340 kg avec le cric et les chaînes. Elle avait 0,70 m de large et débordait par rapport à la chenille de 0,80 m. Les attaches, au nombre de deux, étaient soudées; de ce fait, la queue n'était pas rabattable.

On procéda à des essais le 5 février 1940. Le char put aisément franchir une tranchée de 1,80 m de large et passer des banquettes de maçonnerie de 1,20 m en marche avant (au lieu de 0,80 m).

Dans les trous, par contre, la queue pouvait devenir nuisible. Le remor­quage était aisé. La commission se prononça le 7 mars 1940 pour son adoption après remplacement du cro­chet par un modèle normalisé. La construction en série, on s'en doute par la date, ne pu être réalisée.

Le montage de lance-flammes fut envi­sagé sur le char lourd et le char de forteresse. Pour étudier le problème, on utilisa un char D 2 sans tourelle.

La transformation fut faite en 1938, par l'atelier de Rueil en liaison avec les Ëtablissements Chaubeyre. Le dispositif comprenait un réservoir d'une conte­nance d'environ 900 litres, qu'on avait mis dans le puits de tourelle (il dépas­sait un peu la caisse). A la partie infé­rieure de ce dernier, était placée une pompe d'un débit de 1 800 litres par minute. Un conduit amenait le liquide jusqu'au lance-flammes proprement dit, situé sur la plage avant du char (près ou à la place du phare.. de capot). Le tireur de l'engin se trouvait à droite à l'avant.

On procéda à des essais en 1939-1940. En utilisant de l'eau, on atteignit une portée de 100 mètres. Avec un mélange de benzol et d'huile légère, on obtint des portées de l'ordre de 60 mètres.

A la débâcle, ce char D 2 lance-flam­mes fut évacué par la route vers Saint­Ëtienne. Nous perdons sa trace à ce moment-là.

Les chars D 2 prirent part aux combats de l'été 1940. Certains furent détruits, d'autres furent récupérés par les Alle­mands (18 exemplaires selon certaines sources). Nous ne savons pas si l'oc­cupant s'en servit.

Il ne semble pas que l'armée française ait réutilisé ce type de matériel après 1940.

Pierre TaUZIN

Ce texte que nous devons à ,'amabilité de l'auteur est extrait d'un ouvrage à paraître «Histoire des engins blindés français» (Éditions S.E.A.A. BP 24 -92603 Asnières).

Le 9 novembre 1945, Pierre Lefau­cheux, Président-Directeur Général de la Régie Nationale des Usines Renault, depuis le 16 juin de la même année, prenait la décision de lancer les équi­pements et les installations pour fabri­quer en série un petit modèle de voi­ture -baptisé par la suite «Quatre Chevaux Renault» -à la cadence horaire de vingt.

Cette décision avait été précédée d'une cpnsultation «complète et très détendue» de tous les chefs des ser­vices intéressés, en particulier, com­mercial, études et fabrication.

Dans son article, Pierre Bézier vous raconte avec plus de détails, et sou­vent avec humour, comment les cho­ses se sont passées.

Cette décision tranchait deux points principaux : le choix du véhicule et la cadence de production. Elle devait avoir des conséquences fort heureuses pour la Régie Renault en lui donnant une vigoureuse impulsion vers la fabri­cation en grande série (pour l'époque) d'un modèle populaire de large diffu­sion.

Le succès fut complet, Je choix d'un véhicule entièrement nouveau s'étant montré favorable à la création d'un outil de production moderne, affranchi des contraintes du passé; la forte ca­dence adoptée justifiait l'importance et le perfectionnement des moyens mis en oeuvre.

Malgré de nombreuses modifications de détail survenues au cours des étu­des et de la réalisation des équipe­ments, il n'y eut pas de déboires de fonctionnement du véhicule entraînant des changements majeurs, grâce à la compétence et à l'esprit de collabo­ration des gens du bureau des études, Picard, Riolfo, Amise, Guettier, et bien d'autres.

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