06 - "L'Accélérateur" (mai 1946-décembre 1948)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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"L'ACCÉLÉRATEUR" Mai 1946- Décembre 1948

"L'Accélérateur" n'est pas seulement le titre sous lequel paraîtra désormais la partie du bulletin d'information réservée au comité d'entreprise. Ce mot doit être le symbole de l'action toujours plus rapide qui doit permettre à tous d'améliorer la marche de notre entreprise par des suggestions et des critiques objectives et, parallèlement, de réaliser toujours plus dans le domaine social, pour le bien de tous. Accélérer, c'est lutter contre les trusts profiteurs, traîtres à la nation, pour le succès de la Régie nationale. Nous sommes certains que tous ensem· ble nous édifierons une usine modèle et, ce faisant, nous aurons œuvré pour le relèvement de la France."

C'est avec ce petit texte encadré, rempli d'espoir et de dyna­misme, que commence la carrière de l'Accélérateur, en mai 1946. On considère dorénavant que le comité d'entreprise ne peut se contenter d'une "partie du bulletin d'information".

C'est une institution qui doit posséder son propre bulletin indépendant. Les objectifs du comité sont aussi ceux de l'Accé­lérateur : promouvoir toute amélioration dans les domaines économiques et sociaux touchant à l'entreprise. Le nom même du journal est évocateur : en se servant du vocable désignant l'organe mécanique, il fait appel à un sentiment que tous les conducteurs éprouvent en pressant la pédale: avancer. C'est bien de cela qu'il s'agit. Qui n'avance pas recule et, à cette époque de l'immédiat après-guerre, le recul signifie pêle-mêle la III' République, la défaite, l'Occupation, le nazisme. Avan­cer, c'est quitter une période de stagnation sociale et écono­mique, pour reconstruire la France au moyen d'idées ... avan­cées, comme les nationalisations, chères aux communistes. La Régie doit montrer l'exemple et aller plus loin que les autres entreprises dans tous les domaines, car on l'attend au tournant. On ne lui pardonnera aucune faute. C'est pourquoi elle doit dès maintenant "accélérer".

L'Accélérateur ne change pas de titre de mai 1946 à décembre

1948. Par contre, il portera trois sous-titres différents:

-de janvier 1946 à juillet 1947 (numéros 1 à 10) : ''Journal du

Comité d'Entreprise",

-de janvier à avril 1948 (numéros Il et 12) : ''Journal du

Comité d'Établissement",

-de novembre à décembre 1948 (numéros 13 et 14) : "Journal

du Comité Central d'Entreprise de la Régie Nationale des

Usines Renault". La seconde dénomination est due à un chan­

gement de statut, expliqué par l'Accélérateur lui-même (1) :

"A la Régie vient d'être constitué un comité central d'entre­

prise qui groupe des représentants de toutes nos usines et éta­

blissements de province, Le Mans, Saint-Michel-de­

Maurienne, succursales de ventes. Les comités qui siègent dans

chacune des usines de la Régie portent le nom de "comité

d'établissement", mais si le nom change, l'institution demeure

la même."

Le journal, tout au long de ses quatorze numéros, présente un

ordonnancement semblable :

-un article de genre "éditorial" en première page,

-l'état de la production, avec chiffres et problèmes liés à la

production,

des communications diverses,

l'activité des commissions,

les comptes rendus des séances du comité d'entreprise du

numéro 7 (décembre 1946) au numéro 10 Guillet 1947).

(1) Numéro Il. janvier 1948. page 4.

Les éditoriaux

Ils sont bien sûr tous centrés sur les préoccupations économi­

. ques du moment : ces grandes préoccupations sont, pour reprendre les termes de Benoît Frachon, de la C.G.T., "la grande bataille de la production" (10 septembre 1944). La conférence de production du 27 avril 1946 (2) fixe les objectifs à atteindre. Pas de production sans matières premières: le charbon (3), l'acier (4) ; il faudra d'abord gagner ces batailles respectives, ce qui est encore loin d'être fait à cette époque; en effet, la dotation en acier de l'industrie automobile est, en juin 1946, la moitié de celle d'avant-guerre. Il faut donc augmenter la production totale de la sidérurgie en important du coke métallurgique (qui fait défaut au bassin lorrain) de la Ruhr, où il constitue les deux tiers de l'extraction. Au besoin, on don­nera un statut international à la Ruhr (5) et les pays dans le besoin pourront se servir. Mais la situation ne s'améliore pas dans le courant de l'année 1946 et, en décembre, on constate que la part de charbon allemand diminue, ce qui n'arrange pas l'automobile qui se retrouve presque en chômage partiel. La croissance de l'extraction lorraine (120 % de 1938) n'arrive pas pour le moment à combler le déficit des importations, d'où également une réduction de la production d'électricité, de la pression du gaz, de la circulation des trains, autant d'entraves à la reprise de la production d'automobiles.

Dans cette France de 1946, il n'y a pas que l'économie qui soit instable : le 5 mai, le peuple français a repoussé le premier projet de constitution. Il réélit une Assemblée constituante le 2 juin, dont les travaux sont adoptés le 13 octobre; c'est la constitution de la IV' République. La première assemblée législative, élue le 10 novembre, traduit une très forte avance du parti communiste, qui est représenté au gouvernement par plusieurs ministres : le premier plan, ou plan Monnet, est adopté par l'Assemblée le 27 novembre; il est "de moderni­sation et d'équipement" ; il doit entraîner un niveau de pro­duction pour 1947 égal à celui de 1929 et, pour 1950, supérieur de 25 %. Il entre en vigueur le 1er janvier 1947, le même jour que la Sécurité sociale, et au milieu d'un hiver très rude.

En dépit de ces difficultés, l'ambiance est à la participation et au travail. Malgré le manque de matières premières, la qualité de la production est à l'ordre du jour à la Régie Renault (6), même si, à l'époque, le marché n'est pas encore vraiment concurrentiel à l'étranger (et en France même, la demande de véhicules est de loin supérieure à l'offre). Dans un premier temps, la France a besoin d'exporter pour pouvoir continuer à acheter plus de matières premières. Il lui faut, d'ores et déjà, établir ses positions sur les marchés étrangers, et "fournir des véhicules dont la caractéristique principale sera la qualité" (1), ce qui, en même temps, fera faire des économies à la Régie.

Mais qui dit qualité, dit outillage approprié. Or, chez Renault, en 1947, on trouve encore "dans bien des ateliers, des machines ayant trente et même quarante ans d'existence" (7). Les reven­dications du comité d'entreprise sont donc la rénovation de l'outillage, condition sz'ne qua non pour regagner et conserver un bon rang sur le marché mondial. Elles sont l'écho du plan Monnet. Le remplacement des machines se fera dans le courant de l'année 1947.

Le deuxième aspect des éditoriaux est le volet social. L'Accélé· rateur commente la mise en place des nouvelles institutions : comités mixtes à la production, comité d'entreprise, Sécurité sociale. Il se préoccupe aussi de la place des femmes dans l'entreprise, ces femmes qui viennent tout juste d'obtenir le droit de vote (1945).

Pierre Lefaucheux sanctionne la mise en place des comités mixtes à la production à la séance du comité d'entreprise du 1" août 1946. Leur établissement a lieu progressivement, par groupe de départements. Ils jouent, "vis-à-vis du chef de département, le même rôle que le comité d'entreprise vis-à-vis du président-directeur général: renseigner et suggérer" (8), c'est-à-dire signaler des anomalies, y proposer des remèdes, ainsi que des améliorations pour développer la production. Ils sont composés de deux ouvriers et de deux techniciens. A l'ori­gine, les comités mixtes à la production ont été créés par le décret du 22 mai 1944 du Comité de libération nationale, dans les établissements techniques de l'air; ils proposent l'applica­tion de toute suggestion visant à améliorer le rendement de l'établissement par modification de l'organisation d'une section ou de l'organisation général'e de l'établissement. D'autres comi­tés à la production se sont créés spontanément à la Libération, dans 7 établissements de la région de Toulouse, à partir du 1" octobre 1944. Ils défendent les intérêts de la production, mais aussi du personnel, alors que ceux de 1946 ne se préoccupent que de production.

Les comités spontanés de la Libération étaient aussi bien sou­vent des petits comités d'épuration, ce qui inquiétait le gouver­nement qui n'avait pas envie de voir les chefs d'entreprise dépossédés de leur outil de travail (9). Ceci explique peut-être que le gouvernement ait d'abord favorisé l'établissement des comités d'entreprise où la direction est représentée, plutôt que les comités à la production, expression du pouvoir ouvrier.

Ceci dit, les comités à la production de 1944 sont aussi les pré­curseurs des comités d'entreprise, car ces derniers ont obtenu un droit de regard sur les questions économiques dont les ater­moiements successifs des assemblées et des gouvernements ont retardé l'adoption. Un avant-projet de texte de la C.G.T. et de la C.F.T.C. est rejeté par l'assemblée consultative le 21 novem­bre 1944, car trop "tiède". Un nouveau texte est adopté à l'unanimité le 13 décembre 1944, mais est amendé par le gou­vernement au moment de sa publication en ordonnance le 22 février 1945.

(2)

L'Accélérateur, numéro l, mai 1946, pages 1 à 4.

(3)

L'Accélérateur, numéro 7, décembre 1946, page 1.

(4)

L'Accélérateur, numéro 2, juin 1946, page 1.

(5) Le besoin vital de charbon de la Ruhr, contrôlée par les Anglo-Américains, orientera entre autres la politique française vers "l'Ouest" au moment de la grande rupture du

printemps 1947.

(6) L'Accélérateur, numéro 3, page 1.

(7) L'Accélérateur, numéro 8, février-mars 1947, page 1.

(8) L'Accélérateur, numéro 4, septembre 1946, page 1.

(9) Le 29 septembre 1944, le Conseil des ministres communique: "Aucun organisme n'a

qualité pour modifier (...) le fondement du régime des entreprises", ce qui n'empêche pas les comités de se multiplier jusqu'à la fin de 1944.

Ce n'est que le 22 avril 1946 que la Constituante adopte un texte satisfaisant tout le monde (10) : il deviendra la loi du 16 mai 1946.

Cette loi accorde, en principe, au comité d'entreprise une compétence obligatoire sur l'organisation de la marche de l'entreprise ; un droit d'information sur les bénéfices, avec l'assistance d'un expert-comptable (11). En ce qui concerne la Régie Renault, il faut attendre près d'un an pour que cela soit effectif car, "jusqu'à la parution de ce décret (du 24 mars 1947), le comité d'entreprise de la Régie n'était pas entière­ment libre de ses mouvements. En effet, il avait bien entre les mains la gestion des œuvres sociales, ( ...), mais, dans les ques­tions qui touchaient à la vie même de l'entreprise, nous n'avions pas la possibilité de faire entendre utilement nos voix. Dorénavant, le comité d'entreprise, se plaçant sur un plan autre que celui des délégués du personnel, dont la tâche est surtout de faire aboutir des revendications individuelles, pourra aborder les questions de salaires sur le plan écono­mique. Il pourra désormais étudier les répercussions des augmentations de salaires sur la production et la forme de l'outillage aussi bien que sur les prix de revient, et il tirera les conclusions qui s'imposent (12)."

La Sécurité sociale est entrée en vigueur le 1" janvier 1947. Six mois plus tard, l'Accélérateur (13) annonce la mise en place d'un correspondant d'entreprise, qui "permettra aux assurés de toucher leurs prestations sans déplacement, dans leur atelier ou bureau" (13). C'est une initiative du comité d'entreprise "soucieux de rendre service aux assurés sociaux" (13).

"Le comité d'entreprise n'ignore pas la valeur, la personnalité de la main-d'œuvre féminine et reconnaît l'effort de produc­tion des ouvrières de la Régie en vue de la renaissance du pays. Nos camarades femmes doivent avoir la certitude, quand elles sont à leur travail, que le comité d'entreprise œuvre pour elles, afin de leur donner plus de sécurité et développer au maximum les œuvres sociales en tenant compte des résolutions de la sec­tion féminine de la Régie, guidée par notre syndicat des métaux" : c'est ainsi que se conclut l'éditorial intitulé "Nos camarades femmes dans la production" ; il est vrai qu'elles sont plus de 4 000 à travailler à la Régie, du secrétariat à la soudure autogène, en passant par la presse à emboutir et il s'agit de les encourager à devenir des ouvrières plus qualifiées -et non plus de simples manœuvres ou O.S.

Enfin, la question des nationalisations est également évoquée: il est admis que les usines Renault ont été confisquées à cause "d'une aide non déguisée apportée à l'ennemi" (14). Or, d'autres nationalisations sont déjà "liquidées" en novembre 1948 et l'on "se prépare à susciter mille difficultés à celles qui fonctionnent normalement" (15), en se servant des difficultés économiques du moment, en dépit des "résultats positifs obte­nus". Il est certain qu'elles n'ont pas changé grand-chose à la condition ouvrière (16), et cela, l'Accélérateur le reconnaît ; "ces entreprises auraient dû témoigner qu'il est possible d'accorder au monde du travail un standard de vie bien supé­rieur à celui qui est le sien aujourd'hui (...). L'État-patron imposant un respect rigoureux des décrets édictés par lui-même, en ce qui concerne les rémunérations, il remplace simplement les actionnaires des industries privées (17). D'où le danger de voir le monde du travail se désintéresser d'une réforme sociale à laquelle il doit être attaché au plus haut point, puisqu'elle est un pas en avant vers l'affranchissement du travail sur le capital privé".

Le ton de ce dernier éditorial de novembre 1948 contraste sin­gulièrement avec l'optimisme habituel. Il est vrai que celui-ci a bien été entamé par la première grande grève de l'après-guerre à la Régie (18), du 25 avril au 16 mai 1947. La participation des communistes au gouvernement leur fait condamner les grèves qui sont à leurs yeux un acte de sabotage contre une éco­nomie qui a déjà bien du mal à se relever. Mais, le 4 mai 1947, le président du Conseil Paul Ramadier (en place depuis le 28 janvier) révoque les ministres communistes qui avaient voté contre le gouvernement, mécontents de sa politique sociale et étrangère. Un mois plus tard, le général Marshall annonce son plan d'aide à l'Europe. Dans leur pays, les communistes belges et italiens sont passés aussi dans l'opposition. Tout au long de l'année 1947, les grèves touchent des secteurs aussi divers que la S.N.C.F., les services publics, banques, grands magasins, les mines, Citroën, Peugeot, Berliet, Michelin, la R.A.T.P., la marine marchande, la métallurgie, dans un climat de guerre civile qui effacera chez les communistes le souvenir des conflits sociaux d'avant-guerre, car la psychose d'une prise du pouvoir par des soi-disant brigades internationales (19) conduit les socialistes à mener une répression assez dure.

Mais déjà, en 1946, malgré le Salon qui" a été indiscutable­ment un succès" (20), on a pensé qu'il aurait fallu s'abstenir de présenter "des voitures de luxe dont la matière aurait été mieux employée à la construction de véhicules utilitaires dont nous avons tant besoin pour la renaissance du pays ( ...). Certaines formes décoratives sur des poids lourds nous paraissent super­flues, notamment pour les ailes d'autocars et de camions, occa­sionnant un gaspillage de main-d'œuvre et de matière. Elles rappellent le travail qui n'est pas recommandé pour abaisser les prix de revient ( ...). Certains constructeurs présentent et vendent des châssis nus et nous nous demandons si les matières prévues pour les carrosseries ne se trouvent pas détournées de

(10)

Le projet Gazier du 22 décembre 1945.

(11)

Édouard Seidler, Le Défi Renault, Paris, 1981.

(12) L'Accélérateur, numéro 9, avril·mai 1947, page 1.

(13)

L'Accélérateur, numéro 10, juillet-août 1947, page 1.

(14)

L'Accélérateur, numéro 6, novembre 1946, page 1.

(15)

L'Accélérateur, numéro 13, novembre 1948. page 1.

(16)

"On s'était juré que la France d'après-guerre réconcilierait la classe ouvrière et la

nation : plus que jamais depuis la Commune de Paris, elle se sentait exclue d'un

régime qui avait jeté l'opprobre sur le parti qui avait gagné sa confiance" (Paul-Marie de la Gorce. L'Après-GueTTe, Grasset, 1978, page 376).

(17) L'Accélérateur, numéro 13, novembre 1948, page 2. Il s'agit d'une allusion à la poli­tique de maintien des salaires pratiquée par Blum, Ramadier et Schuman en 1946­

1947. qui échoua devant les grandes grèves. Pour les communistes. les socialistes sont

des briseurs de grève.

(18) Déclenchée par les trotskistes et socialistes pour "10 F d'augmentation" _ Les premiers jours, la C.G.T. est opposée à la grève, mais elle s'y rallie le 28 avril. embarrassant

ainsi les communistes du gouvernement.

(19) Le 2 octobre 1947, au Vél-d'hiv .. Thorez déclare vouloir "imposer un gouvernement

démocratique où la classe ouvrière et son parti exercent enfin un rôle dirigeant".

(20) L'Accélérateur, numéro 5, octobre 1946, page 1.

leur destination (...). L'effort de production des travailleurs a été totalement oublié, même à la Régie nationale; pas un panneau indiquant la progression de la production, pas une inscription glorifiant le travail à tous les échelons" (20).

Or, malgré le succès de la 4 CV et l'installation des nouvelles machines, le rendement est encore insuffisant (21), ce qui gêne les exportations, fortement concurrencées en outre par la Volkswagen allemande et les modèles américains (22). Et ces exportations permettent de faire rentrer les devises nécessaires à l'achat, par exemple, de caoutchouc pour les pneus: c'est un cercle vicieux. En outre, on ne peut indéfiniment favoriser les exportations, car il y a une très forte demande intérieure de véhicules : ils seront en vente libre en 1949.

Cette situation périlleuse analysée par l'Accélérateur a certai­nement atteint son sommet dans le courant de l'année 1947 et elle va de pair avec les grands troubles de l'automne 1947.

Mais nous allons voir comment les chiffres de la production "décollent" à partir de janvier 1948 (23).

La production

Grâce à cette rubrique, on peut suivre, d'avril 1946 à octobre 1948, la quantité des types de véhicules produits. Au cours de cette période, la production a triplé (24). Le parc automobile de la Régie comprend dix modèles différents :

-La Juvaquatre, berline 4 portes:

14 % du parc en avril 1946, 48 % en juillet 1947, 6,3 % en

octobre 1948.

-La Juvaquatre, camionnette 300 kg :

5,3 % en avril 1946, 1,4 % en octobre 1948.

-La 4 CV, berline 4 portes : Produite à moins de dix unités par mois de juin 1946 à juillet 1947, elle "démarre" vraiment en août 1947, à 71 exemplaires, soit 2 %, pour se retrouver à 2 888, soit 41 % en octobre 1948. -La 4 CV, camionnette 200 kg : Elle commence en février 1948 à 1,5 % et passe à 4,5 % en octobre. -La fourgonnette 1 000 kg : 30 % en avril 1946, 20 % en octobre 1947, 13 % en octobre 1948. -Le camion 2 t : 21 % en avril 1946, 17 % en août 1947, 12 % en octobre 1948. -Le camion 3,5 t : 20 % en avril 1946, il décline jusqu'à l'arrêt total en janvier 1947 (3,6 %). -Le camion 7 t : 5 % en avril 1946, 6 % en juillet 1946, 3 % en octobre 1948. -Le car (châssis nu) : 3,8 % en avril 1946, 1 % en octobre 1948. -Le chariot : 0,04 % en janvier 1947, 0,9 % en juillet et octobre, et descente à 0,4 % en décembre 1947.

Après cette énumération quelque peu fastidieuse, il est très intéressant de comparer les proportions "véhicules de tourisme" et "utilitaires", et il se trouve qu'elles changent au cours de la période.

(21) L'AccélérateuT, numéro 11, janvier-février 1948, page 1.

(22) L'échec de la politique de maintien des salaires et des prix n'est pas pour favoriser les

exportations. De plus, l'augmentation de 50 % du prix du charbon de la Ruhr. déci­dée par les Anglo-Saxons. se répercute sur la métallurgie, l'électricité et le gaz.

(23)

La production nationale augmente de 8 % de 1948 à 1950.

(24)

De 2 109 véhicules (tracteurs non compris) à 7 046, soit 234 % d'augmentation.

Avril 1946 Janvier 1947 Février 1948 Octobre 1948

% % % %

Juvaquatre 14,55 40,76 33,66 6,37

Tourisme 4 CV 0,02 6,81 40,98

Total 14,55 40,78 40,47 47,35

Juva 300 kg 5,35 14,07 18,98 18,98

Utilitaire léger 4 CV 200 kg - - 1,51 4,50

Total 5,35 14,07 20,49 22,96

Utilitaire lourd 1 000 kg 2 t 3,5 t 7 t Cars 30,34 20,95 19,91 4,97 3,88 19,20 16,00 3,58 3,60 2,50 19,90 13,70 -3,50 1,80 13,52 12,00 -3,10 1,00

Total 80,05 44,88 38,90 29,62

En effet, nous comptons 85 % d'utilitaires en avril 1946, contre 15 % de véhicules de tourisme: cela concorde parfaitement avec les directives du plan Monnet qui assignait à la Régie un programme d'"utilitaires", malgré le peu d'enthousiasme de Pierre Lefaucheux qui voulait aussi fabriquer des voitures de tourisme. Moins d'un an après, la tendance se renverse déjà: 60 % d'utilitaires et 40 % de tourisme en janvier 1947, propor­tions que l'on retrouve en février 1948. On voit ici en filigrane la "course à l'exportation", qui favorise la fabrication de véhicules de tourisme.

A la fin de la période (octobre 1948), les proportions sont équi­valentes : 50 % pour chaque catégorie. Il faut par ailleurs noter, chez les utilitaires, un rééquilibrage en faveur des poids légers: de 1/16' de la catégorie (octobre 1946), ils passent au 1/4 Uanvier 1947), puis au 1/3 (février 1948) et aux 2/5es (octobre 1948).

En ce qui concerne la tendance générale, son renversement est certainement dû, d'une part, à la Juvaquatre berline qui fait à elle seule la moitié de la production en juillet 1947 et, bien sûr, d'autre part, à la 4 CV qui réalise à peu près le même score en octobre 1948. On pourrait tirer encore bien des enseignements des chiffres de production publiés par l'Accélérateur, et il faut y ajouter les activités du caoutchouc, les réparations (de chars Sherman entre autres). Les difficultés rencontrées par la fabri­cation sont toujours soigneusement mentionnées : mauvais approvisionnement en tôles, en accessoires, qui oblige soit à arrêter le montage (25), soit à livrer des voitures sans cric (26), soit à entreposer des stocks de voitures non livrables parce qu'il manque les lanternes arrière ou le tableau de bord, le klaxon ou les phares, le compte-tours, etc. 1 Comme dans les édito­riaux, on déplore la mauvaise qualité des aciers, des fontes, et l'irrégularité des livraisons de textiles, d'acide chromique et même de chiffons d'essuyage (27), mais apparemment, la situation se rétablit dès le début de 1947 puisque, à cette époque, on ne mentionne plus dans l'Accélérateur de "diffi­cultés rencontrées par la production" et on se préoccupe d'éva­luer la production en "unités Régie" 1

Communications diverses

Cette rubrique cite, d'une part, les ouvriers ou ateliers méri­tants, les actes de probité et publie des récompenses; d'autre part, elle donne des informations relatives aux colonies de vacances de la Régie. Parfois même, elle annonce un concours d'affiches en vue de remédier "au nombre de pièces loupées" et d'accroître "sous toutes ses formes la production de l'usine" (28), le banquet des apprentis à la Saint-Éloi, la 100000' Juva­quatre sortie depuis la Libération, la visite de l'ambassadeur soviétique Bogomolov (29). Elle n'occupe qu'une faible partie de la surface du journal (5 %) comparée aux autres déjà étu­diées (éditorial: 8,5 % ; production: Il,5 %). Par contre, les activités des commissions occupent près des 2/3 du journal.

Activité des commissions

C'est la rubrique la plus importante, avec 64 % de la surface du journal. La place qu'elle prend s'explique par le nombre croissant des commissions offrant toujours une plus grande variété d'activités aux employés de la Régie; elles reprennent en gros les subdivisions du comité social d'entreprise, créé en 1942, qui avait un rôle d'information et d'animation et qui contrôlait les services sociaux ; il comprenait douze commis­sions de travail, dont la formation professionnelle, l'éducation physique, l'information, l'assistance sociale (dirigée par Chris­tiane Renault), loisirs et culture, entraide et prévoyance, ravitaillement familial, jeunesse, mess et cantines. "La passa­tion des pouvoirs au moment de la nationalisation se fit dans des conditions fort honorables et les activités comme les anima­teurs purent poursuivre leur tâche" (30).

On distingue deux sortes de commissions: celles, dites "socia­les", qui regroupent trois champs d'activité: mess et cantines, sports et loisirs, distribution. Le sport est particulièrement bien représenté: football, cyclotourisme, montagne, boxe, modèles réduits (1), athlétisme, natation, aviron, pêche, hockey sur glace, camping, rivière, lutte, basket, tennis, pelote basque, boxe française, rugby, lancer léger, sorties familiales, canoë, sports aériens, cross-country, hand-ball, volley-baIl, patins à glace, judo, moto, poids et haltères, et même préparation mili­taire et ... l'arbre de Noël 1 Les loisirs et la culture tiennent une grande place également, cinéma, conférences, visites, beaux­arts, théâtre, bibliothèque, philatélie, photographie, dames et échecs, petites annonces, harmonica, caméra-club, art drama­tique, vacances, week-ends, école de musique, clique, fanfare, chorale, université ouvrière. Tout ce foisonnement d'activités ne doit pas faire oublier les difficultés économiques et maté­rielles que chacun subit dans ces années de l'après-guerre, la commission de distribution essaie d'y remédier, en proposant des ... pommes de terre, des réparations de chaussures, un ves­tiaire pour enfants, une aide aux jeunes ménages, des vête­

. ments de travail, le rechapage des pneus (très utile en cette période de pénurie de caoutchouc), un service du logement. Un certain nombre de ces activités associatives existaient déjà avant-guerre, comme le Club olympique de Billancourt, la coopérative, la caisse de secours, la solidarité pharmaceutique, le groupement artistique, l'harmonie, le cercle des Usines Renault (bibliothèque, coiffure et parfumerie, photo, sport, douches, restaurant, buvettes, T.S.F., garage pour voitures, motos et bicyclettes) et le C.A.M.T.E.U.R. (31) ; certaines répondaient aussi bien à une vocation de solidarité que de dis­traction. Mais il faut tenir compte aussi de la deuxième sorte de commissions, dites "techniques", dont les travaux, après guerre, sont l'expression même du droit de regard du comité d'entreprise sur l'utilisation de l'outil de production: en effet, toutes leurs suggestions, retenues ou non, visent à l'amé­lioration du rendement, à la baisse de coûts, et impliquent directement chaque ouvrier dans "la bataille de la pro­duction", pas seulement avec ses mains, mais aussi avec son cerveau 1

(25) L'AccélérateuT, numéro 2, juin 1946, page 3.

(26) L'Accélérateur, numéro 3, juillet 1946, page 2.

(27) L'Accélérateur, numéro 7. décembre 1946. page 3.

(28) L'AccélérateuT, numéro 6, novembre 1946, page 4.

(29) L'Accélérateur, numéro 7. décembre 1946, page 4.

(30)

Gilbert Hatry, Louis Renault, patron absolu, page 398.

(31)

Gilbert Hatry, op. cit., pages 281 et 282.

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L'ÈLECTRtCITÈ .. LE CHARBON

La surface occupée par les seules commissions techniques est de 29 %, soit près du tiers du journal. Leurs préoccupations rejoi­gnent' bien sûr, celles des éditoriaux et de la rubrique "pro­duction", ce qui fait que la moitié de la surface de l'A ccéléra­teur est réservée, en moyenne, à des questions économiques, l'autre moitié traitant des questions sociales; ce remarquable équilibre traduit bien la double vocation du comité d'entre­prise.

Compte rendu des séances du comité d'entreprise

Il s'agit, à vrai dire, d'une rubrique éphémère, puisqu'elle ne paraît que de décembre 1946 (numéro 7) à juillet 1947 (numéro 10), en occupant tout de même pour cette période 17 % de la surface (mais comme elle n'est présente que dans quatre numéros, cela ramène son pourcentage pour toute la période avril 1946-décembre 1948 à 6,3 %). Elle est inclas­sable, dans la mesure où toutes les questions peuvent être abor­dées, et c'est aussi une mine de renseignements historiques, comme en témoigne cet extrait de la séance du 6 février 1947 (l'Accélérateur, numéro 9, page 5) : "Contrôle de l'embauche: le C.E. demande pour le comité d'entreprise le contrôle de l'embauche et du licenciement. Le président n'est pas d'accord sur ce principe". A la séance du 20 février, la question est réité­rée et "le président indique qu'il n'a pas changé sa position sur la question et qu'il faut attendre la convention collective. Un certain nombre des membres du comité d'entreprise estiment qu'il ne devrait pas être nécessaire d'attendre la convention col­lective et que la Régie devrait donner l'exemple en cette matière" (numéro 9, page 6). On voit ici le comité d'entreprise essayer d'empiéter quelque peu sur le rôle des représentants syndicaux.

L'Accélérateur, relativement peu illustré au début (3 à 4 pho­tos par exemplaire, dans les quatre premiers numéros), le devient vraiment à partir du numéro 5 d'octobre 1946 : 6 pho­tos, puis 13 (numéro 6), 19 (numéro 7), 13 (numéro 8), 12 (numéro 9),11 (numéro 10),16 (numéro 11),7 (numéros 12 et 13), 10 (numéro 14), ce qui fait pour toute la période une moyenne d'une photo toutes les deux pages. Le fait le plus remarquable est la présence, à partir du numéro 6 (sauf aux numéros 9 et 13), d'une photo en couverture, dans le texte de l'éditorial. Dans le numéro 14, elle remplace purement et sim­plement le texte, et ce dernier numéro présente un caractère très anodin par rapport aux autres: il n'y est question que de loisir et de technique, mais absolument pas de questions écono­miques, comme si l'échec des grandes grèves de l'automne 1948 dans les houillères avait rendu muets les éditorialistes ouvriers.

Il est certain que la grande cassure de l"'année terrible" 1947 avait déjà porté un coup à l'Accélérateur, puisqu'il avait cessé de paraître pendant cinq mois (d'août à décembre), et de nou­veau en 1948 pendant sept mois (d'avril à octobre). Mais, à chaque reprise de la parution, aucune explication n'est donnée sur les causes de l'interruption ... Il est certain qu'à partir de l'automne 1948, le gouvernement Queuille représente, derrière son affiliation radicale, "la restauration progressive d'un capi­talisme plus dynamique et le renoncement à toute socialisation profonde de l'économie" (32) et c'est probablement cela que déplore l'éditorialiste de l'Accélérateur en novembre 1948. La France rentre pour ainsi dire en "état de grâce économique", dès janvier 1949, et ce, jusqu'à la mi-1950 où la guerre de Corée survient.

L'Accélérateur était, dans une certaine mesure, la "voix ouvrière" à la Régie nationale des usines Renault. Elle se tut à la fin de 1948, soit parce que les problèmes qu'elle avait soule­vés avaient été correctement résolus, soit parce que le mouve­ment ouvrier, encadré par le parti communiste et la C.G.T., fut victime de la psychose de guerre civile qui régna en 1947 et 1948, qui se doublait de la crainte d'une troisième guerre mon­diale, et on sait que cela amena les gouvernements à tout faire pour écarter les communistes des affaires du pays: cela s'est répercuté au niveau des entreprises, dont Renault.

Jean-Baptiste GARACHE