03 - Renault au Royaume-Uni (1902-1913)

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Renault au Royaume-Uni (1902-1913)

Les origines

Le début de l'histoire de Renault en Angleterre coïncide avec l'aube du vingtième siècle. C'était en 1900.

L'automobile était, à la fois, une nouveauté et un luxe -une nouveauté, parce que c'était un produit tout nouveau, et un luxe, parce que seule une minorité pouvait se l'offrir.

Le "Journal de l'industrie automobile" (1) rappelle l'intro­duction des premières Renault au Royaume-Uni. C'est une curieuse histoire.

La société « Motor Car Company Limited", une société qui a disparu depuis longtemps, était dirigée par M. Robert Moffat Ford, un des pionniers de l'industrie automobile. Lorsque la liste des inscriptions à l'épreuve des 1 000 miles eut été publiée, en avril-mai 1900, on y voyait deux voitures, les nos 31 et 32, que l'on décrivait comme étant des Triumph

M.C.C.

La no 31 obtint le deuxième prix en classe B. Elle n'avait dû subir aucune réparation, bien que l'épreuve fut âprement disputée. Plus tard, les deux voitures furent expo­sées à la maison de l'Agriculture, à Islington, et au vieux « Crystal Palace ", et toujours décrites comme des Triumph

M.C.C.

Toutes les deux étaient des voitures Renault de Paris!

Louis Renault intente une action en justice

Lorsque Louis Renault apprit ce qui s'était passé, il intenta une action en justice contre la société, et gagna son procès. Ce fut la fin de « M.C.C. Triumph " (2). Serait-ce cette action en justice qui incita Louis Renault à envisager la Grande­Bretagne, avec son riche empire colonial, comme un mar­ché d'exportation potentiel, et à former par la suite, en 1904, une société «Renault Frères Limited» ?

Renault et ses importateurs

Jusqu'en 1904, les Renault étaient vendues tout d'abord par la société «Mors Motors ", Edgware Road, Londres, et ensuite par la société «Roadway Autocar Limited,., 19, Newman Street, Londres. Mors vendit environ 12 voi­tures Mors par an et 30 Renault. Comme les Renault se vendaient mieux, la représentation de Mors fut abandonnée, et la société devint la «Roadway Autocar Co. Limited", avec comme directeur général M. W. Lecoq Mc Bride.

En tous cas, Louis Renault ne se sera pas satisfait de ce résultat car, la même année, on fit entrer une Renault dans une caravane publicitaire organisée par le « Morning Post ", avant sa fusion avec le «Oaily Telegraph ».

Le journal avait un représentant dans la voiture -une Renault de 1 0 ch, à 2 cylindres, carrossée en tonneau (3). Le circuit allait du cap Land's End à John 0' Groats (4) et, comme il était prévu de ne pas faire d'arrêts, le ravitail­lement en essence avait été préparé à l'avance et était pris en route. Le réservoir d'essence, qui se trouvait au-dessous du siège du conducteur, était rempli en roulant, les bidons vides étant jetés sur le bord de la route pour y être récu­pérés plus tard. A la suite du succès considérable de cette caravane publicitaire, les ventes augmentèrent de 833 % -passant à 250 voitures par an !

(1)

«Journal of the Motor Industry ».

(2)

Belon d'autres sources, il n'y aurait pas eu de jugement, car un compromis serait intervenu. Cf. «L'affaire de la Motor Car », par George Floris, dans le «BulZetin de la section Histoire des usines Renault », no 3, décembre 1911, p. 82.

(3)

Le tonneau était une voiture légère, décapotable, li caisse basse qui connut une certaine vogue au début du siècle. '

(4)

Le cap Land's End est situé li l'extrémité ouest de la Cornouaille anglaise. John O'Groats est une petite ville à l'extrême nord de l'Écosse.

L'année suivante, les succès de la société augmentèrent encore. Une tournée d'agents de la firme fit croître les ventes de voitures Renault de 250 à 450 unités.

Qui était le supernégociateur?

En décembre 1904, les frères Renault parvinrent à un accord avec M. Mc Bride et la société c Roadway Autocar Company Limited" pour former une nouvelle société à Londres, «Renault Frères Limited ". M. Mc Bride fut sans doute si enthousiasmé par les perspectives de vente que, en échange de l'actif de la «Roadway Autocar Company Limited ", qui s'élevait à un peu plus de 16000 livres, cette société accepta 16 000 actions «B" de «Renault Frères Limited ". M. Mc Bride accepta également les fonctions de directeur général, administrateur délégué et secrétaire général de la nouvelle société.

Les frères Renault reçurent 12 000 actions «A» et 4 000 actions «B ". Les actions" A» et c B» avaient les mêmes droits en ce qui concerne le dividende, mais il n'en allait pas de même en ce qui concerne le droit de vote : une action "A» donnait 8 voix contre seulement 1 voix pour une action «B ". Le contrôle de la société était donc bien entre les mains de Renault. L'accord prévoyait que « Renault Frères Limited" serait agent exclusif de Renault au Royaume-Uni, en Irlande et dans toutes les colonies et dépendances de la Grande-Bretagne.

Il faudrait se rappeler qu'en 1904, l'industrie automobile en était encore à ses tout débuts. Beaucoup se mettaient dans le mouvement, beaucoup échouaient. Même si les Renault connaissaient la renommée en France, il aura fallu un supernégociateur pour persuader M. Mc Bride de se lancer dans cette entreprise audacieuse.

Le conseil d'administration

Le premier conseil d'administration se composait d'un ensemble d'hommes de talent :

-Fernand Renault constructeur, en était le président; -W. Lecoq Mc Bride ingénieur, était le directeur géné­rai administrateur délégué, et secrétaire général de la société;

-E.A. Stonor, secrétaire de la Chambre des Lords, direc­

teur et agent commercial;

-George C. de Wilde, commerçant, H. Kapferer, ingé­

nieur civil qui devint plus tard avocat, directeurs.

Les ventes passent à 1 700 unités par an

Aux alentours de 1905, les ventes étaient passées à 1 700 véhicules par an, dont 400 étaient exportés aux colo­nies par l'intermédiaire des agents Tozer, Kemsley & Fisher. C'était un résultat remarquable, alors que, selon le livre de Dudley Noble intitulé «Les grandes étapes d'une vie d'automobiliste" (5), «Rouler en automobile était encore une grande aventure, même à cette époque qui n'appartenait pourtant plus aux premiers âges de J'automobile. Lors d'une promenade à Londres, J'on aurait eu du mal à rencontrer une douzaine de véhicules à autopropulsion ".

M. Mc Bride ressentit sans aucun doute la pression de la charge accrue de travail qui s'abattait sur lui du fait de l'augmentation des ventes. En octobre 1905, il démissionna de ses fonctions de directeur général et, un mois plus tard, il renonça à ses fonctions d'administrateur délégué et de secrétaire général' de la société.

Durant les neuf mois pendant lesquels il avait servi «Renault Fréres Limited ", il contribua sans aucun doute à son lancement initial et aida à creuser les fondations sur lesquelles la société devait prospérer plus tard.

Du changement dans l'air

Lorsque M. Mc Bride renonça à sa qualité de directeur général, M. P.L.H. Dodson, un ancien vendeur de la firme Cockshoots, de Manchester, fut nommé à ce poste. Un mois plus tard, en novembre 1905, M. Dodson fut nommé administrateur délégué. Promotion très rapide, et qui devait avoir des répercussions majeures sur la société.

1905 -Une année mémorable

Après la constitution de « Renault Frères Limited » en 1904, avec son conseil de cinq administrateurs, et la démission de M. Lecoq Mc Bride, membre fondateur et premier admi­nistrateur délégué de la société, 1905 allait se révéler être une année mémorable.

(5) «Milestones in a Motoring Lite,..

Une voiture Renault vendue en 1902 au Royaume-Uni par la Road­way Autocar Company Limited.

En février, une des premières décisions du conseil d'admi­nistration fut de limiter les fais de voyage de ses adminis­trateurs. Deux de ceux-ci vivaient à Paris, mais étant donné que le conseil d'administration se tenait à Londres,. cela nécessitait de fréquents voyages. Il fut donc décidé que

« les administrateurs allant soit à Paris, soit à Londres pour des affaires concernant la société recevront la somme de huit livres pour couvrir leurs frais».

Un mois plus tard, en mars, la société «Renault Frères Limited » adhéra à 1'« Association des commerçants et fabri­cants d'automobiles» (6), nouvellement créée, et fut parmi les premiers fabricants à en devenir membre.

Un vendeur prend le relais

Le reste de l'année fut calme, jusqu'à ce que M. Lecoq Mc Bride démissionne en novembre, et que sa place soit prise par l'ancien vendeur de la firme Cockshoots, Dodson.

La politique de M. Dodson, approuvée par le conseil d'admi­nistration, est d'une lecture intéressante à la lumière des développements ultérieurs et des techniques actuelles d'ateliers. Un de ses premiers problèmes fut l'atelier de réparations -il avait des difficultés à recouvrer l'argent dû par les clients au titre des réparations. Les possesseurs de voitures étaient alors probablement aussi exigeant qu'ils le sont aujourd'hui. Pour faire face à ce problème, le conseil d'administration décida que «si le service-réparations était obligé de livrer une voiture pour laquelle la réparation n'était pas entièrement payée, M. de Ram, directeur du service,

demanderait au propriétaire ou à son chauffeur, un reçu spécifiant que la voiture avait été livrée dans des conditions parfaites et en parfait état de marche ».

Il n'y a pas d'archives pour savoir combien de clients signè­rent ces reçus, ou combien de refus furent dénombrés. A cette époque, la conception de ce que pouvait être «de parfaites conditions et un parfait état de marche» ne s'appuyait pas sur une législation commerciale détaillée!

L'administrateur délégué nouvellement nommé dû affronter un second problème, les relations avec le client (<< traiter avec le client », comme on disait alors). M. Dodson ne devait pas être satisfait de la situation puisqu'il posa en principe -avec l'accord du conseil d'administration -que le ser­vice-réparations devait avoir aussi peu de contacts directs que possible aveè les clients, et que l'administrateur délé­gué devait contrôler soigneusement la partie commerciale du service-réparations.

En plus de cela, le conseil d'administration considéra que « le bénéfice du service-réparations était excessif, et qu'il ne devait pas dépasser 15 à 20 % ». Avec ces mesures, c'en était trop pour M. de Ram, qui donna aussitôt sa démis­sion. Non seulement il s'opposait à la diminution de ses contacts avec le client, mais très certainement aussi à la

(6) «Society of Motor Manufacturer8 and Trader8 ».

diminution du bénéfice, qui incontestablement affectait sa rémunération. Son salaire était en effet de 4 livres par mois, plus 20 % des bénéfices du service-réparations.

M. Dodson eut aussi d'autres problèmes. Le conseil d'administration s'inquiétait des frais des employés.

Le conseil d'administration lui donna en conséquence comme instruction de mettre un terme autant que possi­ble aux frais des employés auxquels la police avait dressé une contravention pour diverses raisons, telles qu'excès de vitesse, etc. L.:e conseil, tenant compte de l'exagération souvent montrée par la police, décida que l'on pouvait excu­ser une ou deux amendes, mais que tout employé ayant été pénalisé deux fois devrait ensuite payer de ses pro­pres deniers.

1906 -Une année d'expansion

L'année suivante -1906 -fut une année de développement. Des projets furent soumis au c'onseil d'administration pour l'achat de terrains à Seagrave Road, West Brompton (7), pour la somme de 1 350 livres, et l'on décida aussi de pas­ser contrat avec autant de carrossiers que possible. Les fabricants de voitures, à cette époque, livraient les voitures sous forme de châssis, les carrosseries étant fabriquées par des carrossiers spécialisés. La décision de conclure des contrats avec autant de carrossiers que possible indi­quait une demande accrue de voitures Renault au Royaume­Uni. En fait, cet accroissement de la demande eut des répercussions sur les administrateurs de la société, car, cette année-là, il fut décidé qu'une seule voiture serait allouée aux administrateurs de la société pendant chaque année financière. Le client d'abord!

La vente de l'année

Au milieu de tous ces progrès, «Renault Frères Limited» réussit sa première vente à un membre de la famille royale -le roi Edward VII. Il acheta une Landaulette 14/20 ch. La carrosserie avait été construite par Hooper et, quelques années plus tard, la voiture fut utilisée régulièrement par la reine Alexandra, qui la fit équiper de roues en acier en 1918. Ensuite, elle fut utilisée par le roi George V, jusqu'en 1926. Cette voiture passa donc 20 années au service de la famille royale. Actuellement, elle fait partie d'une collec­tion privée. La Renault 14/20 ch avait vraiment été conçue pour durer! A l'occasion de la vente de la première Renault à un membre de la famille royale, le conseil d'administra­tion fit part officiellement de sa satisfaction à son direc­teur et agent commercial, E.A. Stonor, «pour le service inestimable rendu à la société par la vente d'une voiture 14/20 ch à Sa Majesté le Roi». Somme toute, 1906 fut une année prospère pour la société «Renault Frères Limited ".

Merci, M. Dodson

En novembre, le président du conseil d'administration, Fernand Renault, proposa un vote de remerciement à

M. P.L.H. Dodson pour «l'excellente façon dont il avait mené les affaires de la société» et, en même temps, sou­haita « exprimer sa gratitude pour les bénéfices qui avaient été réalisés par la société sous la direction de M. Dodson ». Le conseil d'administration décida d'accorder un dividende de 25 %.

144

Un taxi Renault dans une rue de Londres en 1907.

Une pénurie de voitures

L'année 1907 commença par une pénurie de voitures. Avait­on jamais entendu parler de cela auparavant? Les taxis Renault étaient devenus un spectacle familier des rues de Londres -des taxis semblables allaient, sept ans plus tard, écrire l'histoire en France, pendant la Première Guerre mondiale, «les taxis de la Marne », la première utilisation massive des moyens de transport civils pour le déplace­ment des troupes. La «Compagnie générale des taxis à moteur d'Angleterre» (9) avait une option sur 500 autres taxis pour l'année, et l'on devait importer de France 300 voitures supplémentaires. Les administrateurs de «Renault Frères Limited» étaient toujours limités à une voiture par an chacun.

Ces pénuries furent cependant considérées comme étant temporaires et elles ne détournèrent pas les frères Renault de leurs plans d'expansion. Vers la fin de 1906, on avait obtenu le feu vert pour la construction d'un nouvel atelier de réparations sur les terrains de Seagrave Road, West Brompton. Le contrat concernant la construction des nou­veaux locaux fut adjugé à Holliday et Greenwood pour la somme de 5414 livres. L'on espérait que l'atelier de répa­ration serait opérationnel en juin 1907.

1907 vit l'ouverture de Brooklands. La première course eut lieu en juillet, et l'événement principal fut la coupe à la mémoire de Marcel Renault, avec 400 livres de récom­pense au premier (8).

Des problèmes de brevets

La décision concernant les droits attachés aux brevets Renault fut peut-être l'une des plus importantes décisions prises par le conseil d'administration cette année-là.

(7)

We8t Brompton e8t un quartier situé à l'oue8t de Londre8.

(8)

Brooklands était un circuit automobile célèbre autrefoi8. Le vainqueur de la cour8e, à la mémoire de Marcel Renault recut en fait une plaque commémorative.

(9)

« The General Motor Cab Company in England ».

Entre 1899 et 1904, Louis Renault fit enregistrer à son

nom pas moins de 9 brevets. Ils apportaient des amélio­

rations dans les domaines suivants :

-mécanismes de direction et de changement de vitesse

(1899),

-changement de vitesse et embrayage (1901),

-appareils de graissage pour moteurs à explosions rapi­des (1902),

-soupapes pour moteurs à explosion (1902),

-essieux avant (1903),

-appareils de graissage (1903),

-moyen d'amortir les chocs dans le mécanisme des véhi­

cules à moteur (1903),

-carburateurs pour moteurs à pétrole à combustion

interne (1904).

-systèmes de refroidissement pour automobiles et véhi­

cules apparentés (1904).

Chaque brevet avait trait aux véhicules à moteurs et était

enregistré en Angleterre. C'était sans aucun doute une per­

formance remarquable pour un jeune homme de 27 ans,

dans ce qui était virtuellement une nouvelle industrie.

En 1908, l'on discuta d'un bout à l'autre de l'année pour

savoir si l'on devait fabriquer sur place, en Angleterre, les

produits Renault.

Il fut décidé qu'en raison de l'introduction prochaine au

Royaume-Uni de nouvelles lois sur les brevets, lois qui

affectaient un domaine législatif étendu, la décision de fabri­

quer en Angleterre devait être repoussée pour le moment.

Ces nouvelles lois traitaient des points suivants:

-plaintes pour usurpation de marque,

-emploi simultané du même procédé,

-litiges,

-actions en justice des demandeurs,

-frais de justice,

-procédure.

La décision du conseil est compréhensible, étant donné

la complexité des lois sur les brevets, et en comparaison,

la faiblesse de la production prévue en Angleterre.

Sept modèles

La gamme de modèles en 1908 comprenait une 20/30, 4 cylindres, une 10/14, 2 cylindres, une 14/20, 4 cylindres (la voiture du roi), une AG, 2 cylindres (châssis de taxi), une AX, 2 cylindres (il y en a encore beaucoup), une 35/45, 4 cylindres et une 50/60, 6 cylindres.

Alors que l'atelier de réparations changeait de place pour aller s'installer dans ses nouveaux locaux à Seagrave Road, le service des ventes avait beaucoup de travail en vendant des Renault aux personnes éminentes de l'époque, comme Lord Curzon (ministre des Affaires étrangères), la comtesse de Kilmorey, Sir John Kelk, Sir Henry Harbin, Lord North­c1iffe (fondateur du « Daily Mail,,), Lord Leconfield, Sir Basil Montgomery, Sir Edward Richard et le comte de Bradford. Un autre client intéressant était « Monsieur Alfred", Alfred Charles de Rothschild, riche célibataire vivant dans une grande maison de style français qu'il avait fait construire en 1884 sur la propriété Rothschild à Halton, dans le comté de Buckingham. Il distrayait ses invités avec prodigalité, allant les chercher à la gare avec une flotte de six voitures -dont deux étaient des Renault 10/14 et 14/20. Les voitures étaient peintes aux couleurs de course de Rothschild, c'est­à-dire en bleu rehaussé de jaune.

Tels étaient alors les clients de la société Renault en 1908 -les gens riches et influents de ce pays.

Changement de direction

Vers la fin de 1908, Fernand Renault abandonna toutes ses activités professionnelles à cause de sa mauvaise santé, et mourut peu après. M. Louis Renault le remplaça comme président de «Renault Frères Limited".

En février 1909, M. Dodson donna sa démission en tant qu'administrateur délégué, mais continua d'exercer ses fonctions de directeur général. Il fut remplacé par un admi­nistrateur fondateur, M. E.A. Stonor. M. Dodson était un homme résolu à aller loin. Deux mois plus tard, il quittait la société pour devenir administrateur de 1'« Association nationale des conducteurs d'automobiles" (10). Quatre ans plus tard, il partait pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande, via Le Cap, emmenant avec lui une nouvelle voiture, la Dodson Coloniale 12/16.

Quand M. Dodson démissionna de son poste de directeur général en avril 1909, il fut remplacé par M. H.R. Wilding, qui devait rester dans la société pendant 4 ans.

Des salles d'exposition à Pail Mali

L'établissement de l'atelier de réparations à Seagrave Road ayant été couronné de succès, la société Renault Frères décida que pour elle le temps était venu d'avoir des salles d'exposition plus prestigieuses. Le site choisi fut celui de Ve Bell Inn, 21, Pail Mali (11). Il fut acheté pour 20300 livres plus 700 livres de patente.

Dans la pure tradition Renault, ayant acheté le pub, on le démolit, afin de construire les nouvelles salles d'exposition de voitures. Pendant la démolition on découvrit, à ce que l'on raconte, un passage derrière le bar du salon. Il courait sous terre jusqu'à la berge de la Tamise. On apprit que le célèbre voleur de grand chemin, Dick Turpin, s'était servi de ce passage à maintes reprises pour échapper aux New­gate Runners (12) -au grand étonnement des autorités qui le faisaient reèhercher avec ardeur.

Un contrat pour la construction des salles d'exposition fut ensuite conclu pour une somme de 9434 livres. Cepen­dant, 913 livres de plus avaient dû être payées aux « Sala­man Trustees» et 1 087 livres à la «Société d'assurances Law» pour les droits de vue. Il s:agit du droit de vue sur les terrains voisins dont jouit le propriétaire d'un immeuble.

(10)

«National Society of Chauffeurs ».

(11)

PaIl Mal! est une des grandes artères de Londres, reliant le palais de Buckingham à la célèbre place Trafalgar Square.

(12) Dick Turpin était un célèbre bandit de grand chemin au 18" siè­cle. Les Newgate Runners sont des gens de police (cf. à Paris, à la mlime époque, les archers du guet).

Un tel droit est obtenu soit par une jouissance ininterrom­pue pendant 20 ans, soit par une autorisation écrite qui, une fois établie légalement, ne peut être annulée. Aucune construction venant à l'encontre de ce privilège n'est auto­risée.

Pendant le reste de l'année, la société Renault Frères conti­nua à prospérer. Le dividende, eu égard aux affaires de l'année précédente, fut augmenté de 25 % à 60 % et l'on accorda des primes au personnel pour les bons résultats obtenus en 1909 et 1910.

Changement d'appellation

En décembre 1910, il fut décidé de changer le nom de la société en «Renault Limited" -nom qui a subsisté à ce jour. En même temps, on signa pour les locaux de Se a­grave Road un nouveau bail d'une durée de 99 ans, et du matériel supplémentaire fut acheté pour une somme de 1 160 livres.

Les salles d'exposition de Pail Mali furent ouvertes au début de l'année 1911. Le bâtiment se composait d'un sous-sol, de quatre étages et d'un entresol. Le sous-sol était utilisé pour entreposer les voitures. Le rez-de-chaussée servait de salle d'exposition, trois voitures y tenaient place facile­ment, et était aménagé suivant le modèle des salles d'expo­sition Renault aux Champs-Ëlysées, avec des glaces aux murs qui lui donnait une taille apparemment considérable. Le sol était de marbre d'Italie. Au-dessus de la salle d'expo­sition, il y avait l'entresol. De grandes portes doubles en verre s'ouvraient sur la salle de réunion du conseil d'admi­nistration qui était meublée en style Louis XIV.

Le premier et le second étage comprenaient des bureaux, ainsi que le siège social de la société. Au dernier étage il y avait un appartement indépendant, avec deux chambres. Il était utilisé par Louis Renault pendant ses visites à Lon­dres, ainsi que par d'autres administrateurs de Paris venant à Londres.

En plus de l'escalier, bordé par une rampe en fer forgé, les cinq étages étaient desservis par un ascenseur à com­mande hydraulique ou à corde. Lorsque le système hydrau­lique tombait en panne, l'ascenseur se bloquait et devait être actionné avec une corde par ses occupants. Les portes d'entrée de la salle d'exposition, faites de glaces et de cuivre, étaient si lourdes qu'il était parfois difficile aux clients d'entrer dans la salle. Il fallait être fort pour ache­ter une Renault!

Couronnement de George V

En mai, il fut décidé de louer le bâtiment pour 950 livres, afin qu'il soit utilisé par des spectateurs lors des deux défi­lés du couronnement qui devaient avoir lieu cette année-là. Cependant, on s'aperçut par la suite que cette somme avait à peine couvert les dépenses engagées pour distraire les nombreux invités qui assistèrent aux cérémonies, et l'on prit en conséquence la décision de ne jamais recommencer l'expérience!

Parmi les autres problèmes rencontrés en 1911, il Y avait, toujours présent, celui du recouvrement de l'argent des clients -à la fois pour les voitures qU'ils avaient achetées et pour leur réparation. Il fut, par conséquent, décidé de ne pas accepter de traites en règlement des comptes clients (les traites sont des promesses de payer une somme

d'argent à une certaine date), "sauf pour les clients ayant des comptes de dépôt avec un soide créditeur supérieur au montant de la traite! ».

Il n'y a pas de documents montrant comment on persuada à l'époque les clients d'avoir des comptes de dépôt chez Renault.

Rémunération

La rémunération de la direction et des employés semble avoir été un objet constant d'attention.

En 1911, la rémunération du directeur de l'atelier de répa­rations fut révisée, ainsi que celle des vendeurs. Il fut décidé que M. Hommel, le directeur de l'atelier de répa­rations, recevrait 1 % sur le chiffre d'affaires de l'atelier de réparations, plus 2 1/2 % du bénéfice réalisé par l'ate­lier. La commission des vendeurs fut revue et passa à 5 % du bénéfice réalisé sur les «ventes directes", l'adminis­trateur délégué conservant la prérogative de déCider ce qui constituait une «vente directe -. Il semble bien que le caractère compliqué des commissions des vendeurs n'ait pas changé!

Périodes fastes

A tout prendre, 1911 semble avoir été une année prospère pour «Renault Limited» car les bénéfices permirent de créer un fonds de réserves. 50000 livres furent mises de côté pour pouvoir parer à toute éventualité. Il s'agit cer­tainement d'une confirmation de cet adage, ancien, mais tellement sain, du monde des affaires, «en période faste, il faut se préparer au pire ".

La sagesse de cette décision se refléta dans les résultats de l'année suivante, qui, bien qu'étant bons, aboutirent à un dividende de 25 % contre 60 % l'année précédente.

Préjugés contre progrès

Pour écrire l'histoire de Renault au Royaume-Uni, il convient de jeter un coup d'œil sur le contexte de l'époque, qui eut son influence sur le développement de la société.

En 1913, «Renault Limited» nomma son premier directeur des ventes à plein temps -M. L.S. Carle.

Quels furent les principaux problèmes qu'il eut à résoudre?

En 1913, l'automobile n'était en aucun cas universellement acceptée dans le pays. Alors que Paris voyait ses derniers bus tirés par des chevaux, l'opinion publique en Angleterre était âprement divisée en ce qui concerne l'adoption de l'automobile, en particulier dans les zones rurales.

Un compte rendu paru en 1913 dans 1'« Auto Motor Jour­nal" était très représentatif des oppositions que rencon­trait l'automobile. On pouvait lire : «Les habitants de Dun­ton Green, Kent, ont organisé un défilé anti-automobile dans les rues et ont présenté une requête au roi, lui deman­dant de prendre des mesures immédiates afin de mettre un terme à la conduite furieuse des automobiles dans leur village, dont les habitants étaient tués ou mutilés ». En outre, une Miss Lucy Kemp-Walsh reflétait certainement les vues de beaucoup lorsqu'on rapporta qu'elle avait dit:

«Je préfère de loin conduire derrière mon bon vieux che­

val ».

Les attitudes de la population dans d'autres parties du pays étaient diverses. Alors que Leeds voyait, le 30 août, ses premières funérailles automobiles, qui comprenaient un corbillard automobile et trois voitures fermées, Redhill refusait aux convois motorisés l'autorisation d'entrer dans J'enceinte de son cimetière.

L'attitude de la police n'aidait pas précisément les auto­mobilistes. A une audience du tribunal de Cardiff. au cours d'un procès en appel, lors des assises trimestrielles, un témoin rapporta que : «La police faisait preuve du plus grand zèle pour àttraper les automobilistes ».

Grève des maréchaux-ferrants

Dans le quartier de Salford, à Manchester, une grève des maréchaux-ferrants fut considérée par la presse comme «particulièrement inopportune» car les entreprises utilisa­trices de moyens de transport avaient beaucoup remarqué la traction à moteur. La grève les contraindrait à abandon­ner l'utilisation du cheval plus tôt que prévu.

Le conseil du comté de Fulham fit savoir que, « étant donné les difficultés rencontrées pour se procurer un bon cheval pour le garde de la ville, le conseil proposait de lui four­nir une automobile! ».

Alors que la commission du conseil municipal de la ville de Wolverhampton qui avait pour mission de gérer les tram­ways, examinait le projet de mettre sur pied des services automobiles, l'attitude de Southport était plus ouverte car,

« en dépit d'oppositions considérables, l'on décida d'ache­ter deux bus, qui, pensait-on, commenceraient à rouler sur la promenade quelques temps après Pâques ». Bradford décida également de « donner leur chance aux autobus ».

l'avenir?

Alors que ces réflexions de l'opinion publique constituaient une bonne part des nouvelles en 1913, la «Conférence impériale des transports à moteurs», sous la présidence du prince Arthur of Connaught, prenait des décisions impor­tantes. Voici quelques exemples de sujets étudiés à cette conférence :

-l'organisation des transports à moteurs pour le trans­port de marchandises et sa valeur pour le commerce du pays;

-les types de véhicules pouvant être utilisés à des fins

industrielles ou militaires;

-le transport de passagers, et autres utilisations par

les municipalités des transports à moteur, tels que services

d'ambulance et de lutte contre l'incendie.

Le receveur général des postes se montra, à l'époque, d'une grande prévoyance. Il accepta une suggestion de 1'« association des usagers commerçants. (la), qui consis­tait à installer des téléphones aux arrêts de taxis de St-James' Square, de Lower Regent Street et du Mali (14), ceci pour une période expérimentale.

Essence en hausse

Tel était donc l'arrière-plan du marché en 1913. Cependant,

M. Carle eut d'autres problèmes. Le prix de l'essence fut augmenté de trois pence par gallon -passant à deux shil­lings par gallon! Comment cela affecterait-il les ventes de Renault? Bien qu'il n'y ait pas de documents pour mon­trer si elles furent touchées défavorablement, les effets combinés de l'incertitude sur l'avenir de l'automobile et de l'augmentation du prix de l'essence eurent pour consé­quence la démission du directeur général de «Renault Limited., M. H.R. Wilding. Il fut remplacé par M. A.S. For­syth. M. Wilding était directeur général depuis 1909.

L'augmentation du prix de l'essence eut ses répercussions dans la salle du conseil d'administration. Il y fut décidé ceci : «aucun membre du personnel ne sera autorisé à uti­ser des voitures d'essai sans l'approbation du conseil d'ad­ministration par l'intermédiaire de son administrateur délé­gué, M. E.A. Stonor. Celui-ci peut utiliser à sa discrétion ces voitures, à des fins publicitaires, dans la mesure où il le juge être l'intérêt de la société et afin de stimuler les ventes ».

L'année 1913 se termina par une brillante exposition des nouvelles Renault à Olympia (lf,). Le stand Renault présen­tait fièrement un châssis étincelant, le 22.4, éqUipé d'une installation électrique SEV et de roues démontables Renault. L'éclairage électrique, qui remplaçait les lampes à acéty­lène sur les voitures, était relativement nouveau. Trois voi­tures complètes furent présentées : une 13.9 ch avec une carrosserie type de torpédo, une 26.9 ch carrossée en limousine Landaulette par Cockshoot, et une 15.8 ch carros­sée en limousine de ville par Keller. Cette voiture était aussi munie d'un démarreur automatique -autre innovation à cette époque.

Harry O. LUKES

Adaptation française de Jean-Claude Magrin

Cà suivre)

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The «Commercial Users Association ».

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Quartier8 résidentiels très riches (St-James' Square), et de bouti­ques de luxe, fréquentés par les touristes (Lower Regent Street, Mali). Le Mali, parallèle à Pail Mali, e8t une des grande8 artères reliant le palais de Buckingham à Trafalgar Square.

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Olympia e8t le palaiS des expOSitions de Londres.