06 - Bien dans ma peau

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Bien dans ma peau

Pierre LHOMMET

Je suis le descendant de ruraux originaires du pays de Caux. Dans la famille on était cultivateur de père en fils, mais dans quelques cas cependant il y eut aussi des marins. Mon père n'a pas suivi la tradition, il fut cordonnier, bottier et marchand de chaussures. Il émigra dans la région parisienne et pendant une période de chômage il se fit embaucher comme jockey aux usi· nes Renault où il fit un bref séjour, car à cette époque, l'indus­trie automobile avait un caractère saisonnier très accentué. Il en avait gardé un bon souvenir, ce qui me revint en mémoire quand, ultérieurement, je choisis d'entrer à la Régie.

J'ai fait des études primaires supérieures jusqu'à 17 ans. En mai 1936, j'ai commencé à travailler. J'ai occupé différents emplois, car, pour avoir une place stable, 11 fallait avoir rempli ses obligations militaires. La guerre est survenue alors que j'étais sous les drapeaux.

La paix revenue, je suis entré au ministère de l'Air où j'ai ren­contré le colonel Rozanoff qui me recommanda à son ami

M. Albert (ex-moteurs d'avions Renault) ; ce dernier me demanda de prendre contact avec M. Serre, patron du bureau d'études, qui me reçut avec M. F. Picard, son adjoint. Après m'avoir longuement interrogé, ils m'orientèrent vers M. Riolfo, chef des essais spéciaux. C'est ainsi que je fus affecté au fameux atelier 153, le 8 juillet 1946.

Au 153

Me voici ouvrier spécialisé 2· échelon; en fait essayeur. Cha­que jour, je dois effectuer nombre de kilomètres pour des essais de pneumatiques et de consommation d'essence, entre autres.

Il fallait aller à Lille, à Clermont-Ferrand ou encore sur l'un des circuits tracés dans la région parisienne, d'abord avec des Juvaquatre puis bientôt avec des 4 CV. C'était le premier prototype sur le~uel je travaillais. A ce moment-là, nous n'utilisions que peu d'appareils de mesure.

Parallèlement, une voiture fut transformée avec arceaux intérieurs. Elle fut confiée à Raymond Delmotte qui, sur l'aérodrome de Dreux, chercha les limites de tenue de route.

Avec mes collègues du moment: Poulain, Laluyaux, Lanoy, Steigelmann, Laguian, le Père Delion, Lionel Gollain sous la responsabilité directe de Léon Baudoin (adjoint de M. Riolfo) côté voitures particulières), nous avons roulé sur d'autres pro­totypes, notamment l'ancêtre de la Colorale, châssis de 1 000 kg, moteur 85 avec une boîte à trois, puis quatre vitesses -carrosserie " canadienne" -. La série Colorale qui en découla fut assez largement modifiée.

Le rallye de Monte-C~r1o

En 1949, j'ai participé à un rallye de Monte-Carlo avec Fred Leblanc. C'était un ancien vendeur de la S.A. des usines Renault qui s'était installé à Orléans. D'autres 4 CV étaient engagées, dont une par Louis Rosier.

Notre équipe est partie de Lisbonne. Pas question de transpor­ter la voiture, c'est par la route que nous les avons rejoints. L'itinéraire à couvrir passait par Madrid, Bordeaux, Orléans, Reims, Paris, Nevers, Puget-Théniers, Grasse, avec arrivée au petit matin à Monte-Carlo. A Pithiviers, nous avons connu une panne: pale de ventilateur cassée, à cause des écopes de chauf­fage qui provoquaient des flexions alternées. Nous avons perdu là un temps précieux. Dommage, car, pendant les épreuves de classement, nous avons réalisé un très bon temps. Mais nous étions loin du vainqueur...

Après le rallye, je suis tout naturellement revenu au 153 etj'ai continué à faire des essais sur route. Début 1950, j'ai participé à un nouveau rallye de Monte-Carlo comme équipier de Charles Lahaye qui, lui aussi, avait un passé dans la maison. Dans sa jeunesse, il avait travaillé aux usines Renault, était devenu T.P. à Dijon et avait gagné un rallye de Monte-Carlo avec Quatresous. C'est par goût qu'il participait aux compéti­tions ; à l'époque, il n'y avait que très peu de professionnels.

Cette année-là, nous n'avons pu terminer le rallye, nous n'étions d'ailleurs pas les seuls. Entre Nevers et Roanne, il y avait au moins 200 voitures dans les fossés. Par suite du mau­vais temps, la route était devenue glissante et les pneus à clous étaient peu répandus.

Alger -Le Cap

La fin de 1950 fut consacrée à la préparation du 1"' rallye

Alger -Le Cap.

La Régie avait engagé (1) :

2 4 CV . . . . . . . . . . . . . . .. Laguian -Lagarde Steigelmann -Nietto 1 Pick-up Colorale Lepan -Pastor Pucchanseri, journaliste -1 Savane .............. Lhommet -Lesprit

G. Bonneau, cinéaste

M. Ovazza, docteur -1 1 000 kg . . . . . . . . . . . .. A venel -Soler Bourneau, journaliste

de Montfort -1 ST (4220) . . . . . . . . . . .. Lafont -Vautrin -Cadenel

M. Lefaucheux avait tenu à ce qu'un docteur soit intégré à l'équipe Renault, Max Ovazza. Il appartenait à l'Institut Pas­teur, connaissait bien l'Afrique puisqu'il y résidait fréquem­ment. Lors de ses séjours à Paris, il était voisin de notre P.-D.G. Avec G. Bonneau, il était passager de la Savane (nO 5).

(1) Liste établie de mémoire. Toutes mes excuses s'il y a une erreur.

-Gilles Bonneau, cinéaste (et ancien correspondant de guerre de

l'U.S. Air Force), réclamait souvent des arrêts afin de pouvoir

réaliser son film. Mais il n'était pas question de s'arrêter...

Les deux 4 CV ont quitté Alger le 31 décembre 1950 ; les qua­tre autres véhicules sont partis le 1"' janvier 1951. Nous sommes arrivés au Cap fin février. Les départs étaient échelonnés pour des questions d'hébergement. Au Sahara, la piste était balisée par des bidons de 200 litres et des épaves de camions.

Les 4 CV eurent des difficultés de parcours, elles connurent en particulier des problèmes de filtrage d'air à cause de la pous­sière. Elles arrivèrent malgré tout au but. Quant à nous, nous avons cassé beaucoup de ressorts, mais, en Afrique, il ne fallait pas s'attendre à autre chose.

A Alger: G. Avenel (à gauche) et G. Laguian.

Nous avons vu plus haut que nous étions 4 dans la voiture nO 5. Mais il y avait également les pièces de rechange, l'eau de réserve et les bagages 1La Savane pesait 2 740 kg et elle avait été préparée rapidement. Avant le départ pour l'Afrique, j'avais dû aller en Scandinavie pour préparer la Colorale dans sa version taxi. On m'avait assuré qu'on préparerait le véhicule pendant mon absence. A mon retour, rien n'était prêt.

Après bien des péripéties, nous sommes arrivés à bon port. Nous avons gagné dans notre catégorie avec une voiture sans une bosse alors que le vainqueur absolu, ayant effectué plu­sieurs tonneaux, avait une voiture en piteux état. Notre moyenne n'a jamais été inférieure à 47 kilomètres/heure mal­gré les montagnes du Congo belge qu'il fallait franchir avec une voiture lourde disposant d'une démultiplication trop longue; il est vrai qu'on se rattrapait dans les descentes.

En résumé, ce fut une bonne publicité pour la marque, car, aller au Cap avec une 4 CV, il fallait le faire 1 Une autre édition de ce rallye eut lieu l'année suivante. Au cours d'une

Au départ d'Alger: à droite P. Lhommet, à gauche V. Soler.

conversation, M. Lefaucheux me révéla qu'une nouvelle parti­cipation avait été envisagée. Mais les conditions d'organisation étant assez précaires, notre direction préféra s'abstenir.

Au retour, nous fûmes plusieurs à participer aux essais d'endu­rance de la Frégate. Parmi nous, notre camarade Hamberger (ancien de l'équipe des records avec Fromentin).

Les grosses flottes

En octobre 1951, je quittai le 153. M. A. Groshenry venait d'être chargé de créer un service d'essais pratiques. Il s'agissait d'utiliser comme un particulier les véhicules de la marque et ceux de la concurrence.

En juillet 1952, j'ai été muté aux Renseignements Techniques (dirigés par M. Dupuich). Je suis parti en Scandinavie parce que, en Suède, en particulier, il y avait 300 Frégate dont les numéros de fabrication étaient inférieurs à 3 000, ce qui signi­fiait qu'un certain nombre de modifications étaient néces­saires. Puis, je suis allé en Italie. Au cours de mes différentes missions, j'ai parcouru toute l'Europe occidentale, sauf la Grande-Bretagne.

En 1955, M. Fonade, alors chefrégional de l'Après-Vente pour Paris et la Seine, me fit venir à Courbevoie pour m'occuper des grosses flottes dont les véhicules étaient vendus par des conces­sionnaires (Astra, Danone, Fraikin et bien d'autres).

Le 2 janvier 1956, M. René Lhermitte succéda à M. Fonade. Excepté une interruption de dix-huit mois environ, j'ai eu le même patron direct pendant vingt ans. De 1956 à 1965, tout d'abord. Puis, en 1966, j'ai été affecté à la succursale V.1. de Choisy-le-Roi devenue SAVIEM entre-temps. En 1967,

M. Lhermitte, étant passé à la SAVIEM, créa le service Après­Vente" Cars et Autobus" et m'affecta au secteur Nord-Paris­Île-de-France.

Ayant débuté ma carrière comme ouvrier spécialisé, j'ai fran­chi les différents échelons jusqu'à celui d'attaché technique. J'avais eu la chance de bénéficier d'un accord intervenu entre MM. 'Picard et Remiot qui f~cilitaient le passage du personnel technique au technico-commercial (M. Remiot étant à ce moment-là directeur de l'Après-Vente et de la Qualité).

Lorsque j'étais O.S., je venais le samedi à l'école, rue de la Ferme, pour me perfectionner en ajustage afin de pouvoir accéder à l'échelon supérieur. M. Groshenry m'a également donné des cours pour affronter M. Gourdou. S'il fallait recom­mencer, je le ferais (en essayant de faire mieux).

Pierre LHOMMET

A Fort-Archambault, Pierre Lhommet

au volant de la Savane.

Devant la voiture, E. Lafont et M. Vautrin.