05 - Renault au Royaume-Uni (1914-1939)

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RENAULT au Royaume-Uni (1914-1939)

Renault et les débuts de l'aviation de combat britannique

Le 4 août 1914, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne.

« Renault Limited" fut engagé pour la durée de la guerre dans la production de pièces détachées de moteurs d'avion. Du reste, les moteurs d'avion Renault avaient déjà été utili­sés à l'essai par les autorités militaires britanniques, trois ans auparavant. Deux Bristol Boxkites, utilisés dans les écoles de l'air à Hendon et Eastbourne, avaient été équipés avec des moteurs Renault de 60 CV en 1911. Le BE l, équipé initialement avec un moteur Wolseley, reçut un 60 CV Renault. Cet avion fut alors connu dans les cercles aéro­nautiques sous le nom de «ravi,on silencieux ». Il avait une vitesse de 59 miles à l'heure (95 km/hl et pouvait atteindre 600 pieds (180 m) (1) en 3 minutes 54 secondes. Il fut utilisé par le « Royal Engineers Air Battalion » et, plus tard, par 2 escadrilles du «Royal Flying Corps» (2). Il y avait peu d'avions à cette époque. Le «Royal Flying Corps ", formé en mai 1912, possédait seulement quatre avions en service à sa formation.

Mais dans l'été de 1914 des avions furent commandés en hâte, et le BE 20 en quantité! Six BE 1 à moteur Renault furent commandés par le 2e groupe du « Royal Air Service" en août 1914. Parmi les avions équipés d'un moteur Renault, il y avait aussi le BE 2C, dont le moteur de 70 CV pouvait atteindre une vitesse maximale de 75 miles à l'heure (120 km/hl. Ces moteurs étaient produits par Napiers & Millers sous contrat du ministère de la Guerre et coûtaient 522,10 livres. Le FE 2 et le RE 1 étaient équipés avec les mêmes moteurs Renault de 70 CV, et les avions étaient utilisés opérationnellement par le «Royal Flying Corps" sur le front de l'Ouest.

Un hydravion prototype fut aussi pourvu d'un moteur Renault de 100 CV et un Short 184, fabriqué par les frères Short, fut pourvu d'un moteur Renault de 240 CV. Au total, 650 de ces avions furent construits, avec des moteurs Renault ou Sunbeam, et furent utilisés pendant la guerre au Moyen-Orient et par la « Grande Flotte" (3) en opération. On peut seulement en conclure que la demande de moteurs d'avion Renault se fondait sur leurs performances et leur fiabilité.

Les notes techniques de vol, publiées par le «Royal Flying Corps" en 1916, donnent des renseignements intéressants:

« Moteurs Renault -matériaux : brides et roues dentées en acier moulé. Carter moteur en alliage d'aluminium. Cylindres et culasse en fonte. Segments de piston. Pistons en acier estampé. Arbre à came en acier argenté fonctionnant sur des paliers en bronze phosphoreux. Coulisseurs et pieds de bielle. Paliers de vilebrequin en bronze phosphoreux garnis de métal blanc. Culbuteurs et broches sont huilés à la main quotidiennement ".

(1)

Un pied = 0,3048 mètre; un mile terrestre = 1609.31 mètres.

(2)

Les tout premiers débuts de l'aviation militaire britannique se situent en 1912-1913 avec l'installation à 8alisbury-Plain­Farnborouah d'un camp d'instruction où viennent s'entraîner les premiers officiers aviateurs ana/ais. tous volontaires. sur des avions français de type Blériot. Bréauet. Farman ou Nieuport (René Chambe, «Histoire de l'Aviation ». P. 145). D'après cet auteur. le «Roual Flying Corps », ancêtre de la célèbre «Royal Air Force» (R.A.F.). ne sera créé Qu'en février 1914.

Quoi Qu'il en soit. il faut remarquer l'avance de l'aviation fran­çaise d cette époque. et son influence sur le développement de l'aviation dans les autres .pays.

Les premiers avions furent affectés d des tâche8 d'observation. D'où leur rattachement, d l'origine, au corps du génie -ainsi la création d'un «BataiZZon aérien du Génie Royal », «Royal Engi­neers Air Battalion» -ou à l'artillerie.

(3) Grand Fleet : «Grande Flotte ». On appelait ainsi la /Zotte bri­tannique de la mer du Nord, chargée de neutraliser la «Flotte de Haute Mer» de ·l'empire allemand. Elle était basée, pour l'es­sentiel, au nord de l'Écosse, dans une baie des îles Orcades, la baie de 8capa Flow.

Un manuel de l'aéronautique disait : cl/est maintenant généralement reconnu que la plus grande efficacité est obtenue à partir d'une hélice tournant de 600 à 900 tr/mn plutôt que de 1 200 à 1 800 tr/mn. 1/ a été difficile de trouver un mécanisme de réduction convenable, et il a fallu Wrigth pour adopter la transmission par chaÎne, quelque peu mala­droite. Avec le moteur Renault, il n'y a pas besoin de mécanisme de réduction : l'arbre à came, tournant à la moitié de la vitesse de l'arbre principal, donne 900 tr/mn à l'hélice avec un moteur fonctionnant à plein régime. La came est spécialement conçue pour le travail qu'elle doit fournir ».

La vie chez Renault Limited pendant la 'guerre

En 1916, c l'atelier-réparations », comme on disait alors, de c Renault Limited» était situé à Seagrave Road et comp­tait 33 employés, dont M. C. Small, que nous avons retrouvé.

M. Small entra tout d'abord chez Renault comme apprenti en mai 1916. Il fut assez aimable pour nous raconter à quoi ressemblait la vie chez Renault en 1916 : «Je recevais la somme royale de sept shillings et six pence par semaine pour 56 heures de travail. l'eu de la chance en ce qui concerne les droits habituels qu'il était d'usage de payer pour faire son apprentissage chez Renault -ils auraient été de 60 livres, mais, vu la guerre, ils furent refusés par Renault ».

M. Small nous rappelle avec nostalgie que, lorsqu'il était apprenti, il devait aller chercher le thé et autres boissons pour le personnel de «l'atelier-réparations ». Bien qu'il n'y eut pas de pause-thé officielle, chacun appréciait une grande tasse de thé, qui pouvait être achetée pour un penny. Un penny supplémentaire permettait d'acheter un sandwich ou un paquet de cinq cigarettes Woodbine. Par la suite, M. Small travailla à l'assemblage final des moteurs Hispano Suiza équipant les Sopwith SE 5. On appellait «assemblage final. le remontage des moteurs après un contrôle prolongé sur banc d'essai et une vérification par le c Service d'inspection aéronautique ".

L'année 1916 fut un des tournants de la Première Guerre mondiale. La main-d'œuvre devint très rare car la conscrip­tion avait été instaurée pour les célibataires entre 19 et 30 ans. Il était très difficile de trouver des hommes expé­rimentés, et les années à venir paraissaient sombres et difficiles.

Vers la fin de la guerre

L'Angleterre a peut-être manqué de munitions ou de nour­riture en 1917, mais jamais d'informations. Pendant que chez « Renault Limited ., à Londres, on travaillait de plus en plus dur et de plus en plus longtemps pour produire une quan­tité toujours plus grande de pièces pour moteur d'avions, afin de satisfaire les besoins croissants du «Royal Flying Corps» et de l'armée, on recevait les informations les plus extraordinaires de cette époque.

A l'étranger, c'était l'effondrement de la Russie, au début de l'année. L'armée se mutinait et les bolcheviks, sous la direction de Lénine, proclamaient la dictature du prolétariat et faisaient la paix avec l'Allemagne. La révolution rouge balayait la vieille Russie. Le tsar et sa famille étaient mas­sacrés. La campagne de l'armée britannique au Moyen­Orient était victorieuse, et se terminait par la prise de Beersheba, Jaffa et Jérusalem par le général Allenby.

Les zeppelins

En Angleterre, Londres, Folkestone et Margate subissaient des raids de zeppelins et d'avions allemands. Les chars, invention britannique (4), avaient fait leurs preuves sur le front de l'Ouest, et on était sur le point de les utiliser sur une grande échelle. Dans ce but, on formait le c Tank Corps» (5). Sir Arthur Lee donnait à la nation la propriété des Chequers, afin qu'elle serve de résidence, à la campa­gne, au Premier ministre, et un arrêté fixant le prix de la miche de pain à 9 pence entrait en vigueur le 26 juin.

Les menaces que faisait courir la guerre sous-marine s'accentuaient.

C'est pour lutter contre ces circonstances défavorables que trois administrateurs seulement de «Renault Limited» purent se réunir à Paris, en janvier et en décembre.

M. E.A. Stonor était entièrement absorbé par ses devoirs militaires; il fut promu au grade de major (commandant) en 1917. M. G.C. de Wilde était directeur général, et il vint deux fois à Paris cette année-là. Ce voyage n'était pas une. perspective particulièrement réjouissante, après la décision des Allemands de couler à vue les navires neutres, et d'accroître leurs activités sous-marines contre les Alliés.

La détermination, cependant, est une qualité qui ne fit jamais défaut à un membre de «Renault Limited ». Ainsi, lorsque M. de Wilde entreprit son premier voyage à Paris, en 1918, il avait l'intention de présenter les comptes de l'année précédente au Conseil d'administration. A son arri­vée, cependant, il dut expliquer que M. Stonor avait prévu de venir à la réunion avec les comptes, mais que « ses obli­gations militaires l'ayant empêché de quitter son poste»,

les comptes n'avaient pu arriver. La réunion fut donc repoussée à la semaine suivante. Justement, cette réunion générale annuelle' s'avéra être une réunion générale annuelle historique, car ce fut la dernière qui se tint pen­dant la guerre. Les résultats qui y furent présentés reflé­taient le courage et la détermination des gens de cette époque. C'était le courage d'administrateurs, de directeurs, d'hommes et de femmes liés par un objectif commun : la victoire. « Renault Limited » avait bien réussi, à la fois, pour le pays et pour la société. Les administrateurs décidèrent de distribuer le fonds de réserve qui avait été prévu pour le personnel. La distribution fut laissée au soin du directeur général, qui, en récompense de la qualité de ses services durant l'année précédente reçut une somme de mille livres, exemptée d'impôts. On accorda aux actionnaires un divi­dende de 25 %.

L'heure de la victoire sonna onze mois plus tard, le 11 novembre 1918, à 11 heures du matin.

(4)

Bi la tradiHon populaire 8itue en Angleterre la na188ance, ou du mmn8 la con8truction en 8érie de8 premier8 char8 d'as8aut, cer­tain8 auteur8 pen8ent qu'il 8'agit d'une invention françai8e. Ain8i, dans son livre «Mécanique de la Victoire », P. 48 et 8uivantes, Roger-Pierre LaroU8sinie rapporte 2 thè8e8 défendue8 dan8 les année8 20, l'une fa18ant dériver le char d'engins destructeurs de barbelés, l'autre affirmant qu'il ne 8'ag188ait pas d'une évolution, mai8 de la C7'éation d'une arme nouvelle, dont la paternité reve­nait au général Estienne.

(5)

Tank Corp8 : équivalent anglai8 de «l'artillerie d'as8aut» fran­çaise, créée et organi8ée par le général E8tienne, ancétre de l'A.B.C. (Arme Blindée Cavalerie).

Le personnel de l'atelier-réparation de «Renault Limited" à Seagrave Road, en 1916. (Reproduction aimablement autorisée par

M. Charles Small, que l'on peut voir sur la photo, le premier à partir de la gauche, au premier rang).

Le retour à la paix

Peu après que les manifestations célébrant la victoire se furent déroulées à travers tout le pays, la nation dû faire face à de dures réalités économiques. M. Llyod George, le Premier ministre sous lequel nous avions gagné la guerre, nous avait promis un «pays à la taille de ses héros" qui ne se matérialisa pas. Nous avions deux millions et demi de chômeurs, situation qui engendra une grande désillusion, dont les principaux symptômes furent des émeutes, des grèves, des lock-out et des queues pour la nourriture. En Irlande, le «Home Rule" fut établi en 1921 (6). Il aboutit à des attentats, des représailles et finalement à la guerre civile qui, selon le « Daily Mail ", fut l'épisode le plus san­glant de l'histoire agitée de l'Irlande. Comme l'Histoire aime se répéter 1

Malgré cet arrière-plan, rien ne s'opposait à la popularité de . l'automobile. La demande augmentait de plus belle. Le nom­bre de voitures de tourisme passa de 92000 en 1916 à 250 000 en 1921. Cinq ans plus tard, ce chiffre atteignait 684 000. «Renault Limited« retrouvait lentement son chif­fre de vente d'avant 1914, pour la même gamme de voitures, c'est-à-dire trois voitures de 4 cylindres de 14, 16 et 20 che­vaux et deux voitures de 6 cylindres de 27 et 37 chevaux. En 1919, une nouvelle voiture de 10 chevaux, à 4 cylindres fut introduite sur le marché. Ces voitures bénéficiaient des perfectionnements conçus par les ingénieurs Renault durant la guerre.

En 1919, on décida à juste titre de faire passer le capital de

« Renault Limited" de 50000 livres à 100000 livres. Renault

avait alors pris le chemin de l'expansion.

La même année, le premier service aérien fut établi entre Londres et Paris. Au même moment, un service Paris-Lon­dres fut créé par la France. Les avions Farman-Goliath mis en service furent équipés de deux moteurs Renault de 300 chevaux.

Les marges sont corrigées

En 1920, les marges sur les ventes de «Renault Limited" furent corrigées par la maison mère. Ce système était plus compliqué qu'à présent et il différait suivant le modèle vendu. Dans les cas où les concessionnaires français de « Renault Frères» recevaient :

10%, « Renault Limited » devait recevoir 12 %, 15%, « Renault Limited» devait recevoir 18 %, 20%, « Renault Limited » devait recevoir 24 %, 25%, « Renault Limited " devait recevoir 30 %, 30%, «Renault Limited" devait recevoir 36 %, et ainsi de suite selon les mêmes proportions.

Louis Renault était sans aucun doute conscient non seule­

ment des problèmes posés mais aussi de ceux tenant producteurs britanniques. par à la la sé situation vère con économique, currence des

L'austérité

L'année suivante, en 1922, le gouvernement annula, afin de stimuler l'économie, les impôts sur l'essence, et il n'y eut aucune taxe sur l'essence jusqu'en 1928.

Durant le mois d'août de l'année suivante, le directeur géné­rai, M. G.C. de Wilde, mourut. Son fils, M. H.A. de Wilde, lui succéda. Le même mois, M. H.S. Forsyth, directeur géné­rai qui avait travaillé dix ans dans l'entreprise, donna sa démission. Son départ marqua, pour « Renault Limited ", le début d'une période d'austérité engendrée par la difficulté d'obtenir des francs à un taux satisfaisant, à cause de l'am­pleur des fluctuations monétaires, et par la perspective de suppression des droits de douane, à partir du 1er août, fac­teur qui arrêta les ventes de voitures Renault. Afin de faire face à cette situation, on décida de réduire les dépenses au strict minimum.

Allocations

Ainsi, une «allocation pour voiture personnelle" fut accor­dée à chaque directeur, à condition qu'il utilise sa voiture au moins 20 jours par mois.

Le barème de l'allocation était le suivant -30 livres pour une voiture de 45 CV, -20 livres pour une voiture de 26-20 CV,

1 0 livres pour une voiture de 13-19 CV, -5 livres pour une voiture de 8-13 CV.

L'austérité était la note dominante de l'époque. Elle devait continuer encore pendant quelque temps.

(6) «Home Rule» : autonomie. En fait, le vote de la loi sur le Home Rule aboutit à la reconnaissance de l' «J!:tat libre d'Irlande» en Irlande du Sud, avec le statut de dominion, et au maintien de la 'Partie nord de l'île (Ulster) au sein du Royaume-Uni de Grande­Breta!1ne et d'Irlande.

Une landaulette 4 cylindres de 16 CV, très représentative de la gamme Renault d'avant-guerre.

Les turbulentes années vingt

Les dix années suivantes, 1925-1935, constituèrent un cycle économique complet avec récession, dépression, rétablisse­ment et boom. C'est en 1925 que commença la récession.

«Renault Limited» pris dans le domaine financier deux importantes dispositions qui semblent être dues à l'intui­tion du conseil d'administration, ou alors à une remarqua­ble conscience de sa part des orages à venir.

Il renforça le fonds de réserve général en y ajoutant 5 000 livres, puis il emprunta 100 000 livres à la banque Midland, à un taux d'intérêt qui ne devait pas dépasser 9 %. Il encouragea également les actionnaires à faire des prêts à la société, à un taux n'excédant jamais celui accordé par la banque. Ces deux décisions s'avérèrent par la suite par­ticulièrement opportunes.

C'est aussi en 1925 que «Renault Limited» décida de s'agrandir en créant un établissement à Acton. L'emplace­ment choisi était occupé à l'époque par une ancienne usine aéronautique faisant face à ce qui est aujourd'hui la Western Avenue. Cette usine était contiguë à un terrain d'aviation, utilisé par Handley Page, qui était entouré de terrains découverts. Les bâtiments de l'Union CoId Storage qui longent le complexe Renault actuel, constituaient alors les hangars à avions. Le grand souci des administrateurs était la possibilité de faire venir de la main-d'œuvre au nou­vel emplacement, étant donné que le site était d'accès diffi­cile. Cependant, le projet avança, et on décida d'utiliser les installations pour la finition des voitures neuves impor­tées de France. Entre 1926 et 1927, la nouvelle usine fut construite sur un lot adjacent qui est aujourd'hui l'emplace­ment de « Renault Limited ». La société était donc en expan­sion dans une économie en contraction.

La grève générale

1926 s'avéra encore plus difficile que 1925. Ce fut l'année de la grève générale, organisée par le T.U.C. (Trade Union Congress) pour soutenir les mineurs dont les salaires avaient été réduits par suite de la suppression des sub­ventions gouvernementales sur le charbon. La grève, soute­nue par d'autres syndicats, paralysa pratiquement la nation. Elle dura neuf jours, alors que les discussions avec les mineurs traînèrent en longueur jusqu'en novembre. Alors que les mineurs jouaient aux cartes à l'entrée des puits de mines, la nation manquait de charbon, la principale source d'énergie à l'époque.

Afin de réduire les coûts de distribution, tout particulière­ment de la nourriture, le gouvernement réduisit la taxe sur le pétrole. Cette réduction de deux penny fit passer le prix du gallon au détail de un shilling sept penny et demi à un shilling cinq penny et demi (environ sept penny actuels) (7).

En décembre 1926, «Renault Limited -fit face à des pro­blèmes de taux de change dus aux fluctuations accrues entre la valeur de la livre et celle du franc français. M. Louis Renault, à une réunion du conseil d'administration qui se tint en décembre, demanda que l'on note les remarques suivantes

cM. HR. de Wilde avait dit à M. Renault qu'if avait spé­culé au nom de la société, et sans l'accord des administra" teurs, sur la devise française. On réalisa à un certain moment des bénéfices énormes, mais étant donné la rapide hausse du franc, ces bénéfices disparurent rapidement et l'affaire se solda en fin de compte par une perte nette de 1 800 livres. La perte avait été débitée à la société et

M. Renault demandait aux administrateurs d'approuver la dette ».

M. Renault souligna que «tout actionnaire de la société aurait autrement le droit légal de s'opposer à /'inclusion de cette dette dans le bilan ». On décida donc de considérer ceci comme une dette de la société, et l'on témoigna que l'on avait apprécié l'offre de. M. de Wilde de réparer la perte au moyen de ses ressources personnelles. En consé­quence, cependant, on décida à l'unanimité qu'à l'avenir, quelles que soient les circonstances, les ressources de la société ne devraient jamais être utilisées à des spéculations monétaires.

L'incident du conseil d'administration

En juin suivant, la situation de la société fut examinée par le conseil d'administration. Bien que les minutes de la der­nière réunion aient été lues, approuvées et signées, il fut procédé à un examen détaillé des résultats. La discussion fut, en gros, menée en ces termes :

M. de Wilde (directeur général) : «Notre position aurait été bien meilleure si les livraisons de l'usine avaient été réali­sées au rythme des commandes ».

M. Louis Renault (président): «L'usine, malheureusement, n'a pas reçu les prévisions de commandes en temps voulu, et a souvent dû livrer les voitures nécessaires avec un mois de retard. D'autre part, certains modèles furent comman­dés en grande quantité, et nous dûmes demander que l'on s'efforce de réduire les commandes de ces modèles".

M. Paul Hugé (un des représentants de la Société Anonyme des Usines Renault au conseil d'administration) : «Si les estimations de besoins étaient présentées à temps, les livraisons pourraient être à l'avenir mieux satisfaites ".

Ce que M. Hugé ne pouvait deviner, c'est que ces ennuis de livraison devaient poursuivre c Renault Limited -durant de nombreuses années.

Par la suite, la structure des prix des voitures Renault fut corrigée. Après de multiples discussions, il fut décidé que

«les prix de ventes de l'année seraient fixés, en prin­cipe, d'après les prix des concurrents ". Il fut, en outre,

décidé que la fixation des prix devaient relever de la res­ponsabilité des usines Renault, après consultation de «Renault Limited ». Parmi d'autres décisions importantes, l'une consista en l'ouverture de la nouvelle usine à Acton. On décida que cette usine serait gérée par une société nommée «Renault British Manufacturing Works Limited-.

C'était encore le bon temps!

La publicité, regardée comme très importante par Louis Renault, devait être exécutée et payée par la maison mère. « Renault Limited ", cependant, devenait responsable de la distribution des circulaires et des imprimés aux conces­sionnaires et aux clients.

La fourniture des catalogues relevait également de « Renault Limited ». On décida ultérieurement que les concession­naires Renault en Grande-Bretagne, qui avaient auparavant participé pour moitié au budget publicité, continueraient à y contribuer dans les mêmes proportions. C'est ainsi que les prix suivants furent décidés pour le Salon automobile de 1927 (tous les véhicules étant livrés sans amortisseurs) :

Le torpédo de 9/15 CV, était vendu 179 livres.

La conduite intérieure de luxe de 9/15 CV, 199 livres.

Le torpédo 14/15 CV,229 livres,

-et la conduite intérieure ... 269 livres.

-Un torpédo Monasix, 279 livres,

-et la conduite intérieure ... 299 livres.

-Le torpédo de 6 cylindres et de 21 CV devait coûter 414 livres,

-et la conduite intérieure ... 455 livres.

Ces prix étaient les mêmes pour les voitures à 2 ou 4 places.

En ce qui concernait les voitures de luxe, on décida que «Renault Limited" serait responsable des prix, et que la marge bénéficiaire serait plus grande que pour les modèles courants plus petits. Afin de rendre la tâche des conces­sionnaires plus facile, ils ne supportaient pas de frais de stockage, les seuls frais à leur charge étant ceux relatifs aux voitures de démonstration, qui étaient pris en considéra­tion dans leurs bilans. Ils s'arrangèrent même pour avoir des voitures sur une base d'« admission temporaire ", cela leur permettant d'avoir des voitures spécialement affectées en démonstration sans qU'ils aient à s'engager à long terme.

A cette époque, cependant, c Renault Limited -était res­ponsable du maintien en bon état de ces voitures.

(7) Un gallon : 4.54 litres. Sept penny : environ 0.60 francs.

Une sage politique de gestion

Une voiture 6 cylindres de 1922, d'une puissance de 54 CV, dont le long capot, très aérodynamique, cache entièrement le radiateur. Une comparaison avec la landaulette représentée précédemment montre bien les progrès, dans le style comme dans la conception mécanique, accomplis au cours de la période qui suivit la Première Guerre mondiale.

En 1929, M. de Wilde annonça à la réunion du conseil d'administration que le proche départ du directeur de la publicité, M. Tune, conduisait à envisager une réorganisa­tion de ce département. Le conseil d'administration décida «de ne pas embaucher un directeur de département de J'envergure de M. Tune, et que « Renault Limited" deman­derait à l'avenir à ses agents publicitaires de réaliser les projets requis, pour lesquels ils recevraient une commission de faible importance, étant entendu que ce plan devait conduire à de grandes économies pour J'entreprise ». Il fut aussi établi que «Renault Limited» serait rémunéré en fonction de ses ventes à toutes les colonies britanniques ainsi qu'à l'État libre d'Irlande, et ceci à des conditions aussi favorables que possible. L'objectif de 3 000 voitures était censé rapporter la commission maximum.

Comme la situation économique empirait, Louis Renault introduisit un système de comptabilité par département. Le département des ventes d'Acton reçu l'ordre de réduire ses dépenses dans toute la mesure du possible. Il avait à sa charge les loyers, le coût des voyages, les frais d'expédi­tion, les experts-comptables, une partie des rémunérations des administrateurs, l'intérêt bancaire, les salaires des administrateurs et des directeurs, etc. Ce budget s'élevait à 25 000 livres.

L'atelier-réparations était responsable du salaire du direc­teur général. Faisait-il plus confiance à l'entretien qu'à la vente, l'histoire ne le dit pas. Mais le principe d'allouer un budget aux différents départements fut alors fermement établi, il y a cinquante ans, par Louis Renault.

La situation économique s'aggrave

Le temps passant, la situation économique du pays allait de mal en pis. Les affaires étaient difficiles, et en avril 1930

M. de Wilde, le directeur général, expliqua que la situation sur le marché anglais était extrêmement mauvaise. On décida alors de réaliser un grand effort de vente. 1 000 livres furent allouées à une campagne publicitaire qui dura un mois. Il devait y avoir une ou plusieurs caravanes parcourant le pays, chaque caravane comportant au moins quatre voitures. Afin de faciliter les choses, le département entretien reçu comme instructions «d'être plus libéral pour la réparation des voitures sous garantie ». Le personnel devait être réduit partout où cela était possible, et un grand effort dû être fait pour réduire le personnel du département de montage et du service garantie.

La politique d'économie engagée par Louis Renault est bien illustrée par sa réponse à M. Hunt, le comptable, qui deman­dait une augmentation de salaire. Louis Renault accepta immédiatement, à condition que M. Hunt diminue son per­sonnel d'une personne. Louis Renault établit également le principe que les frais de la société devaient être constam­ment proportionnels au chiffre d'affaires de celle-ci. Conseils de gestion qui étaient des plus sains.

Étant donné que la récession s'aggravait, et se transformait en dépression, d'autres économies durent être introduites.

M. Renault, voulant maintenir sa place sur le marché anglais, décréta que les prix devaient être bas. M. de Wilde, en réexaminant les résultats de l'année, nota que les résul­tats auraient pu être meilleurs si «Renault Limited» avait eu une plus grande marge sur les voitures qu'elle vendait, ou si la société avait pu avoir une plus grande quantité de voitures à livrer au moment nécessaire. Il mentionna égaIe­ment que le budget de 12000 livres, alloué à la publicité par la maison mère, était insuffisant pour que Renault puisse conserver son rang sur le marché. Ce à quoi

M. Renault répondit : «Renault Limited» devrait faire plus de publicité ". M. de Wilde lui répliqua : «Notre marge bénéficiaire est insuffisante pour nous le permettre ".

Le fond de la crise

1930 fut une grande année de crise : les affaires étaient dures à décrocher, et difficiles à réaliser. Les offres d'em­ploi étaient plus que minces et l'argent se faisait rare. Parmi les mesures destinées à combattre la récession, le gouver­nement lança une campagne «achetez britannique" pour stimuler la demande de biens fabriqués en Grande-Bretagne et réduire le chômage.

" Renault Limited,. offrait alors une gamme de voitures très attrayantes, parmi lesquelles les séries « Star» ou « Stella ". Il y avait cinq modèles de base offerts en versions conduite intérieure, tourisme standard, coupé décapotable ou conduite intérieure sport; leur prix variait entre 266 et 1 459 livres sterling, ce qui devait « satisfaire tous les désirs et toutes les bourses ".

Malgré cela, le volume d'affaires possible était insuffisant pour que les usines d'Acton restent en activité, et on décida de fermer «Renault Limited» à Acton. Cette fermeture devait durer trois ans!

Voici quelques exemples de l'humour typique des milieux automobiles britanniques, reflété dans une conversation entre concessionnaires :

-«Alors, mon vieux, quel est le score? " ~ «Impeccable! Je suis parti de rien et, maintenant, j'ai 2 000 livres de dettes ".

Ou bien ...

-« Comment vont les affaires? "

-«Pourries! 1/ faut être millionnaire pour pouvoir faire le

crédit qu'on vous demande aujourd'hui, et si on est million­

naire, il faut être tombé sur la tête pour rester dans l'auto­

mobile ".

Persécution des automobilistes

Pour rendre les choses encore plus sombres, les automo­bilistes devinrent l'objet de persécutions toujours plus vives par les tribunaux. C'est en 1930 qu'apparut la «loi sur la circulation routière» ; on y trouvait des amendes plus lour­des pour les contrevenants, l'obligat.ion de l'assurance contre les dommages aux tiers, le devoir de s'arrêter en cas d'accident, la mise en place de signaux routiers à l'échelle nationale, des brigades mobiles de police pour la circulation routière, des exigences d'aptitudes physiques pour les conducteurs, et l'introduction du Code de la route.

Il n'y avait pas encore d'examen de conduite pour les nou­veaux conducteurs à cette époque, et un agent de police qui avait arrêté une conductrice et lui demandait si elle réalisait qu'elle roulait à 90 km/h se vit faire cette réponse:

«Mais c'est tout simplement merveilleux! je ne conduis que depuis hier! "... Au moins 313085 conducteurs furent condamnés au cours de l'année à la suite de cette loi, et les experts prédisaient que dès 1935 « il y aurait plus d'un demi-million de criminels de la route ".

Renault se réorganise

Pour relever le défi du début des années trente, «Renault Limited» se réorganisa. La fermeture des usines d'Acton à elle seule ne pouvait suffire à faire face à la situation; en effet, la perte cumulée en 1930 était de 80 116 livres sterling et bien que, sous la direction générale de M. Emery, la perte de 1931 ne fut que de 10 126 livres, le report à nouveau des pertes se montait à 90242 livres.

Afin d'aider « Renault Limited» pendant cette période diffi­cile, on décida que la maison mère prendrait à sa charge une partie des coûts de la publicité nationale et des expo­sitions, et la totalité des frais de démonstration des véhi­cules et des travaux sous garantie. De plus, le taux de change entre la livre et le franc français fut arbitrairement fixé à 95 francs pour une livre pour «raison de bilan ".

En même temps, Louis Renault estima qu'il était temps de faire un dernier effort pour voir si la société pouvait conti­nuer sous sa forme d'alors, ou bien s'il fallait la réduire à l'état de société purement nominale. Il demanda qu'on effec­tue immédiatement une enquête pour se rendre compte s'il était opportun de fabriquer, au moins partiellement, les voitures Renault en Angleterre.

Ces mesures portèrent leur fruit, car «Renault Limited" ne se contenta pas de surmonter la récession et la dèpres­sion, mais elle en émergea plus agressive, efficace et concurrentielle que par le passé.

Remontée des ventes

On trouve dans les archives que « les ventes en 1934 furent nettement plus importantes que l'année précédente», et qu'« il n'y avait désormais plus assez de place à Seagrave Raad pour la finition du nombre toujours plus important des voitures vendues,,; on décida donc de «rouvrir les usines d'Acton et d'y installer les ateliers, les magasins et les bureaux ". Les bâtiments de Seagrave Road furent mis en location.

Deux objectifs principaux devaient être atteints en 1935 :

-l'augmentation des bénéfices sur la vente des voitures neuves, -l'augmentation de la rentabilité des secteurs d'activités

secondaires.

Prime d'ancienneté

Comme ces deux objectifs furent atteints par le personnel de Renault, on décida de récompenser les employés les plus anciens. Ceux qui étaient chez Renault depuis 15 ans et plus perçurent une prime égale à deux semaines de salaire, et ceux qui y travaillaient depuis 10 à 15 ans une prime égale à une semaine.

Expansion nouvelle

Cette photographie d'une Renault Viva Grand Sport 6 cylindres a été prise à l'emplacement des bureaux actuels d'Acton. Les maisons en arrière-plan existent encore.

Dès novembre 1937, les fondations de la nouvelle usine d'Acton étaient terminées, et on décida de l'équiper avec des machines de Billancourt lorsque la production du moteur de 12,1 CV s'arrêterait en France. On estima qu'il faudrait six mois avant que la production de l'usine d'Acton ne soit disponible, et pour passer ce cap, on fit venir de France 500 moteurs de 12,1 CV pour les monter sur les véhicules utilitaires comme sur les voitures de tourisme.

Une autre décision importante devait être prise l'année suivante : à cette époque, les automobiles étaient taxées d'après la puissance. Plus la puissance était faible et plus la taxe était légère. Afin d'augmenter la vente des voitures Renault, on décida de ramener la puissance du moteur de 12,1 CV à 11,9 CV. En effet, les voitures équipées d'un moteur de 12,1 CV étaient considérées comme des 13 CV fiscaux, et celles équipées d'un moteur de 11,9 CV deve­naient des 12 CV fiscaux. Après des essais de diminution de l'alésage, on s'aperçut qu'il n'y avait qu'une perte très minime de puissance, si bien qu'on décida de lancer la pro­duction du moteur de 11,9 CV.

La tempête couve

1938 fut une année d'espoirs. Alors que les Britanniques espéraient ne pas voir une répétition de la Première Guerre mondiale, Neville Chamberlain, alors Premier ministre, rentra de Munich avec son fameux bout de papier signé par Adolphe Hitler, et fit son célèbre discours à la nation sur le thème «la Paix est à nous ». Ce discours fut accueilli avec beaucoup d'allégresse. Hélas, elle fut de courte durée.

Tandis que le peuple se réjouissait, le gouvernement se préparait à la guerre. La territoriale et les autres forces armées volontaires voyaient leurs effectifs doublés. Les plans de mobilisation étaient révisés et mis à jour. Les effectifs des garnisons d'outre-mer étaient augmentés discrètement jusqu'à leur niveau maximum de temps de paix. Tandis que ces événements faisaient la "une" des journaux, le conseil d'administration demandait au P.D.G. de «Renault Limited» de se mettre en rapport avec le ministère de l'Air pour définir les conditions dans lesquelles la société pourrait obtenir la commande de certaines pièces au cas où des événements graves se produiraient. Les évé­nements qui suivirent montrèrent l'inutilité de cette démarche.

En avril 1939, le chiffre d'affaires de la société était en amélioration considérable par rapport à celui de la même période de l'année précédente. Cependant, un certain ralen­tissement des ventes fut signalé comme étant une consé­quence de la détérioration de l'environnement politique; il Y avait des invendus au niveau des Juvaquatre.

HARRY O. LUKES Adaptation française de Jean-Claude Magrin

(à suivre)