03 - L'aventure de l'île Seguin

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L'aventure de l'île Seguin

Le fleuve et les îles

Située dans la première grande boucle que dessine la Seine, à la sortie de Paris, l'île Seguin a dû être autrefois recou­verte souvent par les eaux du fleuve, lors des inondations hivernales ou printanières.

En outre, plus encore que de nos jours, il est certain que d'autres îles existaient dans cette région. L'actuelle île Saint-Germain, en amont, fut longtemps entourée d'îlots minuscules. Plus en aval de l'île Seguin elle-même, une troi­sième île, située face au parc de Saint-Cloud, ne fut ratta­chée à la terre ferme (rive gauche) qu'au XIXe siècle.

Enfin, les basses eaux du fleuve -non dragué ou canalisé comme aujourd'hui -laissaient souvent à découvert des bancs de sable, atterrissements, alluvions, « motteaux », etc.

Ces «motteaux », généralement formés par des détritus ou des branchages accumulés depuis longtemps, existèrent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. On trouve ainsi (12 octo­bre 1778) : «Le grand motteau », « Le motteau des jons », « Le dos d'asne »(1), etc. Mais la physionomie de tous ces lieux varie, au fil des ans, suivant la plus ou moins grande hauteur des eaux. Ce qui existe au Moyen Age disparaît au XVIIe siècle... Rien n'est définitif: ces noms apparaissent dans des actes de location, faits à des «pêcheurs en Seyne », rédigés au profit de l'abbaye de Saint-Germain­des-Prés qui possède depuis l'an 558 la rive gauche du fleuve, «depuis Paris... jusqu'au ruisseau venant de Sèvres ».

Autres expressions, également courantes dans les actes du Moyen Age : la « Petite Traverse» ou la « Grande Tra­verse ». Ainsi, en 1463, où l'on voit plusieurs personnes prenant à titre de cens et rente, une partie « d'isle et saul­soye, assize en la rivière de Seyne, en deux pièces: l'une au lieu dict la « Grant Traverse » ... , J'autre au-dessus de la « Petite Traverse », tenant à la grant isle de Billencourt» (2). La « Grande Traverse» désigne évidemment le point où l'on traverse le plus facilement le grand bras du fleuve; la «Petite Traverse» est donc un passage semblable sur le petit bras.

(1) Arch. nat.• L 760, vièce 48.

(2) Bibl. Arsenal, mss 4099, fol. 243 1)0" Berty (A.J et Tisserand (L.-M.J. «Topographie historique du vieux Paris, région du faubourg Saint-Germain », 1882. v. 297.

Même en 1790, l'étudiant Edmond Géraud, empruntant la galiote de Sèvres et débarquant près de l'île, écrit : «La Seine, à certains endroits, est des plus périlleuses à traver­ser à gué; ici elle n'a qu'un pied (0,33 m) de profondeur, à deux pas de là, elle en a soixante (20 m) »(3).

Origine de Billancourt

On sait que la Seine entoure sur trois côtés la plaine de Billancourt et le territoire de Boulogne. Mais l'urbanisation de la plaine elle-même est un phénomène récent. Jusqu'au XIXe siècle, ce territoire n'avait guère d'habitations et n'était composé que de prés et de champs, avec peut-être quel­ques minces bouquets d'arbres.

Par ailleurs, il est certain que nos bois de Boulogne, Saint­Cloud, Meudon ne sont que les résidus d'une immense forêt -appelée forêt de Rouvroy -qui exista au début de notre ère. Mais il n'est pas sûr que la plaine de Billancourt ait été recouverte par la végétation : le sol, peu fertile, resta couvert de marécages et nul document du Moyen Age ne parle d'un défrichement quelconque ... (4).

Boulogne (les Menus, comme on disait alors) se trouvait donc groupé et relativement éloigné de Billancourt. Si donc ce dernier lieu n'a guère laissé de documents d'archives, comment veut-on trouver trace de l'actuelle île Seguin sise au sud de ce territoire? C'est pourtant là que les mentions de l'île vont apparaître : car les moines de l'abbaye de Saint-Victor vont devenir les principaux possesseurs de la terre de Billancourt et leurs archives (mises sous séquestre sous la Révolution) garderont des actes relatifs à notre

étude (5).

Dès le Vie siècle, il semble bien que les religieux eurent quelques droits dans la région. Mais c'est seulement en 1150 qu'apparaît, pour la première fois, le nom de Billancourt -Bullencort -dans un document. Il s'agit d'une charte de Louis VII approuvant le don fait à l'abbaye de Saint-Victor par Arnold (ou Ansol), chevalier de Chailly, et sa femme Aveline, avec le consentement de leurs filles. Les donataires abandonnent leur domaine «tant pour eux que pour leur fils reçu comme chanoine régulier à

J'abbaye» (6).

L'acte est rédigé en latin: «Bullencourt, non loge a Parisis, versus S. C/odoaldum, terram scilicet unius fere carruce, cum granchia et IV hospitibus, nec non etiam sex arpennos pratorum ibidem, assensu ambarum filiarum suarum, que omnia de regio feoda possidebant» (7).

On voit que le terrain a environ une «carruée» (étendue mise en culture chaque année avec une charrue); la « granchia » a ici le sens de ferme et non celui de grange; enfin les quatre «hospites» sont évidemment les quatre habitants qui résident dans la ferme et payent une rede­vance. La terre relève du roi.

Cette demeure et notamment les six arpents de prés cités vont former la ferme de Billancourt qui restera des siècles durant à peu près la seule habitation de la vaste plaine.

Son emplacement exact est situé dans le triangle dessiné actuellement par l'avenue Ëmile-Zola, les rues Yves-Kermen et Gustave-Sandoz (cette dernière englobée dans l'usine Renau It) (8).

La «petite Isle»

Du XIIe au XIVe siècle, l'abbaye va accroître ses possessions et la ferme elle-même sera louée, les moines de Saint-Victor n'exploitant pas eux-mêmes leur domaine. Baux ou contes­tations forment de nos jours une abondante documentation. Grâce à celle-ci, nous verrons mentionner deux îles : la «grande He de Billancourt» ou île de Longueignon, aux orthographes très variées; la «petite He de Billancourt», sans autre précision, moins souvent citée. Il s'agit évidem­ment de nos îles Saint-Germain et Seguin. Mais comment les identifier d'une façon certaine? Un bail de 1621 men­tionne les deux îles, avec une surface totale de 50 arpents, ce qui est à peine le tiers de nos îles actuelles. Un arrêt de 1779 donne à l'une 38 arpents et demi et 34 à l'autre : ces chiffres seront souvent répétés, mais la différence est minime et cela peut donner lieu à des confusions (9).

Les plans, surtout à partir du XVIIIe siècle, confirment ce qui existe encore : à savoir que l'île Saint-Germain est la plus grande et que par conséquent l'île Seguin est celle qu'on désigne sous le terme de «petite He". Malheureu­sement pour nous, les documents sur cette dernière sont beaucoup moins nombreux que ceux qui intéressent l'île de Longuegnon, ou île Saint-Germain.

D'autres actes mentionnent une troisième île: l'île Rocherel ­là aussi aux orthographes nombreuses. Mais il ne peut y avoir de doute, son nom restera tel jusqu'au XVIIIe siècle, où il sera changé en « He de Monsieur », du nom du posses­seur de Saint-Cloud. Il s'agit de l'île plus en aval et que nous avons citée comme ayant été rattachée à la rive gauche.

La « petite He de Billancourt" -ou île Seguin, objet de notre étude -sera peu mentionnée ici. On peut le regretter, car les actes concernant l'île Saint-Germain s'échelonnent sans interruption depuiS l'an 1173. A dire vrai, il s'agit seu­lement de baux de location accordant la coupe des saules

(3)

Mauqras (Gaston), «Journal d'un étudiant (Edmond Géraud)pendant la Révolution, 1789-1793 », nouv. éd" 1910, 'P. 50.

(4)

Couratier (E.), «Boulogne-Billancourt et son histoire », 1971, 'P. 10.

(5)

Sauf indications contraires, nous avons utilisé le dossier S 2137 des Arch. nat" dont Penel-Beaufin, « Histoire complète et inédite... de Boulogne-Billancourt », t. 2, 'P. 240 et suiv. s'est éqalement servi.

(6)

Arch. nat" K 23, no 15 (Necrol. Vict. Pridie Id. Julis) ; Fourier­Bonnard. «Histoire de l'abbaye... de Saint-Victor ». t. l, 'P. 202.

(7)

Lebeuf (abbé), «Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris », éd. Cocheris, t. 4, 'P. 233.

(8)

Hatru (G.), «L'affaire des rues Renault », dans «Bulletin de la Section d'histoire des usines Renault », 'P. 94.

(9)

Couratier (E), «L'Ile Seguin », dans «Bulletin municipal de Boulogne-Billancourt », no 88, décembre 1958.

et la « tonture et dépouille »de l'herbe, faits essentiellement à des marchands de bétail ou à des bouchers. Il est vrai­semblable qu'il en fut de même pour notre île Seguin, sans qu'il soit possible de le préciser autrement.

L'abbaye de Saint-Victor n'acquerra toutes les parcelles des deux îles que progressivement. Cela est confirmé par un cartulaire du XIIIe siècle, au texte latin et à l'écriture gothi­que, très précieux pour les îles de la Seine. Les mentions y sont nombreuses : «de Bo/encort », «de Longuegnon », « de Bulencort» (10), etc.

En 1173, Saint-Victor reçoit un fief, dans l'île de Longuegnon (Longengnon, Longueignon, Longuillum, Longuignon) ou « grande Île de Billancourt» : la donation est faite par Pierre de Saint-Cloud et sa femme Guinebourg (Guineburc), devant Maurice, évêque de Paris.

En 1174, l'abbaye continue à acquérir des terres dans la même île, du chef de Mathieu de Pacy (Passy); un autre acte de la même année indique un engagement par «Robertus, filius Odonis de Clamart» (ou Enders de Colmart !). Il s'agit de terres situées dans l'île de Longui­gnon : «insula que vulgo dicitur Longueignon..., Matheus quoque de Paci, de cujus feodo erat, hunc invadiationem laudavit... » (11).

Les acquisitions se succèdent: Baudouin de Mesville et sa femme Oriola, ainsi qu'André de Merville sont vendeurs de parcelles (en 1180) (12). Vital et sa femme Florial, ainsi que leur fils, vendent moyennant 7 1. parisis quelques biens dans l'île (en 1184).

Les religieux de Saint-Victor vont continuer à augmenter leurs possessions dans l'île de Billancourt, soit par don (en 1193 : apud Bulleincort), soit par achat (vente de 5 ar­pents de terre : aput Bullencurt, par Marie de Rodolio). Enfin, en 1196, un contrat d'achat, scellé par l'évêque Maurice, indique qu'André de Pacy et consorts cèdent tout ce qu'ils ont dans l'île (insula de Longuinon), moyennant

26 1. parisis. Ailleurs, on trouve les noms de Pierre de Pacei et Galon de Viledavrei : l'île est dite de Longeignon.

Puis, le 21 juin 1231, sous le scel de l'évêque Guillaume, Henry Parcheminier (Henricus pergamenarius) et sa femme Emmeline (13), ainsi que leur fille Marie, vendent à Saint­Victor, pour 51 1., «une terre qui est située en la Grand Isle de Billencourt» (in magna insula de Bulencort). Inter­viennent Denis et Constance, parents d'Emmeline, ainsi que ses sœurs et beaux-frères. La terre relève de Thibault d'Issy (TheobaldtJs de Issiaco) et en arrière-fief de Barthélemy de Viroflay, chevalier (Bartholomeus de Villar Offlein, miles).

En 1277, un contrat d'échange a lieu entre Saint-Victor et quelques particuliers : «Arnalphus die tus Caourcin, de Balancuria » échange 5 quartiers de terres lieudits Chievre, Reu et Desgrues, chargés de 6 sous envers le chapitre de Saint-Cloud, contre une terre sise en l'île de Longuignon (apud Longengnon). L'acte est passé à l'officialité de Paris et Jean Thiboust, écuyer, est cité.

En mai 1289, «mardi après la teste Saint-Nicolas », une lettre de Pierre Sapinel, garde de la prévôté de Paris, fournit quelques détails intéressants : Guillot Tibaut (ou Thibault), écuyer, fils de Jehan Tibaut Dissi (d'Issy), chevalier, perçoit 5 sous de cens que lui verse l'abbaye de Saint-Victor. Cette redevance concerne la «Grant Ille de Bulfencourt» ou « grande isle de Boulancourt ». En même temps, 3 arpents de prés, dans «l'isle de Racherer », sont amortis.

Les documents vont ensuite devenir plus précis. Dès JUin 1357, nous connaissons un bail que les religieux de Saint­Victor font au profit de Philipot Jument, bourgeois de Saint­Germain-des-Prés, et à sa femme. Ceux-ci prennent « à ferme et moisson» le manoir et hôtel de Billancourt, avec terres, prés, etc., et «avec charge que lesd. preneurs doivent couper les saulx des Îsles a leurs cousts quand mestier seroit ». Les «saulx» sont évidemment des saules comme l'indique le «Littré ». Mais dans cet acte, il est question non seulement de l'île Saint-Germain actuelle (grande île), mais aussi de l'île Seguin, puisque l'on mentionne des îsles.

La pêcherie

Le jeudi 30 novembre 1357, l'abbaye acquiert « un gort que

l'on dit le gort d'Espeulant (ou Despeullent), assis en la

rivière de Saine, à l'endroit de la ville de Sevre ». C'est en

réalité une pêcherie, ayant deux rangs de perches plantées

dans le fond de la rivière et formant un angle dont un des

côtés est fermé par un filet. Les vendeurs sont Regnaud

Dacy (ou Regnault d'Acy), chevalier, et Jehanne, sa femme.

Ils prêtent serment « aux saints Évangiles de Dieu et par la

foy de leurs corps». La vente est faite moyennant 1 0 1.

tournois, en bonne et forte monnaie, reçue en florins d'or.

Enfin l'acte est passé devant Dubelet Mutel et Macy de

Baigneaux, clercs notaires jurés au Châtelet de Paris, et

confirmé par Guillaume Staise, garde de la prévôté de

Paris (14).

Sitôt cette acquisition, les moines passent un bail à rente annuelle du gord, le samedi 21 avril 1358, en faveur de Jean Fromentin et Aveline, sa femme, pour 40 sols parisis, payables à la Saint-Martin d'hiver. L'acte précise que «le gort d'Espullant est sceant en la rivière de Seine, au-dessus d'une maison qu'ils sont assise à Bullencourt ».

Des actes ultérieurs vont préCiser que cette pêcherie est rattachée à l'île Roncherel. Par conséquent, on peut certifier que la pêcherie se trouvait bien face à Sèvres, entre la

(10)

Arch. nat.• LL 1450-A (reaistre. 217 feuillets. fermoir métallique dans la reliure. texte latin en encre noire. titres en encre rouae. mention de 779 pièces. datées de 1113 à 1493) et LL 11,50-B (tables chronoloaiQue. analytique et alphabétique). Analysé dans Lebeuf. éd. Cocheris. op. cit.. t. 3. P. 606-608.

(11)

Lebeuf. éd. Cocheris. oP. cit.. t. 1,. P. 231,.

(12)

Arch. nat.. L 893. doss. 22.

(13)

Emmeline (dite aussi Hélène) était la belle-sœur de Bertin Poirée Qu'une rue de Paris a rendu célèbre (Lebeuf. éd. Cocheris. oP. cit.. t. 1,. P. 231,).

(14)

Arch. nat.. B 2137 et B 2171-1. fol. 187.

pointe aval de l'ile Seguin et la pointe amont de l'ile Roncherel. En effet, le 23 juillet 1358, Guillot Thibault et Jean Prieur prennent bail de 3 arpents et demi de terrre,

c en isle, en la rivière de Seyne, en l'isle de Roncherel, à l'endroit du gord d'Espeullant,,; la location est faite pour 22 sols par an, payables à Jean Luillier, avocat au Parlement. Les propriétaires limitrophes sont cités: Baudet Chenard et les héritiers de Thumery.

Échalas, saules et osiers

Plusieurs comptes de revenus mentionnent «/'Isle de Boullencourt ", notamment un acte où l'on voit Jehan Lasne verser chaque année 12 sols au frère Jehan Voilant, cham­brier de Saint-Victor (1400-1401). D'autres relevés de recet­tes, pour fermages. s'échelonnent de 1400 à 1534. Un autre bail (10 janvier 1467), passé par frère· Simon Pierrot. reli­gieux. concerne «tous les saulx étans lors en une Isle .... appelée la grant isle de Bil/encourt ». Les frères Jehan et Colin Thevillart, laboureurs d'issy, s'engagent à «copper les Eschalas desd. saulx..., les oziers..., avec les chas­trures... ». La location est faite pour dix ans, moyennant 4 écus d'or chaque année. Les preneurs doivent livrer, dans les quinze jours. « sur le port de Meudon. à l'Endroit de lad. Isle », «trois cens et demi de javelles d·escha/as. cinquan­tins, bons. loyaulx et venans de ceux de lad. Isle ». Enfin. ils s'engagent à planter des «plansons », à nettoyer l'île et à la « tenir et maintenir en bonne nature et estat ».

Les paiements sont faits le jour de Noël et dès la fin de 1467 nous avons le reçu des deux locataires : ils disent qu'ils tiennent à ferme « la tonture et despouilles des saulx de lad. Grand Isle ». Mais ils ne sont pas seuls, car un compte de 1468 signale que Jehan Le Drouans, de Boulogne, a la «tonture et dépouille de la Grand Isle ». pour 8 écus par an. Il s'agit cette fois de ramasser l'herbe, mais dès 1470 le bail est réduit à 6 1.. car «pour la fortune de la sécheresse, l'herbe n'a rien en tout valu ».

Un autre bail est rédigé àla Saint-Martin d'hiver 1485 : Henriet Lepelletier verse 16 1. parisis chaque année, et cela « pour neuf ans et neuf despouilles ».

Le gord que nous avons cité précédemment sera l'objet de contestations, car une sentence arbitrale du 25 mai 1476 est rendue par le Châtelet. au sujet d'une rente de 40 sols pari­sis. De même. en 1542. un titre signale que le gord et un demi-arpent de terre, «faisant partie de l'isle de Rocherer », sont chargés de 4 sols parisis.

Quant à l'île Rocherel, citons la sentence du Châtelet en date du 26 janvier 1427, adjugeant 3 mailles parisis de cens sur trois arpents «scis en ladite isle de Rocherel ». Mais l'acte du samedi 20 février 1506 est plus intéressant: trois laboureurs de Saint-Cloud déclarent qu'ils ont 4 arpents en pré, «assis au terrouër dud. Saint-Cloud, appellée /'Isle de Rochereté»; chaque année, Saint-Victor y perçoit 1 denier obole parisis de cens et 12 sols parisis de rente, à la Saint-Martin d·hiver. Cet acte sera renouvelé le 9 octo­bre 1524.

A la fin du XIVe siècle, une contestation éclate entre Saint­Victor et l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Celle-ci, arguant de sa possession de la rive gauche de la Seine, depuis Paris jusqu'à Sèvres, fit saisir les saules de l'1le de Billancourt. Jean Cossart, frère Henry des Gres, Guillaume le Doyan et Jean Despues «estoient venûs en la dite ile, armés et garnis de haches, d'espées et d'autres armeures, et là, par force et violence, et en absence des dits de Saint­Victor, avoient copé rompû et arraché plusieurs et grant et petite des dits Saulx, qui étoient sur les bords et rives de la dite ile ». Ils emportèrent aussi «grant et petite des dits Saulx qui avoient esté copés et ameublis en la dite ile et qui avoient été mis par les dits de Saint-Victor et leurs gens ».

L'affaire fut portée devant le prévôt de Paris et l'abbaye de Saint-Victor fit valoir qu'elle avait plusieurs baux, ainsi qu'un «ostel de Buleincourt et de l'ile des prés assise en la rivière de Seine devant le dit hôtel ». Les religieux $OU­haitaient conserver les «Saulx et autres bois étans en la dite ile et sur les bords et rives étans en icelle et espécia­lement des arbres et saulx qui avoient jetté leurs racines en la dite ile ". Une première sentence fut rendue le jeudi 19 septembre 1381, mais le jugement définitif n'intervient que le samedi 22 mars 1382 : Saint-Victor obtint satisfaction et les moines de Saint-Germain-des-Prés furent condamnés à payer 50 1. parisis.

Plusieurs comptes de revenus vont ensuite mentionner la seule « isle de Boullencourt" (île St-Germain). Puis un acte, pour avril-décembre 1402, va citer Alain Le Garrier, comme versant 12 1. 15 s. «pour le louage de l'herbe de Iisle aux vaches» (?).

Le mercredi 6 décembre 1402, Jacques Fornet, demeurant à « Boulogne la Petite », et Guillot Sacquet prennent « à ferme ou mois (s) on de grain », pour neuf ans, l'hôtel de Billancourt avec «la moitié de certaine isle ». Le bail du 11 mai 1426 décrit longuement la ferme et les «yles, sei­gneuries saulsoys et autres appartenances ..., assis sur et près de la rivière de Seine, lez la vil/e d'Autueil» (sic). Puis le 17 juin 1457. un bail est passé devant la prévôté de Paris et concerne <<l'hostel de Billancourt» et «ensemble de la Petite isle étant sur la rivière de Seine» ; l'acte est fait pour six ans moyennant 4 1. chaque année -chiffre qui paraît ridiculement bas si la totalité de la ferme est comprise dans le bail. En tout cas, ce qui est intéressant. c'est de trouver cité pour la seconde fois la «petite isle », c'est-à-dire notre île Seguin.

Nous trouvons aussi, en 1493-1494, la recette de frère Jehan de Seve, chambrier et procureur de Saint-Victor : Il signe acquit de la veuve de Jehan-André Seville et de Denis, leur fils, pour avoir respecté les clauses de leur bail de l'hôtel de Billancourt avec les terres «et la Petite isle », soit 4 muids et demi de grain, mesure de Paris. payables le jour de la Saint-Martin d'hiver. L'abbaye déclare du reste avoir reçu, en cette année 1493, 9 muids 6 setiers de bled et 4 muids 8 setiers d'avoine. D'autres baux (1493 et 1498) concernent encore la ferme de la plaine de Billancourt

«avec la petite Isle étant».

En 1497-1499, c'est Girard Pichard, boucher au mont Sainte­Geneviève. à Paris, qui tient le bail de la « petite isle » et de la «grande isle ». Cette dernière est «nommée J'Isle de Billancourt. assise aud. Billancourt, devant la rivière de Sine, paroisse de Boulongne ». Le preneur doit verser 20 1. tournois par an et promet d'entretenir 825 «viels saulx» et 140 jeunes plants. A chaque «coppe », il devra en replanter 200. Il rendra l'île « verte et en nature », après avoir curé «le viel fosse estant au bout d'icelle grant isle ». Ce bail sera renouvelé le 22 septembre 1511 pour une durée de quatorze ans, mais le loyer sera porté à 25 1. tournois par an.

Mais dès 1512, Girard Picard sous-loue à Pierre et André de La Ruelle « la tenture (sic) des saulx et fruits des deux isles ». Les deux frères de La Ruelle obtiendront directe­ment de l'abbaye «les fruits croissans et arbres fruitiers estans ez deux isles ». Ce nouveau bail est signé le 17 juin 1525, par Pierre Driart, chambrier de Saint-Victor, dont «la Chronique parisienne» forme un intéressant tableau pour les années 1522-1535 (15).

Les frères de La Ruelle, dans leur compte de 1526-1527, disent qU'ils tiennent à ferme l'hôtel, la grange, les «Esta­bleries et bergeries de Billancourt, la tonture, les saulx estant 2 isles », pour 60 1. tournois, 1 pourceau gras et autres choses; ils ajoutent qU'ils ont versé 44 1. parisis valant 55 1. tournois.

En 1535, André de La Ruelle déclare tenir à louage l'hôtel de Billancourt et appartenances, «avec les Tontures des saulx étant aux isles dud. Billencourt, avec les fruits des arbres étant en icelles»; il verse pour cela (Saint-Martin d'hiver 1535) 64 1. parisis, valant 80 1. tournois.

Herbes et pâturages

Les baux se suivent à peu près identiques, tous les neuf ans : ceux des 3 février 1534 et 29 août 1542 concernent les prés, buissons, pâturages et coupe des saules des deux îles. D'autres noms apparaissent: tels ceux de Pierre et Jehan Denise, marchands de bétail, qui tiennent à louage les deux îles, moyennant 80 1. tournois par an; ou bien encore André La Ruelle qui verse 42 1. 12 s. parisis et 1 porc gras, pour la ferme et «les tontures des saulx étans ez Isles dud Billencourt, avec les fruits des arbres ».

Le 30 décembre 1542, c'est le marchand Pierre Denise, de Soisy-aux-Bœufs, qui obtient «la couppe, tonture et des­. peulle de deux ysles assises dedans la rivière de Seine, près et au-devant de la ferme des dits de Saint-Victor, appellée vulgairement Bulencourt ». Le loyer semble élevé, puisqu'il atteint 110 1. tournois par an. Le preneur doit tenir «les dites ysles neites et en bonne nature de faulche ».

Si les îles offrent herbes et pâturages pour les bestiaux, ainsi que du bois, la Seine elle-même fait vivre bien des pauvres gens. Les pêcheurs y sont nombreux et l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, notamment, prend bien soin d'accorder des autorisations de pêche, grâce à des brevets cédés moyennant rétribution. Il s'agit d'une véritable insti­tution de maîtrise qui donne de forts intéressants détails.

Par exemple, le 10 février 1480, on accorde à un pêcheur un accensement de place d'eau. Ce pêcheur est dit « expert et ouvrier touchant le mestier de pescherie » ; il doit prêter

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serment; il est tenu de dénoncer aux autorités les malfai­teurs et délinquants « qu'il trouvera en nostre dicte rivière» ; enfin, il doit remettre toutes les «espaves» qu'il pourrait repêcher (16).

En 1493, des «pescheurs à la verge» obtiennent le « droict de la pescherie à verge et ligne », sur la rive gauche du fleuve, entre l'île Seguin et le Bas-Meudon pour une durée de cinq ans, moyennant un loyer de 18 1. tournois par an (17). Il s'agit là d'un exemple, car les actes sont forts nombreux: tout cela est bien banal et pourtant, de nos jours, le poisson a pratiquement disparu... Mais à cette époque, la pêche représente l'unique moyen de survivre pour beaucoup de malheureux. Sans doute le joug de l'abbaye de Saint­Germain-des-Prés devient-il insupportable, car les «pes­cheurs de Sainct-C/oud et aultres» provoquent un jour (le 2 juillet 1493) une véritable rébellion: on les surprend « leurs nasseIles garnies de pierres, arbé!,lestes, picques, javelines et aultres bastons... » (18). Bousculades, cris et jurons contre les autorités, tout cela n'ira pas loin ...

Peut-être la pêche n'est-elle pas le seul élément attirant les habitants de la région. On trouve en effet un bail, rédigé le 1er février 1756, accordant les îlots du Bas-Meudon à Levis Vaudron, vannier à Sèvres. Les roseaux, nombreux sur les bords du fleuve et des îles, l'avaient-ils attiré pour confectionner paniers et corbeilles?

Une bulle du pape, du 4 août 1545, décrit la manse abbatiale de Saint-Victor et énumère ses revenus : Mennes, près Boulogne (les Menus, évidemment), Sèvres, la ferme de Billancourt avec les îles de la Seine (19). Cela n'empêche pas les contestations classiques : en 1551, lors de la réfor­mation générale des Eaux et Forêts, le procureur du roi fait saisir «l'isle de Longugnon (St-Germain) et (le) gort d'Espulan, étant assis en lad. rivière, en tirant des Bons hommes de Saint-Cloud»; Saint-Victor n'a aucun mal à prouver son droit légitime.

Messire de Rebours et ses chiens

Dorénavant, à partir de la fin du XVIe siècle, la ferme et les deux îles de Billancourt seront louées en totalité par l'abbé de Saint-Victor. Et, pour plus de simplification, les baux seront de longue durée. Le premier connu est du

(15) Bournon (P.I, «Ohronique 'Il,arisienne de Pierre Driart, chambrier de Saint-Victor (1522-15351 », dans «Mémoires de la Société d'hist. de Paris et de l'Ile-de-France », t. 22. 1895. 'Il. 67-178.

(16) Bertu (AI et Tisserand (L.-M.I. O'll. ait.. 'Il. 302.

(17) Idem. 'Il. 308.

(18) idem. 'Il. 308-310.

(19) Fourier-Bonnard. O'll. cit.• t. 2. 'Il. 47.

(20) Tabaries de Grandsaignes. «Quelques seigneurs de Billancourt ». dans «Bulletin de la Société historique d'Auteuil et de Passy», 1912. 'Il. 312-314.

(21) Labedollière (Émile dei. «Histoire des environs du nouveau Paris », s. d. (18611. 'Il. 26.

(22) Arch. nat.. S 2171-2. fol. 101.

14 octobre 1581 ; il est fait par Charles de Lorraine, abbé de Saint-Victor, pour 29 ans. Nous n'avons pas son renou­vellement, mais dès le 7 avril 1621, un autre bail, emphy­téotique, c'est-à-dire à long terme (99 ans), est consenti par François de Harlay, archevêque de Rouen et abbé de Saint-Victor : le bénéficiaire est messire Germain de Rebours, conseiller du roi en ses Conseils d'État et privé, demeurant rue des Petits-Champs, paroisse Saint-Eustache, à Paris. Le sieur Rebours va donc obtenir la terre et sei­gneurie de Billancourt, consistant en haute, basse et moyenne justice, 60 arpents de terre sur la rivière de Seine, 26 arpents de sablons, « ung gros buisson où il y a 3 arpens de pré et 2 de buissons, ung aultre buisson contenant 1 ar­pent et demi de pré et autant en buisson, le tout proche la maison cy après déc/arée, plus 2 isles en la dite rivière contenant 50 arpens dont 30 ou 35 qui ont esté désertes et desfrichées et sont en bon labour et le reste en pré et espines". L'ensemble est dit situé en la paroisse d'Auteuil, mais cens, rentes, dîmes et la moitié des lods et ventes, ainsi que les amendes sont perçus au village de Boulogne. Enfin, réparations «utiles et nécessaires" doivent être effectuées.

En réalité, ce bail n'est que la continuation d'un bail pré­cédent, fait le 1 0 avril 1620, pour six ans, à un nommé François Affray -dont nous n'avons aucune autre indication. Le point de départ avait été fixé à la Saint-Martin d'hiver 1622 et c'est donc Germain Rebours qui prenait la suite du sieur Affray; le paiement est fixé à 600 1. tournois et les réparations prévues à la charge du preneur étaient limitées à 2 000 1. tournois (20).

Germain Rebours reste peu d'année à la tête de la ferme; dès 1635, on dit que c'est sa veuve, Madeleine Paquier, qui habite le domaine: en guise de police, de nombreux chiens la gardent et font entendre au loin leurs aboiements ... Aussi, beaucoup plus tard, en 1861, É. de Labédollière écrira-t-il : « Leurs aboiements troublaient le sommeil des voisins qui disaient proverbialement : il faut bien manger le soir pour ne pas être réveillé par les chiens de Billancourt!" (21).

Les Rebours avaient eu deux fils: Germain devient seigneur de Villiers; l'autre, François, marié à Marguerite Charron, succède à son père dans la seigneurie de Billancourt.

La ferme elle-même s'améliore car un arrêt du Parlement, le 29 juillet 1651, condamne l'abbé de Saint-Victor à payer aux Rebours une somme de 14446 1. 14 s. pour des répara­tions faites à la demeure (22). Nous avons du reste une quittance de 20247 1. à ce sujet, signée le 7 août 1653.

Puis, en 1669, le Parlement de Paris confirme que Saint­Victor pourra donner les deux îles à bail emphytéotique. Avant l'enregistrement, il fut ordonné une visite des lieux: celle-ci est exécutée par Jean Le Coq, conseiller, mais nous en ignorons malheureusement le procès-verbal.

Peu de temps après, un édit de 1672 ordonne une aliénation du domaine royal : un acte de 1781 (donc très postérieur) dit, sans autre précision, que plusieurs personnes firent des offres pour acquérir les îles de Billancourt! Les commissaires des droits royaux décident en conséquence que la petite île (île Seguin) fait partie du domaine de la Couronne et l'adjugent (le 6 novembre 1680) à Gabriel Delguy d'Auzits: l'acte est passé au Louvre, moyennant 3600 livres; l'île est dite avoir environ 36 arpents en pré.

L'abbaye de Saint-Victor proteste énergiquement, invoque ses cinq siècles de possession et demande la nullité de l'adjudication. Un arrêt rend justice aux religieux le 9 décem­bre 1681, mais la sentence définitive n'est publiée que le 20 mars 1683; Saint-Victor est maintenu et gardé en P9sses­sion et jouissance des deux îles et le sieur Dauzits est remboursé de ses 3600 livres, plus 600 livres à titre d'intérêt.

(à suivre)

Pierre MERCIER