01 - Renault et l'aviation (1907-1914)

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RENAULT ET L'AVIATION

(1907-1914)

par gilbert hatry

Le 9 octobre 1890, pour la première fois, un avion, « L'J:ole '", quittait le sol par ses propres moyens, avec à son bord Clément Ader, son constructeur. «La force motrice était fournie par la vapeur et faisait mouvoir une hélice placée à J'avant. Deux roues droites portaient J'appareil et une troi­sième à J'arrière, le dirigeait à terre. Un gouvernail servait à la direction aérienne ". L'essai se déroula dans le parc d'Armainvilliers où e une aire fut tracée en ligne droite, le terrain dégazonné, battu et égalisé par un rouleau, de manière à voir et à enregistrer les traces des roues depuis les plus petits allègements jusqu'aux soulèvements com­plets ". Ce jour-là donc e sur une distance d'environ 50 mètres, « L'Éole" perdit terre pour la première fois, avec la seule ressource de sa force motrice'" (1).

Le 13 novembre 1906, sur la pelouse de Bagatelle, à Long­champ, Santos-Dumont, debout dans son «nO 14 bis,., animé par un moteur Antoinette, «une monstruosité, méri­tant à peine le nom d'aéroplane" (2), parcourt 220 mètres à 6 mètres de hauteur en 21 secondes 1/5 soit 37,368 km/ho e Le problème est résolu. Ce qu'on cherchait depuis si long­temps, le moyen d'imiter le vol de J'oiseau, on vient enfin de le trouver... Les conséquences qui en résulteront dans un avenir plus ou moins prochain sont incalculables,. (3).

Entre le vol de Clément Ader et celui de Santos-Dumont seize années s'étaient écoulées. Seize années de recher­ches et d'expérimentations, effectuées par de nombreux inventeurs aux idées fertiles. Certes, à partir de 1903, des échos parvenaient en France sur les réussites enregistrées par les frères Wright, de Dayton (États-Unis), mais leurs démesures les firent tout d'abord qualifiées de .. bluff" par les journaux spécialisés. Quelques années plus tard, malgré le scepticisme des meilleurs spécialistes français, les grands organes d'information donnèrent aux essais des Wright une dimension qu'ils n'eurent jamais. Il est en effet démontré aujourd'hui que «le Wright n'a jamais pu quitter le sol par ses propres moyens et n'a véritablement volé qu'à partir de 1908, époque a laquelle il fut muni d'un moteur français,. (4).

(1)

Clément Ader «La première étape de l'aviation militaire en France ». Oit. par «La France automobile» du 19 octobre 1907 « Un point d'histoire ».

(2)

Peter W"keham «Santos-Dumont, l'ob8édé de l'aviation» -Ed. de Trévise -1964. P. 219.

(3)

«Lecture8 pour tous» -Février 1907. P. 339.

(4)

Gabriel Voisin «Me8 10000 cerfs-volants» -La Table Ronde ­1960, P. 284.

Salle d'essais des moteurs d'aviation en 1908,

D'abord, un moteur

Si, à partir de 1905, l'appareil permettant de voler existe, il n'en demeure pas moins que le problème du vol mécani­que reste une question de moteur. Le colonel Renard, dans une communication à l'Académie des sciences, avait mon­tré que tant que l'on ne disposerait pas d'un moteur pesant moins de 4 kg par cheval, il serait inutile de chercher à enlever un homme (5).

Or, à cette époque, les moteurs d'automobiles pesaient aux environs de 16 kg par cheval. De plus, pour des raisons de sécurité notamment, les moteurs d'aviation devaient pouvoir fonctionner plusieurs heures au régime maximum de leur puissance et consommer un minimum d'essence afin de ne pas trop alourdir l'appareil. Aucun moteur d'automobile, dans sa réalisation du moment, ne résolvait ces problèmes, L'heure était donc venue de concevoir et réaliser des moteurs spécifiques.

C'est à Léon Levavasseur, ingénieur et artiste issu des Beaux-Arts, que l'aviation est redevable de son premier moteur. Aidé financièrement par un mécène, Robert Gas­tambide, il donne à son moteur le nom d'Antoinette en hom­mage à la fille de son bienfaiteur. D'une puissance de 24 CV, ce moteur «n'était capable que d'une marche de quelques minutes" (6), temps suffisant pour les performan­ces de l'époque. Mais le développement de l'aviation impo­sait de nouvelles exigences et, pour les satisfaire, il sem­blait évident que les constructeurs d'automobiles étaient les mieux placés. Or, « /'industrie automobile boude /'indus­trie qui va naitre, celle des aéroplanes. Quel dommage qu'il en soit ainsi» (7). A l'origine de cette bouderie peut­être un certain scepticisme à l'égard de la nouvelle loco­motion, ou encore une certaine crainte de l'avenir? «L'on peut déjà prévoir le temps où les automobiles circulant dans les rues ne représenteront plus le dernier mot du progrès, quand on les comparera aux aéroplanes filant d'un vol rapide et sûr à travers les airs" (8).

Quoi qu'il en soit, trois années après le vol historique de Santos-Dumont, les préventions des constructeurs d'auto­mobiles n'étaient pas levées et aucun n'avait encore tra­vaillé au moteur qu'attendait la jeune aviation. Aucun? sauf un : Louis Renault.

Le premier, Louis Renault ose

Dans une étude publiée en 1957 (9), l'auteur définissant Louis Renault, écrit: «Si Renault possède les qualités du paysan français, bon sens et ténacité, il en a aussi les défauts : c'est un esprit à courte vue et non un visionnaire imaginant l'avenir ". Nous ne pensons pas que cette appré­ciation puisse s'appliquer au Louis Renault des premières années du siècle. Car s'il va, avec tous les risques que cela implique, s'engager dans une nouvelle fabrication, c'est qu'il a une claire conscience des possibilités qu'elle peut offrir. Comme tous les esprits curieux de l'époque, et peut­être parmi les premiers, il a suivi les essais d'hommes qui lui sont proches et parmi eux, Voisin et Farman. Ce n'est donc pas par hasard qu'on note sa présence à Bagatelle, le jour où Santos-Dumont arrache son engin du sol.

Donc, intérêt certain pour l'aventure qui commence, mais aussi conscience des possibilités qui sont les siennes de contribuer à son essor. Car, en 1905, avec ses 800 ouvriers et ses 27730 m2 d'ateliers, Renault a déjà un potentiel technique et industriel qui le place parmi les plus importants constructeurs d'automobiles. Depuis trois ans, Renault construit son propre moteur qui a conquis ses titres de noblesse sur toutes les routes d'Europe. Bientôt ce sera sur le circuit de la Sarthe, la grande victoire de Szisz qui portera témoignage de la haute qualité des produits sortis de Billancourt.

Dès le début de 1907, le bureau d'études est au travail et, en novembre de la même année, Renault présente à l'annexe des Invalides du Salon de l'automobile «deux moteurs merveilleux extra-légers pour l'aviation» (10). Ces deux moteurs 45 CV 8 cylindres en V, étaient refroidis, l'un par l'air, l'autre par eau. Si «la maison Renault n'a pas cherché a faire un moteur extra-léger, mais seulement un moteur moins lourd que le moteur habituel et autant que possible aussi robuste et aussi régulier» (11), il n'en reste pas moins que le moteur refroidi par l'air pesait, prêt à fonc­tionner, 145 kg soit 3,22 kg par cheval, ce qui explique pourquoi Maurice Farman le choisit pour équiper l'appareil qu'il venait de construire.

« La raison en est qu'il a reconnu la nécessité de renoncer au refroidissement par l'eau et de le remplacer par le refroi­dissement par ailettes, afin de pouvoir effectuer des vols de longue durée sans emporter avec lui une masse d'eau trop pesante, compliquée par un attirail de radiateurs qui, si légers qu'ils soient, sont encore gênants au point de vue du poids» (12), et le rédacteur poursuit :

« Le moteur Renault qu'il va employer comporte huit cylin­dres, 90 X 120, pourvus d'ailettes sur toute la surface des chambres d'explosion, et disposés en V. On a pu ainsi

(5)

André Guéret «Le8 moteur8 d'aviation» -«La Vie automobile» du 11 décembre 1909.

(6)

M. d'About «La Vie automobile» du 13 décembre 1913.

(7)

Charle8 Faroux «La Vie automobile» du 1 août 1909.

(8)

«Lecture8 vour tous» ib.

(9)

Jacque8 Wolff «Ford et Renault de leur8 début8 à 1914» ­«Revue économique» -no 2. mar8 1951.

(10)

«La France automobile» -12 novembre 1901.

(11)

«Le8 locomotion8 mécanique8 » -8 octobre 1908.

(12)

«L'Automobile» -1er février 1908.

supprimer le volant qui forme un pOids mort qu'on ne pou­vait raisonnablement conserver dans un moteur destiné à de telles applications. Cette suppression, étant donné le nom­bre et la disposition des cylindres, n'a d'ailleurs causé aucun préjudice à la régularité et au bon fonctionnement.

Les deux groupes de quatre cylindres ont en outre été disposés de telle sorte que chacun des manetons du vilebrequin est commandé par deux bielles; de cette façon, l'arbre-mani­velle est de dimensions très réduites, son poids est tout à fait minime et l'équilibrage du moteur est parfait".

Moteur d'aviation 45/50 HP 8 cylindres à ailettes sans ventilateur.

«Les pistons, quoique sensiblement allégés, sont du même modèle que ceux des moteurs des voitures, c'est-à­dire qU'ils portent à leur base une gorge circulaire percée de trous qui empêche l'huile du carter de pénétrer dans les chambres d'explosion ".

« Toutes les soupapes sont comman­dées par un arbre à cames unique pris dans la masse. Les soupapes d'échappement, disposées au-dessous des soupapes d'admission pour obte­nir une plus forte compression, sont commandées par renvoi. Les bougies sont placées entre les deux soupapes, c'est-à-dire dans les meilleures condi­tions ".

«Suivant le principe généralement adopté aux usines de Billancourt, les différentes parties du moteur sont graissées automatiquement par projection et canalisation d'huile aux divers points de frottements. On connait l'efficacité de ce procédé qui a fait ses preuves depuis longtemps ".

« La suppression du carburateur n'a pas pu être envisagée sérieusement. Suivant la maison Renault, le faible gain de poids qui en résulte ne peut guère, en effet, être retenu si on envisage /'irrégularité du fonctionnement et la consom­mation exagérée dont elle est la cause. Cette consommation élevée oblige à construire un réservoir à essence plus volu­mineux, à emporter une plus grande quantité de combus­tible, c'est-à-dire à reperdre d'un côté, beaucoup plus de poids que l'on en a regagné de l'autre. Aussi, les construc­teurs de Billancourt ont-ils conservé cet organe indispensa­ble, en l'allégeant cependant considérablement, puisque tout le corps est construit en aluminium. A part la différence de matière, il est d'un fonctionnement identique à celui des voitures, c'est-à-dire la régularité, la souplesse et la consommation réduite qu'il pr,ocure».

«La façon dont l'allumage a été établi mérite également d'être retenue. Fallait-il conserver l'antique allumage par accus et bobines, que l'usage a fait peu à peu tomber dans le discrédit, ou sacrifier un peu de poids pour adopter la magnéto d'un fonctionnement irréprochable. En constructeur avisé qui ne veut pas sacrifier la régularité à la vanité de gagner quelques grammes, Renault à résolument adopté la magnéto. C'est d'ailleurs une toute petite magnéto très légère en même temps que très robuste. Le distributeur de courant en est séparé de telle sorte qu'on a obtenu une accessibilité absolument parfaite ".

«Le refroidissement se fait par une circulation d'air bien comprise qui, tout en supprimant le poids et l'encombrement inutile du radiateur et de l'eau, possède une efficacité dont de longues expériences ont donné la preuve. Cette circula­tion d'air est assurée par deux ventilateurs très légers qui font aspiration dans une chambre formée par le moteur lui-même, et un carter en tôle qui le recouvre. L'air exté­rieur, obligé de pénétrer dans cette chambre, passe à tra­vers les ailettes des cylindres et, les entourant complète­ment, les refroidit sur toute leur surface ".

« La puissance constatée du moteur est de 45 chevaux à 1 500 tours. Son poids est de 145 kg. Il semble au premier abord qu'on arrive assez loin du poids réalisé dans d'autres cas. Mais si l'on envisage que ces 145 kg comprennent à la fois tout l'appareil d'allumage et tout le dispositif de refroidissement, on est amené à conclure que ce poids n'est, en somme, guère éloigné du minimum auquel on est parvenu ".

« Si l'on ajoute à ce résultat la régularité, la souplesse et la solidité qui caractérisent la construction Renault, on est amené à conclure que l'aviation vient de s'enrichir d'un nouvel engin qui lui permettra de pénétrer plus avant dans la voie du progrès. Et, nous ne pouvons que nous réjouir, de voir les célèbres constructeurs mettre résolument au service de cette industrie nouvelle, leur savoir et leur lon­gue expérience. Leur concours sera précieux pour ceux qui tentent la conquête de l'air".

Donc, Louis Renault, le premier a osé. Après une année, d'autres constructeurs d'automobiles vont· s'engager dans la même voie : Clément-Bayard et Gobron; encore une

Moteur d'aviation 25 HP 4 cylindres à ailettes sans ventilateur.

année et ce seront : De Dion-Bouton, Panhard-Levassor, Mors. Mais, «avec son flair si avisé et sa compréhension si rapide de tout ce qui touche à la mécanique, on comprend que Louis Renault ait si nettement marqué de s,on empreinte la question du moteur d'aviation» (13). Et, cette empreinte va se placer sous le triple signe, de la puissance, de la légèreté et de la fiabilité. Partant du modeste 45 CV de 1907 et comme devançant les exigences de la nouvelle locomotion, chaque année va voir se créer et se développer une gamme de moteurs sans cesse améliorés.

En 1909, Renault offre à sa clientèle des 4 cylindres 40 CV et des 8 cylindres de 50 et 60 CV; en 1911 une gamme complète couvrant des puissances de 25 à 70 CV, puis un 12 cylindres 90 CV ; en 1913 ce dernier est porté à 100 CV.

La légèreté n'est jamais sacrifiée à la puissance. Le 40 CV de 1913 pèse 2,4 kg par cheval et le 100 CV de la même année atteint tout juste 2,9 kg soit 0,32 kg de moins que le 45 CV de 1907. On mesure ainsi l'effort soutenu par les techniciens de Billancourt au cours de ces sept années.

Quant à la fiabilité, c'est-à-dire la faculté d'un moteur de fonctionner sans arrêt, régulièrement pendant une longue durée, elle est définitivement assurée.

La qualité du produit fabriqué par Renault n'allait pas tarder à être consacrée. Le 6 juin 1909, l'A.C.F, organise un « Concours de moteurs à grande puissance". Pendant trois heures, le moteur subit l'épreuve «sans qu'il ait été possi­ble de constater, à aucun moment, la moindre anomalie de fonctionnement. La puissance développée s'est maintenue sans oscillation, du commencement à la fin de J'épreuve, au chiffre de 60,S HP, mesuré sur l'arbre démultiplicateur dont le régime était de 909 tr/mn ... Ces résultl1ts sont d'au­tant plus significatifs qu'ils ont été obtenus au banc, c'est-à­dire dans des conditions de refroidissement infiniment moins favorables qu'en plein air. Le moteur reposait sur des ressorts; il était donc, au point de vue de la suspension, exactement dans les mêmes conditions que sur un aéro­plane" (14).

Un témoignage

Soixante-cinq années plus tard, Maurice Tabuteau, un des premiers pilotes à avoir utilisé un Maurice-Farman équipé d'un moteur Renault, se souvenait encore des qua­lités de «son moteur» (15). Écoutons-le :

« Le moteur de Louis Renault était remarquable. Il compor­tait des dispositions nouvelles, particulièrement avantageu­ses. L'idée fort ingénieuse fut d'entraîner J'hélice par l'arbre à cames, après avoir renforcé les pignons de distribution, obtenant ainsi une démultiplication sans perte de puissance pour la transmission. Deuxième nouveauté : le refroidisse­ment par air. A l'époque, les moteurs refroidis par air étaient refr,oidis par de l'air soufflé. Louis Renault fut le pre­mier à penser enfermer tout l'ensemble du moteur, dans une enveloppe étanche et à aspirer de l'air par un ventilateur au lieu de souffler sur le moteur. Troisièmement, il était essentiel, dans un aéroplane, de placer le réservoir d'essence dont le poids variait avec la durée de fonction­nement, au centre de poussée de l'appareil et il fallait aussi que l'on puisse alimenter le carburateur par gravité car, à cette époque, il n'y avait ni exhauteur, ni pompe à essence et un réservoir S,ous pression aurait fait fuir tous les pilotes. Louis Renault eut /'idée d'un carburateur divisé en deux. Une cuve très basse, la cuve du niveau constant, fournissait un mélange trop riche à un deuxième mélange d'air, situé aussi haut qu'on voulait, et c'est dans le nouveau mélange ainsi obtenu que le moteur aspirait».

« Enfin, comme il n'y avait pas de magnétos 8 cylindres, au moment où Louis Renault construisait son moteur et qu'il n'y avait guère d'allumage batterie qui fut recommandable, il eut /'idée de prendre une magnéto 4 cylindres donnant deux étincelles par tour, qu'il fit t.ourner deux fois plus vite, disposant ainsi de huit étincelles tous les deux tours, c'est-à­dire pour un cycle moteur complet : ce résultat était

(13)

«La Vie automobile» -16 décembre 1911.

(14)

«La France automobile et aérienne» -l! octobre 1909.

(15)

Témoinnane recueilli le 27 novembre 1975.

obtenu en envoyant les étincelles dans des distributeurs séparés. /1 en résultait que les 8 cylindres Renault qui tour­naient à 1 800 tours à plein régime, comportaient une hélice tournant à 900 tours et étaient allumés par une magnéto à 3 600 tours».

Des clients ...

Les clients du moteur Renault vont être, tout naturellement, les constructeurs d'avions. Mais qui sont donc ces hom­mes? « /ls ont tous un point commun, du moins au commen­cement de leurs travaux : une certaine aisance matérielle et, pour la plupart, une origine sociale élevée» (16). Ainsi, les frères Farman, les premiers clients de Renault. Ils sont trois : Dick, Maurice et Henri; mais c'est ce dernier qui va se lancer dans l'aventure bientôt suivi de son frère Maurice. Henri « élevé par son père, correspondant à Paris

du grand journal politique anglais " Le Standart,., il Y res­pire une atmosphère de haute et libre culture. Guidé, avec ses deux frères, par une mère artiste, il acquiert, à la fois, les idées vastes, le goût des belles choses, l'esprit d'équipe et l'ambition. Esprit largement ouvert aux grands courants d'idées, il possède aussi un corps vigoureux, une volonté froide et claire. /1 vient au sport par la bicyclette. Puis, il se met à la piste et forme avec son frère Maurice une équipe de tandem. A la naissance de l'automobile, Henri Farman est mûr. /1 va se passionner pour tous les nouveaux engins, au fur et à mesure de leur apparition. /1 court en tri­cycle à pétrole, en tricar, en voiturette ... A trente ans, il est

(16) Edmond Petit : «La vie quotidienne dan8 l'aviation en France au début du XX-8iècle » -Hachette 1977. p. 17.

Le stand Renault au Salon de l'aviation de 1910.

prêt pour l'aviation... Il décide d'y aller par la fortune» (17).

Et, cette fortune, il l'obtient par l'automobile en devenant distributeur et en spéculant sur les ventes de châssis neufs, comme il était d'usage à une époque où la demande excé­dait l'offre. En février 1907, il est à la tête d'un demi-million de francs-or. «Les munitions étaient prêtes» (18).

En 1907, il construit son premier appareil avec lequel il gagne le Grand Prix d'aviation. L'année suivante, il met au point son «Flying-fish» (poisson volant) qu'il équipe d'un moteur Renault. Dès la même année, son frère Maurice se lance dans l'aventure. Jusqu'en 1914, ce dernier restera fidèle au moteur Renault.

Mais, les frères Farman ne seront pas les seuls clients du moteur Renault. Durant la période 1908-1914, 17 construc­teurs s'inscriront sur les livres de commande de Billancourt et parmi eux, Bréguet, Voisin, Lioré, Dorand, Astra, San­chez-Besa, pour ne citer que les principaux. 49 types d'appareils pourront ainsi s'aligner dans différentes compé­titions et faire briller les couleurs de Renault.

... des pilotes

Cependant, si, à l'origine, les constructeurs sont aussi leur propre pilote, ils ne vont pas tarder à vendre leur produit à des amateurs passionnés. Passionnés par la «conquête de l'air », certes, mais aussi par les gains qU'ils peuvent obtenir, soit en s'attribuant des prix dans des épreuves, soit en participant à des exhibitions à l'occasion de meet­ings organisés dans les grandes vines. Ce fut une des motivations, et non des moindres, qui amena Maurice Tabuteau à l'aviation. «En 1909, on commençait déjà à distribuer des récompenses, souvent démesurées (19). Avant

même d'être breveté je commençais à emmener des passa­gers. Mon brevet, passé le 1er juillet, j'eus tout de suite l'idée de concourir pour la Coupe Michelin, dotée d'un prix de 50000 francs, mais comme il était trop tôt, je décidais de participer à un petit meeting à Biarritz. Dés la première semaine, je fis un bénéfice inattendu en exerçant un petit commerce fructueux qui consistait à offrir le baptême de l'air pour 200 francs ». Et, Maurice Tabuteau conclut : « dès que les bénéfices à tirer de la pratique de l'aviation professionnelle diminuèrent, je revins à mon premier métier: l'automobile ».

Gardons-nous cependant de généraliser, car nombre des premiers hommes-oiseaux n'hésitèrent pas à sacrifier leur vie sur l'autel d'Icare: 279 pour les seules années 1910 à

1912 (20).

... et des exploits

Pendant toute la période qui précède la Première Guerre mondiale, le moteur Renault se trouve associé aux grands exploits qui vont marquer l'histoire de l'aviation. C'est d'abord Maurice Farman, reliant Buc à Chartres le 9 décem­bre 1909, s'adjugeant ainsi le record de la distance en ligne droite au-dessus des campagnes; c'est ensuite Maurice Tabuteau qui, le 3 octobre 1910, sur biplan Maurice-Farman,

(17) Jacques Sahel : « Henri Farman et l'aviation» -Gras8et 1936. 'P. 22 et suiv.

(18) lb.

(19)

Témoiflnafle cité.

(20)

Edmond Petit. O'P. cît. 'P. 69.

Biplan Maurice-Farman de 1913.

Biplan Astra de 1912.

franchit les Pyrénées de Saint-Sébastien à Biarritz et qui, trois mois plus tard remporte la Coupe fondée par les frè­res Michelin.

En fait, cette Coupe comprenait deux prix. L'un destiné à récompenser l'aviateur qui établirait la plus grande distance en circuit fermé, avec un minimum de 20 kilomètres, l'autre attribué au pilote qui, avec un appareil à deux places, par­tant d'un point quelconque du département de la Seine, se poserait sur le sommet du puy de Dôme. «En instituant cette épreuve, écrivait «L'Aurore» (21), notre grand caout­choutier national, nous fait J'effet d'un blagueur à froid ».

Mais, les deux objectifs fixés seront atteints grâce au moteur Renault et à l'appareil de Maurice Farman.

En décembre 1910, Maurice Tabuteau avec de nombreux aviateurs, est en piste : des records à peine établis sont battus. Le 21 décembre, Legagneux, reste seul qualifié. C'est alors que Maurice Tabuteau va faire une nouvelle tentative. «Le 29 décembre, à Buc, écrit «L'Aérophile» du 15 janvier 1911, il se mettait en route à 7 h 37 mn 26 s, sur biplan Maurice-Farman. Il tournait avec une admirable régularité, mais devait s'arrêter au bout de 5 h 12 mn 49 s, le brouillard lui masquant absolument la vue de la piste et empêchant tout contrôle. Il avait parcouru 390 kilomètres ". «Le 30 décembre, Tabuteau, infatigable, prit le départ à 7 h 40 mn, par temps froid, mais beau, tournant à 15 et 20 mètres de hauteur. Il s'était imposé comme vitesse extrême 76 km/h et ses mécaniciens J'avertissaient par signaux convenus, dès qu'il tendait à la dépasser. De même, chaque centaine de kilomètres parcourue était indiquée par un drapeau. A midi, J'aviateur avait déjà couvert 320 km, un quatrième drapeau s'érige bientôt, puis un cinquième. A ce moment, survient une bourrasque de neige fondue. Les spectateurs suivent avec une anxieuse attention le vol de J'aéroplane; il lutte vaillamment, tangue, roule, mais se redresse toujours et continue. Le temps se rassérène. Le record des 500 km et celui des 7 h sont battus et les records au-dessus de 515 km sont établis. Tabuteau atter­rit enfin, à 15 h 30, à bout d'essence, ayant couvert 582,935 km en 7 h 48 mn 31 s 3/5 soit une vitesse moyenne de 75 km/h environ ".

«La perseverance et la ténacité de J'excellent aviateur devaient se trouver récompensées, car malgré des efforts désespérés, les autres concurrents ne purent faire mieux. C'est là un magnifique succès pour le biplan Maurice-Far­man, qui allie une vitesse remarquable à un pouvoir por­teur considérable et à une incontestable robustesse de construction. Vérifié à J'atterrissage, J'appareil aurait pu repartir immédiatement pour une étape aussi rude sans qu'on eût à régler un tendeur .ou à toucher un écrou. Quant au moteur Renault et à J'hélice intégrale, ils avaient éga­Iement fourni, sans la moindre défaillance, les deux rudes épreuves du 29 et du 30 décembre, dont les distances addi­tionnées atteignent presque 1 000 km ».

Reste à atterrir sur le sommet du puy de Dôme. Trois tenta­tives seront faites. La première, le 7 septembre 1910, par Weymann (passager Manuel Fay) : c'est un échec. Après s'être posé deux fois pour reconnaître sa route, Weymann doit, à la nuit tombée, se poser à Volvic, soit à une ving­taine de kilomètres de son objectif. Deuxième tentative, le 5 octobre, par Léon Morane (passager Robert Morane). Nouvel échec, l'appareil s'écrase près de Boissy-Saint-Léger et les frères Morane sont grièvement blessés. Enfin, le 7 mars 1911, troisième tentative par Eugène Renaux (pas­sager Albert Senouque), sur biplan Maurice-Farman, moteur Renault. C'est la victoire.

Nous avons déjà rappelé l'exploit de Renaux (22) et nous ne reviendrons pas sur un réCit que nos lecteurs ont encore en mémoire. Cependant, pour mieux apprécier les conditions dans lesquelles ce vol historique fut accompli, nous pen­sons utile de publier l'article que «L'Aérophile» du 15 mars 1911 lui consacra.

(21)

Cité par Edmond Petit.

(22)

«De Renault Frères à Renault Rénie Nationale» T. 1 no 7 ­décembre 1973. P. 254 et 8uiv.

Comment fut gagné le Grand Prix Michelin

Pour mener à bien ce raid Paris-puy de Dôme, il fallait un appareil, à la fois, rapide et doté d'un pouvoir porteur élevé, pour transporter le plus d'essence et d'huile possible, réduire au minimum le nombre des escales et le temps perdu pour les ravitaillements. Maurice Farman a fourni l'aéroplane qui répondait pleinement à ces desiderata.

Il fallait aussi un pilote éprouvé, endurant, capable de conduire durant des heures sans une défaillance, sans une minute d'inattention, absolument maître de ses nerfs et indifférent aux bousculades des remous aériens, qui ne furent pas ménagées, en effet, aux vainqueurs de Paris-puy de Dôme.

En outre, en raison de l'exiguïté et des conditions défec­tueuses du terrain d'atterrissage, rocailleux et cerné de profonds à-pics, il fallait revenir au sol et s'y arrêter en quelques mètres, avec une dextérité et une précision qui exigeaient le doigté et le sang-froid d'un manœuvrier de premier ordre. Eugène Renaux a été ce pilote.

Il s'était patiemment entraîné, à Buc, aux vols de hauteur et avait atteint, notamment, 1 300 mètres d'altitude avec un passager, pour être bien certain que l'appareil, équipé au grand complet et dans les conditions du raid, pouvait s'éle­ver à la hauteur du puy de Dôme. Il avait effectué aussi de longs vols planés commencés à grande hauteur, se mettant ainsi en état de parer à un arrêt imprévu du moteur. De plus, on avait tracé, sur l'aérodrome de Buc, un rectangle égal à la surface du terrain d'atterrissage du puy de Dôme et Renaux s'était exercé à y descendre et à arrêter sa lancée sans sortir du rectangle.

Ces expériences préliminaires terminées et l'appareil complètement vérifié et mis au point, le samedi 4 mars, une répétition définitive avait été faite, le pilote et son passager à bord, vêtus chaudement comme pour le voyage réel, munis de leurs appareils acoustiques de communication, et en emportant la provision d'essence et d'huile et l'équipe­ment complet, cartes, compas, chronomètre, baromètre. Cet essai, dura environ 3/4 d'heure,. durant lesquels furent exécutées les diverses manœuvres à prévoir en cours de route, les essais d'orientation, la vérification du réglage du compas, le tout terminé par un atterrissage dans les condi­tions indiquées plus haut. Cet essai fut parfaitement satis­faisant.

Enfin, pour ce voyage au long cours, il était nécessaire de choisir des circonstances météorologiques favorables et d'assurer une bonne orientation en cours de route.

M. Albert Senouque était plus particulièrement chargé de cette organisation technique du voyage pour laquelle le désignaient· tout particulièrement ses capacités et ses tra­vaux antérieurs de météorologiste et d'astronome.

Le carnet de route et l'organisation technique du voyage

M. Albert Senouque qui fut pour le hardi pilote, Eugène Renaux, un aide précieux, a bien voulu nous donner les renseignements suivants sur le voyage et son organisation technique:

« Au départ, une brume intense nous empêche de voir quoi que ce soit. C'est à la boussole que nous nous dirigeons sur le parc de l'Aéro-Club de France, aux côteaux de St-Cloud. Nous traversons la Seine, entre le parc et le pont de St-Cloud, par 200 mètres de hauteur environ. Nous apercevons enfin le drapeau qui signale le parc de l'aéro­club, origine du trajet imposé. Après être passé au zénith du parc, nous virons et nous mettons le cap sur Nevers, choisi comme escale de ravitaillement. Nous sommes forcés de nous diriger à la boussole et cherchons à évaluer notre dérive en prenant des alignements. La brume nous gêne beaucoup. Nous ne voyons par l'observatoire de Meudon. Nous apercevons, enfin, le coude de la Seine à Juvisy, puis, plus loin, les cheminées d'Essonnes: nous sommes dans la bonne route. Nous naviguons entre 200 et 300 mètres de hauteur. Plus haut nous ne distinguerions toujours rien du sol ".

« A partir d'Essonnes, nous commençons à être violemment secoués par les remous et nous n'arrivons plus à identifier les points sur la carte. Je recommande à Renaux de bien maintenir son cap au compas, en lui donnant une dérive approximative de 10 degrés. Nous avons enfin la chance d'identifier le terrain environ 10 kilomètres avant Montargis en reconnaissant le canal du Loing !3t le Loing. A ce moment, la visibilité est un peu meilleure et nous nous diri­geons, à peu près en ligne droite, sur Nevers, de façon à ne jamais perdre de vue, ni la route, ni le chemin de fer. Nous reconnaissons la Loire à une quinzaine de kilomètres, et nous laissons Briare sur notre droite. Nous suivons alors le fleuve, en passant à côté de Cosne, et arrivons ainsi à Nevers, où nous atterrissons normalement sur l'aérodrome du Peuplier seul, que le directeur M. Daillens, aviateur lui­même, avait très aimablement mis à notre disposition et où nous fut fait le meilleur accueil ".

c Nous partons de Nevers, à 12 h 7 mn 37 s, après avoir remis 70 litres d'essence dans le réservoir. Mais, comme nous sommes très secoués et que la boussole se lit diffi­cilement à cause des impulsions données par les remous, nous nous décidons à faire un coude au lieu de prendre la ligne droite, nous dirigeant sur Moulins. Nous volons par 500 mètres d'altitude environ. Nous apercevons le pont de Moulins bien avant de voir la ville. A ce moment, nouveaux remous qui nous ballotent furieusement. Laissant Moulins à 3 ou 4 km sur notre gauche, nous suivons presque exac­tement la route menant à St-Pourçain. Les violents remous que nous avions rencontrés à Moulins et qui ont soulevé Renaux de son siège, nous empêchent de commencer à gagner en hauteur à partir de cet endroit, comme nous en avi,ons /'intention. Ce n'est qu'un peu avant Gannat que nous avons pris de l'altitude. Entre Gannat et Riom notre baromètre marquait plus de mille mètres ".

c A mesure que nous montons, /'identification du terrain devient de plus en plus difficile et nous ne voyons toujours pas le sommet du puy de Dôme. Nous laissons Riom à notre droite et quelques instants après, nous apercevons enfin la silhouette majestueuse de la cathédrale de Clermont, se détachant bien en noir au milieu de la ville. Nous doublons la cathédrale par 1300 mètres d'altitude, et nous nous diri­geons, au compas, sur le puy de Dôme que nous n'aperce­vons toujours pas. Enfin, à 7 km à peu près, nous décou­vrons le cône volcanique du puy de Dôme. 1/ nous parait être bien au-dessus de nous, et, croyant que le baromètre donnait des indications erronées, nous nous élevons encore et ne cessons de monter que lorsque l'aiguille marque 1 900 mètres".

« A environ un kilomètre du puy de Dôme, Renaux amorce la descente. Nous laissons la tour de J'observatoire à notre gauche et descendons toujours, de façon à nous trouver au-dessous du terrain d'atterrissage. Puis, nous remontons directement les pentes de la montagne. Lorsque nous atteignons le niveau du terrain d'atterrissage, Renaux coupe les gaz, et, arrivés à terre, il fait cabrer l'appareil: nous roulons 5 ou 6 mètres à peine et nous nous arrêtons. Le Grand Prix Michelin était gagné ».

« On m'excusera de ne pas m'étendre sur nos impressions de voyage. Nous avions autre chose à faire que de les noter, étant trop occupés, Renaux par la conduite de l'appa­reil et moi-même par l'observation d.e la route et de la direc­tion à suivre ».

«Jusqu'à Nevers, nous avons constaté une moyenne de 85 à l'heure; la première heure après Nevers nous avan­cions moins vite et nous n'avons fait que 70 km. Ensuite, nous n'avQns plus déterminé la vitesse, voyant que nous avions largement le temps d'arriver au sommet dans le délai prescrit. Même à grande altitude, en fin de voyage, l'appa­reil montait aisément de 50 m à la minute ".

«L'organisation technique du voyage avait été faite avec soin. Je ne parlerai pas de l'étude de l'appareil, spéciale­ment adapté par Maurice Farman au but à atteindre, ni de l'entraÎnement méthodique auquel s'était soumis Eugène Renaux, pour triompher des difficultés particulières que ce voyage comportait, même pour les pilotes d'aéroplanes les plus expérimentés ».

«Les conditions météorologiques, devant avoir une très grande influence sur le résultat de la tentative, nous nous étions mis en relations, depuis le jour d'inscription de Renaux, avec l'observatoire du puy de Dôme et M. Pluman­don, attaché à cet établissement scientifique, nous indiquait téléphoniquement, deux fois par jour, la vitesse et la direc­tion du vent à Clermont-Ferrand et au puy de Dôme, l'état du ciel et les chances de beau temps. Les mêmes indica­tions, constatées à la tour Eiffel, nous étaient obligeamment fournies dans les mêmes conditions, par le Bureau central météorologique. Nous avions ainsi tous les éléments d'appréciation pour choisir le temps favorable. Par exemple, le 6 mars au matin, alors que nous pensions pouvoir partir, ayant reçu avis de Clermont que le temps était tout à fait propice, nous étions avisés que l'on constatait, à la tour Eiffel, un vent constant du sud de 6 mis. Cette nouvelle nous avait tellement surpris que, craignant un malentendu, nous nous rendÎmes au Bureau central où les indications fournies nous furent confirmées ".

«Le lendemain matin, mardi 7 mars, en revanche nous avions encore de Clermont des nouvelles favorables, c'est-à­dire que le régime atmosphérique était resté le même que la veille dans la région et à la tour Eiffel. Aussi, malgré la brume assez intense qui couvrait le Bassin parisien, le départ était décidé ". .

« Pour suivre la route, nous avions découpé, dans la carte d'état-major au 1/80 OOOe, une bande de largeur suffisante pour nous donner l'aspect du terrain jusqu'à 15 km à droite et à gauche de /'itinéraire le plus direct. Cet itinéraire idéal était tracé en rouge et gradué de kilomètre en kilomètre, au sens de marche, pour nous permettre d'apprécier notre vitesse à l'aide de la montre. Une autre graduation, de sens inverse, nous indiquait, à chaque instant, les distances res­tant à franchir. Cette carte était montée devant le passager, sur un liseur composé de deux rouleaux, l'un enroulant la route parcourue, l'autre déroulant le reste de l'itinéraire ".

«Nous avions, en outre, un compas d'embarcation, avec rose amortie de 10 centimètres de diamètre, placé devant le pilote et que le passager voyait par-dessus l'épaule de ce dernier. Le compas avait été compensé et les déviations déterminées par la maison Lepaute. La route était faite par

Biplan Zodiac de 1911.

Avion Maurice-Farman de 1910.

Avion Maurice-Farman F 40 à moteur arrière.

le passager qui évaluait la dérive, donnait au pilote le cap au compas et identifiait les points de repère. Les communi­cations verbales entre le pilote et le passager étaient assu­rées par deux écouteurs fixés sur nos casques, contre l'oreille et reliés par des tubes acoustiques au cornet porte­voix que nous avions chacun devant nos lèvres".

«J'estime que pour un voyage aérien au long cours, la boussole est absolument indispensable. Sans notre compas, nous n'aurions même pas pu, dès le début, aller de l'aéro­drome de Buc au parc de l'aéro-club, n'ayant pu distin­guer la Seine qu'en arrivant au-dessus du parc. Les 100 premiers kilomètres ont été couverts uniquement au com­pas, sans autre moyen de reconnaissance".

« Quant aux repères naturels du sol, s'il me fallait les clas­ser dans l'ordre de visibilité et par suite, d'utilité, je mettrais au premier rang, les étendues d'eau telles que rivières, étangs, etc., qui réfléchissent la lumière du ciel et se dis­tinguent, de très loin, en nappes blanches et brillantes. Ensuite, viennent les routes, puis les voies ferrées, assez difficilement" visibles de loin, à cause de leur teinte sombre. Ces constatations, faites depuis longtemps d'aiIJeurs par les aéronautes, devraient inspirer ceux qui auront à établir les cartes spécialement destinées aux navigateurs aériens ».

Naissance de l'aviation militaire

D'autres succès allaient associer, plus ètroitement encore, le moteur Renault à l'appareil de Maurice Farman. Le 2 sep­tembre, Géo Fourny, chef-pilote de Maurice Farman, bat les records de durée et de distance sans escale, volant 720 km en 11 h 1 mn 29 s. Le 30 septembre, Renaux récidive en s'attribuant le prix Quentin-Bauchart. Les années suivantes, le moteur Renault sera encore à l'honneur, malgré la concur­rence effrénée que lui font principalement Gnôme et Can­ton-Unné (Salmson). Il est vrai que, sur le marché, la clien­tèle particulière ne connait pas un grand développement, l'avion n'est encore qu'un sport et sa vocation de transpor­teur rapide ne s'est pas encore affirmée. Par contre, un débouché vient de s'ouvrir: l'aviation militaire.

Dès 1909, après la Semaine de Champagne, première grande compétition au cours de laquelle s'affrontent, devant un publie enthousiaste et des attachés militaires de diffé­rents pays, les meilleurs pilotes, le général Roques, alors chargé de mission, met en commande 5 appareils. A la fin de l'année, les cocardes tricolores peuvent être peintes sur le fuselage du premier appareil militaire. En 1910, la flotte aérienne française comprendra 69 appareils, puis 181 l'année suivante. A la veille de la Première Guerre mondiale, l'armée pourra disposer de 27 escadrilles de 8 avions soit 216 appareils de première ligne plus 120 à l'intérieur.

Tout naturellement, le moteur Renault sera employé sur les appareils construits, selon les cahiers des charges de l'administration militaire, par les avionneurs les plus appré­ciés : Henri et Maurice Farman, Astra, Voisin et Zodiac. Et, c'est en raison de commandes en cours pour l'armée que l'usine de Billancourt devra de ne pas fermer totalement

ses portes quand sonnera l'heure de la mobilisation

générale.

Gilbert HATRY

Avions et hydravions

équIpés d'un moteur Renault

( 1 908-1 91 4)

Année Marque et type Longueur en m Envergure en m Surface portante m2 Poids total kg Puissance déclarée du moteur Vitesse km/h Avion Hydravion

1908 Henri-FARMAN « Flying-Fish » -Biplan 14 6,30 24 600 47 CV Avion

Maurice-FARMAN Atelier Mallet -Biplan 10 300 à vide 58 CV Avion

Ambroise-GOUPY Type Voisin 50 CV Avion

1909 BRËGUET 1 bis 50 CV Avion

Maurice-FARMAN Type Voisin 10,7 10 40 450 50/60 CV Avion

VOISIN Type H 56 CV Avion

W.L.D. Lioré et Cie -Biplan 10 10 50 550 60 CV Avion

1910 BRËGUET-RICHET III Biplan 10 13 500 50 CV Avion

BRËGUET Double monoplan 12 40 700 50 CV Avion

Capitaine-DORAND 60 CV Avion

Maurice-FARMAN Il (Farman-Kellner et Neubauer) 12,745 11 56 516 50 CV 40 Avion

1911 ASTRA Triplan militaire 3 places 9,70 13 48 1 100 75 CV 90 Avion

ASTRA 5 places 10,60 12,30 90 CV Avion

Année Marque et type Longueur en m Envergure en m Surface portante m2 Poids total kg Puissance déclarée du moteur Vitesse km/h Avion Hydravion

ASTRA-WRIGHT 50 CV Avion

BRÉGUET L 2 Biplan 5 places 8,75 13,60 33 600 100 CV 90 Avion

Capitaine-DORAND 70 CV Avion

Henri-FARMAN Biplan militaire 11,95 20 70 910 75 CV Avion

Maurice-FARMAN Biplan militaire 4 places Louis-PAULHAN Triplan 10,20 15,50 13,20 63 711 70 ou 90 CV 75 CV Avion Avion

VOISIN Type Fabre 75 CV Hyd.

ZODIAC Biplan militaire 2 places 10 15 32 1500 75 CV Avion

1912 ASTRA Type bois C -Biplan 10,40 12,50 48 800 50 CV 90 Avion

ASTRA Type bois CM -Biplan militaire 10,97 12,32 48 1073 75 CV 90 Avion

CHAMPEL 50 CV Avion

DOUTRE Biplan 2 ou 3 places 12,25 16,10 50 600 50 ou 70 CV 90 Avion

SANCHEZ-BESA Biplan 10,40 16,40 60 900 à vide 100 CV 90 Hyd.

SANCHEZ-BESA 17 70 CV Hyd.

SAVARY Biplan 11 14 48 600 70 CV Avion

VOISIN Biplan 11,50 17 36 620 70 CV 100 Avion

1913 ASTRA Biplan type C, bois et acier 10,40 12,50 48 50 CV 90 Avion

ASTRA Biplan militaire type CM, bois et acier 10,97 12,32 48 440 75 CV 90 Avion

ASTRA Biplan militaire type CM, bois et acier 10 12 48 800 100 CV 90 Hyd.

Année Marque et type longueur en m Envergure en m Surface portante m2 Poids total kg Puissance déclarée du moteur Vitesse km/h Avion Hydravion

Maurice-FARMAN Biplan militaire 12 15,50 60 500 70 CV 90 Avion

Maurice-FARMAN Gros biplan militaire 14 20 80 650 70 CV 70 Avion

1913 Maurice-FARMAN Biplan d'observation 11,90 11 30 400 70 CV 110 Avion

Maurice-FARMAN 70 ou 120CV Hyd.

Maurice-FARMAN 70 CV Hyd.

Maurice-FARMAN 70 CV Hyd.

HANRIOT D IV 50 CV Avion

SANCHEZ-BESA Biplan 10 16,60 60 500 70 CV 80 Hyd.

SAVARY Biplan 11,70 15 58 600 75 CV 96 Avion

Paul-SCHMITT 7 B2 Avion

Roger-SOMMER Type R 3 à 2 ou 3 places 11,70 14 54 400 70 CV 90 Avion

1914 DOUTRE Biplan 2 places 11,50 16 52 620 70 CV 100 Avion

Maurice-FARMAN Type S7 11,52 15,52 54 580 70 CV 95 Avion

Maurice-FARMAN Type S8 9,74 12,02 68 967 100 CV 100 Hyd.

Maurice-FARMAN Type S9 9,35 17 60 755 70 CV 90 Hyd.

1914 Maurice-FARMAN Type S11 9,48 16,13 57 550 70 CV 100 Avion

Sources:

«Ali The World'8 Air 8hip8» (Fred T. Jane) Années 1909, 1912. 1913 et 1914.

Doc-Air Espace (Centre de documentation de l'Armement) No spécial­Mai 1968.

Périodiques : «L'Aérophile ». «La Vie automobile ». « L'Automobile ».

Musée de l'Air.

Les grandes heures

du moteur Renault pour l'aviation

Chronologie

12 novembre 1907

Renault présente à l'annexe des Invalides du Salon de l'automobile, ses deux premiers moteurs pour l'aviation.

24 décembre 1908

Nouvelle présentation des moteurs Renault au Salon des poids lourds et de l'aéronautique.

24 janvier 1909

Louis Bréguet, sur son biplan moteur Renault, participe aux différentes épreuves du Grand Prix d'aviation de Monaco.

6 février 1909

Maurice Farman essaye son biplan moteur Renault.

6 juin 1909

Concours de l'Automobile-Club de France. Le moteur Renault se classe premier, tournant à pleine charge durant 3 heures s'ans aucune défaillance.

9 décembre 1909

Maurice Farman, relie Buc à Chartres s'attribuant ainsi le « Record de la distance en ligne droite au-dessus des cam­pagnes ».

3 avril 1910

Semaine d'aviation de Cannes. Au classement général, Edmond, sur Farman, moteur Renault, s'adjuge le prix de vitesse.

202

29 avril 1910

Maurice Farman, avec son biplan à bord duquel a pris place Maurice Tabuteau, parcourt un circuit de 30 km en passant au-dessus de Villeroy, Voisins et Trappes pour revenir à Buc.

15 mai 1910

Fin de la semaine d'aviation de St-Pétersbourg. Au classe­ment général, Edmond, sur Henri-Farman se trouve à la 4e place.

2 août 1910

Dans le Grand Prix de Caen (totalisation de la durée de vol), Renaux, sur Maurice-Farman, prend la 6e place avec 2 h 38 mn 26 s.

21 août 1910

Meeting d'aviation de Nantes. Renaux, sur Maurice-Farman, obtient trois premiers prix.

25 septembre 1910

Renaux s'adjuge deux premiers prix au meeting aéronauti­que de Dijon.

3 octobre 1910

Maurice Tabuteau, sur biplan Maurice-Farman, franchit les Pyrénées. de Saint-Sébastien à Biarritz et s'attribue la Coupe Brodsky.

11 décembre 1910

Avec une distance de 584,935 km en 7 h 48 mn 31 s, Maurice Tabuteau, sur Maurice-Farman, remporte la Coupe

Michelin.

7 mars 1911

Grand Prix Michelin. Renaux, sur biplan Maurice-Farman, gagne le prix Paris-Le puy de Dôme, volant 340 km en 5 h 10 mn 56 s.

11 mars 1911

Colliex, présente à Issy-les-Moulineaux, à la Commission militaire, un appareil Voisin, type militaire, de 17 m d'enver­gure, à moteur Renault.

2 septembre 1911

Fourny, sur biplan Maurice-Farman, bat les records de dis­tance et de durée : 720 km en 11 h 1 mn 29 s.

22 septembre 1911

Mahieu bat le record du monde de hauteur, sur un biplan militaire Voisin à moteur Renault : 2460 m avec passager.

30 septembre 1911

Eugène Renaux, sur biplan Maurice-Farman, gagne le prix Quentin-Bauchart totalisant 6830,75 km.

31 mars 1912

Eugène Renaux, sur hydroaéroplane Maurice-Farman, bat le record de distance et de durée sans escale par un vol de 300 km en 5 h.

26 août 1912

Labouret, sur hydroaéroplane Astra, est classé premier, Benoist, sur hydroaéroplane Sanchez-Besa, est classé deuxième du concours de St-Malo.

30 août 1912

Gaubert, sur biplan Astra-Wright, gagne le prix de l'Aéro­Cible Michelin.

11 septembre 1912

Critérium de l'Aéro-club. Fourny, sur biplan Maurice­Farman, bat les records de distance et de durée sans escale par un vol de 1010 km en 13 h 17 mn.

17 septembre 1912

Meeting de Tamise-sur-Escaut. Eugène Renaux, sur hydro­aéroplane Maurice-Farman, se classe troisième, Benoist, sur Sanchez-Besa, le devance d'une place.

21 juillet 1913

Le sous-officier Brack-Papa bat le record italien de hauteur, sur biplan Maurice-Farman, s'élevant à 3050 m.

16 septembre 1913

Meeting de Deauville. Renaux, sur hydroaéroplane Maurice­Farman, se classe 1er, battant le record de distance sans escale sur mer, avec 565,6 km.

22 septembre 1913

Au meeting de Saint-Sébastien, Renaux, sur hydroaéroplane Maurice-Farman, se classe 1er.

20 novembre 1913

Fourny et Gaubert, sur biplan Maurice-Farman, s'attribuent les premier et deuxième prix de l'Aéro-Cible Michelin.

15 avril 1914

Au rallye aérien de Monaco, Renaux, sur biplan Maurice­Farman, se classe 4e de la catégorie «appareils ayant plus de 25 m2 de surface ». 1/ a accompli le trajet Buc-Monaco en 53 h 58 mn 43 s.

9 juin 1914

Eugène Renaux, sur un Maurice-Farman moteur Renault 100 CV, bat les records mondiaux de vitesse avec un passa­ger : 500 km en 4 h 43 mn 16 s.

11 juillet 1914

Eugène Renaux participe au raid Londres-Paris-Londres, sur biplan Maurice-Farman moteur Renault de 120 CV. Il se classe 4e, en 7 h 14 mn 50 s.