01 - L'an II de Renault Frères

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L'AN II DE RENAULT FRÈRES

Constituée officiellement le 25 février 1899, la société Renault Frères pouvait entrer dans le XXe siècle sans com­plexes; n'avait-elle pas construit, au cours de sa première année, 71 véhi­cules et réalisé un bénéfice brut de F 42879 (1).

Son succès était dû, certes à la qua­lité du produit offert et aux innovations techniques qui le caractérisait, mais aussi, et peut-être surtout, aux classe­ments flatteurs obtenus lors de diffé­rentes compétitions.

Le banc d'essai avait été Paris-Trou­ville, disputé le 27 août 1899 sur une distance de 172 kilomètres. Deux voi­turettes Renault s'étaient alignées au départ, pilotées par Louis et Marcel Renault. Il s'agissait d'une épreuve assez particulière car, parmi les concur­rents, on trouvait des coureurs à pied, les «pédestrians", des cavaliers, des cyclistes, des motocyclistes, des auto­mobilistes conduisant des voiturettes et des «voituristes" au volant de voi­tures légères.

Afin de permettre aux participants de conserver une chance de l'emporter, les départs devaient s'effectuer avec un handicap. Ainsi, les pédestrians partiraient la veille à 21 heures, les cavaliers dans la nuit du 26 au 27 août à trois heures du matin et, le jour même, les automobilistes à 10 heures, les cyclistes à 12 heures, les moto­cyclistes à 13 h 45 et enfin les voitu­ristes à 14 heures.

A Saint-Germain, devant la grille, d'Hennemont, les premiers concurrents se retrouvèrent. «Deux lampes seigle installées à cet endroit" (2) facilitaient les opérations de contrôle. Chacun des compétiteurs reçut un brassard, trois tickets à jeter aux postes de Mantes, Ëvreux et Cormeilles et, pour éviter toute erreur de parcours, une carte­itinéraire en deux couleurs, éditée spé­cialement par Le Journal ».

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Ce fut Louis Renault qui arriva le pre­mier à Trouville, très exactement à 14 h 41 mn 21 s, devançant le cheval monté par Giren de 40 minutes. Moins heureux, Marcel Renault n'atteignit Trouville qu'à 16 h 48 mn 30 S; toute­fois, les deux frères occupaient les deux premières places de la «Coupe des chauffeurs-amateurs".

Quatre jours plus tard, le 31 août, Louis et Marcel étaient au départ de Paris-Ostende, épreuve à effectuer en deux étapes sur une distance totale de 322 kilomètres. Mais une discussion s'éleva : «Gabriel, Théry et Uhlman sont arrivés avec leurs voiturettes de course à une seule place, type tour de France; ils ne pourront donc être clas­sés. Les autres concurrents qui ont, au pied de la lettre, exécuté le règlement

(1) Patrick FridensO'n : « Histoire des usi­nes Renault» 1 -Naissance de la Qrande entreprise 1898-1939 -Le Seuil 1972 p. 63.

(2) « Le Journal» 25 août 1899.

(le réglement dit : la voiturette est un véhicule automobile pourvu de deux places côte à côte) viennent réclamer. Il est entendu que, dans une course de touristes, toutes les places doivent être occupées» (3)". Enfin, le différend ainsi réglé, le drapeau vert peut s'abaisser. Il est 9 h 30. Les véhicules s'élancent sur la route et c'est encore une victoire des Renault. Louis est 1er, Marcel 3e.

Le 19 octobre: Paris-Rambouillet-Paris. En première série, Louis Renault est vainqueur à la moyenne horaire de 36,918 km, Marcel, deuxième. Au clas­sement toutes catégories, Louis prend la deuxième place derrière Doriot, sur Peugeot.

Enfin, le 12 novembre, c'est la course de côte de Chanteloup où le succès des Renault est moindre : Louis se retrouve 11 e et Marcel 13e.

1899 a donc permis à la jeune marque d'émerger du lot des 619 constructeurs d'automobiles répertoriés dans l'an­nuaire Thévin et Houry (4) ; et, alors que sa présence au 2e salon de l'Auto, tenu du 15 juin au 9 juillet n'avait même pas été signalée par la presse spécialisée, c'est, après Chanteloup, « La France Automobile» qui lui ouvre ses colonnes (G).

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voiturettes.

Après leurs succès dans Paris-Trouville et Paris-Ostende, les frères Renault font paraitre dans «l'Auto» un placard publi­citaire vantant leur «véritable voiturette ».

Nul n'allait à Vincennes

L'année 1900 se présentait donc sous d'heureux auspices, d'autant que le renom des voiturettes construites à Billancourt avait franchi les frontières. En effet, pour la course des 1 000 milles organisée par l'Automobile-Club de Grande-Bretagne, du 23 avril au 12 mai 1900, deux Renault de 3 CV 1/2 étaient engagées par la Motor Car Compagny Limited qui n'avait pas craint, pour la circonstance, de les baptiser MCC Triumph (6).

Cependant le programme des compé­titions pour cette première année du nouveau siècle se trouvait réduit. Il ne prévoyait que 21 manifestations au lieu des 30 de l'année précédente. C'est que, écrit Paul Meyan (7) : «la guerre aux chauffeurs a commencé ».

Des mesures prohibitives sont prises à l'égard de la nouvelle locomotion et « la population française commence à opposer une résistance plus ou moins sourde au développement de l'auto­mobile » (8).

A la suite de deux accidents survenus au cours de Paris-Roubaix, on assiste à une véritable levée de boucliers contre l'automobile et ses utilisateurs. On propose de supprimer les trompes pour obliger le chauffeur à moins comp­ter sur l'effet de cet avertisseur, de mettre des numéros sur les voitures et de punir de prison les « chauffards ». Dans ces conditions, « l'engouement fol, qui entrainait à l'automobile tant de gens, s'est calmé dans des proportions invraisemblables » .•• «Faire de l'auto­mobile avec /'idée persistante d'avoir à ses trousses quelque agent cycliste, d'être guetté à chaque tournant de rue ou de route par la cohorte des contra­ventions; d'être, en cas d'irrégularité, si légère fut-elle, traité comme le der­nier des chenapans, c'est-à-dire de connaÎtre les jours de violon, et les émotions peu captivantes des condam­nations furieuses et imbéciles -prison, am endes, dommages-intérêts, cette idée n'a rien de bien affolant : elle est vraiment de nature à décourager les plus fortes convictions» (9).

Sans doute ébranlés par toutes ces attaques, les organisateurs de l'Expo­sition Universelle relèguent l'automo­bile à l'annexe de Vincennes. «Hélas, écrit Pierre Souvestre, il y avait des automobiles à Vincennes, mais nul ne le savait, car nul n'allait à Vincennes» (10).

On comprend dans ces conditions pourquoi la wemière Coupe Gordon­Bennett, disputée le 14 juin sur la dis­tance Paris-Lyon, passa inaperçue

«aussi bien auprès du public que des gens appartenant aux milieux sportifs» (11).

Cependant, pour alarmante qu'elle fut, cette situation n'inquiétait pas outre mesure les partisans de la nouvelle locomotion. Appartenant pour la plu­part aux milieux les plus aisés, ils disposaient de quelques moyens de pression et ils s'étaient puissamment organisés. Quant aux constructeurs, ils avaient de sérieux arguments à faire valoir, l'industrie naissante n'af­firmait-elle pas une prospérité cons­tante?

La commission sportive de l'A.C.F. se mit donc au travail et proposa un Paris-Toulouse-Paris «course interna­tionale d'automobiles » organisée dans le cadre de l'Exposition Universelle. Mais il fallait obtenir l'accord des pou­voirs publics. «Les organisateurs eurent un mal du diable à arracher l'autorisa­tion nécessaire au ministre de /'Inté­rieur qui était plutôt récalcitrant. Elle fut d'abord refusée par M. Demagny, le secrétaire général, puis enfin, sur une dernière démarche, faite la veille même de la course, par M. Jeantaud qui fit valoir à M. Waldek-Rousseau une foule de bonnes raisons, qui lui démontra péremptoirement que Paris­Toulouse était le Championnat automo­bile de l'Exposition, et que comme tel on ne pouvait s'opposer à ce qu'il fut disputé; la précieuse autorisation fut enfin arrachée» (12).

» 1er

(3) « Le Vélo septembre 1899.

(4) Dans son édition de 1899, l'annuaire Thévin et Houry signale 292 construc­teurs pour Paris et la Seine. 321 pour les départements.

(5)

Cf. G. Hatry : « Le 2e Salon de l'auto­mobile» -«De Renault Frères à Renault régie nationale » T. 1 p. 115.

(6)

Cf. G. Floris : «L'affaire de la Motor Car» -« De Renault Frères... » T.l p. 82.

(7)

Cité par Pierre Souvestre : « Histoire de l'automobile » -Paris 1901 P. 411.

(8)

Nicolas Spin.Qa : «L'introduction de l'automobile dans la société française entre 1900 et 1914 » -Maîtrise d'histoire contemporaine -Université de Paris X ­Nanterre -191211913 p. 113.

(9)

Frantz Reichel : «Faire de l'auto» ­

« Le Sport universel illustré » 22 décem­bre 1900 P. 814.

(10)

P. Souvestre -op. cit. p. 456.

(11)

id. p. ,,81.

(12)

« La Vie au grand air » 30 .iuillet 1900.

Tout était prêt et merveilleusement organisé

Cette autorisation tardive aurait pu mettre les organisateurs dans l'embar­ras. Mais tout avait été prévu et si, « sans cesse, jusqu'au dernier moment, des contre-ordres, des modifications, des troubles et aussi des dépenses superflues, de telle sorte. que la som­me de 1 0 800 francs prévue au budget de J'Exposition, fut de beaucoup excé­dée au chapitre des dépenses» (13), «au jour du départ, écrit le chroni­queur de « La Vie au grand air", tout était prêt et merveilleusement orga­nisé ».

L'épreuve devait se dérouler du 25 au 28 juillet, en trois étapes. Le 25, Paris-Toulouse; le 26, repos à Tou­louse; le 27, Toulouse-Limoges et, le 28, Limoges-Paris, soit une distance totale de 1 443 kilomètres. La route était indi­quée aux concurrents par des affiches jaunes, rondes. Des commissaires te­naient à certains endroits des dra­peaux jaunes, signifiant ralentissement pour un passage dangereux, ou rouges, signifiant arrêt obligatoire. Les com­missaires-contrôleurs portaient un brassard rouge, les pilotes un brassard bleu. Quant aux traversées de villes, « L'Express du Midi" du 26 juillet, en expliquait ainsi les modalités à ses lecteurs:

«Le passage des concurrents dans les villes et localités qu'ils traversent se fait à une allure tout à fait rédUite; c'est ce qu'on appelle les trajets neu­tralisés. A J'entrée et à la sortie des sections neutralisées, il a été établi un contrôle où les concurrents ont dû s'arrêter sous peine de disqualification. La durée de la traversée de la section neutralisée a été, au préalable, calcu­lée à raison de 12 à 15 kilomètres à J'heure.

A J'arrivée du contrôle d'entrée, cha­que concurrent s'arrêtait; le contrôle inscrivait sur une fiche son heure d'ar­rivée et, en regard, J'heure à laquelle il devait repartir du contrôle de sortie. Cette fiche a été remise au pilote.

Celui-ci, monté sur une bicyclette, se plaçait en avant du concurrent. Aussi­tôt la fiche établie, le concurrent conti­nuait sa route en suivant à 25 ou 30 mètres, le pilote. Il arrivait ainsi au contrôle de sortie et s'y arrêtait; là, le contrôleur prenait la fiche et lui donnait le signal du départ dès que son heure était arrivée. On a strictement rempli ces formalités dans toutes les commu­nes où des contrôles avaient été établis ".

Le torpédo Renault 2 CV 1/2 de 1900 (cl. R.N.U.R.).

On comptait 76 engagés : 27 dans la catégorie voitures, 14 dans la catégo­rie voiturèttes et 35 dans celle des motocycles. La plupart des grands noms du sport automobile était pré­sent dans la catégorie voitures de Knyff, Voigt, Girardot, de Périgord, Pinson pour Panhard et Levassor, Hourgières, Levegh, Gaveau et Antony pour Mors, l'anglais Edge pour Napier, le baron de Turkheim pour de Dietrich. Ils pilotaient. des voitures dont la puiS­sance allait de 15 à 30 CV et le poids de 900 à 1 400 kg. Plus modestes étaient les hommes et les véhicules de la catégorie voiturettes. Voici l'équipe Renault avec Marcel et Louis, Grus, puis Mercier sur Gladiator, Corre sur Fouillaron, Cottereau sur une voiture de sa marque, Camus sur Teste et Moret, Schrader sur Aster. Quant aux engins qu'ils pilotaient, leur puissance variait de 3 à 9 CV et leur pOids de 250 à 350 kg, les Renault avouant 270 kg et 4 CV. Pauvres voiturettes! pourraient-elles se u1e men t joindre Paris à Toulouse? Et pourtant certains ne craignaient pas d'affirmer «nous croyons à la victoire d'une des Renault dans la catégorie des voiturettes» (14).

Le mercredi 25 juillet

Primit1vement fixé à la sortie de Mont­geron, le départ fut reporté à lieu­saint, près de Melun, la compagnie de chemin de fer P.L.M. ayant informé les organisateurs que les passages à niveau . seraient fermés toute la nuit.

Malgré l'heure matinale -il était trois heures du matin -de nombreux curieux, cyclistes et chauffeurs,

avaient tenu à être présents. «Mais voici qu'il est trois heures et demie. une lueur blanche commence à estom­per J'horizon obscur, le jour va se lever. L'animation spéciale aux départs des grandes courses bat maintenant son plein. Les concurrents sont prêts, ils ont tout revu, tout vérifié. Sur 76 ins­crits, 53 ont répondu à J'appel, tant dans la catégorie voitures que dans

celles des voiturettes et dans celles

des motocycles. Enfin, le moment

solennel est arrivé. Le numéro 1,

M. R. de Knyff qui doit partir le pre­mier, regarde attentif le chronométreur

M. Gaudichart et, avec son calme majestueux, attend le signal qui lui est enfin donné à 3 h 55 exactement. Un sourire d'adieu, et le roi des chauffeurs donne la volée à sa voiture qui bondit et disparaÎt bientôt dans le lointain. 1/ fait grand jour maintenant. De deux en deux minutes les départs se succèdent sans distinction de catégories, d'après J'ordre des numéros. A 5 h 43, tous les concurrents se sont enfuis vers Tou­louse. Le premier acte de cette impres­sionnante chevauchée vient de com­mencer" (15).

(13)

P. Souvestre -Op. cit. P. 48:2.

(14)

« La Presse» 25 .iuillet 1900.

(15)

« La Vie au grand air» 4 août 1900.

COMMISSION MILITAIRE DE L'EXPOSITION DE 1900

210

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La voiturette 1900 présentée dans «Les

(cl. Bibl. Nat.).

Seul incident de la journée, la traver­sée de Fontainebleau où les derniers concurrents sont arrêtés par les écoles à feu, ce qui provoque un instant d'émotion à Limoges que relate « La Gazette du Centre" en ces termes :

« D'après les prévisions, les premiers coureurs devaient arriver à Limoges vers 8 h 50. A 9 h 30, aucun ne s'était encore présenté au contrôle établi rou­te de Paris, un peu au-delà du cime­tière, en face le bureau de l'octroi, mais une dépêche arrivait de Fontaine­bleau disant : «Arrêtés par autorités

automobiles à l'Exposition de 1900»

militaires, arriverons plus tard ». L'exé­cution de tirs avait dicté la mesure de l'autorité militaire. Aussitôt, divers commentaires commencèrent à s'éta­blir, et l'arrivée de deux amateurs cou­verts de poussière que l'on prenait tout d'abord pour des coureurs, ne donna pas le mot de l'énigme. Ils étaient partis quelques temps avant les coureurs et rien ne s'était opposé à leur marche.

«Dix heures trente passèrent, ne fai­sant qu'augmenter l'inquiétude de

M. Sarraudy chargé du contrôle et des

membres de l'Union vélocipédique limousine qui l'aidaient dans sa tâche. Enfin, un nuage de poussière se décou­vrit tout à coup au tournant de la route et, accompagné des bravos les plus enthousiastes, M. Levegh dans la voi­ture portant le nO 6 se présentait au contrôle à 10 h 52 mn 3 s. Nous lais­sons à penser /'influence du soleil et de la poussière sur le concurrent. Toutefois il était en forme excellente. Interrogé sur l'arrêt imposé à Fontai­nebleau, il nous a répondu n'avoir eu à subir aucun retard et ne pas s'ex­pliquer la dépêche. Cette réponse n'a fait qu'augmenter /'inquiétude générale.

A 1 heure était parvenue une dépêche disant qu'un arrêt de 2 heures à Fontainebleau avait été imposé aux derniers coureurs, afin de permettre des expériences de tir au canon qui avaient lieu dans la zone à traverser ».

Ce fut donc avec un retard considé­ble que les concurrents atteignirent Limoges. La ville traversée, ils pour­suivirent leur route vers Toulouse en une course folle que la chaleur acca­blante et la poussière rendaient d'au­tant plus dangereuse. Si Levegh tenait toujours la tête, derrière lui, la sélec­tion s'opérait et, à l'arrivée, seul huit concurrents purent se présenter dans les délais prescrits.

Naturellement aucune voiturette n'était du nombre. Alors que la nuit tombait quelques-unes apparurent et, parmi elles, celles conduites par Mar­cei Renault, Schrader et plus tard, Cottereau et Grus. Sur trois Renault, deux se retrouvaient à Toulouse. Qu'était donc devenu Louis Renault?

Les malheurs

de Louis Renault

Décidément, ce jour-là, la chance n'était pas avec Louis Renault. Pour­tant, comme à son habitude, il s'était minutieusement préparé. Equipant sa voiture d'un moteur surcomprimé, il avait voulu partir seul, sans mécani­cien, pour alléger son véhicule. A peine atteignait-il Bouron, près de Fon­tainebleau, que le graisseur composé d'une pompe avec un tube de verre est mis hors de service par suite de l'écla­tement du tube. Impossible de réparer. Alors il achète chez un ferblantier de Fontainebleau un entonnoir et une cuil­lère; et le tuyau de graissage étant, par bonheur, placé à côté de son siège, il graisse le moteur à la cuil­lère. Il peut ainsi poursuivre sa route.

Mais ses malheurs ne sont pas termi­nés. Ses pneus éclatent huit fois. Il répare. Après Limoges, pour éviter un cycliste, il passe sur un tas de cail­loux et fausse un essieu. Il démonte, trouve un forgeron, effectue lui-même la réparation et le voici de nouveau sur la route.

Il a pris un retard important. La nuit commence à tomber et sur sa voiture il n'a pas prévu d'éclairage. A 10 kilo­mètres de Toulouse, c'est l'accident. Il heurte une charrette transportant des barriques et qui n'avait pas mis ses lanternes. Sa voiture est gravement endommagée et il gît sans connais­sance sur la chaussée, pendant que le charretier, peut-être endormi, poursuit son chemin. Heureusement, nul véhi­cule ne passe et il échappe ainsi à l'écrasement. Ayant repris ses sens il se fait remorquer par une charrette de passage et peut ainsi atteindre le contrôle de Toulouse où il se présente à 23 h 35 (16).

Louis Renault avait donc perdu toute chance de remporter l'épreuve. Mais ce serait mal le connaître que de son­ger qu'il puisse, un seul instant, renon­cer à se battre. Et le surlendemain le verra au départ, au volant de la voitu­rette de son frère Marcel.

On attend encore ...

Ce Paris-Toulouse-Paris aurait dû être appelé «la course de J'attente ». On avait attendu l'autorisation, les cou­reurs avaient attendu à Fontainebleau, on les avait attendus à Limoges, puis à Toulouse où, de guerre lasse, on avait fermé le contrôle. On devait encore les attendre à Lieusaint, au ter­me de la compétition. Et le rédacteur du journal «Le Matin» confia ses impressions à ses lecteurs :

« L'arrivée de cette intéressante course devant s'effectuer à Lieusaint, je dé­barque dans cette charmante localité à 9 h 20 et arrive en toute hâte, à bicyclette, au passage à niveau indiqué pour J'arrivée des coureurs : je vais manquer le gagnant, pronostiqué pour 9 h 30 par toutes les autorités compé­tentes!

« Heureusement, quand je me présente au poteau, il n'y a pas J'ombre d'un coureur et personne n'est encore si­gnalé. 1/ y a là quatre officiels, J'air grave, plutôt ennuyé même. Assis mélancoliquement autour d'une petite table, ils ont J'air de s'ennuyer ferme, les pontifes. On les a entourés d'une

:ua COJ\UIISSION MILITAIRE DE L'EXPOSITION DE 1900

Fig. 222. -Transmissiolls de la Y~i.turèU.é :Renault.

La voiturette 1900 présentée dans «Les automobiles à l'Exposition de 1900»

(cl. Bibl. Nat.).

grosse corde qui relie trois arbres et les isole ainsi complètement du reste des humains.

« Le temps passe; toujours pas de cou­reurs, pas de nouvelles, on ne sait rien. On attend. Attendons... Je contemple la belle nature; le ciel est couvert, il fait frais, le soleil ayant daigné s'ab­senter ce matin. Les notabilités arri­vent peu à peu, qui à bicyclette, qui en auto; il. Y a maintenant quelques dames, c'est moins triste. Mais tou­jours pas de coureurs et il est 10 heures et demie ».

«Je ne suis plus seul à me morfon­dre avec MM. les officiels. Voici MM. Clément, le comte de Dion, Chas­seloup-Laubat, Bouton. Onze heures sonnent. Désespérés, les officiels se mettent à table, dernière ressource pour faire arriver les coureurs. Les pauvres mortels continuent imperturbablement à attendre ».

(16) Cf. Jean Boulogne : « La vie de Louis Renault» -Paris 1931 'P. 103 et 8uiv. ­« La Gazette du Centre » 29 .juillet 1900.

" Onze heures et demie, toujours per­sonne. Tout à coup un nuage de pous­sière se montre à l'horizon. Tout le monde secoue sa torpeur. Levegh pas­se devant nous, le cigare aux lèvres et à une « allure plutôt raisonnable ». /1 est exactement 11 h 34 mn 27 s. Le vain­queur est suivi de Voigt, puis Pinson. Enfin, les voiturettes franchissent à leur tour la ligne d'arrivée. Louis Renault est là, devançant tous les autres concurrents de sa catégorie, sa « voiturette a, une fois de plus, émer­veillé tout le monde par sa résistance extraordinaire et sa régularité. C'est un véritable chronomètre de précision»,

écrit Géo Lefèvre » (17). Grus est là, lui aussi. Il prendra la troisième place au classement de la catégorie.

C'était donc une grande victoire pour la marque. Quant à la course, il n'en était pas de même car, sur les 53 concurrents ayant pris effectivement le départ, seulement 18 se retrou­vaient à Paris. « Ce qui explique le « ratage" de cette grande course au point de vue des résultats, déclarait Charron (8), c'est /'augmentation irrai-

Classement de la course Paris-Toulouse-Paris Catégorie «voiturettes»

Place Conducteur Marque Temps total h mn s Moyenne horaire

1 2 3 Louis Renault Schrader Grus Renault 4 CV Aster 5 CV Renault 4 CV 44 33 38 45 49 35 57 24 43 30,240 29,440 23,490

sonnée de la force des moteurs. On met à l'heure actuelle 24, 30 et 35 che­vaux sur une voiture sans s'occuper de son poids qui arrive à 1 500 et 2 000 kg, et sans faire attention que de tels véhi­cules ne sont presque plus maniables et coûtent en essence et pneuma­tiques des prix exhorbitants au kilo­mètre. Aussi mon opinion est que les courses d'automobiles avec de tels véhicules ne seront bientôt plus possi­bles. Pensez-donc, on parle de voitures futures avec des moteurs de 50, 60 voire 100 chevaux!" Charron n'avait pas une claire vision de l'avenir et, moins d'une année plus tard, les eve­

nements n'allaient pas tarder à lui infli­ger un démenti.

Bien différente était l'opinion du rédac­teur de «L'r=cho de Paris» (19) : "Les résultats acquis prouvent que l'on peut demander à ces machines des efforts d'endurance qu'une locomotive serait incapable de fournir et, malgré les ralentissements imposés dans la tra­versée des villes, le train le plus rapide entre Paris et Toulouse a été battu et bien battu ... ce qu'on est en droit d'at­tendre du nouveau mode de locomo­tion c'est que la vitesse sera plus tard transformée en confort et en solidité -.

Quant à Paul Meyan (20), il tirait de l'épreuve un certain nombre d'ensei­gnements. D'abord, l'insuffisance du pneumatique : « Dès qu'il fait chaud, la chambre à air ne résiste pas à ces terribles vitesses; elle fond, elle se décolle à la soudure ". Ensuite, les qualités des conducteurs :

« Franchir en une seule étape plus de 700 kilomètres par des routes plus ou moins bien entretenues, du nord au sud de la France, avec /'implacable soleil sur la tête et l'aveuglante pous­sière dans les yeux, à des allures que que les trains rapides n'atteignent que rarement, ne faut-il pas pour accom­plir un tel prodige, une endurance rare, un sang-froid incomparable? Enfin, in­terroge Paul Meyan : Quel mal a-t-elle fait la course Paris-Toulouse? Quels accidents a-t-elle causés? Aucun. Deux coureurs ont été victimes de leur pru­dence. Gilles Hourgières, pour éviter une charrette a roulé dans le fossé sans trop se faire de mal; Vial, le motocycliste, est à l'hôpital aujourd'hui, pour n'avoir pas voulu tuer un chien. Et c'est tout.

« Ah! Messieurs les ministres, laissez­nous donc faire nos courses. Elles ser­vent -et vous n'avez pas l'air de vous en douter -aux progrès de l'industrie automobile; elles ne font de mal à per­sonne; elles font la joie des pays qu'elles traversent. Ne sont-ce pas là

des raisons suffisantes pour que vous ne soyez pas si docilement esclaves des quelques réclamations souvent bien peu fondées que vous recevez. Laissez aux vieux cacochymes qui siègent en cour de mai les ineptes jugements et montrez-vous hommes de progrès, au­dessus des mesquines criailleries de quelques esprits haineux et jaloux ».

(17) « La Vie au grand air» J, août 1900.

(18) « Le Journal » 28 juillet 1900.

(19)

du 27 juillet 1900.

(20)

« La France automobile » J, août 1900.

VOITUaETTE JiU T0f40BlItE 1

Système Louis Renault, breyeté S.G.D.G.

RENAULT FRERES

BUREAUX ET CAISSE; USINE:

7, place deI Victo1res~ Parls i U, t. dll P.illt-dll-kar.SiIIHCtUfl (Seille) Tt'ltPltel E 118--6:2 Ttlt'PHOftf IIU~

Sùpé,iorité + Vitee + ~égùlaritd

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PARIS-TOULOUSE 1900:

Pattant6 : -cAttiVé6: 111', et

Les seules Voiturettes a:rant accompli 1t parcoun

PARIS-BORDEAUX 1901:

4-Pafiant6: --4-cAttiVé;j: 1 er, 2!t, 3e et 4!t· _w'

,.ia_uÎliN'iÎuîi;';; "ïi;lI;ô"ïi,-ii.;,n,ii:--­

Annonce publicitaire parue dans « L'Annuaire général de l'Automobile et des industries qui s'y rattachent» de 1 901.

Renault exploite son succès

Pour vendre sa voiturette, la maison Renault Frères, comme tous les indus­triels et commerçants, recourrait à la publicité. La première annonce, bien modeste il est vrai, avait paru le 9 sep­tembre 1899, dans le journal «La Nature ", pour le prix de 20 francs dûment mentionné au livre de caisse. Puis, exploitant les succès remportés en compétition la même année, ce sont en octobre, « Le Sport Universel Illus­tré », «Le Vélo» et « L'Écho de Paris » qui vantent le produit de la marque à qui il en coûte 940 francs. En 1900, Renault fera mieux. A l'annon­ce traditionnelle, il va substituer la pu­blicité rédactionnelle pour laquelle il n'hésitera pas à payer 60 francs. C'est ainsi qu'un article signé Raoul Bouille­rot paraît dans le «Monde Indus­trie/» du 15 avril, qui décrit la voitu­rette Renault Frères en ces termes :

« Elles sont maintenant légion, les voi­tures de dimensions, de forme et de forces variables, que nous voyons cha­que jour et cent fois par jour, évoluer parmi nos rues et nos boulevards. Celles-ci, telles des hirondelles, glis­sent à ras du sol; celles-là trépident, reniflent, détonnent; d'aucunes pas­sent, silencieuses et légères; d'autres bruyantes et lourdes. Et le monsieur dont le portefeuille est bien garni, le monsieur qui a des velléités de deve­nir chauffeur à son tour, se frappe le front avec désespoir en se demandant: «Dans ce tas, comment choisir? ».

« Car la difficulté est plus grande qu'on ne pense, chacun exigeant de /'industrie automobile une machine qui réponde non seulement à un besoin d'utilité, mais s'adapte encore complète­ment au genre de vie et de goût de celui qui veut l'employer; le nombre de places, leur disposition, l'élégance du véhicule, sa largeur, sa longueur, au­tant de choses, sans en compter bien d'autres, qui l'emportent dans le choix d'une voiture automobile.

«Aussi, pensons-nous être agréable à nos lecteurs en leur signalant la voi­turette automobile Renault Frères, sys­tème Louis Renault breveté, dont les ateliers sont installés à Billancourt.

« Tout d'abord on est frappé de son élégance et chacun sait que ce fut là longtemps la pierre d'achoppement de l'automobilisme. Depuis surtout que l'élément mondain, l'élément féminin surtout, s'est pris d'une telle passion pour ce sport si agréable et si pra­tique, il a bien fallu songer à la coquet­terie, tout autant qu'à l'utilité. A ce point de vue, la voiturette Renault a résolu habilement la question et sa for­me est aussi gracieuse que ses dimen­sions restreintes, sa douceur parfaite et son prix abordable.

« C'est, si l'on veut, une réduction de la grosse voiture automobile, mais combien plus svelte, plus maniable, plus élégante et si bien adaptée au rôle qu'elle est appelée à tenir, que la plus mignonne main de femme peut la conduire. »

« Elle a la forme d'un duc, avec un siège d'arrière mobile qui permet de disposer de deux ou trois places. Donc, voiture de jeunes couples qui veulent s'en aller chaque matin, par monts et par vaux, boire l'air pur, loin des tra­ditionnelles allées du Bois, et causer librement sans avoir à se soucier des oreilles attentives des cochers. Puis le siège d'arrière devient la place réser­vée à bébé, et combien il est agréable, à la campagne, ce petit véhicule qui dévore des lieues et des lieues, qu'on arrête où l'on veut et qui attend.

« Mais, sans toutefois qu'il nous soit défendu de montrer à qui peut conve­nir surtout la voiture que nous étudions nous ne saurions errer plus longtemps dans le domaine de la fantaisie, et le meilleur est de revenir aux choses abs­traites. Nos lecteurs sauront bien, dès qu'ils possèderont une voiturette Renault, s'en servir sans avoir besoin de nos conseils.

« Ceci dit, rentrons dans la partie tech­nique en signalant le soin apporté à la carrosserie et à la garniture, qui est en drap ou en pégamoïd. Tous les rou­lements étant montés sur billes, il n'y a pas à s'étendre sur la perfection de leur fonctionnement, pas plus que sur la souplesse due à la suspension du cadre et des divers organes sur des ressorts à pincettes. Au-dessus d'un moteur de Dion (tout le monde le connaÎt) est établi le réservoir d'eau, laquelle circule dans deux couples de radiateurs à ailettes qui relient l'en­veloppe au moteur. Une disposition particulière supprime la pompe, avan­tage incontestable et énorme et la consommation d'eau. est insignifiante. Sur le volant du moteur est placé un cône à friction, commandé par une pédale qui produit les embrayages et les débrayages et permet de régler trois vitesses différentes, comme d'en changer au moyen d'une poignée pla­cée à portée de la main gauche du conducteur. A la plus grande vitesse,

les engrenages du changement n'étant pas actionnées, il n'en résulte ni bruit, ni déperdition de force. Un levier placé en dessous de la poignée de changement de vitesse commande la marche arrière. Le mouvement diffé­rentiel et les pignons de commande sont aménagés à /'intérieur d'un carter situé au centre de l'axe arrière, bai­gnant dans l'huile, on les règle de l'extérieur sans aucun démontage. Un arbre muni de joints à la cardan relie la bOÎte de changement de vitesse à l'axe arrière et assure la transmission.

« La voiture est mise en marche à l'ai­de d'une manivelle mobile située à l'avant, adaptée sur un arbre qui com­mande un cliquet. La direction s'effec­tue au moyen d'un guidon ou un volant et est commandée par des leviers, sans aucun intermédiaire. Un frein à main agit sur les moyeux des deux roues motrices; un autre sur l'arbre de transmission, fonctionnant simulta­nément avec la pédale de débrayage. L'allumage est électrique et la carbura­tion se règle par des manettes, placées sur le guidon.

« La voiturette Renault ne présente qu'une surface d'encombrement très restreinte, ce qui est grandement à considérer si elle est appelée à évo­luer dans nos rues parisiennes, de même qu'à la campagne, où elle peut passer par des chemins et des allées étroites : c'est-à-dire qu'elle est com­mode partout. En effet, elle n'a que 2,30 m de longueur, sur 1,25 m de largeur; sa hauteur au siège est de 1 m et, au dossier, de 1,35 m. Le diamè­tre des roues arrière est de 0,75 m, et celui des roues avant de 0,65 m. Elles sont munies de pneumatiques de 65 mm de section.

« C'est donc déjà un point fort impor· tant de savoir qu'on pourra s'aventurer sans danger sur des voies départe­mentales ou même communales dont la chaussée ne présente qu'une faible largeur. Reste la question de savoir quelle distance on pourra parcourir et en combien de temps, et ici aussi, toute satisfaction est donnée aux amateurs dont le seul but est une promenade hygiénique et agréable de quelques heures, comme aux professionnels et aux gens pressés.

« Nous avons dit qu'on pourrait obte­nir trois vitesses : une première de 8 à 14 km à l'heure; une seconde de 14 à 25; et enfin une troisième de 25 à 40. Cette dernière nous semble raisonna­ble, à moins de vouloir se casser le cou.

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Annonce publicitaire parue dans « L'Annuaire général de L'Automobile et des industries qui s'y rattachent» de 1901.

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Louis Renault au volant de la voiturette­fanal pendant les manœuvres de Beauce

(cl. Bibl. Nat.).

« On objectera sans doute que le fai­ble volume de la voiture nécessitera une fréquente recharge de réservoirs? C'est là une erreur. Celui d'essence contient environ 15 litres, celui d'eau en contient la. Et ils suffisent pour marcher au moins 200 km avec une consommation d'environ 1 litre à l'heure. Or, il est à supposer qu'après ce trajet, le chauffeur a besoin de se restaurer lui-même, là où toutes facili­tés lui seront données de recharger ses réservoirs.

« Reste la question de l'entretien, et elle a été résolue de la façon qui nous semble la plus satisfaisante. En effet, la caisse fixée seulement au châssis par six boulons est facilement démon­table et met à jour tous les organes qui peuvent être nettoyés ou vérifiés; d'ailleurs le bain d'huile dans lequel reposent les pièces activées, les garan­tit contre l'échauffement et l'usure, en même temps qu'il supprime le bruit. La trépidation à l'arrêt est insignifiante étant donné que le moteur est suspen­du à l'avant. Quant aux organes de transmission, placés au centre, sans chaÎnes ni courroies et à l'abri de la boue et de la poussière, il suffit, pour en vérifier le fonctionnement et l'état, de soulever le plancher placé sous les pieds du conducteur.

« Nous avons dit aussi que la voitu­rette Renault Frères était d'un prix abordable : 4 200 francs à deux places et 100 francs de plus avec le siège d'arrière. Il ne nous appartient pas d'insister sur ce point.

« En résumé, nous croyons avoir don­né à nos lecteurs qui sont du métier, une description suffisamment détaillée et technique pour qu'ils reconnaissent les mérites de cette voiture et, peut­être aussi, ses défauts, s'ils lui en trouvent.

«Quant aux amateurs, nous leur avons signalé son élégance, sa com­modité, sa vitesse et son économie. Notre rôle doit se borner là, en faisant cependant ressortir l'avantage qu'il y a pour deux personnes à être placées côte à côte et non l'une derrière l'au­tre comme dans beaucoup de véhicu­les de ce genre. »

Bien entendu, cette forme de publicité, nouvelle pour la marque, ne signifie pas un abandon de l'ancienne formule. Mais ce qui va changer dans cette der­nière c'est l'adjonction au cliché tradi­tionnel représentant la voiturette, d'un texte rappelant son palmarès et ses qualités essentielles. Un placard publi­citaire paru dans l'annuaire Thévin et

Houry de 1901 est très significatif à cet égard. Les qualités de la voiture sont exprimées en trois mots : supériorité, vitesse, régularité; le palmarès en quelques lignes: Paris-Toulouse 1900 : 4 partants, 3 arrivés; 1er, 2e et 3e, « les seules voiturettes ayant accom­pli le parcours" ; Paris-Bordeaux 1901 : 4 partants, 4 arrivés: 1er, 2e, 3e et 4e. Si pour cette dernière épreuve ces in­dications sont conformes à la réalité, il n'en est pas de même pour Paris­Toulouse. Comme nous l'avons vu, seules trois Renault étaient au départ et deux se retrouvèrent à l'arrivée aux 1re et 3e places. Pour les besoins de la cause on n'a pas craint, à Billancourt, de s'approprier la 2e place enlevée par Schrader sur Aster. Certes, Schrader est un ami de la marque et il en devien­dra la même année, en association avec Oury, un agent remarquable, mais

quand même!

Cette contre-vérité, évidente pour ceux qui avaient suivi la course, va finir par s'imposer. Louis Renault, lui-même, en sera à ce point convaincu qu'il l'affir­mera à Emmanuel Pouvreau, son pre­mier biographe (21).

Mais peut-être ne faut-il pas attacher à ce fait une trop grande importance. Au début de l'industrie automobile les constructeurs ne craignaient pas de se « piller" mutuellement, non seule­ment en matière de compétition, mais surtout en procédés de fabrications et inventions. Les contrefaçons étaient courantes et les utilisations frauduleu­ses de découvertes se pratiquaient sans scrupules. Avec son brevet de la prise directe, Louis Renault en fera l'amère expérience.

Aux manœuvres de Beauce

Pour lors, il poursuit ses efforts. Il va offrir à sa clientèle deux versions de sa voiturette : une conduite intérieure et une camionnette. En fait, ces véhi­cules sont équipés par des carrossiers car, à l'opposé des usines de Dion­Bouton, Billancourt n'a pas encore d'a­telier de carrosserie. Puis, sachant que les militaires s'intéressent de plus en

(21)

Sous le pseudonyme de Jean Boulo,one. Emmanuel Pouvreau publiera en 1931 « La vie de Louis Renault ».

(22)

«La Vie au ,orand air» 30 septembre 1900.

plus à la nouvelle locomotion, Louis Renault va mettre à leur disposition la même voiturette transformée en voitu­re-fanaI.

Du 9 au 20 septembre se déroulent, sous la direction du nouveau généra­lissime, le général Brugère, les ma­noeuvres de Beauce et les automobi­les y tiennent un rôle important: « Ce n'est certes pas la première fois que les voitures sans chevaux jouent leur partie aux manoeuvres; mais c'est la première fois que le commandement en chef emprunte exclusivement à la locomotion nouvelle ses moyens de transport» (22). Cette fois-ci sera cons­tatée « une nouvelle preuve de l'utilité des automobiles » et, ajoute le rédac­teur de " La Vie au grand air ", « ce fut une véritable révélation, révélation secrète du reste, et dont tous les jour­nalistes ont été soigneusement écar­tés. 1/ s'agit d'une nouvelle invention

que nous ignorions même en partant, même en circulant à côté du véhicule nouveau. C'est la voiturette-fanal que le général Brugère a tenu à expéri­menter lui-même ».

Quelles étaient les caractéristiques du nouveau produit offert par Billancourt ? « Cette voiturette portait à l'arrière une dynamo et un projecteur électrique de campagne muni d'un certain nombre de mètres de câble conducteur. Le fonctionnement de l'appareil était le suivant: l'automobile étant arrêtée et le moteur débrayé continuant à tourner, on embraye, à l'aide d'un dispositif spécial, la dynamo portée par la voitu­re et, au moyen du câble, on fait pas­ser le courant électrique dans le pro­jecteur qui entre aussitôt en action.

« Le projecteur était d'environ 50 am­pères sous 50 volts, et permettait d'en­

voyer utilement un faisceau lumineux à 2 ou 3 kilomètres de distance. On pouvait ainsi éclairer et fouiller le ter­rain dans le voisinage des avant-pos­tes ou bien encore, dans le cas d'une attaque de nuit, reconnaÎtre la marche de l'assaillant; on pouvait, en outre, diriger sur un point quelconque le tir de l'artillerie qui, en règle générale, ne peut être utilisée de nuit que con­tre des points déterminés, préalable­ment repérés pendant le jour.

« D'autre part, la source d'électricité pouvant être, grâce à l'emploi d'un câble un peu long, placée à une assez grande distance du projecteur, le fonc­tionnement de l'appareil est peu expo­sé à être interrompu par le tir de l'en­nemi.

« Il serait intéressant de chercher à généraliser l'emploi de ce système, notamment pour la guerre de siège. Il semble du reste qu'il soit assez facile d'utiliser des moteurs d'automobiles en campagne pour les travaux de pani­fication, de mouture ou autres opéra­tions analogues » (23).

Pendant toute la durée des manoeuvres, Louis Renault, en uniforme de soldat de 2e classe, resta au volant de sa voiture. Cependant, malgré l'accueil favorable fait à cette nouvelle initiative du constructeur de Billancourt, l'armée ne passa aucune commande; il est vrai que de nombreux militaires ne croyant pas à l'avenir de la locomo­tion automobile recherchaient tout au contraire « les influences néfastes que peut avoir cette invention nouvelle sur la valeur de nos chevaux et de nos cavaliers» (24). Quoi qu'il en soit, un fait demeurait : en cette occasion la presse avait beaucoup parlé de Renault.

Un bilan positif

Pour la jeune marque, le bilan de l'an­née 1900 se présente comme extrême­ment positif. Dès le mois d'août, Renault Frères commandait aux usines de Dion-Bouton, 110 moteurs. A la fin de l'année, l'effectif de Billancourt s'é­lève à 110 personnes et 179 voitures sont sorties des ateliers. La place de Renault dans la production nationale atteint 3,7 %; les bénéfices bruts de l'exercice se montent à F 334017 -soit près de 7 fois ce qu'ils étaient l'année précédente. Enfin la marque est repré­sentée en France par 7 agents princi­paux : 2 à Paris, 1 à St-Brieuc, Bor­deaux, Toulouse, Perpignan et Mar­seille. Elle est aussi présente à Milan

et Londres (25).

1900 a vu les voiturettes Renault pren­dre rang dans le groupe de tête de la construction française aux côtés des Gladiator, Clément, de Dion, Créanche. L'année suivante, elles accèderont aux places d'honneur grâce à leurs pres­tations dans Paris-Berlin.

Gilbert HATRY

(23)

Ferrus et Genty : «Les automobiles d l'Exposition de 1900 » -Paris 1903 P. 215­

216.

(24)

Paul Baubi.qny : « Le oheval de fluerre et l'automobilisme » -«La Revue poli­tique et parlementaire» -Août 1899.

(25)

P. Fridenson -oP. oit. P. 49/63.

Palmarès Il Renault frères" entre août 1899 et mai 1903

Date

27 août 1899

31 août et 1er septembre 1899

19 octobre 1899

12 novembre 1899

17 mai 1900

25 au 28 juillet 1900

8 décembre 1900

14 au 19 février 1901

7 et 8 avril 1901

27 avril 1901

29 mai 1901 Épreuve

Paris-Trouville

Paris-Ostende

Paris-Rambouillet-Paris

Course de côte de Chanteloup

Critérium d'Ëtampes

Paris-Tou louse-Paris

Ëpreuve de consom­mation de Turin

Semaine de Pau Course du Sud-Ouest

Paris-Roubaix

Tour d'Italie (arrivée)

Paris-Bordeaux

Nombre de voitures classées Conducteur et classement

2 Louis Renault (1) Marcel Renault (2)

2 Louis Renault (1) Marcel Renault (3)

2 Lou is Renau It (1) Marcel Renault (2)

2 Louis Renault (11) Marcel Renault (13)

2 Marcel Renault (2) Louis Renault (4)

2 Louis Renault (1) G. Grus (3)

1 Ceirano (1)

2 2 Oury (2) Cramail (3) Louis Renault (1) Oury (2)

1 Declercq (3)

2 1. Fraschini (12) A. Fraschini (15)

4 Louis Renault (1) Marcel Renault (2) Oury (3) Grus (4)

Date Ëpreuve Nombre de voitures classées Conducteur et classement

27 au 29 juin 1901 Paris-Berlin 4 Louis Renault (1) Grus (2) Merville (4) Lamy (5)

5 juillet 1901 Course de côte de Dashwood (Grande-Bretagne) 1 A. Bushell (10)

28 juillet 1901 Course du kilomètre lancé à Lyon 1 Oury (1)

1er septembre 1901 Course du mille à Deauville 3 Théry (3) Oury (4) Giguelle (7)

20 octobre 1901 Course de côte d'Angers 1 Sorin (1)

23 novembre 1901 Course de côte de Bordeaux 1 Garceau (1)

15 au 17 mai 1902 Circuit du Nord 3 Grus (5) Oury (8) Cormier (11)

26 au 29 mai 1902 Paris-Vienne 2 (voitures légères) 3 (voiturettes) Marcel Renault (1) Louis Renault (13) Grus (2) Cormier (3) Lamy (6)

14 juin 1902 Course de vitesse de Staten-Island (U.S.A.) 1 L. O. Thompson (1)

9 octob re 1902 Circuit de l'Hérault 1 Oury (3)

24 mai 1903 Paris-Madrid (inter­rompu à Bordeaux) 1 Louis Renault (1)