08 - Jean-Auguste RIOLFO

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Jean-Auguste RIOLFO

Jean-Auguste Riolfo est né à Toulon le 28 mars 1894. Son père, Marius Riolfo, né au Mourillon en 1870, s'était particulière­ment distingué au cours de sa carrière d'officier de marine où il avait reçu la médaille militaire et la médaille de Tunisie. Il fut ensuite administrateur des Hospices civils où il reçut la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Il rêvait pour son fils Jean­Auguste une carrière d'officier mécanicien dans la Marine nationale, et le dirigea vers la préparation à l'École nationale d'arts et métiers d'Aix-en-Provence où il entrait parmi les pre­miers en 1911.

Il en sortait en juillet 1914, médaillé.

Pendant son adolescence, il avait suivi avec passion les progrès de l'automobile et de l'aviation, les exploits des Blériot, Védrine, Pégoud... et rêvait de piloter ces engins nouveaux qui l'attiraient. Son diplôme lui permettant d'être admis dans l'aviation militaire, il s'engageait dans cette arme nouvelle pour y apprendre à piloter.

Dès le début de 1915, il se battait sur le front aux commandes d'un avion Farman (surnommé le four crématoire), participant aux missions de reconnaissance et de bombardement. A l'épo­que, le pilote descendait le plus bas possible au-dessus de l'objectif, et le passager bombardier, qui était un artificier artilleur, amorçait la fusée de l'obus de 155, avant de le jeter par-dessus bord.

Quant au début de 1916 fut créé le front de Macédoine, il fut muté à l'Aéronautique navale, avec mission, depuis la base de l'île de Corfou, de chasser les sous-marins allemands qui tra­quaient les convois alliés assurant le ravitaillement de l'armée d'Orient. Très grièvement blessé après avoir coulé un sous­marin qu'il avait attaqué en surface, il regagnait sa base, mais s'écrasait à l'atterrissage. Son courage lui valut d'être décoré de la croix de guerre avec palme et de la médaille militaire.

Réformé, il était alors engagé à Argenteuil aux Établissements Lévy pour essayer les prototypes d'hydravions. C'est là qu'il fut victime en mai 1918 d'un accident dont il se tira par miracle. Alors qu'il décollait, une panne de moteur fit tomber son appareil sur le pont de chemin de fer de Chatou, quelques minutes avant le passage d'un train. On le relevait, le crâne fracturé et les mâchoires brisées, le transportait dans le coma à l'hôpital du Val-de-Grâce dans le serviœ des "gueules cassées" où il devait séjourner plusieurs mois et subir de multi­ples opérations.

Le 10 janvier 1920, il épousait, à Colombes, Denyse qui, bonne épouse et bonne mère, devait l'accompagner de ses soins et de son amour jusqu'à ses derniers jours.

Depuis sa sortie de l'École, il avait passé neuf ans à se battre ou à l'hôpital, il lui fallait débuter dans l'industrie. En 1923, il entrait comme dessinateur d'études au bureau d'études d'outil­lage des Automobiles Delage à Courbevoie où il rencontrait Pierre Debos, et sous les ordres d'Eugène Michard apprenait le métier d'ingénieur de fabrication.

Son passé, son intelligence, son esprit de méthode et de disci­pline, le faisaient distinguer bientôt par le directeur général Augustin Legros qui le faisait muter au bureau d'études des voitures où Maurice Gauthier avait besoin d'un adjoint réaliste et énergique, pour suivre les études et les essais des voitures prototypes, et collaborer avec le bureau d'études d'outillage à leur mise en fabrication.

Mais Auguste Riolfo n'était pas homme à se limiter à ce travail de bureau. Il organisa son temps pour être à l'usine le matin et passer l'après-midi à l'atelier d'études ou sur la route avec les essayeurs.

C'est au cours d'une de ces visites au bureau d'études d'outil­lage, où j'avais débuté en novembre 1926, que je le rencontrai pour la première fois. Je fus chargé par Pierre Debos, en 1928, d'assurer avec lui la liaison des deux bureaux d'études.

Après le succès de la voiture D8, chant du cygne de Delage, ne voyant plus d'avenir dans cette maison, il décidait de tenter sa chance ailleurs. Certains de ses camarades de promotion, Dalodier et Roques, en bonne position chez Renault, lui pro­posaient de le présenter à Louis Renault. L'affaire fut rapide­ment conclue et, le 1" mai 1930, il devenait le chef du service des essais spéciaux (l'atelier 153) où il devait en très peu de temps remettre de l'ordre.

Avant lui, ce service était en proie à l'anarchie, les essayeurs n'obéissaient à personne, passant une partie du temps des essais à jouer aux cartes ou aux boules en dehors des circuits d'essais normaux, et se livrant à des trafics d'échange d'organes et de vente de carburant.

Passant, comme il l'avait fait chez Delage, la moitié du temps sur la route, il rétablissait la discipline dans son service. Disant la vérité sur la qualité du matériel qui lui était soumis, au grand dam de Charles Serre, responsable des études, et d'Alphonse Grillot, directeur des fabrications, il acquérait rapidement une autorité morale auprès de tous, et la confiance totale de Louis Renault, à qui il était presque le seul à dire la vérité; ce qui n'était quelquefois pas sans suite. Le patron bou­dait quelquefois et restait quelques jours sans le voir. Mais le contraire arrivait aussi, et je me souviens qu'en 1938, je ne sais plus à quelle occasion, l'homologation d'un moteur d'aviation je pense, il s'éloigna plus d'une semaine de l'usine, me donnant la consigne de répondre, aux appels de Louis Renault, qu'il était parti sans laisser d'adresse où l'atteindre.

J'ai conté dans" L'Épopée de Renault" comment il me pro­posa, alors que j'étais chez Delage, deux fois de me faire enga­ger par Renault : une fois pour diriger les Forges, une autre fois pour être l'adjoint de Roger Boullaire, à la direction de l'usine O. Satisfait de ma situation et craignant d'être écrasé dans la grande usine, je lui avais chaque fois, après réflexion, répondu négativement. Il ne m'en tint pas rigueur et, en mai 1934, quand les automobiles Delage furent mises en liquida­tion, il arriva un matin dans mon bureau et, m'emmenant à Billancourt, me fit immédiatement engager par Louis Renault, comme adjoint dans son service pour me charger de la supervision des essais des moteurs à essence et diesel, et des recherches sur les voitures et les organes.

Connaissant bien le personnel cadre de Delage, dans l'intérêt de Renault, il faisait de même engager nombre de ceux qu'il avait jaugés chez Delage: Barat, Bonnier, Bourez, Chaumont, Daussy, Gauthier, Rabeirin, Rondepierre, entre autres.

Jamais, au cours des années de 1934 à 1939, nous ne nous trou­vâmes en désaccord sur un seul point. Il avait fait de moi un homme nouveau, brisant ma timidité naturelle, m'insufflant son dynamisme et son mépris des combines, des camaraderies de clan, et son culte de la vérité.

Il ne cherchait pas à se parer des réussites de ses collaborateurs. Quand j'eus mis en évidence les causes des consommations anormales d'huile des moteurs d'autorail qui les faisaient refu­ser par le contrôle de la S.N.C.F., il m'emmena chez le patron pour que je lui expose ce que j'avais trouvé, cè qui me fit -le résultat étant acquis -particulièrement apprécier par Louis Renault, et influa sur la suite de ma carrière.

Il exerçait sur son personnel, ouvriers, ingénieurs et cadres, une autorité ferme mais souriante, si bien que, lors des grèves de mai 1936 et de novembre 1938, il n'y eut aucun trouble à l'atelier 153, contrairement à ce qui se passait dans l'ensemble de l'usine, où certains directeurs étaient pendus et jetés à la Seine en effigie.

Arriva la guerre de 1939. Il me fit rappeler du front de Lor­raine en novembre pour être affecté spécial, par Louis Renault, à la direction de la Société des moteurs Renault pour l'aviation (S.M.R.A.). En aoùt 1940, il me fit désigner par le patron pour prendre la direction des études quand le moment serait venu de la succession de Charles Serre.

Ulcéré dans son amour-propre de Français et d'ancien combat­tant, son attitude pendant la guerre fut la résistance à l'occu­pant. Membre de l'Organisation civile et militaire (D.C.M.), il transmettait les renseignements qu'il pouvait se procurer au cours de ses essais sur route aux autorités alliées par l'intermé­diaire du réseau de l'D.C.M.

En mai 1943 il fut arrêté par la Gestapo pour avoir fait reco­pier et diffuser un tract sur " les consignes à suivre en cas de débarquement allié" et incarcéré à la prison du Cherche­Midi. La machine à écrire qui avait servi à taper le stencil ayant été immédiatement jetée à la Seine, et remplacée par une autre, aucune preuve n'ayant pu être établie, le prince von Urach le fit relâcher après six semaines d'incarcération.

Louis Renault lui avait demandé de passer chaque semaine dans ses fermes d'Herqueville pour s'assurer que les fermiers entretenaient et utilisaient correctement tout le matériel qui leur était confié : camions, bennes, tracteurs agricoles, char­rues, etc. Chaque jeudi, de très bonne heure, il prenait donc la route pour Herqueville. Plusieurs fois en 1944 il rencontra, soit à l'aller, soit au retour, une voiture Mercedes dans la région de Bonnières, munie d'un fanion de l'état-major du maréchal Rommel dont le quartier général était installé au château de La Roche-Guyon à sept kilomètres de là. L'état-major allié en fut informé et le 17 juillet vers 18 heures, un chasseur Typhon de la Royal Air Force attaquait la Mercedes de Rommel et le blessait grièvement.

De début janvier 1943 à la Libération, il fut le seul à rouler avec les prototypes de la voiture 4 CV, malgré l'interdiction que m'avait faite le prince von Urach, après avoir été informé par des lettres anonymes que nous avions en étude une petite voiture, en infraction aux clauses du traité d'armistice.

Le 3 octobre 1944, il fut nommé par le Comité parisien de Libération, comme représentant de l'D.C.M., à la commission d'épuration des usines Renault. Il s'y comporta avec beaucoup de modération, en juge impartial, cherchant, à travers les accusations portées, celles qui étaient vraies et celles qui rele­vaient de haines ou de vengean.ces personnelles. Pierre Lefau­cheux, avant de prendre les sanctions, sollicitait toujours son appréciation personnelle dans le cas où il pouvait y avoir des contestations.

En 1951, quand je devins directeur des études et recherches, il prit la direction des études, et devint ainsi responsable de la plus grande part des études et de la mise au point de la Dauphine.

En 1957, quand Pierre Dreyfus désira développer la politique d'exportation en s'appuyant sur le succès de la Dauphine, il lui confia la mission, sur ma proposition, d'essayer la voiture et de l'adapter dans les différents pays où l'on envisageait de l'expor­ter. C'est ainsi qu'accompagné par un agent commercial connaissant la langue du pays, il parcourut la Scandinavie, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine, l'Afrique, l'Iran et l'Australie. A plus de soixante ans, il accomplissait, malgré les fatigues dues aux décalages horaires, et d'adaptation aux diffé­rents climats, cette mission avec enthousiasme et la conscience de servir' la Régie et l'intérêt national.

Pour cette mission, et son œuvre en trente-cinq aris de service chez Renault, Pierre Dreyfus demanda et obtint sa nomination de chevalier de la Légion d'honneur.

Quand vint l'âge de la retraite, il se retira à Beauvallon, près de Toulon, se consacrant à son jardin et à ses fleurs.

Ses dernières années furent assombries par un affaiblissement progressif de l'ouïe, puis de la vue et de la mémoire.

Il est décédé le 19 juillet 1985 à l'âge de quatre-vingt-onze ans à Toulon.

Fernand PICARD