04 - A la recherche de Jeanne Pallier

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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A la recherche de JEANNE PALLIER

par Carmen Alexandre

Une des premières aviatrices devenue gérante de cantines aux usines Renault, une photographie la représentant auprès d'Albert Thomas lors de la visite que fit ce dernier aux usi­nes, en septembre 1917, quelques renseignements d'état civil glanés par hasard, c'est de là que part mon « enquête ».

Par la mairie de Dijon, où elle est née, il est aisé d'apprendre que le père de Jeanne Pallier, François Bordet, est né à Velars-sur-Ouche, dans l'Yonne, en février 1830, qu'il était serrurier à Dijon et que le 18 décembre 1861, il épousait Clotilde Dufour, à Gevrey-Chambertin, de deux ans sa cadette.

De cette union naît Jeanne, à Dijon, vers 1°heures du matin, le 19 juillet 1864, au nO 9 de la rue de la Prévôté.

A la copie de l'acte de naissance de Jeanne Bordet,

M. Bernard Savouret (1) me joint les adresses de vingt-et-un Bordet habitant encore Dijon, d'après les listes électorales et l'annuaire téléphonique.

Le hasard parfois fait bien les choses, et comme je ne veux rien laisser au hasard, j'écris aux vingt-et-un Bordet dont l'un, comme le père de Jeanne, se prénomme François.

Cinq de mes lettres restent sans suite, je reçois quinze répon­ses négatives.

J'échange, avec M. Bernard Bordet une longue correspon­dance (2), une amitié s'établit entre nous. Nous sommes en avril 1976, mon correspondant a quatre-vingt-seize ans.

Pendant plusieurs années, il a exploré les vieux registres paroissiaux, établi des fiches contenues dans de volumineux cartons, bref, il a dressé un arbre généalogique complet de sa famille ce qui permet de conclure que le père de mon héroïne, Jacques Bordet, serrurier à Velars, était cousin germain de son grand-père. Je remercie ici mon ami Bernard Bordet pour le grand travail accompli; il permet de sortir de l'ombre les ongmes de Jeanne Pallier. Au cours d'un pas­sage à Dijon, M. Bordet photographie non seulement la petite rue de la Prévôté, mais la maison natale de Jeanne, dont il me fait une description.

Plusieurs mois se sont écoulés depuis le début de mon enquête; piquée au jeu, je questionne toutes les personnes susceptibles de me renseigner.

C'est ainsi que j'ai l'occasion de rencontrer M. Liali (3), dans son appartement de la rue Carnot à Boulogne. Il se rappelle bien Jeanne Pallier, mais n'a sur elle que le souvenir d'une excellente collègue, très brave femme, dévouée, charitable, toujours prête à aider. Il m'apprend qu'elle avait une fille qu'elle aimait beaucoup et aussi qu'elle organisait chaque année, parmi le personnel de l'usine Renault, un challenge qui portait son nom.

J'interroge mes compagnons de travail, surtout les «an­ciens », et voilà que l'un d'entre eux, que je côtoie journel­lement, M. Roger Gagnepain (4), me dit ceci :

« Ma mère travaillait au mess, comme aide-cuisinière, sous les ordres de Jeanne Pallier, quand elle a su que j'allaiS faire ma première communion, elle a dit à ma mère : «Faudra m'amener votre fils» ; c'est ainsi que j'ai fait sa connais­sance le jour de ma première communion, c'était en 1923, j'avais douze ans.

(1)

M. Bernard Savouret. conservateur des archives de la ville de Di.ion.

(2)

M. Bernard Bordet. retraité à Talant (Otite-d'Or) -Arbre .Qénéa­IOQiQue de la famille Bordet -Photos et description de la maison natale de J. Pallier.

(3)

M. Liali. le plus ancien des administrateurs de la Société Mutua­liste de la RéQie Nationale des Usines Renault. décédé récemment.

(4)

M. RO.Qer GaQnepain. retraité de la direction du personnel

R.N.U.R.

Je me souviens très précisément les paroles de ma mère concernant sa patronne : «Elle est très rude, très travail­leuse, elle paie beaucoup de sa personne, elle fait elle­même ses achats aux halles, ce qui ne l'empêche pas d'arri­ver à l'heure... A l'époque je faisais de la marche à pied, je me souviens qu'en cross, au C.O.B., existait le challenge Jeanne Pallier auquel beaucoup participaient ».

Le Club Olympique de Billancourt est le successeur du

C.O.U.R. (Club Olympique des Usines Renault), constitué le 23 septembre 1917.

Le C.O.B. dans sa revue nO 6, du 1 er janvier 1935, fait honneur à Jeanne Pallier. Sa couverture la représente, parlant avec le président du Club Olympique de Billancourt, le comman­dant Du Jonchay, elle est elle-même vice-présidente du club.

Une section «aviation» créée fin 1934, compte alors quel­que trente adhérents, mais il ne s'agit pas d'aviation, le challenge Jeanne Pallier se déroule à Saint-Cloud, site qui possède le renom d'être un parcours de cross très dur, mais répondant parfaitement aux exigences de ce sport. Cha­que année il y a trois challenges Jeanne Pallier. Le chroni­queur indique que douze années consécutives ils ont été gagnés par des membres du C.O.B. habitués à ce difficile parcours qu'ils fréquentent chaque dimanche. C'est Muselet qui sera vainqueur du challenge pour 1934.

M. du Jonchay et Jeanne Pallier photographiés pendant le challenge (Reproduit d'après le Bulletin du Club Olympique de Billancourt de Janvier 1935).

« Le nouveau challenge mis cette année en compétition parmi toutes les catégories, voit à nouveau le C.O.B. inscrire son nom sur son socle de marbre; il rappellera, avec le bon goût de la donatrice dans le choix toujours heureux de ses challenges, l'inlassable générosité que nous lui devons pour le plus grand bien de l'émulation sportive et celle du cross en particulier.

A l'issue de la distribution des prix, dont les équipiers du

C.O.B.

s'appropriaient la plus grande part, un toast bien senti fut porté à Mme Pallier pour son dévouement, et l'es­poir que longtemps nous la garderons près de nous ».

M.

Charles Dolfuss (5) me dit qu'il ne l'a pas connue person­nellement, mais a eu l'occasion de la rencontrer quelques fois et de lui parler fort gentiment:

«Mme Pallier était une femme sérieuse, ce qui n'était pas toujours le cas dans l'aviation, elle était « très bien », grande, mince, avec une certaine autorité, le geste aussi, elle portait

(5) M. Charles Dolfuss -Pionnier de l'aéronautique -(Dans l'esprit de Pierre Cot, l'aviation populaire devait fournir des pilotes à l'aviation de guerre). Revue «Pionnier», no 35 du 15 janvier 1973.

Le challenge offert par Jeanne Pallier en 1934.

toujours un tailleur, un bonnet, avec, au-dessus de chaque oreille une espèce de gros pompon ; ... c'était un genre qu'elle s'était donné. On l'appelait « La cantiniére du premier Empire », à cause justement de son allure, elle était très simple, très directe, pas cabotine et surtout, bon pilote, pas vantarde, à la «Stella» elle était très appréciée, elle ne cassait jamais ses avions, elle a fait faire le baptême de l'air à beaucoup de femmes et quand on dit qu'elle vola de Villacoublay à Saint-Martin, près d'Épernon avec une pas­sagère, il s'agissait de Mme Duchange, la secrétaire de la

« Stella ».

Elle a même dû, à Saint-Cloud, faire une ascension en ballon, et, à la fin de sa vie, elle était un peu oubliée ».

Toutes ces indications me sont précieuses et suscitent en moi un désir d'en savoir plus, presqu'indiscret, mais les paro­les de M. Dolfuss sont pour moi autant de points d'interro­gation qui, les uns après les autres, au cours des mois vont trouver réponses.

L'appellation « Cantinière du premier Empire» est sûrement une allusion directe à sa profession chez Louis Renault, elle y est responsable des réfectoires, cantines ou restau­rants, c'est-à-dire que Louis Renault l'embauche pour, en fait, créer le premier restaurant d'entreprise (6)

M. Cassan (7) efface le mystère des « pompons sur les oreil­les» en m'expliquant ceci :

Un jour son avion fait « le cheval de bois, il pique du nez au décollage, elle est projetée vers le sol, la tête en avant, elle souffre, /'os est à nu, elle est scalpée et devra définiti­vement porter perruque ».

Ce témoignage concorde avec celui de M. Dolfuss lors­qu'il dit: «Elle était très près du monde ouvrier, c'était une grande dame».

M. Cassan poursuit : «M. Pallier, une année emmène sa femme en vacances dans les Alpes, ils descendent au même hôtel que le général Gouraud, qui est en manœuvres dans la région; Gouraud n'est alors que lieutenant-colonel. Jeanne Pallier est en bonnes relations avec lui et avec tous les commandants militaires, avec Guynemer aussi, Gallieni, etc. ».

(6)

Gilbert Hatry -«Renault usine de nuerre 1914-1918» aux éditiom/ Lafourcade. 'Panes 101 et 184.

(7)

M. Valentin Cassan, de Neuilly.

C'est en 1883, alors qu'elle n'avait pas encore vingt ans, qu'elle avait épousé Albert, Désiré Pallier, à la réputation de «bon vivant", à la fortune considérable. D'un premier mariage avec Adélaïde Duchesne, sa cadette de neuf ans, il avait eu une fille : Jeanne, Adélaïde, Laure, née chez son grand-père à La Ferté-Alais (Seine-et-Oise), le 22 septem­bre 1876; ce dernier, employé aux chemins de fer, meurt un an plus tard et la fillette, restée chez sa grand-mère est inconnue de la seconde femme de M. Pallier. Elle est très désagréablement surprise quand elle l'apprend et aura cette expression (6) :

«Quand je mange une poire je la veux tout entière!".

A partir de cette époque, les deux Jeanne, dont la différence d'âge n'est que d'une douzaine d'années, sont comme mère et fille. Peu d'amis intimes sauront que la jeune Jeanne n'est pas née de Jeanne Bordet et d'Albert Pallier. Celui-ci, para­lysé pendant plus de vingt ans, décèdera en 1936, âgé de quatre-vingt-huit ans.

C'est certainement vers l'année 1909, que Jeanne Pallier se découvre, comme elle le dira plus tard : «Une grande passion pour l'aviation,,; elle a trente-cinq ans.

Peu de femmes à cette époque peuvent se permettre d'apprendre à piloter et les difficultés rencontrées sont nom­breuses.

A quelle date exactement obtient-elle son brevet de pilote 7

La revue « l'Aérophile'', du 1er octobre 1912, donne la liste des nouveaux brevets, du numéro 919 au numéro 1 030 inclus, on y relève : Pallier (Mme Jeanne), française, née le 19 juillet 1864, à Dijon. Brevet 1012, du 6 septembre 1912, sur Astra.

Or, le journal «l'Auto", du 16 juin de la même année, à propos du Grand Prix de l'Aéro-club qui doit avoir lieu en septembre 1912, signale :

« Ce matin, au nombre des passagers bénévoles que, pour obéir au règlement, certains pilotes emmèneront, se trouve une passagère, Mme Pallier, élève-aviateur de Labouret. Nous avons eu l'honneur de /'interviewer, c'est une femme pleine d'humour et d'énergie, elle a Je parler net et l'esprit primesautier. Elle est charmante et optimiste : .. l'aviation, nous dit-elle, j'ai ça dans le sang" et elle escompte son brevet de pilote pour le mois prochain ".

Dans le même journal, du 4 août, on relève

« Une nouvelle aviatrice vient d'ajouter son nom à la liste des femmes qui assument la lourde responsabilité de conduire dans les airs un appareil d'aviation. Mme Pallier, montant un biplan Astra, a passé hier les épreuves de son brevet, mais elle les a passées dans des circonstances qui font prévoir que cette nouvelle aviatrice fera parler d'elle.

Partie vers six heures du soir, de l'aérodrome Astra à Villa­coublay, elle s'élevait pour la première épreuve du brevet, mais bientôt elle disparaissait à l'horizon, se dirigeant vers Paris.

Quelques minutes après, la foule la voyait planer au-dessus de la tour Eiffel, la Chambre des députés, la place de la Concorde, à plus de sept cents mètres d'altitude. Quarante minutes après, Mme Pallier regagnait l'aérodrome de Villa­coublay où elle accomplissait les autres boucles exigées par l'épreuve du brevet; puis, après avoir atterri, refait son approvisionnement de combustible, elle repartait bientôt pour accomplir la seconde épreuve, qui fut un jeu pour elfe.

1/ serait injuste de ne pas féliciter la société Astra, construc­teur de l'appareil, qui sait inspirer de semblable résolution ".

Le 12 septembre, «l'Auto" relate:

« Mme Pallier qui s'est déjà signalée par la façon brillante dont elle a passé son brevet de pilote, continue chaque jour son entraÎnement. Hier matin, à sept heures, elfe quittait Vilfacoublay à bord de son biplan Astra 50 CV.

Après avoir longuement volé au-dessus de la région de Versailles, elle atterrit à Étampes, où elle fut chaudement félicitée par le sénateur Reymond. Après avoir fait une escale d'une heure, elfe reprit son vol vers Chartres et y atterrit à dix heures. Elle reçut des habitants de Chartres, et en parti­culier de M. Gilbert, président du Comité d'aviation, le plus aimable des accueils. Mme Pallier regagnera Villacoublay aujourd'hui ".

La date du 6 septembre est la date de l'homologation du brevet qu'elle a obtenu le 3 août 1912 (8) sur avion Astra à moteur Renault 50 HP. «Élève de Labouret, il lui aura falfu trente-quatre mois de combat pour y parvenir ", décla­ration de J. Pallier à E. de Saint-Rémy, journaliste à « l'Auto ", le 8 janvier 1914, à propos d'une enquête:

« Une femme peut-elfe conduire une auto?" :

«Je conduis, vous le savez un appareil d'aviation; comme femme, rien, vous m'entendez, rien ne m'a été facilité; j'ai mis trente-quatre mois pour obtenir mon brevet de pilote et, depuis, je me suis heurtée, bien, bien souvent à la mauvaise volonté évidente des personnes de votre sexe.

Je dois dire que je ne recommande pas l'aviation aux femmes... ".

Une fois de plus, la lecture des journaux spécialisés de l'époque avive ma curiosité : avion Astra 50 CV moteur Renault, c'est encore M. Charles Dolfuss qui me ren­seigne:

« La société Astra eut un rôle prépondérant dans l'histoire de l'aéronautique française pendant le premier quart du siècle. Cette industrie s'est fondée autour du personnage qu'était Édouard Surcouf, d'origine modeste; très intelligent et volontaire, il fit sa première ascension à Lil/e, le 15 août 1880, avec Gratien et Wilfred de Fonvielfe, il avait dix-huit

(8) M. Lechoix, Service historique de l'armée de l'air, château de Vincennes -Revue «l'Aérophile », no du 1-12-1912, page 551.

ans. Entré en 1890 aux Ateliers de constructions aérostati­ques de Gabriel Yon et Louis Godard, il s'associe avec celui-ci, vers 1895, après la mort de Yon.

En 1899, Surcouf s'établit à son compte, transférant à Billan­court le grand hangar-atelier de Yon. Les affaires n'étaient pas prospères.

Au grand concours d'aérostation de 1900, il se lie avec le commandant Paul Renard, qui en est le président, puis avec le colonel Char/es Renard. Dans le même temps, il s'introduit dans le milieu assez fermé de l'Aéro-club de France.

Vers 1902, après avoir réalisé l'enveloppe de 2400 mS du dirigeable Lebaudy, Surcouf joignit à l'aérostation, la construction des" trains Renard ", conception sensationnelle et nouvelle dans l'automobile, due au colonel Charles Renard.

En 1905, Surcouf crée un petit département aviation, employant le jeune ingénieur Gabriel Voisin, puis cède cet atelier aux frères Voisin qui s'associent à Louis Blériot.

En 1906, Surcouf reçoit de M. Henri Deutsch de la Meurthe la commande d'un dirigeable de type nouveau : le «Ville de Paris" de 3 200 mS, inspiré par les travaux de Renard: la nacelle et l'hélice sont réalisées par les frères Voisin (hélice visible au musée de l'Air)".

Dès 1906, Surcouf s'assure la collaboration d'un ingénieur très compétent, Cormont, qui fut chef du bureau d'études de l'Astra pendant presque toute l'activité de cette société.

C'est au début de 1908, que Henri Deutsch de la Meurthe créa la société Astra, anciens établissements Surcouf.

Plusieurs dirigeables sont construits par cette société, le « Clément-Bayard" (1908), le «Colonel Renard" (1909), le «Ville de Paris", qui devient «Ville de Lucerne" et «Ville de Pau", le «Ville de Bruxelles" (1910), etc.

Pendant la période 1904-1914, les ateliers de Billancourt ne cessèrent de construire des ballons sphériques.

Henri Deutsch de la Meurthe avait favorisé le développement d'un club d'aérostation féminine, «La Stella" qui, de 1909 à 1914, donna régulièrement chaque année, au parc de l'Aéro-club de Saint-Cloud, un départ collectif de ballons, montés par des dames, passagères ou pilotes. La présidente, pilote expérimentée était Mme Surcouf.

L'Astra avait, naturellement, une place importante dans cette activité.

Puis l'Astra créa une nouvelle section de construction d'avia­tion, et en 1909, réalisa pour le groupe exploitant les brevets Wright, un certain nombre d'aéroplanes.

En 1911, sortit le biplan Astra, excellent appareil à fuselage et à hélice tractive, qui fut même utilisé comme hydravion à flotteurs. Ses pilotes les plus connus ont été Labouret et Mme Pallier.

Jeanne Pallier près de son appareil (Musée de l'Air).

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Article paru dans le journal « Le Gâtinais » .

Le dernier ballon construit par l'Astra, fut un beau sphérique de 1 200 m3, en 1922, M. Charles Dolfuss, son propriétaire, l'utilisa sous le nom de « Sérénité ».

A côté de l'Astra, Henri Deutsch de la Meurthe avait, en 1912, repris les établissements d'aviation Nieuport; après sa mort, sous la direction de l'ancien officier de marine Edmond Delage, les établissements Nieuport et Astra fusion­nèrent sous le nom de Nieuport-Astra.

La construction aérostatique s'arrêta vers 1925; il ne resta alors que le nom de Nieuport, celUi d'Astra étant effacé.

M. Henri Beaubois (9) donne les renseignements suivants sur les aéroplanes Astra :

« C'est en 1909, que la Compagnie Générale de Navigation Aérienne (C.G.N.A.) qui avait acquis des frères Wright, la licence de fabrication de leurs biplans, confia à la société Astra la charge de construire ces appareils ».

L'aéroplane du comte de Lambert, qui, le premier, alla en septembre 1909 survoler Paris et vira autour de la tour Eiffel, sortait des ateliers Astra.

Divers perfectionnements furent apportés au biplan Astra­Wright; la production d'aéroplanes se diversifia. En 1911, au centre de Villacoublay, volait aux mains des pilotes Labouret et Herbster, un biplan à fuselage triangulaire entoilé, rappelant les formes de la carène du monoplan Antoinette. Un levier à volant commandait par un double mouvement la profondeur et le gauchissement «système Wright ». L'appareil était, à défaut de qualité de vitesse, réputé pour sa robustesse et sa sécurité; aux pilotes pré­cités s'adjoignit en 1912, Jeanne Pallier.

Au concours, pour la production d'avions militaires d'octo­bre 1911, Astra présente trois appareils triplaces bien diffé­rents, dont l'un est un biplan Asta-Wright à moteur Renault, 60 HP.

Je connais donc mieux, à ce point de mon enquête, l'environ­nement dans lequel vécu mon héroïne.

Devenue pilote brevetée, « l'Auto » du 12 octobre 1912, signale :

« En effectuant hier un vol aux environs de Poissy, Mme Pallier a fait une chute heureusement sans gravité. L'appareil seul est quelque peu endommagé ».

S'agit-il de l'accident au cours duquel elle fut scalpée?

Jeanne Pallier entre au club féminin « Stella », en septem­bre 1912. M. Dolfuss a parlé de ce club d'aérostation féminin à propos des ballons sphériques Astra. C'est la revue « l'Aérophile >> qui va satisfaire ma curiosité.

« Un groupe de ferventes adeptes du sport aéronautique existait au sein de l'Aéro-club de France et ce dernier décida la création d'un « club aéronautique féminin », afin de faciliter leurs ascensions, dans un cadre digne d'elles, à son parc des côteaux de Saint-Cloud.

C'est chez Mme Ëdouard Surcouf que se tient l'assemblée constitutive, le 10 février 1909. Mme Surcouf remercie en termes charmants, les dames qui ont bien voulu répondre à l'appel du groupe promoteur de la création de la « Stella " expose le but et les avantages de la société et l'accueil favorable qui lui fut fait partout.

Après lecture du projet de statuts, approuvé par l'assemblée, la société se trouve constituée sous le nom de «Stella ».

Ont été élus membres du comité: Mmes Airault, Albulfeda, Blériot, Charpentier, Mlle Charpentier, Mmes Desfosses­Dalloz, Griffie, la comtesse de la Valette, Max-Vincent, Mme Savignac, Édouard Surcouf, Mlle Tissot.

Le bureau a été composé comme suit :

Présidente : Mme Surcouf.

Vice-présidentes : Mmes Blériot, Desfosses-Dalloz, Max­Vincent.

Secrétaire générale : Mme Airault.

Secrétaire Mlle Charpentier.

Trésorière Mme M. Savignac.

La « Stella » sera composée de plUSieurs catégories de membres:

-Membres d'honneur et membres donateurs, après verse­ment d'une cotisation de 2 000 F (je rappelle que nous som­mes en février 1909).

-Membres perpétuels, cotisation une fois versée de 1500 F.

-Membres fondateurs, toutes les personnes inscrites au 31 mars 1909, avec cotisation annuelle de 100 F.

(9) Archiviste au Musée de l'Air.

-Membres sociétaires, toutes les personnes inscrites à partir du 1er avril 1909, avec une cotisation annuelle de 100 F également, mais avec en plus, un droit d'entrée de 25 F la première année.

-Membres associés, cotisation annuelle de 25 F, droit d'entrée de 10 F.

-Membres participants (qui peuvent être des hommes), cotisation annuelle de 25 F ou 400 F une fois payés.

Les membres de l'aéro-club sont admis sans ballotage. Les mères, femmes, sœurs et filles des membres de l'A.-C.F. sont dispensées du droit d'entrée.

Le siège de la «Stella» sera situé 86, boulevard Flandrin, à Paris.

Le comité adopte comme pavillon une flamme blanche à la hampe, avec étoile d'or à cinq branches".

C'est le 12 septembre 1912, que Jeanne Pallier y est admise en qualité de membre associée, on peut lire dans <<l'Aéro­phile », du 1 er décembre 1912, sous un portrait de l'aviatrice:

« La Stella », qui compte déjà de nombreuses femmes aéro­nautes et plusieurs aviatrices, vient de faire une brillante recrue en recevant comme membre associée, Mme J. Pallier, ql.!i a comme on sait, pris le 3 août dernier son brevet de pilote d'une façon particulièrement brillante, effectuant un voyage au-dessus de Paris à 700 mètres de hauteur. Elle a continué depuis son entrainement, effectuant pour ses débuts une série de vols dignes de nos meilleurs pilotes. C'est ainsi que, le 10 septembre, elle quittait Villacoublay à sept heures du matin sur son 50 HP Astra et atterrissait à 10 heures à Chartres, après une escale à .Étampes, où elle fut reçue par M. le sénateur et Mme Reymond. Le 12, elle quitte Chartres et après un voyage mouvementé au­dessus de la forêt de Rambouillet, au cours duquel elle ren­contre un camarade qui fait une promenade en biplan, elle atterrit à Menvillier, d'où elle repart bientôt pour revenir à Chartres à la tombée de la nuit. Le lendemain, vendredi 13, jour deux fois fatidique, Mme Pallier termine brillamment son voyage, rentrant à Villacoublay, après s'être toujours main­tenue à des altitudes variant entre 5 et 500 mètres. Comme on le voit, peu d'aviatrices peuvent s'enorgueillir d'aussi belles performances et l'on peut être assuré que Mme Pallier ajoutera à la couronne sportive de la « Stella» quelques-uns de ses plus beaux fleurons ».

Le 1 0 novembre 1913, la «Revue Aérienne» relate :

« Le 10 novembre, Mme Pallier, concourant pour le challenge Fémina, a couvert la distance de 290 km en 3 h 40 mn sur biplan Astra. La performance a eu lieu au camp de Châlons.

La distance à battre était de 254,130 km. L'aviatrice a été chaleureusement félicitée à son atterrissage.

Mme Pallier est la première détentrice de la coupe pour 1913, l'épreuve pouvant se courir jusqu'au 31 décembre.

C'est Mlle Hélène Dutrieu qui s'attribua la coupe pour 1912, en volant à Étampes, 254,130 km en 2 h 58 m.

Mme Pallier dont la hardiesse est proverbiale, avait, Je jour où elle passa son brevet, doublé la tour Eiffel. Cette année, au meeting de Vienne, l'excellente aviatrice avait remporté un grand succès ».

Pour cette coupe Fémina, elle sera surclassée seulement de 33 km, quelques jours plus tard, par Raymonde de Laroche.

La «Stella» organise, outre des après-midi mondains dans les salons de l'hôtel Astoria, des prix dotés de médailles d'or, tel que le prix de la «Stella », le prix du sénateur Reymond, le prix Ratmanoff, remporté par Mme Duchange, grâce à Jeanne Pallier, le 23 décembre 1912. La revue « l'Aérophile>> déclare :

« Concourrant pour le prix Ratmanoff, Mme Duchange prit place, le 23 décembre après-midi, à bord d'un biplan Astra 70 HP, piloté par Mme 1. Pallier. Parties de l'aérodrome Astra, à Villacoublay, elles s'éloignèrent vers Chartres. Retar­dées par un violent vent debout, les aviatrices atterrirent près de Maintenon (à Saint-Martin-de-Nicelles, 48 km).

Par ce vol, Mme Duchange est tenante du prix Ratmanoff pour 1912, prix attribué à la passagère ayant accompli, au cours de l'année, en aéroplane, le vol de la plus grande distance sans escale ».

On en reparle le 15 janvier 1913, « l'Aérophiie », et même on publie la photo de Mme Pallier que sa passagère, Mme Duchange, tient par le bras:

«La belle performance de Mme Pallier, pilote, et de Mme Duchange, passagère, le premier équipage de femmes qui aient volé seules en aéroplane, a inspiré le charmant écho suivant, que nous cueillons dans <<l'Aéro>> :

Bravo Madame Pallier!

Bravo pour cette jolie envolée de deux femmes dans l'azur! Vous êtes la première aviatrice a avoir emmené une passa­gère en aéroplane; c'est du nouveau, très joli et très crâne! J'en suis heureuse et fière pour notre chère « Stella ", dont vous êtes toutes deux de brillantes étoiles.

Signé: BEBY

Au meeting de Vienne, du 15 au 22 juin 1913, elle se distin­gue particulièrement et remporte tous les prix réservés aux aviatrices avec une maestria qui fit l'admiration des spec­tateurs.

Le 14 septembre, à Bruay (Pas-de-Calais), elle fait plusieurs vols avec grand succès, M. Le Briens, préfet et M. J. Elby, maire, la félicitent, elle reçoit une moisson de fleurs.

Je vous cite encore le journal «l'Auto", du 25 mai 1914

« Une femme veut voler de Paris à Ber/in! Mme Pallier veut bien nous dire les grandes lignes de son projet, qu'elle compte réaliser dans un mois : Je veux prouver qu'une femme vaut un homme, du moment qu'elle a de l'énergie ".

Mais ce vol ne put être réalisé. J'ai donc appris beaucoup sur Jeanne Pallier, aviatrice, mais il reste encore bien des points obscurs.

Séance de fondation de la « Stella» chez Mme Ed. Surcouf. De gauche à droite Mme Surcouf, Mlle Charpentier, Mme Charpentier, Mme Savignac, Mme Airault.

Comment se retrouve-t-elle parmi les membres du personnel de Louis Renault, en décembre 1916? Les occasions de rencontre ont dû être rares; il semble que Louis Renault lui facilite la lourde tâche qu'il lui a confiée «créer la cantine, puis le restaurant coopératif ». Il fait installer les appareils dont elle a besoin; le réfectoire ouvre ses portes, quai de Billancourt, en octobre 1916, les ouvriers peuvent y faire réchauffer leurs gamelles et disposent de plats chauds ou froids; le restaurant ouvre en mai 1917, rue du Point-du­Jour.

Lors de la visite d'Albert Thomas (alors député socialiste de Champigny-sur-Marne, ministre de l'Armement) aux usines Renault de Billancourt, le samedi 1er septembre 1917, Jeanne Pallier une fois de plus est à l'honneur, comme le montre la photographie prise sur la terrasse du restaurant de l'usine.

Comment continuer mes recherches?

Au musée de l'Air, je lis dans le nO 874 du 17 mars 1938, de la revue «les Ailes» :

« Jeanne Pallier, qui fut pilote d'avant-guerre, par conséquent une des premières aviatrice françaises, vient de mourir à La Ferté-Alais. Ses obsèques ont eu lieu dans cette ville, le 9 mars ».

Je prends contact avec le propriétaire du terrain de l'aéro­club de La Ferté-Alais, mais la création du club est très récente (après la guerre de 1939-1945).

Aux « Vieil/es Tiges », j'apprends qu'elle est décédée dans une institution religieuse; il Y en a deux dans les environs de La Ferté-Alais, je les visite, aucune n'a eu de pension­naire répondant à ce nom.

Pour moi, les employées de La Ferté-Alais effectuent de nombreuses recherches dans les registres de la commune, en vain. Le registre des décès lui-même ne répond pas à notre attente.

Au cours d'une conversation téléphonique avec M. Charles Dolfuss, celui-ci me dit « Lisez donc" Les temps héroïques de l'aviation ", Raymond Saladin consacre quelques pages à votre héroïne».

C'est ainsi que j'apprends que l'institution religieuse où est décédée J. Pallier se trouve à... Villeneuve-sur-Yonne. Je m'y rends, bien sûr, et ce n'est pas sans une certaine émo­tion que je pénètre dans le parc de la propriété où me reçoit fort aimablement l'abbé Mantelet. La fille de J. Pallier, elle-même religieuse, était propriétaire de cette institution, elle est enterrée là, dans la sépulture qui leur est réservée.

La mairie de Villeneuve me confirme le décès au 6 mars 1938, mais l'inhumation n'a eu lieu que le neuf et... au cime­tière de La Ferté-Alais, ancienne Seine-et-Oise, devenue Essonne.

Je retourne à La Ferté-Alais, cette fois ni à la mairie, ni chez les familles Duchesne qui y demeurent encore, mais chez le marbrier, M. Stranard. Avec une gentillesse remarquable, celui-ci m'emmène lui-même, dans sa voiture, jusqu'au cime­tière et après quelques hésitations, me montre la sépulture de Jeanne Pallier.

J'avoue une fois de plus mon émotion, en prenant les photo­graphies de la grande tombe sur laquelle on peut voir encore les traces d'une palme et d'un vase, sur lequel M. Stranard se souvient avoir lu : «Les Vieilles Tiges»; tout a été

volé (10).

Jeanne Pallier a quitté les usines Renault quatre ans avant sa mort; comment a-t-elle vécu ces quatre dernières années. C'est Raymond Saladin lui-même qui me l'apprend, non sans une grande émotion, ressentie au travers de cha­cune de ses phrases.

«J. Pallier était d'une activité débordante, J'inaction lui pesait; aussi, quand elle sut le mal dont elle était atteinte, ce qui l'effraya le plus, ce ne fut pas la mort qu'elle savait proche et qu'elle ne craignait pas, mais bien l'idée qu'elle allait être obligée de se soigner, donc d'abord de se reposer ".

Au cours d'une de mes visites au petit appartement de Billancourt, J. Pallier s'est assise près de moi et m'a parlé:

«Je prév.ois ma fin assez proche. Je ne laisse pas grand­chose. Quelques souvenirs seulement. Je tiens à les partager entre mes meilleurs amis. Je vous ai réservé tous mes sou­venirs d'aviation et mes décorations. Il y a là des articles de journaux, des photographies, des notes manuscrites : toute une époque que j'ai aimée. J'ai fait un gros paquet ".

Elle se leva, et encore vive, revint les bras chargés de ses souvenirs: «Vous regarderez ça chez vous ".

Avant de partir, elle me dit :

« Ma fille est religieuse au couvent du Perpétuel Secours, à Villeneuve-sur-Yonne; c'est là que je finirai mes jours, quand vous m'y verrez partir, vous saurez que je n'aurai plus pour longtemps à vivre ".

Plusieurs fois, je vais dans l'Yonne voir mon amie, je constate qu'elle ne peut plus descendre s'asseoir sur le banc au soleil, ni se promener dans le parc, c'est trop de fatigue. Le 22 février 1938, elle ne peut plus écrire, ses souffrances sont immenses, elle dicte cette lettre à une camarade :

«J'ai bien reçu vos lettres et une aimable amie veut bien me servir de secrétaire. Je ne peux plus du tout écrire. Ma filie va revenir de Belgique, j'ai hâte qu'elle revienne pour être sûre de la revoir».

Je pars pour Villeneuve, la trouve fiévreuse, elle me parle de sa fin prochaine avec un admirable stoïcisme, un calme étonnant et une philosophie sereine. Elle ne se révolte pas contre la mort, elle l'attend après l'avoir si souvent défiée.

« C'est une vieille connaissance, dit-elle, elle ne m'a jamais fait peur, voyez, je vais mourir heureuse, après avoir accompli mon destin. Ma fille est revenue, Dieu m'a accordé cette grâce. Elle sera à mes côtés. On m'entoure de mille soins. Je ne puis exiger une fin plus douce ".

Et comme je lui demande si elle souffre : «A vous, je peux bien le dire, je souffre sans arrêt. Mais je ne veux ennuyer aucun de ceux qui m'entourent. Alors, je fais en s.orte qu'on ne s'aperçoive de rien ".

Jusqu'au bout, elle luttera avec le même courage. Une simple carte postale envoyée par « la fille" de Jeanne Pallier me parvient quelques jours plus tard: «Notre chère malade est partie pour le ciel aujourd'hui, à dix-sept heures trente. Elle a beaucoup souffert, mais héroïquement. Elle avait sa pleine connaissance. Elle parlait toujours de ses amis ".

Sœur Marguerite-Marie Pallier

Ainsi était partie pour son dernier vol, celle qui fut toute sa vie un exemple, et qui défendit l'aviation féminine fran­çaise.

Carmen ALEXANDRE

(10) M. Stranard. marbrier à La Ferté-Alais (Essonne).

SOURCES:

M. Benard -Musée de l'Air. boulevard Pereire.

-Bulletin bimensuel du C.O.B. 1re année. no 6.

-Journal «l'Auto ».

-Revue «L'Aéro'Phile ».

-Revue «Le Pionnier» de l'association des Vieilles T·ines.

-Revue de la Section Histoire de la Réflie Renault.

-«Les tem'Ps héroïques de l'aviation» 'Par M. Raymond Saladin.

L'institution religieuse où Jeanne Pallier est décédée.