01 - L'épuration (1944-1945)

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L'épuration (1944-1945)

En cette fin d'août 1944, les troupes alliées approchaient de Paris. Dans les rues de la capitale, comme dans les communes de banlieue, des barricades étaient dressées par tout un peuple impatient de se libérer de l'occupation allemande.

Et déjà, alors que les combats faisaient rage, une exigence s'affirmait: le châtiment de ceux qui, sous différentes formes, avaient contribué à l'effort de guerre nazi.

Les organisations clandestines, groupées au sein du Conseil national de la Résistance (C.N.R.), s'étaient mises d'accord sur un programme qui prévoyait notamment : " le châtiment des traîtres, l'éviction de l'administration et des affaires privées, avec saisie de leur bien, de tous ceux qui, associés activement à la politique de Vichy, avaient collaboré avec l'ennemi. Le général de Gaulle s'était prononcé sans ambages. La Résis­tance était unanime sur ce point" (1). Avec la Libération, l'épuration devenait une impérieuse nécessité.

Août 1944 à Billancourt

Depuis mai, l'usine tournait au ralenti. Les difficultés d'approvisionnement s'étaient accrues au point que plus de 4 000 ouvriers avaient dû être affectés à ce qu'on appelait les " chantiers extérieurs" : S.N.C.F. pour le déblaiement des voies ferrées, P.T.T. pour le tri du courrier. L'effectif ouvrier demeuré à Billancourt n'atteignait pas 5 000 personnes et les cadences journalières de production allaient de 4 à 5 véhicules (2).

1) Jacques Debû-Bridel : " De Gaulle et le C.N.R. " -Éd. France-Empire, 1978, p. 2ll-212. 2) Fernand Picard: " L'épopée de Renault" -Albin Michel, 1976, p. 234.

Le 23 juillet, l'usine fermait ses portes pour trois semaines selon la Direction; en fait pour une durée indéterminée. Dès lors seuls les cadres dirigeants et quelques membres du personnel se rendront à Billancourt. Le 16 août, le commissaire allemand von Urach quittait les lieux précipitamment.

Dans l'usine déserte, un tour de garde quotidien assuré par des chefs de service avait été institué cependant que les conférences journalières de direction étaient maintenues (3). Des mesures avaient été prises pour interdire l'accès de l'usine: fermeture des portes et renforcement de l'effectif des gardiens. Une lutte sourde ne tardera pas à s'engager entre la Direction, dont cer­tains membres font partie de l'Organisation civile et militaire (O.C.M.), et des organisations de résistance, pour le contrôle de l'usine.

Le jeudi 21 août, écrit Jean Morvan (4), "je reçus l'ordre d'occuper les portes de l'usine. Je me présentai avec un groupe d'une cinquantaine de personnes. Nous étions très peu armés mais cela fit quand même impression à l'entrée de la place Nationale. On me fit patienter jusqu'à l'arrivée d'un directeur avec qui je voulais parlementer pour lui expliquer le but de cette occupation [...J. Au même moment arriva un groupe de

F.F.1. (5) venant de la mairie de Boulogne, ayant à sa tête un chef d'atelier de l'usine. Il ne se passa rien d'insurrectionnel car on se mit d'accord pour qu'à chaque porte le gardien soit accompagné de quelques résistants".

3) C'est en participant à la garde de l'usine que Pierre Lorain devait trouver la

mort. Cf. " La mort de Pierre Lorain" par Jean Hubert -" De Renault

Frères à... ", tome 2, p. 160 à 162. 4) Aujourd'hui décédé, Jean Morvan était le dirigeant régional du Front

national. 5) Forces françaises de l'intérieur.

En fait, c'est M. Astolfi (6), membre de l'D.C.M., qui reçut les représentants des organisations de résistance. Sortant un bras­sard tricolore de sa poche, il indiqua que les usines seraient gardées par les F.F.I. (7). Cette position devait être confirmée par René de Peyrecave (8) dès l'après-midi du même jour.

Le 24 août, Paris est libéré et, le 31, le gouvernement provi­soire s'y installe. Le 1" septembre, l'usine rouvre ses portes.

Quel état d'esprit règne à ce moment dans l'entreprise? Certes, la joie de la liberté retrouvée anime l'ensemble du personnel mais, dans les ateliers, des impatiences se manifestent. " Les ouvriers rechignaient et refusaient de travailler sous le commandement de certains agents de maîtrise. Ils exigeaient que tous ceux qui étaient suspectés ou accusés de collaboration fussent licenciés" (9). Mais derrière cette exigence, somme toute légitime, une autre apparaissait, celle de " régler les comptes" à ceux qui avaient joué un rôle plus ou moins actif dans la répression des grèves de 1938 (10).

Pour canaliser ce mouvement, les organisations syndicales rapidement reconstituées prenaient contact avec la Direction. Le 5 septembre, René de Peyrecave s'entretenait avec une délé­gation de la Fédération de la métallurgie C.G.T., qui se déroula" mieux qu'on ne pouvait le redouter. Discussion cour­toise, revendications modérées, réponses empreintes d'un réel désir d'apaisement" (11). Ce n'est pourtant que lorsque le per­sonnel apprit la constitution d'un comité d'épuration (12) " qu'un début de travail s'amorça" (13).

Constitution du Comité d'épuration

Une séance du comité d'épuration, de gauche à droite MM. Clées, Chevalier, Morvan et Duchez.

6) Chef de département et membre de l'État·major du groupe O.C.M.

Renault. 7) Fernand Picard, op. cit., p. 243. 8) Directeur général de la Société anonyme des usines Renault. 9) Jean-Michel Six: .. Nationalisation: restructuration capitaliste et gestion

ouvrière. Le cas de la Régie Renault .. -Mémoire de D.E.S. -Université Paris-X, Nanterre, 1975.

10) Le 24 novembre 1938, l'usine occupée par les grévistes avait été évacuée par les forces de police. De nombreuses arrestations avaient été opérées et des poursuites judiciaires engagées. La Direction avait alors procédé à d'importants licenciements.

Il) Fernand Picard, op. cit., p. 249.

12) On dira indifféremment comité ou commission.

13) Edmond Le Garrec : .. Trente-sept années aux usines Renault .. -.. De Renault Frères à ..... -tome 2, p. 78 et suivantes.

Qui a pris l'initiative de constituer un comité d'épuration? Il semble bien que ce soient les dirigeants de l'D.C.M. qui, dès le Il septembre, le décident" pour essayer de canaliser le bouil­lonnement de colère qui montait des ateliers de l'usine à mesure que les ouvriers rentraient ", écrit Fernand Picard (14).

jean Morvan (15) le confirme explicitement:

" J'avais été désigné pour former un comité de libération et d'épuration des usines Renault, à l'image de tous ceux qui s'étaient créés dans les communes et usines libérées [ ...] Ge le formais) avec des éléments désignés par les partis politiques, les syndicats et les groupes de résistance ayant eu une action vala­ble dans l'usine. Ce ne fut pas facile car à l'Hôtel de Ville de Paris on me fit savoir que déjà un comité s'était présenté pour homologation et qu'après étude cela ne paraissait pas être l'image réelle de la vérité ; on me donna le nom du responsable et on me demanda de le contacter pour essayer de trouver une

entente ".

COMPOSITION

du

COMITÉ D'ÉPURATION

Président ....... . MORVAN

Vic~-Président..•.• RIOLFO

Secrétaire ...... . LE GARREC

Secrétaire-Adjoint .• DUCHEZ

TtTUlAlUS SU~PL~A.NTS

C. G, T. ouvrier. FARGES At. 454 ~ CHtZE At. 55

C. G. T. technicien. FERRER At. 87 Il LE MILLIN At. 267

BILLEQUEY Sce939 Organisation ci'file ft militaire CLESS

F. D. T. LE GARREC Sc.938 i

DELABORDE At. 95 'artl communlst. DUCHEZ Sc. 961

CHA BAN At. 164

.,uy.mont lib/ration "11,,,,. DECAYE At. 230

LEPAPE At. 230 Mouvement national Prisonniers JOLY At. 34 C,mitl "R!sistance Liblrt!" POTTEMAIN At. 106

PEAUD At. 133 Synd. chr'tle" tech. MERLEN Sc. 310

CHEVALIER At. 228 Synd. chr'tlen ouv. GIBAULT At. 26

OLIVIER At. 26 Partlloclallot•• LATARDIE At. 106

DWORZACH At. 270 Organlution ,ilill et mllit.l" RIOLFO At. 153

COURTE Sce 910

La constitution et la composition du comité d'épuration ont été approuvée. por décision du C. P. L en dot. du 3 Octobre 1944.

Affiche annonçant la composition du comité d'épuration (sans date).

L'entente fut trouvée et, le 3 octobre, le Comité était homo­logué par le Comité parisien de Libération. Il se composait de 13 membres titulaires et Il suppléants. Les titulaires repré­sentaient : la C.G.T. (ouvriers, techniciens, fédération des techniciens) soit 3 personnes, 2 représentaient l'D.C.M., 1 le Front national, 1 le parti communiste, 1 le Mouvement de Libération nationale, 1 le Mouvement national des prisonniers,

14) Fernand Picard, op. cit., p. 249. 15) Témoignage cité.

des Usines; l'appréciation de l'activité antipatriotique de cer­tains collaborateurs des services administratifs et commerciaux du siège ou de la province ou du personnel des ateliers des

RECTIFICATIF

succursales et filiales supposait, en effet, tant sur le plan moral que sur le plan matériel, des mesures d'information qui

COMPOSITION

ne pouvaient être envisagées par le Comité tel qu'il avait été

du

constitué.

COMITÉ O'ÉPURATION

Président. . . . . . . . MORVAN Vice-Président. . . . . RIOLFO Secrétaire . . . . . . . LI GARREC Secrétaire-Adjoint. . DUCHEZ

sU'PLlANTS

C. G. T. ouvrier. FARGES AI. 454 CHUE AI. 55

C. G. T. technicien. 'ERRER At. 87

LE MILLIN At. 267 FHIr. 101 Ttcllllicie.. (C. G. 1.) LE GARREC Seo 938

IILLEQUEY 5ce939 ....'i-IIIe.'milH.lre CLUS At. 30 'ront National. MORVAN At. 299

DILAIORDE AI. 95 Parti communltt. DUCHEZ 5ce 961

CHAIAN At. 164 1._ HWntion nalÎOll.Ie DECAYE At. 230

LEPAPE AI. 258 ......." lIIIitoaI Pri..,O.letl JOLY At. 34 ........., ., UWr.lio,I''' POTTEMAIN AI. 106

PEAUD AI. 133

Synd. ctoNtfen.tech. MERLIN 5ce 310 CHEVALIER At. 228

Iynd. chr'tlen ouv. GIIAULT At. 26

OLIVIER At. 26

Parti tadall_. LALARDIE At. 106

DWORZAK AI. 270

COURTE Seo 9100rp0IuIia0 dlil. " mlliIJire RIOL.O At. 153

la constitution et la composition du comité d'épuration ont été approuvées par décilion du C. P. L. en date du 3 Odobre 1944.

C.I. No 2 w.. lllIoncollrt," 19 Octeb ... 1944.

Affiche rectificative datée du 19 octobre 1944.

1 le Mouvement Libération, 2 le syndicat chrétien (ouvriers et techniciens), 1 le parti socialiste. Le bureau était formé par

J. Morvan, président ("Front national"), J. Riolfo, vice­président (" O.C.M. "), E. Le Garrec, secrétaire ("C.G.T.") et Duchez, secrétaire-adjoint ("parti communiste").

L'activité du comité, d'abord limitée à la seule usine de Billan­court, fut étendue à l'ensemble des services de la Société anonyme des usines Renault à partir de décembre 1944. Cette décision fut portée à la connaissance du personnel par une affiche du 21 décembre dans les termes suivants:

" Le Comité d'Épuration des usines Renault achève la tâche pour laquelle il a été constitué. " Il a examiné les cas qui lui ont été régulièrement soumis et a proposé à l'Administrateur provisoire les sanctions susceptibles d'être prises dans le cadre de l'usine; il a, par ailleurs, décidé de transmettre à la Commission Régionale d'Épuration, qui sera constituée par application de l'ordonnance du 16 octobre 1944, les dossiers qui lui ont paru relever de la compétence de cette Commission.

"Il n'a pas échappé, toutefois, tant au Comité lui-même qu'à l'Administrateur provisoire, que la procédure d'enquête n'a pu être appliquée avec la vigueur voulue qu'aux ateliers

COMPOSITION

DU

CO MilE D' EPUR ATI 0 N DES SE RV 1 C ES

DE LA

SOCIETE ANONYME DES USINES RENAULT

Président M. MORVAN Vice·Présidents MM. COURTE

DUPUICH Secrétaire. . M. LE GARREC Secrétaire.Adjoi_n_t___M_. DUCHEZ

TITULAIRES

MM.

C.G.T.

Ouvriers FARGES At. 454

C.G.T.

Techniciens FERRER At. 87 Fédérationdestech. (C.G.T.) LE GARREC S. 938

O.

C. M. CLEES At. 30 Front National MORVAN At. 299 Parti Communiste DUCHEZ S. 961

M. L. N. DECAYE At. 230 lIIouv. Nal. "Prisonniers" DEGUINES AI. 48 "libération" Nord POnEMAIN At. 106

C.F.T.C.

techniciens MERLEN At. 310

C.F.T.C.

ouvriers GIBAULT At. 26 Parti Socialiste LALARDIE At. 106

O. C. M. COURTE S. 910 CHEFS DE D~PARTEMENT

O. C. M. PERRIN S. 805 Mouv." Prisonniers" AUGER Dépt 6

NOUVEAUX TITULAIRES "SERVICES"

O. C. M. DUPUICH S. 818

E. M. F. F.I. LERAY tpernay

SUPPL~ANTS

MM.

CHEZE LE MILLIN BILLEQUEY

DELABORDE CHABAN

PEAUD

CHEVALIER

OLIVIER

DWORZAK

MONARD

O.C.M. RIOLFO At. 55 At. 267 S. 939

At. 95

At. 164

At. 133 At. 228 At. 26 At. 270 At. 1

Dépt37

S.R. DESQUAIRES Dépt 15

F.F.I. Normandie FAIVRE S. 822

Ex-Prisonnier DAULNE S. 830

C f. n" 35 BILLANCOURT. le 21 Décembre 1944.

Affiche annonçant la composition du comité d'épuration de la S.A.U.R.

" Aussi, dans le dessein de créer dans l'entreprise tout entière le climat moral que peut permettre seule une épuration complète des éléments ayant fait p'reuve d'antipatriotisme, l'Adminis­trateur provisoire, après consultation des Mouvements de Résistance, des Organisations Syndicales et du Comité d'Épuration, a-t-il donné son accord à la création d'un organisme capable de connaître et d'instruire les faits de collaboration propres au personnel des catégories susvisées.

" Il convenait que cet organisme comportât les représentants des services techniquement qualifiés pour apprécier des attitudes que la nature même des fonctions commerciales et adminis­tratives rendait plus difficiles à saisir et il convenait également qu'il comportât des représentants des organismes régionaux qualifiés pour situer dans l'ambiance régionale les griefs et faits de collaboration signalés ; pour ces raisons a été fixée comme suit la compétence du Comité d'Épuration des Services qui fonctionnera en respectant la procédure ci-après.

" Le Comité d'Épuration des Services de la Société Anonyme des usines Renault aura compétence :

-pour constituer et transmettre éventuellement aux Commis­sions régionales d'enquête les dossiers concernant le personnel de tous grades des services commerciaux, administratifs, finan­ciers et sociaux de la Société Anonyme des usines Renault, de ses filiales et succursales ;

-pour proposer à l'Administrateur provisoire les sanctions pouvant être prises dans le cadre de l'Usine à l'encontre des personnes sus-désignées, pour faits de collaboration".

Pierre Lefaucheux et l'Épuration

Le 23 septembre, Louis Renault et René de Peyrecave avaient été arrêtés et écroués à Fresnes. Le 27, le Conseil des ministres prononçait" la réquisition en usage" des usines Renault et, le 4 octobre, un arrêté conjoint du ministre de la Production industrielle et du ministre de l'Économie et des Finances nommait Pierre Lefaucheux administrateur provisoire.

Le lendemain ce dernier était présenté à la Direction repré­sentée par Jean Louis et Jean Hubert (16). Après un court entretien peu amène, Pierre Lefaucheux recevait les membres du comité d'épuration. "Son allocution fut brève mais prononcée d'une voix si énergique que nous comprîmes que l'usine serait placée en de bonnes mains [...] (il) nous déclara que le Comité d'Épuration allait avoir un rôle important à remplir et que nos travaux devraient être placés sous le signe du patriotisme et de la justice" (17).

En accédant à la direction de l'entreprise, Pierre Lefaucheux s'était f~xé deux objectifs prioritaires. D'abord procéder " à l'arrêt fictif des livres comptables permettant d'établir ultérieu­rement la balance des comptes que je prendrai en charge" (18); ensuite faire fonctionner immédiatement le comité d'épuration" en attendant la publication du texte de l'Ordon­nance constituant les Commissions d'Épuration et fixant les conditions de leur fonctionnement" (19). Et, s'agissant de ce second objectif, il précisait :

" (La commission d'épuration) examinera les dossiers qui lui seront soumis en procédant le plus rapidement possible aux opérations suivantes :

1) Examen des cas particulièrements graves : délation, adhé­sion aux organismes de combat antipatriotiques, malhonnê­tetés ayant profité à l'ennemi. Ces cas seront soumis à l'Admi­nistrateur provisoire qui statuera aussitôt sur le renvoi éventuel

16) Jean Louis faisait fonction de directeur et Jean Hubert de secrétaire

général. 17) Edmond Le Garrec, art. cité. 18) Arch. S.H.U.R. : "Décision de l'Administrateur provisoire nO 1 du

6 octobre 1944".

19) lb. nO 5 du 11 octobre 1944.

immédiat des coupables, la Commission transmettant bien

entendu, par ailleurs, les dossiers aux autorités judiciaires

compétentes.

2) Constitution des dossiers comportant la comparution

ultérieure devant la Commission, mais ne paraissant pas devoir

nécessiter l'expulsion immédiate des usines.

Pour l'instruction des affaires, la Commission pourra :

1) disposer de laissez-passer permanents pour tous ses membres,

2) utiliser les fournitures de la papeterie de l'usine et faire

imprimer et afficher toutes notes d'information après visa du

texte par l'Administrateur provisoire,

3) compulser et copier au besoin les pièces figurant dans les

dossiers.

L'indemnisation des heures employées aux travaux de la

Commission est assurée :

a) aux membres de la Commission,

b) à toute personne des usines qui sera entendue par la

Commission.

Aucune retenue ne sera effectuée sur les traitements du

personnel payé au mois.

Les travaux de la Commission devront être conduits de

manière à provoquer la punition rapide des coupables tout en

réduisant au maximum la gêne apportée au fonctionnement

des usines ".

Les objectifs tracés étaient donc clairs: agir avec célérité tout

en réservant à l'administrateur provisoire le soin de décider des

licenciements éventuels. Pierre Lefaucheux allait donc suivre,

au jour le jour, les travaux du comité et s'expliquer devant

l'ensemble du personnel quelques mois plus tard.

" Depuis mon arrivée (20), une grande partie de mon temps est

absorbée par l'examen des questions d'épuration, de menées

antinationales ou antisociales, de chefs chassés de leurs ateliers.

Essayons ensemble de voir un peu plus clair dans tout cela.

Certes, je l'ai reconnu tout de suite, car je n'aime pas plus que

vous les Boches ou leurs amis, une épuration s'imposait dans

ces usines: celle de tous ceux qui avaient favorisé l'ennemi dans

l'une quelconque de ses entreprises. Aussi ai-je mis rapidement

au travail une commission d'épuration jouant le rôle de

commission d'enquête qui élimine les dénonciations mal

fondées mais propose des sanctions sur les cas les plus graves et

va même jusqu'à me demander l'expulsion immédiate des

coupables avec transmission du dossier aux autorités judiciaires

des échelons supérieurs. Cette commission me semble bien

fonctionner et je donne volontiers suite, dans l'ensemble, aux

propositions qu'elle m'adresse. Mais je vous demande à vous

aussi de suivre ses directives car, si vous prétendiez vous faire

justice à vous-mêmes en refusant de travailler sous les ordres de

membres de la maîtrise reconnus par la commission dignes de

reprendre un poste aux usines, vous créeriez un désordre into­

lérable. La commission a été prise parmi vous. Elle ne compte,

20) Discours prononcé le ID novembre 1944 devant le personnel réuni dans l'Île Seguin.

j'en suis sûr, que des hommes justes et de bons patriotes. Méfiez-vous donc de ceux qui vous pousseront à prolonger l'agitation après la parution des verdicts et songez que la cinquième colonne sait particulièrement bien prendre le masque du superpatriotisme. Conformez-vous donc aux déci· sions prises, et nous arriverons vite au résultat cherché: justice exacte et égale pour tous, et rétablissement du calme nécessaire à la bonne marche de la production.

Pour les mêmes raisons, n'allez pas trop loin à la suite de ceux qui veulent faire renaître de vieilles querelles en reprochant à certains chefs d'avoir eu, dans le passé, une attitude anti· sociale. Certes, je le sais, l'atmosphère de cette maison n'a pas toujours été saine et je viens vous dire combien j'étais l'ennemi de semblables attitudes. Mais, je vous en prie, laissons de côté rancunes et vengeances personnelles. Cessons de nous attarder sur un passé malheureux et concentrons-nous sur l'avenir. Ne réclamez pas le départ de tous ceux qui ont pris, à un moment donné, le genre de la maison si ce genre·là n'était pas bon. Je m'efforcerai personnellement de donner, • .dans l'avenir, l'exemple de la justice dans la franchise [...J. "

Le Comité au travail

Le Comité veut" frapper vite" et " frapper juste" (21). Mais, pour accomplir sa tâche, il a besoin des membres du personnel. Il les invite donc à dénoncer sans pitié tous les mauvais Français [...J sans haine, sans parti pris" et, s'adressant aux " hésitants, amoureux de la tranquillité", il s'efforce de les convaincre que leur" silence protègerait les coupables" (22). Cependant seront écartées les dénonciations anonymes et, en cas de " dépositions collectives ", le nom et le pointage des plaignants devront être écrits lisiblement (23). Toutefois ces dépositions ne devront viser que les agissements antifrançais dans l'entreprise, à savoir (24)

1) avoir été volontaire pour travailler en Allemagne sans nécessité vitale et y avoir fini volontairement son stage ;

2) avoir montré des sentiments vichyssois ou prohitlériens mar­qués ou avoir appartenu ou milité dans un des groupements suivants: P.P.F., R.N.P., M.S.R., parti franciste, Milice Darnand, L.V.F., Rose des Vents, etc. (25) ;

3) avoir, par la menace, poussé les ouvriers à la production et aux heures supplémentaires et avoir pris des mesures pour intensifier la production ;

4) s'être opposé ou avoir dénoncé les mouvements de résistance ou de propagande alliés dans l'usine ;

21) Affiche aux" Ouvriers, employés, ingénieurs, agents de maîtrise" signée "la Commission d'épuration ", s.d. mais vraisemblablement du 15/20 octobre 1944.

22·23·24) lb.

25) P.P.F. : parti populaire français (Doriot), R.N .P. : Rassemblement natio· nal populaire (Déat), M.S.R. : Mouvement socialiste révolutionnaire (Deloncle), parti franciste (Bucard), L.V.F. : Légion des volontaires français contre le bolchévisme.

5) avoir empêché l'action patriotique de résistance des ouvriers à la production pour l'Allemagne;

6) s'être rendu coupable de dénonciations verbales ou écrites contre les patriotes ;

7) avoir fourni à la Gestapo ou à la police de Vichy des rensei­gements confidentiels sur l'activité politique ou syndicale du personnel de l'entreprise"

Ouvriers. Employés. Ingénieurs

Agents de Maîtrise

La Commission d'Epuration a commencé se. travaux.

EU. a l'Intention d. frapper vite cor en châtiant leI trait.... d'hier .lle élimine ceux qui 1. seraient encore demain.

Elle veut aussi frapper luste. Pour cela, ene a besoin d. YOU" Dénoncez ICIn. pit" tous I.s mauvais français; sans vos dépositions la Commlnlon d'Ipura­tlon ne serait qu'une force aveugle.

Sans haine, sans parti-pris, fait•• votre devoir de patriote.

Hésitants, amoureux d. la tranquillité, campran.s: que vot... III.nc. protilaeralt de. coupables.

Définition des agissements antifrançais dans l'Entreprise:

'" _ Avoir été volontaire pour travailler en Allemagne sans nécessité vitale et y avoir fini volontairement san stage;

2" _ Avoir montré des sentiments Vichyssois ou pro.hitlériens marqués ou avoir appartenu ou milité dans un des groupements suivants : P.P,F. _ R.N.P .. M.S,R, . Parti Franciste _ Milice DARNAND _ LV.F, _ Rose des Vents, etc ...

:r. Avoir par la menace, poussé les ouvriers à la production et aux heures supp16mentair .. et avoir pris des mesures pour intensifier la production; ..' _ S"tre opposé ou avoir dénoncé les mouvements de résistance ou de propagande alli'. dans l'Usine; 5' • Avoir empêché l'action patriotique de résislance des ouvriers à la production pour l'Allemagne; ô' . S"tre rendu coupable de dénonciations verbales ou écrites contre les patriotes; r -Avoir fourni à la Gestapo ou à la police de Vichy des renseignements confidentiels lUI' l'activité politique ou syndical du Personnel de l'entreprise,

Toute déposition doit comporter les renseignements suivants 1

Nom, prénoms, adresse, pointage, atelier ou service du plaignant;

Nom, alelier, service, grade de l'accusé,

En cas de déposition collective, en face de la signature écrire lisiblement le nom et le

pointage des plaignants,

Les dépo.ltlon. sont reçue. ou .ecrétarlat d. la Comml ••lon d'Ipuratlon. (Sali. d. l'ex-Comité Iodai), tous 1•• 1000r. ouvrables de 13 h. 30 à 14 h. ou reml'e à un membre de la Commission ou à un délégué .yndlcal en ce qui conceme le, chantiers extérieurs.

Une déchorg. signée sera remise Immédiatement. 1. numéro d'Inscription

d. la déposition sera fourni au plaignant dons I.s 24 heures. Tout. déposition doit •• fair. sous enveloppe fermée qui n ••era ouverte que par ou d.vont 1••ecrétalr. de la Commission d'lpurotlon. ln ca. d. plainte contr. un membre d. la Commission d'Ipuratlo~ la dé....

lIIIon doit .. faire don. 1•• trol. lours aulvant l'aHlchage d. la pN""" ...... Pa." ce dé.al .11...... 11'Ne• .,......

L'appel aux ouvriers, employés, ingénieurs, agents de maîtrise.

G'est donc à partir de plaintes individuelles ou collectives, déposées avant le 4 novembre 1944 (26), que les dossiers des prévenus sont constitués.

Le Comité, qui assume à la fois un rôle d'instruction et de proposition de sanctions, se réunit plusieurs fois par semaine et parfois même des jours entiers.

26) Affiche du comité d'épuration nO 9 du 26 octobre 1944.

L'échelle des sanctions va de la simple observation au blâme avec inscription au dossier assorti éventuellement d'une mise à pied ou/et une mutation; de la suspension de traitement dans l'attente d'une décision de la Commission régionale, au renvoi sans préavis ni indemnité. Lorsque les faits ne sont pas établis ou même insuffisamment établis, un non-lieu peut intervenir.

Les plaignants, l'accusé et les témoins à charge ou à décharge sont entendus au cours d'une audience qui donne lieu à une confrontation générale. Le Comité délibère pour statuer; ses décisions sont prises à la majorité simple.

Quelques affaires caractéristiques

Parfois l'accusé est absent. Ayant considéré sa cause comme insoutenable, il a quitté l'entreprise ou encore, trop compromis avec l'occupant, il l'a suivi dans sa retraite. Tel est M. B., membre de la Milice de Darnand. Si Mlle M.-T. L. est absente, c'est qu'il est avéré" qu'elle se vantait de recevoir les Allemands et voulait la victoire de l'Allemagne [...] Elle faisait de la propagande allemande" (27), et qu'elle était membre très active du R.N.P. Pour ceux-là le renvoi immédiat, d'ailleurs sans effet réel, était acquis.

Différente est la situation de M. H. " qui faisait beaucoup de propagande allemande (il était interprète) et critiquait l'avance russe". Il est présent avec, devant lui, deux témoins dont l'un à charge. Et il s'explique: " s'il a été interprète c'est à la demande de M. G., administrateur de l'usine; il n'a jamais tenu des propos propagandistes en faveur des Allemands; c'est son chef M. G. N. qui prenait toutes les initiatives en ce qui concernait le travail ; il a dit simplement qu'il fallait fournir un travail minimum afin que les Allemands ne prennent pas le service en mains". La confrontation qui suivra convaincra le Comité qu'il n'y a pas lieu à sanction.

C., chef de département, est accusé" d'activité au cours de la remise en route, à l'usine de Billancourt, de la chaîne des essieux A.H.N. sinistrée au Mans; d'avoir augmenté son activité pendant l'occupation, d'avoir commis des actes et tenu des propos antisociaux ".

Cette affaire va occuper toute la journée du 2 novembre et 29 témoins seront entendus devant un accusé qui se défendra avec âpreté. En conclusion, le Comité proposera un blâme et une mutation. Pierre Lefaucheux commentera sa décision en des termes qui montrent à quel point il possédait le sens de la justice et de l'équité : "Adoptant les conclusions de la Commission d'épuration, il (l'Administrateur provisoire) retire donc à M. C. la direction des départements [...] et lui adresse un blâme qui sera inscrit à son dossier, mais il a la certitude, après échange de vues avec l'intéressé, que ce dernier reprendra le travail à la tête du nouveau département qui va lui être confié dans le nouvel état d'esprit qui doit désormais régner dans cette maison" (28).

V., autre chef de département, était redouté pour sa dureté et son insolence à l'égard du personnel, aussi de nombreuses plaintes avaient-elles été déposées à son encontre et il faudra plusieurs séances au Comité pour démêler les contradictions d'un dossier fort complet.

D'abord pour ce qui concerne la production. Accusé d'avoir été bien au-delà des programmes fixés par le Bureau central,

V. s'en défend et les conclusions du Comité ne seront acquises qu'à une faible majorité, ce qui conduit Pierre Lefaucheux à refuser une sanction car" [...] il estime que les faits reprochés [...] ne sont pas assez caractéristiques pour justifier une suspen­sion de traitement [...] " (29).

Ensuite, en ce qui concerne des transactions commerciales douteuses faites au profit des Allemands ou au sien propre. Pour Pierre Lefaucheux, "l'honnêteté" est une valeur non négociable ; et il sanctionne rudement le 7 février 1945 : " [...]

TABLEAU D'ACTIVITE DE LA COMMISSION D'EpURATION

"'..........' .....1·..." ...50 ."AIIIS IXAMINlis CONCLUIIONI DI LA COMMIIiION

Nitr"'"" P'."hol.....

.......lc.".........Itu..H." ••",l'VII''D.

.\telier 228 Parti volontaire en AUemagne. soi. Renvoi som préavis, disant en remplacement d'un ami désign'. ni indemnité. Employé Su 810 La Commiuion d'Epuration constotant Renvoi sans préavis,

~~:.otmond. d.a,::;d~·,~a" ~~=~Qnd. ni indemnité.

SoUi-ch.fd. Service Déposition non retenue. Non lieu. L'Adminis. Pompier. trateur Provisoire n'a pOl ta intervenir.

Atelier 26 Accusé d'avoir travail", le samedi Nan lieu, L'Adminis_ 19 août 1944 alors que l'ordre de grève troleur Proyisoire n'a insurrectionnelle était décidé par le Gou· pas il! intervenir. vernemenl P(ovisoir. de la République Francaise, Il ressort, ap"s enquite, que Mo en réalité. n'a participé qu'ô une occupolion sons productioA.

Membre P.P.f. Non lieu. l'Adminis_ Accusation reconnue inexacte. traleur Provisoire n'a

pas à intervenir. Membre p, p. f. Non lieu. L'Adminis­Accusation reconnlJe inexacte. trateur Provisoire n'a

pas la intervenir.

Chef d'otel. A.O,C. En plus de son emploi aux Usines, Renvoi IOns priavi.. était employé dans une entreprise tra­ni indemnité. vaillant pour le compte de. ollemonda.

Conlremattre Attitude antisociale et anlifrançai.e Renvoi .ans préavis. Atelier 320 envers les ouvriers de son otelie" ni indemnité,

Reconnoit itre P.P.F. et avoir fait de Renvoi son. préavis, Service 966 la propagande en faveur de la collabo-ni indemnité. ration. Chef ouvrier Mauvai.. attitude envers le. olNrie". lenvoi sons préavis.

Atelier 320 Impoli, Menace. d'en'tOyer deux ouvrie" ni indemnité. en rai_ en'Allemogne (pétition .ionée par 50 ou-son de. menac•• yrie,.). d'envoi en AUemo­

one'l:so~~!~!~s~ntre

Chef dll Intensification de la proc:Illction. Non lieu. l'Admini..

Chronométrage A.O,C, troteur Provisoire n'c: pas b intervenir.

SlIrveillan' Membre du P. P. F, Non lieu. L'Adminia. Accusation reconnlle faUSSe por la trateur Provisoire n'a Commission d'épuration, ap!"ès audition pas à intervenir. des témoins,

Volontaire pour le t,ovoU-en At!.-Renvoi avec préavis. Electricien, Atelier 97 magne.

Menée. ontinationa .... Renvoi sons préoyis,

5\I,.,.illo'" ni indemnité. Il appartient à la Commission d'exer­cer elle-m'me le. poursuite. Îlldiciairea.

Membre du R. N, p, lenvoi lonl préavil, Chef de Servie. (Sce 832) Propagande antinationale. ni ind8fMité.

le I~~;:·tlm. p!"Uenté à l'U'' dePlli.

1tiANC0Wf, .. Il 0ctMr. "44.

Co L N'4

Une des 54 affiches publiées par le comité d'épuration.

27) Les extraits qui suivent proviennent du cahier des procès-verbaux du 28) Affiche du comité d'épuration nO 28 du 5 décembre 1944. comité d'épuration -Arch. S.H.U.R. 29) lb. nO 43 du 7 février 1945.

sur le plan commercial, M. V. a déployé une activité dans un domaine dont ses fonctions de chef de département auraient dû le tenir éloigné. Comme certaines des transactions [...] ont procuré à leurs bénéficiaires des avantages matériels consi­dérables, (il est décidé) de priver la Régie Nationale, avec le préavis d'usage, des services de M. V. démontrant ainsi sa volonté que tous les membres de la Régie Nationale des Usines Renault, quel que soit leur grade, évitent, à l'avenir, le retour de semblables errements" (30).

Un jugement de ce type sera rendu à l'égard de M, A., chef de département, malgré ses titres de résistant : " Le Président­directeur général estime que, dans le domaine de la produc­tion, les faits isolés qui sont reprochés à M. A. sont très large­ment compensés par une attitude générale de freinage de cette même production d'une part et, d'autre part, par sa belle attitude antiallemande et son action dans la Résistance. Par contre, il estime que M. A., en s'intéressant -bien que par personne interposée -à une entreprise de camionnage, a commis une faute professionnelle qui a eu des conséquences particulièrement regrettables du fait de la réquisition ulté­rieure, par l'armée allemande, de deux véhicules industriels. Il décide, en conséquence, de priver la Régie Nationale des services de M. A. " (31)_

Les volontaires pour le travail en Allem(igne (32) étaient parti­culièrement visés, tout au moins ceux qui avaient repris leur poste à Billancourt. Pour eux, une seule sanction : le renvoi immédiat. Néanmoins le Comité ne refusa pas de tenir compte des situations particulières. Des acquittements furent prononcés. C. par exemple, qui, après avoir séjourné en

30-31) lb. nO 43 du 7 février 1945. 32) Rappelons qu'ils étaient 446.

Allemagne de novembre 1940 à avril 1941, eut par la suite une " belle conduite dans la Résistance au cours de laquelle il a participé activement à des coups de main certifiés par le colonel RoI-Tanguy" (33) ; ou encore B. dont" le départ en Allemagne a permis le retour de son frère prisonnier père de trois enfants" (34).

Pour d'autres qui bénéficieront de circonstances atténuantes (charges de famille, mutilations du travail), ce sera un blâme assorti d'une amende à verser au Comité des prisonniers et déportés. Par contre, des femmes seront blâmées pour avoir été rejoindre leurs époux prisonniers et d'autres seront licenciées parce qu'elles auront accompagné leurs conjoints requis au titre du S.T.O.

En décembre 1944, le Comité prononcera la réintégration de 13 licenciés, il aura tenu compte " pour établir ses nouvelles conclusions, de la situation de famille des intéressés, des circonstances pouvant avoir provoqué leur départ en Allemagne et de la date des jugements fixant les premières sanctions " (35). Il reconnaissait ainsi qu'il avait peut-être été un peu hâtif dans le prononcé de ses premiers jugements.

Le bilan

Comme l'indique le tableau ci-contre, le comité d'épuration eut à connaître de 270 affaires, non comprises celles concer­nant le réseau commercial (36), soit 1,5 % de l'effectif total de l'usine. Soixante-sept non-lieux intervinrent. Les sanctions qui

33) Affiche du comité d'épuration nO 22 du 27 novembre 1944. Roi-Tanguy

était chef des F. F. 1. pour la région Île-de-France. 34) Affiche du comité d'épuration nO 34 du 5 décembre 1944. 35) lb. nO 39 du 27 décembre 1944. 36) Pour ce dernier, Il affaires nous sont connues dont 3 se conclurent par des

non-lieux.

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES SANCTIONS PRONONCÉES PAR LE COMITÉ D'ÉPURATION

RÉPARTITION DES SANCTIONS PRONONCÉES

GROUPES PROFESSIONNELS Effectif Nombre de cas traités Nombre de non-lieux Nombre de cas sanction­nés Blâme Amende Mutation Déclas­sement Suspen­sion de traitement Nombre de cas soumis à la C. Rég. Renvoi Départ volontaire % sanction.! effectif de la catégorie

Chefs de département 38 14 3 Il - - 1 - 2 6 2 - 28,9

Chefs de service 73 8 1 7 - - - - - 3 4 - 9,5

Chefs d'atelier ou de fabrication 185 39 14 25 3 - 2 1 - 6 13 - 13,5

Contremaîtres et chefs de section 529 26 14 12 2 - - 2 - - 8 - 2,2

Chefs-surveillants Il 4 - 4 - - - 1 - - 3 - 36,3

Surveillants 36 4 3 1 - - - - - - 1 - 2,7

Chefs d'équipe et maîtres-ouvriers 1 146 31 17 14 3 - 1 3 - - 7 - 1,2

Employés 2648 21 4 17 2 - 1 - - - 13 1 0,6

Gardiens 256 4 2 2 1 - - - - - - 1 0,7

Ouvriers 12985 119 9 110 14 29 3 - - - 33 31 0,8

Total 17907 270 67 203 25 29 8 7 2 15 84 33

SOURCES affiche du comité d'épuration nO 40 du 3 janvier 1945 et cahier des procès-verbaux des séances du comité.

Les chiffres figurant dans l'affiche nO 40 ont été complétés pour tenir compte des jugements intervenus ultérieurement.

frappèrent les 203 autres cas se répartirent en 117 renvois ou départs volontaires (?), 71 peines diverses et 15 transmissions de dossiers à la Commission régionale.

Les catégories professionnelles les plus touchées furent celles des chefs de département, des chefs d'atelier et des chefs de service; les moins atteintes, les employés et les ouvriers.

La sanction suprême: le renvoi, fut appliquée plus rudement aux employés (82 % des sanctionnés), aux ouvriers (58 %), aux chefs d'atelier et contremaîtres (56 %), aux chefs d'équipe (50 %), qu'aux chefs de département et de service (33 %).

La transmission de dossiers à la Commission régionale ne concerna que les cadres supérieurs et les chefs d'atelier. Le blâme fut prononcé surtout pour le personnel ouvrier, et l'amende, exclusivement à l'encontre de ce dernier.

Vite et juste

Parmi les problèmes soulevés lors de la Libération, c'est certai­nement celui de l'épuration qui a suscité le plus de passions. " Châtier les traîtres" constituait une exigence nationale una­nime mais, dans l'entreprise, s'ajoutait une volonté, manifestée par une agitation permanente, de "faire payer" certains agents de maîtrise auxquels il était reproché une attitude " antisociale" ou encore la responsabilité qu'ils avaient pu assumer en novembre 1938.

En suscitant la création du comité d'épuration, les organi­sations de Résistance et les syndicats reconstitués répondirent à l'attente ouvrière. Le mérite de Pierre Lefaucheux fut d'installer rapidement le Comité en lui fixant comme objectif d'agir vite et juste. Mais en se réservant de juger en dernier ressort, il affirmait sa prédominance dans l'exercice du pouvoir et son désir d'obtenir l'adhésion du personnel ouvrier à la reprise de la production.

Sous l'impulsion de Pierre Lefaucheux, le Comité agit rapi­dement. Installé en octobre 1944, il termine ses travaux en avril 1945 ; entre-temps il aura publié 54 affiches faisant part au personnel de ses décisions. Il travaille avec un souci indé­niable de justice. Il constitue les dossiers avec soin et sérieux; il entend, souvent longuement, les plaignants comme les accusés et les témoins; ses sanctions sont prononcées avec discer­nement et il n'hésitera jamais, passé la période la plus passion­nelle, à modifier certains de ses jugements.

Dans un article publié dans le deuxième numéro du " Bulletin d'Information", Jean Morvan pouvait écrire :

" (Notre) tâche fut des plus ingrates et nous n'ignorons pas les critiques que soulevèrent parmi nos camarades certaines déci­sions prises par les membres de la Commission. La perfection n'est pas de ce monde, mais nous avons conscience d'avoir toujours agi avec le plus grand souci d'objectivité. Dans les nombreux témoignages que chaque affaire provoquait, il nous a fallu discriminer le vrai du faux, écarter les dépositions douteuses, et éviter que des rancunes personnelles ne viennent fausser les motifs d'accusation. Toutes ces difficultés, nous avons essayé de les surmonter, en étudiant avec le plus grand soin les affaires que nous avions à examiner. Le doute a toujours joué en faveur de l'accusé et ce n'est que sur des preuves formelles que la Commission a appuyé ses conclusions. "

Et Jean Morvan concluait: " Nous n'avons plus maintenant qu'à nous mettre tous ensemble au travail de rénovation qu'exige le relèvement de la France".

Gilbert HATRY