05 - Le dossier de la 4 CV (2e partie) : Organisation et équipement des fabrications mécaniques 4 CV

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Le dossier de la 4 CV (2e partie) : Organisation et équipement des fabrications mécaniques 4 CV

Pierre DEBOS

La cadence parut d'abord énorme et les services commerciaux furent réti­cents. Elle était cependant parfaite­ment justifiée, le résultat étant que le modèle, dont la fabrication s'arrêta en juillet 1961, a été construit en 1 150550 exemplaires, donnant de telles satis­factions 'à la clientèle que fut alors amorcée cette «fringale» des moyens de locomotion individuels qui n'a cessé depuis de se développer.

Il faut d'ailleurs ajouter que certains organes, tels que le moteur ou des éléments de la transmission et de la suspension, ont été utilisés pour des modèles qui ont succédé à la « Quatre Chevaux» et sont parfois encore fabri­qués en série à ce jour.

A cette époque, j'étais Directeur des méthodes et disposais d'un état-major fort compétent : Derungs à la pré­paration, Pierre Bézier au bureau d'études d'outillage, Jolard au chrono­métrage, etc. Toute l'étude et le lan­cement du matériel spécial, machines et outillage, fut assurée par Pierre Bézier qui s'était déjà distingué dans cette voie avant la guerre, et devait brillamment réussir dans cette nouvelle tâche. L'article qu'il a écrit à ce sujet constitue un panorama complet de la création de cette partie capitale de l'équipement de fabrication de la

«Quatre Chevaux ».

Je me chargeai moi-même du choix et de l'achat de nombreuses machines de production et d'outillage dont beau­coup furent acquises aux U.S.A. au titre du plan Marshall. Parmi les plus importantes je citerai :

-les tours automatiques mono ou multibroches pour le travail dans la barre ou en mandrin;

-les tours verticaux à broches mul­tiples (Bullard);

-les tours semi-automatiques à tou­relie;

-les tours speciaux pour vilebre­quins (ligne et manetons) ;

-les fraiseuses de production à cycle automatique;

-les fraiseuses avec système de re­production pour les outils d'emboutis­sage;

-les machines à rectifier (intérieur et extérieur) à cycle automatique;

-les machines à rectifier les vilebre­quins (ligne d'arbre et manetons) ;

-les machines à rectifier les cames;

-les machines à rectifier planes, cir­culaires ou rectilignes de production et d'outillage;

-les machines à tailler les engrena­ges cylindriques par fraise-mère ou couteau circulaire;

-les machines à raser les engrena­ges cylindriques (shaving);

-les machines à tailler les engrena­ges coniques à denture rectiligne ou spirale, avec leurs machines complé­mentaires à roder, vérifier, tremper, affûter les outils, etc. ;

-les machines pour brochage inté­rieur ou extérieur;

-les machines pour pierrage inté­rieur;

-les machines à équilibrer dynami­quement les pièces en rotation, vile­brequins, volants, etc.

Parmi les tendances et directives qui présidaient à l'étude ou au choix des moyens de production, les principales furent les suivantes:

-Nouvelle conception du groupement des moyens de production, non plus par types de pièces (cylindres, bielles) utilisées sur plusieurs types d'organes, mais par type d'organe, et, en l'occur­rence, pour tout ce qui entrait dans la composition des «Quatre Chevaux".

Avantages : changement des caden­ces, manutention et stockage.

Facilités : réduction des en-cours; conditions meilleures pour l'obtention de la cadence, de la qualité et du prix de revient optimal (qu'on pouvait ainsi mieux connaître).

-Le mot "automation" n'était pas encore « forgé " mais l'étude des moyens de la production de la « Qua­tre Chevaux» fut largement dominée par le souci d'une plus grande auto­matisation.

-Bénéfice du Plan Marshall et ap­point apporté par des machines récu­pérées en Allemagne, après la fin des hostilités (mission D.F.A.).

-Acquisition de machines pour mo­derniser les ateliers d'outillage (tours semi-automatiques, machines à aléser, à pointer, rectifieuses planes, raboteu­ses, etc.).

-Création d'une section de méthodes pour les traitements thermiques tra­vaillant en liaison avec le laboratoire. Etude des problèmes d'usinabilité.

-Renforcement des moyens d'étude des implantations en vue d'améliorer la disposition des machines, les moyens de manutention des pièces, des dé­chets, des liquides de coupe (rôle de Gaston Armand Michelat).

-Importance capitale à donner aux problèmes relatifs aux outils de coupe: conception, rigidité des fixations, affû­tage, vérifications, etc.

-Création d'un véritable «esprit Quatre Chevaux» par l'acceptation par tous les participants d'un climat de bonne entente. Rôle joué par le chef de département (P. Pommier), le service du contrôle, le service des achats, le département d'entretien et d'installation.

Les tendances, directives générales ou décisions que je viens d'énumérer découlaient soit de ma propre expé­rience, soit des enseignements que j'avais pu tirer de mes voyages aux

U.S.A. (voir à ce dernier sujet l'article paru dans le bulletin n° 8, tome 2, de la Section d'Histoire des Usines Renault).

Si l'on devait m'attribuer un certain mérite dans la conception et la mise en œuvre de l'outil de fabrication de la « Quatre Chevaux », il faut, je crois, l'attribuer au fait que, connaissant les limites de mes compétences j'ai fait confiance aux divers spécialistes et leur ai permis d'agir et de prendre leurs responsabilités.

Cette attitude m'était inspirée de celle de notre patron, Pierre Lefaucheux, qui fut le grand artisan de cette entre­prise dont la réussite donna véritable­ment le «coup d'envoi» à la prospé­rité de la Régie Renault.

Ce grand patron dont la fin tragique en 1955 nous a bouleversés, mérite l'hommage de tous ceux qui l'ont connu ou ont pu apprécier sa culture et ses exceptionnelles qualités.

C'est lui qui créa ce climat d'enthou­

siasme dans le travail et je garde le

souvenir ému de ces réunions à trois

où, avec Pierre Bézier, et dans une

atmosphère parfaitement détendue,

nous échangions nos idées sur les

problèmes de la «Quatre Chevaux »,

conversations parfois entrecoupées

par des échappées sur la littérature,

la musique, la peinture ou même l'hu­

mour.

Pierre Bézier fut aussi un des grands artisans du succès en créant l'équi­pement spécial (machines-transfert et autres) déjà hautement automatisé, qui hissa la fabrication automobile française au niveau technique de l'in­dustrie américaine.

Parmi beaucoup d'autres de ces ani­mateurs -je n'en citerai que quel­ques-uns -il faut nommer Berthon­net et Berthelot, collaborateurs de

P. Bézier; Blonde, l'électricien qui contribua efficacement aux progrès de la mécanique; Paul Pommier, chef du département mécanique de la «Qua­tre Chevaux» qui sut mettre les hom­mes à côté des machines -ce qui n'est pas toujours si facile -Derungs, le chef des méthodes mécaniques; Henri Perchat et Jean Fauquembergue, les fondeurs; Jean Husson, le forge­ron; Armand Michelat, l'homme des implantations; P. Neuville, le construc­teur des machines et des outillages.

Beaucoup parmi ceux que je viens de citer nous ont quittés. En terminant cet exposé, je salue leur mémoire et, me tournant vers ceux qui les ont remplacés, vers la nouvelle généra­tion, je les incite à suivre leur exemple et à poursuivre l'impulsion initiale qu'ils ont donnée dès son origine à la Régie Renault, afin que celle-ci reste -sur le plan de la technique -le numéro un de l'Industrie Auto­mobile Française.

Pierre DEBOS.