08 - L'Automobile de France

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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L'Automobile de France

L'album" L'Automobile de France "

Les souvenirs" À bâtons rompus" de l'ami Paul Grémont, publiés dans le numéro 23 de décembre 1981, m'ont remis en mémoire notre participation à la préparation de l'album " L'Automobile de France" imprimé pour la Régie en juin 1951 par Draeger Frères.

Un matin de début 1950, Pierre Lefaucheux me fit appeler dans son bureau. Une dame était assise sur une chaise devant le bureau.

-Madame Louise de Vilmorin, je vous présente Fernand Picard, notre Directeur des Études, le père de la 4 CV. C'est un ami qui pense qu'on peut tout mettre en équation, la tempête, les marées et l'amour.

La dame se leva, et me tendit la main en souriant.

Pierre Lefaucheux m'expliqua alors qu'il avait fait le projet de publier un album sur la Régie, afin de montrer au grand public, et en particulier aux personnalités politiques françaises et étrangères, l'effort de modernisation qui avait été réalisé au cours des années qui avaient suivi la nationalisation. Il était encouragé par André Malraux qui lui avait indiqué que Mme Louise de Vilmorin pourrait s'intéresser à ce projet, et le présenter au public par une introduction de sa plume.

Il me demandait, si elle acceptait, de lui faire visiter les usines, et de lui fournir tous les renseignements dont elle pourrait avoir besoin.

Quelques jours plus tard, il m'informait que, effrayée par cette tâche, vu son incompétence industrielle, elle avait renoncé à l'entreprendre. Il désirait connaître mon avis sur la personnalité littéraire qui me semblait la plus qualifiée pour la remplacer.

Au cours de notre voyage aux États-Unis de la fin juin 1946, nous avions parlé longuement de nos lectures des écrivains contemporains, et nous nous étions découvert une admiration commune pour Georges Duhamel et Jules Romains dont les œuvres avaient enchanté nos loisirs de l'avant-guerre. Ces deux noms furent donc les premiers que je citai.

Ce fut Jules Romains qui retint notre attention par son sens des réalités industrielles, économiques et politiques qu'avaient révélé les 27 volumes des" Hommes de bonne volonté".

Georges Duhamel, dont nous admirions le style, nous apparais­sait, aussi bien dans ses" Salavins " que dans ses autres œuvres, et en particulier dans les " Scènes de la vie future" comme dans ses" Querelles de famille" et " Les Pasquier ", un adver­saire du progrès industriel.

Un matin de février 1950, Pierre Lefaucheux me demandait de réserver mon déjeuner du 17 pour rencontrer Jules Romains, et mon après-midi du mème jour pour un entretien avec luÏ-

Le 17 février 1950, nous partîmes donc de Billancourt en voi­ture pour la place de l'Alma, une table ayant été réservée chez Francis. Pierre Lefaucheux au volant, Bernard Vernier-Palliez à côté de lui, Jules Romains à ma gauche aux places arrière.

Pendant ce court trajet j'eus l'occasion de dire à mon voisin que j'avais été surpris par la précision de ses informations sur des points que je connaissais bien, en particulier sur le fait que Edmond Maillecotin avait quitté Renault, où il était tourneur à l'Outillage central, parce qu'il y avait des courants d'air perpétuels.

-Je voulais décrire en Edmond un bon ouvrier douillet, et pour le caractériser, l'idée m'est venue de cette conversation que j'avais entendue dans le métro en écoutant des ouvriers parler de leur boulot. Avant d'écrire les" Hommes" je me suis documenté plus de vingt ans, faisant des fiches, écoutant les conversations de gens dans tous les milieux où je pouvais accéder.

Et comme je lui disais que nous étions nombreux à regretter qu'il eùt arrêté au 7 octobre 1933 cette fresque, il me répondit:

" Mon projet était de peindre vingt-cinq ans de notre société. Je m'y suis tenu. Mais vous aurez peut-être une surprise un jour

en retrouvant certains de mes personnages (1) ".

Le repas fut amical et animé. La conversation de Jules Romains était passionnante. On parla de la situation générale, des États-Unis où il avait résidé pendant la guerre, de la vie des usines, des" Copains ", des" Hommes de bonne volonté ", de " Knock ". À la fin du repas il donna un accord de principe à sa participation à l'album, se réservant de confirmer après les visites et les contacts qu'il aurait.

De retour à l'usine, il monta à mon bureau où je lui fis dédica­cer le premier volume des" Hommes de bonne volonté" que j'avais apporté, et nous fîmes un plan des visites et des contacts ultérieurs qu'il désirait avoir.

Comme il avait désiré rencontrer des cadres supérieurs sortant du rang, ce fut d'abord un déjeuner au Mess des cadres avec Mars, Jeanne et Clées qui avaient débuté comme ouvriers. On y parla beaucoup de la vie sociale à Billancourt, du temps de Louis Renault, pendant l'occupation et depuis l'arrivée de Pierre Lefaucheux.

Après ce déjeuner nous visitâmes la Direction des Recherches et Jacques Pomey répondit à toutes les questions que lui posait notre visiteur intéressé par tout ce qu'il voyait, aussi bien aux recherches fondamentales qu'aux analyses spectrographiques des échantillons de fonte qui arrivaient des fonderies par pneu­matique avant la coulée dans les moules.

Après ces visites il donnait une réponse enthousiaste.

Pierre Lefaucheux demanda à chacun des directeurs des gran­des directions de faire un court papier sur les activités et les moyens de leurs services, se réservant celui sur les aspects humains de la vie aux usines (Bézier, Debos, Genestoux, Guillon, Pomey, Vernier-Palliez). Le mien est le texte publié de la page 167 à 171.

Parallèlement, d'accord avec Jules Romains, il demanda de collaborer, chacun dans sa spécialité, à des personnalités émi­nentes de l'époque: André Siegfried, de l'Académie Française, géographe et sociologue; Jean Cassou, écrivain, conservateur en chef du musée d'Art moderne; Georges Friedman, profes­seur au Conservatoire des Arts et Métiers, directeur à l'École des Hautes Études.

L'illustration photographique fut aussi l'objet du plus grand soin et confiée à des spécialistes de talent qui surent" traduire par l'image la poésie du travail et de la machine ".

Tous ces éléments réunis il restait à Paul Grémont la difficile tâche de faire réaliser l'album et de trouver l'imprimeur qui, par sa technique, ses moyens et son talent, saurait les mettre en valeur. Il choisit les maîtres-imprimeurs Draeger Frères à Montrouge.

Et ce fut une parfaite réussite qui sortit des presses en JUIn 1951.

Fernand Picard

Septembre 1983

(1) De fait, en 1956, paraissait chez Flammarion: " Le fils de Jerphanion " où l'on retrouvait certains des personnages des" Hommes de bonne volonté ".