08 - DOCUMENT : Action de résistance du groupe O.C.M. des usines Renault au cours de l'Occupation (suite)

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DOCUMENT: Action de résistance du groupe O.C.M. des usines Renault au cours de l'Occupation (suite)

ANNEXE 1

COMMANDE DE PIÈCES DE RECHANGE

POUR CHARS R 35

OCTOBRE 1942 -Nous recevons une délégation d'officiers de l'armée allemande porteurs d'une commande de pièces de rechange nécessaires pour la mise en état de chars R 35 pris à l'armée française en 1940. Cette liste comprend une liste de première urgence de 54 postes et une liste de deuxième urgence de 88 postes pour l'exécution de laquelle il était nécessaire d'utiliser: 30 736 kg d'aciers spéciaux ;

834 kg de cuivre;

432 kg de laiton ;

2 900 kg de bronze ;

2 426 kg d'aluminium;

126 kg d'étain.

(Suite)

Ces officiers insistent très fermement sur la rapidité avec laquelle nous devrons exécuter cette commande dont ils ont un besoin urgent. Un délai de trois mois est indiqué comme maxi­mum. Nous faisons remarquer qu'il nous est impossible d'envisager l'exécution de cette commande, faute de dessins, tous nos dos­siers de calques, y compris les catalogues de pièces de rechange, ayant été détruits au cours du bombardement du 3 mars 1942. Ceci est inexact, nous avons un dossier d'ozacal­ques en sécurité et nous avons les doubles des dessins dans de nombreux ateliers.

22 OCTOBRE 1942 -Visite d'une commission comprenant le conseiller Boie et un ingénieur M. Frankze de la maison Koch et Kienzle. L'ingénieur Frankze est désigné pour suivre particu­lièrement cette affaire. Au cours de cette conférence il nous est promis de nous remettre les collections de dessins saisis par les autorités allemandes dans les services français en 1940 afin de

nous permettre de reconstituer nos collections. Le conseiller

Boie pose la question des matières de remplacement. Nous

marquons de suite, que, étant donné les conditions de cons­

truction de ce matériel, nous ne pouvons pas prendre de res­

ponsabilité sur la tenue de pièces exécutées en aciers spéciaux

de qualité inférieure à ceux que nous utilisons en 1940. C'est

sur ce point que nous pourrons porter nos efforts, au cours des

mois suivants, pour éluder l'exécution de la commande.

29 OCTOBRE 1942 -Nouvelle conférence avec, du côté alle­

mand le colonel Dummler, l'inspecteur Salomon de l'arme­

ment et l'ingénieur Frankze.

Nous revenons sur la question dessins. J'indique qu'il sera

impossible de fournir les premiers dessins avant le 20 novem­

bre, certains dessins étant introuvables, il faudra relever les

cotes sur les pièces que l'armement allemand devra mettre à

notre disposition. Nous soulignons que les substitutions de

matières qui seront envisagées ne seront effectivement applica­

bles que lorsque nous aurons reçu l'accord de l'armement alle­

mand qui dégagera totalement notre responsabilité.

4 NOVEMBRE 1942 -Visite de M. Frankze pour la même

affaire.

25 NOVEMBRE 1942 -Il nous est demandé de fournir un

tableau précisant pour chaque pièce le poids de la pièce finie et

le poids de métal à engager. Une lettre de l'O.K.H., qui nous

est remise par M. Frankze au cours d'une conversation assez

violente, précise:

« On évitera une perte de temps, si le représentant de la firme

Koch et Kienzle pouvait être mis en rapport avec chaque per­

sonne s'occupant de cette question ou avec le bureau d'études,

au lieu d'avoir des entretiens très éloignés de l'endroit où se

trouve la documentation nécessaire ».

Nous réussissons malgré tout à évincer M. Frankze qui s'était

introduit de force au bureau d'études.

1er DÉCEMBRE 1942 -Nouvelle démarche pressante du com­

missaire pour permettre à M. Frankze de prendre pieds dans

notre bureau d'études. Nouvelle opposition de notre part.

4 FÉVRIER 1943 -On nous informe que toutes les pièces de

rechange des chars devront être exécutées avec des métaux de

remplacement et nous marquons à nouveau que nous ne pou­

vons prendre la responsabilité de ces remplacements.

19 FÉVRIER 1943 -Visite du Ministerralrat Dr Hesselbach

qui doit examiner avec nous la question des métaux de rempla­

cement pièce par pièce. Nous insistons sur la gravité des déci­

sions prises en ce qui concerne la tenue. A la suite de notre

insistance, il est décidé qu'aucune décision ne sera prise avant

que des essais soient exécutés sur un char par l'atelier de répa­

rations des chars « Mercedes Benz ».

Nous avons déclaré que n'ayant pas de chars à notre disposi­

tion, nous ne pouvions prendre la garantie de changement sans

que des essais soient effectués.

12 MARS 1943 -Nous demandons communication d'une

norme dont a parlé le Dr Hesselbach au cours de la conférence

du 19 février.

25 MARS 1943 -Demande d'un complément d'informations de la part de l'O.K.H. sur des dessins remis.

30 MARS 1943 -Nous renouvelons que, aucune garniture d'embrayage de remplacement ne pourra convenir pour les embrayages du char R 35 et que la seule garniture qui ai pu donner satisfaction était la garniture « Manhattan» qui était importée des États-Unis.

19 AVRIL 1943 -Réponse à la demande du 25 mars.

20 AVRIL 1943 -Visite de M. Frankze qui examine à nouveau avec nous le cas des aciers de remplacement. Nous demandons à M. Frankze de nous faire obtenir la quan­tité d'acier nécessaire pour la fabrication de pièces à essayer sur les chars. Nous informons M. Frankzeque les radiateurs d'huile en acier qui avaient été fabriqués conformément à sa demande de décembre ont été détruits au cours du bombardement du 4 avril 1943 de l'usine (ce qui est inexact, ces pièces n'ayant jamais été mises en fabrication).

1er JUIN 1943 -Le radiateur d'huile en acier est mis à la dis­position de M. Frankze.

30 JUIN 1943 -M. Frankze nous informe que les essais de radiat~urs ont donné satisfaction. Nous demandons confirma­tion écrite de cette nouvelle avant de passer la commande.

15 JUILLET 1943 -Dans une note nous demandons que les tableaux de remplacement soient examinés par les personnes compétentes de rO.K.H. et nous soient retournés avec un visa officiel de leur accord.

18 AOÛT 1943 -Le Waffenamt qui nous avait donné son accord sur le prototype de radiateur en tôle d'acier nous informe qu'il s'est trop avancé, n'ayant pas reçu accord de Ber­lin à ce sujet et nous demande un complément d'informations.

27 AOÛT 1943 -La société Lavalette nous demande de four­nir un démarreur pour lui servir de prototype pour la fourni­ture d'un démarreur destiné au moteur des chars R 35. Nous répondons qu'aucune machine de ce type n'est disponible dans nos usines ni au magasin de pièces de rechange (ceci est inexact, nous avons des démarreurs de ce type disponibles au magasin moteurs).

15 SEPTEMBRE 1943 -Nous n'avons toujours pas reçu l'acier EC 100 nécessaire à l'exécution des pièces en acier de rempla­cement pour les arbres de commande de barbotins (il y a qua­tre mois que nous avons indiqué que nous exécuterions la com­mande que lorsque nous aurions l'acier en mains).

6 OCTOBRE 1943 -M. Frankze insiste pour que nous lui don­nions les résultats d'essais de soudure de bronze sur l'acier qu'il avait demandé en décembre 1942 et qui devait être destiné à la fabrication des plaques butées d'arbres à cames. Nous lui répondons le 8 octobre que nous n'avons jamais pu, avec la maison Languepin, réaliser cette soudure et que les essais continuent.

ANNEXE II ANNEXE III

GROUPE O.C.M. DES USINES RENAULT

ÉTAT-M1\JOR MM. Cassagnes Georges ...... Agent de maîtrise. Bozzalla Pierre .......... Agent de maîtrise. Bonhomme René ....... Contremaître. Astolfi Charles .......... Chef du département moteurs. RiolfoJean . . . . . . . . . . . .. Directeur des essais spéciaux. Picard Fernand ......... Chef du service bureau d'études. MM. de Longcamp . . . . . . . . . .. Chef du département usinage moteurs Courtes Marcel ......... Chef d'atelier moteurs. Lhomme André . . . . . . . .. Agent de maîtrise. Leroux Gaston . . . . . . . . .. Agent de maîtrise. DeImotte Raymond ..... Chef· pilote Caudron-Renault.

SERVICE DE RENSEIGNEMENTS MM. Félix Louis Hyacinthe Jean Sançon René Pollet Gustave Cardinal Noël Gros André MM. Monard Daniel Cutard Roger Dick Alfred Clees Roger Chirat Pierre Gougne Jacques

AUTRES MEMBRES DE L'O.C.M. FAISANT PARTIE DES USINES MM. Dupuich . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. Chef du service renseignements techniques Perrin ....................... Chef du service marchés Wintenberger ................ Ingénieur au bureau d'études 1 Ces 3 membres de l'O.C.M. ont surtout eu une action en dehors des usines

6 NOVEMBRE 1943 -Le bureau d'armement allemand trou­vant que nous n'avons pas encore été assez loin dans les change­ments de matiçres nous demande le remplacement des matiè­res prévues pour trois pièces.

8 NOVEMBRE 1943 -Le commissaire aux économies nous retourne les tableaux remis précédemment qu'il devait viser pour couvrir notre responsabilité dans l'exécution de nos piè­ces. Il n'a pu s'y reconnaître dans nos désignations d'aciers et demande que nous adoptions des aciers conformes aux indica­tions du Comité d'organisation de la sidérurgie.

10 DÉCEMBRE 1943 -Les services de fabrication nous demandent de préciser en quelle matière devront être exécu­tées les bagues de frottement des 800 balanciers qui sont arrê­tées en fabrication par manque de précisions de la part du bureau d'études. Nous répondons le 10 décembre que nous

sommes dans l'impossibilité de donner une réponse, les pièces

d'essais étant remises à Daimler-Benz le 17 mars 1943, et

aucune réponse ne nous ayant été remise depuis.

13 DÉCEMBRE 1943 -Après un nouvel examen des tableaux

de pièces, nous signalons que nous n'avons toujours pas reçu

l'acier EC 100 pour l'exécution des pièces d'essais, qu'en consé­

quence cette question reste en suspens.

Nous indiquons la conclusion que nous passerons une spécifica­

tion aux services de fabrication que lorsque nous aurions une

réponse aux questions posées.

2 MARS 1944 -Nous sommes informés que les essais effectués

par Daimler-Benz avec les bagues de balanciers en matière de

remplacement ont donné satisfaction.

Nous sommes informés en même temps que la commande de

pièces de rechange est annulée, ces pièces étant maintenant

sans objet.

REMARQUESSURLERAPPORTSUR L'ACTION DE RÉSISTANCE DE L'O.C.M. AUX USINES RENAULT

Certains qui n'ont pas vécu les dures épreuves de l'Occupation en zone occupée se sont étonnés que l'O.C.M. ait agit aux usi­nes de septembre 1940 à août 1944 en trois groupes séparés, s'ignorant totalement, et qu'il ait fallu l'aube de la Libération de Paris pour qu'ils se fondent dans l'action finale. Chacun de ces groupes agissait dans le domaine qui lui était propre : les cadres supérieurs, qui avaient la plupart des contacts avec les dirigeants du mouvement apportaient des renseignements sur le programme des usines, sur les difficultés d'approvisionne­ment, et freinaient la production en utilisant au maximum ces difficultés et les effets des bombardements. Les cadres moyens, qui avec les ouvriers relevaient de l'O.C.M. par M. Duval, patron du café-tabac du boulevard Jean-Jaurès exerçaient leur action de freinage de la fabrication dans les ateliers .. Les ouvriers sabotaient les installations en faisant sauter les fours des fonderies et le gazogène, et les camions en mettant dans l'huile des moteurs et des boites de vitesses et dans les réservoirs d'essence du sable et des sciures, et en mélangeant les aciers ordinaires et les aciers spéciaux.'

Il faut se souvenir de l'atmosphère qui régnait dans les bureaux et les ateliers pour comprendre ce cloisonnement et savoir com­bien les commissaires allemands qui contrôlaient l'usine et la Gestapo recevaient dès la fin 1940 des lettres anonymes dénon­çant les résistants. Les séquelles de~s grèves de 1936 et surtout celles beaucoup plus dures de 1938, l'attitude étonnante du parti communiste français après l'accord germano-soviétique du 23 août 1939 et pendant la « drôle de guerre» et la pre­mière année de l'Occupation, notamment celle de 1'« Huma­nité Clandestine» (1) justifiaient la méfiance qui existait entre les trois catégories du personnel.

Quant à la direction générale des usines, incarnée surtout par

René de Peyrecave, elle était muette. Elle n'ignorait pas

l'action de résistance des cadres. Personnellement je ne cachais

. mes sentiments ni à de Sèze, ni à de Longcamp qui lui étaient

apparentés, ni mes contacts directs avec le commandant

Landry (alias Aimé Lepercq). A aucun moment, il ne m'en

parla au cours des années 1940 à 1944. J'ai l'impression qu'il

approuvait notre action.

Quand dans la nuit du dimanche 20 août, les forces de l'O.C.M. (2) s'opposèrent à l'occupation des portes principales par des éléments se recommandant de la Fédération des métaux, et que je lui annonçai à son arrivée aux usines le 21 vers 9 heures, il demanda que nous portions à 40 le nombre des gardiens à brassard tricolore F.F.I., et me fit un bon de caisse de 20 000 francs pour couvrir leurs dépenses de nourriture.

A la conférence du même jour à Il heures des chefs de service, il annonça que « l'usine s'est mise sous la protection des Forces françaises de l'intérieur» ne parlait pas de l'O.C.M. pour ne pas provoquer les autres organisations de résistance (Front national -Syndicats -Partis socialiste et communiste).

Fernand PICARD

(1)

L'" Humanité Clandestine» -Tome 1 -Éditions sociales françai­ses -Paris.

(2)

Dans" de Renault Frères à Régie Nationale» -37 années aux usines' Renault -Le Carrec -Tome 2 -nO 9 -Décembre 1974 -journal clandes­tin -F. Picard -Tome 3 -nO 18 -juin 1979.