03 - L'Usine 0

========================================================================================================================

L'usine O

M. DESQUAIRES

Louis RENAULT qui fabriquait des mo­teurs d'aviation depuis 1907 en sortait 25 par jour dès le début de la guerre 1914-1918 mais il fallait aussi des avions. Pour les réaliser il créa des ateliers spéciaux. C'est ainsi que na­quit l'Usine O.

Sa construction a commencé en 1916 en bordure de la Seine, à la limite des anciennes fortifications ceinturant Paris au lieu-dit «Le Point du Jour" sur le chemin de grande communication nO 1 de Paris à Saint-Denis (actuellement Quai du Point-dû-Jour).

Elle était entourée de maisons mo­destes et leurs petits jardins. Guin­guettes avec leurs balançoires, jeux de palets «à la grenouille", petits bals ont longtemps subsisté.

Le dernier petit «bistrot", cabane en planches enfouie dans le creux d'un fossé, existait encore en 1930.

Les bateaux parisiens dits .. Bateaux Mouches" de la ligne Charenton-Pont de Sèvres déversaient au ponton du «Point du Jour" leur clientèle de chaque jour, augmentée le dimanche de très nombreux promeneurs.

A l'endroit où prend naissance au­jourd'hui la voie d'accès aux quais (voie sur berge) se trouvait la «bar­rière", grille et poste d'octroi de la ville de Paris. La grille était fermée la nuit. Voyageurs en voitures (hippo­mobiles ou à essence) devaient s'y arrêter. Pour ces dernières le contenu du réservoir devait être déclaré. Un ticket portant mention de la quantité

d'essence était délivré par l'employé préposé. Au retour (rentrée à Paris) un droit était perçu pour l'excédent.

La même réglementation s'appliquait à certaines marchandises. Les trans­ports et passants porteurs de paquets devaient, sous peine de contravention, en faire déclaration.

La suppression de ces tracasseries se situe aux environs de 1930. Les acti­vités des Usines RENAULT, «grande USine", se diversifiant et augmentant très rapidement, devaient entraîner «ipso facto" celles de l'Usine 0 et, aussitôt après l'Armistice de 1918, voir la transformation radicale de ce coin de banlieue.

LES ACHATS ET LOCATION DE TERRAINS

Louis Renault qui avait commencé à acquérir des terrains, dès 1913 au « Point du Jour" continue, de la façon suivante,

à en accroître la superficie jusqu'en 1938 :

en 1913 pour un ensemble de ............ . en 1916 pour un ensemble de ............ . en 1917 pour un ensemble de ............ . de 1922 à 1926 pour un ensemble de de 1927 à 1928 pour un ensemble de ..... . de 1930 à 1938 pour un ensemble de ..... .

location concédée par la ville de Paris sur terrain en limite de Billancourt ............ .

atteignant ainsi une surface totale de ..... .

m2

14500

m2

8391

m223032

m2

3037

m2

24017 10185 m2

m2

18000 m2

101 162

Cette évolution par parcelles donne une idée des transfor­

mations progressives :

9 acquisitions variaient entre 100, 150, 200 m2 •

11 acquisitions variaient entre 600 à 800 m2 •

10 acquisitions variaient entre 1 000 à 2000 m·2 •

8 acquisitions de 3 000 et au-dessus.

Achetées pour la plupart directement par le Directeur­Administrateur de l'époque, M. S. GUILLELMON, lequel avait la réputation bien établie de tenir les cordons de la bourse extrêmement serrés.

CONSTRUCTIONS ET AFFECTATIONS

SUCCESSIVES DES BATIMENTS

Le plan A montre l'évolution de la construction des bâti­ments depuis l'origine jusqu'en 1923 et le plan B repré­sente l'usine 0 en 1969.

Avant de passer à l'examen détaillé des fabrications réali­sées à l'Usine 0 le tableau ci-dessous fait apparaître l'ordre dans lequel des affectations différentes ont été don­nées successivement aux divers bâtiments :

• Aviation 1916-1919 bâtiments...... 0.1, 0.4

Fabrication : Torpédos, Conduites Inteneures ...................... /

Assemblage carrosseries camion­nettes 500 kg, 800 kg et 1 000 kg .. \ 0.4

Assemblage caisses camions, cars tous types ..................... .

Préparation Estafettes ........... .

Assemblage camions 7 t .......... !

'. Peinture -Équipement camions, cars, 0.1 fourgons 1 000 kg, Estafettes ..... .

Plan A -Évolution de l'usine de 1917 à 1923.

P.NN~ES

1RR

Charpentes en fer .............. . 0.11 •Atel;e" de confeCMn-j

1er atelier de réparation préparation de sellerie

2' êtage ~

0.8

(atelier nO 118) ................ .. 0.2C

tous types série ......

• Stockage des grumes ........... . 0.13

• Ateliers de sellerie luxe 3e étage.

Scierie -Débit menuiserie ..... . 0.10, 0.14

Parc séchage des bois débités en plateaux ....................... .

Petit entretien ............... , .. .

Acétylène ...................... .

1er atelier principal de réparation

carrosserie ..................... . Équipement et peinture voitures spéciales ................... . Usinage tôlerie, pièces détachées Assemblage fourgons 1 000 kg ..

• Centrale thermique et électrique .. 0.3, 0.53

0.68, 0.69 • Vestiaires, restaurant, cantine ..... 0.55 0.66, 0.67

0.23

• ;!~i~e d~e~U;;a~~~ .~I.a.n.s..~~ .~~~r~~~ l 0.50

Ateliers de traçage .............. ~

Usinage menuiserie grande série ..

0.16 0.49

Atelier d'affûtage des scies ...... .

Carrosseries voitures de luxe

0.7

l

• Montage -Assemblage -Équi­

• Service entretien général ......... 1

0.12 pement ......................... 0.6

• Service entretien électrique ...... S

• Peinture et mise sur châssis jus­

Administration 1 1er 't

BtS e age .... . qu'en 1940 ...................... 0.57

0.8

2e

In~i~:~~ec~~ ~~~~................ . • Aviation Caudron pendant la

Magasin central pièces détachées .. guerre mondiale ................. 0.57, 0.49

Plan B -L'usine 0 en 1969.

APRÈS GUERRE :

Fabrication camions 2,5 tonnes

Assemblage camions tous types ..

Assemblage châssis-cabine tous types .......................... .

Usinage -Préparation assemblages tôlerie ......................... .

Ateliers de modelage ........... .

Ateliers de préparation malaxage peintures ...................... .

LES FABRICATIONS

L'Usine 0 assure d'abord (1916-1918) les fabrications d'aviation, construction des ailes, fuselages, etc., à l'exception de tous organes mécaniques moteurs: les 180 CV RENAULT, les 300 CV RENAULT-BRÉGUET type 14 A.Z.

A expiration des marchés d'aviation, la fabrication des carrosseries était entreprise et, pour la première fois dans J'histoire de J'automobile, les Tor­pédos sur châssis 6 CV N.N. furent lancées en série en 1919 et les conduites intérieures 6 et la CV en 1920-1921.

Les mêmes dispositions devaient être prises ensuite pour la fabrication des carrosseries de luxe : conduites inté­rieures, coupés, cabriolets, pour châs­sis 8 CV Mona Six -Mona Stella; coaches, cabs, cabriolets, conduites intérieures, pour châssis 10-15 -18 ­25 CV Viva Six -Viva Sport et Grand Sport; conduites intérieures de pres­tige sur châssis 32 CV à 41 CV, Reinastella, Reinasport, Suprastella; cabriolet grand sport scaphandrier 40 CV.

A partir de 1936, à la demande d'une certaine clientèle, étaient également traitées des voitures avec équipements et garnitures spéciales et en parallèle les véhicules industriels : fourgons bois tôlés, fourgonnettes boulangères fourgonnettes marchandes pour châs­sis 500, 800 etl 000 kg; fourgons métalliques pour châssis 1 000 kg ; ca­mions tous types de 1 à 7 tonnes; cars de 12 à 40 places; véhicules mi­litaires divers de 750 kg 4 X 4, 7 ton­nes; estafettes.

A l'intérieur de l'usine existaient éga­Iement :

a) les ateliers de menuiserie générale: chargés, dès 1919, d'alimenter l'ensem­ble des usines aussi bien pour la car­rosserie que la construction des bâti­ments, les charpentes, les emballages, etc.

168

Ateliers stocks peinture -Produits chimiques ...................... . 0.64 + c, d, e, f

Ateliers étude traitements thermi­ques .......................... . h

Laboratoires essais peintures .... . 0.60

0.63 + b, a

Ex-cantine période de la guerre ...

0.57

0.61 00.1

• Magasins centraux de papeterie ..

0.58, 0.52 • Magasin stockages divers ....... . 00.2

-400 personnes pour la menuiserie, -500 personnes pour l'emballage et le conditionnement (effectué dans les dépendances de l'atelier annexe de Sèvres).

Le parc à bois, constitué en 1917,de­vait assurer le stockage et le débit des grumes ainsi que des plateaux de toutes essences. En 1962 sa produc­

m3tion mensuelle était de 2 500 de

m3

plateaux secs, 1 000 de contre­plaqué.

Son emplacement géographique, main­tes fois remis en question, a cepen­dant été maintenu là (en raison des services rendus) pendant un demi­siècle 1917-1969.

Lors des années fastes de fabrication des voitures de grand luxe, des bois précieux (acajou, ébène, thuya, placa­ges de citronnier, orme, palissandre) destinés aux coffrages et ébénisteries y étaient traités.

b) Les ateliers d'étude et de construc­tion des charpentes métalliques ont également débuté en 1919. En raison du développement pris par les cons­tructions de bâtiments, cette industrie fut transférée en juillet 1934 dans les vastes dépendances du Bas-Meudon (ateliers Lavédrine).

c) Le premier atelier de réparation de carrosseries ouvert en 1919 (sur les activités duquel nous reviendrons) comprenait au départ un effectif de 22 maîtres-ouvriers se répartissant en tôliers, menuisiers, ferreurs, selliers, forgerons, peintres. Son effectif en 1940 atteignait plusieurs centaines de personnes. Ces ateliers sont actuelle­ment répartiS dans la Région Pari­sienne et gérés par la Direction Commerciale.

Cette activité dépendait autrefois de la Direction des fabrications.

d) Premier groupe de formation d'ap­prentis : menuisiers, modeleurs, tô­liers; d'abord 25 puis 50 apprentis, encadrés par 3 moniteurs.

Ces apprentis sont depuis 1950 incor­porés dans l'École Professionnelle, rue du Vieux-Pont-de-Sèvres.

L'autonomie en fluides était assurée par:

- 2 chaudières à charbon débitant

chacune 12 tonnes vapeur/heure;

- 2 chaudières à fuel débitant cha­

cune 6 tonnes vapeur/heure;

-2 petites ChaUdiè-1 res alimentées par les copeaux, chu­tes de bois prove-,3 tonnes nant ~e I.a scierie -1 vapeur/heure; menulsene \ -1 petite chaudière mixte à fuel

-2 câbles à haute-tension branchés sur la centrale électrique de l'usine­mère;

-Oxygène et acétylène fournis sur cadre;

-5 pompes puisant l'eau de Seine pour les servitudes et le refroidis­sement des machines à souder, ayant un débit de 100 m3 /heure chacune.

L'AVIATION (1916-1918)

De 1916 à l'Armistice de 1918, les avions 180 CV RENAULT, 300 CV RENAULT-BRÉGUET 14 A.2 étaient fabriqués par éléments dans les bâti­ments 01 et 04. Production par jour, en moyenne 3 à 4.

Les ailes (dénommées plans) (figures nOS 1 et 2), les carlingues, cellules, fuselages, longerons, gouvernails et stabilisateurs étaient constitués de piè­ces en bois légers doublés ou non de contreplaqué (bordure d'attaque des ailes notamment) (figures nOS 3 et 4).

Le réglage du fuselage et autres en­sembles était obtenu par des cordes à piano en acier, pourvues de ten­deurs à pas inversés de différents dia­mètres.

Ce travail, effectué le plus souvent par des femmes (très nombreuses dans les ateliers à cette époque) consistait à recouvrir toutes les sur­facés extérieures d'une toile de soie de première qualité (figure nO 1). Chaque joint était recouvert d'une bande de toile crantée en «dents de scie" collée.

Ce crantage de « sécurité" avait pour but de limiter les décollements acci­dentels.

Le tout était alors enduit d'une couche de colle à très forte adhérence d~nom­mée «EMAILLITE JO, en raison sans doute de l'aspect glacé, émaillé et imperméable qu'elle donnait après sé­chage.

Sur ces surfaces glacées étaient pein­tes: cocardes, emblêmes d'escadrilles, numéros matricules d'identification (fi­gure nO 2).

Le fuselage équipé de ses deux roues d'atterrissage était alors attelé à un camion; les ailes, fuselages, etc., étaient placés sur remorque pour être acheminés vers les quatre hangars du champ d'aviation de Villacoublay mis à la disposition des usines par l'autorité militaire. On procédait là au montage-assemblage définitif de l'a­vion, accouplement des ailes entre elles par interposition de mâts hau­bannés, reliés ensuite à la carlingue dans des boîtiers dits «de cabane JO.

Mise en place du moteur et accessoi­res mécaniques, équipement du poste de pilotage et de celui du passager mitrailleur (photographe à l'occasion).

Le lancement de l'hélice se faisait à bras, pale par pale : il n'existait pas de lancement automatique pas plus que d'assistance mécanique par accus ou autre procédé.

D'autres contrôles étaient effectués par sondage. M. GRILLOT, dont la réputation de metteur au point était bien établie, s'installait parfois au poste de pilotage pour déceler les bruits suspects ou les réglages in­dispensables à faire. Il était alors chef du service essais-moteurs avant de parvenir au plus haut som­met de la hiérarchie en tant que Directeur Général Adjoint et Direc­teur des Fabrications.

b) Essai en vol : montée à 3000 mètres dans le temps et charge ~imite fixées par l'autorité militaire. L'altitude et le temps réalisés étant enregistrés au cours du vol sur bande de l'appareil "Barographe ".

c) Vol en palier à 3200 mètres d'une durée minimale de 20 minu­

Fig. 1. -Préparation des ailes d'avion.

tes. Ainsi terminé l'appareil était placé sur d) Essais de maniabilité et de sta­le terrain d'aviation pour être : bilité. .

1. Examiné par les contrôleurs mili­

3. Essayé en contre-réception (partaires.

un pilote militaire dans les mêmes

2. Confié au pilote cMI (rétribué par conditions). l'usine à des taux dont l'importance

4. Livré après réceptions satisfaisan­me faisait rêver) pour :

tes. L'avion s'envolait alors vers les centres de stockage généraux

a) Essai de puissance du moteur nanti de son hélice (2e contrôle du Bourget, Étampes, Dugny. après ceux déjà effectués au banc Au cours des premiers mois de 1918 fixe à Billancourt, supers contrôles). un avion à cellule géante, devant sup-

Fig. 2. -Alles d'avion assemblées.

porter 4 moteurs, avait été assemblé dans le bâtiment 01. Il n'a jamais volé et a été redémonté sur place.

Deux petites anecdotes s'ajouteront à ce résumé «Aviation ».

Nous avons dit que la toile de soie recouvrant ailes -fuselages, etc., était de première qualité.

Le personnel féminin ne tarda pas à l'apprécier et les blouses, chemisiers, teints ou non, firent leur apparition à une telle cadence qu'il fallut instituer un contrôle très sévère d'utilisation. La mode des chemises en toile de soie pour hommes fit aussi son appa­rition.

C'est ainsi que dès l'Armistice de 1918 plusieurs magasins importants à l'enseigne de « La TOile d'Avion» conti­nuèrent à négocier ce textile. Certains de ces magasins existent toujours à Paris avec la même raison sociale.

L'avion Renault-Bréguet avait les parti­cularités suivantes : biplan à moteur 300 CV, le pot d'échappement étant situé au-dessus, dans l'axe et à la partie arrière du moteur, à deux mè­tres environ du poste de pilotage.

Le pilote et le passager mitrailleur­photographe étaient placés l'un der­rière ,'autre.

En position assise, seules émergeaient de la carlingue leurs têtes et épaules sans autre protection que :

- combinaison «canadienne fourrée» ;

- serre-tête, cache-oreilles (en cuir) ;

- lunettes.

Au décollage et en vol, le bruit de l'hélice, allié à celui du moteur et de son échappement «crachant» au-des­sus de leur tête, interdisait tout dialo­gue.

Seul un rétroviseur (genre de celui d'une camionnette) permettait d'échan­ger quelques signes.

C'était peu mais ... la technique du mo­ment en était encore là.

Le pilote et passager avaient à leur disposition une double commande :

-manche à balai de commande des

ailerons, profondeurs, etc. ; -palonnier aux pieds pour commande du gouvernail.

Ces accessoires, essentiels, permet­taient au passager de se substituer au pilote le cas échéant.

Sur le plancher, au-dessous des pieds du passager « mitrailleur-photographe"

Fig. 4. -Le montage des avions •

...,.

existait un orifice de 0,55 m X 0,70 m environ dans lequel un cadre constitué de neuf vitres rectangulaires en glace très épaisse (verre armé) s'encastrait.

Il suffisait de déplacer l'une d'entre elles (au centre) pour adapter l'appa­reil photographique.

Ayant à participer un jour à l'un des vols de réception décrit plus haut, l'avion que je devais prendre était dépourvu (par défaut d'approvisionne-

Fig. 3. -Préparation des fuselages.

ment) du cadre et des glaces en ques­tion. J'avais sous les pieds ce trou béant et pour repose-pieds... le palon­nier!

Le pilote militaire «de mes amis" s'était promis -je l'ai su après -de me "sonner» et de tout faire pour me donner le mal de mer ou ... de l'air!

Descentes en piqué, redressements sur les ailes, vrilles, se succédaient alors à 3000 mètres d'altitude. Or, le poids imposé pour la réception nous avait mis dans l'obligation de charger au départ (c'était l'habitude) plusieurs sacs de forte toile (6 ou 8, je crois) emplis chacun de 10 kg de billes de plomb dites « shrapnels" utilisés pour le remplissage de certains obus.

Ces sacs avaient été attachés dans la queue de l'avion par les mécaniciens. Au fur et à mesure que se déroulaient ces petits «divertissements" je cons­tatais avec effroi, à chaque glissage et redressement accentués, que ... les sacs se déplaçaient eux aussi anormale­ment d'avant en arrière et risquaient à tout moment de venir bloquer le pa­lonnier. C'eût été la catastrophe si les glaces avaient été posées. Je faisais dans le rétroviseur des signes déses­peres mais, les prenant pour de la peur, mon pilote repartait de plus belle. Finalement les grosses cordes retenant les sacs cassèrent. Toute la charge délestée s'engouffra ... heureu­sement! par le trou béant.

L'avion avait bien résisté, démontré son excellente maniabilité mais ... c'est ainsi qu'en pleine guerre, certain jour de 1918, un avion Renault bombarda une région que j'ai située dans la ban­lieue nord de Paris.

Le secret sur cet incident dont le pilote portait la responsabilité avait été bien gardé.

Un seul de mes camarades le connais­sait, Or, deux ans après peut-être, il me rapporta qu'assis dans le métro, à côté de deux vielles dames incon­nues, il les entendit se conter la mésa­venture d'une maison criblée de balles de plomb sans qu'elles aient pu et pour cause, s'en expliquer... la pro­venance 1

Le monde est quelquefois bien petit.

Pendant la dernière guerre les bâti­ments-0.57, 0.50, 0.49 furent mis à la disposition des usines Caudron pour les fabrications qui réintégrèrent leurs ateliers d'Issy-Ies-Moulineaux en 1945.

LA CONSTRUCTION

DES PREMIÈRES

CARROSSERIES

EN SÉRIE

Succédant aux fabrications d'aviation, les premières caisses de torpédos 6 CV destinées à être montées sur les châssis type N.N. furent lancées en série dès 1919 dans les bâtiments

0.1 -0.4.

Leur armature bois garnie de pan­neaux de tôle (il n'y avait pas encore d'emboutis) nécessitait pour leur exé­cution un nombre très important d'ou­vriers qualifiés.

La guerre avait creusé des trous très importants dans toutes les professions.

Le personnel féminin, à reconvertir, ne pouvait plus assurer, sauf en sellerie, les travaux essentiels, mais nous avions la chance de pouvoir placer aux postes principaux des ouvriers ayant une qualité d'exécution remarquable (certains étaient de véritables artistes).

Pour bien comprendre l'évolution de la carrosserie en série, à laquelle

M. RENAULT avait pensé, il est bon de présicer que trois catégories d'in­dustriels de cette corporation se dis­putaient alors le marché incomparable de l'après-guerre.

10 Les grands : ceux qui, avant la tourmente, fabriquaient calèches, voi­tures attelées de tous genres compa­rables quant à la présentation des modèles et garnitures à ce que font les grands couturiers pour la mode féminine.

Ori -peut citer les noms célèbres de : Kellner, l'arbitre des élégances (le plus cher aussi) dont l'usine jouxtait la nô­tre à l'angle de l'avenue Édouard­Vaillant et du quai de Billancourt (au­jourd'hui quai de Stalingrad), près du pont de Sèvres, détruite lors du bom­bardement de 1942; Labourdette, Bin­der, Million-Guiet, Saoutchik, Chapron, Gallé, rue Saint-Denis à Boulogne (transformé en garage aujourd'hui).

20 Les petits artisans : se révélèrent tout à coup très nombreux travaillant au marchandage (prix fixé et forfait aujourd'hui) en compagnie d'ouvriers embauchés (au pied levé) pour un temps.

30 Les constructeurs : comme RE­NAULT et CITROËN, décidés à pro­duire pour leur compte, des modèles de carrosseries faites en séries adap­tables aux châssis de la marque.

La clientèle riche et très exigeante, que la fabrication en série n'intéres­sait pas, s'adressait aux p~emiers et seconds pour faire réaliser à son goût le modèle souhaité.

L'ensemble était étudié dans sa forme, faisait l'objet de nombreux dessins, grands plans, équipement de la garni­ture, peinture, etc.

L'adaptation était prévue sur tel ou tel châssis de marque différente. La carrosserie indépendante le permettait puisque boulonnée sur les longerons.

La réalisation durait des mois et coû­tait une fortune (en 1937 seulement apparurent les carrosseries entière­ment métalliques dites «compact,,) avec la première JUVAQUATRE à deux portes.

Les constructeurs automobiles avaient un programme de châssis nus (équi­pés de leur moteur et accessoires) ré­servés aux carrossiers ou leurs clients.

Ce processus compliqué et ses consé­quences... en prix de revient n'avaient pas échappé à M. RENAULT lequel eut très vite la conviction que des fabrications de luxe pourraient rapi­dement être traitées plus économi­quement, en moyennes séries, dans les ateliers de l'usine.

En attendant, nous éprouvions les plus grandes difficultés pour recruter les ouvriers de qualité indispensable (cha­cun se les disputait à prix d'or).

Les pratiques du « marchandage" ont fait cependant que nombre d'entre eux, conscients de la précarité d'emplois... surpayés, ont choisi la stabilité et sont restés ou revenus avec nous.

C'est avec cet appoint de main-d'œu­vre que nous avons démarré. Nous re­viendrons sur ce problème lorsqu'il s'agira de traiter des fabrications de luxe et de satisfaire les exigences d'une clientèle plus difficile et avertie de ce qu'elle pouvait attendre de l'auto­mobile du fait des progrès considéra­bl~s obtenus en mécanique (par RE­NAULT en particulier).

LES PREMIERS TORPÉDOS

Leur armature bois nécessitait un lan­cement aux machines de menuiserie par séries très importantes.

Montants, traverses, brancards, etc., étaient stockés usinés, prêts au mon­tage, dans de vastes magasins.

Chaque pièce était identifiée par nu­méro, les séries étaient empilées soi­gneusement afin d'éviter, en cas de séjour prolongé en casiers, des défor­mations catastrophiques.

Il fallait veiller particulièrement aux stocks et... à l'hygrométrie! nous ne possédions pas d'étuve à saturation de vapeur pour le séchage artificiel des bois.

Pour certaines fabrications (roues à rayons d'acacia notamment), des éprouvettes de 3 à 4 cml2 étaient pré­levées chaque jour sur les plateaux à débiter, placées dans une petite étuve électrique de 20 X 20 environ, elles étaient pesées avant introduction et, à leur sortie, sur une balance de bijoutier (au centigramme près). Ainsi était déterminée leur teneur en eau.

Les rayons étaient assemblés et sertis sur le moyeu par une presse hydrauli­que à mâchoires horizontales. Ces roues étaient montées sur châssis 12, 15, 18 et 40 CV (voir modèle 40 CV: bulletin no-3, page 78) mais... revenons aux torpédos.

Des montages d'assemblage tels que rotonde arrière, portes, auvent per­mettaient la construction des princi­paux éléments.

Des traceurs en carrosserie en véri­fiaient constamment la géométrie en raison des déformations possibles.

Le bois, c'est bien connu, est un maté­riau dont on est difficilement maître. Le fameux « parc à bois" s'est révélé maintes fois indispensable. Que de calibres, armés ou non, bardés de fer en tous sens, n'a t-on pas réalisés en quelques heures, grâce à lui -n'est­ce pas M. PETIOT?

Il eut été impossible d'obtenir d'outil­leurs, ou autres spécialistes du travail du fer, une exécution aussi rapide qu'inopinée.

Par contre, le bois; s'il avait ses

inconvénients par ailleurs, a souvent

permis des dépannages indispensa­

bles.

Les tampons en tôle épaisse (5 mm)

et autres calibres en duralumin, etc.,

étaient utilisés cependant pour la véri­

fication des jeux d'entrées de portes

(baies de pare-brise dans le cas des

conduites intérieures).

Les pièces principales ajustées et assemblées : rotonde arrière, portes, auvent étaient ensuite «ragreees» (rabotage minutieux de toutes proémi­nences et désaffleurements constatés après sortie des montages).

C'était le passage au «papier de verre» avant la pose des panneaux de tôle car il n'existait pas d'emboutis. Les tôles glacées, dites à double déca­page, n'existaient pas davantage et il fallait briser, planer ou passer à la machine à rouleaux « LISSE ", les plus défectueuses. Les pièces en forme étaient exécutées par les «célèbres tôliers-formeurs " lesquels, affublés de leur tablier de cuir clouté (du genre de ceux des forgerons de campagne) et armés de leur énorme maillet de bois à extrémité arrondie, frappaient à tour de bras la feuille de tôle placée au-dessus de l'alvéole (dit salière) creusé à même d'une énorme bille de bois de 70 cm de diamètre environ.

Les emboutis ainsi ébauchés passaient ensuite au martinet (marteau comman­dé pneumatiquement ou électrique­ment dont la partie frappante est légè­rement convexe). Ainsi avait lieu le rattrapage et le planage final avant d'assembler entre eux, par soudure autogène, les principaux éléments.

Les reprises par suite de déformations de soudage, etc., étaient effectuées par d'autres équipes.

Tout cela coûtait fort cher.

M. RENAULT était déjà hanté par l'id,ée de réaliser certaines pièces par des emboutis obtenus à l'aide d'outils très simples : alliant, au meilleur prix, le meilleur pré-emboutissage possible.

L'entretien personnel que j'ai eu avec lui et que je cite confirme en tous points ce que rappelle par ailleurs

J. GUITT ARD (page 102 du bulletin nO 3 de décembre 1971) quant aux intentions de M. RENAULT de parvenir à ses fins sans avoir recours aux ban­quiers.

Il était soucieux d'assurer lUi-même le financement de machines coûteuses et, avant de les acquérir, envisageait tou­tes les astuces possibles.

Appelé certain jour dans son bureau, il me tint le langage que je pense tra­duire mot pour mot :

«Les ailes enveloppantes ébauchées à la main coûtent trop cher; vous allez faire fabriquer un poinçon en bois très dur et très épais, au besoin assembler et coller plusieurs plateaux entre eux, (je le vois encore son crayon en main traçant en même temps un demi-cercle pour déterminer la forme). Vous ferez des saignées de­dans et encastrerez partout où les renforts paraÎtront nécessaires des ferrures d'au moins 80 à 100 mm de large sur 15 à 20 mm d'épaisseur que vous fixerez par de très grosses vis à têtes fraisées. (Sa main m'indiquait la longueur du doigt). Vous ajusterez le tout, ferez une matrice correspon­dante. Vous les monterez sur votre presse hydraulique, vous mettrez vo­tre panneau de tôle -vous faites actionner la presse -elle monte! pschitt! c'est fini! Vous avez votre aile ébauchée, compris? Allez-vous-en, vous m'apporterez la première pièce ".

Il ne fallait surtout pas ne pas avoir compris!

Les extraordinaires facultés créatrices de ce génie faisaient que ses idées devaient être saisies aussi vite que sa pensée permettait de les traduire. S'il n'admettait pas la contradiction, il ne tolérait pas davantage que son idée ne soit pas immédiatement suivie çl' exécution.

Il fallait réaliser coûte que coûte et surtout... très vite, quitte à discuter ensuite des avantages ou inconvé­nients du système, mais ... bien souvent la science infuse qu'il possédait de toutes les choses de la mécanique lui donnait raison.

Les pièces obtenues sont sorties de « l'outil» »avec de nombreuses « bana­nes », plis, crevés, etc. (faute de serre­flancs)... mais compte tenu aussi de la mauvaise qualité des tôles, une pré­forme était cependant obtenue.

Les méthodes nouvelles, aidées d'ou­tils de précision et de presses puis­santes (2 000 tonnes aujourd'hui), per­mettent d'obtenir avec la perfection et le fini souhaités, des ensembles impor­tants.

Alors que j'étais sorti de son bureau nanti des instructions données il me rappela et me dit :

« Vous êtes jeune, vous avez les qua­lités et les défauts de votre âge, aussi, chaque fois que vous ferez quelque chose qui puisse engendrer des dé­penses importantes, souvenez-vous que C'EST AVEC MON PORTE-MON­N,AIE (il porte à ce moment la main sur son portefeuille). JE NE VEUX PAS tra­vailler avec l'argent des banques qui dévorent nos économies, il faut réaliser PAS CHER, CHEZ NOUS; tout ce que je gagne c'est pour le remettre dans les installations, acheter des belles machines qui coûtent cher soit,. mais dont nous sommes seuls maÎtres; comprenez-le ".

Bien souvent j'ai médité ses paroles, avec le regret de penser que si, au contraire, il avait été aidé par les ban­ques sa fin (inique et qu'il ne méritait pas) eût été toute autre car elles lui auraient certainement apporté le sou­tien qui lui a manqué lorsque seul il eut à faire face à ses détracteurs mais... l'histoire est si souvent faite d'ingratitude!

Revenons donc à notre tôlerie tor­pédos.

Ainsi préparée elle était dirigée sur les chaînes de caisses nues pour être fixée par clouage.

Les portes étaient traitées dans une chaîne particulière.

L13 caisse tôlée était alors placée sur des chariots pourvus de roulettes.

Elle était guidée par des fers à U scellés à même le sol, jusqu'à l'entrée des étuves de peinture. C'était la chaîne ! L'entraÎnem~nt mécanique n'existait pas, chaque chariot était poussé à la main d'une opération à l'autre jusqu'à la pose sur châssis.

Les tôles, nous l'avons dit, étaient très loin d'avoir l'aspect obtenu de nos jours avec l'emboutissage. Traces de planage, de marterage, limages pro­fonds nécessitaient une préparation longue, onéreuse par les nombreu­ses opérations d'impression, d'enduits épais, ponçage, polissage avant de re­cevoir, dans des étuves appropriées, chauffées à l'intérieur par des batte­ries de radiateurs disposées latérale­ment, les couches de teintes différen­tes appliquées «au pinceau».

A la sortie d'étuve, un stock mort assez important, était nécessaire avant que nesolt"entrepris le polissage. ~ter" nissures de la laque).

Les peintures cellulosiques à séchage à l'air n'existaient pas -elles ont fait leur apparition en 1924 (au Salon de 1925, plusieurs centaines de voitu­res avaient été traitées en cellulosique pour différents constructeurs).

En grande série le vernissage définitif était loin d'être une «petite affaire" quant on sait que le moindre petit têton, le moindre grain de poussière tombant sous la «brosse à vernir» prenaient, par la tension du vernis, des proportions considérables.

Toute retouche était impossible avant des heures, des jours quelquefois, surtout... si la température, les condi­tions atmosphériques s'en mêlaient.

Les ouvriers « finisseurs », spécialistes incomparables et la maîtrise de ces ateliers bien particuliers étaient, fort heureusement conscients du danger de voir le lendemain matin aboutir "au cimetière» (figure nO 5) les voi­tures mal finies, assorties des consé­quences d'une réalisation de pro­gramme compromise mais ... suivie ce­pendant avec quels soins! par les Di­rections d'Ateliers, Générale et Com­merciale... intraitables! Le processus de ce vernissage et de cette finition ferait frémir les peintres d'aujourd'hui.

Il mérite d'être conté :

En début d'après-midi les caisses ter­minées de polissage étaient introduites dans les étuves de vernissage. Au préalable, les ouvriers finisseurs res­ponsables, enfermés dans leur «cage", avaient procédé au lavage au jet des sols, parois, etc., essuyé les pare­grains (panneaux constitués de toile de coton enduite d'huile de lin et ten­due sur de grands cadres).

L'accès de l'étuve était alors interdit (seul un petit portillon permettait à l'ouvrier d'en sortir).

Un nouvel essuY13ge de la carrosserie avait lieu avec application (dans les

Fig. 5. ­

angles notamment) d'un vernis spécial « d'arrêtage» destiné à neutraliser la poussière risquant de s'y trouver.

Le finisseur disposait pour l'applica­tion du vernis définitif d'une série de « brosses» lui appartenant. Il fournis­sait cet outillage et l'enfermait à cha­que fin de travail dans une boîte métal­lique, hermétique, à bain d'huile, dont il avait la clé.

Il quittait l'étuve seulement lorsque son travail était terminé et les aiguilles de. la pendule dépassaient souvent les heures normales de fermeture des ate­liers. La nuit devait permettre un sé­chage convenable. Dès 5 heures du matin et jusqu'à 7 h 30, des équipes de manœuvres spécialisés procédaient au dégagement des étuves et pous­saient dehors, vers un nouveau stock mort, les voitures qui, en principe, mais le plus souvent heureusement, étaient sèches.

Combien d'entre elles cependant dites « amoureuses» parce que « collantes» encore par endroits ont reçu, aux mo­ments d'inattention, des empreintes digitales indésirables.

C'était la catastrophe et... les colères du chef manœuvre, il fallait en effet laisser sécher, repeindre les panneaux accidentés, etc.

Le « cimetière» servait bien d'exutoire l'été mais ... les jours de pluie et l'hiver c'était une autre histoire! Ces tours

Le parc des véhicules et des matériaux divers.

de force extraordinaires ont quand même tenu des années jusqu'au jour où, au désespoir des finisseurs, mais ... à la satisfaction profonde des autres, les peintures cellulosiques ou synthé­tiques cuites ont débarrassé les res­ponsables de ce cauchemar.

Après leur sortie d'étuve et un séjour au stock mort permettant d'accentuer le séchage du vernis, les carrosseries étaient acheminées sur les chaînes de pose sellerie.

Là aussi, en raison de la fragilité des peintures, mains collantes, risques de rayures par outils divers de la pelli­cule très fine et pratiquement irretou­chable, des précautions très sérieuses étaient prises. Sur le cliché pris le 30 septembre 1922, représenté page 95 du bulletin nO 3, on distingue au pre­mier plan les voitures pourvues de leur garnitures de sièges (en cuir véri­table à côtes doublées de ouate), au second plan le stock mort des caisses nues en attente.

Les arceaux de capote étaient faits à la main, poncés et vernis séparément (les machines rotatives à poncer firent leur apparition beaucoup plus tard).

Les difficultés inouïes d'approvisionne­ment ajoutaient encore à nos soucis.

J'ai en mémoire les interventions mul­tiples de M. LAPORTE, du service des achats, pour nous pr~curer (à l'heure près) tout ce dont nous avions besoin. Quelles prouesses inimaginables il a faites! L'anecdote suivante en est un exemple entre bien d'autres.

Les fournisseurs de textile (la région du Nord avait été très éprouvée par la guerre) parvenaient à nous suivre au prix d'énormes difficultés. M. RE­NAULT envisagea un moment d'entre­prendre à l'usine des fabrications de ce genre mais... il se heurta à cette très puissante corporation. Il aban­donna son projet.

Totalement dépourvus de toile à capote (je rappelle que nous ne fabriquions que des torpédos) j'ai dû certain jour me rendre spéCialement chez un petit courtier habitant en appartement rue Saulnier (petite rue située près des Folies Bergères) pour prendre livraison d'une pièce de 40 mètres que LAPOR­TE, je ne sais comment, avait dénichée là -or, ce courtier avait, pour raison sociale officielle, la représentation et la vente des œufs... en poudre! « LAYTON » c'était la marque du mo­ment!

Les tresses à border étaient non moins difficiles à approvisionner et j'ai reçu maints petits artisans propriétaires d'un métier à tisser venus proposer des quantités variant de 100 à 200 mètres par jour. L'un d'eux, je me sou­viens, habitait Clamart. Les voitures en sellerie recevaient leurs sièges, tapis, serrures définitives (des serru­res provisoires étaient en effet posées sur chaque porte pendant le passage aux ateliers de peinture) pare-brise, tableau de bord, etc., avant d'être diri­gées à la livraison, faite également à l'Usine O.

Après les Torpédos les conduites inté­rieures sur 6 et 10 CV firent leur apparition vers 1920.

Le procédé de fabrication était iden­tique.

Parallèlement dans les bâtiments 0.6, 0.7, 0.18 étaient entreprises en série, dès 1923 les fabrications de luxe : conduites intérieures, coupés, coaches, cabriolets, sur châssis 15 -18 -22 -32 ­40 CV : Viva Stella, Viva Sport, Grand Sport -Nerva Stella, Nerva Sport, Rei­nastella, etc.

Nous reviendrons ultérieurement sur ces fabrications de grande classe des­tinées à une clientèle parmi laquelle figuraient : Rois, Princes, Haute No­blesse, Personnalités du Monde poli­tique, du Spectacle, des Affaires, des Arts.

Toutes les voitures de la Présidence de la République y compris celle du Président étaient des RENAULT. La plupart des Ministères et des Ambas­sades en étaient dotés. Nous avons eu l'honneur de réaliser la voiture blindée avec glaces pare-balles ayant servi à la réception du Roi et de la Reine d'Angleterre lors de leur venue en France en 1938.

Des voitures à équipements speciaux étaient traitées au surplus par l'atelier de réparation dans le double but de réaliser les désirs de certains clients, et conserver à cet atelier son poten­tiel de professionnels spécialistes di­vers, hautement qualifiés. M. RENAULT intervenait souvent personnellement pour que soient satisfaites les exigen­ces d'une clientèle qui faisait à la marque la meilleure des publiCités.

Dans cette période des conduites inté­rieures souples du type «WEIMANN » et demi-souples RENAULT ont eu une certaine vogue.

La difficulté de réalisation des caisses tôlées et les prétentions des spécia­listes «formeurs,. de l'époque, furent sans doute à la base de cette idée (peu appréciée des tôliers, puisque seuls capots et ailes subsistaient).

La carcasse de cette carrosserie était faite d'éléments en bois très légers assemblés selon les principes «Avia­tion ».

Les portes (déformables) étaient entre­toisées de cordes à piano réglables par simple serrage ou desserrage des tendeurs. Les serrures, simplifiées à l'extrême, étaient commandées de l'in­térieur par une sorte de lanière gainée (cordon de tirage).

Des similis cuirs de coloris et de grains variés étaient collés ou tendus sur couche de ouate (lunette, pavillon, auvent).

Ce fut l'apothéose des selliers et... aussi la déconvenue des peintres aux­quels il restait cependant, comme aux tôliers, capot et ailes à traiter. Mais déjà la fabrication était de plus en plus spéCialisée, traitée surtout par une main-d'œuvre plus facile à trouver. Cette carrosserie avait l'avantage du silence, de la légèreté et facilités aussi bien d'exécution que de réparations relativement peu coûteuses. La méca­nique pouvait au surplus prétendre à de nouvelles performances en raison de la diminution importante de poids.

L'anecdote suivante démontre aussi cet avantage non négligeable : le directeur, propriétaire des accumula­t_eurs « Fulmen » (décédé depUiS), était fournisseur et gros client de RENAULT. Il avait fait l'acquisition de ce modèle et me raconta que certain jour, près du pont de Saint-Cloud, un cycliste tomba malencontreusement et disparut sous sa voiture. Les roues arrière lui étaient passées sur le corps.

Le conducteur s'arrêta aussitôt et vit, avec stupéfaction ledit cycliste allongé sur le sol et faisant des mouvements respiratoires.

Il l'aida à se relever, il voulut le conduire chez lui mais obtint seulement son adresse. Inquiet cependant,. il se rendit le lendemain à son domicile pour prendre des nouvelles. La concier­ge ahurie lui déclara : « Ce n'est pas possible, il n'a pas eu d'accident, il n'est pas chez lui et si vous voulez le rencontrer il faut aller au café d'en face où il fait sa belote l ".

La conduite intérieure demi-souple était tôlée jusqu'à hauteur des glaces de portières.

Toute la partie supérieure était recou­verte de simili, y compris le panneau de lunette arrière, lUi-même doublé de contreplaqué et de ouate.

L'ensemble était assorti à la couleur du bas de caisse. Pourquoi ces fabri­cations ont-elles assez vite cessé? La mode d'abord? L'évolution des techniques d'emboutissage sous pres­ses en sont probablement la cause.

Les bâtiments 0.1, OA, 0.57 rendus dis­ponibles par la cessation des construc­tions d'aviation et celle des conduites et Torpédos 6 CV et 10 CV furent transformés et éqUipés pour produire: fourgons à armature bois, boulangères, marchandes 8 et 10 CV.

Dès leur terminaison, ceux-ci sont acheminés, sur remorque, dans les nouveaux bâtiments de l'Ile Seguin, leurs garniture-peinture étant réalisées sur la chaîne parallèle d'assemblage du châssis.

Les fourgons métalliques 1 000 kg suc­cédèrent à ces fabrications et les chaî­nes des bâtiments 0.16 et 0.1 aména­gées pour en produire 90 à 120 par jour.

Cette production a été réalisée pen­dant plusieurs années.

La chaîne des camions de 2 tonnes à 7 tonnes comportait une installation implantée dans les bâtiments 0.1 et

0.57 pour une production de 15 par jour (52 en 1940).

Ces fabrications furent mutées à la SAVIEM en 1965.

Les cars de 15 à 45 places étaient également traités dans ce bâtiment à la cadence de 3 à 4 par jour avant d'être transférés en 1957 aux usines d'Annonay (SAVIEM).

A ces réalisations devait succéder celle de l'Estafette maintenue à 100 par jour jusqu'à son transfert aux usi­nes de BRISSONNEAU et LOTZ à Creil en 1968.

Tous ces ensembles situent l'éclecc tisme des productions de l'Usine 0 dont l'effectif à longtemps oscillé entre 1 800 et 2 000 personnes.

La menuiserie, et ses procédés de dé­bit, l'emballage, le premier atelier de réparation et surtout la fabrication des voitures de grand luxe feront l'objet d'un exposé ultérieur.

Georges DESQUAIRES