02 - La blanchisserie Riché

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Premier établissement industriel dans l'île Seguin :

LA BLANCHISSERIE RIFFÉ

Projet dans la plaine de Billancourt

Au début de 1786, l'idée vint d'établir une blanchisserie dans la plaine de Billancourt (1). A cet effet, une com­mandite fut créée par Jean-Baptiste Riffé, avocat au Parlement; l'acte de société fut rédigé le 8 mars 1787, par le notaire Colin, sous la raison sociale «Riffé et Cie», et prit le nom de «Buanderie de Sèvres ».

Parmi les souscripteurs, outre Riffé, citons : les trois frères d'Herbelot ; de Pouilly; Pyron de Chabonlon, inten­dant des domaines du comte d'Artois; Baroud; Perrouteau de l'Isle; Dossun; Fleuriot ; de Pestre, comte de Seneffe; Sahuguet d'Espagnac; de La Barre, chanoine de l'église de Mâcon; Le Vasseur, directeur général des fourra­ges militaires; Servat, avocat et dé­puté de Bordeaux; Madignier, agent de change; Cindre; Thibault Saute­reau, avocat; Aubert, intéressé dans

les affaires du roi, etc. Au total : 295 actions.

Battus, Pyron, d'Herbelot, avocat (l'un des trois frères), Baroud et Perrouteau furent nommés administrateurs pour la première année.

L'article 8 de l'acte de société portait que les actions ne seraient délivrées qu'après le versement total à la caisse du montant du prix desdites actions; jusqu'à cette époque, il serait seule­ment délivré aux actionnaires une re­connaissance signée de trois adminis­trateurs.

L'article 14 stipulait que ne seraient admis aux assemblées, jusqu'à la dé­livrance des actions, que les action­naires qui avaient signé l'acte de so­ciété, à moins que les titres ne fussent déposés quinze jours d'avance et qu'ils représentent au moins 10000 li­

vres (2).

citer forment ce qu'on a appelé «Les manieurs d'argent» (3) et l'on voit la plupart de ceux-ci dans «Les compa­gnies financières à Paris» (4). Car en cette année 1786, les spéculateurs ne s'y méprennent pas : le Baroud, les Seneffe, les d'Espagnac entrent dans l'action...

Projet de construction d'une blanchisserie industrielle dans la plaine de Billancourt (doc. Arch. Nat.).

Tous les noms que nous venons de Était-ce le hasard qui avait fait choisir ce projet dans notre région? Certes, les blanchisseurs étaient nombreux à Boulogne: on a dit que « la raison qui a déterminé les blanchisseries à se fixer en si grand nombre à Boulogne reste pourtant assez obscure» (5). Les actionnaires de la Buanderie de Sèvres

(1)

Blanchisserie de linge établie dans l'isle du pont de Sèvres. De l'imprimerie de Gaillot et Gourcier, rue Poupée, no 5, B p., in-Bo, s.d. (Arch. nat., F14194).

(2)

Arch. Seine, DQlO 144B, dossier 3356.

(3)

Bouchary (Jean), Les manieurs d'ar­gent..., t. II, Paris, 1940.

(4) Bouchary (Jean), Les compagnies finan­cières à Paris à la fin du XVIIIe siècle,

t. III, 1942.

(5) Boulogne : état des communes à la fin du XIXe siècle, publié par le conseil .Qé­néral de la Seine, p. 183.

avaient sans doute été attirés par la proximité de la Seine, par la possibi­lité d'acquérir à un prix modique le domaine de Billancourt, par les vastes espaces disponibles pour le séchage du linge -toutes conditions réunies dans le cas présent.

C'est un arrêt du Parlement, rendu le 30 août 1786, qui passa adjudication, au profit de Claude Thibault Sautereau, avocat au Parlement, des fief, terre et seigneurerie de Billancourt, maisons, bâtiments, «is/es» et héritages, pa­roisse d'Auteuil, ainsi que d'une rente foncière de 1 0 livres due par Mgr le comte d'Artois : tous ces biens ve­naient d'être saisis sur Louis Mosque­ton de Préfontaine, qui les avait lui­même acquis de Nicolas-Charles-Fran­çois de Claessen, chevalier de St­Louis. Le 6 septembre suivant, ledit Sautereau déclarait devant Fieffé et son confrère, notaires à Paris, qu'il n'avait fait que prêter son nom et que le fief de Billancourt était pour Jean Riffé -tant pour celui-ci que pour une société qui allait être formée en commandite, «pour une Blanchisserie de linge à Etablir au Pont de Seves ».

Cette acquisition était faite moyennant une somme de 50 100 livres. En outre, la société Riffé s'engageait à payer chaque année, à l'abbaye de St-Victor, 1 500 1. de rente, 20 setiers de froment à 20 1. le setier, 30 setiers d'avoine à 12 sols le boisseau et 2080 bottes de foin à 10 sols la botte. A cela s'ajou­taient les frais et droits divers, soit un prix d'achat total de 121 971 1.

Cet arrêt du Parlement et l'acte du 6 septembre furent déposés par Léon d'Herbelot, avocat, le 19 avril 1787, au greffe des criées du Châtelet de Paris, pour enregistrement. Quelque temps après, des lettres de ratification, ren­dues le 2 juillet, confirmèrent cette adjudication du fief de Billancourt ... et des «Isles dans le lit de la Riviere et Pont de Seves» soit en tout 384 ar­pents, compris les chemins et remises à gibier (6).

La société de la blanchisserie ainsi constituée légalement, il fut prévu que l'entreprise serait édifiée dans la plaine de Billancourt : ce lieu n'avait pour ainsi dire pas changé depuis plusieurs siècles et la seule construction impor­tante était la ferme de Billancourt, pos­sédée par l'abbaye de St-Victor depuis l'année 1113.

Dès le 9 mars 1787 -c'est-à-dire le lendemain de la constitution de la so­ciété Riffé -celui-ci présenta une requête à la ville de Paris, pour l'éta­blissement d'un canal sur la rive droite de la Seine à Billancourt (7).

Le 19 mars, un premier procès-verbal des lieux fut rédigé par Poyet, archi­tecte, et par Magin, commissaire. Tous deux rejoignirent à Billancourt Riffé et trois de ses frères, ses associés. Il fut prévu un canal ayant la forme d'un demi-cercle dont l'entrée et la sortie devaient déboucher dans la Seine, ain­si qu'un canal de décharge, situé entre le canal principal et le fleuve. Trois ponts furent prescrits afin de ne pas interrompre le chemin de halage sur la rive. Le canal semi-circulaire devait avoir 315 toises de développement; sa sortie était fixée 200 toises plus bas que l'entrée. Les ouvertures étaient prescrites à 12 t. 3 p., avec des barres de fer. L'embouchure de sortie du ca­nai était prévue à 27 toises du pont de Sèvres près du relais du comte d'Artois.

Les formalités ne traînèrent pas : dès le 21 avril, un jugement du bureau de la ville de Paris autorisa Jean Riffé et Cie à creuser à leurs frais leurs canaux, moyennant une redevance an­nuelle de 10 1. au Domaine. Un plan en couleurs était joint : on peut ainsi se rendre compte qu'il s'agissait d'une véritable usine. Outre les canaux cités, il était prévu un important bâtiment d'administration, ainsi que deux cons­tructions pour les ateliers et magasins. Le long du canal principal devaient être édifiées dix «usines".

Hélas! la société Riffé ne put avoir l'ultime autorisation de construire des bâtiments si importants dans la plaine de Billancourt. On peut certes douter qu'elle aurait mené à bien son projet; en tout cas, la conservation des chas­ses de Sa Majesté, invoquant que Louis XVI chassait dans la plaine, s'opposa à toute construction en cet endroit.

(6)

Arch. Seine, DQ16 968, pièce 760-B.

(7)

Arch. nat.• QI 1069.

Construction dans l'actuelle île Seguin

A la suite de ce refus, Riffé et ses associes décidèrent d'édifier leur blanchisserie dans l'île du pont de Sèvres. On sait que cette île -ac­tuellement île Seguin -était traversée par le vieux pont de bois de Sèvres, à la pointe aval, juste dans le prolon­gement de notre rue du Vieux-Pont­de-Sèvres.

Aussi, le 22 mai 1787, Riffé présenta une nouvelle requête pour établir un canal à travers l'île; dès le lende­main, une ordonnance envoya cette demande à un architecte, pour se transporter sur les lieux, afin d'enten­dre les suppliants et les principaux marchands et voituriers fréquentant le fleuve.

Le procès-verbal eut lieu le 4 juin, dès 9 h du matin, par Coutans, com­missaire de police, et Doyet, architecte précité. Riffé déclara, au nom de la compagnie, qu'il était autorisé à for­mer, à proximité et au-dessous de Paris, un établissement pour le blan­chissage du linge, et qu'il avait acquis à cet effet le fief de Billancourt.

Les commissaires observèrent que lorsque la hauteur de l'eau est ordi­naire, le tirage des bateaux se fait par la rive droite; par contre, lorsque les eaux sont basses, le chemin est différent et les mariniers qui descen­dent le fleuve quittent la route habi­tuelle à l'extrémité de l'île du Dau­phin (île St-Germain actuelle), tournent en tête de celle du pont de Sèvres, sur laquelle il y a un chemin de halage au sud -côté Sèvres -et passent par conséquent par le petit bras du fleuve qui est beaucoup plus profond. Ils firent mander:

-Jean-Marie-Bernard Vanteclaye, de­meurant à Sèvres, maître du pont et aidant à remonter ou lâcher les ba­teaux qui passent dessous;

-Jacques Guerrard, seul marinier se trouvant pour l'instant à «Seves ».

Personne ne fit obstacle au projet de Riffé, Vanteclaye et Guerrard deman­dant seulement qu'on établisse un pont à chaque extrémité du canal et une barre de fer afin de faciliter le tirage des bateaux par chevaux.

L'autorisation fut alors accordée le 26 juin 1787, par Le Peletier, prévôt des marchands : Jean Riffé et Cie étaient autorisés à creuser à leurs

112

frais, «dans l'isle du pont de Seves dépendante du fief de Billancourt»,

appartenant à la société, à 60 t. du pont, un canal qui traversera l'île dans sa largeur de 52 t., dont la prise d'eau se fera par une ouverture de 12 t. 3 p., pratiquée du côté du bras droit de la Seine, et la décharge de l'autre côté de l'île, rive gauche du fleuve. Les conditions étaient les suivantes :

1° Construire deux ponts (à l'entrée et à la sortie du canal);

20 Le faire supporter dans le milieu par deux pallées, en fortes pièces de bois, de manière à former trois ar­ches;

3° Faire les culées en pierre, les bois devant former voûte de 9 à 10 pou­ces; ces ponts auront 21 p. de large sur 13 t. de long et il sera établi deux rampes pour faciliter le glissement des cordages des bateaux. Le pont de sortie du canal sera fait de manière que l'ouverture se présente au pont, suivant la direction du cours de la rivière, afin que le volume d'eau sor­tant du canal n'incommode pas la navigation.

Il était encore prévu qu'on devait éta­blir les ponts sans interrompre le tira­ge des chevaux sur l'île. Obligation était faite d'entretenir le canal et les ponts afin de ne pas nuire à la navi­gation. Matériaux, décombres et gra­vois étaient interdits et un espace de 36 p. de large était réservé pour le passage des chevaux. Enfin, la société Riffé devait payer une redevance de

10 1. par an à la ville de Paris.

Un document des Archives nationales nous montre le «Plan d'un canal pour une blanchisserie à travers l'isle du Pont de Seves ». Dans l'île, vers le milieu, 1'« usine» était prévue, en forme rectangulaire, l'un de ses côtés, situé face au pont de Sèvres, devant être bordé par le canal. Celui-ci cou­pait littéralement l'île en deux parties et devait être creusé non pas perpen­diculaire aux rives de l'île, mais légè­rement en oblique, afin que les eaux du fleuve puissent y pénétrer par leur propre courant.

La blanchisserie de l'île fut édifiée en 1788 : en tout cas, un seul document en fait mention cette année-là; il s'a­git d'une lettre, datée du 18 juin, du baron de Breteuil, ministre de la Mai­son du Roi, adressée à un sieur Du­quesnoy, pour lui joindre un mémoire dans lequel les entrepreneurs de la buanderie demandent la permission de faucher l'île. Autorisation en est ac­cordée (8).

Premières difficultés

Le 27 février 1789, dans une nouvelle assemblée, les premiers actionnaires, pour céder au désir de plusieurs d'en­tre eux qui ne voulaient pas conserver tout l'intérêt qu'ils avaient d'abord acquis, décidèrent de déroger à l'acte de société en ce qui concernait la déli­vrance des titres. Ils consentirent à ce que celle-ci eut lieu à la fin du mois, mais sous certaines clauses. Ainsi ne seraient admis aux assem­blées générales que les actionnaires de l'origine et ce jusqu'à la perfection des travaux et les règlements des mé­moires; les cédants devaient avertir leurs acheteurs de cette clause res­trictive, qui ne leur permettait pas de s'immiscer dans la gestion et l'admi­nistration de l'entreprise, de prendre connaissance de son administration intérieure, ni d'exiger la communica­tion des livres, titres et papiers, plans, projets et devis. Les nouveaux por­teurs de titres ne seraient admis comme actionnaires qu'après que les comptes de recettes et de dépenses auraient été examinés et approuvés, qu'après que les recouvrements res­tant à faire auraient été versés à la caisse et qu'il aurait été pris avec les divers fournisseurs et entrepre­neurs les arrangements convenables, et cela à compter du jour où l'entre­prise serait en activité par l'ouverture publique de la buanderie (9).

La compagnie était autorisée, au cas où ses fonds seraient insuffisants pour faire face à ses engagements, à créer de nouvelles actions. Plusieurs administrateurs ayant demandé leur retrait, il devait être incessamment procédé à la nomination de nouveaux membres. D'après cette délibération, nous voyons qu'à cette date les ac­tions n'étaient pas encore toutes libé­rées et qu'il y avait des actionnaires récalcitrants. Un terme de rigueur fut fixé et ils furent avertis qu'en cas de non-payement, ils seraient assignés devant la juridiction consulaire à l'effet d'être condamnés au payèment des sommes dont ils restaient débiteurs ou pour faire prononcer contre eux que, conformément à l'article 6 du traité de société, ils seraient privés

(8)

Arch. nat., 01591, pièce 452 (minute .. le mémoire manque, ayant été envoyé à Du­quesnoy).

(9)

Arch. Seine, 3 B690.

des mises par eux précédemment fai­tes, et qu'il serait libre à la société de disposer des actions réparties sous leur nom, sans qu'il soit besoin d'au­tres titres que la sentence à intervenir.

Une autre délibération eut lieu le 21 mars 1789. Pyron déclara qu'il était chargé, par une personne qui ne vou­lait pas encore être connue, de faire une proposition dont les conditions, aussi dures qu'alarmantes pour les intérêts des actionnaires, ne lui avaient pas parues devoir être accueillies et dont il ne pouvait toutefois s'empêcher de rendre compte : on proposait à la compagnie, collectivement et non à chacun de ses membres en particulier, de se mettre au lieu et place de la compagnie envers la direction de M. de Sérilly et de tous les entrepreneurs, fournisseurs et créanciers de l'entre­prise; on se chargeait d'acquitter la compagnie et les actionnaires dépose­raient leurs actions dont le soumis­sionnaire deviendrait propriétaire. Cet­te proposition fut repoussée.

Ensuite, les actionnaires nommèrent cinq administrateurs qui furent Servat, l'abbé Delabarre, Pyron, Dossun et l'avocat d'Herbelot. Puis, considérant combien il importait au bien de la compagnie que l'administration mar­chât avec ordre, qu'elle ne fût point décousue, et encore moins arbitraire, que les décisions prises dans les as­semblées générales ou dans les comi­tés d'administration fussent scrupuleu­sement exécutées et enfin que l'en­semble des opérations fût soumis et subordonné à une surveillance journa­lière, les actionnaires décidèrent qu'à l'une des cinq places d'administrateurs appartiendrait le titre de « commissaire général" de la compagnie, dont les fonctions seraient d'être le représen­tant du comité d'administration, de fai­re exécuter les décisions de l'assem­blée générale et du comité, de sur­veiller l'entreprise, de diriger la corres­pondance et la comptabilité, de sur­veiller l'emploi des fonds, etc. Pyron fut choisi pour remplir ces fonctions.

La délibération du 21 mars rappelait que, conformément à l'article 9 de l'acte de société, les administrate,urs n'étaient ni garants ni responsables de leur gestion envers les fournis­seurs, chacun d'eux n'ayant voulu s'as­socier qu'à concurrence de sa mise dans la commandite.

Coindre et Perrouteau ayant refusé de compléter leurs mises, la question fut renvoyée à statuer devant le comité d'administration. St-Dizier, ami de Le 27 mars, une nouvelle assemblée se tint : il fut décidé que tout marché, pour être valable, devait être approuvé par le comité d'administration. Diver­ses règles concernant les payements et les encaissements furent fixées.

Une autre assemblée eut lieu le 20 avril. Les difficultés sont encore visi­bles et l'on se plaint que les actionnai­res refusent toujours de libérer leurs titres. Ce qui est sûr, c'est que la blan­chisserie existait réellement dans l'île, car on lit que certains bâtiments de la buanderie ont été faits «contre les principes de l'art et de la Chambre des bâtiments ". Mais plus de deux ans après sa constitution, l'entreprise ne semble pas encore en état de marche. Dans cette dernière délibération, on précise en effet : «A l'égard des éten­doirs, leur défectuosité pouvant être préjudiciable à l'entreprise par les ac­cidents qui seraient dans le cas d'en résulter pour le linge, on fera réformer ceux qui ne seront pas conformes au traité ".

Publicité pour la blanchisserie

C'est probablement à cette époque qu'un prospectus publicitaire relatif à la blanchisserie fut publié (10). On y lit que l'établissement a été retardé

«par un concours de circonstances dont le détail est inutile ici ", mais qu'il se trouve «maintenant en activité". Cet imprimé de huit pages est des plus intéressants. On y conte le pro­cessus de blanchissage, on y trouve les tarifs très détaillés, pour le blan­chiment, de chaque pièce de linge, les jours de passage des ramasseurs, etc.

(8)

Ainsi, le linge y sera blanchi avec le plus grand soin : une eau de savon pour le linge fin, le beau linge et celui de coton; des lessives combinées pour le linge de corps, le gros linge et le plus sale; un blanchissage parti­culier pour chaque nature de linge; un séchage prompt et sain; un repas­sage très soigné.

Ëvidemment, il s'agit d'un imprimé pu­blicitaire : on certifie que l'établisse­ment fera attention dans la collecte du linge à blanchir et aura la respon­sabilité de la valeur des pièces de linge qui pourraient se perdre. On aura soin de rendre le linge exacte­ment au jour convenu. La blanchisse­rie de l'île du Pont de Sèvres prendra toute nature de linge : linge d'église, d'ameublement, linge en toile, couver­tures de laine ou coton, etc. Il est recommandé de donner des envelop­pes pour contenir le linge. Tout sem­ble prévu : on peut s'adresser par écrit, en affranchissant les lettres, soit au directeur de l'établissement «à l'isle du Pont de Sêvres ", soit à Paris, rue Percée-St-André-des-Arts, nO 15. Indiquer la rue, le numéro et l'heure à laquelle on pourra prendre le linge. Les jours de la collecte étaient fixés les lundi et jeudi; en cas de jour de fête, la collecte était remise au len­demain.

Nous ne pouvons reproduire les prix en vigueur. Indiquons seulement que le tarif est divisé en six articles : lin­ges d'homme, de dame, fin, d'enfant, de maison, de domestique; le prix était prévu pour chaque pièce.

(10) Blanchisserie de linge établie dans' l'isle du pont de Sèvres, 100. oit.

LINGE

DAXS L'ISLE DU PONT DE SEYRES.

Baroud et d'Espagnac, figurait parmi Reproduction du dépliant publicitaire publié par la Blanchisserie

les nouveaux actionnaires. établie dans l'Ile du Pont de Sèvres (doc. Arch. Nat).

113

La blanchisserie de notre actuelle île Seguin fonctionna : preuve en est donnée par un compte rendu de Pinel, docteur en médecine, qui décrit les procédés en usage dans l'établisse­ment, dans un journal dirigé par Four­croy (1l). Nous avons aussi retrouvé dans les papiers de la justice de paix de Sèvres une plainte du 23 août 1791, devant Legry, juge de paix : Marie­Madelaine de La Voye se plaint d'avoir travaillé pour Riffé, bourgeois de Sè­vres, y demeurant, en qualité d'ou­vrière en linge, pendant 126 jours, à raison de 24 sols par jour, d'où une rétribution de 151 1. 4 s. ; n'ayant reçu que 99 1. lOs., elle réclamait les 51 1. 14 s. restant dus (12).

Nouvelles difficultés

Les associés de la buanderie avaient­ils encore des difficultés? En tout cas. Riffé déCida de revendre la terre de Billancourt : c'est ce qu'il explique le 11 mars 1791, dans une lettre à de La Millière, où il précise même que la dernière adjudication de Billan­court a lieu «lundi prochain. 14 de ce mois ». Il déclare qu'il a donc besoin du petit bâtiment de la pointe de 1·î1e. pour loger le directeur de la blanchis­serie; il réclame en outre le chantier de bois. occupé par les Ponts et Chaussées. Tout cela donne lieu à une longue contestation où la mau­vaise foi des Ponts et Chaussées oblige les autorités révolutionnaires de S.-et-O. à intervenir (IS). Le dépar­tement de Paris et la municipalité d'Au­teuil -puisque l'île fait toujours par­tie de la paroisse d'Auteuil -veulent expulser le locataire de la maison contestée et un inventaire des lieux est rédigé à la demande des action­naires de la blanchisserie (14).

En 1792, nous trouvons trois juge­ments : le premier, du 18 janvier. condamne Riffé, bourgeois de Sèvres. à payer 15 1. 8 s. à La Biche, journa­lier blanchisseur de linge. demeurant à Neuilly, «pour avoir travaillé pour lui à la Buanderie du pont de Sèvres, depuis le 16 novembre jusqu'au 23 dé­cembre dernier. à raison de 30 sols par jour". Le second. également du 18 janvier. condamne le même Riffé à payer 12 1. 15 s. à Jacques Pomme­raye. demeurant à Clichy-la-Garenne.

« pour avoir travaillé pour lui pendant tout le mois de décembre dernier à raison de 30 sols par jour". Enfin le dernier, du 8 août, condamne encore Riffé à payer. pour dette, la somme de 59 1. lOs. 6 d. à Vanteclaye, jour­nalier demeurant à Sèvres (15).

114

Fin de l'entreprise

Tout cela prouve que la blanchisserie industrielle a vraiment fonctionné, tout au moins au ralenti: quoi qu'il en soit, le .. Journal de Paris" du 15 mai 1793 prévenait les actionnaires de la « Buan­derie de Sèvres» qu'une assemblée générale se tiendrait le 28. à 6 h du soir, en l'étude du notaire Colin, place Baudoyer. pour aviser aux moyens de disposer de la propriété de l'établisse­ment (16). La blanchisserie était bien condamnée...

Dès vendémiaire an 2 (octobre 1793), le notaire Colin procédait à la vente de 18 objets de la blanchisserie, situés dans l'île, avec mise à prix de 2400 1. Cette vente avait été également an­noncée dans le .. Journal de Paris", par affiches dans la capitale et par 500 placards imprimés. Elle eut lieu à la requête de Jean Riffé, demeurant

8. rue Perrée. à Paris, et en présence de Jean-Pierre Delabarre. rue de Gre­nelle. et de Léon d'Herbelot, homme de loi. 15. rue Perrée : tous trois se disaient associés en commandite. et les deux derniers avaient été nommés commissaires par la délibération du 28 mai.

Les objets mis aux enchères dans 1'î1e comprenaient un bateau de 12 t. de long sur 8 de large. avec ses agrès et le cabinet qui y était construit, un autre bateau servant à porter un pCint­escalier. des planches. des trépieds. 2 pompes à bras, 16 tables de chêne, 4 autres en sapin, 2 grandes et fortes presses scellées dans l'une des salles de l'usine, etc. Au cours de la vente, intervint Lagarde qui demanda. au nom du département de Paris. que le prix de l'adjudication soit versé à la Trésorerie nationale. De même, Picque­ray. membre du Comité révolutionnaire d·Auteuil. demeurant au port de Sè­vres. déclara. au nom de la municipa­lité d·Auteuil. que le propriétaire de la buanderie devait 1 124 1. 4 s. en contributions et impositions.

Hélas! malgré les enchères, il n'y eut pas d'acheteur et seul François-Char­les-Etienne d'Herbelot acheta le tout pour 3000 1., plus les frais. Sans doute Herbelot ne retira-t-il pas immédiate­ment les objets acquis : beaucoup plus tard, l'île ayant été saisie. il dut réclamer son mobilier à la commission des Finances de la Convention. Celle­ci fit renvoyer cette pétition à la com­mission des Revenus nationaux qui, à son tour, par lettre du 22 prairial an 2 (10 juin 1794), demanda des explica­tions au département de S.-et-O. (17) L'î1e elle-même et les bâtiments furent adjugés, le 3 octobre 1793. au ban­quier Vandenyver, pour 142600 1. Une des clauses de l'adjudication exigée par le procureur syndic du départe­ment fut que le prix serait déposé à la Trésorerie. pour la conservation des droits de la République, quelques membres et actionnaires de la société « connue sous le nom de Riffé et com­pagnie" étant présumés émigrés (18).

La vente fut effective le 22 octobre. On avait formé deux lots. L'un de ceux-ci comprenait une partie de l'île, à gauche du pont de Sèvres. en allant de Paris à Sèvres. contenant 34 ar­pents environ. en prés, avec les bâti­ments :

10 Une très grande usine, sur le bord du canal qui traverse I·île. propre à l'établissement d'une manufacture. con­tenant au rez-de-chaussée cour, grandes salles. sur lesquelles sont de très grands greniers. bien «airés", une loge de gardien à l'entrée de l'usine. à laquelle on arrive par un chemin pavé. joignant le pont qui tra­verse le canal; ce chemin et ce pont font partie de l'adjudication;

20 A droite de la porte d'entrée de 1·î1e. un hangar appuyé sur le pont de Sèvres. servant de logement de por­tier. A gauche, une petite cabane avec cheminée et autres constructions non achevées;

30

10 1. de rente foncière. due par d·Artois. sur un quartier de terre, sur lequel sont bâties des écuries, occupées par Perret, aubergiste : pro­bablement s'agissait-il là des écuries du comte d'Artois situées sur la rive droite de la Seine.

(11)

Mention dans la brochure citée supra.

(12)

Arch. Yvelines. série L (justice de paix; ancienne cote : L-IV3 Sèvres 44). L'acte est daté du 23 août 1792. mais du fait de son classement, il semble qu'il s'agisse du 23 août 1791.

(13)

Arch. Yvelines. 2 L-M 89.

(14)

Arch. nat., F14194.

(15)

Arch. Yvelines, série L (justice de paix. non coté). actes 5. 6 et 48.

(16)

Bouchary (Jean). Les manieurs d'ar­gent.... loc. cit.• t. 1. P. 170.

(17)

Arch. Yvelines, IV Q 259.

(18) Corps légiSlatif. Conseil des Cinq-Cents. Rapport fait par Bourg-Laprade sur la pétition de la citoyenne veuve Vendeny­ver et du tuteur des enfants de sa fille. séa.nce du 3 floréal an 6 (22 avril 1798) •

.impr., 6 p .• in-8o (Bibl. nat.• 80 Le 43 1932. Même chiffre de 142600 1. suivant une lettre du 18 vent6se an 2 (8 mars 1794) du directeur de l'Enregistrement (Arch. Seine, DQ10 1448. (dossier 3356).

L'autre lot avait été formé par la par­tie de l'île sise à droite du pont de Sèvres : on y trouvait une maison réparée à neuf, composée au rez-de­chaussée de l'îLe : de cuisine, salle à manger, petite cour, poulailler, écurie pour trois chevaux, cabinet d'aisance. Au rez-de-chaussée du pont, il y avait cinq pièces, dont trois à cheminées, avec galerie en dalle de pierre. Le se­cond étage, en mansardes, était cou­vert de tuiles. Un petit jardin planté d'arbres fruitiers, en plein rapport, était clos de murs en grande partie. Cette fraction de l'île, où l'on a re­connu la pointe aval, avait environ un arpent.

On avait pris soin de réserver et de ne pas comprendre dans la vente : le grand bateau qui se trouvait sous l'usi­ne, le pont de bois desservant ce ba­teau, un petit bateau qui portait ce pont, un batelet et ses agrès se trou­vant dans le canal de l'île, enfin les cuves, cuviers, chaudières, tordoirs, tables, presses, calandres, tablettes et autres objets mobiliers (19).

Le 17 ventôse an 2 (8 mars 1794), Gentil, directeur de l'Enregistrement et des Domaines, écrivit au citoyen Du­mesnil pour lui faire remarquer que plusieurs des actionnaires de la buan­derie étant émigrés ou condamnés, le produit de la vente devait être, pour ces parties, versé à l'Enregistrement. Gentil précise même que les biens de Servat et d'Espagnac sont sous se­questre, que Piron a été condamné, que Dossun est émigré ...

Liquidation définitive

Le rideau ne devait tomber définitive­ment que beaucoup plus tard : une lettre de Frochot, préfet de la Seine, du 13 ventôse an 10 (4 mars 1802), avertit Eparvier, directeur des Domai­nes, qu'il va y avoir une réunion des actionnaires de la buanderie, provo­quée par les créanciers, en l'étude de Colin. Il le prie en conséquence de vouloir «bien envoyer un des em­ployés supérieurs attachés à votre di­rection que vous chargerez de stipuler les intérêts de la République comme représentant Megret de Sérilly et plu­sieurs émigrés actionnaires ". Enfin, le préfet demandait qu'on lui communique observations et avis (20).

A la lettre du préfet, était jointe une affichette relative à la réunion pro­jetée:

AVIS

Les ACTIONNAIRES de la Buanderie de Sèvres, sont invités de se trouver, le 19 Ventôse an 10, heure de Midi, en l'Étude du cit. COLIN, Notaire, place Vendome, N° 21, pour délibérer sur les Affai­res de cette société, et sur sa liquidation finale.

De ['Imprimerie des Sciences et Arts, rue Ventadour. N. 474.

Nous connaissons les décisions que prit la dernière assemblée générale des actionnaires. En voici copie du procès-verbal :

«En l'étude du cit. Colin, notaire pu­blic, l'an dix de la République, le 19 ventôse, les actionnaires porteurs de 105 actions, assemblés, if a été expo­sé qu'if a été déposé à la Trésorerie nationale une somme de 156.500 francs, appartenante à l'entreprise de la buan­derie de Sèvres et provenant de la vente d'Immeubles qui en dépendaient. Que cette somme serait à répartir en­tre les actionnaires de cette Entreprise, mais qu'au préalable if faudrait acquit­ter les Créanciers de l'Entreprise. Qu'ainsi, l'objet de la présente assem­blée est de déterminer la marche pour acquitter ces créanciers, et donner à cet effet les autorisations nécessaires.

«Sur quoy lesd. actionnaires, après avoir usument délibéré, ont à l'unani­mité arrêté ce qui suit :

ARTICLE PREMIER

«Les actionnaires autorisent le cit. Rifflet [sic], ancien directeur gérant l'entreprise, à régler le compte de tout ce qui peut être dus aux différents créanciers de l'entreprise et affaires pour les acquitter, faire toutes les délé­gations et donner tous les consente­ments qui seront nécessaires sous l'au­torisation du départ.

ARTICLE 2

« Ils autorisent en outre led. cit. Riffet [sic] à se comprendre dans lad. délé­gation pour le traitement auquel if a droit, aux termes de l'acte de société du 8 mars 1787 et des délibérations particulières du conseil d'administration dud. établissement, et encore pour rai­son de toutes autres sommes et indem­nités qui peuvent lui être dues, sauf le regl. de l'administration centrale du département de la Seine.

ARTICLE 3

«Après l'acquittement de tous les 5 créanciers, if sera procédé à une ré­partition entre les actionnaires de ce qui pourra rester desd. sommes dé­posées.

ARTICLE 4

«Pour l'exécution de ce que dessus, led. cit. Reffé [sic] est autorisé à con­tinuer les démarches par lui déjà com­mencées auprès de la Préfecture et de toute autre autorité à présenter toutes les pièces nécessaires.

«Et dans toute cette opération, il se réglera sur ce qui sera arrêté avec l'administration centrale du départe­ment, d'après les errements déjà éta­blies.

« Fait et délibéré lesd. jour et an que dessus ".

Dès le lendemain de cette assemblée, c'est-à-dire le 11 mars 1802, l'employé des Domaines qui y avait assisté consignait ses observations : cette assemblée était de pure forme, un conseil ayant eu lieu auparavant à la préfecture pour prendre toutes dispo­sitions pour la liquidation de la blan­chisserie. Cette intervention des auto­rités n'avait rien d'extraordinaire : d'une part, Megret Sérilly était action­naire, mais aussi créancier; d'autre part, étant émigré, ses droits re'ife­naient à la République.

Quelques jours plus tard, le 18 germi­nal an 10 (8 avril 1802), le directeur des Domaines de Paris écrivait à son collègue de Versailles, lui rappelant sa lettre du 14 du mois précédant (5 mars), «relativement aux actions des émigrés de votre Département dans la Buanderie de Sèvres". Nous connaissons la réponse du directeur de l'Enregistrement de S.-et-O. à son collègue de Paris : il dit qu'il n'y a point d'actions de cette blanchisserie dans son département et qu'il se trou­ve «dans l'impossibilité absolue de vous fournir le moindre renseignement à cet égard... ".

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Telle est l'histoire du premier établis­sement industriel de l'île Seguin : la blanchisserie-buanderie Riffé.

Pierre MERCIER.

(19)

Arch. Seine, DQI01J,I,8, dossier 3356.

(20)

Arch. Seine, DQI0169, dossier 10428.