08 - Dissolution de Renault Frères

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Dissolution de Renault Frères

Renault frères a donc été constitué à partir du 1"' octobre 1898(1) entre Fernand et Marcel Renault, Louis n'étant pas partie prenante et n'ayant, par conséquent, aucun pouvoir juri­dique.

On peut trouver curieux qu'aucune modification ne soit intervenue les années suivantes, faisant une part meilleure à Louis Renault qui avait démontré largement ses capacités techniques. Il n'est guère possible aujourd'hui d'en donner les raisons. Mais un événement survient qui va modifier le cours de la vie de la jeune entreprise et, par là, précipiter ce qui devenait inéluctable.

Le 26 mai 1903, Marcel Renault meurt à Bourg-de-Vay 1") au cours de la pre­mière et unique étape de Paris-Madrid. Célibataire, il n'avait d'autres héritiers légitimes que sa mère et ses frères. Du moins en principe car, selon Saint­Loup, et cette hypothèse n'a pas été démentie par la famille Renault, lors de la parution de son ouvrage (:l), Marcel Renault avait une maîtresse, Suzanne Davenay, qu'il avait instituée légataire universelle. Saint-Loup nous apprend comment Louis Renault désin­téressa cette «petite blonde insigni­fiante" : une pension -qui lui sera servie jusqu'à sa mort -et une voiture neuve chaque année. Cette question heureusement réglée il ne restait plus qu'à modifier l'acte primitif. Ce qui fut fait par le ministère de maître Bachelez, notaire à Paris. Voici donc, publié pour la première fois, l'acte tel qu'il fut enre­gistré le 28 juillet 1903

Entre les Soussignés : et Monsieur Louis Renault, ingénieur, demeurant à Paris, 82 boulevard des Batignolles

D'autre part,

A été préalablement aux conventions qui font l'objet des présentes, exposé ce qui suit:

1 -Suivant acte sous seings privés intervenu à Paris à la date du vingt­cinq février 1899, enregistré à Paris le vingt-sept février suivant, déposé et publié, Monsieur Fernand Renault et Monsieur Marcel Renault ont formé une Société en nom collectif, sous la rai­son et la signature sociales «Renault frères" et avec siège à Billancourt (Seine), 10, avenue du Cours, ayant pour objet la fabrication et la vente de voitures automobiles, moteurs et toutes opérations se rattachant à cette industrie, dont ils étaient tous deux gérants. Cette Société était formée pour une période de dix années devant expirer le premier octobre 1908.

1/ -Monsieur Marcel Renault est décédé, célibataire, à Bourg-de-Vay, Commune de Payré (Vienne), le vingt­six mai 1903, laissant comme seuls héritiers suivant acte de notoriété dressé par Mes Meignen et Bachelez, notaires à Paris les neuf et dix-sept juillet 1903, Madame veuve Renault, sa mère, pour un quart et ses deux frères germains. Messieurs Fernand et Louis Renault, chacun pour moitié du surplus.

III -Les héritiers de Monsieur Marcel Renault ont, suivant acte de partage intervenu à Paris le vingt-cinq juillet 1903 enregistré ce jour, attribué notam­

(1) Voir «Constitution de Renault frères ».

Bulletin no 6. demeurant à Paris, 7 rue de Penthièvre

Monsieur Fernand Renault, négociant,

(2) Voir «La mort tra.aioue de Marce!

Renault». Bulletin no 4.

D'une part,

(3) Saint-Lour>. «Renault de BiHancourt ».

ment à Monsieur Louis Renault héritier pour partie de son frère, /'intégralité des droits sociaux de Monsieur Marcel Renault dans la Société Renault frères et il a été convenu que l'acte de Société de 1899 serait modifié de façon à concorder avec la nouvelle situation.

Le présent acte a pour but de consta­ter ces modifications, en reproduisant pour la clarté du texte, les clauses non modifiées de l'acte de 1899 aussi bien que les articles modifiés.

Il est en conséquence convenu et arrêté ce qui suit:

Article 1er -La Société Renault frères continue entre Monsieur Fernand Renault et Monsieur Louis Renault, comme associés, en nom collectif gérants.

Article 2 -Cette Société a pour objet l'exploitation d'une fabrique d'automo­biles, moteurs et accessoires, et l'exploitation des brevets pris, ou à prendre par Monsieur Louis Renault pour la fabrication des voitures auto­mobiles à moteurs à pétrole à quatre temps.

Il est fait observer ici que Monsieur Louis Renault restera propriétaire des brevets qu'il a déjà pris comme de ceux qu'il prendra par la suite et qu'il ne concède à la Société que la licence de les exploiter, à la charge par la Société de payer les frais de prise de brevets, les frais de leur entretien et leurs annuités tant qu'elle les exploitera.

Article 3 -La raison et la signature sociales sont «Renault Frères". Chaque associé peut isolément faire usage de la signature sociale, même pour donner mainlevée de toute hypo­thèque, inscriptions hypothécaires ou saisies-arrêts, avec ou sans paiement, à condition de ne s'en servir que pour les besoins et affaires de la Société à peine de dissolution.

Article 4 -Le siège social précédem­ment établi à Billancourt commune de Boulogne (Seine), 10, avenue du Cours, est actuellement transféré même ville, 139, rue du Point-du-Jour. Il pourra être transporté ailleurs, du consente­ment des deux associés.

Article 5 -La Société formée précé­demment pour une durée expirant le trente et un octobre 1908 est prorogée jusqu'au trente et un octobre 1915. Elle pourra cependant être dissoute par anticipation à la volonté d'un seul des associés le trente et un octobre 1907 ou le trente et un octobre 1911, à charge par l'associé qui voudra requé­rir la dissolution anticipée pour l'une des dates ci-dessus, de prévenir son co-associé par lettre recommandée six mois au moins avant l'échéance d'une de ces périodes.

Si à la suite de l'avis donné par l'un d'eux, l'autre associé ne veut pas reprendre l'affaire pour son compte, la Société sera dissoute à l'époque désignée et liquidée par les soins des deux associés.

Article 6 -Le capital social apparte­nant aux deux associés chacun pour moitié se compose :

1° de l'ensemble des biens, droits, actions et obligations de la Société, tel qu'il se comporte actuellement, évalué pour l'enregistrement seulement à sept cent huit mille cinq cent quatre­vingts francs 25 centimes;

20 des immeubles suivants, acquis conjointement par Messieurs Renault, qui les comprennent, par le présent acte, dans l'actif de la Société à titre de complément d'apport;

A -une propriété sise à Billancourt, commune de Boulogne, rue du Cours nO 27 d'une contenance superficielle de 865 mètres acquise de Monsieur et Madame Degeorge, suivant contrat reçu par Me Bachelez, notaire à Paris le vingt-trois juin 1903, moyennant le prix de trente-cinq mille francs payé comptant;

B -un terrain sis au même lieu, rue du Cours nO 25 d'une contenance de 440 mètres acquis de Monsieur et Madame Zamboz, suivant contrat reçu par Me Bachelez notaire à Paris les premier et quatre juillet 1903, moyen­nant le prix de vingt-neuf mille francs payé comptant.

Lesdits immeubles évalués pour l'en­registrement seulement à somme égale aux prix ci-dessus.

Messfeurs Fernand et Louis Renault se réservent en outre, de fournir en compte courant les sommes qu'ils jugeront nécessaires au fonctionne­ment de la Société.

Leurs apports, de même que les som­mes fournies en compte courant seront productifs, au profit de chacun d'eux d'intérêts au taux de cinq pour cent l'an, qui seront payables tous les six mois et passés par frais généraux.

Article 7 -Monsieur Fernand et Mon­sieur Louis Renault prélèveront, à titre d'émoluments de gérance, savoir:

Monsieur Fernand Renault, une somme

de douze mille francs par an.

Monsieur Louis Renault, une somme

de vingt-quatre mille francs par an.

Ces prélèvements seront faits par douzième chaque mois et passés par frais généraux.

Article 8 -Les écritures seront tenues en partie double au siège social.

Elles seront arrêtées le trente sep­tembre de chaque année, époque à laquelle sera dressé /'inventaire annuel.

Article 9 -Les bénéfices nets consta­tés par l'inventaire annuel seront par­tagés par moitié entre les deux associés.

Les pertes, s'il s'en produisait, seront supportées dans les mêmes pro­portions.

Article 10 -La Société sera dissoute par le décès de l'un des aSSOCies, à moins qu'il ne convienne à l'associé survivant de continuer la Société comme seul gérant, les héritiers ou représentants de l'associé décédé comme commanditaires.

Dans ce cas le capital de la succes­sion devenue ainsi commanditaire sera déterminé à forfait par /'inventaire qui aura précédé le décès, en ajoutant toutefois aux résultats de cet inven­taire, pour tenir compte aux héritiers du décédé des bénéfices réalisés au jour du décès une somme calculée sur sa part dans les bénéfices de l'année précédente, et proportionnelle au temps couru entre le dernier inven­taire et le jour du décès.

La raison et la signature sociales seront composées du nom du survi­vant auquel seront ajoutés les mots «et Cie", le survivant ayant le droit d'apposer avant la signature sociale l'ancienne raison Renault frères. La part de bénéfices de la succession comman­ditaire ne sera pas modifiée, non plus que sa part dans les pertes sans qu'elle puisse toutefois excéder le montant de sa commandite.

Les émoluments de gérance attribués au gérant décédé seront attribués au survivant, soit pour compenser le sur­croit de travail qu'il aura à fournir, soit pour lui permettre de se faire seconder.

En cas de maladie grave d'un des gérants au cours de la Société, la Société ne sera pas davantage dis­soute, même si la gravité de la maladie interdit au gérant toute gérance utile.

La Société sera gérée par l'autre associé pendant le cours de cette maladie.

Article Il -A l'expiration de la Société ou, si elle vient à être dissoute avant son expiration, notamment en cas de perte de moitié du capital social, la Société sera liquidée par les deux associés.

Article 12 -En aucun cas et pour quel­que cause que ce soit, il ne pourra être apposé de scellés sur les biens et valeurs dépendant de la Société, ni au Siège social, ni dans les usines ou annexes.

Article 13 -Tous pouvoirs sont donnés au porteur d'un exemplaire des pré­sentes pour remplir les formalités de dépôt et de publication exigées par la loi.

Fait en cinq originaux à Paris le vingt-sept juillet mil neuf cent trois. Lu et approuvé Lu et approuvé Fernand Renault Louis Renault

Comme on le remarquera, Louis Renault se voit attribuer l'intégralité des droits sociaux de son frère défunt. C'est là une entrée en force dans l'as­sociation, mais qui ne fait que concré­tiser une situation de fait. Quant à ses brevets, il en conserve la pro­priété entière et ne laisse à la société que la licence de les exploiter, à charge par elle de lui payer les droits qui en résulteront. Enfin il s'attribue un prélèvement annuel de 24000 francs, soit près de sept fois les appointe­ments qu'il avait reçus en 1899; il est vrai qu'entre temps le capital social de Renault frères était passé de 60000 à 708 580 francs.

Le dernier acte

Jusqu'à la mort de Marcel Renault, Fernand s'était exclusivement consa­cré aux affaires familiales : un com­merce de draperies et une fabrique de boutons. Affaires menées sagement, Fernand ayant hérité de son père de solides qualités de commerçant alliant l'affabilité à la fermeté. Désormais, ses nouvelles obligations le contrai­gnent à cesser leur exploitation pour se consacrer entièrement à la société dont le développement nécessite sa présence constante.

Pendant près de six années, les deux frères vont collaborer avec bonheur. Entre 1903 et 1908, Renault frères connaît un développement impétueux: effectif multiplié par trois, production et chiffre d'affaires par cinq, bénéfice brut par trois, surfaces par six. Mais, comme au rythme de cette progres­sion, la santé de Fernand s'altère, Louis Renault pense à l'avenir de l'en­treprise. Il se souvient du passé et Fernand a trois enfants. Il va donc s'efforcer d'obtenir de son frère malade une renonciation à l'association. Ce sera fait dans des conditions qu'on voudrait imaginer satisfaisantes pour les deux parties. Le 29 janvier 1909, la dissolution de Renault frères est ainsi enregistrée :

Par devant Me Victor Bachelez et Me Couturier, notaires à Paris, soussi­gnés ont comparu

M. Fernand Renault, propriétaire, Che­valier de la Légion d'honneur, demeu­rant à Paris, rue de la Baume na 7

et M. Louis Renault, industriel, Cheva­lier de la Légion d'honneur, demeu­rant à Paris, rue Puvis de Chavannes na 4.

Lesquels ont, par ces présentes, déclaré qu'ils ont dissous purement

1er

et simplement, à partir du octobre 1908, la Société en nom collectif qui existait entre eux sous la raison sociale : Renault frères, pour /'exploi­tation d'une fabrique d'automobiles, moteurs et accessoires, ayant son siège social à Billancourt, commune de Boulogne (Seine) rue Gustave Sandoz na 15 (précédemment rue du Point-du-Jour na 139) ainsi qu'il résul­tait de deux actes sous signatures privées et datées à Paris : le premier du vingt-cinq février mil huit cent quatre-vingt dix-neuf, enregistré à Paris le vingt-sept du même mois, Fa 25, aux droits de cent cinquante francs; le deuxième du vingt-sept juillet mil neuf cent trois, enregistré à Paris le lendemain, Fa 66, aux droits de dix-neuf cent trente un franc cin­quante centimes et publiés conformé­ment à la loi.

La liquidation de ladite société est faite par M. Louis Renault, qui est investi, pour cette liquidation, des pou­voirs les plus étendus, notamment ceux de traiter, transiger, compromettre, donner tous désistements et mainle­vées, avec ou sans paiement, avec faculté de déléguer tout ou partie des­dits pouvoirs à tous mandataires.

Fait et passé à Paris en la demeure de

M. Fernand Renault, y comparant.

L'an mil neuf cent neuf le vingt-neuf janvier Et, lecture faite, les comparants ont

signé avec les notaires Fernand Renault Louis Renault

Louis Renault devenait le maître unique de Billancourt. Deux mois plus tard, le 22 mars 1909, Fernand Renault dis­paraissait à l'âge de 44 ans. La période héroïque était terminée, une autre étape commençait.

Gilbert HATRY