08 - Journal clandestin (Mars 1944 à Mai 1945)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Journal clandestin (Mars 1944 à Mai 1945)

CARNET DE ROUTE ET JOURNAL SECRET

par Fernand Picard

Résumé des chapitres précédents

Après plusieurs mois passés sur le front de Lorraine, Fernand Picard retrouve la Société des Moteurs Renault pour l'Aviation. Le 31 août 1940, il rejoint Billancourt, où il devient adjoint à M. Serre, chef du bureau d'études. L'usine est placée sous le contrôle de commissaires allemands.

Dès 1941, ces derniers ont des exigences de plus en plus pressantes. La Direction doit faire face à une situation qui s'aggrave sans cesse. De son côté, le personnel ouvrier, durement touché par les restrictions alimentaires, affirme une volonté de résistance qui s'exprimera lors de l'invasion de l'U.R.S.S. par les forces allemandes.

L'année 1942 est marquée par deux événements d'importance. Le 3 mars, Billancourt est bombardé, mais trois mois plus tard, la production de camions retrouvera sa cadence antérieure. En septembre, commence à se poser la question des prélèvements de main-d'oeuvre qui susciteront une opposition sans cesse affirmée. Ils cesseront en avril 1943, après les bombardements du Mans et de Billancourt.

La détérioration de la situation militaire rend les occupants plus exi­geants encore, mais la production de camions ne cessera de baisser ; la moyenne mensuelle de 1943 s'élèvera à 439 contre 1018 en 1941, année record.

Le chapitre que nous publions aujourd'hui termine la série. Il s'arrête au 3 mai 1945, jour où les journaux annoncèrent la chute de Berlin. Entre-temps, au jour de la Libération de Paris, Fernand Picard aura extrait son «Journal clandestin» du bocal à cornichons, dans lequel il resta dissimulé pendant ces dures années de guerre.

G. H.

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à mai 1945

14 mars

17 mars

12 avril

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L'usine Renault du Mans a été bombardée la nuit dernière. D'après les renseigne­ments qui nous sont parvenus ce soir, il ne semble pas qu'elle était l'objectif prin­cipal des bombardiers, mais que les projectiles étaient destinés à la gare de triage adjacente. Il est tombé 300 bombes explosives et incendiaires sur l'ensemble du terrain Renault. 20 bombes de 500 kg ont touché les ateliers de fonderie, forge et mécanique. Il n'y a aucune victime parmi le personnel. Les estimations des dégâts sont, pour le moment, contradictoires. Certains disent que les fonderies et forges sont totalement détruites et ne pourront être remises en route. Pour d'autres, il suffira de quelques semaines pour assurer la remise en route. Le dernier bombar­dement de cette usine datait du 9 mars 1943.

Les dégâts de l'usine du Mans sont moindres qu'il n'avait été tout d'abord annoncé. Peltier estime qu'ils s'élèvent à six millions de francs environ, ce qui actuellement ne représente pas grand chose. Il en résultera cependant, en supposant que les transports permettent d'acheminer sur Pontlieue les wagons de tuiles et de tôle ondulée indispensables, un arrêt d'au minimum un mois, ce qui va inévitablement ralentir la production de Billancourt qui reçoit de là-bas les ponts arrière et les essieux avant. Il est même possible, qu'avec toutes les difficultés actuelles, ce bombardement ne provoque un arrêt total de la sortie des camions. La production de janvier a été de 572 véhicules, celle de février de 661. Ce soir, une nouvelle difficulté très grave surgit: le manque de courant électrique. Depuis une quinzaine, il était question dans la presse de mesures exceptionnelles touchant les cinémas, théâtres, cafés, restaurants et toutes les entreprises industrielles qui n'étaient pas classées «S.Betrieb". Nous avons été informés ce matin que le courant serait coupé aujourd'hui de 14 heures à 18 heures et lundi toute la journée. L'usine a été fermée cet après-midi et ne rouvrira, s'il ne survient pas de fait nouveau d'ici là, que mardi matin.

Les autorités allemandes nous ont informés aujourd'hui, que dans le but de réduire la consommation de tôle, il nous faudrait examiner d'urgence dans quelles condi­tions nous pourrions remplacer l'acier par des panneaux de carton de bois comprimé, pour la fabrication des cabines de camions. De même, des instructions nous seront prochainement données pour réduire les dimensions des plateaux des véhicules, ainsi que pour remplacer l'acier par du bois pour la construction des soubassements.

La situation du gaz et de l'électricité dans la reglon panslenne s'est subitement aggravée, du fait de la destruction de quelques-unes des écluses du canal de Saint-Quentin, dernière voie par laquelle le charbon du Nord arrivait encore à Paris. Les usines à gaz n'ont plus que deux à trois jours de stock de combustible devant elles, les centrales électriques, une semaine à peine. A l'usine, on est déjà dans l'obligation depuis quelques jours de brûler du coke concassé. Si l'approvisionne­ment ne reprend pas à brève échéance, on sera contraint à l'arrêt total. Pratique­ment, tout transport est devenu impossible, par manque de wagons et par les délais de voyage. Il n'arrive plus rien par voie ferrée du Mans. Pour ne pas arrêter la production de Billancourt, il a été nécessaire d'organiser une liaison par camions entre Paris et Le Mans. Aussi, la sortie des camions est-elle devenue très irrégu­lière. En mars, il n'en a été livré que 419, conséquence du bombardement de l'usine de Pontlieue. La question des pneus qui risquait de nous arrêter totalement en février, est devenue momentanément moins aguë. 3 000 pneus prélevés sur les réserves du front Est, sont arrivés de Varsovie, ce qui, aux cadences actuelles, permettra de livrer la production de près de deux mois. Mais le fait que ces pneus marqués Michelin et Goodrich ont, pour nous parvenir, fait un voyage de près de 3 000 km, marque clairement les éléments du problème essentiel qui se pose aujourd'hui, non seulement aux armées, mais aussi à l'économie de guerre tout entière.

3 mai

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11 mai

19 mai

6 juin

Devant les restrictions de gaz et de courant, il a été décidé hier de fermer les usines Renault pour le reste de la semaine. La situation est en effet inextricable. Nous avons été avisés que la consommation de gaz qui était pour chaque jour de la semaine dernière, de 63 000 m3, était rationnée maintenant à 4 000. Et que l'éner­gie électrique ne pourrait être distribuée aux ateliers que de nuit. Le commissaire insiste pour que la Direction organise le travail de nuit. M. Renault, par crainte de bombardement, s'y oppose. On ne sait comment la question sera réglée et quel horaire sera communiqué au personnel, lundi prochain. La décision est évidemment très grave. Travailler la nuit, c'est courir au devant des difficultés et peut-être même des catastrophes. En cas de bombardement, c'est provoquer une terrible boucherie. D'autre part, fermer les usines, c'est mettre à la disposition des autorités allemandes dix mille hommes pour la déportation en Allemagne. C'est en même temps ouvrir les ateliers au pillage de l'industrie du Reich. Déjà, une commission vient de passer pour requérir des presses à emboutir de grande puissance. Que serait-ce si l'usine était fermée?

On nous offrait la semaine dernière de l'énergie électrique de nuit. Les attentats qui ont eu lieu ces derniers jours et nous ont coupés des barrages du Centre et du Sud imposent maintenant un rationnement du courant, aussi sévère que celui du gaz. Il a été décidé, dans ces conditions, de ne pas rouvrir les ateliers. Le person­nel est mis en congé payé jusqu'au 17 mai. Après cette date, une convocation sera envoyée aux ouvriers qu'il sera possible d'utiliser.

Pour assurer la remise en état des voies, la S.N.C.F. demande à l'industrie privée 62 000 ouvriers. L'usine doit en fournir 1 800. Ce qui sera facile dans la situation où nous sommes. Il n'y a pas d'éléments nouveaux pour savoir s'il nous sera pos­sible de reprendre le travail. J'ai l'impression que les ateliers sont maintenant fer­més pour la durée de l'Occupation. Mais que va-t-il se passer pour le personnel?

Les usines sont toujours fermées. On place le personnel volontaire au travail de déblaiement et de réparation des voies de la S.N.C.F. Ce matin, 4200 ouvriers avaient été affectés aux chantiers ouverts dans la région parisienne. A partir de lundi prochain, on travaillera dans les ateliers, à cadence réduite, uniquement sur les fabrications prioritaires : caoutchouc, pneumatiques, pièces détachées pour transformation des camions à essence en véhicules à gazogène. On compte ainsi ne consommer que 150 tonnes de charbon par jour, ce qui, avec le stock de 2 000 tonnes actuel, doit permettre de tourner au ralenti 3 semaines et d'occuper 4 000 ouvriers. D'ici là, des événements imprévus peuvent survenir. Il serait vain de faire des projets à plus longue échéance.

Enfin! Les opérations à l'Ouest ont commencé. J'en ai appris la nouvelle ce matin par une vieille dame qui, comme nous, s'était mise à l'abri sous une porte cochère. Nous accueillîmes son information avec septicisme, mais bientôt, la nouvelle cou­vrait la ville. Les visages rayonnaient; les yeux jetaient des flammes. Une joie sourde jaillissait de toute part. Toute la journée s'est passée dans l'attente des nouvelles et dans l'anxiété du développement que prendraient les opérations.

9 juin De tous côtés, nous parviennent maintenant l'écho de la bataille continue, qui se livre sur les routes qui mènent vers l'Ouest. A l'usine, on ne parle que de voitures

12 juin

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10 juillet

17 juillet

mitraillées, de tués, de blessés. Tous ceux qui, ces derniers jours, étaient sur les routes du Mans, de Dreux ou de Rouen, apportent le témoignage d'attaques inces­santes par des avions volant à basse altitude. Les convois, les véhicules isolés et même les cyclistes sont impitoyablement mitraillés. Les fossés et bas-côtés de certaines routes sont jonchés de véhicules de tous genres, criblés de balles et d'éclats.

Les multiples attaques aenennes contre la reglon parisienne préoccupent nombre d'esprits. Les nombreuses alertes (7 à 8 par jour) les déconcertent. Toute la jour­née, à l'usine, il n'a été question que des affiches placardées hier par la munici­palité de Boulogne-Billancourt, déclarant zone très dangereuse le voisinage de.s ponts des Peupliers, de Sèvres et de Saint-Cloud.

Le montage des camions touche à sa fin. Depuis la réouverture des portes de l'usine pour travailler avec les maigres contingents de courant qui lui sont accor­dés, nous avons épuisé le stock de ponts arrière. Maintenant l'arrêt est inévitable. L'usine du Mans, endommagée par les bombardements successifs de la gare de marchandises toute proche, est totalement arrêtée. Les ouvriers, de crainte d'être ramassés ont pris la fuite dans les campagnes. Du fait des attaques des convois sur les routes, il est impossible d'envoyer des camions là-bas. A Billancourt, la situation n'est guère meilleure. Les 4500 ouvriers qui restent ne produisent guère. L'envoi des meilleurs sur les chantiers de la S.N.C.F. a complètement désorganisé la production. Les fonderies et la forge sont fermées. Seuls, travaillent à plein, sur ordre des autorités d'occupation, les ateliers de fabrication des pièces de rechange et des pneumatiques. Les alertes perpétuelles arrêtent à tout moment l'activité. Après chacune d'elles, la remise en route est longue et pénible. Le résul­tat est une baisse sans cesse croissante des sorties de camions. En mai, il a été livré en tout 110 camions, dont 8 de 2 tonnes, à gazogène, aux autorités françaises. Ce mois-ci, les sorties journalières varient entre 4 et 5 véhicules. Cet arrêt quasi total de la grande usine n'empêche pas les autorités industrielles allemandes de s'agiter et de poser de nombreuses questions. Jamais nous n'avons été autant bombardés de questionnaires, demandes de modifications, rapports d'essais. Alors que dans moins d'une semaine nous ne sortirons plus aucun véhicule, le Waffenamt nous informe que nous devrons dans le plus bref délai renforcer la direction, ren­forcer le châssis, remplacer le démarreur électrique par un appareil Bosch à com­mande positive, remplacer la dynamo par une machine plus puissante, perfection­ner la protection contre la poussière de la jauge d'huile, modifier le réchauffage de la cabine de conduite. On nous a demandé d'entreprendre l'étude d'une nouvelle cabine pour utiliser des pièces conformes aux normes allemandes. C'est une véri­table folie. On dirait que le déclenchement des opérations à l'Ouest a fait éclore, dans l'esprit de tous ces messieurs, une foule de problèmes urgents.

M. de Peyrecave a réuni aujourd'hui en conférence les chefs de service pour annoncer que la pénurie de courant et de charbon amenait à réduire encore l'acti­vité des ateliers. Tout le personnel employé sera mis en vacances à partir du 23 juillet, pour une durée illimitée. Seuls reprendront le travail au 15 août ceux qui recevront une convocation. Dès maintenant, l'effectif en a été fixé à un tiers de celui au 15 juillet. Les autres recevront l'indemnité de chômage prévue par la loi, soit environ 1 750 F par mois. Pour be,aucoup, la vie va devenir diffi'cile.

Pour la première fois depuis quatre ans, le prince von Urach, commissaire aux usines, m'a parlé. d'autres questions que de questions techniques, et ce fut pour se plaindre de la durée de la guerre. Il m'a dit sa souffrance de vivre ainsi toujours loin des siens, de ses enfants, de son foyer. Il ne m'a pas caché qu'il en avait assez de cette séparation de cinq années et il a ajouté qu'il espérait bien que cela ne durerait plus très longtemps, maintenant. Puis, comme évidemment j'abon­dais dans son sens en lui marquant que c'était les meilleures années de sa vie familiale qui s'étaient trouvées gâchées, il est entré dans la voie des confidences. Il m'a décrit ce qu'était sa vie depuis 1933, tous les sacrifices qu'il avait dû faire à son foyer pour obéir aux ordres qui lui étaient donnés, la tristesse des week­

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25 août

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ends passés loin des siens. On sentait dans ses propos beaucoup de mélancolie, mais aussi de sourds ressentiments contre le régime qui lui avait imposé toutes ces privations et toutes ces misères. «Et pour quels résultats? ». Ce fut là son dernier mot. J'ai conservé de cette conversation l'impression que le moral allemand était sérieusement touché. Pour qu'un homme comme celui-là qui n'a jamais souffert physiquement de cette guerre, en vienne à de telles confidences vis-à-vis d'un Français, il faut vraiment que la démoralisation soit profonde. Nous l'avons vu garder la tête froide devant tous les événements, dans la victoire comme dans les revers. Le fait qu'il ait osé aujourd'hui me dire de telles choses, marque certaine­ment que de grands bouleversements se préparent dans le Reich nazi.

Les services allemands quittent Paris en hâte. Toute la nuit une vive agitation a régné dans tous les immeubles qU'ils occupent. Avenue Foch, la gestapo clouait des caisses. Avenue des Champs-Élysées, l'organisation Todt déménageait. Ce matin, les routes qui se dirigent vers l'Est sont couvertes de camions de toutes marques et de toutes dimensions, qui emportent vers Nancy tous ces messieurs.

Ce matin, la plus vive agitation régnait dans toutes les avenues venant de l'Ouest. Du pont de Neuilly à la porte Maillot, dans le bois de Boulogne, du pont de Saint­Cloud et du pont de Sèvres à la porte de Saint-Cloud, toutes les artères étaient parcourues par un flot ininterrompu de véhicules ramenant vers Paris des troupes combattantes avec leur matériel. Le tout couvert de poussière et sortant visible­ment de la bagarre. Et ce défilé a duré une grande partie de la journée, tandis que dans Paris les camions achevaient de déménager les services et divers bureaux de l'armée et de la marine. Le commissaire allemand à l'usine, le prince von Urach est parti lui aussi, ainsi que les services de l'O.K.H. chargés du matériel automobile. Ce soir, à 16 heures, M. de Peyrecave au cours de sa conférence annonçait que les troupes américaines étaient à Dourdan et à Saint-Léger-Ies-Yvelines, à 40 kilo­mètres de Paris. Nous voici donc à la veille de la Libération.

A l'usine, la journée a été surtout marquée par une agitation politique. Ce matin, des éléments du parti communiste se recommandant de la fédération des métaux ont tenté d'occuper les portes principales. Astolfi est intervenu en sortant son brassard tricolore des F.F.1. et en indiquant que les usines seraient gardées par les F.F.I., M. de Peyrecave s'est saisi de cette occasion et a aussitôt demandé l'envoi de quarante gardiens à brassard tricolore. Comme il l'a dit à la conférence des chefs de service « l'usine s'est mise sous la pwtection des Forces françaises de /'intérieur ». A l'extérieur de l'entreprise l'agitation ouvrière est faible, mais sur tous les murs sont collés des papillons, invitant les ouvriers à former des Comités d'entreprise, dans le but de l'agitation prochaine. Tout ceci me parait prématuré. Après la Libération, il nous faudra livrer et gagner la bataille de la production. Je doute que ce puisse être à coup de cahiers de revendications et de meetings.

Journée exaltante. Journée magnifique passée parmi la foule de Boulogne-Billan­court, à saluer et acclamer les splendides troupes du général Leclerc et les artilleurs de l'armée américaine. J'apprends que notre ami Lorrain a été tué d'une balle dans la tête, au moment où il hissait les couleurs.

A la conférence des chefs de service de 17 heures, M. de Peyrecave a annoncé qu'il n'était pas partisan de reprendre le travail aux usines avant que l'électricité et les transports n'aient été rétablis. Cette attitude a causé quelque surprise dans l'auditoire. M. Grillot l'a traduite en disant que les ouvriers ne comprendraient pas cette position et l'interpréteraient probablement comme une manifestation d'hosti­lité, vis-à-vis du Gouvernement provisoire. Il a marqué sa crainte de voir surgir de ce fait des difficultés ouvrières. A l'issue de la réunion, j'ai dit à M. Serre et à Riolfo ce que je pense de cette décision et ma désillusion de voir que la Direction

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générale n'avait pas tiré la leçon des événements et semblait vouloir prendre une position de prudence, pour le moins excessive, dans les circonstances actuelles. Malgré toutes les difficultés du moment, le manque d'électricité, de gaz et de charbon, j'estime qu'il est urgent de remettre l'usine au travail, de mettre fin au désœuvrement du personnel, de rétablir la vie économique normale. Les services de ravitaillement manquent de moyens de transport. C'est un devoir de monter tous les camions qui sont actuellement en pièces détachées et de participer ainsi au relèvement national.

A la conférence d'aujourd'hui, M. de Peyrecave, que l'atmosphère d'hier avait frappé et fait réfléchir, a annoncé que malgré les difficultés l'usine rouvrirait ses portes le 1er septembre prochain, à effectif réduit, en utilisant pour produire le courant indispensable, le charbon réservé pour lutter contre le froid en cas de fortes gelées. Sur 9600 ouvriers actuellement inscrits à l'effectif de l'usine, 4300 étaient occupés sur les chantiers de la S.N.C.F. et des P.T.T. Ce personnel a reçu l'ordre de reprendre immédiatement le travail afin de remettre le plus rapidement possible en état les voies ferrées. Sur le reste, 2 150 seront repris à l'usine à partir du 1er. Il en restera donc 3 150 en chômage. Sur le personnel employé, de 3800, 700 ont pu être placés à l'extérieur, 500 seront maintenus en chômage et 2600 reprendront leur travail en même temps que le personnel ouvrier. Je tiens à inscrire ici ces chiffres, malgré leur sécheresse, pour marquer d'où nous partons dans l'œuvre de redressement industriel. Dans son commentaire sur la situation économique, M. de Peyrecave a été plutôt pessimiste. Le manque d'électricité, de gaz et de charbon empêche évidemment toute remise en route générale. Et, malgré la rapidité de l'évolution de la situation militaire, il ne faut pas compter sur un rétablissement rapide d'une situation normale.

L'entrevue entre M. de Peyrecave et la délégation ouvrière de la fédération de la métallurgie s'est passée beaucoup mieux qu'on ne pouvait le redouter. Les reven­dications étaient modérées. Les réponses ont été acceptées sans amertume. D'après M. de Peyrecave, la discussion a été courtoise et empreinte d'un réel désir d'apaisement. Il semble bien d'ailleurs que la classe ouvrière soit extrê­mement calme. L'ouvrier français demande actuellement du travail et un salaire qui lui permette de vivre honnêtement. La propagande extrémiste n'a aucune prise réelle. Et j'ai l'impression très nette que les difficultés que certains redoutaient ne surgiront pas si on veut bien, en haut lieu, envisager le problème avec bon sens et rapidité et si on agit suffisamment vite pour éviter que les inévitables malentendus ne se transforment en conflits aigus.

On reparle très sérieusement aujourd'hui d'épuration dans l'usine. Il nous faut à tout prix empêcher que cette opération nécessaire -et que psychologiquement il est impossible d'éviter -se fasse dans le désordre et l'anarchie. Il faut surtout que les rancunes personnelles de chefs à subordonnés ne viennent pas en troubler le caractère. Nous avons examiné aujourd'hui cette situation avec Riolfo et Astolfi et nous avons décidé pour tenter de canaliser ce bouillonnement de la colère populaire, d'organiser autant que cela sera possible, les membres des F.F.1. de l'usine, afin d'en faire une force d'ordre, au lieu de les laisser se grouper derrière les éléments communistes. Si nous réussissons dans cette tâche, le moment venu, il nous sera possible d'intervenir pour suggérer une solution d'ordre tout en restant justes. Nous ne nous dissimulons pas la difficulté de l'entreprise, mais elle mérite d'être tentée.

La question des responsabilités encourues par les collaborateurs et l'épuration reste la principale des préoccupations de l'opinion. Elle risque de faire oublier les grands problèmes que pose notre reconstruction et d'égarer des énergies qui s'emploieraient plus utilement ailleurs. Un peu partout, ceux qui se sentent visés préparent des dossiers de justification et cherchent à prouver qU'ils n'ont jamais travaillé que sous la pression de l'ennemi. A l'usine, les principaux directeurs ont passé leur temps à cette tâche depuis une quinzaine. Jamais les archives n'ont été aussi minutieusement épluchées. M. Renault a quitté Paris pour Le Mans, où, en compagnie de M. Lamirand, il vit dans une demi-clandestinité. On dit qu'un mandat d'amener a été lancé contre lui. Ses archives ont été saisies et sont soumises à l'examen de la justice. Des perquisitions ont été faites à son domicile.

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3 octobre

Ce matin, «Le Figaro.. et "Franc-Tireur» annoncent que M. Renault et

M. de Peyrecave, inculpés de commerce avec l'ennemi, ont été envoyés à Fresnes.

Au cours de la conférence des chefs de service, M. Guillelmon et M. Louis ont fait un exposé sur les conditions dans lesquelles MM. Renault et de Peyrecave ont été arrêtés. M. Guillelmon a été extrêmement sobre, s'est abstenu de tout commentaire et a conclu en demandant à chacun de poursuivre sa tâche dans la discipline. M. Louis, par contre, a fait son exposé sur un ton mélodramatique : il a laissé entendre que le juge avait été influencé par le gouvernement et que des raisons politiques dirigeaient toute l'affaire. D'après lui, l'intention du gouver­nement serait de nationaliser l'usine et le procès intenté à M. Renault aurait surtout pour but de proclamer sa déchéance et de confisquer ses biens.

La presse de ce matin annonce que le Conseil des ministres qui s'est tenu hier a décidé la réquisition «en usage» des usines Renault. La plupart des commen­taires ne sont guère tendres pour M. Renault. J'avais demandé au commandant Lepercq, aujourd'hui ministre des Finances, un rendez-vous pour l'entretenir de la situation sociale et lui demander conseil. Je l'ai vu ce matin dans son cabinet ministériel et, pendant une demi-heure, nous avons pu parler ensemble, en toute franchise, des événements. Il ne m'a pas caché que l'agitation ouvrière inquiétait le gouvernement et qu'il s'en préoccupait, afin de revenir au plus vite-aux condi­tions normales de production. Il m'a confirmé que de véritables soviets s'étaient institués dans des usines du centre de la France et que les mines du Nord avaient pratiquement cessé de produire. Il juge la situation grave, mais non désespérée.

Au cours de la visite que je lui ai rendue la semaine dernière, le commandant Lepercq avait pris rendez-vous pour moi auprès de M. Piette, secrétaire général du ministère de la Production industrielle. Je l'ai rencontré ce matin dans son cabinet. C'est un de ces hommes nouveaux qui constituent aujourd'hui le gouver­nement de la Libération et quf portent toutes nos espérances. C'est un jeune, plein d'allant et de bon sens, à l'abord sympathique et d'une grande simplicité.

Carte de visite rédigée par Aimé Lepercq pour introduire Fernand Picard auprès de Jacques Piette.

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Je lui ait fait un rapide exposé de la situation sociale à l'usine et de l'état d'esprit de la haute maîtrise. " m'a écouté avec attention. Puis il m'a répondu avec préci­sion. Après avoir remarqué très simplement que, moins de cinq semaines après un mouvement d'insurrection, où plus de vingt millions de Français se sont dressés contre l'envahisseur et l'usurpateur, l'ordre régnait à peu près partout sur l'en­semble du territoire, ce qui n'était pas si mal, puis il a abordé la question Renault. " m'a exposé que le ministre envisageait de mettre à la tête de l'usine pour rem­placer M. Renault, un Conseil de direction, composé de trois membres, nommés par le gouvernement. Ce Conseil sera assisté d'un Comité consultatif, composé de représentants des ouvriers, des techniciens, des cadres et des ingénieurs, qui aura pour rôle de le renseigner sur la marche des usines et sur l'application des mesures qu'il aura décidé. Dans son esprit, cette organisation est différente d'une nationalisation, c'est une expérience de gestion, dirigée dans le sens de l'intérêt général, par une collectivité organisée. Puis il m'a rassuré sur la question de l'épuration.

1. Piette a présenté aujourd'hui l'administrateur provisoire désigné par le gouver­nement à la délégation ouvrière de l'usine. C'est M. Lefaucheux. La formule du Conseil de direction de trois membres a donc été abandonnée, pour celle d'.un directeur général unique, meilleure à mon avis, puisqu'elle réalise l'unité du commandement. Ce matin, le Comité parisien de libération a donné son accord à la composition de Comité de libération de l'usine, après trois semaines de démarches et de négociations délicates. Je crois que nous avons ainsi fait un grand pas dans la voie de l'apaisement. Riolfo, Comte et Clees représentent l'D.C.M., dans ce comité chargé de l'épuration.

Prise de contact du nouveau directeur général avec les chefs de service. La pre­rilière impression est favorable. Nous assistons véritablement à l'élan d'enthou­siasme des éléments opportunistes. «C'est véritablement J'homme qu'il nous fallait» disait P. en sortant de la salle des conférences. " y a une détente très nette des esprits. Cet après-midi, la section de l'D.C.M. de l'usine a reçu la visite de «Robin », secrétaire général de l'organisation. Nous avons eu un entretien intéressant, très franc. " nous a dit comment on voyait en haut 'ieu la réquisition des usines et leur nationalisation. Combat d'avant-garde, que suivront avec beau­coup d'attention les milieux économiques et politiques mondiaux. Sa réussite pour­rait transformer totalement la vie économique française en l'orientant dans des voies nouvelles. Par contre, un échec ne pourrait que nous ramener au capitalisme de droit divin, ou nous jeter dans une expérience de communisme intégral. La bataille sera dure mais elle doit être gagnée. L'homme qui a été choisi comme directeur est un héros de la résistance. Connu comme membre du Comité directeur de l'D.C.M. sous le pseudonyme de Gildas, il est sorti du camp de Weimar, il y a quelques semaines, par une romanesque aventure. " sait quelles forces il affronte. Ce n'est pas un homme à se rebuter devant les difficultés.

M. Lefaucheux a réuni aujourd'hui la maîtrise de l'usine pour une prise de contact et un exposé de la situation. En une allocution énergique et courageuse, il a fait le point et tracé les grandes lignes de la nouvelle organisation. " a marqué toute l'importance que prenait pour les milieux économiques et politiques mondiaux, l'expérience de collectivisation des usines Renault, l'attention passionnée qu'on lui portait aux États-Unis et en Angleterre, l'espoir de libération dans l'ordre qu'elle apportait aux ouvriers des deux continents. Puis, il a abordé sans aucune ambi­guïté les deux questions les plus délicates de l'heure : l'épuration et la carence de l'autorité. L'épuration, elle est confiée à une commission qui a son plein appui et l'estampille officielle du Comité parisien de libération. Cette commission examine avec le maximum d'objectivité et le minimum de passion, les dossiers qui lui sont soumis. Elle seule est qualifiée pour proposer des sanctions. En dehors d'elle, aucune manifestation ni aucune exclusive ne saurait être admise et ne pourrait être tolérée. Quant au problème de l'autorité, il mérite lui aussi d'être abordé coura­geusement. «Depuis quatre ans, vous savez, nous savons tous, ce qu'est l'autorité dans la brutalité. L'autorité appuyée sur la police, la gestapo et les pelotons d'exé­cution, nous n'en voulons plus. L'autorité que vous exercerez maintenant sera

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26 octobre

fraternelle. Le mot est du général de Gaulle et marque bien ce que nous voulons que soient, désormais, les rapports entre le chef et ses subordonnés : une volonté d'exécuter ensemble, le mieux possible, une tâche commune d'intérêt général. Je vous demande d'y réfléchir et d'ajuster votre attitude sur cette pensée. Dans ces limites, critiquer et méconnaitre votre autorité serait critiquer et méconnaitre mon autorité. Vous me tr:ouverez toujours pour vous soutenir et vous aider ". Il acheva en disant chaudement toute sa confiance dans l'avenir et le développe­ment des usines « que nous ferons encore plus grandes et plus belles ". Il fut chaleu­reusement applaudi. Espérons qu'il sera entendu et suivi.

M. Renault est mort. Il s'est éteint ce matin, à 8 h 15, dans la clinique des frères Saint-Jean-de-Dieu, où il avait été transporté il y a deux jours dans un état déses­péré. Il est mort seul sous l'œil indifférent d'un infirmier, comme était mort Napoléon à Saint-Hélène. Ni famille, ni ami n'était là pour l'assister dans ses derniers instants. Ainsi se termine dans un isolement terrible, mais non sans gran­deur, la vie d'un des hommes les plus puissants du siècle. Les erreurs de ses dernières années n'entachent en rien la grandeur de son œuvre. Avec une énergie indomptable, une volonté sans défaillance il a, pierre à pierre, bâti une des plus grandes usines d'Europe. Comme un paysan ajoute chaque année un lopin de terre à ses champs, il ajoutait chaque année un atelier, une nouvelle fabrication à ses productions, il connaissait chaque rue, chaque coin de l'usine comme le fermier connaît chaque parcelle de son domaine. Cet homme dur, inhumain tant il était volontaire, n'a jamais eu qu'une passion: son usine. Rien d'autre ne comptait pour lui. Il ne pouvait s'éloigner d'elle. Il ne vivait que pour elle. Les erreurs de ses dernières années, c'est pour la garder qu'il les a commises. Il n'aimait par l'Alle­mand. PourqUOi l'aurait-il aimé, lui qui n'a jamais aimé personne? Mais il craignait qu'il ne lui prenne ses machines, qu'il ne lui réquisitionne ses ateliers. Cette crainte l'a fait aussi faible qu'un enfant. Je ne veux, ce soir, retenir que son œuvre grandiose, sans savoir pourquoi et comment il l'a édifiée. C'est à l'ouvrage qu'on juge l'ouvrier. En fermant les yeux, il laisse au pays, intacte, une de ses plus grandes entreprises industrielles. J'ose espérer que, devant la mort, nombre des rancunes qui le suivaient jusque dans sa cellule, s'apaiseront et qu'on ne cherchera pas à salir sa mémoire, que ses plus féroces ennemis méditeront sur la tristesse de sa fin et jugeront que la peine a dépassé suffisamment les fautes, pour ne retenir que ce que sa vie a réalisé de grandeurs.

J'ai assisté aujourd'hui, dans le bureau de M. Lefaucheux, à une conférence extrê­mement intéressante avec les directeurs du ministère de la Production industrielle, MM. Beylier et Pons, sur la situation économique et le programme de reprise de l'industrie automobile. Assistaient à cet entretien pour l'usine : M. Lefaucheux,

M. Serre, M. Louis et moi. Le plan dressé par la Production industrielle, pour l'avenir, ne manque pas de grandeur et de hardiesse. Pour une fois, nous sortons de la politique à la petite semaine. Espérons qu'il sera mené jusqu'au bout. Partant de l'idée maîtresse, que la force militaire d'un pays dépendait maintenant de sa production et en particulier de ses industries mécaniques, le général de Gaulle a fixé comme but à nos efforts, d'atteindre dans un délai de cinq ans, une produc­tion annuelle de 500000 véhicules automobiles. Pour parvenir à ce résultat dans un monde où les barrières douanières seront fatalement abaissées, il nous faut abaisser nos prix de revient au niveau des prix les plus bas, c'est-à-dire des prix américains, et pour cela, produire comme eux en très grande série. Dans ce but, un énorme effort de normalisation doit être entrepris. Il faut mettre un point final à la dispersion des efforts dont nous donnions le spectacle avant la guerre, en construisant 28000 véhicules industriels de 121 types différents et, avec discipline, nous appliquer à réduire ce nombre à 16. C'est la seule voie qui nous soit offerte de survivre dans le monde de demain. Elle implique des sacrifices. Consentons-les avec enthousiasme, sans récriminer et appliquons-nous dès aujourd'hui à amélio­rer la qualité de nos voitures, l'efficacité de notre outillage, la productivité de notre main-d'œuvre. Dans la réalisation de ce plan, les usines Renault doivent servir d'usine-pilote. Le concours de l'État pour la réalisation de l'outillage, l'achat de machines-outils modernes, la construction d'installations appropriées ne sera pas ménagé. Mais il faut que les premières, elles donnent l'exemple de la discipline en prenant l'initiative de simplifier son programme. MM. Beylier et Pons insistent sur ce point, car ils veulent aboutir vite et dresser le nouveau programme avant la fin novembre.

10 novembre Dans un exposé d'une demi-heure, M. Lefaucheux a, pour les 12 000 ouvriers et collaborateurs de l'usine, fait le point de la situation. Exposé sobre, précis, sincère, exempt de démagogie. Il a été écouté avec beaucoup d'attention. A-t-il été compris? Il a fait avec courage un appel à la discipline et au travail. Espérons qu'il sera suivi.

24 novembre

5 décembre

3 janvier

4 janvier

9 janvier

23 janvier

J'ai eu aujourd'hui la visite du lieutenant Jacobi, de l'aviation amencaine, chargé d'établir le rapport sur les effets des bombardements alliés sur les usines Renault. Nous avons parlé des conséquences de ces attaques aériennes sur la production des camions et des pièces détachées et j'ai expliqué au lieutenant, que nous avions exploité au maximum leurs attaques, pour retarder ou repousser les commandes de la Wermacht.

La «bataille de la nationalisation des usines Renault", suivant l'expression de Lefaucheux, est commencée. De nombreux collaborateurs ont reçu aujourd'hui par la poste, à leur domicile personnel, un bulletin ronéotypé attaquant violem­ment la nationalisation. Sous le titre «Renault enchaÎné nO 1", s'étalent deux pages serrées de récriminations et d'injures contre Lefaucheux, «bourgeois mal défroqué» et son adjoint Ansay, «poisson à l'œil torve". Rien de solide dans l'argumentation. Ql!ant au style, il se veut trivial, mais on y retrouve la plume et l'esprit qui avaient rédigé les papillons, distribués dans les couloirs depuis un mois.

1945

Nous avons été obligés de réduire à partir d'aujourd'hui le programme journalier de fabrication de camions, de 40 à 30, par suite des difficultés d'approvisionnement. Depuis le mois d'octobre, où les ateliers ont été remis en activité, la production n'avait cessé de monter très régulièrement, malgré toutes les embûches. A deux reprises, l'épuisement des réserves de charbon avait failli arrêter l'usine, mais in extremis, un train de combustible était survenu. C'est la diminution constante des stocks de matières premières qui a imposé la décision dé ce jour. Aucune aciérie n'a livré de matière depuis le mois de mai et il est impossible d'acheminer vers Billancourt les barres et profilés, que nous avons en dépôt en province. Pratiquement, à l'heure actuelle, aucun haut fourneau n'est en activité et le nombre des fours Martin utilisés est extrêmement réduit, d'où une production de métal insignifiante. Cette réduction a causé une très mauvaise impression dans les milieux ouvriers, dont l'effort n'a cessé de s'amplifier depuis la reprise.

La délégation syndicale soviétique a visité aujourd'hui les usines de Billancourt. A l'issue de cette visite, une réunion s'est tenue dans le grand hall de l'île Seguin, pour présenter la délégation à l'ensemble du personnel. L'affluence était moindre que lors de l'exposé de Lefaucheux, le 10 novembre. Le froid et les difficultés de transport en étaient en partie responsables, mais aussi pour certains, le désir de ne pas participer à une manifestation qui pourrait être interprétée comme un salut aux soviets et une adhésion aux idées communistes.

Grande conférence présidée par Lefaucheux, sur le projet Pons, de plan quinquen­nal de construction automobile. Sur les plans commercial, technique et production, de nombreuses objections ont été présentées. Les plus importantes touchent aux hypothèses mêmes qui ont présidé à son élaboration. Bâtir des plans, c'est fort bien. Mais encore devraient-ils l'être sur des bases solides et réalistes. L'imagi­nation, quand elle n'est pas tempérée par le bon sens est plus qu'une folie, c'est une calamité publique.

Nous avons, une fois de plus, discuté du programme de nos fabrications. Depuis une quinzaine, notre situation n'a fait que s'aggraver. Le charbon n'arrive qu'en quantités insuffisantes et souvent à la dernière minute. S'il n'arrive pas de coke, jeudi soir, les fonderies seront arrêtées. Le stock de tôles diminue et sera épuisé fin mars. Or, les renseignements qui nous parviennent des aciéries sont mauvais. Produire, reste un acte de foi dans l'avenir, chaque jour plus méritoire.

6 février J'ai déjeuné aujoud'hui avec Pons, principal auteur du plan quinquennal de l'auto­mobile. C'est un causeur très brillant et une intelligence lucide et claire. Il a de grands desseins et une volonté qui ne se laisse fléchir ni par les sourires, ni par les menaces. Nous avons évidemment longuement parlé du plan et des solutions qu'il propose, en réponse aux principales objections qu'on lui oppose.

26 avril

3 mai

La situation économique ne s'améliore pas et nous sommes toujours pris à la gorge par une foule de problèmes urgents. Les difficultés d'approvisionnements ne font que croître, à mesure que les stocks que nous avions réussi à dissimuler aux Allemands s'amenuisent et les difficultés de recrutement de la main-d'œuvre aggravent encore une situation, en certains points tragiques. Au milieu de toutes ces difficultés, la Régie Nationale des Usines Renault, est parvenue à maintenir sa production à 43 camions par jour. Ce n'est certes pas un triomphe, mais c'est certainement un succès.

Mort d'Hitler dans les ruines de Berlin. Chute de la capitale allemande. Capitulation sans condition de l'armée nazie d'Italie et du Tyrol, telles sont les nouvelles impri­mées en manchette ce matin...

Fernand PICARD