05 - L'aventure de l'Ile Seguin

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L'aventure de l'Île Seguin

L'ILE DU PONT

A la fin du XVIIe siècle, un événement considérable va se pro­duire sur la Seine: des lettres patentes d'août 1684 décident la construction d'un pont, entre Sèvres et Billancourt (1). En réa­lité, on va édifier deux ponts en bois, en s'appuyant sur la pointe aval de la petite île de Billancourt. Le premier pont, reliant la rive droite, a 10 arches; le second, aboutissant au bas de Sèvres, a Il arches. Comme l'île elle-même est plus basse que les rives, on construira une chaussée en maçonnerie.

Dorénavant, l'île va s'appeler île du Pont, île du pont de Sèvres, ou plus simplement île de Sèvres. On trouve néanmoins quel­

ques plans .nommant les deux îles de Billancourt, îles Dauphine, mais le nom d'île Dauphine restera surtout celui de l'île St-Germain.

La physionomie de l'île ne changera pas, aucu*e construction ne sera édifiée et les documents d'archives ne setont guère plus nombreux que pour la période du Moyen Âge. Comment pourrait-il en être autrement?

(1) Arch. nat., K 193, nO 10 ; Dl 28, fol. 298-302 ; X-I-A 8678. fol. 423-427 ; 1830, fol. 281 et 441. -Bibl. nat., F 23614, N° 196.

La construction des ponts de Sèvres a nécessité l'ouverture d'un chemin à travers la plaine de Billancourt, qui va rejoindre le Point du Jour (2) : c'est notre actuelle rue du Vieux-Pont-de­Sèvres, si bien nommée. Au milieu du XVIIIe siècle, une seule habitation sera édifiée, tout près du pont de Sèvres, sur le terri­toire de Billancourt: c'est le relais du comte d'Artois (3).

Un spectacle permanent

Pourtant, le nouveau trafic routier qui 'Va être la conséquence du passage du fleuve va modifier l'animation des lieux. N'ima­ginons surtout pas ceux-ci comme quasi-désertiques 1 Billan­court, certes, reste une plaine inhabitée, mais la rive gauche de la Seine, du Bas-Meudon à Sèvres, se construit de plus en plus. Des fours à plâtre, une verrerie et ses lourds panaches de fumées donnent une activité manufacturière ; le pavillon de Brimborion, l'hôtel du duc de Chaulnes créent des allées et venues. Les châteaux de Bellevue et de Saint-Cloud vont ren­forcer la circulation sur la route de Vaugirard. Mais surtout Versailles et la Cour vont donner lieu à un important trafic sur le pont de Sèvres et donc aux abords de l'île (4).

Ainsi, la circulation est intense le 22 février 1745, quand la foule va assister au mariage du dauphin avec Marie-Thérèse Raphaelle, fille de Philippe V, qui aura lieu le lendemain. Le jeudi 25 février, les simples bourgeois de Paris affluent encore, franchissent la Seine sur l'île de Sèvres, qui en simples fiacres, qui en carrosses, pour assister au bal qui a lieu au château de Versailles (5).

Il en est de même lors du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette (mai 1770) : tous deux franchissent plusieurs fois l'île de Sèvres et, pour la fête de Versailles du 19 mai, on dénombre 200 000 personnes venues de Paris (6).

La Seine, de tout temps, avait été l'artère principale nécessaire au ravitaillement de la capitale ou au commerce avec la Normandie: bateaux, galiotes, coches d'eau, bachots, toues, marnois, etc., vont colorer le fleuve. Le port de Sèvres a déjà une activité considérable : charbon de terre pour les verreries de Sèvres et du Bas-Meudon, pour la manufacture de porce­laine (à partir de 1753) et pour la cristallerie (à partir de 1783), bois, plâtre, tonneaux de vin, céréales, etc., encombrent les lieux. Les contestations avec les débardeurs, gagne-deniers, etc., nécessitent souvent l'intervention de la maréchaussée. Une brigade de gendarmes est du reste postée en permanence à Sèvres. Charpentiers et menuisiers réparent ou « déchirent» les frêles bateaux de bois après déchargement des matières pre­mières (7) ...

Chaque dimanche d'été, et surtout lors de la fête ùe Saint­Cloud en septembre, une foule considérable de Parisiens va venir soit en bateau, soit à pied, soit en voitures publiques. Les deux ponts de bois, très étroits, seront souvent encombrés, ce qui provoquera de réels embouteillages, d'où des discussions sans fin ... Les péagers du pont, sur la rive de Sèvres, seront l'objet de menaces de la part des voitures de la Cour qui veu­lent passer sans payer (8). Une petite chapelle, à l'extrémité du pont (rive gauche), desservie par les capucins de Meudon, va même permettre à ceux qui le veulent d'assister à des offices religieux (9) ; parfois, un mariage y est célébré (10). Un grand calvaire de bois, sur le parapet, tourné vers Paris, invite les pas­sants à la méditation (11).

Les embarras sont aggravés car à la sortie du pont, sur la rive de Sèvres, il faut passer sous une voûte. Cette dernière forme la maison des péagers, mais le passage n'a que 12 pieds 6 pouces de large (soit environ 4 m). De plus, les voitures venant en sens inverse ne s'aperçoivent qu'au dernier moment de l'obstruction du pont. .. Cela va donc durer près d'un siècle 1 ~eulement, le

(2)

Cf. « Carte Proportionnelle de la Troisiême Partie de la Terre et Seigneu· rie d'Auteuil », levée parJ.·B. Charpentier, 1735. Éch. 1/850, relief, par· celles numérotées, coul., 2,50 X 2 m (Arch. nat., N-I Seine 13): ce plan représente la plaine de Billancourt, avec la ferme de « Bilancour », le «Nouveau ch. de Versailles », 1'« Ancien ch. de Versailles» ; les Iles actuelles -Seguin et Saint-Germain -sont bien dessinées. L'ancien chemin partait du pont de Sèvres et se dirigeait à la ferme de Billancourt ; le nou· veau chemin est devenu aujourd'hui la rue du Vieux·Pont·de·Sèvres. Tous deux furent plantés d'arbres par une décision du 14 septembre 1766 (Arch. nat., 01 1311, pièce 87).

(3)

«Nouvelles Écuries de Monseigr le c::omte d'Artois », suivant le plan de 1779 du chevalier de Lespinasse. Ce relais est aussi très bien signalé dans les deux plans de 1787 concernant.1e projet d'une blanchisserie à Billan­court (Arch. nat., QI 1069).

(4)

Nombreuses mentions dans GUIFFREY O.), Comptes des Bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, t. 2 à 5 (1681-1715). « C'est un beau spec­tacle -écrira l'Italien PRIMO VISCONTI (Mémoires sur la cour de Louis XIV) -de voir Louis XIV sortir avec les gardes du corps, les carros­ses, les chevaux, les courtisans, les valets et une multitude de gens en con­fusion, courant avec bruit autour de lui. Cela me rappelle la reine des abeilles quand elle sort dans les champs avec son essaim. » Sur les voitures de paille, foin, laine et coton, obstruant le passage du pont de Sèvres, cf. rapport de Lebrun, du 30 déc. 1778 (Arch. nat., F14 194 et 907).

(5)

DECHENE (A.), Le Dauphin, fils de Louis XV, passim.

(6)

HENRI-ROBERT, Le mariage et le sacre de Louis XVI, p. 153; NOLHAC (P. de), Marie-Antoinette, p. 19-20: CASTELLOT (A.) même titre, p_ 45.

(7)

Par contre, une déclaration royale, du 6 août 1715, est publiée « pour empêcher l'abus du déchirage des bons bateaux» (Arch. nat., V7 491, doss. 3, liasse 2).

(8)

Le duc d'Antin, surintendant des bâtiments, avait fixé, le 24 mai 1722, une liste de 6 noms de charretiers exemptés des droits de péage sur le pont (Arch. nat., H4 2988-2). La perception se faisait difficilement:« troubles violents », passants inquiétés (cf. arrêt du 23 juill. 1709, idem, E 806-B, N° 232, fol. 304-307), surtout quand les taxes furent doublées. Un arrêt du 10 sept. 1709 créa un abonnement annuel fixé à 1 500 livres pour les voitures de la Cour (idem, E 808-A, nO 90, fol. 267-268) ; les lettres patentes sont du 22 oct. 1709 (idem, 01 1488, fol. 58). Mais beaucoup de voitures prétendaient être de la Cour pour passer sans payer 1Le mémoire de Garnison, de 1727, contient des détails savoureux.

(9)

Sur la chapelle du pont, cf. nos articles dans La Vie paroissiale de Sèvres, déc. 1945 et févr. 1946. Cette chapelle sera supprimée en 1770 (Arch. nat., 01 290, pièces 592-594).

(10)

Par exemple, le Il octobre 1756, avec la permission spéciale de l'archevê­que de Paris, a lieu le mariage, dans la chapelle du pont, de Ch.-L. Mau­rizan, maître-sculpteur, fils de Louis, sculpteur du roi, avec Mar.­Magdeleine Aubert, fille d'un marchand de vin (Arch. comm. de Sèvres, reg. de catholicité).

(11)

Cf. dessin de ce calvaire à la Bibl. des Ponts et Chaussées, manuscrit 1608 (2243), pièce 9. On le voit encore, à la date du 6 nov. 1746, dans un projet du sieur Sarthe (idem, pièce 8). M. MARQUET (Ensemble, bulletin paroissial de Sèvres, nO 19, sept. 1975) a fait connaître un article du Patriote français, de nov. 1792, protestant contre la remise à neuf de ce crucifix -nous sommes sous la Révolution 1 -qui est dit avoit 10 pieds de haut (3,30 ml.

22 novembre 1778, un immense embouteillage de voitures a lieu sur le pont de l'île de Sèvres: cette fois-là les autorités sont présentes et décident de réagir 1 Dès le 26 novembre, Amelot, ministre et secrétaire d'État, signe un rapport à ce sujet. En décembre, on signale à de Cotte, intendant du commerce, que la maison de l'extrémité du pont « en rend l'entrée extrême­ment difficile et y occasionne fréquemment des engorgements qui gênent beaucoup la voye publique ». Des mesures sont enfin prises et Le Brun, ingénieur des Ponts et Chaussées, reçoit ordre de démolir la maison (12)...

Tout ce petit peuple crée une ambiance pittoresque dans l'île ou dans les environs immédiats: parlotes sur tout ou sur rien ; arrivée bruyante de la galiote qui circule entre Paris et Sèvres ; insultes entre bachoteurs et bateliers; noyés repêchés aux ponts ou accidents mortels de la circulation, relatés longue­ment dans les registres des curés de Sèvres (13)... Un pilori est même édifié au pont de Sèvres où on y expose les voleurs de linge ou de légumes (14)...

Inondations ...

Chaque hiver, la fonte des glaces va abîmer les frêles piliers en bois des ponts; les inondations recouvrent l'île. Le 9 mars 1711, le duc de Bourgogne écrit : « On ne passoit plus aux ponts de St-Cloud ni de Sêvres, et ce dernier étoit sous l'eau » (15). En 1726, on raconte que plus de 400 bateaux et des moulins entiers, emportés de Paris par le fleuve, vinrent se précipiter sur les étroites arches du pont de Sèvres 1 (16)

Exagération évidente, mais Delamare, dans son Traz"té de la police, confirme qu'en février un moulin de Paris vint s'échouer sur le pont de « Seve» (17). L'hiver 1740-1741 est resté mémorable (18) : le jour de Noël, l'eau atteint son maximum: 2 pouces plus haut qu'en 1711 et 3 ou 4 pouces de moins qu'en 1631. Il Y a 7,91 m au pont de la Tournelle et l'on sait qu'à 6 m l'eau arrive sur la route du Bas­Meudon. Il y a donc environ 2 m d'eau sur les rives et notre île Seguin est donc totalement recouverte 1 Depuis fin octobre, il avait plu considérablement et la douceur du temps avait fait fondre les neiges; la crue avait commencé à la fin de novem­bre. Dès le 6 décembre, les deux ponts de Sèvres ne furent plus praticables. La Seine est bientôt prise le 10 janvier 1741 ; la gelée survient le 24 et ne cesse que le 9 mars, ce qui occasionne le gel du fleuve sur toute sa largeur. La température ne rede­vint normale que le 23 mai.

En décembre 1756, Perronnet parle du « débordement conti­nuel de la Seine» au pont de Sèvres (19). En 1764, un auteur montre les flots boueux du fleuve baignant le bas de la Gde­Rue de Sèvres (20)...

Il est du reste certain que chaque année l'île de Sèvres était recouverte par les crues. Mais celle de 1767-1768 est restée aussi mémorable. Le froid avait débuté dans la nuit du 21 au 22 décembre et le fleuve fut rapidement gelé. La débâcle com­mença le 13 janvier suivant, vers les Il heures du matin, « avec un fracas horrible ». La crue fut subite et le pont de Sèvres eut beaucoup à souffrir (21).

Du 14 décembre 1783 au 21 février 1784, il gèle et la neige tombe en grande quantité ; fin janvier, en une seule journée, il Y a 8 pouces de neige (soit environ 20 cm). L'inondation est alors désastreuse et la débâcle débute fin février ; le maximum de la crue est constatée avec 6,66 m au pont de la Tournelle le 4 mars 1784. Là encore, l'île de Sèvres est entièrement recou­verte par les flots (22).

. .. et embarras routiers

Charrettes de pailles et de foin, voitures de laine et de coton franchissent l'île journellement. Mais ce sont surtout les voitu­res chargées de pierres de taille qui abîment les ponts. Par exemple, des convois routiers, attelés de 60 ou 80 chevaux, tra­versent l'île, lourdement chargés de marbres pour le château de Versailles (23). Les années 1684 et suivantes voient passer de nombreux matériaux pour Versailles : arbres, fleurs, bois, fumiers pour protéger les appartements pendant les gelées, cordages pour les vaisseaux du canal, pierre pour la chapelle du château, statues équestres, tout cela sur la surveillance de nombreux sergents et soldats (24)...

(12)

Arch. nat., F14 194.

(13)

Les noyés trouvés au pont de Sèvres sont extrêment nombreux, bien plus probablement que ceux retenus par les filets de Saint·Cloud... De Paris, un homme écrit à la municipalité de Sèvres, le 15 février 1797, pour don­ner le signalement d'un disparu, susceptible d'être « pêché» (Arch. des Yvelines, 36 L 8). -Le 19 avril 1702, Al. Tissier, 40 ans, est tué « par un Carosse sur le grand chemin de Paris à Versailles» ; le 26 mars 1745, « Un cadavre masculin, dont on ne nous a pas dit l'âge, (est) ecrase par un Carosse â quatre (chevaux ?) des voitures publiques de la Cour », etc. (Arch. comm. de Sèvres, registre de catholicité).

(14)

Le 13 décembre 1762, un arrêt du Parlement condamne Marie Maillot, marchande de beurre et œufs, aux carcan, fouet et marque, « â l'entrée du Pont de Seves », portant ces mots: « Voleuse de linge sur les étendoirs des Blanchisseuses» (Bibl. nat., F 23674, pièce 512). Le 12 août 1769, autre arrêt condamnant Pierre Chauvière etJean Douceur, pêcheurs, aux mêmes peines et au même lieu, avec ces mots: « Voleur de bois dans un chantier» (idem, F 23675, pièce 238) ; cela est confirmé par HARDY, Mes loisirs, p. 151, sous la date du 31 août 1769:« Deux particuliers justi­ciés au village et dans la place près le pont de Sèvres. »

(15)

Lettres du duc de Bourgogne, publiées par LECESTRE et BAUDRIL­LART, t. 2, p. 83-84.

(16)

Mémoire de Garnison, fermier du pont de Sèvres (Arch. nat., H42988-2). -Sur les inondations, cf. idem, H 1964.

(17)

DELAMARE, Traité de la police, t. 4, p. 297·298.

(18)

ROMANY, «Mémoire sur l'inondation de la Seine (déc. 1740) », dans Mém. de l'Acad. des Inscriptions, t. 17, 1751, p. 275-708 ; Journal de NARBONNE, p. 486-487 ; CHAMPION (Maurice), Les inondations en France, t. l, p. 134.

(19)

Arch. nat., V7 490.

(20)

Rapport de PASUNOT, ingénieur-géographe du roi; PAWLOWSKY et RADOUX, Les crues de Paris, p. 82; CHAMPION, op. cit., t. l, p. 47.

(21)

HARDY, op. cit., p. 85.

(22)

DocumentationJ. GÉRARD sur Meudon.

(23)

Mémoire de Garnison, déjâ cité, qui précise que les passages des gros blocs de marbre ou des grands arbres avec leurs mottes de terre font écla· ter les voûtes du pont" de Sèvres.

(24)

Cf. GUIFFREY, op. cit.

" La vue de Saint-Cloud et du pont de Sèvres" : peinture de Charles-Léopold de Grevenbroeck (1738)_ -(Musée CARNAVALET) .

En juin 1755, on envisage d'interdire ces passages, comme par exemple une statue, placée sur un traîneau attelée par 36 che­vaux, et destinée à Crécy. De plus, chaque jour, les mar­chands de farine franchissent l'île avec des charges de 7 500 livres. Une autre fois, une dizaine de voitures de pierre traver­sent l'île, ce qui n'arrange pas les charpentes des ponts; des charrettes de mœllons sont aussi destinées au nouveau chemin du Point du Jour (25).

Tout cela ne peut qu'aggraver l'état des deux ponts de bois. Sans cesse, il faut procéder à de nombreuses réparations. Aussi, l'entrepreneur des ponts a-t-il à sa disposition un dépôt permanent de madriers, déposés à la pointe aval de l'île. Et quand les travaux sont trop importants, les autorités adminis­tratives sont obligées d'interdire toute circulation. Celle-ci est alors déviée par la route de Vaugirard ou, pour ceux qui vien­nent de Versailles ou de Paris, par l'antique route des Gardes aux origines gallo-romaines.

En juin 1755, les autorités s'inquiètent que les travaux aux deux ponts soient menés négligemment, avec fort peu d'ouvriers sur les lieux: cela risque de gêner le passage du roi et

. de toute la Cour qui doivent se rendre prochainement à Compiègne (26)... L'entretien des ponts de Sèvres est, en effet, impératif: « La route de Versailles est une des plus importan­tes du Royaume », lit-on encore dans un rapport du 19 octobre 1791 (27).

(25)

Arch. nat., F14 194. Il fut décidé d'interdire le passage de ces convois qui provoquaient des dégradations ; mais la mesure ne fut pas longtemps appliquée. On proposa en conséquence de publier une ordonnance inter­disant la traversée, qui aurait été affichée à l'entrée du pont. L'ingénieur Perronet se rendit sur les lieux, mais convint de laisser passer toutes les voitures, sauf exception motivée: ainsi, une statue de très grande dimen­sion fut détournée par Meudon. N'oublions pas non plus <J.ue les travaux de construction de la Manufacture de Sèvres et ceux de l'Ecole. militaire amènent une intense circulation de matériaux.

(26)

Arch. nat., F14 194. Mais le 1" juillet, Perronet écrit: « Le Pont a été mis en État de Passage pour le voyage de Compiègne ».

(27)

Arch. nat., F14 194 (<< Observations» de Perronet, reprise d'un rapport de Lebrun, inspecteur général des Ponts et Chaussées, des 4 avril et 30 août 1791).

Manifestations populajres ...

Ainsi, l'histoire du pont de Sèvres peut aussi être celle de notre île. Les manifestations populaires ne sont pas rares : en mars 1709, les femmes de la halle, venues de Paris pour récla­mer du pain au roi en raison de la misère qui règne, sont sabrées au pont de Sèvres par les troupes royales et doivent s'enfuir en désordre (28).

Le lundi 22 août 1740, une « émotion» populaire éclate sur le marché Notre-Dame, à Versailles : les Suisses accourent et repoussent les 2 000 femmes qui réclament contre la cherté des farines ; on décide alors de retirer les charrettes de farine et celles-ci sont accompagnées par le sergent Tandon et ses hom­mes jusqu'à Sèvres. Là, la brigade du sieur de Guerry, com­mandant la maréchaussée du bourg, prend le relais et, par les ponts et l'île de Sèvres, escorte le convoi jusqu'à Chaillot (29).

En mai 1750, le même fait se reproduit: on garnit l'île et les ponts de Sèvres de troupes et de canons, car le peuple de Paris s'insurge contre la police soupçonnée d'enlever les enfants pour les transporter dans les colonies 1 C'est à la suite de ces faits, que Louis XV, désireux d'éviter la traversée de Paris pour se rendre de Versailles à Saint-Denis, fit construire en juin une route partant du pont de Sèvres. Elle suivait les rues de Sèvres et de Saint-Denis actuelles, traversait la plaine de Boulogne et devenait le chemzn de la Révolte à Neuilly (30).

En 1786, ce sont 800 gagne-deniers, réduits au chômage car on a accordé à une compagnie le privilège de transporter dans Paris les paquets, meubles, déménagements, qui forment une « fermentation inquiétante ». Tous parcourent les rues, soute­nus par le public et, pleins de confiance dans la justice du roi, prennent la route de Versailles. Louis XVI, prévenu d'urgence, fit poster au pont de Sèvres et dans l'île une brigade de maréchaussée. Les manifestants, stoppés dans leur marche, parlementent avec les officiers et décident d'envoyer au roi une délégation de douze d'entre eux pour exposer leurs plaintes. Sur ces entrefaites, une seconde manifestation arrive et force le barrage: elle arrive à Versailles et, constatant l'absence du monarque, se borne à déposer un placet (31).

. .. et convois funèbres

Nous reviendrons plus loin sur les journées de juillet et d'octo­bre 1789, certainement les plus importantes de toutes les mani­festations populaires. Mais cortèges royaux ou troupes en mar­che passant sur la pointe de notre île ne changent guère la physionomie des lieux. Pourtant le spectacle est permanent : ainsi de nombreux membres de la famille royale, décédés à Versailles ou à Meudon, passent par l'île de Sèvres pour aller reposer à Saint-Denis. Par exemple, le jeudi 16 avril 1711, Monseigneur (Louis, dauphin de France, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse), âgé de 49 ans, décédé dans la nuit du mardi au mercredi précédant de la petite vérole, est transporté de Meudon à Saint-Denis, par l'île de Sèvres, vers les 7 heures du soir. Son corps, ni ouvert ni embaumé; mis dans un cercueil contenant du son, « comme au dernier des pauvres» -expres­sion du baron de Breteuil qui ajoute des détails macabres -est placé dans un simple carrosse du roi et non dans une voiture de deuil comme cela se faisait habituellement. La voiture funè­bre, recouverte de velours cramoisi, s'étant trouvée trop courte, on ôta la glace de devant, par où une partie du cercueil dépassa, assuré sur les sièges, afin que personne ne fusse obligé de le tenir pendant le voyage ...

Deux gardes du roi ouvrent la marche, puis deux pages avec flambeaux éclairent la route. Ensuite, dans un carrosse du roi, se trouvent l'évêque de Metz (premier aumônier), le duc de la Trémoille (premier gentilhomme de la Chambre), Dreux (grand-maître des cérémonies), l'abbé de Brancas (aumônier du roi) et Louis de Rond (curé de Meudon et chapelain du châ­teau) en étole et surplis, ainsi qu'un chapelain. 22 pages avec flambeaux de la Billarderie, enseigne des gardes, et de Méziè­res, exempt, précèdent la voiture où est le corps, suivie elle­même de 20 autres gardes portant aussi des flambeaux. Enfin, 12 pages de la Grande Écurie et 12 de la Petite encadrent le convoi, les premiers à droite, les seconds à gauche (32).

L'année suivante, autre cérémonie: les corps de la dauphine, décédée le 15 février 1712 à Versailles, et celui du dauphin (petit-fils de Louis XIV), mort le 18 à Marly, sont transportés sur le même chariot, traversent l'île de Sèvres, pour être reçus par les moines de Saint-Denis à la lueur des torches. Dans la nuit du 28 février, leurs deux cœurs sont portés ensemble au Val-de-Grâce (33).

Le 9 septembre 1715, Louis XIV passe dans l'île de Sèvres pour la dernière fois. Le même jour, le petit Louis XV se rend à Paris, applaudi par une foule considérable massée sur le par­cours, au fond d'un carrosse, assis bien en vue entre la duchesse de Ventadour, sa gouvernante, et le duc d'Orléans, régent du royaume. Le bambin est en noir, coiffé d'un chapeau de deuil et portant le cordon bleu et la plaque du Saint-Esprit brodée

sur son habit (34).

Puis, le 14 juin 1722, après un séjour de sept ans à Vincennes et à Paris, le roi et toute la Cour retournent à Versailles, accla­mée par une foule en liesse (35). C'est ensuite la guerre de la succession d'Autriche; nouveau départ en 1743, où Narbonne,

(28)

Journal de DANGEAU, t. 12, p. 348-349 ; lettre de la marquise d'Huxel­les, du 4 mars; BOISLISLE, Corresp. des contr. généraux, t. 3, p. 107 ; IDEM, « Le grand hiver et la disette de 1709 », dans Revue des questions historiques, 1903; Mémoires de ST-SIMON, t. 17, p. 195.

(29)

Cf. EVRARD (F.), Versailles, ville du Roi, p. 129 et 407, qui donne tou­tes les sources.

(30) JOBEZ, La France sous Louis XV, p. 162; CARRÉ (H.), même titre,

p.240.

(31)

'ROUFF (Marcel), « Les mouvements populaires », dans La vie parisienne au XVIII' siècle, p. 287-290.

(32)

Mémoires de ST-SIMON, t. 21, p. 85-88 ; Mémoires du baron de BRE­TEUIL, dans idem, t. 21, p. 412-419; CHAZARAIN (P.), « La mort du grand Dauphin », dans Bull. de la Soc. des Amis de Meudon, nO 30, mai­juin 1943, p. 599-600 ; BIVER, Meudon, p. 244-249, n. 2-8.

(33)

TAILLANDIER (Mme St-René), Mme de Maintenon, p. 245.

(34) LENOTRE (G.), Les Tuileries, 1933, p. 53 ; Dom LECLERCQ, Hist. de la Régence, t.1, p. 134; NOLHAC(P. de), LouisXVà Versailles, p.15.

(35) Journal de BARBIER, juin 1722.

Vue du château de Bellevue, dessinée par le chevalier de Lespinasse. Tous les détails sont confirmés par les documents d'archives: on aperçoit le calvaire sur le pont, l'arrivée de la Galiote rive droite, la maison des entrepreneurs et leur dépôt de bois dans l'île, etc.

dans sonjournal, écrit: « Le dimanche 3 mai, à trois heures du matin, le roi partit de Versailles, pour se rendre à l'armée de Flandre. Il sortit de sa chambre pour aller à la chapelle, faire sa prière et adorer le Saint-Sacrement... Sur les quatre heures, le roi fut rencontré à Sèvres (36). Et sur les ponts de Sèvres, pourrions-nous préciser!

Le samedi 13 novembre 1744, après la campagne d'Alsace, Marie-Leszczinska, à 5 heures du soir, se rend de Versailles aux Tuileries, pour retrouver son royal époux. Quelques jours après, le 19, Louis XIV rentre de Versailles (37). Et toujours, tout ce monde passe ou repasse par l'île de Sèvres ! Le 1e< août 1746, c'est le convoi funèbre de la dauphine qui roule sur le pont de Sèvres (38).

Un autre enterrement célèbre qui a lieu conformément à la coutume du temps en pleine nuit est celui de Mme Henriette, fille de Louis XV. Décédée le 10 février 1752, son cadavre enveloppé dans un grand drap et porté sur un matelas par qua­tre gardes du corps, est mis à minuit dans un carrosse du roi et « placé dans le fond, comme assis » ; personne à côté, sauf deux femmes de chambre assises sur la banquette du devant. Un premier carrosse, occupé par l'évêque de Meaux et d'autres écclésiastiques, précède la voiture mortuaire, elle-même atte­lée de huit chevaux. Un autre la suit, conduisant les dames de la princesse défunte. Enfin, devant, derrière et de chaque côté, un grand nombre de gardes à cheval, de pages et de valets de pied, portant des flambeaux, escortent le convoi. A 1 heure du matin celui-ci traverse l'île de Sèvres; à 2 heures, l'arrivée a lieu aux Tuileries (39).

Chassons ce mauvais souvenir et pensons maintenant au roi de Pologne traversant le pont de Sèvres, dans la journée du 26 sep­tembre 1758 pour aller au château de Bagatelle (40).

Hélas-! à suivre l'ordre chronologique, il faut revenir à un som­bre spectacle: celui des obsèques de Mme Pompadour, le 17 avril 1764, par un « temps d'ouragan épouvantable ». Le soir, vers 7 ou 8 heures, on peut voir, s'engageant sur le vieux pont de bois, un corbillard avec dais de duchesse, poêle et couronne posée sur un carreau de velours. Un carrosse drapé, traîné par douze chevaux ornés de caparaçons à moire d'argent, le tout sous la conduite de 4 officiers, de 4 Suisses et d'un aumônier de l'église Notre-Dame de Versailles, avec bedeau et garçon d'église. Enfin, 42 domestiques accompagnent le convoi, por­tant des fambeaux. Ils s'arrêtent quelques instants à Sèvres pour reprendre des flambeaux neufs (41).

(36) Cité par FRANQUEVILLE, Le château de la Muette, p. 104.

(37)

LENOTRE, op. cit., p. 71 et 73.

(38)

Journal de BARBIER, t. 2, p. 494.

(39)

Mémoires du duc de LUYNES, t. 12, p. 245 ; LENOTRE, op. cil.,

p. 75-76.

(40) Mémoires du duc de LUYNES; DUCHESNE, Le château de Bagatelle,

p.66.

(41) FROMAGEOT (P.), « La mort et les obsèques de Mme de Pompadour », dans Revue de l'hist. de Versailles et de S.-et-O., 1902, p. 275·287.

Puis, en 1768, c'est le convoi de Marie Leszczinska, reine de France, décédée à Versailles le 24 juin, qui franchit l'île de Sèvres (42) : on a placé sur les deux ponts 88 terrines garnies de suif et 16 gros falots pour éclairer le passage, le convoi ayant lieu également la nuit (43).

Louis XV prend le même chemin que sa célèbre maîtresse: le 12 mai 1774, à 8 heures du soir, son corps est placé dans un grand carrosse à douze places, suivi d'un seul autre carrosse, mais tous les deux de couleurs et non en noir. L'escorte comprend 50 gardes du corps et beaucoup de pages, en tout 300 personnes à cheval avec des flambeaux et filant au grand trot... Quelques personnes, par allusion aux principales pas­sions du défunt -la chasse et l'amour -crient : « Taïaut! Taïaut 1 » et « Voilà le plaisir des dames 1 » (44).

Il faut bien rappeler les événements qui suivent le 12 octobre 1781 date de la naissance du dauphin : quatre jours après, Louis XVI se rend à Paris pour remercier bourgeois et peuple de la capitale pour les sentiments d'allégresse qu'ils ont mani­festés à cette occasion (45).

Coïncidence curieuse, alors que nous venons de rappeler la naissance du dauphin, il nous faut maintenant conter sa mort, survenue à Meudon le 5 juin 1789, âgé de 7 ans. Ses obsèques ont lieu le 13, à 9 heures du soir. Le corbillard marqué aux armes de France, drapé de blanc, est accompagné par 2 piqueurs, une dizaine de valets de pied et une douzaine de gardes du corps, tous à cheval. Duval, dans ses Souvenirs de la Terreur, donne les détails suivants: « A un signal donné, on part au grand galop et on se dirige vers la porte Dauphine, afin d'éviter Bellevue ... ; on traverse la garenne et le village de Sèvres, le bois de Boulogne, le chemin de la Révolte, toujours au grand galop» (46). Étrange cortère que cette façon d'enter­rer le fils d'un roi, à la tombée de la nuit, sans la présence de ses parents, le convoi roulant à vive allure et mettant à peine trois quarts d'heures pour aller du château de Meudon jusqu'à la basilique de Saint-Denis, en passant par l'île de Sèvres.

Faits divers

Les anecdotes sur les ponts et l'île de Sèvres sont nombreuses: au cours de l'année 1731, on expérimente près de l'île une pompe ou « machine pour élever l'eau », inventée parJ.-H. Le Brun (47). Le 26 novembre 1736, le roi, allant souper au châ­teau de la Muette, voit faire par deux hommes l'expérience d'une nouvelle invention pour passer la rivière sans bateau ni ponton. Ils étaient couverts d'un cuir qui les soutenait pendant qu'ils se servaient, pour avancer, de leurs pieds et de deux petits battoirs qu'ils avaient dans les mains. Cette expérience réussit et les deux hommes passèrent et repassèrent le fleuve en dix minutes (48).

Le 2 mars 1784, un événement sensationnel fait accourir toute la région et jette, parmi les plus anciens, quelque affolement : juste à l'extrémité du pont, sur le territoire de Billancourt, un ballon libre atterrit, dont plusieurs estampes de la Bibliothè­que nationale gardent encore le souvenir (49).

On sait combien au XVIIIe siècle les gens de lettres et les comé­diens étaient méprisés. C'est Jean Bouhier, président au Parle­ment de Lyon, qui conte parmi ses Souvenirs, l'aventure fâcheuse arrivée à Voltaire en juillet 1722. Celui-ci avait mal parlé d'un gentilhomme à Versailles qui s'en vint l'attendre à son retour, lors du passage sur l'île de Sèvres. L'illustre écrivain français fut obligé de descendre de son carrosse et le rancunier seigneur lui fit donner par un officier nommé Beauregard cent coups de bâton. Voltaire retourna sur-le-champ à Versailles pour se plaindre au duc d'Orléans qui lui fit cette réponse :

« M. Arouet (c'était le nom de Voltaire), vous êtes poète et vous avez reçu des coups de bâton. Cela est dans l'ordre et je n'ai rien à vous dire. » (50)

L'île et la ferme de Billancourt

Mais que deviennent les locataires de l'île de Sèvres ? Celle-ci est toujours placée dans les « appartenances » de la ferme de Billancourt. A la fin du XVII< siècle, l'abbaye de Saint-Victor décide de passer un nouveau bail de la ferme et de ses dépen­dances. Le jeudi 15 septembre 1689, on commence un procès­verbal de visite, mais c'est seulement le mercredi 28 que les architectes Simon Lambert et Claude Aubry traversent la Seine pour se rendre dans l'île « tenant au pont ». Ils évaluent la sur­face à 35 arpents environ, en terres et sablons; 12 arpents sont des terres labourables « qui nous ont paru non ensemencée ». Il n'y a « aucun fumier » et « laditte Isle est Sujette Aux Inonda­tions qui Arrivent Annuellement ». Le domaine est « de peu de valeur », « Rempli de mousse » et « Il y a Beaucoup de Brous­sailles, Rouars Et Espines ». L'île est entourée de quelques truf­fes d'osier. L'autre île (Saint-Germain) est évaluée également à 35 arpents et présente les mêmes caractéristiques (51).

(42)

HARDY, op. cit., p. 100-101.

(43)

Arch_ nat., F14 194 (mention dans le « Toisé et détail général... » du 27 sept_ 1770)_

(44) LAVISSE (E.), Hist. de France, t. XVI, p. 422-423 ; LEROY (A.), Mme du Barry, p. 235 ; Revue de l'hist. de Versailles et de S.-et-O., 1904,

p.256.

(45)

CHAUVISÉ, dans Le Cinquantenaire de l'École de Sèvres, p. 39. -La reine elle-même, rétablie, se rendra à Paris en décembre, au milieu des villageois en habits de fête; la route est illuminée.

(46)

DUVAL, Souvenirs de la Terreur, t. l, p. 32. -La bibliographie est abondante 1 Citons CONSTANT (G.), « Mort du Dauphin », dans Bull. de la Soc. des Amis de Meudon, nO 15, nov. 1939, p. 267-268.

(47)

Mémoires de l'Acad. des Sciences, 1731, p. 91.

(48)

VILLIERS (P.), Manuel du voyageur aux environs de Paris, t. 2, an XI,

p.238.

(49)

Bibl. nat., coll. de Vinck, in~entaire, t. l, p. 445-446 ; l'estampe est au

t.

6, nO 985, fol. 42. Autres estampes dans lb 2, fol. 38, 40. Cf. DOLL­FUS et BOUCHE, Hist. de l'aéronautique, 1938, p. 30 (boite d'écritoire, décorée au vernis martin, figurant l'atterrissage de Blanchard à Billan­court, coll. Léon Barthou); FONVIELLE, Aventures aériennes...,

p.

65-66 et 169.

(50) BOUHIER, Souvenirs, 1866, p. 97·98; Revue de l'hist. de Versailles et de S.-et-O., 1903, p. 270; PELLISSON, Les hommes de lettres au XVIII' s., 1911, p. 237 ; MORNET, La vie parisienne au XVIII' s.,

p. 139 ; Revue de France, 15 avril 1928, p. 689.

(51) Arch. nat., S 2137.

L'abbaye de Saint-Victor va donc signer un nouveau bail emphytéotique, pour 99 ans, au profit d'Étienne Gaultier et sa femme Marguerite Bosse. Les nouveaux emphytéotes vont jouir des deux îles de Billancourt jusqu'en 1758. Leur bail est du 1<' avril 1690 et c'est Mgr Pierre de Cambout, cardinal de Coislin, évêque d'Orléans, qui, en tant qu'abbé de Saint­Victor, passera l'acte moyennant un loyer de 1 340 1. par an. Comme lors des mises en vente, les publications sont faites aux messes paroissiales de Sèvres, Saint-Cloud, Boulogne, Auteuil, Passy, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Roch, Saint-Nicolas­du-Chardonnet, Saint-Barthélemy.

Les 99 ans prévus auraient dû porter la durée du bail jusqu'en 1789 : mais dès 1702, le roi accepte une prorogation de dix ans, moyennant redevance au Trésor. Puis, à la mort du cardi­nal de Coislin (1706), Louis XIV affecte les revenus de la loca­tion aux nouveaux convertis. En réalité, il semble bien que les revenus tardaient à rentrer. On décide donc de mettre la ferme de Billancourt en nouvelle adjudication.

C'est sans doute la raison pour laquelle, à partir du 7 décembre 1712 on procède à la description détaillée de toutes les parties de la ferme, de l'hôtel-maison d'habitation, de ses dépendan­ces, des îles, prés, vignes, terres arables, jardins, etc. La visite des îles est faite par l'architecte Jean Serouge, le vendredi 16 décembre 1712 : « J'ay vu l'Isle du pont de Seve, qui depend de la dite ferme, que L'on dit d'Environ Trente Arpents, dont Environ un Arpent en pré, du costé de Meudon et du dessus dudit pont, le reste en Terres Labourables... J'ay vu Sur les Berges de La ditte Isle quelques Oziers et quelqu'unes des Ber­ges Eboulées par les abords de la Rivière qui Incommodent fort les Terres... »

Une affiche, datée du 27 janvier 1713, annonce l'adjudication, pour 6 ans, à compter du 1" janvier précédent; la veuve d'Ét. Gautier, déjà nommée, et ses enfants s'en rendent ainsi adjudi­cataires. Les années qui suivent voient un long procès, au sujet du non-paiement des dimes entre l'abbaye et les occupants de Billancourt. Parmi ces derniers, nous trouvons: en 1696, une demoiselle de Lessart ; mais surtout en 1720 et jusqu'en 1729, un membre de la famille Gautier. n s'agit de Barthélemy­Étienne Gautier, chevalier de Saint-Louis, capitaine des qua­biniers du roi, puis colonel de cavalerie au régiment du Maine. n se dit unique propriétaire de la terre et seigneurie de Billan­court, y demeurant.

Le 15 janvier 1727, un acte indique que Gautier se désiste d'une plainte ; mais le 3 juillet suivant, il forme une nouvelle protestation, cette fois-là « pour raison de l'enlèvement des foins de son isle » : à n'en pas douter, il s'agit de l'île de Sèvres. Gautier ne donne pas suite et se désiste une nouvelle fois le 19 juillet, en présence de Pierre Boulogne, procureur fiscal, et de Louis Hennette, sergent; le tout est passé devant le greffier et tabellion d'Auteuil (52).

Barthélemy-Étienne Gautier va apparaitre plus simplement sous le nom de « M. de Billancour » (sz'c) (53). Dès le 1" février 1729, il signe une transaction avec le chapitre Saint-Germain-l'Auxerrois, portant abonnement pour la dime, à raison de 10 1. par an, payables à la Saint-Martin d'hiver, « tant pour la Dixme de son clos que pour ses Agneaux » (54).

A la même époque (1729-juin 1730), un « État des Revenus fixes de la Manse Abbatiale de Saint-Victor » ne nous donne aucune précision sur les îles, sauf que le prix du bail, chaque année, est de 1 3401. : ce chiffre est le même qu'en 1690, mais il est évident qu'il s'agit du prix de location du domaine de Bil­lancourt dans son ensemble, et non pas des îles seules (55).

Vers 1750, les Ponts et Chaussées rectifieront le chemin du Point du Jour au pont de Sèvres: M. de Billancourt, « ancien colonel de carabiniers », devra céder quelques terres (56). Acte lui est donné, le 22 juin 1750 des terres saisies « pour la confec­tion d'une Chaussée de cailloutis » (57).

Toujours des contestations

Les îles de Billancourt vont encore donner naissance à de nou­velles chicanes 1Tout d'abord, malgré les droits de l'abbaye de Saint-Victor, un arrêt du 4 juin 1758 ordonne les revente et adjudication des deux îles de Billancourt (58). Le domaine, en effet, n'a pas renoncé à ses prétentions, d'autant plus qu'il vient de recevoir une offre d'une rente annuelle et perpétuelle de 10 1. L'intendant de la généralité de Paris se trouve donc chargé de procéder à l'adjudication. L'arrêt est signifié au sieur Esprit, engagiste des deux îles, en son domicile, rue Tra­versière, près du Palais-Royal. A cette époque, après Barth.­Ét. Gautier de Billancourt (décédé le 13 mai 1755), avaient succédé les deux frères et les trois sœurs (chacun pour un cin­

quième) de la famille Esprit, tous légataires universels : Bégnz'gmejean, conseiller du roi, maitre ordinaire de la Chambre des Comptes Étienne de Saint-André, chevalier de Saint-Louis et chef de brigade au régiment des carabiniers; Madelez'ne-Catherine, Mariejeanne et Françoz'se-Félédté, demoiselles et majeures (59).

Tous cinq appellent évidemment en garantie l'abbaye de Saint-Victor et celle-ci proteste énergiquement. Une seconde requête des religieux n'a pas de mal à faire reconnaître les droits de Saint-Victor et l'affaire en reste là.

(52)

Arch. nat., ZZI 27.

(53)

Bull. de la Soc. histor. d'Auteuil et de Passy, t. 5, 1904-1906, p. 62. ­Cf. le plan de pièces de terre arpentées, acquise par le roi de

M. Billancourt (Arch. nat., N-III S.-et-O. 414) et son procès-verbal du 15 mars 1751 (idem, QI 1483) : les terres avaient été prises« pour la cons­truction du nouveau Chemin depuis le Point du jour jusqu'au Pont de Sevre », effectuée de 1748 à 1750. Les baux sont cités, de 1732 à 1750, dans 01 1309, pièce 127. M. de Billancourt possédait également 4 remises à gibier dans la plaine (idem, 01 1322, pièce 106, avec plan).

(54)

Arch. nat., S* 582, fol. 67-68.

(55)

Idem, L 890.

(56)

Idem, 01 1309, pièce 127.

(57)

Idem, QI 1483. Le plan est dans N-III S.-et-O. 41 et à la Bibl. nat.,

(58)

Idem, M 706, fol. 31.

(59)

Cf. dans CORDA (A.), Catalogue desfactums, t. 2, p. 200 et 331-332, les titres des 5 mémoires imprimés des sieurs Esprit et Gaultier de Billan­court, avec les cotes de la Bibl. nat. ; le dernier de ces mémoires se trouve aussi aux Arch. du département de Paris, 4 AZ 439.

L'île de Sèvres suit donc les mutations de la ferme de Billan­court. Le 15 mars 1762, une sentence ordonne l'estimation de la seigneurie, cela est confirmé par un arrêt du 29 juillet. La visite des lieux est effectuée en août et il est reconnu que les réparations faites aux bâtiments de la ferme de Billancourt montent à 12 440 l. et que celles restant à faire atteindraient 12 220 l. Tout cela est entériné le 8 mars 1763 et, le 3 septem­bre suivant, le domaine -y compris les deux îles -est adjugé, par sentence des requêtes du Palais, à Nicolas-Charles­François de Claessen, chevalier de Saint-Louis, pour 32 900 l. Parmi les conditions, Claessen prend l'engagement « de se charger de l'Événement d'un procès pendant au Conseil (d'État) concernant L'isle du pont de Sevre ». Cela prouve que les contestations relatives à notre île n'avaient pas cessé. A cette date, il restait encore 25 ans de jouissance sur le bail de 99 ans. Claessen obtient une prorogation de 10 nouvelles années, aux mêmes charges et conditions.

Puis c'est une nouvelle contestation entre Claessen et le sieur L'Herbette, qui a construit une maison dans l'île pour y resser­rer les fers outils, bois et équipages, nécessaires à l'entretien des ponts; un commis y loge en permanence. Le Brun, le 30 mai 1767, propose en conséquence d'indemniser Claessen qui a la jouissance de la totalité de l'île (60).

En tout cas, une note du 20 mai 1769 indique: « Il y a 2 Isles qui contiennent chacune environ 30 arpents, qui devroient produire 30 l. l'arpent. (61) »

Le 18 février 1772, le chapitre de l'abbaye se réunit en scéance extraordinaire, afin d'examiner un projet d'aliénation de la seigneurie de Billancourt; la communauté abandonne rapide­ment cette idée (62). De nombreuses réparations devant être effectuées à la ferme, Claessen fait valoir que cela lui est impos­sible à réaliser : Mgr Ant. de Mlavin, alors à la tête de Saint­Victor, lui propose, dans ces conditions, la résiliation du bail et la passation d'un nouveau contrat d'inféodation. Cela est fait le 11 mars 1772 devant La Frenaye et son confi'ère, notaires au Châtelet de Paris, avec jouissance du 1"' janvier. Des lettres patentes de juin 1772 et des actes des 19 février, 30 avril et 25 mal 1773 non analysés ICI complètent ces dispositions (63).

Des documents évaluent les deux îles à 34 arpents 3/4 et 38 arpents 112 respectivement, à la mesure de 18 pieds par per­che et de 100 perches par arpent. Une visite a lieu le jeudi 6 mai 1773, par J.-L. Pruneau de Montlouis, architecte, et Chr.-Éd. Liébault de La Neuville, expert: ces mêmes chiffres sont repris. En juillet de la même année, on procède à une enquête sur les lieux et, parmi les témoins, il y aH. Rouveaux, notaire de Sèvres ; un autre témoin affirme qu'il y a souvent des inondations dans la plaine et que les chasses abîment les récoltes (64).

Quelques difficultés semblent avoir eu lieu encore entre les reli­gieux et Claessen... En tout cas, le 7 septembre 1778, un arrêt du Parlement autorise un sieur joantho à régir la ferme et les îles de Billancourt. Il s'agit de jean-Pierre de joantho, écuyer, conseiller-secrétaire du roi, qui demeure à Paris, rue Clos­Georgot, .paroisse Saint-Roch; c'est un bourgeois de Sèvres oû il possède maison, terrain et moulin. Dès le 13 juillet 1779, ledit joantho passe un bail aux sieur et dame de La Mouche et Lefebvre, « dans l'isle du pont de Sèvres » (65).

Qualité de la vie... et qualité de la vue !

Mais les Eaux et Forêts n'ont pas renoncé à étendre leur juri­diction sur les îles de la Seine : comme la plupart de celles-ci sont occupées par des communautés religieuses, un arrêt du 28 septembre 1779 ordonne aux propriétaires de présenter leurs titres dans le mois qui suit (66). Cela s'applique aux îles de Billancourt et donc à l'abbaye de Saint-Victor. Cette der­nière ne devrait pas s'inquiéter, mais un autre arrêt, rendu à Marly le 22 octobre 1779, ordonne la réunion des îles Dau­phine (c'est l'actuelle île Saint-Germain) et du pont de Sèvres au Domaine du roi 1 Que se passe-t-il ? « La situation de ces isles pouvant servir à l'embellissement du château de Bellevue, Sa Majesté se seroit déterminée à les réunir à son Domaine, pour ensuite en disposer ainsi qu'elle avisera... » Telle est la raison 1Protection des sites ? Que diraient nos aieux en voyant le paysage de nos jours 1

Et quelques jours 'plus tard, Louis XVI donne à Mesdames, châtelaines de Bellevue, dont la demeure, face à l'île, domine le fleuve, les deux îles de BilÎancourt 1Mesdames aevront seule­ment verser une redevance annuelle de 100 l. et rembourser res ayants droit 1

Deux autres arrêts du Conseil d'État, les Il et 29 décembre 1779, confirment la volonté royale: le premier déclare que les îles de Billancourt sont réunies au domaine de Bellevue ; le second I),rdonne que Mesdames deviennent propriétaires desdi­tes îles.

Les religieux de Saint-Victor réagirent très courtoisement : comment s'opposer à la volonté du roi et plus précisément à Mesdames de France? Un« Mémoire pour M. l'Archevêque de Lyon, abbé de Saint-Victor de Paris, au sujet de deux Isles de la rivière de Seine, à Sêves » expose la situation: les ayants droit de Claessen en ont la jouissance normale et ils demandent une indemnité de 2 000 l. par an, à laquelle ils évaluent le pro­duit annuel de ces îles. Et l'abbé termine par ces mots : « L'abbé de Saint-Victor n'a pas cru devoir prendre un parti, avant que d'avoir rendu compte à Mesdames des circonstances où il se trouve, et les avoir suppliées de lui faire connaître leurs intentions, et lui donner leurs Ordres. »

(60)

Arch. nat., F14 201·A.

(61)

Idem, S 2137.

(62)

Idem, LL 1451, fol. 103 va.

(63)

Idem, M 706, fol. 33.

(64)

Idem, S 2137.

(65)

Idem, F14 194.

(66)

Les documents concernant Mesdames de France sont extraits des Arch. nat., S 2137, 01 1635 et F14 194.

Plan de Bellevue et de ses environs, par le chevalier de Lespinasse (1779) -A droite on distingue l'Île Seguin.

De leur côté, Mesdames se montrent conciliantes: « Devenues propriétaires du Château de Bellevue, à l'embellissement duquel les deux Isles du Dauphin et du pont de Sève ont parû propres... , quoique depuis un tems immémorial ladite abbaye de Saint-Victor en ait joui comme faisant partie de ladite Terre de Billancourt. » Aussi un projet d'échange est-il mis au point en mai 1780, Mesdames « ne voullant Pas causer aucun Préju­dice à l'abbaye, ny avoir de Procès avec elle ».

Dans un « Mémoire au sujet des deux isles de Billancour(t) Dans la Rivière de Seine, près Bellevue », les tantes du roi exposent encore: «Mais à peine Mesdames ont-elles été ins­truites de la propriété de l'Abbaye de Saint-Victor sur ces isles que par une suite des principes de religion et d'équité, qui ont toujours fait la règle de leur conduite... , Elles n'ont pas voulu profiter du bénéfice de ces Arrêts. »

Et une lettre datée du 10 juiq 1780 termine ainsi le différent: « Je déclare pour moi et pour mes Sœurs que nous ne voulons point des Isles de Billancourt et que nous consentons l'effet du présent mémoire. A Versailles, ce dix juin mille sept cent qua· tre vingt. -Marie, Adélaïde. »

Ajoutons que les fonctionnaires de la Couronne reconnurent (13 mars 1781) que l'arrêt qui avait réuni les îles au Domaine « n'a pas été rendu dans une entière connoissance de cause ». D'où leur conclusion: « Le lit de la Rivière et les Isles qui s'y forment sont dans le Domaine de la Couronne. Les Isles sont nées dans ce Domaine. Mais une fois formées, ce sont des héri­tages qui, comme tous les autres, peuvent tomber dans le patri­moine des citoyens, si un titre légitime les y porte. » Un dernier arrêt du Conseil, du 10 avril 1781, rendit Saint-Victor dans la pleine propriété des deux îles.

Travaux aux ponts de Sèvres

Ainsi que nous l'avons indiqué, l'île du Pont, et notamment la pointe aval, servait de dépôt de bois aux entrepreneurs des ponts de Sèvres. Un sieur Hugues L'Herbette avait même édi­fié, attenant à la chaussée du pont, un petit bâtiment compre­nant une chambre au rez-de-chaussée, une autre au premier étage et un grenier au-dessus.

En 1767, Claessen, en tant que locataire de l'île de Sèvres, pro­testa contre cette construction qui servait de resserre pour les matériaux indispensables aux travaux d'entretien des ponts (67). A l'origine, et en tout cas depuis 1758, un chantier permanent pour les bois avait été réservé dans l'Ue. L'Herbette, Raimbaux et Legrand y avaient successivement fait des accroissements, se réservant la maisonnette soit pour leurs commis, soit pour eux-mêmes. Raimbaux, notamment, fit usage de la maison de 1773 à 1780. Mais comme le local avait été édifié par son prédécesseur, L'Herbette, les héritiers de ce dernier exigèrent 8 ans de loyers à raison de 150 livres par an, soit une somme de 1 500 livres.

L'abbaye de Saint-Victor -ou plus exactement les locataires de Billancourt -exigeaient aussi un loyer pour le terrain occupé : de longues discussions eurent lieu à ce sujet et finalement les Ponts et Chaussées proposèrent que les entrepreneurs des répa­rations versent une indemnité de 15 livres par an, au locataire de l'île du pont, pour le terrain occupé à la pointe de l'île et le long de la chaussée (68).

Les travaux sont particulièrement importants de 1776 à 1777 (69). Une armée de charpentiers, terrassiers, maçons et manœuvres envahit l'île et travaille à la réfection des ponts. Échafaudages et brise-glaces sont placés: on emploie poutres, chevilles, pieux, boulons, poteaux, chevrons, sable, bois, etc. La circulation est interrompue de longues semaines, sauf quand le roi franchit l'île de Sèvres, où on lui aménage d'urgence une voie libre. On travaille même la nuit pour pré­parer le passage de la Cour.

En janvier 1767, on procède au « déglacement » des arches du pont; cela se reproduit en janvier 1768 (70). En 1769, deux chirurgiens, les sieurs Bouron (de Sèvres) et Mistral, sont en permanence sur les lieux pour soigner les ouvriers blessés pen­dant le travail.

En 1773, les travaux se poursuivent encore: les garde-fous nécessitent une dépense de 889 livres en bois de chêne.

Mais dès 1777, en raison de l'entretien et des réparations importantes nécessaires aux ponts, le sieur Barthélémy Raimbaux, successeur de L'Herbette, étendit ses installations; le bâtiment que nous venons de citer fut agrandi et, de l'autre côté de la chaussée, un hangar en maçonnerie et couvert de tuiles fut construit pour abriter les forges de l'entrepreneur. Un autre hangar, en bois et couvert de tuiles, servit au travail des charpentiers. De plus, un auvent fut adossé au mur ·de la chaussée, afin d'abriter les sonnettes, arrache-pieux et chèvres. Enfin, comme l'entrepreneur venait résider dans les lieux avec voitures et chevaux, d'autres dépenses furent engagées (palis­sade, clôture de mœllons, poulailler, cabinet d'aisances, etc.). Les travaux sont du reste très importants: maçonnerie, « limo­zinerie » (travaux faits par des Limousins), charpente, etc., et même une « petite cloche » (pour quel usage ?) montent à la fin de 1776 à 3 888 livres, somme ramenée par les experts à

(67)

Barth. Raimbaux fait effectuer des réparations en 1773 (pour 889 1.) et en 1774 (pour 30 0391.) : Arch. nat., F14 195. Des ouvriers sont sou­vent victimes d'accidents de travail, notamment la nuit, en raison de l'urgence (ce sont alors les capucins de Meudon qui fournissent les lam­pions nécessaires à l'éclairage) ou lorsqu'il faut aider les glaces à franchir les étroites arches. Autres réparations signalées dans l'arrêt du 9 sept. 1775: idem, E 2516, fol. 241. En 1776, on dépense 3 8881. pour des tra­vaux aux bureau et magasins à outils, « dans la maison de l'isle entre les deux ponts ». En 1777, nouvelle dépense de 124001.

(68)

Les rapports de Lebrun, des 14 févr. et 9 juillet 1781, donnent tous les détails sur la construction du bâtiment de l'Ile. Un plan est joint (idem, F14 194).

(69)

Cf. dans F14 194 le « Devis des ouvrages à faire» et le « Toisé et détail général des ouvrages faits », tous deux particulièrement instructifs.

(70)

La Seine avait en effet entièrement gelé du 4 au 26 janv. 1767. Cela se renouvela du 26 déc. 1767 au 12 janv. 1768. Le dégel commença seule­ment les 8 et 9 janv. La débâcle du 13 dura deux jours : les glaçons avaient 10 pouces d'épaisseur et les ponts de Sèvres souffrirent beaucoup (Documentation J. Gérard).

2 989 livres. Par la suite, les dépenses atteignent 12 400 livres. L'ingénieur des Ponts et Chaussées, Le Brun, ramena ce der· nier chiffre à Il 600 livres, par une décision du 2 juil­let 1782 (71).

Pourtant, avec ce que Raimbaux devait aux héritiers de L'Herbette, c'était encore une somme totale montant à plus de 13 802 1. Le chantier occupait une surface de 1 arpent Il per­ches 2/3 et on estima qu;:: la redevance due à la ferme de Bil­lancourt pouvait être fixée à 22 1. 6 s. 8 d. Le Grand, qui avait succédé à son tour à Raimbaux, accepta ces propositions.

Mais, outre l'entrepreneur chargé des réparations aux ponts de Sèvres, il existait également un service chargé de guider les bateaux à passer sous les ponts. Le sieur j.-B. Trottet sollicite donc, en novembre 1778, qu'on lui construise dans la plaine de Billancourt, tout près du pont un bâtiment où logera le « maî­tre du pont» : celui-ci serait ainsi à portée de veiller sur les bateaux et empêcher les fraudes, car journellement les mari­niers commettent des dégradations en voulant passer seuls et sans payer.

Entre-temps, Louix XVI estimait toujours que « Mesdame.s, étant devenues propriétaires de l'Isle de Sèvres (cela est erroné), ont désiré L'avoir entierrement libre ». Aussi prit-on la décision (de principe 1) de détruire la maison de l'entrepre­neur des ponts et de transférer le chantier de bois, sur la rive gauche du fleuve, à Sèvres (29 juin 1780). Un arrêt du 12 juillet suivant confirma cette décision. Tout cela ne semble pas avoir été appliqué, car un état de réparations (1·' février 1781) (72) à effectuer à la petite maison du pont mentionne des travaux exécutés pour 537 1. 15 s.

On pensa (3 juin 1782) que l'entrepreneur des ponts pourrait faire l'acquisition du petit bâtiment et de ses dépendances, ainsi que du chantier. Un arrêt intervient le 17 juin sur tout cela et nous avons même des rapports des 12 mai, 8 et 12 juillet à ce sujet ... (73)

L'histoire se complique ensuite car, nous l'avons vu, Raimbaux a des contestations avec Joantho qui poursuit de son côté la sai­sie de la terre de Billancourt... Des saisies-exécutions sont faites et des pièces de procédure seront encore produites à la fin de 1791. En réalité, face aux locataires successifs de l'île, les Ponts et Chaussées soutinrent toujours les entrepreneurs du pont de Sèvres qui utilisaient le terrain et les bâtiments de la pointe aval, pour effectuer les travaux d'entretien (74).

L'An 1 de la Liberté

Les premiers mois de la Révolution n'amènent pas de modifi­cation dans l'île. Dès le 3 juillet 1789, le régiment de Salis prend position dans Sèvres ; huit canons sont placés sur les ponts de Sèvres (75) : sans doute certains d'entre eux sont-ils en batterie sur l'île elle-même. Le samedi Il juillet, Duval note dans ses Souvenirs de la Terreur, que des courriers se succèdent sans interruption sur la route de Sèvres; le dimanche 12, piqueurs et valets de pied sont encore signalés (76). Hussards et dragons circulent aussi autour du pont (77). Les ouvriers de la manufacture de porcelaine ont cessé le travail et se rendent aux abords de l'île (78). Les nouvelles sont âprement commentées: on apprend le renvoi de Necker 1 Les députés du Tiers, qui avait prit le nom d'Assemblée Constituante, demandent le retrait des troupes: le roi refuse.

Le peuple est inquiet, car tous ces régiments sont étrangers : suisses, allemands et irlandais. Les troupes de Reinach sont à Sèvres; leurs chefs, Lambesc et Bezenval, logent chez la mère Gautier, aubergiste. Soudain, dans l'après-midi du dimanche, le Royal-Allemand, régiment de cavalerie, colonel en tête, tra­verse l'île de Sèvres au galop, après avoir été assailli par la population parisienne sur la place Louis XV (de la Concorde). Il va bivouaquer dans le parc de Saint-Cloud, où une foule énorme assiste aux jeux des eaux, par cette splendide journée estivale...

Le lendemain, Le Royal-Allemand repasse le fleuve et se rend dans la 'plaine de Billancourt, pour défendre la route de Versailles. Un second régiment, Royal-Cravates, garde égale­ment les lieux. Partout, il y a des troupes qui ont installé leurs tentes sur les rives de la Seine. Nous avons le témoignage des « Électeurs» de Paris: ils racontent qu'ils ont vu, ce lundi 13, des Suisses faire des patrouilles. Mais les cochers et les habi­tants de la région ont tous des cocardes ou des rubans verts (79). Témoignages précieux prouvant que nos ancêtres ont optés pour les nouvelles idées de liberté et de fraternité. Tous explosent de joie en apprenant la prise de la Bastille. Mais que va faire le pouvoir en place ?

Picquais, négociant, « couvert de sueur », raconte le 15 juillet qu'il vient d'être empêché par les Suisses de franchir le pont de Sèvres; il a dù traverser la Seine en batelet (80). Lecointre, qui va devenir célèbre dans les années suivantes, confirme aux Parisiens que les convois de farine ne peuvent franchir l'île de Sèvres, retenus par les autorités royales (81). Bailly, le maire de Paris, fait plusieurs fois le voyage à Versailles (82).

(71) Arch. nat., F14 201·A.

(72) Idem.

(73)

Idem, F14 194.

(74)

«Exposé sur l'Err';placement du Chantier du Pont de Sèvres dans l'Isle », 4 avril 1791 (idem, F14 194).

(75) LESCURE, Correspondance secrète inédite de Louis X VI, t. 2, p. 368.

(76)

DUVAL, op. cit., t. l, p. 35-36.

(77)

Témoignage du comte de Fernan Nunez, ambassadeur d'Espagne, publié par MOUSSET, p. 55-56 ; Mémoires de BAILLY, maire de Paris, 1804,

t. 2, p. 69.

(78)

CHAUVISÉ, op. dt., p. 48-49.

(79) CHASSIN, Les élections et les cahiers de Paris, t. 3, p. 507.

(80)

CHASSIN, op. dt., t. 3, p. 555 et Procès-verbal de DUVEYRIER, t. l, p.408·443.

(81)

Arch. nat., C 28, nO 224 (minute).

(82) Cf. FERNAND-LAURENT,j.-S. Bailly, premier maire de Paris, 1927, passim.

Enfin, le roi cède! Le 16, il rappelle Necker; le 17 avec 200 députés et ses gardes du corps, il franchit l'île pour se rendre à Paris et apaiser la population parisienne.

Lorsqu'il reviendra le soir, les observateurs noteront que son visage ne s'épanouira qu'à Sèvres, en retrouvant ses gardes du corps...

Pourtant, la tension reste vive car le 21 septembre, on signale un poste de 40Q volontaires des districts parisiens, avec du canon, au pont et dans l'île de Sèvres... (83)

Le lundi 5 octobre 1789, c'est la marche des Parisiens sur Versailles: ces événements ont été abondamment commentés. Une première manifestation, composée d'environ 10 000 fem­mes, défile de Paris à Versailles, en passant par le pont de Sèvres : cortège bariolé, précédé de 10 tambours et de 2 canons ; piques et fourches dominent la tête des ménagères et des ouvrières qui franchissent la Seine sur l'île de Sèvres ! Maillard a laissé son nom, car on lui doit un semblant d'ordre grâce à son ascendant ; Duval dit qu'il a «vu défiler cette armée d'héroïnes au pont de Sèvres ».

Pendant ce temps, à Versailles, la Cour hésitait sur les mesures à prendre; le comte de Saint-Priest proposa à Louis XVI d'envoyer 800 gardes du corps et 200 chasseurs pour occuper le pont de Sèvres et charger les insurgés dans la plaine de Billancourt! Mais il était trop tard!

Cependant, à Paris, la bourgeoisie commençait à s'inquiéter de la marche des ménagères parisiennes. Aussi, la municipalité donna-t-elle l'ordre à La Fayette de se rendre lui aussi à Ver­sailles, à la tête de la Garde nationale. Celle-ci part aussitôt, et voici un second défilé de 10 000 hommes armés qui vont à leur tour franchir l'île. La Fayette s'arrêta quelques instants sur le pont de Sèvres, afin de parler à ses compagnies au fur et à mesure qu'elles défileraient. Mais la nuit est venue et la pluie commence à tomber. Alors des centaines de torches s'allument, le général mORte en voiture, la marche reprend, tout le monde est crotté, mais chacun est joyeux ...

Le 6 octobre, dans l'après-midi, c'est la marche du retour: le boulanger, la boulangère et le petit mz'tron -lisez le roi, la reine et le dauphin -étaient pratiquement prisonniers au milieu de la foule qui les encadrait et criait sa joie ; 60 chariots de farine précédaient la voiture royale, au milieu des acclamations. Dans un effroyable désordre, 20 000 hommes et femmes, à pied, à cheval, sur des canons ou des voitures, tenant bâtons, fourches et piques, passent sur notre île Seguin, en chantant, en criant ou en tirant des coups de fusils. On a mis cinq heures pour accomplir le trajet de Versailles à Sèvres! (84)

Dans les jours qui suivirent, sur les ponts de Sèvres, ce ne fut qu'un convoi de voitures, chargées du mobilier de Versailles, transporté aux Tuileries' (85).

Pierre MERCIER

(83) LECLERCQ (Dom H.), Les journées d'octobre, 1924, p. 19, n. 2 Cf. VAISSIÈRES, Lettres d'aristocrates, p. 91.

(84)

Bibliographie abondante: cf. surtout LECLERCQ, op. cit.

(85)

BLANC (Louis), Hist. de la Révol. franç., t. 1, p. 262.