07 - Notes de Louis Renault

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Notes de Louis Renault

Nous publions, ci-après, six notes de service rédigées par Louis Renault entre 1919 et 1937. Elles s'adressent aussi bien aux chefs d'ateliers ou de services qu'aux administrateurs ou à ses collaborateurs les plus proches. Elles expriment dans un langage trés direct et identique, quel que soit le niveau hiérar­chique des destinataires, le souci constant de Louis Renault de gérer:

-avec la Plus grande rigueur le temps de travail de son personnel, sans distinction de niveau de responsabilité ;

-avec parcimonie la matière première et les moyens de production.

On remarquera la précision des observations se rapportant souvent à des activités mineures et, cependant, décrites avec une minutie, inattendue de la part d'un "grand patron". Il est évident, par ailleurs, que l'exPért'ence amért'cazne, zSsue des voyages de Louis Renault outre-Atlantique, lui sert fré­quemment de référence.

Note de Monsieur Renault

Il est absolument nécessaire, même indispensable, que les heures de ren· trée et de sortie de tout le personnel, même du personnel de Direction, soient notées.

J'ai donc prié les contrôleurs de vouloir bien dorénavant prendre le nom

au passage de tout le personnel de Direction, c'est·à·dire du personnel

qui, à l'heure actuelle, n'a pas à se signaler aux contrôleurs.

De manière à faciliter les choses, plusieurs portes sont affectées aux entrées et sorties des employés et du personnel de Direction.

Pour tous ceux qui viennent habituellement à l'usine en voiture, la ques· tion est aussi simple, leur voiture est admise, aucune difficulté n'existera de ce côté.

ENTRÉES: Pour éviter toute erreur et surtout pour éviter d'être signalé comme manquant, je vous demande de vouloir bien en entrant donner votre nom au contrôleur.

Pour éviter l'entrée d'étrangers dans l'usine dans l'avenir, personne ne pourra plus franchir une porte sans faire connaltre son identité. Les contrôleurs connaissant les noms de tous ceux qui ont un poste de direc­teur, aucune difficulté n'existera de ce côté.

SORTIES: Le contrôle des heures de sortie est non moins indispensable que celui des heures d'entrée. Je demande aux membres du personnel de Direction de vouloir bien donner leur nom en sortant, faute de'quoi, ils seront considérés comme sortis irrégulièrement.

ABSENCES PENDANT LES HEURES DE TRAVAIL, POUR LE SERVICE DE LA MAISON: Tous les membres du personnel de Direc­tion qui ont un secrétaire doivent, s'ils s'absentent pendant les heures de travail, indiquer à leur secrétaire l'endroit où ils se rendent afin qu'il soit possible de les rejoindre si, au cours de leur absence, il est nécessaire de se mettre en rapport avec eux.

Les secrétaires devront, chaque jour, tenir un état des sorties de leur chef. Ces états se centraliseront au Bureau du Personnel. De cette façon il sera toujours possible, à un moment quelconque de la journée, de savoir où se trouve le personnel directeur.

CERCLE : Comme cela a été entendu au moment de la formation du Cercle, celui-ci doit étre rigoureusement fermé pendant les heures de travail. Un inspecteur y sera envoyé pour vérifier l'exacte observation de cette consigne.

MESS: J'ai constaté personnellement, à plusieurs reprises, que des chefs de service étaient encore au Mess après l'heure de la reprise du travail. Je leur demande, étant donné qu'ils doivent donner le bon exemple, que personne ne soit plus au Mess après l'heure réglementaire.

Tous les membres du personnel de Direction qui ne sont pas inscrits comme déjeunant au Mess sont considérés comme sortant de l'Usine et doivent, par conséquent, donner leur nom au contrôleur, à la sortie et à la rentrée.

Billancourt le 3 novembre 1919

MM. Lehideux MM. Jannin

Diethelm Verdure

Serre Alamagny

Grillot Gaultier

Tordet Pomey

Note de Monsieur Renault nO 3291

Meilleure utilisation du personnel et de la matière

Depuis quelques mois je vous dis que, dans son ensemble, nous avons trop de personnel, étant donné le chiffre d'affaires que nous faisons. Je vous ai déjà signalé que notre Affaire, malgré les circonstances, malgré sa position extrêmement avantagée par rapport à une affaire normale, n'était pas en équilibre. Il n'est pas possible d'envisager une augmentation des prix de vente et, pour nous assurer du travail, il est nécessaire d'accorder les concessions que nous faisons, tant à l'achat qu'à l'entretien. Il faut donc, dans chaque poste, que chacun de vous recherche -sans même attendre que vous soyez alertés -tous les gaspillages qui existent soit en main-d'œuvre, soit en matières, et les causes de dépense prove· nant soit de difficultés de construction, soit de montage, soit même de conception. Qu'est-ce qui peut incomber à la conception? Le remplacement systéma­tique des pièces qui doit être fait gratuitement à notre clientèle puisque, faute de ceci, nous la perdrions. Et, si ce remplacement pouvait être évité, ce serait pour la Marque un argument de publicité et une plus grande facilité de vente, car il est bien évident que lorsqu'on remplace une pièce gratuitement, ou qu'on remet gratuitement en état un véhicule quelconque, c'est toujours un ennui et un souci pour le client. Il faudrait donc que chacun de vous signale au Bureau d'Études tout ce_qui paraît défectueux et obtienne, après entente avec le Bureau d'Etudes, la modification ou le remplacement de certaines pièces ou ensembles qui ne donnent pas satisfaction. En ce qui concerne la main-d'œuvre, les rares promenades que j'ai malheureusement le temps de faire dans l'usine me montrent que nous avons un gaspillage de la main-d'œuvre. Il suffit de pénétrer dans un atelier moderne qui a été établi d'une façon absolument semblable à ceux existants, je parle de l'émaillage mis en route il y a plusieurs mois déjà, pour constater qu'il y a beaucoup trop de monde. Je suis persuadé qu'à l'accrochage on pourrait retirer 2 ou 3 per­sonnes et peut-être même davantage. A la surveillance il y a 3 personnes: 1 pompier, 1 homme et 1 femme, assis tous les trois, n'ayant juste à faire qu'à se tourner les pouces puisque, tout étant automatique, leur rôle est de relever sur un papier les dia­grammes de marche. Et c'est tout. Le pompier aurait suffi; nous lui aurions donné une consigne après entente avec le service des pompiers. Ce pompier pourrait remplir le rôle du guetteur dans un phare, lequel est en même temps guetteur et gardien. Et, pour qu'il ne soit pas isolé, il suffirait d'installer une sonnerie pour qu'en cas d'accident il puisse alerter, dans l'atelier qui se trouve à une dizaine de mètres de là, le contremaître ou un secours quelconque. A quelques pas de là, aux étuves, il y a trois personnes pour essuyer les barres; 1 ouvrier italien qui parle à peine français, et 2 autres manœu­vres ; ils n'ont pour ainsi dire rien à faire puisqu'ils n'ont qu'à essuyer les barres de la chaîne et à nettoyer les petits galets. Il est vraiment inadmis­sible de laisser trois hommes pour ce travail. Ce qui m'a sauté aux yeux pour une chose, existe un peu partout. Il faudrait dans bien des coins que vous retiriez par avance de la main-d'œuvre inutile et que vous exigiez que les autres manœuvres fas­sent non seulement leur travail mais également ce que faisaient ceux qui sont supprimés. J'ai vu des gens balayer; si le balayage était donné aux pièces, ils ne balayeraient certainement pas à cette allure; il vaudrait mieux ne pas balayer pendant le travail et le faire faire à d'autres moments. Vous allez me dire qu'on balaye à temps perdu, mais lorsqu'on commence à parler de "faire quelque chose à temps perdu" c'est absolu­ment comme lorsqu'on parle de la récupération des déchets; on ne fait plus attention aux déchets, puisqu'on les récupère. Dans les tacots on voit constamment 2 ou 3 hommes: pourquoi? Parce qu'ils transportent des marchandises d'un atelier à un autre. Mais puis­que dans chaque atelier il y a des manœuvres, pourquoi n'est-ce pas l'ate­lier expéditeur ou réceptionnaire qui les fournit? C'est courant dans tous les services. Je me suis préoccupé de la question des retours, des déchets. Si nous pre­nons le bois par exemple, nous récupérons, en poids, 25 % du bois brut en grumes; vous ne me ferez pas croire que s'il s'agissait d'un petit artisan, il ne trouverait pas le moyen de mieux employer son bois. Tout finit par ne rien coûter parce qu'on n'en connaît pas la valeur.

Les traceurs, ceux qui préparent les débits, ne se préoccupent pas de l'importance des chutes.

Enfin, dans certains cas, le chef d'atelier devrait être plus vigilant et, dès

qu'il s'aperçoit de l'importance des chutes ou déchets nécessités par

l'étude, devrait -comme je sais que cela se fait quelquefois -aller voir

le Bureau d'Études et lui montrer l'importance de la chute occasionnée.

Nous savons également qu'à voiture égale, nous employons une quantité

de peinture plus grande que celle utilisée en Amérique.

A ce sujet je prie M. Jannin de vouloir bien demander à M. Planche de

nous indiquer le poids de peinture employée en Amérique pour telle ou

telle carrosserie.

Pour les étuves d'émaillage tous les Américains marchent à 2 cuves, et

nous n'avons jamais pu marcher qu'à 3 cuves. Or, Ford dont les voitures

sont vraiment aussi belles que les nôtres marche à 2 cuves.

Nous allons arriver à la tôle; notre pourcentage de déchets de tôle, que

ce soit en châssis ou ailleurs, est absolument anormal. Nous vous commu­

niquerons ce pourcentage incessamment.

Il doit-en être de même aux Forges où le poids des bavures et des déchets

doit être trop considérable par rapport aux résultats obtenus en

Amérique.

Pour exemple pour les chutes d'estampage, chrome nickel et chrome

molybdène, c'est-à-dire en aciers chers, nous renvoyons 140 tonnes de

chutes par mois aux aciéries. . Vous ne me direz pas que ce sont des pièces loupées renvoyées par le

M.P.R.

Quant aux pignons retournés aux aciéries comme rebuts, y compris ceux

du M.P.R. provenant de remplacements gratuits, il y a 30 tonnes par

mois de pièces finies ou à peu près.

Nous aHons sépare~ des remplacements du M.P.R. les déchets de fabrica­

tion, et nous allons obtenir du M.P.R. qu'il nous indique, proportionnel­

lement aux pièces payées, celles remplacées gratuitement.

Avec ces divers éléments nous pourrons nous rendre compte de ce qu'il y

a à faire au Bureau d'Études et, de plus, en analysant les causes ou rai­

sons des remplacements que nous avons dû effectuer, nous constaterons

si, dans beaucoup de cas, elles ne proviennent pas d'erreurs soit de quali­

tés d'acier, d'usinage ou de traitement.

Du côté du traitement je rappelle qu'il y a énormément à faire. Je suis

persuadé qu'une partie considérable des pièces loupées, méme en

fabrication, proviennent du traitement.

Je prie M. Gaultier de me signaler, semaine par semaine ou mois par

mois:

-la proportion des loupés, ,

-les pièces qui, d'une façon constante, sont remplacées gratuitement,

ce qui indiquerait nettement un défaut de conception.

Nous envoyons aux aciéries 110 tonnes par mois de pièces en chrome

nickel: vilebrequins, arbres de roues, etc.

Rien que sur ce poste où nous avons des renseignements plus précis que

pour les autres, les 30 tonnes de pièces retournées aux aciéries, chaque

mois, représentent au minimum la valeur de 450 000 à 500 000 francs,

soit 6 millions par an.

M. Grillot signale que, sur 100 kg d'acier rentrant pour la fabrication des pièces, 65 kg seulement sont utilisés. Il serait intéressant que M. Jannin se documente auprès de M. Planche pour savoir quelle est, dans les plus grosses usines américaines, la meil­leure utilisation du bois de carrosserie, tôle pour châssis, tôle de carrosse­rie et aciers de constructions diverses. Je demande que, sans délai, chacun de vous fasse, dans la partie qui l'intéresse, un effort considérable pour gagner de la main-d'œuvre et diminuer les pertes et déchets. De plus, il est nécessaire que, dans chaque atelier, chacun de vous ait à cœur de faire établir un graphique aussi clairvoyant que possible de façon à pouvoir se rendre compte au jour le jour de la marche de chacun des ateliers. Dans quelque temps on tirera par atelier un chèque où l'on établira un compte de ce que vous devrez employer de main-d'œuvre d'après ce que vous aurez sorti par rapport aux prix chronométrés et, à l'application, il appartiendra à chacun de vous d'être très près de ces chiffres. Nous vous demandons d'établir des graphiques et nous en ferons établir de notre côté; ils seront faciles à établir en rapprochant les dépenses de main-d'œuvre de la facturation des débits aux clients. Il sera très facile de se rendre compte si vous retenez les prix chronométrés ou dans quelle proportion vous vous en,écartez.

Le 17 octobre 1934

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MM. les Chefs de Services et Chefs d'Ateliers Le 28 juin 1935

Note de Monsieur Renault

Ce matin lors de la visite, j'ai constaté que d'une façon générale les ateliers étaient propres et bien rangés; cela m'a fait plaisir et je tiens à ce que chacun le sache.

Je demande que cet effort soit continué pour que ce résultat reste

acquis, et que d'une façon constante l'Usine se présente comme elle

l'était ce matin.

Messieurs les Chefs de Service les Chefs d'Atelier 22 novembre 1935

Note de Monsieur Renault nO 3516

En examinant les dépenses générales de l'usine, j'ai été frappé par la somme de plus en plus importante dépensée, chaque mois, par les services d'installations et d'entretien.

Pour une grande part ces dépenses sont causées par les déplacements incessants de machines, d'installation ou d'ateliers, exécutés très sou­vent le dimanche, en coup de collier, sans que les dépenses à engager aient été examinées, sans qu'on ait pu, par conséquent, vérifier que l'économie escomptée motive bien cette transformation, et sans que les ateliers d'entretien aient pu préparer leur travail pour l'exécuter d'une manière rationnelle et économique.

Ces installations qui sont souvent mal étudiées, parce qu'on donne les plans à la dernière minute, sont quelquefois modifiées après leur mise en service, ce qui nous cause des pertes de temps et d'argent considérables.

J'ai donc décidé que, dorénavant, aucun travail, aucune modifica· tion d'installation ne pourraient être demandés aux ateliers d'entre· tien sans qu'une note du chef d'atelier demandeur indiquant les motifs de sa demande et chiffrant les économies à réaliser y soit jointe.

L'atelier d'entretien auquel cette demande est adressée devra évaluer la dépense totale à engager et soumettre ce bon complété par l'indi­cation des deux sommes au visa d'autorisation.

Cette autorisation ne pourra être donnée que si les deux éléments de l'examen: dépenses à engager, économies à réaliser, sont chiffrés et certifiés par les intéressés.

Je me réserve d'examiner personnellement les cas où vous ne seriez pas d'accord et tous ceux où la dépense à engager excéderait dix mille francs. Il est entendu que si, pour éviter mon visa, on présentait la dépense en deux ou trois étapes, je considérerais cela comme un abus de confiance et des sanctions très sévères seraient appliquées.

J'interdis de la façon la plus formelle les déménagements d'ateliers à

faire le dimanche, sauf cas exceptionnels pour lesquels l'autorisation

ne pourra être donnée que par moi-même.

Les ateliers devront prendre l'avance nécessaire pour que les travaux qu'ils demandent puissent être exécutés en semaine, pendant les heures normales de travail.

Je demande également que les travaux soient déterminés assez tôt pour que les ateliers exécuteurs reçoivent les dessins nécessaires au moins une semaine avant de passer à l'exécution de façon à leur per­mettre de préparer à l'atelier tout ce qui doit être préparé et de ne rien improviser sur le chantier.

Le service du c;ontrôle qui recevra les bons après l'exécution du tra­vail, ainsi que la note indiquant les économies qui devaient en résul­ter, devra s'assurer que les dépenses effectuées sont bien en rapport avec l'évaluation faite à la réception du bon de commande et que l'économie prévue par l'atelier demandeur, diminution de main-d'œuvre, de frais généraux, ou augmentation de rendement, a bien été réalisée.

Les cas où les engagements n'auraient pas été tenus devront m'être signalés.

MM. les Chefs de Services MM. les Contremaîtres

Note de Monsieur Renault nO 3 498

Les conversations par téléphone sont beaucoup trop longues et trop

nombreuses.

Il est nécessaire de diminuer leur importance.

Je vous demande donc :

1 ° de préparer à l'avance votre communication et d'être bref;

2° de ne pas faire attendre votre correspondant au bout du fil pour

lui donner le renseignement demandé. Rappelez quand vous serez en

mesure de répondre ;

3° de ne passer ni rapports, ni longues listes de pièces réclamées par

téléphone, comme le font certains bureaux et ateliers.

Vous devez prévoir votre travail assez tôt pour que les réclamations

que vous auriez à faire le soient par écrit.

Le service téléphonique s'assurera par des sondages que ces prescrip­

tions sont bien observées et devra me signaler par note ceux qui ne s'y

conformeraient pas.

Le 26 octobre 1935

MM. les Chefs de Service

Copie pour MM. Lehideux

Serre

Grillot

Note de Monsieur Renault nO 3 629

Je vous ai exposé, la semaine dernière, la nécessité que chacun d'entre vous examine de toute urgence toutes les économies de tous ordres qui pourraient être réalisées, toutes les améliorations pouvant être apportées dans l'outillage, pour augmenter le rendement, dimi­nuer la consommation de matière, les frais généraux, le personnel improductif au profit du personnel productif.

Ces problèmes sont les plus importants et doivent être l'objet de vos principales préoccupations.

C'est pourquoi j'insiste auprès de vous pour que vous m'envoyiez, comme je vous l'ai demandé, dans le courant de cette semaine avant Pâques, une petite note de ce ,que vous avez commencé à réaliser, et un petit programme de ce que vous allez entreprendre dès à présent, en indiquant les points précis sur lesquels vous allez pouvoir faire des économies.

M. Gaultier étant chargé de regarder ces questions pour l'ensemble de l'usine, je vous demande de lui faire parvenir toutes vos sugges­tions de façon qu'elles soient centralisées par lui et qu'il puisse me tenir au courant des propositions de chacun, et des résultats déjà obtenus dans chaque groupe d'ateliers.

Je compte sur vous pour collaborer d'une façon complète et être les premiers artisans de la réalisation de ce programme d'économie absolument indispensable si vous voulez que l'usine vive.

Le23 mars 1937

signé Louis Renault