01 - La grande victoire de Szisz

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LA GRANDE VICTOIRE DE SZISZ

Après la funeste course Paris-Madrid disputée en 1903 (1), les pouvoirs publies s'opposèrent définitivement aux épreuves sur routes. Il fallut adopter l'idée de la course sur un circuit étroi­tement surveillé. Mais, pour des rai­sons d'ordre matériel, il était impossi­ble d'organiser une autre épreuve que la Coupe Gordon-Bennett (2). Cette der­nière devenait donc, par la force des choses, le plus important événement automobile de l'année, ce qui déplai­sait fortement aux constructeurs français.

En effet, le règlement de la Coupe Gordon-Bennett n'accordait à chaque nation participante que le droit de se faire représenter par trois voitures, quelle que soit par ailleurs son impor­tance industrielle. La France qui, à l'époque, pouvait se prévaloir du titre de première nation automobile (3) se trouvait sur le même pied d'égalité que la Suisse qui ne produisait aucune voiture. On comprend, dès lors, l'atti­tude des constructeurs français qui, intimement, souhaitaient voir dispa­raître cette Coupe.

(1)

Voir le vrécédent bulletin «La mort tra­l7iaue de Marcel Renault ».

(2)

Provriétaire du «New York Herald» et de la «Commercial Cable Comvanu ». James Gordon-Bennett était venu se fixer à Paris en 1887 vour créer une édition continentale du «New York Herald» aui ne fut vas un succès.

En novembre 1899. il envoua une lettre à huit nations : France. Allemaane. An.aleterre. Autriche. Bell7iaue. État­Unis, Italie et Suisse, var laauelle il les informait au'il créait un vrix interna­tional destiné à âtre disvuté var les différents clubs automobiles du monde entier, revrésenté var une COUVE.

Cette couve, exécutée var l'orfèvre vari­sien Aucoc, revrésente une automobile de course conduite var le Génie du Prol7rès. Six évreuves furent disvutées entre 1900 et 1905.

(3) On évaluait alors à 800000 le nombre de versonnes aue l'industrie automobile fai­sait vivre en France, directement ou indi­rectement.

L'origine du premier grand prix de l'A.C.F.

L'Automobile-Club de France proposa aux nations participantes une modifi­cation du règlement de la Coupe. Il demanda notamment que chaque usine fut représentée par trois voitures. Les Anglais s'y opposèrent, leur industrie nationale se trouvant défavorisée. De longues discussions s'engagèrent et l'A.C.F. accepta finalement que, pour 1905, la Coupe se disputerait. Cepen­dant il déclara que, quel qu'en serait le résultat, il organiserait en 1906 une grande épreuve de vitesse dans la­quelle le principe de la représentation par usine serait adopté.

Cette décision fut saluée avec joie par les sportifs françaiS et, sous

Carte postale représentant "le vainqueur français du circuit de la Sarthe" envoyée par François Szisz à sa famille en Hongrie (communiquée par Harris Testvérek Musée de l'Automobile de Budapest).

l'inspiration de l'A.C.F., le journal " l'Auto» ouvrit, dans les premiers jours de décembre 1905, une consul­tation nationale sur le choix du circuit.

De ce dernier, l'A.C.F. exigeait les caractéristiques suivantes : longueur d'environ cent kilomètres, pas de pas­sage à niveau, pas de traversées de villes ou villages longues et tortueu­ses, lignes droites aussi longues que possible pour réaliser le maximum de vitesse et battre les temps constatés sur les circuits étrangers, largeur de la chaussée aussi grande que pOSSible pour éviter les accidents et, comme conséquence de ce qui précède, pas d'arrêts, ni de neutralisations qui faus­sent le résultat des courses. Une autre condition concernait la possibilité d'ob­tenir des subventions des collectivités locales ou des particuliers.

Plusieurs circuits furent proposés. L'un des premiers le fut par le chevalier de Knyff, président de la Commission sportive de l'A.C.F.; il avait comme centre Fontainebleau et affectait la forme d'un trèfle. Parmi les autres, on remarquait le circuit dé la Somme, à proximité d'Abbeville; celui de Nantes; celui de la Seine-et-Oise proposé par le maire de Rambouillet; celui du Pas­de-Calais avec trois passages à niveau; celui de Provence; celui du Berry et enfin, le circuit de la Sarthe. Pour des raisons diverses aucun des tracés sou­mis n'emporta l'adhésion de l'A.C.F., sauf le circuit de la Sarthe qui fut ainsi retenu.

Après s'être rendu sur les lieux le 14 janvier 1906, la Commission spor­tivede l'A.C.F. fit connaître son accep­tation. « La joie causée dans toute la région par le choix du circuit de la Sarthe a été énorme. Mais c'est sur­tout au Mans que la nouvelle a été accueillie avec une véritable émotion, tant on y attendait avec angoisse la décision définitive. Il y a là-bas non seulement de la satisfaction pour les bénéfices que la région pourra tirer de la grande épreuve, mais aussi une véritable fierté de voir les routes de la Sarthe proclamées les plus belles de France, de cette France qui est renommée pour avoir les plus belles routes du monde (4).

JO

Le circuit de la Sarthe

C'est le 15 décembre 1905 que Georges Durand (5), fondateur du syndicat d'ini­tiative des Alpes Mancelles, avait fourni le projet établi en collaboration avec l'ingénieur Louis Verney. Le 30 décembre, au cours d'une réunion publique organisée dans la salle dl:! Tribunal de Commerce, un comité pro­visoire chargé des négociations avec l'A.C.F. avait été nommé. Adolphe

(4)

«La Vie automobile» du 27 ianvier 1906.

(5)

Né à Fresna'J/-sur-Sarthe le 30 avril 1864. 8ecrétaire flénéral de la Comvaflnie des Chemins de fer dévartementaux. secré­taire sténoflravhe du Con8eil Général de

Singer en avait pris la présidence, Georges Carel et le docteur Moreau, la vice-présidence, René Pellier étant trésorier et Georges Durand, secré­taire. Quelques jours plus tard, le 24 janvier, ce Comité donnait naissance à l'Automobile-Club de la Sarthe dont la présidence d'honneur fut offerte à Amédée Bollée père, le constructeur manceau bien connu et au baron de Zuylen, président de l'A.C.F.

Le circuit de la Sarthe formait un triangle. Partant de la Fourche, située à une dizaine de kilomètres du Mans, juste à l'intersection des routes natio­nales du Mans à Saint-Calais et du Mans à La Ferté-Bernard, la route s'étendait vers Saint-Calais en passant par Bouloire; à Saint-Calais elle remontait vers le nord pour rejoindre La Ferté-Bernard par Berfay, Vibraye et Lamnay; elle redescendait ensuite vers le sud par Sceaux, par la côte de la Belle-Inutile, rejoignait Connerré et Saint-Mars-Ia-Brière pour retrouver la Fourche.

Afin d'éviter de traverser Saint-Calais, Vibraye et La Ferté-Bernard, des aménagements devaient être apportés. La traversée de Saint-Calais consti­tuait un des points noirs du circuit : la route se rétrécissait, serpentait et devenait cahoteuse, rendant toute vitesse impossible. Sur l'offre sponta­née de la municipalité, une route artificielle en bois, route-virage à tra­vers champs fut construite. Elle reliait l'entrée de la ville, après le passage à niveau, à la route départementale de Saint-Calais à La Ferté-Bernard, et avait 420 mètres de long et 12 mètres de large. Sa réalisation devait coûter 10000 francs.

Vibraye constituant le second écueil, il.fallut emprunter la route des Arpents dans la forêt de Vibraye, à la hauteur du Gué de Launay. Ce crochet de trois kilomètres permettait de contourner le centre du village et de rejoindre la route du circuit à la hauteur du pont de chemin de fer qui relie Th6Tigné à Montmirail.

Troisième écueil : la traversée de La Ferté-Bernard. Il fut surmonté en utilisant, à la hauteur de la route de Mamers à Montmirail, à 1 500 mètres du village, le chemin de Cherré jusqu'à sa jonction avec la route nationale nO 23.

La longueur totale du circuit atteignait 103,180 kilomètres y compris 1,244 km de routes planchéiées.

Afin d'éviter la poussière, qui consti­tuait l'ennemi essentiel des concur­rents, l'A.C.F. fit goudronner la chaus­sée sur 6 mètres de largeur (6). Enfin, le circuit fut clôturer sur 1/5 de sa longueur totale. Dans la traversée des agglomérations on édifia des clôtures

(6) Le floudronnafle du circuit avait été confié à la Société Générale de floudron­nafle des routes (vrocédé Lassaill'J/. 17. rue de Bourfloflne. à Paris). Ce travail fut exécuté en huit .iour8 avec du flOU­dron de houille avvliQué à chaud. seul vroduit reconnu efficace à l'évoque.

la Sarthe et du Conseil Municival du

Mans. Le circuit de la Sarthe (d'après" la Vie automobile" du 16 juin 1906),

pleines de 1,30 m de hauteur, aux croi­sements de routes, devant les maisons et aux sorties de villages r,e furent des treillages. La longueur des clôtures pleines atteignit 7 000 mètres et celle des treillages 31 000 mètres.

Des passerelles pour piétons furent con s t r u i tes à Saint-Mars-Ia-Brière, Champagné, Bouloire, Saint-Calais, Berfay, Vibraye, Lamnay, Cherré, Sceaux et Connerré.

Quant aux tribunes officielles de l'AC.F., établies au point de départ de Pont-de-Gennes, à l'intérieur du cir­cuit, elles contenaient 5000 places de loges ou de gradins très luxueuses. A côté se trouvaient les tribunes de l'AC.S. qui comportaient 2000 places. Un passage de quatre mètres, creusé soLis la route entre ces deux tribunes, les reliait à l'extérieur du circuit et à la gare.

En face des tribunes et à . l'extérieur de la route étaient installés le parc où les voitures concurrentes seraient mises sous scellés au soir de la pre­mière journée de course, le ravitaille­ment des maisons concurrentes et le garage des automobiles appartenant aux personnes munies de cartes de tribunes.

La ligne de départ et d'arrivée était fixée en face des tribunes officielles; à côté se trouvaient le tableau d'affi­chage donnant la position des concur­rents tour par tour et la cabine du chronométreur.

En dehors des tribunes officielles, 300 tribunes privées furent installées, soit 3 par kilomètre. Elles étaient dues à l'initiative de sociétés sportives, d'associations diverses ou de commer­çants avisés.

Le service de secours dirigé par le docteur Henri de Rotschild fut doté d'ambulances (7).

Le règlement du Grand Prix

Le samedi 17 mars 1906, le journal « l'Auto» publiait le règlement défini­tif de l'épreuve. Les différents arti­cles stipulaient que :

-la course serait disputée les 26 et 27 juin, à raison de 600 kilomètres par jour; chaque fabricant ayant le droit d'engager au maximum trois voitures moyennant un droit de 5 000 francs par voiture;

après la première journée de course, les constructeurs auraient la faculté de changer le conduc­teur de chaque voiture; les méca­niciens, si besoin était, pouvaient être changés pendant la course à condition que ce changement inter­vienne dans les lieux de ravitaille­ment et sous la surveillance d'un commissaire;

-le poids du châssis à vide serait de 1 000 kg avec 7 kg de tolérance pour les voitures empruntant l'éner­gie nécessaire à l'allumage à un dispositif mu par le moteur. Les ailes, trompes, boîte à outils ne servant pas de siège et ne faisant pas partie intégrante de la car­rosserie, lanternes, porte-lanternes, coussins, ne seraient pas compris dans le poids du châSSiS;

-toute voiture ayant terminé le par­cours de la première journée, dans la limite de temps prévu, serait mise immédiatement après sous les ordres d'un commissaire chargé de la surveillance et conduite dans un parc. Le conducteur, après arrêt de son moteur, ne serait autorisé qu'à fermer les robinets d'essence ou d'huile, si besoin était, et la voi­ture remisée à bras d'hommes. Chaque véhicule serait enfermé dans un compartiment distinct et personne ne pourrait en approcher avant l'heure du départ le lende­main. Le matin du second jour, les voitures seraient remises entre les mains de leur équipe à l'instant du départ de chacune d'elles. Toutes les opérations se rappor­tant à la mise en marche du moteur, aux ravitaillements, aux réparations, etc., ne pourraient se faire qu'après que le départ aurait été donné et le temps employé à cet effet serait compté dans le temps de marche;

-tous les ravitaillements, charge­ments, et réparations (pneumati­ques, moteur, mécanisme, etc.) seraient exclusivement exécutés par l'équipe de la voiture. Chaque maison concurrente disposerait de deux postes de ravitaillement situés dans des endroits du circuit qui lui seraient désignés après tirage au sort. Aucun ouvrier ne serait toléré sur la route, et les ravitail­lements placés au bord de la route ne pourraient être utilisés que par l'équipe de la voiture. Quant au ravitaillement en pneumatiques, chambres à air, essence, huile, etc.,

il ne pourrait avoir lieu qu'aux postes de ravitaillement installés aux points fixés d'avance;

-le premier jour le départ aurait lieu à 6 heures du matin. Le deuxième jour, l'heure de départ serait fixée à minuit, plus le temps réalisé la veille par chaque voiture.

Comme on le voit, les conditions de l'épreuve étaient au moins aussi diffi­ciles pour les conducteurs et les méca­niciens que pour les moteurs et les voitures. Pour gagner il fallait donc des hommes parfaitement préparés et des voitures particulièrement bien mises au point.

Les concurrents

« Le grand prix de J'A.C.F. paraît pren­dre jusqu'ici les allures d'une épreuve de père de famille», écrivait Henri Desgranges dans « l'Auto,. du 13 avril. Il poursuivait : «Les intéressés s'en­gagent de plus en plus lentement et l'opinion publique ne s'émeut pas du tout ». En fait, si les constructeurs étu­diaient le circuit de près et mettaient au point leurs voitures, ils avaient à faire face à un mouvement de grève qui faillit compromettre leur partici­pation.

Les ouvriers réclamaient la journée de 8 heures et des augmentations de salaire. Tous les constructeurs d'auto­mobiles étaient touchés. Chez Renault Frères, dès le 10 mars, au cours d'une réunion organisée à la Bourse du Travail de Boulogne, les ouvriers s'en­gageaient « à quitter les ateliers après les huit heures accomplies ». Le 9 avril, au nombre de 1400, ils arrêtèrent le travail une première fois et obtinrent une augmentation de 5 % limitée aux ajusteurs, manœuvres et conducteurs de machines, à l'exception des tour­neurs. Dès le début de mai, toute la profession suspendit le travail. Il fallut l'intervention de la troupe pour que tout rentre dans l'ordre au matin du 16 mai.

"A la grande usine d'automobiles Renault Frères le travail a repris; tous les ouvriers ont demandé à rentrer, estimant que le chômage était suffisant pour leur bourse (8). "

(7)

Le 8ervice de 8ecour8 recueillit 350 ble8­8és ou malade8 (200 le vremier Jour. 150 le 8econd). Parmi le8 malade8 on relevait 75 cas de conJonctivite avec ulcération de la cornée (entre autre8 Jenatz'II et Edmond). 150 cas d'insolation. de cholé­rine. d'évanouis8ement ou... d'alcooli8me.

(8)

«Le Journal de Boulonne-B1lZancourt» du 19 mai 1906.

L'alerte passée, la course reprit sa place au premier plan. A la clôture des engagements, 34 concurrents étaient inscrits: 3 Darracq, 3 Panhard­Levassor, 3 Brasier, 3 Lorrai ne-Die­trich, 1 Gobron, 1 Vulpès, 3 Renault Frères, 3 Hotchkiss, 3 Itala, 3 Fiat, 3 Bayard-Clément, 2 Grégoire et 3 Mercedes.

Dans cette liste on trouvait treize mai­sons d'automobiles dont dix françaises, deux italiennes et une allemande. On remarquait l'abstention de l'Angleterre qui, pour la première fois, serait absente dans une grande épreuve de vitesse.

Parmi les conducteurs, on notait la pré­sence des plus grands champions de l'heure : Barras (sur Brasier), Lancia et Nazzaro (sur Fiat), Heath, Teste et Tart (sur Panhard), Hémery et Wagner (sur Darracq), Clément et de la Tou­loubre (sur Clément), Shepheard (sur Hotchkiss), Florio et Jenatzy (sur Mer­cedes), Cagno et de Caters (sur Itala).

Quant aux monstres, comme on les appelait, leur puissance variait de 70 CV (Grégoire) à 135 CV (Fiat). Seize étaient munis de chaîne, les dix­huit autres employant la transmission par pignons d'angle. La contenance moyenne des réservoirs d'essence était d'environ 140 litres, c'est dire qu'au­cun des concurrents n'avait envisagé l'éventualité de faire le parcours entier sans ravitaillement puisqu'on comptait une consommation comprise entre 35 et 45 litres aux cent kilomètres.

L'Équipe Renault

Louis Renault, décidé à renouer avec la victoire, s'était minutieusement pré­paré. Avant même d'avoir contracté l'engagement il avait choisi son équipe et, dans le secret de ses ateliers de Billancourt, mis au point ses trois voitures.

Pour constituer l'équipe il avait choisi Szisz, Edmond et Richez. Szisz était le pilote nO 1 de la maison.

" Szisz Ferenc est né le 20 septembre 1873 dans la commune de Szeghalom, en Hongrie. Son père, Szisz Janos était écuyer-forgeron-vétérinaire dans ce qui était à J'époque la seigneurie de Karasz; sa mère s'appelait Somogyi Julianna. ,.

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Szisz et son mécanicien Marteau (cl. R.N.U.R.).

«L'écuyer Szisz Janos avait sept enfants (trois filles et quatre fils). Ferenc était J'avant-dernier des enfants. Plus tard, la famille Szisz se transféra de Szegha/om à la commune de Doboz, car le chef de famille était entré au service de ce qui était alors la sei­gneurie de Wenkheim; à Doboz, J'écuyer Szisz Janos y vécut jusqu'à sa mort. »

« Szisz Ferenc a passé ses années d'enfance et de scolarité dans ces deux communes. Après ses études primaires, il étudia pendant 4 années dans l'un des lycées du comitat de Bekes. Les conditions de sa famille ne lui permirent pas d'atteindre un plus haut niveau d'études. La sévérité affectueuse et résolue du chef de famille ainsi que J'ambiance familiale lui donnèrent la base nécessaire à la formation d'une conception de la vie qui soit zélée et pleine de probité. »

« Après ses années de lycée, le jeune Ferenc devint apprenti serrurier. Puis, il travailla comme compagnon serrurier, vraisemblablement dans J'atelier sei­gneurial de menuiserie et de méca­nique, puis, chez un maÎtre-fondeur de cuivre de Gyula. C'est d'une manière décidée et résolue que Ferenc développa ses centres d'intérêt dans le cadre de sa spécialité lorsqu'il s'adonna entièrement à la technique automobile qui en était encore, à cette époque, à un stade de développement. Il étudia d'une manière approfondie la construction des automobiles et les possibilités de développement de ces dernières. »

« Il inventa même quelque chose dans le domaine de la construction automo­bile qu'il ne put proposer en Hongrie étant donné le manque d'intérêt envers les automobiles qui se manifestait dans ce pays. Les résultats décevants de ses tentatives de commercialisation en Hongrie de son invention lui don­nérent J'envie de voyager (9). »

C'est ainsi que le 1 er mai 1900 il entra chez Renault Frères.

« Quand je fus embauché chez Renault Frères, voyant la petite usine en plan­ches, j'eus J'impression que je n'y resterais pas longtemps, ça ne devait pas être très sérieux », devait-il décla­rer par la suite. Mais un jour, Louis Renault, ayant besoin d'un mécanicien, le choisit. C'est ainsi qu'ils coururent ensemble Paris-Vienne en 1902.

Quand Louis Renault renonça à par­ticiper lui-même aux compétitions, Szisz se trouva, tout naturellement, promu coureur en titre. Ses débuts

(9) Bio.Qraphie honnroise de Szisz communi­Quée par le musée de l'Automobile de Buda'IJest.

officiels s'effectuèrent dans l'élimi­natoire de la Coupe Gordon-Bennett en 1905, sur le circuit d'Auvergne o~ il se classa quatrième.

L'équipe Renault était donc une équipe solide : « C'est une équipe de bons ouvriers, laborieux, mécani­ciens habiles (10). »

Quant aux voitures, voici comment « la Vie automobile» les présentait :

« La Renault de course, type 1906, offre en beaucoup de points des ressemblances avec les voitures de tOL{risme sorties des usines de Billan­court. Un peu basse sur la route, dans le double but de diminuer l'usure des bandages et d'augmenter la stabilité, cette Renault est munie d'un moteur à quatre cylindres verticaux, fondus par paires, de 165 millimètres d'alé­sage et 150 millimètres de course. La puissance déclarée est de 100 che­vaux. Le carburateur est du type habi­tuel des Renault à courant séparé. L'allumage est par magnéto Simms­Bosch et bougies. La transmission est par pignons à angle et comporte trois vitesses; enfin, aucun mécanisme dif­férentiel n'a été prévu. Le radiateur est d'un modèle nouveau; il comporte une série de tubes d'eau cylindriques de petit diamètre, disposés verticale­ment côte à côte. »

Mais les conditions du grand Prix per­mettaient de prévoir que la question des pneumatiques jouerait un grand rôle dans l'épreuve. C'est pourquoi Louis Renault adopta le procédé que Michelin venait de mettre au point : la jante démontable. « Qu'est-ce donc au juste que cette partie démontable? Sur la jante ordinaire en bois, légère­ment réduite de diamètre, est frettée une fausse jante fixe, munie d'un men­tonnet intérieur; cet assemblage est muni de huit-boulons filetés encastrés entre la frette et la jante en bois. C'est là, la partie qui fait corps avec le moyeu, la partie inamovible. Quant à la jante mobile sur laquelle est monté un pneu tout gonflé, elle s'emboÎte sur la frette fixe dans une position déter­minée par une clavette. Huit cavaliers s'emboÎtent sur les huit prisonniers et huit écrous bloquent le tout. Cette opération est excessivement rapide et facilitée encore par l'emploi d'un vile­brequin à main muni d'une douille qui rend très aisé le desserrage ou le ser­rage des écrous. Tous les spectateurs du grand Prix ont pu constater que le changement d'un bandage dans les conditions habituelles prenait environ cinq fois autant de temps que la sub­

stitution opérée à l'aide d'une jante démontable. Dans cette lutte d'un nou­veau genre, Edmond, deuxième conduc­teur des Renault, établit même un record peu banal : le changement complet d'un pneu arrière en 1,15 mn/s. Il est normal d'affirmer que l'écart moyen des temps entre les deux opé­rations est, au minimum de cinq minu­tes. Or, les concurrents qui ont achevé le parcours ont crevé en moyenne une douzaine de fois; c'est donc une sorte de handicap d'une heure qui affectait ceux des constructeurs qui n'avaient pas cru devoir munir leurs roues de jantes amovibles (11). »

Une équipe formée de personnes compétentes, des voitures parfaitement conçues pour l'épreuve, il ne restait plus qu'à étudier de très près le cir­cuit. Dès le mois d'avril, les conduc­teurs sont sur place avec leurs méca­niciens. Utilisant des voitures de tou­risme de trente chevaux -les voitures de course étant sOigneusement cachées à Billancourt pour ne pas alerter les concurrents -ils explorent systématiquement le circuit et rendent compte au patron de leurs remarques. Louis Renault, lui-même, se rend plu­sieurs fois sur les lieux et, dès le début de juin, il installe son quartier général à Changé dans le château de Chef-Roison.

(10)

«L'Auto» du 26 avril 1906.

(11)

«La Vie automobile» du 30 .iuin 1906.

La première journée

A quelques jours de la course, Le Mans connut une animation extra­ordinaire. L'affluence était considérable sur la place de la République où de nombreuses automobiles évoluaient sous les regards curieux de milliers de spectateu rs.

Les cafés regorgeaient de monde et sur toutes les terrasses envahies c'étaient des discussions interminables où l'on supputait les chances respec­tives de telle ou telle marque, de tel ou tel coureur. Le "betting ", selon l'expression de l'époque, qui avait été ouvert, donnait Shepheard vainqueur à 150 contre un, quant à Szisz et Richez ils n'étaient donné qu'à 40 contre un et Edmond à 25 contre un.

La ville, pavoisée de drapeaux, était métamorphosée; de hauts mâts se dressaient dans les rues, reliés entre eux par des cordes auxquelles étaient suspendues des bandes de calicot portant des placards publicitaires.

« Notre bonne cité mancelle est deve­nue la ville agitée et bruyante où se meut tout un peuple affairé et joyeux; son nom n'est plus Le Mans et l'appel­lation de Cosmopolis pourrait lui convenir davantage car Le Mans est devenu un centre mondain où s'est donné rendez-vous une partie de la

Pendant la course un passage de Szisz devant le tableau d'affichage (cl. R.N.U.R.).

France, que dis-je, de l'Europe en­tière(12) ... ", «Place Saint-Nicolas vous pouvez croiser un ambassadeur; au coin de la rue Sainte-Marthe, tou­cher du coude le porteur d'un grand nom étranger, pendant qu'autour de Chanzy les autos volent et bourdon­nent, conduites par les maîtres du volant (13). ..

La nuit du 25 au 26 juin fut sans som­meil pour les Manceaux; les cafés restèrent ouverts, en c 0 m b rés de consommateurs. Enfin, à quatre heures du matin, ce fut la ruée vers les lieux de la course. Route de Paris, rue de la Mariette une véritable nuée d'auto­mobiles et de bicyclettes filait à vive allure, car il fallait se hâter la circu­lation étant interdite à partir de cinq heures.

A la gare, la foule n'était pas moins dense; les trains desservant Pont­de-Gennes étaient littéralement pris d'assaut.

Bien avant l'heure du départ la tri­bune de l'A.C.F.; magnifiquement déco­rée, était à peu près comble. Sur la tribune de l'A.C.S. avaieITt pris place toutes les notabilités mondaines et politiques locales : les membres du Tribunal et du Barreau du Mans, plu­sieurs conseillers généraux, le maire du Mans et de nombreux conseillers municipaux.

A Champagné, les bois d'alentour étaient remplis d'excursionnistes qui, en famille, se préparaient à collation­ner sur l'herbe (14).

A six heures, sur la ligne de départ, trente-deux concurrents se présen­taient, une Grégoire et la voiture Vulpès ayant déclaré forfait. Le tirage au sort pour l'ordre des départs, effec­tué quelques jours plus tôt, avait fixé la troisième place à l'équipe Renault, chaque voiture s'élançant sur le circuit de quatre-vingt-dix en quatre-vingt-dix secondes.

Durant les deux premiers tours, l'équipe Brasier parut bien placée. Baras, parti le cinquième, c'est-à-dire six minutes derrière le premier, remon­tait rapidement ceux qui étaient devant lui et, dans le cours du second tour, prenait la première position. Mais de nombreux démêlés avec ses bandages, les lenteurs du démontage et du remontage dans des conditions parti­culièrement pénibles, le firent rétro­grader et, à la fin du troisième tour, Szisz prenait la tête pour ne plus la quitter.

« A la fin du premier tour, ving-huit voitures sont chronométrées et enre­gistrées. Les quatre manquants sont: Gabriel (de Dietrich) dont un tendeur de chaînes s'est rompu; Fabry (ltala) dont la voiture fait panache; Civelli de Bosch (Grégoire) dont l'excellente voiture était encore insuffisamment au point, et Hanriot (Darracq). »

« A la fin du second tour, vingt-sept voitures terminent. La manquante est encore une !tala, celle du baron de Caters. »

« Au troisième tour, le lot s'égrène davantage : vingt-trois voitures termi­nent et nous voyons disparaître la troisième !tala, celle de Cagno, la Dar­racq de Wagner, la Clément de la Touloubre et la voiture de Salleron (Hotchkiss). Au quatrième tour, Villemain (Clément) abandonne. Au cinquième tour, deux nouvelles défec­tions, celle de Tart (Panhard), dont une pièce du moteur est faussée, et de La Bion (Hotchkiss). »

« Au sixème tour, qui marque la moi­tié de la course, la phalange des cou­reurs s'est considérablement éclair­cie: ils ne sont plus que dix-sept arri­vants sur trente-deux partants, et ceci indique combien l'épreuve a été dure. Ce sixième tour l'a été particulière­ment, et l'on y voit rester sur le car­reau la première Fiat, celle de Weillschot, qui culbute malencontreu­sement, alors que sa place de troi­sième faisait de lui un concurrent redoutable; la première Mercedes, celle de Florio, et la première Renault celle d'Edmond. A ce moment deux constructeurs seulement, sur le lot des douze engagés, possèdent leurs équipes intactes : ce sont les trois Brasier qui iront jusqu'au bout, et la Gobron de Rigolly qui d'ailleurs devra abandonner au tour suivant, ainsi que la seconde Hotchkiss (Shepheard) et la Darracq d'Hemery, un favori mal­heureux (15). »

Sur l'abandon d'Edmond au sixième tour, «l'Auto» donne les détails suivants : « Mais voici un touchant incident qui montre à quels hommes de courage et d'énergie nos construc­teurs ont confié leurs chances. Edmond qui, dès le début, a perdu ses lunettes, s'arrête au troisième tour; il n'en peut plus, ses yeux gonflés de goudron sont injectés, cuisants. Continuera-t-il?

Cela semble impossible et, généreuse­ment, Gruss s'offre à le remplacer. Voilà qui est fait; on applaudit et la rapide Renault va s'élancer sur la route lorsque Louis Renault l'arrête avec de grands gestes. Le règlement est formel : on ne change pas de conducteur au cours de la journée. Hélas, que va-t-il advenir? Un bel acte d'héroïsme sportif : Edmond, hâtive­ment soigné par Henri de Rotschild, bien que souffrant cruellement, remonte en voiture, le voilà reparti dans un tonnerre de bravos. Malheureusement la souffrance triomphe du courage : au bout de quelques kilomètres Edmond doit s'arrêter. Ce n'est encore rien qu'un repos et finalement il conti­nue et boucle le cinquième tour en 2 h 27' 54". Quel homme! (16). »

Au terme de la première journée, après avoir pris l'avantage dès le troisième tour, Szisz était donc en tête après avoir parcouru 619,080 kilomètres en 5 heures 45' 30" 2/5, devançant de 26 minutes son concurrent le plus direct, Albert Clément sur Bayard­Clément.

«Lorsque, après son slX/eme tour accompli, Szisz quitta sa Renault pour se frayer un passage à travers la foule qui l'acclamait et voulait le porter en triomphe, il était rayonnant de joie. L'intrépide chauffeur était dans un état de fraîcheur remarquable. Le mot fraî­cheur est, je m'empresse de le dire, pris tout à fait au figuré, car l'homme qui descend d'une voiture sur laquelle il vient de parcourir plus de 600 kilo­mètres à 107 à l'heure n'a réellement pas l'air de sortir des mains de son valet de chambre. Le vainqueur dit qu'il n'éprouve aucune fatigue. Il se plaint seulement de la poussière qui, malgré les formidables lunettes dont il était muni, a trouvé le moyen de péné­trer en quantité dans ses yeux et l'a fait beaucoup souffrir (17). »

« J'ai vu Szisz après la course, il était radieux et m'a déclaré textuellement ceci : «J'ai marché de bout en bout sans aucun arrêt causé par la méca­nique. Pas un raté, pas un cafouillage, rien! Je savais que la voiture irait jus­qu'au bout du même train et, quand je me suis senti en tête je n'ai plus poussé, sachant bien que la charrette userait mes Michelin qui ont été épa­tants! Je n'en ai changé tous les deux tours que par mesure de précaution et, comme j'en profitais pour faire en même temps mon plein d'essence et

(12) «L'Express de la Sarthe» du 24 juin 1906.

(13) «La Sarthe» du 21 .1uin 1906.

(14)

«L'Express de la Sarthe» du 27 .1uin 1906.

(15)

«La Vie automobile» du 30 .1uin 1906.

(16)

« L'Auto» du 27 .1uin 1906.

(17)

«L'Express de la Sarthe» du 27 juin 1906.

d'huile, j'ai pu, et sans trop d'efforts en somme, faire du 708 de moyenne. C'est d'ailleurs la vitesse de mon tableau de marche et M. Louis Renault m'avait dit de tourner à 58 minutes. Or, j'ai une moyenne de 57 et demi. C'est vous dire quel plaisir on éprouve à mener une voiture pareille. "

« Au début j'avais accéléré un peu pour talonner Lancia et parce que je sentais Barras derrière moi. Enfin ça y est et je suis content parce que le patron verra qu'on a su tirer parti des voitures qu'il nous avait confiées. Je sais bien qu'il y a encore 680 km à faire, mais la voiture est aussi fraîche qu'au départ et nous serons là demain comme aujourd'hui (18). "

Conformément au règlement les voi­tures, dès leur arrivée, furent condui­tes, remorquées par un cheval, dans l'enclos spéCialement aménagé et qui resta, toute la nuit, éclairé par de puis­sants projecteurs.

Les Manceaux, quant è eux, réinté­grèrent leur ville et, comme le note un journal local (19), «rien n'était plus curieux hier soir à 6 heures que J'as­pect de la place de la République, au retour du circuit. C'était une hâte fébrile, .un tourbillonnement endiablé, et J'on ne peut mentir à dire que Le Mans est en ébullition autant spor­tive que commerciale. A chaque tour­nant de rue débouche sur vous une auto pOUSSiereuse, trépidante, mugis­sante ou pétaradante. Des cyclistes, des piétons se faufilent de leur mieux sur la place de la République qui est la place de la comédie mancelle".

Mais, comme la course reprenait le lendemain à minuit plus le temps du premier soit 5 heures 45 minutes, il fallut se coucher tôt, encore que bien des spectateurs venus des départe­ments voisins préférèrent dormir sur place et pratiquèrent ce que plus tard on appela le camping.

La victoire

Le mercredi 27 juin au matin les 17 rescapés se retrouvèrent sur la ligne de départ. A 5 h 45' 30" 2/5, Szisz reçut le signal du départ.

« Szisz, le triomphateur d'hier, appro­che très calme de son véhicule tandis que son fidèle mécanicien Marteau constate qu'il y a un pneu qui a rendu J'âme. L'homme préposé à la mise en route fait un léger mouvement de la main et, superbement, le moteur ron­fle sans un accroc, la voiture parcourt dix mètres et stoppe, mais cet arrêt, voulu naturellement, a lieu devant le ravitaillement de Renault. Le change­ment du bandage malade, grâce à la jante amovible, nouveau succès de Michelin, est effectué en un instant.

Les coureurs prennent, eau, essence, huile et la fine et élégante voiture pointe en avant et disparaÎt sur la ligne droite qui semble infinie (20). "

Comme Szisz possède une confortable avance il évite de prendre des risques.

« Ma course n'a plus beaucoup d'his­toire à partir de là puisque j'étais en tête. Je me suis Simplement efforcé à la maintenir en suivant les conseils de

M. Louis Renault. En dehors du chan­gement des pneus, je n'ai absolument eu qu'une lame de ressort cassée juste un tour avant J'arrivée. Au lieu de changer le ressort au ravitaillement j'ai eu J'audace de continuer et de mettre une bride quelques kilomètres après (21). »

Derrière Szisz, un duel farouche se livre pour la deuxième place entre Albert Clément et Nazzaro. Au premier tour Clément supplante Nazzaro; au second tour on note les abandons de Shepheard, Hémery, Rigoly et Teste, Clément maintenant sa deuxième place. Au troisième tour les places sont in­changées. Au tour suivant Nazzaro prend l'avantage sur Clément et le conservera jusqu'à la fin du parcours. Entre temps on aura enregistré l'aban­don de Richez dont la Renault verse dans un virage pris trop rapidement et celui de Rougier au huitième tour.

Quant à Szisz il poursuivait sa course avec une belle régularité. « Le dernier tour a été pour moi -malgré la sécu­rité que j'avais en ma voiture -une grosse anxiété; on a peur d'un rien qui viendrait vous ravir la victoire au moment où elle doit vous être acquise. Petit à petit, après avoir dépassé Saint-Calais, Vibraye, Chérancé, j'arri­vais à Conn erré. Je marchais sagement pour éviter tout ennui, et enfin en arri­vant à la Belle-Inutile, mon mécanicien qui étart resté muet d'anxiété pendant tout le tour, me frappa tout à coup dans le dos en disant : «Bravo ça y est!» et alors ce fut la dégringolade sur les tribunes, les bras qui s'agitent et la grande joie de la victoire désor­mais acquise (22). »

A peine franchie la ligne d'arrivée, sous les acclamations de la foule, Szisz fut conduit vers les tribunes où

(18)

«L'Express de la Barthe» du 27 .iuin 1906.

(19)

«L'Expre88 de la Barthe» du 27 iuin 1906.

(20)

Géo Lefèvre. «L'Auto» du 28 .iuin 1906.

(21)

«La Locomotion automobile» du 29 .iuin 1906.

(22)

«La Locomotion automobile» du 29 .iuin 1906.

M. Barthou, ministre des travaux publics, le félicita : «Comme Français, dit-il, j'ai le plus vif plaisir à constater, une fois encore, le triomphe de notre industrie nationale; comme ami sin­cère des sports, je suis particulière­ment heureux de voir les avisés efforts de la maison Renault couronnés de

succés ". Quant aux frères Renault ils ne cachaient pas leur satisfaction. « " a gagné, déclara Louis Renault, c'est un brave garçon, un bon travail­leur et un riche conducteur. J'avais le plus grand espoir d'ailleurs. Mes voi­tures étaient trés au point, je ne me serais jamais consolé qu'un accident stupide, dû au mauvais état du bas­côté de la route sur lequel Szisz dût passer m'eut enlevé la victoire sur le poteau ". Fernand Renault de son côté confiait aux journalistes « Nous renouons une chaîne : celle de nos courses sur nos minuscules 3 CV 1/2 furent les premiers maillons. Notre victoire dans Paris-Vienne ne me fit pas plus de plaiSir que celle d'au­jourd'hui ".

Il Y avait, en effet, bien des raisons de se réjouir. Szisz l'emportait à la vitesse horaire de 101,33 km ayant par­couru les 1 238,160 km du circuit en 12 h 14' 7" devançant le deuxième, Nazzaro, de près de 32 minutes, alors que le onzième et dernier concurrent, Mariaux, n'était crédité que d'une vitesse horaire de 74,5 km.

Le faux Szisz fêté à Budapest en 1969

(cl. Harris Testvérek).

« L'industrie automobile française peut adresser aujourd'hui à MM. Renault Frères, un hommage de reconnais­sance... ils viennent de confirmer de façon absolue la suprématie de notre merveilleuse industrie (23)". Cette suprématie ne devait malheureuse­ment pas durer et, dès l'année sui­vante, lors du deuxième grand Prix de l'A.C.F., la fortune abandonnerait les constructeurs français. Mais dans l'immédiat Renault tirait de sa victoire beaucoup plus que de la gloire : les commandes affluèrent et Billancourt grandit à leur rythme.

(23) «La Vie automobile» du 30 1uin 1906.

La villa d'Auffargis dans laquelle Szisz est décédé le 21 février 1944 (cl. Pierre Olivier).

A la recherche de Szisz

Ainsi se termina le grand Prix de l'A.C.F. : de la gloire pour Szisz, pre­mier coureur de la marque, des affaires pour Renault Frères.

Notre relation pourrait se terminer ainsi, Mais l'historien -même dilet­tante -étudiant ses personnages, les faisant revivre, se prend souvent à les aimer. Comment pourrait-il en être autrement? Au fond de lui-même naît comme un désir de les retrouver ne fusse qu'un instant. Notre histoire est récente, somme toute, et quelques-uns de ceux qui la firent vivent encore. Pourquoi Szisz ne serait-il pas du nom­bre ? Partir à la recherche de Szisz, le retrouver peut-être, quel meilleur épi­logue donner au récit?

Nous en étions là de nos réflexions quand un de nos amis nous apprit que Szisz était bien vivant en Hongrie. A l'appui de son affirmation il présen­tait une lettre daté du 22 octobre 1969, émanant du Musée de l'automobile de Budapest, qui annonçait que « l'ancien grand coureur allait fêter d'ici peu son 8S" anniversaire et qu'à cette occasion un livre portant le titre «J'ai été le vainqueur du grand Prix" serait publié". A cette lettre étaient jointes, pour confirmer la véracité de la nou­velle, deux photographies de Szisz et quelques lignes autographes.

Ëcrire à Budapest fut l'affaire d'un instant. La réponse fut longue à venir: quatre mois d'impatience conte­

nue et, comme récompense, une lon­gue lettre : «Le livre que vous me demandez n'est pas encore paru. 1/ n'est pas encore achevé. Car, au cours de ces dernières années, nous avons reçu plusieurs communications concer­nant Szisz et nous avons retrouvé ses parents. Les premières recherches que nous avions effectuées nous ont conduits en erreur. En 1956, lors de la Foire Internationale de Budapest à laquelle les usines Renault partici­pèrent, le représentant de votre usine s'est adressé à M. Rozsa, le rédacteur de la revue «Auto Motor», pour lui demander son aide en vue de retrou­ver Szisz. M. Rozsa enquêta et trouva un vieillard du nom de Szisz qui vivait en province et qui affirma être le célè­bre coureur. 1/ raconta plusieurs épisodes de sa vie en France, ses compétitions et montra quelques pho­tographies s'y rapportant. Certes

M. Rozsa constata que le vieillard ne se souvenait plus de certains détails, mais, étant donné J'âge de ce dernier, il ne s'en étonna pas outre mesure. 1/ fallut plusieurs années pour que la supercherie apparût clairement grâce aux témoignages et aux preuves apportées par les enfants de lanos Szisz, deuxième frère aÎné de François Szisz».

C'est donc à ces derniers qui rédi­gèrent une biographie de leur oncle que nous avons pu retrouver Szisz, un Szisz mort malheureusement, mais, après tant d'années passées pouvait-il en être autrement!

Nous aurons l'occasion de reparler de Szisz, coureur de la marque -et seule­ment de la marque -heureux ou mal­heureux. Pour l'heure, bornons-nous à dire ce que devint l'homme. Embauché chez Renault Frères le 1" mai 1900, comme nous l'avons dit plus haut, il y demeura jusqu'au 31 décembre 1909 en qualité de contremaître, ce qui, à l'époque, était l'indice d'une haute responsabilité. Pendant la guerre de 1914-1918, alors qu'il s'était fait natu­ralisé français, transformant son pré­nom Férenc en François, il servit dans l'armée française. Après la guerre il s'installa à son compte et créa «Le grand Garage de Neuilly» situé 2 bis, rue du Château, à Neuilly. Ce garage resta en exploitation jusque vers les années trente où Szisz s'installa à Auffargis, près de Rambouillet. Il acheta, rue Creuse, une villa qu'il appela « Les Dahlias ». Il n'en continua pas moins à garder des contacts avec la Société Renault et ses anciens amis et collaborateurs. Une vieille amitié et une estime réciproque l'attachaient à un compagnon de bonne réputation du nom de Dimitrievics. L'épisode ci­après est caractéristique des relations qu'il avait avec la Société Renault.

Quand Louis Renault apprit que l'un de .ses anciens champions roulait en Citroën, il lui offrit une Renault en cadeau (24),

Szisz mourut le 21 février 1944 dans sa maison d'Auffargis. Sa veuve, Barbe Dom, lui survécut quinze années et décéda à Chevreuse le 8 octobre 1959. Ils reposent tous les deux au cimetière d'Auffargis et leur tombeau est soigneusement entretenu par Mme Bulianeau, une amie de Mme Szisz.

Nous avons fait le pélerinage d'Auf­fargis. Nous avons retrouvé la villa où les Szisz achevèrent leur vie, la villa où les dahlias ont maintenant disparu laissant la place à une haie vive. Rien ne semble changé mais il y manque la présence de Szisz, «cet homme terriblement énergique, trayail­leur, actif, type même de J'homme qui s'est fait lui-même, qui ne connais­sait ni la dissimulation, la fatuité ou J'arrogance. 1/ a parcouru le monde, il a beaucoup vécu, il a beaucoup vu, c'était un homme en somme (25)".

Gilbert HATRY

(24)

Bioora1Jhie honoroise de Szisz. communi­auée 1Jar le musée de l'Automobile de Buda1Jest.

(25)

Bioora1Jhie honoroise de Szisz.

Depuis 1915, nous savions que les Anglais préparaient quelque chose et nous avions déjà connaissance de l'existence d'un tracteur à chenilles Holt qu'on avait fait venir à l'usine, et dont j'avais été chargé de relever toutes les pièces de façon à s'inspirer de sa construction, pour étudier un camion à chenilles, capable de transporter le canon Filloux dont nous avions déjà connaissance.

Ouvrons donc une petite parenthèse ici pour parler du canon Filloux auquel on nous avait proposé la collaboration déjà en été 1915 et dont Renault devait fabriquer tout, sauf le tube et le frein. Il était naturellement question d'em­ployer de l'acier moulé car on ne pou­vait pas se permettre de faire des matrices de forge. J'ai moi-même étu­dié le train roulant avant et arrière et mon collègue Kaïk a étudié l'appareil de pointage.

L'ensemble donnait quelque chose de très compact et on peut dire dès main­tenant que c'est le 24 avril 1917 que le premier coup de canon a été tiré par cet appareil qu'on appelait le