11 - Dynastarts, dynamos et démarreurs

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Dynastarts, dynamos et démarreurs

«Les banques? Moi vivant, jamais! J'connais le truc. J'veux rester maÎtre chez moi. Qui signe une traite est perdu. Qui emprunte fait faillite. Le premier qui me parle de banque, je l'fous dehors! Les banquiers sont des voleurs. Ça produit rien, un banquier. Ça prend l'argent des autres, assis derrière un guichet et ça l'rend plus. Jamais! Jamais!» (1).

Cette réaction de Louis Renault, au cours de l'examen, avec ses responsables financiers: Paul Hugé, Samuel Guillelmon et Bussonnais, du dossier fiscal sur les bénéfices de guerre 1914-1918, le dépeint parfaitement.

1/ voulait rester maÎtre absolu dans ses usines. Indépendant financièrement, on ne peut être étonné qu'il ait toujours agi pour ne pas voir sa production subordonnée à des fournisseurs extérieurs pour des raisons de cadence, de qualité ou de prix.

C'est ainsi qu'il entreprit successivement des fabrications très diverses. En nous limitant au cadre de l'auto­mobile, sans parler d'outillages, de machines ou de bâtiments, nous trouvons: les carburateurs, les bougies, les dynastarts, les dynamos et les démarreurs, les avertisseurs, les roulements, les chaÎnes silencieuses, les phares, les fils électriques, les freins, y compris les garnitures, les embrayages, les roues ainsi que les pneus et les chambres, les radiateurs, les amortisseurs, etc.

Ces fabrications furent abandonnées au fur et à mesure de l'accroissement des cadences, des difficultés d'extension des ateliers et aussi de l'amélioration des services que pouvaient apporter les fournisseurs.

Henri Depoix nous livre, aujourd'hui, ses souvenirs sur la fabrication des dynastarts, dynamos et démarreurs.

Jean GUITTARD.

(1) Saint-Loup : Renault de Billancourt.

C'est en 1925, dans les ateliers de Clichy, que Louis Renault a entre­pris la fabrication des "dynastarts" qui, jusqu'alors, étaient achetées à l'extérieur.

Cet organe était conçu pour fonc­tionner soit en moteur électrique, soit en génératrice de courant. La dynastart était attelée, par son arbre muni d'un entraîneur, en bout de vilebrequin du moteur, et était reliée à la batterie du véhicule par une canalisation électrique sur laquelle le contacteur-interrupteur était branché. Quand on établis­sait le contact, la dynastart fonc­tionnait en moteur électrique et démarrait le moteur à essence; le contact coupé, la dynastart était, à son tour, entraînée par le vile­brequin et fonctionnait en généra­trice de courant. Dès que la vitesse de rotation atteignait 580 à 600 tours /minute, elle débitait le cou­rant nécessaire à la charge de la batterie qu'elle envoyait à celle-ci en passant par un petit appareil dit "conjoncteur-disjoncteur".

Au démarrage de l'atelier, il exis­tait: une presse Bliss de 50 t pour le découpage des tôles d'induits, une de 10 t pour le découpage des tôles de masses polaires, une petite section d'usinage des car-.. casses et paliers de dynastarts, deux tourets MAX.E.1. pour le bobinage des inducteurs, quelques établis avec étaux et presses à main pour les assemblages.

C'est avec ces moyens artisanaux qu'à partir de novembre 1925 les 100 premières dynastarts dites 6 CV (parce que destinées aux moteurs 6 CV) ont été fabriquées.

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Il va sans dire que, de semaine en semaine, les moyens de pro­duction étaient améliorés: par la création d'outillages et de mon­tages et apport des machines­outils nécessaires.

Le recrutement en personnel mas­culin, composé presque en totalité d'O.S., ne posait pas de problème; par contre, celui du personnel féminin, pour le bobinage des induits de dynastarts, était très difficile, attendu que ce travail ne pouvait être exécuté que par des bobinières professionnelles qu'on ne trouvait pas facilement.

L'objectif était de fabriquer 200 dynastarts 6 CV par jour en juin 1926; le but fut atteint au mois de mai. Ensuite, nous avons créé des petites chaînes de production avec tapis transporteurs de pièces qui aboutissaient à la chaîne de montage où les dynastarts étaient assemblées et passées aux bancs d'essais avant livraison à Billan­cou rt.

Parallèlement, nous avons com­mencé la fabrication d'une dyna­start plus puissante destinée aux moteurs 10 CV. Aidés par l'expé­rience acquise, il n'y eut guère de tâtonnements; les chaînes de pro­duction furent identiques à celles des dynastarts 6 CV. L'installation définitive des ateliers fut terminée en 1927.

Dans le courant de 1918, Louis Renault invita la Direction des Eta­blissements Ducellier (ancien four­nisseur) à visiter les ateliers de fabrication des dynastarts. C'est lui-même qui accueillit ses visi­teurs et les pilota. Chacun était à sa place; les chaînes de pro­duction fonctionnaient normale­ment et aucun incident de fabri­cation ne se produisit. Bien qu'il n'ait fait aucun commentaire après le départ de ses visiteurs, j'ai conservé l'impression que Louis Renault était plus que satisfait.

Pour la fabrication de 200 dyna­starts 6 CV et 90 "10 CV" (M.P.R. compris), l'effectif était d'environ 350 personnes dont 18 % de men­suels et improductifs divers.

En 1929, la Direction des Usines décida de remplacer les dynastarts par des démarreurs et des dyna­mos séparés.

Ce fut naturellement un boulever­sement complet des ateliers; au­cune des installations ou outillages existants ne pouvaient être utilisés.

Il fallut tout d'abord augmenter considérablement la cadence de production des dynastarts afin de constituer un stock important et, parallèlement, démarrer deux nou­velles fabrications. Malgré de grosses difficultés, les délais fixés pour atteindre l'objectif furent tenus et, dans le dernier trimestre de l'année 1930, tous les véhicules à essence étaient équipés avec des dynamos et des démarreurs "Renault".

Puis, la Direction décida de rame­ner les ateliers de Clichy à Billan­court; le déménagement s'opéra par tranches, en deux mois, et fut terminé le 31 mars 1931.

Dans sa presque totalité, le per­sonnel de Clichy vint travailler à Billancourt et la remise en route s'opéra sans à-coups sérieux.

Dans les années qui suivirent, nous implantâmes les chaînes de pro­duction et de nouvelles fabrica­tions furent entreprises : dynamos et démarreurs pour moteurs Diesel et avertisseurs. En septembre 1939, l'effectif était d'environ 550 per­sonnes dont 350 femmes.

Le bombardement de l'usine du 3 mars 1942 avait détruit notre bâtiment; les machines-outils du premier et du deuxième étage étaient tombées au rez-de-chaus­sée. Dans les jours qui suivirent, le personnel fut employé au dé­blaiement pour récupérer l'outil­lage et les machines susceptibles d'être réutilisées.

Puis, Louis Renault demanda à la direction de S.E.V. (Issy-les-Mouli­neaux) de mettre un local à sa dis­position. Nous y implantâmes quel­que:: sections d'usinage, l'atelier de bobinage des induits et induc­teurs et l'atelier de montage. A Billancourt, au rez-de-chaussée, nous installâmes nos magasins et l'atelier des presses. Il nous fut ainsi possible de reprendre, au ralenti, la fabrication.

Le bâtiment fut réparé dans les années qui suivirent; cela nous permit, en 1946, de reconstituer à Billancourt toutes les installations qui avaient été détruites en 1942.

Puis il Y eut le lancement de la 4 CV. En raison des cadences de production prévues, il s'avéra que, même en travaillant en 2 X 8, nous ne pourrions réaliser les pro­grammes dans les emplacements existants. A un certain moment, il fut envisagé de transférer les ate­liers à l'Usine du Mans. En fin de compte, la Direction de la R.N.U.R. décida de se faire approvisionner par les Etablissements Ducellier et c'est ainsi que, vingt-cinq ans après l'avoir entreprise, la fabri­cation des dynastarts fut aban­donnée.

Henri DEPOIX.