05 - Pour une histoire de l'usine de Flins

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Pour une histoire de l'usine de Flins

"Malgré les problèmes les plus divers qu'il avait à régler, M. Lefaucheux fut pour tous un animateur et le véritable maître de l'œuvre".

M. Tauveron

En septembre 1982, la Direction des Moyens d'Expression et de Communication de la Régie a commémoré le 30' anniversaire de l'usine de Flins en publiant en son honneur une brochure illustrée de 24 pages (1). Un professeur d'histoire, Michel Mesaize, a consacré trois travaux de recherche aux retombées de l'implantation industrielle de Renault sur la population de l'ancien canton de Meulan (2). Auparavant un géographe, Pierre Delsaut, avait étudié les effets internes et externes de cette localisation (3).

M'appuyant à la fois sur ces différents travaux, sur différentes archives et sur des documents imprimés, je voudrais présenter ici au lecteur un survol de l'histoire de l'usine de Flins. L'accent sera mis sur l'expansion des effectifs, des espaces bâtis et des quantités produites. En contrepartie, il ne sera fait que de brèves allusions, malgré leur importance, aux modifications des techniques et aux conflits sociaux qui ont également mar­qué la vie de cette usine (4). Nous espérons mettre ainsi en appétit les lecteurs de ce Bulletin et les convaincre de prendre à leur tour la plume pour exposer leurs souvenirs et leurs analyses sur cette grande usine. .

Après un bref historique du problème de la décentralisation industrielle, notamment dans l'automobile, nous évoquerons successivement les quatre phases de l'histoire de l'usine de Flins : sa longue préparation (1946-1952), sa première crois­sance (1952-1968), son second souffle (1969-1976) et sa réorientation depuis 1976.

Une idée qui fait son chemin

Opérationnelle le 2 janvier 1952, l'usine Renault de Flins a été la première usine décentralisée dans l'industrie automobile française d'après-guerre. Cette implantation s'appuie sur des réflexions anciennes au sein de l'industrie automobile, de l'État et des milieux de l'urbanisme.

Le monument à Pierre Lefaucheux.

La décentralisation industrielle dans l'automobile a commencé en France.

A l'origine, une société elle-même provinciale : les Auto­mobiles Peugeot. Elle était implantée depuis 1896 à Audincourt (Doubs). Après la décision du fondateur Armand Peugeot de se séparer de la firme familiale Les Fils de Peugeot Frères, celui-ci avait déménagé personnel et équipement de l'usine de Beaulieu à Audincourt. Ce transfert ne peut pas être baptisé du nom de décentralisation. En revanche, en 1898, Armand Peugeot crée une seconde unité de production dans le Nord, à Lille. Il ne semble pas qu'elle ait eu une production notable avant 1902. Peugeot a fait le choix de Lille parce que la main-d'œuvre qualifiée y est plus abondante que dans la région de Montbéliard (5). La pénurie de main-d'œuvre est encore à l'origine des usines décentralisées créées dans les années 1900. Les sociétés parisiennes PaI).hard et Le Trèfle à quatre feuilles ont installé à Reims chacune une usine de pièces détachées, pour disposer de la main-d'œuvre libérée par le déclin de l'industrie textile (6). Cependant, parmi les construc­

(1)

Elle est intitulée Usine Pierre Lefaucheux Flins 1952·1982.

(2)

Dans l'ordre Renault·Flins, Aubergenville et Les Mureaux, mémoire de maîtrise,

Université Paris X . Nanterre, 1980 ; "Renault, Flins, Aubergenville et Les Mureaux:

une implantation industrielle de l'après·guerre et ses retombées sociales (1950·1980)", Bulletin du Centre d'Histoire de la France contemporaine, 1982, numéro 3, Renault· Flins et l'ancien canton de Meulan, histoire d'une implantation industn'elle et de ses retombées (1950·1984), thèse de ]. cycle, Université Paris X . Nanterre, 1985.

(3) La Localisation des grands établissements industriels. Effets internes et externes,

Paris, IAURP, 1969, III + 206 pages. Un résumé de 52 pages est paru sous le même titre dans les Cahiers de l'lA URP de janvier 1971.

(4) Une première version, moins complète, du présent article est parue sous le titre "L'usine Renault de Flins" dans la revue Monuments historiques d'août-septembre

1984.

(5) Y. Cohen, Ernest Mattern, les automobiles Peugeot et le pays de Montbéliard industn'el avant et pendant la Guerre de 1914·1918, thèse de doctorat de 3' cycle, Université de Besançon, 1981.

(6) P. Fridenson, "Les Premiers Ouvriers français de l'automobile 1890·1914", Sociologie du Travail, juillet·septembre 1979.

teurs d'automobiles, ces initiatives sont restées isolées. Certes, la Première Guerre mondiale a ensuite conduit une série de constructeurs menacés par l'avance allemande, notamment Renault, à des décentralisations aussi rapides qu'imprévues. Mais, pour la plupart, elles n'ont guère duré au·delà du 11 novembre 1918 (7).

Par conséquent, le véritable départ de la décentralisation des usines d'automobiles se situe aux États-Unis. Henry Ford en a été le pionnier, avec son usine de montage qui s'ouvre à Kansas City en 1909. La formule a vite du succès: en août 1914, Ford compte déjà 18 usines décentralisées et les autres constructeurs américains suivent son exemple. La décentralisation permet en effet, à l'heure où l'industrie automobile américaine passe à la production de masse, de décongestionner les usines de Detroit et de spécialiser les équipements et la main-d'œuvre (8). Les motivations en Amérique sont donc plus complexes qu'elles ne l'étaient en France.

En France, la décentralisation redevient d'actualité dans les années 1930. Elle constitue un thème de réflexion dans diffé­rents milieux (9). Dans deux secteurs, on va plus loin. Pour des raisons militaires évidentes, l'État l'impose à une bonne partie des usines d'aéronautique (10). De leur côté, des constructeurs d'automobiles, qui ont souvent des intérêts dans l'aviation, réfléchissent sur cet exemple. Louis Renault et son administra­teur délégué François Lehideux préparent un plan de décen­tralisation des fabricatiçms sidérurgiques dans l'est de la France et des fabrications automobiles parallèles à celles du chàssis dans l'Ouest, entre Le Havre et Paris. La Deuxième Guerre mondiale interrompt la mise en œuvre de ce schéma, qui ne s'est alors traduit que par le développement des usines Renault au Mans (11).

Pendant la guerre, l'Etat poursuit sur sa lancée. Par exemple, la décentralisation des industries aéronautiques continue en 1939-1940. Retenons ici un épisode significatif. Raoul Dautry, ministre de l'Armement en 1939-1940, fait appel à l'architecte d'avant-garde Le Corbusier et lui commande pour la Creuse une cartoucherie, modèle d'''usine verte" (12). Durant l'Occu­pation, l'État se montre désireux de préparer une importante décentralisation dès le retour à la paix. A peine créée en février 1941, la Délégation générale à l'équipement national, dont le responsable n'est autre que François Lehideux (qui a quitté Renault), met en place une commission d'étude sur la localisa­tion des industries. Présidée par un directeur d'une compagnie d'électricité, G. Dessus, de 1941 à 1945, elle souligne les inconvénients de la concentration industrielle dans les grandes villes. Elle publie, de janvier 1943 à août 1945, 40 fascicules concrets, intéressants, variés, rédigés par des industriels, des hauts fonctionnaires, des universitaires (notamment l'historien Louis Chevalier, l'économiste Pierre Coutin, le géographe Pierre George).

Signalons certains de leurs thèmes, parmi les plus révélateurs: "Résultat des expériences de décentralisation de la période d'avant-guerre", "La localisation de l'industrie à l'étranger", "Transports et prix de revient", "Décentralisation et logement ouvrier", ou encore "Étude comparative du salaire industriel et . du coût de la vie dans la région parisienne et dans le départe­

ment de l'Oise" (13). Il Y a là toute une documentation sur

laquelle les initiatives ultérieures pourront s'appuyer.

AprèS la Libération, le gouvernement dirigé par le général de Gaulle se dote le 16 novembre 1944 d'un ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, dont Raoul Dautry est le premier titulaire. Il reprend les locaux, le personnel et un grand nombre d'orientations de la Délégation générale. Il demande en 1945 à un jeune géographe, Jean-François Gravier, d'étudier les déficiences de la répartition des activités sur le territoire. Il en résultera un livre vite célèbre: Paris et le désert français, qui paraît en 1947 (14). C'est sous la tutelle de ce ministère que la Commission sur la localisation des entre­prises a achevé ses travaux en août 1945.

Une Régie qui prend son temps

Renault, dont on a vu que certains dirigeants avaient déjà d'eux-mêmes pensé à une décentralisation, est maintenant entre les mains de l'État. Or, dès son premier discours au per­sonnel, le 10 novembre 1944, l'administrateur provisoire nommé par le gouvernement quelques semaines plus tôt, Pierre Lefaucheux, se prononce lui aussi pour la décentralisa­tion industrielle. A cette date, Raoul Dautry n'est pas encore en fonctions, mais Lefaucheux a déjà eu des contacts avec les services de l'urbanisme et il ne peut se permettre d'ignorer les volontés de l'État. Lefaucheux annonce la couleur en des termes où l'on retrouve non seulement l'écho des préoccupa­tions de la Résistance, mais encore des débats des urbanistes d'avant-guerre et même de la Commission sur la localisation:

"Nous aurons à ( ...) franchir les limites de ce Billancourt où nous risquerions d'étouffer. (C'est) une zone où les services de l'urbanisme ne veulent plus nous voir (et notre extension se fera) en déplaçant certains ateliers trop à l'étroit vers les libres espaces où nous pourrons faire ensemble du neuf et du beau, en construisant tout à la fois des installations industrielles et des cités où vous pourrez vivre et élever des enfants dans l'air pur, le soleil et la santé" (15).

Ce projet ambitieux inclut donc une décentralisation à la fois des ateliers et du personnel.

(7)

G. Hatry, Renault usine de guerre 1914-1918, Paris, éditions Lafourcade, 1978.

(8)

].-P. Bardou, ].-]. Chanaron, P. Fridenson, ].-M. Laux, La Révolution automobile, Paris, Albin Michel, 1977, page 83_

(9)

P. Bachelard, L'Industrialisation de ln. région Centre, Paris, Gibert Clary, 1978_

(10)

P. Fridenson, Histoire des usines Renoult, tome l, Paris, Le Seuil, 1972.

(Il) P. Fridenson, Histoire ... , op. cit., pages 282-283.

(12)

D. Voldman, "Heurs et malheurs du "modèle corbuséen" dans la politique urbaine française depuis 1945", Bulletin de l'Institut d'Histoire du Temps présent, supplément numéro 5, 1984, page Ill.

(13) Archives du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme.

(14)

R.A. Couedelo, "Les archives du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme 1941-1953", Bulletin de l'Institut d'Histoire du temps présent, septembre 1981, pages Il et 13.

(15)

P. Lefaucheux, "Discours du JO novembre 1944", De Renoult Frères constructeurs d'automobiles à Renoult Régie notionale, décembre 1977, page 20.

Restait à choisir un site et d'abord à fixer un programme industriel précis. L'objectif se précise après que la mise en fabrication de la 4 CV a été décidée à la conférence­programme du 9 novembre 1945. Il s'agit de faire de la place à Billancourt pour que la 4 CV puisse se développer sans entraves. Lefaucheux veut alors "réaliser une usine moderne fabriquant en grande série ( ...) des véhicules industriels" (16).

Cette orientation correspond à la fois aux besoins de la recons­truction de la France, tels qu'ils sont pris en compte dans le plan quinquennal de développement de l'automobile élaboré par le ministère de la Production industrielle en avril 1945 et à une spécialité traditionnelle (depuis 1906) des usines Renault.

"Il s'agissait de trouver un terrain d'une superficie de 100 à 200 hectares, assez proche de Paris pour assurer des liaisons faciles avec Billancourt" (17). Les recherches ne s'éternisent pas. Au début de 1946 sans doute "après hésitation entre la vallée de l'Oise et la vallée de la Seine" (18), la Régie Renault achète 80 hectares de terrains en Seine-et-Oise, à 43 kilomètres de Paris. Ils sont situés sur la cité d'Élisabethville, à cheval sur deux communes : Flins (dont le nom désignera la nouvelle usine) et Aubergenville, "entre la Seine et la voie ferrée, à proximité de la route de Paris à Mantes, à 30 minutes de Paris par l'autoroute de l'Ouest" (19).

La question qui se pose alors est de savoir pourquoi il a fallu que passent six ans entre l'achat du terrain et l'ouverture de l'usine. Plusieurs réponses peuvent ètre apportées.

En premier lieu, le programme industriel assigné à Flins a changé en cours de route. Au début, le bureau d'études des ins­tallations de la Régie établit un projet qui doit être remis sur le métier. Le second projet date de mars 1946. Il prévoit "quatre bâtiments secondaires reliés par quelques couloirs ( ...) avec l'objectif de séparer les diverses phases de la fabrication et du montage". Il réserve "la possibilité d'un agrandissement de 60 % en surface" (20). On notera donc que dès les origines une forte expansion de l'usine est prévue. En mai 1946, le ministre de la Production industrielle Marcel Paul impose à la Régie Renault l'assistance technique de deux célèbres prisonniers de guerre allemands, le professeur Ferdinand Porsche, le père de la Volkswagen, et son gendre l'ingénieur Piech. Il s'est assuré de leurs personnes fin 1945 grâce aux services secrets fran­çais (21). Il est aussitôt convenu que le programme de "l'usine de montage de camions d'Élisabethville" leur sera remis pour qu'ils en améliorent l'exécution (22). Porsche et Piech éta­blissent à leur tour deux projets successifs, l'un fin juillet, l'autre en septembre. Leur vision est très différente. Au lieu d'une usine multiblocs, ils préconisent une usine d'un seul bloc. Au lieu de cinq types de camions, ils jugent souhaitable de n'en fabriquer qu'un. Le projet sera ainsi moins coûteux et plus rentable (23). Leur plan est très fidèle aux leçons de la réussite de Ford. Mais un an plus tard, une conférence de directives générales que P. Lefaucheux réunit en novembre 1947, au milieu de la grève massive qui s'est déclenchée dans toute la France (24), modifie la destination de la future usine de Flins.

Plus question de camions! Les raisons de ce revirement ne sont pas claires : incertitudes sur le marché des camions ? effet des modifications subies par le plan quinquennal de l'automobile? nouvelles priorités propres à la Régie? En tout cas, désormais il s'agira d'une voiture pour usages ruraux et coloniaux, la Colorale, à construire en grande série. Ce nouveau choix industriel et commercial nécessite une moins grande propor­tion d'ouvriers qualifiés que les camions. Il permet le recours massif à des O.S. recrutables dans la région de Flins, laissant espérer un climat social plus satisfaisant (25). Marcel Tauveron en témoigne: il fallait "éviter l'utilisation de la main-d'œuvre parisienne" (26). Une dimension du discours de novembre 1944 a disparu.

Le responsable des études, puis du chantier: Marcel Tauver-on, directeur des travaux neufs et directeur des fabrications carrosserie et montage.

(16) Archives Renault, note du Bureau d'études des installations. mars 1946.

(17) M. Tauveron, "L'usine Pierre Lefaucheux", Bulletin technique des agents de maîtrise et techniciens de la R.N.U.R., novembre-décembre 1955, page 40 (article publié auparavant dans Usines d'aujourd'hui, septembre-octobre 1955).

(18) F. Picard, "Naissance de la 4 CV", De Renault Frères... , juin 1975, page 129.

Cependant la datation proposée par F. Picard est inexacte.

(19)

M. Tauveron, "L·usine..... , article cité, page 40.

(20)

Archives Renault.

(21)

R. Faligot et P. Krop, La piscine. Les seTVices secrets français 1944-1984, Paris, Le Seuil. 1985. pages 48-49.

(22)

F. Picard. "Naissance de la 4 CV". article cité, page 129.

(23)

Archives Renault, note numéro 2 sur l'usine d·Élisabethvilie. septembre 1946. et conférence du 21 septembre 1946.

(24)

F. Picard, L'ÉpoPée de Renault, Paris, Albin Michel, 1976, page 301. C'est à tort que F. Picard lie d'emblée Flins à la Frégate.

(25)

Archives Renault. rapport annuel de gestion de 1950 par P. Lefaucheux.

(26)

M. Tauveron...L·usine....., article cité. page 40.

En second lieu, la Régie a des problèmes de financement qu'elle résout en partie par des emprunts annuels (puisque l'État refuse de lui apporter des dotations). Par conséquent, l'usine de voitures semi-utilitaires dont le principe vient d'être arrêté doit pouvoir être construite "par tranches successives, chaque tranche devant constituer une unité autonome et homogène" (27).

Les services de MM. Tauveron et Peltier à la Régie révisent alors les études de 1946 pour établir un avant-projet. Leur premier avant-projet porte encore la marque des discussions avec Porsche et Piech. Il définit une "usine complète comprenant forges, fonderies, usinage et carrosserie, comparable à l'usine de Billancourt" mais plus rationnelle et mieux organisée qu'elle et notamment fondée sur des bâtiments monoblocs (28).

C'est ici qu'intervient une troisième source de délais l'État. Depuis la grande loi d'urbanisme du 15 juin 1943, les permis de construire industriels sont accordés par le ministre chargé de l'urbanisme (29). Or le ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme depuis septembre 1948 est Eugène Claudius-Petit.

Il a des idées bien arrêtées en matière de politique urbaine, influencées par Le Corbusier, et il donne un nouveau souffle à un ministère déjà investi par les tenants de l'architecture moderne (30), notamment par la création en 1949 d'une direc­tion de l'Aménagement du territoire. Dans ces conditions, le heurt était inévitable. Marcel Tauveron en témoigne: "Dès les premiers contacts avec les pouvoirs publics, nous avons rapide­ment compris que nous n'aurions pas l'autorisation, dans la région choisie, de construire une usine de cette impor­tance" (31). E. Claudius-Petit se laisse convaincre, mais à condition que la taille de l'usine, compte tenu de la proximité de Paris et de l'environnement rural, soit limitée, à un effectif de 6 000 personnes (32).

Les discussions au sein même de la Régie apportent, parallèle­ment, d'autres raisons pour abandonner l'idée d'une usine monobloc. M. Tauveron les retrace: "Nous pensions que, dans une usine, on pouvait créer une ambiance, donner par les caractéristiques des bâtiments et par leur disposition un carac­tère différent de celui auquel nous étions accoutumés. Il fallait créer de vastes dégagements, prévoir de larges rues, planter, et conserver la nature là où elle se trouvait" (33). C'est l'appari­tion d'une conception nouvelle, que le quotidien Franc-Tireur dans une enquête sur Flins en mars 1954 baptisera "l'usine aux champs". Enfin une spécialisation des bâtiments, en lieu et place de la structure monobloc, se prêterait mieux aux exten­sions futures et à "l'implantation des annexes de la fabrica­tion : magasins, bureaux, groupes sanitaires, etc.", tandis qu'elle permettrait un "accès plus facile aux différents bâtiments" (34).

D'où une révision radicale pour le deuxième avant-projet. Celui-ci se restreint désormais à une usine de carrosserie, "les chaînes de tôlerie étant perpendiculaires aux lignes de montage" (35).

La Régie n'est pourtant pas au bout de ses peines. D'une part, il apparaît que "la simplicité du plan de départ avait, au cours des différentes études, évolué en se compliquant dans un sens défavorable". D'autre part, après la prise de décision par Pierre Lefaucheux, lors d'une conférence de directives géné­rales de février 1950, de faire construire la première tranche de l'usine nouvelle, "les mois qui suivirent furent pris par de nom­breuses discussions avec les pouvoirs publics" (36). En effet, le Conseil des ministres du 3 février 1950 avait adopté un rapport rédigé par Pierre Randet et présenté par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme qui prévoyait un "plan natio­nal d'aménagement du territoire", rapport en exergue duquel le ministre E. Claudius-Petit avait écrit avec fermeté: "les mai­sons et les usines ne peuvent être édifiées au seul hasard des cir­constances et des intérêts, ni dans l'ignorance complète du visage que prendra demain la France. De l'établissement et de l'adoption d'un plan d'aménagement du territoire dépend l'avenir de la France" (37). Il fallut donc de nouvelles négocia­tions entre la Régie et le gouvernement. Enfin, "pendant ce temps", le programme est une fois de plus remanié : "la construction de la voiture 'Juva" vint s'ajouter aux véhicules "Colorale" qui, finalement, furent supplantés par le nouveau modèle "Frégate". Mais pendant la plus grande partie de ces discussions, le temps ne fut pas perdu et l'étude des avant­projets se poursuivait" (38).

Pour toutes ces raisons, la Régie en vient à élaborer un troi­sième et dernier avant-projet: une usine de carrosseries ayant "un plan très clair, constitué par une série de bâtiments paral­lèles, séparés par de larges rues (:) nous retrouvions la simpli­cité d'origine. ( ...) Les bâtiments sont disposés de façon à respecter la suite normale des opérations de fabrication et communiquent entre eux par des passerelles destinées à rece­voir les convoyeurs aériens qui transportent pièces, organes ou carrosseries complètes. ( ...) Tous les ateliers de fabrication, à l'exception des ateliers de sellerie, ont été prévus en rez-de­chaussée" (39). Il s'agit là d'une innovation dans notre pays, mais d'une règle habituelle aux États-Unis, où elle est née avant 1914 (40). Les constructions annexes dont nous avons déjà parlé sont bien entendu accolées sur "les longs pans des bâtiments".

(27)

M. Tauveron. "L·usine...". article cité. page 40.

(28)

M. Tauveron. "L·usine ...... article cité. page 41.

(29) M. Lacave, "La périodisation des politiques urbaines françaises: le point de vue d'un

juriste". Bulletin de l'Institut d'Histoire du temps présent, supplément numéro 5. 1984. pages 49·50.

(30)

D. Voldman. "Heurs et malheurs...". article cité. page 111.

(31)

M. Tauveron. "L·usine ...... article cité. page 41.

(32) F. Picard. L·ÉpoPée ... , op. cit., page 309.

(33)

M. Tauveron, "L·usine ...... article cité. pages 41·42.

(34)

M. Tauveron. "L·usine...". article cité. page 41.

(35)

M. Tauveron, "L·usine...", article cité. pages 42·43. L'article reproduit page 43 les

trois schémas successifs.

(36)

M. Tauveron. "L·usine ...... article cité pages 42 et 46.

(37)

M. G. Dézès. "La politique urbaine: une ou plurielle /", Bulletin de l'Institut d'Histoire du temps présent, supplément numéro 5, 1984. page 10.

(38)

M. Tauveron. "L·usine...". article cité. page 46.

(39)

M. Tauveron. "L·usine...". article cité. page 42.

(40) J.·P. Bardou etc .. La Révolution autqmobile, op. cit., page 87.

La population de l'ancien canton de Meulan, où l'usine doit se bâtir, a eu elle aussi une responsabilité dans les délais qui ont marqué la préparation du projet. Elle se compose de paysans et de propriétaires de résidences secondaires (41). En mai 1950, une partie d'entre eux, par l'intermédiaire du député-maire

R.e.R. de Mantes Jean-Paul David, s'adresse à E. Claudius­Petit pour qu'il refuse l'installation de l'usine qui porterait atteinte au site, polluerait l'environnement et détruirait la société rurale. Mais le projet de la Régie nationale trouve de nombreux défenseurs, regroupés derrière Paul Raoult, le maire-conseiller général socialiste des Mureaux, dont beau· coup de commerçants (intéressés ...) partagent le point de vue (42). Il est probable que le préfet de Seine-et-Oise se soit entre­mis dans le même sens.

L'architecte de l'usine: Bernard Zehrfuss.

Alors la Régie Renault parvient à ses fins. En juin 1950, elle obtient du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme l'autorisation de principe et, "en août 1950, le plan d'ensemble fut définitivement arrêté" (43).

Les travaux commencent aussitôt, sous la direction d'un grand architecte moderniste, Bernard Zehrfuss. Premier Prix de Rome, il construira, après Flins, bien d'autres édifices majeurs, par exemple le palais de l'Unesco à Paris en 1957 et en 1967 les longs immeubles-barres "Le Haut du lièvre" à Nancy qui manifestent encore l'influence de Le Corbusier (44). Il semble que Lefaucheux l'ait choisi sur une liste de noms proposés par

E. Claudius-Petit, lui-même acquis comme ses services aux adeptes de l'architecture moderne (45). Mais lui-même allait déjà dans ce sens: on se souvient que, dès novembre 1944, il avait souhaité faire "du neuf et du beau". Cet appel aux grands noms contemporains va devenir une règle de la Régie, prolon­gée depuis 1966 par l'action au sein de l'entreprise d'une cellule de Recherche Art et Industrie (46). Marcel Tauveron, alors directeur des travaux neufs de la Régie, dirige le chantier, auquel collaborent diverses entreprises.

Un point reste encore à trancher au sujet des bâtiments: "l'uti­lisation du fer ou du béton. Si nous tenions à la charpente en fer pour l'atelier d'emboutissage, nous n'avions a priori aucune préférence pour les autres ateliers de fabrication". La Régie opte pour le béton, après avoir considéré "l'économie générale, les avantages et les inconvénients comparés des différents projets" (47).

Les travaux avancent rondement. Le défrichement du terrain est entrepris en août 1950, le nivellement en septembre­octobre. Les premiers marchés avec les différentes entreprises sont passés au début de novembre et la construction démarre début décembre. "Treize mois après les premiers travaux de fondation des bâtiments, le matériel et l'équipement étaient en place" (48).

Dans le bâtiment d'emboutissage, le chantier des presses en 1951. Plus de 1 000 ouvriers participent à la construction de l'usine.

(41) P. Delsaut. La Localisation ... , op. cit.

(42)

J.·P. David, "Éditorial", Le Réveil de Mantes, 12 mai 1950, page 1. P. Raoult, "M. Jean-Paul David s'en va-t·en guerre", Le Progrès social de Seine-et-Oise, 19 mai 1950. page l "Controverse". Le Coum'er de Mantes, 23 mai 1950. Un lecteur, "Le projet Renault, folie ou prospérité /", Le Progrès sonal de Seine· et· Oise, 26 mai 1950, page 1. "Les usines Renault à Élisabethville", Le Coum'er de Mantes, 15 novembre 1950. Ces références proviennent des travaux de M. Mesaize.

(43)

M. Tauveron, "L'usine...", article cité, page 46.

(44)

Archives de l'Institut français d'Architecture, dossier B. Zehrfuss.

(45)

E, Seidler, Le Défi Renault, Lausanne, Édita, et Paris, Denoël, 1981, page 71.

(46)

"Chez Renault: une incitation à la création", Le MatIn de Paris, 24 février 1984, page 33.

(47)

M, Tauveron, "L'usine...", article cité, pages 45·46,

(48)

Voir note 47.

La première croissance de Flins (1952-1968)

Le 2 janvier 1952, l'usine de Flins sort sa première voiture, une "Juvaquatre", modèle né en 1937 qui a déjà assuré le redémar­rage de Billancourt à la Libération (49). L'usine occupe 80 000 d'ateliers, 2 000 ouvriers recrutés sur place et

m 2 300 cadres venus de Billancourt. Dès mars, 50 "Frégate" sor­tent chaque jour des chaînes.

Le 2 octobre 1952, l'inauguration officielle a lieu en présence du maître d'œuvre Pierre Lefaucheux, d'''un grand nombre d'ingénieurs et de constructeurs venus des quatre coins de France et de l'étranger" et de trois ministres, E. Claudius-Petit (dont l'appui se révéla fort utile pour la réalisation de la pro­chaine usine décentralisée de la Régie, à Cléon) bien sûr, le ministre de l'Industrie J-M. Louvel et le secrétaire d'État au Budget J Moreau (50).

Les visiteurs insistent sur l'esthétique de l'usine: "Il fallait rom­pre avec le style franchement inesthétique qui avait prévalu jusqu'alors dans la construction industrielle", dit l'un (51), "Tout est clair, propre, dégagé" dit l'autre (52). Pour que cet outil industriel reste "humain dans une ambiance saine et gaie", l'usine est peinte en plusieurs couleurs. "Sans doute pour la première fois dans une installation industrielle, on a fait intervenir un artiste", l'ancien futuriste Félix del Marle. Assisté de Jean Gorin, il a voulu réaliser une "chromothérapie qui agit sur le comportement de l'homme au travail, la même recherche de contours simples et fonctionnels contribuant à l'ordre, à l'équilibre et à l'harmonie" (53). Cet attrait que l'usine exerce sur les premiers visiteurs va persister durable­ment. Elle devient l'usine que la Régie fait visiter aux indus­triels, aux scientifiques, aux jeunes, ainsi qu'aux hôtes officiels de la France (parmi lesquels la reine Élisabeth II, le 10 avril 1957) qui s'y succèdent jusqu'à nos jours.

L'inauguration officielle du 2 octobre 1952. Au premier rang, M. Bonnin, premier directeur de l'usine,

M. Tauveron, les ministres et le préfet de Seine-et-Oise.

P. Lefaucheux est de profil au 2' rang. A l'arrière-plan, les sheds en voûte mince de béton.

La même volonté d'esthétique s'exprime dans le programme de construction de logements que Pierre Lefaucheux a envisagé en même temps que le programme industriel. Pour le person­nel de surveillance et de sécurité comme pour les agents de maîtrise d'encadrement, logés à proximité de l'usine, "on a cherché à éviter le plus possible l'impression de cité, associant des immeubles de 20 logements à des pavillons individuels ou multiples. Les pelouses, terrains de jeux, des jardins et des plantations d'arbres séparent les diverses constructions (dont) l'architecture générale (...) s'harmonise avec la façade princi­pale de l'usine." Pour les cadres, la Régie bâtit "une série de pavillons édifiés dans le parc du château d'Élisabethville qui, abandonné depuis 1918, à demi-ruiné, inutilisable, dut être démoli" (54). Des cités ouvrières sont construites dans d'autres communes situées à quelques kilomètres, à Epône et surtout aux Mureaux, en plein accord avec le maire Paul Raoult, pas­sionné par le logement social, grand admirateur de l'ancien maire socialiste de Suresnes Henri Sellier dont les réalisations urbanistiques ont fait date. Le 19 avril 1956, Paul Raoult est très clair: "tous nos efforts ont tendu à ce que la Régie Renault implante dans notre commune le plus possible de logements" (55). C'est donc aux Mureaux que la Régie construit elle-même la cité Renault de la rue Gabriel-Vilain (236 logements), inau­gurée en 1953. "Là encore, par la disposition du plan de

(49)

La date vient de M. Tauveron.

(50)

M. Mesaize, Renault·Flins ... , op. cil., pages 61-62. F. Picard, L'ÉpoPée. pages 311-312.

(51)

F. Picard, L'Épopée, page 311.

(52)

P. Raoult, "Une formidable réalisation industrielle", Le Progrès social de Seine-el-Oise, 10 octobre 1952, page 1.

(53) Usines d'aujourd'hui, septembre-octobre 1955.

(54)

M. Tauveron, "L'usine...", article cité, pages 40 et 45.

(55)

M. Mesaize, Renault-Flins... , op. cil., pages 134-141.

masse, de larges espaces verts, l'emploi de couleurs gaies qui rompent la monotonie des façades, l'architecte a ménagé une ambiance favorable à la détente et au repos" (56). Toujours aux Mureaux, la Régie bâtit en 1955-1956, avec l'aide de la banque Lambert, la cité des Bougimonts (306 logements). L'effort de la Régie en matière de logements revêt bien d'autres formes : prêts à la construction, participation financière aux programmes municipaux de construction d'immeubles (57).

Usine de pointe, Flins l'est aussi sur le plan de l'organisation du travail. La Régie y introduit pour la première fois en France, et dès 1952, la méthode américaine de la cotation par poste. Elle durera jusqu'en 1972-1973. Un pas supplémentaire est franchi dans la parcellisation des tâches. Des tests psychotechniques et un système de fiches mécanographiques permettent d'affecter "l'homme qu'il faut à la place qu'il faut (en vue d') obtenir (...) le rendement optimal" (58).

Mais la demande automobile est telle que Flins doit bientôt grandir, comme son plan le lui permet. En septembre 1954, la deuxième tranche de construction s'engage, complétée par une troisième tranche en 1957 : Flins s'équipe alors d'un hall de presses très spectaculaire et d'une deuxième ligne d'assem­blage. La superficie a doublé: 162 350 m2, les effectifs sont passés à 5 467 salariés (59). Flins accueille ainsi la "Dauphine", dont elle va produire 1 400 000 exemplaires (60). Les effectifs ne cessent d'augmenter, si bien qu'en 1957 la Régie doit créer un réseau de ramassage du personnel par cars et qu'en 1958 les effectifs dépassent les limites que M. Claudius-Petit avait assignées à leur croissance (61).

Cette expansion s'accompagne de nouvelles constructions aux Mureaux. Entre 1958 et 1960, la Régie y fait réaliser la cité de la Vigne blanche (1 307 logements) avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations. Le nom rappelle les anciennes activités viticoles du canton. Mais l'existence même de la cité signifie que la main-d'œuvre d'origine rurale du canton ne suffit plus. Il faut pour la Régie attirer du personnel venu de plus loin et le stabiliser. Elle est aussi partie prenante, dans ces années, de l'édification d'autres ensembles immo­biliers aux Mureaux. Un problème nouveau apparaît : le logement des célibataires. Pour le résoudre, Les Mureaux accueillent un foyer de jeunes travailleurs de 250 chambres en 1960, construit avec l'aide de l'Association pour le logement des travailleurs isolés et connexes (ALTIAC), liée à la Régie.

D'autres communes sur la rive gauche de la Seine connaissent à leur tour une croissance rapide avec l'édification de logements Renault: Maule, Ecquevilly et Bouafle (62).

(56)

M. Tauveron. ··L·usine ...... article cité. page 45.

(57)

M. Mesaize. Renault-Flins.... op. cit., pages 144-147.

(58) A. Chabert. Les Salaires dans l'industn'e française (la métallurgie), Paris. A. Colin, 1955. page 151.

(59)

"Renault-Flins". Réalités. mars 1958. "Voici Renault". Revue générale de mécanique et d·électn'cité. septembre 1959. pages 80-96.

(60)

Voir par exemple F. Picard. "Histoire de la Dauphine (6)". De Renault Frères_ ... juin 1985. page 264.

(61)

M. Freyssenet. Division du travail et mobilisation quotidienne de ln main-d·œuvre. Les cas Renault et Fiat. Paris. Centre de sociologie urbaine. 1979. page 118 et. pour plus de détails sur le réseau de ramassage, pages 293-301.347.388-400.

(62)

M. Mesaize. Renault-Flins ... , op. cit .• pages 269-277 et 289-314_

Des immeubles ouvriers suivent l'extension de l'usine. Des immeubles autour de l'usine et de l'église moderne d'Élisabethville avec, à droite, un petit magasin Coop.

Des pavillons individuels, réalisés par la Régie en liaison avec des organismes de construction. Depuis 1945, elle a participé à la construction de près de 10000 logements en France.

Les effectifs de l'usine de Flins sont presque stables de 1960 à 1968. La très légère augmentation provient surtout de l'embauche d'ouvriers immigrés, surtout Italiens et Noirs afri­cains, au début des années soixante. Leur nombre n'excède pas quelques centaines. Tout se passe comme si l'usine digérait l'expansion de son personnel (63).

Il n'en va pas de même de la superficie de l'usine. Elle doit prendre en compte la relêve de la 4 CV et de la Dauphine par la R 4 et la R 8 et la poursuite du développement de la Régie. Une quatrième tranche de travaux se déroule en 1961, à la suite de laquelle la superficie double à nouveau : 353 000 m2, pour un effectif de 10 217 salariés. En avril 1965 est mis en ser­vice le magasin des pièces de rechange (62 000 m2) qui rem­place celui de Billancourt, mais sans grand impact sur les effectifs. Cette même année débute l'assemblage de la R 16, "sur laquelle sont mises en œuvre des solutions technologiques originales et dont la mécanique est produite par la récente usine de Cléon", ainsi qu'un courant d'échange fluvial avec Boulogne-Billancourt (64).

Au cours des seize premières années de vie, l'usine a donc deux fois doublé de superficie et quintuplé son effectif. La montée en régime va se poursuivre après le mouvement social de mai­juin 1968.

(63)

M. Mesaize. Renault-Flins ... , op. cÜ., pages 256-263.

(64)

Brochure Usine PieTTe Lefaucheux .. , op. cil., pages 12-16, M. Freyssenet, Division .. . , op. cil_, pages 146-147.

Pierre Dreyfus inaugure en 1955

le monument à Pierre Lefaucheux.

Flins grandit pour accueillir la Dauphine: le chantier du bâtiment de sellerie en 1957.

d'emboutissage Weingarten et du robot de soudure Unimate, tandis que l'usage de l'ordinateur en temps réel est généralisé au M.P.R.

Dans le même temps, les effectifs doublent: 20 988 en 1973, 21 400 en 1976. Dix fois l'effectif de 1952 ou encore, comme le déclare à Aubergenville M. Jacquot, alors chef de service à la

D.C.P.R.S. : "1 % de cadres de haut niveau, moins de 10 % d'ouvriers qualifiés et 1,5 % de techniciens environ" et 87,5 % "d'ouvriers sans qualification qui apprennent en très peu de temps l'exécution de quelques gestes (:) ces emplois n'inté­ressent pas ou fort peu les habitants de la région. L'entreprise de Flins est contrainte de s'adresser ailleurs, bien souvent hors de nos frontières" (66). L'explication de ces propos est simple. Pour faire face au boom de la demande de voitures, la Régie a entre autres choses opéré un bouleversement radical de l'orga­nisation de la semaine de travail. Flins (comme Billancourt) est

Le second souffle (1968-1975)

De fait, la superficie double presque, encore une fois, entre 1968 et 1974. Le processus reste celui des extensions succes­sives, en 1968 pour la R 12, en 1970 pour la R 12 Break et le doublement du M.P.R., en 1972 pour la R 5 et en 1974 tou­jours pour la R 5. Flins atteint alors 783 000 m2• "A ce point, Flins est constitué de 5 bâtiments parallèles de 500 mètres de long, orientés nord-ouest, aboutissant à un bâtiment nord-sud de 700 mètres de longueur où sont installés les vestiaires, douches et restaurants" (65).

L'automatisation pointe son nez. Le lancement de la R 5 amène l'installation d'une ligne automatisée de grosses presses passe a partir de janvier 1969 aux 2 X 8, "à l'exception des bureaux et de quelques ateliers" spécialisés : deux équipes se succèdent dans la journée et alternent d'une semaine à l'autre.

C'est ce qui a permis le doublement des effectifs. Mais comme soit les réserves de main-d'œuvre rurale de la région sont épui­sées, soit ce type d'emploi ne l'attire pas, l~ Régie recrute mas­sivement des immigrés de 1968 à 1970. Ils constituent 40 % du personnel de Flins depuis 1973. Il semble que la direction géné­rale ait retenu cette solution de préférence à la création ailleurs d'une autre usine qui eùt été plus lente à entrer en activité et

(65) M. Freyssenet. Division ... , op. cil., page 183.

(66) Le Coum'er de Manies, Il novembre 1970.

plus coûteuse à réaliser. Quoi qu'il en soit, Flins est devenue la plus grosse usine décentralisée du groupe Renault, la seule à dépasser le seuil de 10 000 personnes qui s'impose à toutes les autres usines (67).

Cette expansion de la main-d'œuvre immigrée (marocaine notamment) pose de délicats problèmes d'accueil. C'est encore une fois la commune des Mureaux qui en prend la plus lourde part. Elle fait construire un foyer de travailleurs étrangers (272 résidents) qui ouvre ses portes en 1973 (68).

Mais l'expansion globale que l'usine a connue au sein d'un groupe lui-même en plein développement lui pose des pro­blèmes de rééquilibrage, de réajustement, on pourrait presque dire de recentrage de ses fabrications. De même que Flins avait fini par accueillir certaines activités exercées auparavant à Billancourt, de même, elle doit pour la première fois, dans ces années, céder des fabrications à d'autres usines de la Régie situées sur la basse Seine. Sont successivement transférés l'ate­lier de câblage à Dreux (1971), le centre C.K.D. (pièces déta­chées pour les usines à l'étranger) à Grand-Couronne (1975), l'assemblage des R 12 à Sandouville (1977) (et une partie va même à Maubeuge) (69). Mais ces mutations (dans tous les sens du mot) ne sont rien auprès de la réorientation qui va suivre.

La réorientation (depuis 1976)

Le tournant qui en effet a été pris n'est pas celui des modèles. Flins accueille en 1978la R 18 et en 1984 la Supercinq. L'usine a l'habitude... Les transformations sont autrement plus profondes.

D'abord pour la première fois, de façon durable, les effectifs déclinent chaque année. Au 31 décembre 1983, ils sont revenus à 17 457 et l'érosion n'est pas près de s'arrêter (70). Après trente-quatre ans de croissance presque ininterrompue, l'usine doit affronter la décroissance de sa population.

Ensuite -pas en même temps, on le notera -les robots appa­raissent. Ils s'installent en 1978 sur la ligne d'assemblage tôlerie de la R 18 et sur les presses (71). Depuis, l'automatisation et la robotisation des lignes de fabrication se sont poursuivies. Le montage de la Supercinq en donne un exemple frappant.

L'arrivée des moyens automatisés conduit à une réflexion géné­ralisée sur l'organisation du travail et notamment à la mise en place de modules de préparation et de montage des sièges. Tout se passe comme si l'usine était à la recherche d'une nou­velle cohérence économique et sociale, qui n'a pas la simplicité de la continuité globale des trente-quatre premières années.

Conclusion provisoire

L'usine de Flins représente encore 17 % des effectifs de la Régie, un second rang très proche de celui du Centre industriel de Billancourt (18 %) (72). Elle a pu aligner, au moment des cérémonies de son trentième anniversaire, des chiffres impres­sionnants : "Les surfaces couveùes sont passées de 80 000 à

m2

650 000 -alors que les surfaces développées dépassent m2

900 000 -et le nombre de voitures produites chaque année, qui était de 25 000 en 1952, est ( ...) de l'ordre de 350000. Flins pouvait même, à la fin de l'année 1981, fêter la sortie de son huit millionnième véhicule" (73). La transforma­tion de l'ancien canton de Meulan due aux retombées de l'implantation industrielle -et dont nous avons donné une image par les logements -est elle aussi profonde et multiple. Peut-on pour autant considérer que l'usine de Flins ait réalisé tous les espoirs que ses promoteurs et ses réalisateurs avaient mis en elle (74) ? Elle a en tout cas fourni à la Régie un outil de production moderne, performant et adaptable aux diverses phases du développement industriel. Elle garde ainsi la marque de son fondateur dont, depuis 1955, elle porte le nom: Pierre Lefaucheux.

Patrick FRIDENSON

(67)

M. Freyssenet. Division ... , op. cit., pages 182-184.

(68)

M. Mesaize, Renault·Flins... , op. cit., pages 443·444.

(69)

D'après les comptes rendus annuels d'activité de la Régie.

(70)

Compte rendu annuel d'activité 1983, page 32.

(71) G. de Bonnafos, L'Adaptation des travailleurs aux changements technologiques: l'introduction des robots à la Régie Renault, thèse de 3e cycle, Université Paris J, 1982.

(72) Compte rendu annuel d'activité 1983, page 32.

(73) Brochure Usine PieTTe Lefaucheux ... , op. cit., page 22.

(74) Pour une vue d'ensemble, consulter: Centre de recherches et d'études sur Paris et l'Île· de-France, Trente ans de décentralisation industrielle en France (1954·1984), Paris, Cahiers du CREPJF, 1984.