03 - L'usine du Temple à Saint-Michel-de-Maurienne (1)

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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L'usine du Temple à Saint-Michel-de-Maurienne (1)

le plus ancien atelier décentralisé des usines Renault

1 -Le Temple

Lorsque, en 1975, les usines du Temple prirent l'appellation" Métallurgique du Temple

S.A. " et que la marque" Métaltemple ", retenue pour les produits fabriqués, en fut dépo­sée dans différents pays, une opposition nous fut signifiée aux U.S.A. par une société améri­caine prétendant que le mot" Temple" faisait déjà partie de leur appellation depuis long­temps. Il fallut alors entamer une procédure et prouver que le nom de notre société était lié à celui du lieu-dit où elle était implantée, lieu-dit dont l'appellation était bien antérieure à la découverte de l'Amérique, ce qui rendait sans objet l'opposition présentée.

Avant donc de traiter le sujet proprement dit de l'histoire de l'usine du Temple, commen­çons donc par remonter un certain nombre de siècles en arrière, afin d'expliquer l'origine de cette appellation.

La vallée de la Maurienne, une des plus profondes vallées des Alpes, s'enfonce au cœur des massifs sur 130 kilomètres, distance séparant la source de l'Arc aux confins de la frontière avec l'Italie de son confluent avec l'Isère au Pont-Royal. Saint-Michel-de-Maurienne se trouve sensiblement au milieu et dans la partie la plus méridionale de cette vallée.

Malgré les difficultés dues notamment aux marécages des ombilics glaciaires limités à l'aval par un verrou fort étroit et guère franchissable, au relief tourmenté des versants souvent coupés par les ravins des torrents adjacents, tout ceci obligeant les pistes d'alors (et même les routes jusqu'au début du XIX' siècle) à n'être qu'une succession de grimpées, de replats et de descentes au flanc des" adrets" de la vallée, face mieux ensoleillée et donc plus facilement débarrassée des neiges que la face" envers", malgré tout cela, cet axe a été depuis des temps immémoriaux un passage extrêmement fréquenté entre ce qui est aujourd'hui la France et l'Italie. (Les hommes du néolithique final, soit 2500 à 1800 avantj.-C., ont laissé en Haute­Maurienne, et au village du Thyl qui fait partie de la commune de Saint-Michel, de fort nombreuses traces gravées dans le rocher [1 D.

La vallée n'était d'ailleurs pas le seul axe de passage et Saint-Michel se trouvait également à la croisée de celui-ci et d'un axe sud-nord, qui, par les cols du Lautaret et du Galibier d'une part, et le col des Encombres et la vallée des Belleville d'autre part, reliait le Dauphiné et la haute Provence à la Tarentaise et au Genevois.

(1) Georges Nelh : Pierres à cupules et roches gravées en Savoie (L'histoiTe en Savoie -S.S.H.A. -septembre 1983).

En ce qui concerne le passage vers l'Italie, la ligne de partage des eaux (les " eaux pendantes ") était le plus généralement franchie au col de Savine, voisin du col du Mont-Cenis actuel, mais situé un peu plus au sud et où existait déjà une voie romaine fort ancienne, mais non carrossable dans sa partie supérieure, voie qui fut détruite sur le versant italien de la Doire Ripaire par un gros éboulement de rocher, éboulement qui probablement serait celui devant lequel Hannibal se trouva et qui lui causa de si grandes difficultés pour le passage de ses éléphants, lors de sa traversée des Alpes en 218 av. j.-C. au début de la seconde guerre punique (2) (3) (4).

" Cette voie perdit alors de son importance et fut remplacée par une autre voie romaine qui empruntait la vallée d'Aoste, tout au moins jusqu'à la période des invasions barbares, période au cours de laquelle l'absence d'entretien amena sa dégradation complète (5). "

Ce n'est qu'au temps de la conquête franque de Gontran, petit­fils de Clovis, que la Maurienne reprit son rôle de passage prin­cipal, c'est-à-dire au début du VIII' siècle. Le passage se faisait alors, via Bramans (et non pas encore par Lanslebourg comme l'actuelle R.N. 6), par les cols du Petit-Mont-Cenis et le plateau du Grand-Mont-Cenis.

Depuis lors, il fut peu de grands ou de célébrités de ce monde qui n'eurent l'occasion de transiter par là : Pépin le Bref, Charlemagne, Charles le Chauve, Philippe Auguste, Frédéric Barberousse, Montaigne, pour n'en citer que quelques-uns... , jusqu'à Napoléon, bien sûr, qui fit établir en 1805 la route carrossable actuelle.

Cette vocation de vallée de passage fut confirmée aussi bien par le percement de 1857 à 1871 du tunnel ferroviaire entre Modane et Bardonnèche, que par celui tout récent du tunnel routier du Fréjus (1974 à 1979) (6).

Donc, au Moyen Âge, le passage était corisidérable au travers de ces montagnes. Pèlerins, marchands, soldats aussi, transi­taient en toutes saisons et tout le trajet était jalonné d'hospices, hôpitaux, maladières, d'autant plus rapprochés que les difficultés du chemin étaient plus grandes.

Le bourg de Saint-Michel-de-Maurienne était ainsI eqmpe d'un hôpital, fondé dans des temps fort reculés par la commu­nauté qui en a été longtemps administratrice. Le bâtiment et la chapelle adjacente, qui servait aussi de morgue, existent tou­jours. " On y donne du pain, du vin, de la pitance à ceux qui vont et viennent de Rome, de Saint-Jacques en Galice ou d'autres lieux saints. Une autre maison religieuse pouvait éga­lement donner la couchée au lieu-dit le " Temple" sous le col de la Porte (3). " En effet, on peut voir actuellement, à côté de la cour principale de l'usine, derrière une haie de troènes et à l'ombre d'un platane séculaire, une maison d'habitation aux murs fort épais et qui possède une caractéristique bien particu­lière : sa façade orientale présente, en projection horizontale, une forme de triangle isocèle dont le sommet est tourné vers l'amont. À l'époque de sa construction, l'Arc était un torrent vagabond et aucune digue n'en limitait les divagations si une crue venait à en gonfler dangereusement les eaux. Cette mai­son, qui était alors une des rares à ne pas être construites sur la colline, devait pouvoir résister aux flots occasionnels, d'où la forme d'étrave de sa partie amont. C'était à l'origine une ferme et il y avait aussi, à proximité, une chapelle dont, paraît-il, les mines étaient encore visibles avant la guerre 1914-1918, mais il n'yen a plus aucune trace aujourd'hui.

Cette ferme du Temple est tout ce qui reste de l'antique Commanderie des Templiers et c'est une page d'histoire qui mérite d'être rappelée.

Après la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099, sous le commandement de Godefroi de Bouillon, un ordre de moines­soldats, les templiers (du nom du Temple de Jérusalem) s'y établit en 1118 pour défendre les chrétiens d'Orient contre les infidèles.

Cet ordre des templiers devint extrêmement puissant et il serait trop long d'en évoquer toute l'histoire. Paris est encore rempli de leur souvenir: Rue Vieille-du-Temple, rue des Blancs­Manteaux, église Saint-Merri... Disons seulement qu'il fonda sur les chemins qu'empruntaient les pèlerins de l'époque des relais, sortes de maisons fortes, appelées commanderies et où ils hébergeaient les voyageurs et les protégeaient car les routes n'étaient pas toujours très sûres.

Ces commanderies étaient complétées de fermes permettant de produire de quoi subsister: céréales, vins et viandes. Les tem­pliers avaient même inventé, avant l'heure, les cartes de crédit et les chèques de sorte que ces voyageurs pouvaient se déplacer sans emporter d'argent, dont ils auraient pu se faire dévaliser en route. Il arrivait aussi que le voyageur ne revienne pas de son périple, et les biens qu'il avait hypothéqués avant son départ devenaient la propriété des templiers, ce qui s'ajoutait aux nombreux dons et libéralités reçus par ailleurs de la part des peuples chrétiens, en reconnaissance de leurs exploits en Palestine.

Leur puissance grandit de telle sorte qu'ils devinrent même les banquiers du pape et de nombreux princes, mais elle porta ombrage au roi Philippe le Bel, alors fort désargenté. Il leur intenta un procès en sorcellerie, fit arrêter le grand maître de l'ordre, Jacques de Molay, le fit périr sur un bûcher en 1314 après un long procès, pas très régulier, fit supprimer l'ordre et s'empara de toutes ses richesses.

Toujours est-il qu'en près de deux cents ans, ces templiers étaient arrivés à établir plus de 9 000 commanderies en Europe, dont celle de Saint-Michel-de-Maurienne. On n'en connaît pas exactement la date de fondation mais elle existait déjà en 1182, puisque cette année-là une plainte des chanoines de Saint-Jean-de-Maurienne disait que les templiers de Saint­

(2) Joseph Favre: Bramans autrefois métropole (S.H.A.M. -1977).

(3)

Jean Bellet: Le col du Mont-Cenis: porte millénaire des AlPes (S.H.A.M. -1976).

(4)

Jean Bellet et Cie: Mont-Cenis: porte des AlPes (L'histoire en savoie -juin 1975).

(5)

BernardJanin: Le col du Petit-Saint-Bernard: frontière et trait d'union alpin (Frison de Savoie -S.S.H.A. -1980).

(6)

Mme Fourreaux: D'un tunnel à l'autre (L'histoire en Savoie -1981).

Michel percevaient des dîmes qu'ils estimaient leur être dues. (La dîme était l'impôt sur le revenu de l'époque: 10 %, qui était perçu par les autorités religieuses, le temporel et le spirituel étant alors souvent confondus.)

Quand l'ordre des templiers fut dissous, en 1312, la comman·, derie du Temple de Saint-Michel fut cédée aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, mais elle périclita et les bâtiments tombèrent en ruine. Par un testament, daté du Il juillet 1473, " noble Louis du Pont lègue la somme de cinq florins d'or à vénérable et religieux frère Jean de Châteaumartin, recteur de la maison du Temple de Saint-Michel, pour la reconstruction et réparation de ladite maison et chapelle". Les guerres du XVI' siècle et l'occupation de la Savoie par les troupes fran­çaises ne contribuèrent pas à arranger ces bâtiments. Un procès-verbal, dressé le 14 février 1616, par le notaire Bertrand, à la requête du commandeur noble frère Anthoine de Ribes, dépeint le délabrement de la chapelle: " dans l'inté­rieur, deux linceuls de toile de peu de valeur, dans un coffre une chasuble et une aube avec amict, une petite croix dans le chœur, ni calice, ni meuble, ni ornement ". Les toitures de la chapelle et du clocher étaient découvertes et il n'y avait plus de cloches. Le fermier payait une redevance annuelle de 120 livres pour exploiter 14 quartiers de terre, 3 setiers de prés et 6 fosse­rées de vigne. (Nota: avec 120 livres, une famille pouvait vivre chichement pendant un an. Un setier, c'est une mesure de grain; c'était ausssi la surface d'un terrain capable d'une récolte d'un setier. Nous n'en connaissons pas le volume, mais un setier de blé valait 5 livres environ. Un fossoir, c'était une houe à longue pointe pour piocher la vigne ; une fossorée ou fosserée, c'était vraisemblablement ce qu'on pouvait piocher en une journée.)

En 1642, un procès-verbal de VISIte signale l'existence dans cette chapelle de nombreuses reliques. Elles étaient dans des bourses de brocart attachées à de vieux parchemins. Il y avait, paraît-il, des fragments du sépulcre du Calvaire, du tombeau de la Vierge, des reliques de saintJérôme. de sainte Madeleine, un fragment de pierre ayant lapidé saint Sylvestre... Il est fort vraisembJ.able que ces reliques, rapportées d'Orient par les che­valiers, étaient apocryphes et, sans doute, avaient été vendues à de crédules pèlerins par les Grecs de Jérusalem, spécialistes de ce genre de commerce. -On note, dans un document établi en 1737, par le notaire Lacombe de Saint-Jean-de-Maurienne, que" le fief de la sacrée maison du Temple de Saint-Michel et dépendances" appartient à messire Albert le Gronin de la Romagnère, chevalier de Malte et commandeur de Savoie.

En 1792, les troupes françaises occupèrent la Savoie qui devint ensuite un département français et tous les biens appartenant au clergé et aux nobles furent vendus comme biens nationaux, dont la commanderie du Temple. Les acquéreurs ne devaient guère se soucier de la chapelle qui tomba en ruine (elle avait vécu six siècles), mais la maison est toujours là (7).

Et voilà pourquoi, plus de huit cents ans après la fondation de cette commanderie des templiers en Maurienne, le nom des templiers reste attaché à l'usine du Temple, aux aciéries du Temple, à Métaltemple, dont nous allons maintenant préciser le contexte et conter l'histoire d'un point de vue plus industriel et plus technique.

2 -La houille blanche en Maurienne

La fin du XIX' siècle fut pour la Savoie, devenue française en 1860, le début d'une ouverture industrielle fantastique qui va considérablement bouleverser la vie des vallées alpines et tout particulièrement celle de la Maurienne.

Ceci va être la conjonction de la mise au point pratique de pro­cédés électrochimiques et du matériel électrique performant permettant de produire l'énergie capable de les exploiter, et de la maîtrise de l'énergie hydraulique.

Dès 1869, à Lancey, près de Grenoble, un ingénieur de l'École centrale des arts et manufactures, Aristide Bergès, alors âgé de trente-six ans et qui, depuis longtemps, voulait fonder une bibliothèque à un franc le volume, s'était persuadé que seul l'emploi de pâte à bois, obtenu par l'emploi d'une force motrice puissante et à bas prix de revient, pouvait permettre un tel bond dans le développement de l'instruction.

Concrétisant sa pensée, il fait tourner un défibreur à bois dont l'arbre était calé sur celui d'une turbine alimentée par une chute de 200 m, la première chute hydraulique haute pression du monde. En 1883, il portait la hauteur de chute à 500 m, puis à 1 718 m en 1896. Entre-temps, il avait éclairé la ville de Grenoble à l'électricité et désigné cette énergie d'origine hydraulique par une métaphore qui est restée dans le langage courant, " la Houille Blanche" (8)-(9).

Parallèlement aux conduites et aux turbines" haute chute", l'hydraulique" au fil de l'eau" des romantiques moulins aux roues à aubes moussues se perfectionnait et on commençait à savoir aussi utiliser mieux cette force avec des conduites d'ame­née de grand diamètre en tôle rivée, qui sous quelques dizaines de mètres de hauteur de chute pouvaient ainsi alimenter des génératrices de puissances de plus en plus importantes et pro­duire ainsi de l'électricité en quantité considérable pour l'épo­que et à bas prix, ouvrant ainsi des horizons inimaginables auparavant et ceci, alors que les premiers procédés d'électro­chimie et d'électrométallurgie commençaient à faire l'objet de dépôts de brevets.

Cependant, on ne maîtrisait pas encore la technique de trans­port de l'énergie électrique, transport qui correspondait alors à des pertes en lignes énormes et inacceptables.

Cette industrie nouvelle qui se faisait jour était grosse dévo­reuse d'énergie (il fallait 30 000 kWh pour faire une tonne

(7) Le Temple: MétaltemPle Info nO 18 (Novembre 1980).

(8)

Papeteries de Lancry : Centenaire d'Aristide Bergès (1933).

(9)

Marcel Mirande: Le comte de Cavour et la houille blanche (Grenoble -1927).

d'aluminium et 15 000 kWh pour faire une tonne de chlorate

de potassium, soit environ le triple et le double de ce que l'on

utilise aujourd'hui) (10)-(11)-(12)_

Elle ne pouvait donc se développer que dans un site où :

a) l'énergie hydroélectrique était facile à capter sur la rivière

principale ou ses affluents avec un relief permettant des déni­

velées convenables de plusieurs dizaines de mètres pour les gros

débits au fil de l'eau, ou centaines de mètres pour les débits

moins importants,

b) un moyen de transport capable d'assurer l'acheminement

des matières premières pondéreuses dans des conditions conve­

nables existait, c'est-à-dire pour l'époque une voie ferrée_

La vallée de l'Arc était alors parmi les rares à pouvoir proposer

à la fois ces deux éléments du succès industriel et la Maurienne

a pu faire figure de pionnier dans cette grande aver;tture

industrielle.

Dès 1885, Aimable Matussière, pour le compte de qui Bergès

avait, quelques années auparavant, installé la conduite haute

chute de Lancey, créait une papeterie à Modane-Fourneaux en

s'installant dans les locaux qui avaient abrité les compresseurs

Cockerill ayant servi à alimenter la perforatrice de Sommeiller

pendant la construction du tunnel ferroviaire. Il équipait pour

cela une basse chute sur l'Arc et une haute chute sur le torrent

du Charmaix.

En 1886, un jeune ingénieur normand (vingt-trois ans), Paul

Héroult, avait déposé un brevet miracle pour l'obtention de

l'aluminium, à peu près d'ailleurs en même temps que l'Améri-

Fig. 1

La Praz: c'est sur cette conduite que Paul Héroult, en 1894, s'installa avec sa famille et attendit la mise en eau (photo archives Roux).

cain Charles Hall. Ce sont les frères Bernard de Saint-Michel qui prennent, les premiers, l'initiative de l'exploitation de ces brevets en équipant, en 1890, derrière le pas du Roc à Calypso, au pied des étroites gorges de la Valloirette, une chute de 134 m (qui sera portée à 650 m en 1905).

En 1891, Henri Gall démarre à Prémont, sur la commune d'Ozelle à 5 km en amont de Saint-Michel, une usine de fabri­cation de chlorate, puis d'aluminium, en captant l'Arc 69 m plus haut, puis, en 1907, il construit une usine d'aluminium à Saint-Avre-Ia-Chambre.

1893 : la Société française d'électrométallurgie (S.F.E.M.) confie à Paul Héroult la construction de l'usine d'aluminium de La Praz, à mi-chemin entre Modane et Saint-Michel; celle­ci ést alimentée sous 80 m de hauteur de chute par une conduite en tôle de 2,50 m de diamètre environ, qui est construite en rive droite de l'Arc et traverse la rivière pour atteindre l'usine en rive gauche, et cette traversée a une histoire.

À cet aplomb, la conduite présentait sur une vingtaine de mètres de longueur et dans un plan vertical la forme d'un arceau. Elle était donc autoporteuse sans aucune charpente support (cette portion de conduite a été conservée et on peut encore l'admirer aujourd'hui) (fig. 1).

Comme c'était là une première technique, beaucoup ne man­quèrent pas de prédire à Héroult que c'était une folie et que tout sauterait quand on mettrait la conduite en eau. Fort de l'exactitude de ses calculs, Héroult fit installer une plate-forme à la partie supérieure de l'arceau, y fit placer une table et des chaises, s'y fit servir le thé, à lui-même et à sa famille, et commanda la mise en eau... , qui se fit sans incident!

En 1897, Alfred Rangot (alias Péchiney, du nom de son beau­père) rachetait Calypso aux frères Bernard, en vue d'exploiter le brevet américain, et équipait en aval la chute de Saint-Félix sur l'Arc de 18 mde haut. En 1907, il fondait l'usine de Saint­Jean-de-Maurienne, tandis qu'Héroult montait celle de la Saussaz à Saint-Michel-sur-l'Arc avec 80 m de chute.

Il est à noter que si, pour des raisons techniques logiques pour l'époque, ces usines étaient installées à proximité de lieux de production du kilowatt, il faut aussi rendre hommage à toutes les municipalités de la fin du XIX' siècle et du début du XX' siècle qui ont imposé, souvent avec beaucoup de persévé­rance, aux promoteurs venus installer les chutes d'eau, l'obli­gation d'utiliser sur place une partie de l'énergie produite. C'était assurer aux collectivités locales de.ces régions de monta' gne une source de revenus appréciables, ainsi qu'un salaire à la population laborieuse vivant pauvrement jusque-là.

Cela n'empêcha pas, par la suite, les réactions des agriculteurs locaux, exigeant des compensations pour les dommages que les

(10)

Louis Chabert: Les Grandes AlPes industrielles de Savoie (1978).

(li)

Louis Chabert: L'électrochimie et l'électrométallurgie en Savoie de 1890 à 1977 (L'histoire en Savoie -mars 1977).

(12)

Louis Chabert: Les nouvelles orientations industritilles des grandes A'lpes de Savoie (Revue de GéograPhie alPine -1975).

fumées d'usines causaient au bétail par la pollution des herbages. De même, les vignerons (nombreux à cette époque), groupés en syndicat de défense (déjà !), obtinrent chaque année, après visite contradictoire des experts désignés par cha­que partie, un dédommagement en argent pour les pertes de récolte dues aux fumées fluorées des usines d'aluminium.

À noter à ce sujet que, bien plus tard, quand les fours électri­ques des Aciéries du Temple eurent l'occasion de se révéler à l'environnement par l'émission cyclique de lourdes fumées rousses d'oxyde de fer, il fallut en prouver.la non-nocivité! Le test en était la renommée du cru d'un vignoble, situé sur les coteaux plein sud, à l'est du château de Vigny et limité au droit de la ville dite de M. Renaud-Sette. M. Gris, chef du personnel de l'usine du Temple, était alors responsable de ce revenu et fier d'en partager la dégustation avec quelques favorisés.

3 -Les carbures de calcium et les ferro-siliciums, premières fabrications de l'usine du Temple

Louis Renault avait donc trente ans en 1907 quand déjà plu­sieurs usines importantes étaient installées ou en cours d'instal­lation en Maurienne et trente-neuf ans en 1916, année où, pour la première fois, on voit apparaître officiellement son nom dans une affaire concernant cette vallée.

Entre-temps, par son activité prodigieuse et son esprit fertile et entreprenant, il avait déjà créé l' "Empire de Billancourt" aux multiples facettes. Nous ne savons pas quand, au milieu de tout cela, il a pu commencer à s'intéresser à l'utilisation in situ de l'énergie hydroélectrique; il est probable que, alors qu'il pensait déjà à fabriquer par ses propres moyens le maximum de ce qui pouvait concourir à la fabrication des voitures, camions, tracteurs et matériels d'armement, il se tenait informé et ceci bien avant sa décision définitive.

Dans cette période précédant la guerre de 1914-1918, l'essen­tiel des possibilités de " basse chute", c'est-à-dire les plus faciles, sur la rivière Arc, entre Modane et Épierre, avaient donc déjà été utilisées, mais il restait encore beaucoup de possi­bilités d'installation" haute chute" sur les torrents adjacents, auxquelles il était encore possible de s'intéresser avant que d'autres ne le fassent.

C'est ainsi que, en 1907, une association en partiCipation est conclue entre un M. Berthelot, industriel à Gua (Isère), et une Mme Brun-Garnier, dans le but d'acquérir des terrains et des droits de riveraineté nécessaires à l'édification d'une chute sur la Neuvache.

La Neuvache est un affluent de la rive gauche de l'Arc, dont le bassin versant, de 50 km2 environ, culmine au mont Thabor à 3 181 m d'altitude et qui reçoit, à l'est, les eaux du massif de la Roche Noire (3 085 m) et du Gros Crey (2 599 m) et, à l'ouest, celles du massif de la Roche-Château (2 902 m) et du Crey du Quart (2 535 m).

En août 1912, M. Berthelot estime qu'il n'a plus le temps de s'occuper de ce projet" Neuvache " et cède sa participation

Septembre 1919

à M. Delamarche, industriel à Grenoble, et à M. Bertoye, ingénieur.

Le 30 novembre 1916, une autre association en participation était creee entre MM. Delamarche, Bertoye, Ducrest, ingénieur-conseil et Louis Renault, association qui se proposait l'aménagement de la Neuvache par la création de deux chutes, l'une inférieure, l'autre supérieure. Une étude, datée de novembre 1916, prévoyait en effet (afin d'avoir de l'eau à tur­biner en hiver) de construire, en plus du barrage de la prise d'eau de Valmeinier, un ouvrage beaucoup plus important, situé à 2 000 m d'altitude au Plan du Fond. (Ce barrage qui aurait eu 34 m de haut et une retenue de 2 700 000 m3 ne fut jamais construit, sans doute à cause de la somme fort impor­tante qu'il aurait coûtée. Cependant, c'est à cet emplacement que l'E.D.F. est aujourd'hui en train de capter l'eau de la Neuvache pour la stocker dans le réservoir de Super-Bissorte, en cours d'aménagement.)

La participation de Louis Renault s'élevait à 237 000 F. Aux termes des articles 8 et 9 du règlement, les associés s'enga­geaient à vendre à M. Renault les deux chutes pour le prix de 1 000 000 F. La promesse de vente restait valable jusqu'au pre­mier anniversaire du décret mettant fin à l'état de guerre qui existait alors (13).

Il existe une photographie, datant sans doute de 1916 et qui avait été donnée par M. Serre à M. Eugène de Sèze. Elle repré­sente M. Renault, avec MM. Hugé, Guillelmon et Serre, cam­pés au bord d'un à-pic dominant Saint-Michel, quelque part près de la route menant à Valloire, et qui contemplent le paysage. M. Serre indiquait qu'il s'agissait là de la première reconnaissance du terrain par M. Renault.

Les travaux furent commencés en 1917 et consistèrent en l'éta­blissement d'un petit barrage en maçonnerie à 1 488 m d'alti­tude en amont du village de Valmeinier (fig. 3), d'une

(13) Jean Grémeaux : Rapport de gestion de l'année 1946 des Aciéries de Saint-Michel-de­

Maurienne.

conduite d'amenée en béton armé serpentant sur une ligne de niveau de 1 700 m de longueur (fig. 4), d'une conduite forcée de 2,3 km de longueur (fig. 6) pour une dénivelée de 730 m et d'une centrale comprenant deux groupes composés chacun d'une roue Pelton, construite par Piccard et Pictet et Cie, de Genève, accouplée à un alternateur de 2 750 kVA de la Société alsacienne de constructions mécaniques de Belfort (fig. 5).

Fig. 4

Septembre 1919 : la conduite en ciment dans sa partie enterrée. (photo archives G. Hatry).

Dès 1916, M. Renault avait fait acheter, par des intermé­diaires, des terrains au lieu-dit" Le Temple", dont il est parlé plus haut. Il est à noter que, mis à part la très ancienne ferme du Temple, ces terrains étaient alors non bâtis et soit boisés, soit utilisés à usage de champs et de jardins. En effet, ils se trouvaient sur les cônes de déjection des torrents du Vigny aux crues parfois méchantes. Mais de gros travaux d'aménagement de ces torrents avaient été projetés et furent par la suite exécu­tés (barrages de maçonnerie en gradins, reboisement des ber­ges...) suivant les directives de Paul Mougin, à l'époque inspec­teur des Eaux et Forêts, chef de section à la Direction Géné­rale, et dont on peut voir aujourd'hui le buste en bronze dans une petite prairie dominant Saint-Michel, en bordure de la route de Valloire peu avant le col du Télégraphe.

Il y avait donc beaucoup moins de risques à édifier quelque chose sur ces terrains et Louis Renault avait su en saisir à temps l'opportunité.

Il est à noter que l'achat des terrains nécessaires, aussi bien à l'implantation de la conduite qu'à celle de l'usine elle-même, n'avait pas dû être sans problème pour le notaire qui en fut chargé! En effet, bien que la coutume savoyarde voulait que ce soit l'aîné seul qui hérite des biens fonciers, il n'est qu'à obser­ver les anciennes mapes sardes (l'équivalent de notre cadastre) pour voir l'invraisemblable morcellement des terrains. Et puis, on ne vend pas ainsi à la légère le patrimoine, surtout à des " étrangers " !

Toujours est-il que certains propriétaires, des personnes âgées sans doute, ou émigrées vers la ville, acceptèrent bien de ven­dre, mais à condition de tout vendre, et c'est ainsi que les Usines du Temple se trouvent encore propriétaires de parcelles souvent minuscules et dispersées aux quatre coins du canton, mais surtout sur le versant envers. Il n'est pas rare, en se pro­menant dans la montagne, de rencontrer, en des endroits fort reculés ou insolites, des bornes en ciment marquées " LR ". Tous les actes relatifs à l'acquisition des terrains, aux droits de riveraineté et d'usage des eaux sur les parcelles du torrent de la Neuvache, actes qui existent encore dans les archives de la R.N.U.R., furent passés chez Me Buttin, notaire à Saint­Michel; M. Jules Jouen, ingénieur, agissait en qualité de man­dataire de M. et Mme Louis Renault. Leurs régularisations durent vraisemblablement poser des problèmes, car ils sont datés seulement de 1920 à 1924. Les noms des cédants sont bien du coin : on y relève des Albrieux, Assier, Baudin,

Fig. 5

Vue prise le 23 septembre 1919 depuis le hameau des Combes. On reconnaît en bas à droite les tranchées dans lesquelles la conduite est en cours de pose. En l, le bâtiment de la centrale. -En II, l'usine dont les halls de stockage sont en cours de construction et, en bordure de la nationale 6, le bâtiment administratif. On aperçoit, dépourvu de végétation, le cône de déjection dans lequel serpente le torrent du Vigny (photo archives G. Hatry).

Bertrand, David, Excoffier, Ferrier, Four, Gros, Jouet, Magnin, Marcellin, Rochet, Salomon, Thomasset, Troccaz.

En 1918, Louis Renault faisait commencer la construction d'un atelier pour la fabrication du carbure de calcium et du ferro-silicium, avec l'intention d'y installer éventuellement aussi une fabrication d'aluminium (fig. 2). Il prévoyait en effet

d'importants emplois de ce métal dans la construction automo­bile et il voulait s'affranchir de la tutelle des producteurs d'alu­minium en fabriquant lui-même ce métal à Saint-Michel. Il y avait déjà, semble-t-il, début d'un monopole, et rapidement, et ceci bien avant les nationalisations récentes, les différents producteurs furent progressivement absorbés par la compagnie Alais, Froges et Camargue (A.F.C., devenue ensuite compa­gnie Péchiney) et par la Société d'électrochimie, d'électromé­tallurgie et des aClenes électriques d'Ugine

(S.E.C.E.M.A.E.U.), ces deux maisons ayant créé un comptoir commun de vente, l'Aluminium français, qui leur donnait un monopole de fait pour la fabrication et la vente de l'aluminium en France.

Pour alimenter l'usine en minerais, Louis Renault avait acquis à la même époque un gisement de bauxite à Brignoles (Var). Des groupes convertisseurs, destinés à produire le courant continu à basse tension nécessaire à l'électrolyse des produits issus des traitements chimiques appropriés de la bauxite, minerai riche en alumine, furent même achetés à l'usine de Froges. Toutefois, ces projets n'eurent pas de suite, car l'Alu­minium français consentit à M. Renault une remise substan­tielle qui, en 1932, était de 2 F par kilogramme de lingot de fonderie sur un prix de vente officiel de 9 F.

Nous avons retrouvé, à Billancourt, un énorme dossier relatif aux travaux de construction de cette usine: MM. Bertoye et Delamarche, dont il est fait mention plus haut, avaient fondé en 1917 une entreprise de travaux publics, la Société civile immobilière des chutes de la Neuvache, dont le siège social était au domicile de M. Delamarche, 10, rue du Docteur­Mazet à Grenoble, et à qui Louis Renault passa commande pour une première tranche de travaux qui fut exécutée de août 1917 au 31 janvier 1919. Cette tranche concernait la prise

Fig. 6

Septembre 1919 :

la conduite forcée à l'arrivée à la centrale.

(photo archives G. Hatry)

Fig. 2

25 janvier 1919 : l'atelier des carbures de calcium va sortir de terre. (photo archives G. Hatry).

d'eau, la conduite de ciment, la cheminée d'équilibre, la conduite forcée, le bâtiment de l'usine génératrice, le canal de fuite et le bâtiment administratif de Saint-Michel. Elle coûta 1 070 060,80 F plus 85 604,85 F (8 % d'honoraires à la S.C.LC.N.). Mais les délais n'avaient pas été tenus et la dépense se révéla supérieure aux prévisions. Aussi, pour la seconde tranche de travaux restant, Louis Renault passa commande pour un forfait de 650 000 F. S'il Y avait dépasse­ment, ce serait à la charge de l'entreprise de MM. Bertoye et Delamarche.

Cette deuxième tranche dura du 1ec février 1919 à janvier 1920. Elle coûta 773 331,08 F, ce qui fit l'objet d'un contentieux, car Louis Renault refusa de verser un centime de plus que prévu, d'autant plus qu'il y eut des malfaçons (notamment des fuites sur la conduite forcée et l'éclatement de la conduite de ciment) (fig. 7). Il s'ensuivit un long procès. Finalement, il se termina par un semi-compromis et Louis Renault dut payer 50 000 F à MM. Bertoye et Delamarche.

À noter que les deux alternateurs coûtèrent 227 578,00 F, les deux turbines 97 011 ,35 francs suisses, soit 424 843,90 francs français et que la construction et l'aménagement de l'usine du Temple elle-même avaient coûté, au 31 décembre 1919, 3 600 000 F environ. L'embranchement avec le P.L.M. fut réalisé au printemps 1920 pour 66 384,40 F.

L'usine du Temple, ainsi créée, avait une gestion indépen­dante de celle de la Société anonyme des usines Renault. C'était une propriété personnelle de M. Louis Renault. Il la dirigeait en principe lui-même, en fait par l'intermédiaire de

M. Georges Renault-Seitte, directeur.

Le chef d'atelier, chargé de la production, était M. Bard.

L'atelier comprenait, à l'origine, un embranchement avec le P.L.M., des bâtiments de 40 X 55 m en trois halls pour la fabri­cation (silos, hall de chargement, trois fours à carbure Lambert et hall de coulée) et un hall de 24,60 m perpendicu­laire aux précédents pour le broyage, la mise en fûts et le stockage du carbure avant expédition.

Ces fours étaient des fours carrés avec des électrodes en car­bone amorphe à montage individuel et à réglage manuel. Les manutentions se faisaient à la pelle, à la brouette ou au wagon­net depuis le wagon qui amenait le coke sur le camion qui ame­nait la chaux jusqu'à proximité des fours. La chaux était pro­duite à quelques centaines de mètres de là aux carrières du pas du Roc, dans des fours à chaux chauffés au charbon des mines de la Saussaz à 2 km en amont.

La conduite de chaque four était assurée par cinq hommes pour chaque équipe de huit heures.

L'atelier avait un fonctionnement saisonnier, pratiquement d'avril à octobre. En effet, la fabrication du carbure de cal­cium n'est rentable qu'avec un courant très bon marché, donc avec le courant produit par les centrales dépendant de l'usine. Or, la production des centrales est fonction du débit d'eau lequel varie considérablement suivant les saisons (20 fois plus en plein été qu'en janvier, car il n'y avait pas de barrage avec retenue).

Fig. 7

Avril 1920 : la conduite d'amenée en ciment a cédé! (photo archives G. Hatry)

Ces usines dites" au fil de l'eau" se remettaient parfois en route et en production normale lorsqu'une période pluvieuse passagère était annoncée par la météo de l'époque, avec qui le chef de fabrication avait la charge de maintenir un contact permanent.

Une partie de la main-d'œuvre était nord-africaine et rentrait au pays pendant l'hiver. Cependant la majorité du personnel était (comme ce sera encore le cas par la suite et pendant long­temps) de la main-d'œuvre locale, habitant le plus souvent dans les" villages ", c'est-à-dire à une altitude supérieure de 700 à 800 m à celle de l'usine. Si aujourd'hui des transports col­lectifs réguliers font le ramassage du personnel entre ces villa­ges et Saint-Michel, et ceci quelles que soient les conditions cli­matiques (les chasse-neige déblaient les routes le cas échéant avant 6 heures du matin), ce ne fut pas toujours le cas.

Généralement, ces ouvriers faisaient leur poste de huit heures au Temple et travaillaient leur terre, après avoir fait, à pied, le trajet aller et retour! pour ceux qui pouvaient se trouver en chômage technique en hiver, cela ne pouvait que constituer une juste compensation d'un épuisant été.

On cite le cas de certains, de Valmeinier entre autres, qui continuaient à vivre chichement de leurs maigres ressources agricoles ou sylvestres traditionnelles et qui plaçaient intégrale­ment l'argent gagné à l'usine. (À noter qu'à Valloire, depuis fort longtemps, étaient affichés tous les jours au tableau de la mairie... les cours de la Bourse !).

Des services de cars de ramassage des ouvriers ne furent orga­

nisés pour Valmeinier, Le Thyl, Beaune, Saint-Martin-de­

la-Porte, Saint-Julien, que progressivement et postérieurement

à 1936.

En 1926, il fut décidé d'augmenter les installations et on

procéda aux aménagements suivants :

a) du point de vue de la production d'énergie

-remplacement de la conduite d'amenée en béton armé par

une conduite en tôle de 1 250 mm de diamètre, installée sur un

ballast à l'aide de berceaux reposant sur des traverses en bois

(les différentes sections de cette conduite étaient reliées entre

elles par des brides boulonnées et de place en place par des

joints Gibaud donnant une certaine élasticité à l'ensemble pour

compenser les effets des variations de pression ou de tempéra­

ture, ou même, dans une certaine limite, de mouvement de

terrain) ;

-doublement de l'ancienne conduite forcée de 570 mm de

diamètre par une seconde, plus grosse, de 750 mm,

-agrandissement de la centrale de la Neuvache par le mon­

tage de trois groupes identiques aux précédents, sauf en ce qui

concerne les organes de régulation des turbines d'un modèle

plus récent.

b) du point de vue de l'exploitation:

-allongement de 25 m des trois halls de fabrication et

montage de trois nouveaux fours Lambert de 1 000 k V A,

-triplement de la surface de stockage par la construction de deux nouveaux halls de 24 X 60 m (fig. 8, 9 et 10).

Fig. 9

Les fours à carbure: plate-forme de chargement. (photo archives MT)

Fig. 8

Vue générale de l'usine en 1925. (photo archives M. Roux)

Fig. 10

1926 : les fours à carbure, hall de coulée (photo archives MT).

Cet atelier fonctionna jusqu'en 1945 et, à cette époque, le matériel en service était d'un type déjà ancien et obsolète ; il aurait fallu, pour retrouver une rentabilité valable, investir une somme trop importante et incompatible avec les possibili­tés financières du moment, la priorité étant alors donnée à la remise en état de la sidérurgie, objet du chapitre suivant.

À l'arrêt de ces fours, et comme il fallait continuer à livrer à Billancourt du carbure pour la soudure au chalumeau, un accord fut établi avec la Société électrométallurgique de Montricher.

Cette société, voisine de quelques kilomètres en aval, était, elle, équipée de fours Miguet· Perron (deux de 500 k V A et trois de 2 000 kVA), fours de réputation mondiale et conçus par ces deux ingénieurs de talent, Miguet et son gendre Perron, alors directeur de cette usine de Montricher.

Du fait de l'accord en question, Saint·Michel assurait à Montricher l'approvisionnement en courant et en coke, par rétrocession de ses contingents, et en chaux par des fournitures de chaux traitées directement par le service achat de l'usine. Montricher facturait à Saint-Michel les frais de transformation décomptés en retranchant de la valeur du carbure la valeur de la chaux et du coke fournis et payés directement aux fournis­seurs. À titre d'information, le carbure valait, en 1945,5 670 F la tonne sur wagon départ, s'il était pour produits chimiques, et 7 575 F la tonne franco, s'il était destiné à la soudure ou à l'éclairage.

Au sujet de cette affaire de carbure, une anecdote se situant pendant l'hiver 1946-1947. M. Miguet, déjà fort âgé, était à la fois un personnage très connu dans le monde de l'électrochimie et une forte personnalité locale, ce que j'ignorais, car arrivé depuis peu de mois en Maurienne. Je me rendais ce jour-là à Chambéry, au volant du fourgon 1 000 kg de l'usine, fourgon à tout faire et qui était même décoré de grandes croix rouges. La route, enneigée, n'avait pas alors l'avantage de connaître l'épandage de sel et fort rarement un chasse·neige déblayait sommairement, '<le sorte qu'il fallait louvoyer au travers d'ornières glacées. Je venais de doubler un vélomoteur, quand un de mes compagnons de route, regardant par la vitre arrière, s'aperçut que le vélomoteur et son passager étaient par terre au milieu de la route. On se précipite et on relève un vieux mon· sieur, tout emmitouflé dans une grosse canadienne, un peu fri­pée et déchirée du fait de la chute. Apparemment, plus de peur que de mal. Je lui demande quand même s'il voulait que je l'emmène chez un docteur. -" Non, chez moi. " -" Mais

où habitez-vous? " -" Mais je suis Miguet !" ...et je ne savais pas qui était Miguet et à plus forte raison où il habitait! Alors, il entra dans une grande fureur, non pas pour avoir été ren­versé mais parce que j'ignorais l'existence d'une personne aussi connue que lui. Tout était arrangé le soir, quand au retour de Chambéry je passai chez lui prendre de ses nouvelles. Il ne se ressentait plus de rien, si ce n'est qu'il était fort marri du fait que sa belle canadienne fourrée fût tout abîmée. Il faut dire qu'en 1946 posséder un tel vêtement n'était pas évident.

(à suivre)

Michel ROUX