01 - Sur un anniversaire

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Sur un anniversaire

Voilà donc dix ans que la Section d'Histoire a été fondée. Dix années au cours desquelles son audience s'est régulièrement affirmée, non seulement à l'intérieur du groupe Renault, ce qui était notre ambition, mais également à l'extérieur, péné­trant dans des milieux que nous n'avions pas spécialement eu projet d'atteindre, les fervents de la marque, les cercles de chercheurs, d'universitaires, de simples curieux.

Quand nous mesurons le chemin parcouru, nous pensons rétrospectivement qu'il nous a fallu du courage certes, mais aussi beaucoup de naïveté 1

Ne bénéficiant alors que de l'appui, plus moral que matériel, du CAMTEUR, et de l'aide d'un groupe très restreint d'amis, il nous a fallu surmonter bien des obstacles et celui, essentiel entre tous, qui ne pardonne rien aux jeunes entreprises : la pénurie de moyens financiers.

L'édition de chaque numéro de notre revue semestrielle posait régulièrement le même lancinant problème. Peu à peu cepen­dant, grâce à un développement de nos activités, notre déficit chronique s'est progressivement résorbé. Après dix années d'efforts, si nos conditions de vie restent malgré tout précaires, elles ne mettent cependant plus notre existence en péril.

Une longue route

Donc beaucoup de courage et de volonté pour entreprendre, mais aussi combien de naïveté 1

Lorsque, en décembre 1970, nous avions convié nos amis à un premier rendez-vous, nous n'avions pas craint d'esquisser à grands traits, d'une façon péremptoire, ce que nous entendions faire : étudier les conditions dans lesquelles notre entreprise s'était formée, comment elle s'était développée, quels obstacles elle avait dû surmonter, et quels avaient été ses apports techno­logiques et sociaux.

Pour les néophytes que nous étions,l'approche de ces différents thèmes ne semblait pas soulever une quelconque difficulté : l'histoire de Renault se présentait à nous comme une suite logi­que d'événements dont la relation, que nous voulions objective, suffisait à l'éclairage de notre sujet. Quelques livres lus attenti­vement, quelques journaux parcourus. hâtivement, quelques papiers sortis de l'ombre et les archives photographiques de la Régie nous semblaient des sources suffisantes.

Mais nos propres exigences comme celles de nos amis, les ami­cales remarques de quelques universitaires intéressés à notre travail, nous incitèrent à approfondir notre réflexion et à défi­nir notre méthode d'approche. Et nous pouvons dire qu'aujourd'hui notre route n'est plus obscurcie par le brouil­lard de nos matins passés et qu'elle déroule, loin à l'horizon, le long ruban sur lequel nous marchons d'un pas plus assuré.

Pourquoi l'Histoire ?

L'Histoire, c'est la reçherche de ce que nous sommes aujourd'hui, hommes et sociétés. Notre mémoire peut restituer notre vécu et elle peut, parfois, aller plus avant en recueillant

la mémoire de ceux qui nous ont précédés. Nous prenons alors conscience de notre enracinement, de l'héritage que nous avons à assumer.

Le vernissage de l'exposition, organisée par la Section d'HistQire a eu lieu If lundi 10 décembre en présence de nombreuses personnalités. On reconnaît sur la photo ci-dessous M. Georges GORSE, Député-Maire de Boulogne et à sa ruoitf

M. MAILFAIT, Sous-Préfet de Boulogne et M. GRAZIANI, Maire-Adjoint el Conseiller Général.

Pour l'individu ce sera la découverte du père. Mais l'individu, s'il contribue, par ses idées, par son travail, par sa participa­tion, au devenir de la société dans laquelle il naît, vit et meurt, ne fait pas l'Histoire : seules quelques rares personnalités, César ou Napoléon, et plus près de nous le général de Gaulle, peuvent, un instant, influer sur le cours des choses.

C'est le groupe, la collectivité qui font l'Histoire, confluences diverses et multiples: les expériences s'accumulent, qui vont permettre à un savoir-faire de se développer, de s'affirmer, à une culture collective de naître et s'épanouir par de multiples mutations. Un patrimoine se crée alors et se transmet d'abord par nécessité, ensuite par tradition.

Chaque entité sera touchée, qu'il s'agisse d'un pays, d'une région, d'une entreprise ou d'un corps de métier.

Ainsi, le rôle de l'historien sera d'examiner, de comprendre, de décrire, d'expliquer tous les domaines qui interviennent, s'interpénètrent ou se dissolvent. Son territoire ne connaîtra plus de frontières, ni ses méthodes de limites.

Et pourquoi Renault ?

Les études d'entreprises ont longtemps été négligées. Peut-être parce que l'industrialisation a été reléguée au rang d'une honte. Les descriptions d'ateliers, des conditions de travail des enfants et des femmes, notamment celles de Villermé au sièCle dernier, ont contribué à rejeter, mines, fabriques et usines dans un ghetto. L'enseignement développe depuis des décen­nies ce paradoxe: la guerre des Gaules est largement commen­tée, alors que la machine à vapeur, qui marque le début de la révolution industrielle, reste mal connue de notre civilisation moderne.

Or, le phénomène industriel est un phénomène culturel au même titre que les Arts, les Lettres ou les Sciences. L'étude de ses avancées comme de ses reculs, de ses implications économi­ques, sociales ou politiques, de la formation de ses élites, revêt une extrême importance. Elle permet, à une époque où le savoir-faire tend à disparaître au bénéfice du laisser-faire de la machine, de réduire l'aliél.lation de l'homme à la machine et, par une réappropriation du passé, de développer l'innovation et la créativité.

Et Renault dans toute cette affaire ? Mais-Renault est juste­ment un produit du phénomène industriel du XIX· siècle. Il constitue à la fois une mémoire, une culture, un savoir-faire.

La Régie que nous connaissons aujourd'hui n'est pas issue d'une génération spontanée. Elle est héritière d'un long passé dont l'aube se situe en un jour de septembre 1898, quand un jeune homme forgeait dans une resserre sa première voiture.

Négliger l'étude de la vie de Louis Renault, comme celle de la naissance de l'automobile, oublier l'effort de l'homme, comme le rôle de l'automobile dans la société du XX· siècle, ne permet pas de donner une réponse satisfaisante et intéressante aux pre­mières années de l'Entreprise, sans compter que l'expansion des premières décennies a été décuplée par la Première Guerre mondiale. Le formidable outil que Louis Renault a construit alors lui a permis d'aborder la troisième décennie du siècle dans des conditions bien meilleures que celles de ses concur­rents.

De la même façon, on ne peut nier l'apport de Pierre Lefaucheux dans la création de la Régie. Le contexte particu­lier de l'époque, son consensus social spécifique ont certes contribué à surmonter maintes difficultés; mais, sans Pierre Lefaucheux, qui peut dire que la grande rupture de 1947 n'eût pas mis un terme à l'expérience ?

Une étude aux multiples facettes

Étudier l'histoire de Renault, c'est donc procéder à de multi­ples recherches, couvrant un immense espace à la fois économi­que, industriel, technique et social.

Avec l'économique, nous pouvons découvrir les raisons de la bonne tenue financière de l'Entreprise, malgré les aléas d'une conjoncture caractérisée par une instabilité chronique. L'auto­financement constituant la plus grande partie de ses investisse­ments, l'Entreprise a pu conserver son indépendance vis-à-vis de tous, même si les avances des banques ou de l'État ont donné, à certains moments, un peu d'oxygène à sa trésorerie.

Ici, M. Georges GORSE en converSation avec M..EELSEN représentant

M. VERNIER-PALLIEZ.

M. René HOUDART, Directeur Central du Personnel et des Rela­tions Sociales examine une maquette de moteur d'avion réa­lisée par des élèves de l'école d'apprentissage. On reconnaît de gauche à droite, Claude LE MAITRE, Lucien BOUCHAUDON, Jacques FILLETTE et Gilbert HATRY.

Louis Renault, en son temps, a eu recours aux banques, mal­gré ce que certains de ses biographes ont pu écrire. Il a bénéfi­cié, comme d'autres il est vrai, des àvances de l'État, à l'occa­sion des passations de marchés de guerre ou aussi, indirecte­ment, des primes versées par l'Administration, lors d'achats de voitures, de tracteurs agricoles ou d'avions de tourisme. Mais ce qui a surtout compté ce sont les bénéfices accumulés en rai­son de la bonne tenue du marché, mais aussi grâce à la qualité des fabrications Renault. Louis Renault, qui peut-être, ne croyait guère à une grande diffusion de l'automobile, a élevé la diversification de sa production à un haut degré. Actuelle­ment, la Régie suit une voie qui n'est pas tellement éloignée, ses efforts portant cependant davantage sur une extension de la gamme, et sur la qualité sans cesse accrue de ses modèles.

L'étude de l'espace industriel nous fera découvrir les moyens qui ont été mis en œuvre. Deux conceptions ont dominé l'his­toire de l'Entreprise. Celle de Louis Renault, qui s'efforça de réaliser l'intégration verticale, de la matière brute au produit fabriqué. A cette époque, Renault est à la fois mineur, sidérur­giste, aciériste, pensant réduire le prix de revient. La concep­tion de Pierre Lefaucheux sera toute autre. Il visera beaucoup plus la concentration horizontale, laissant à d'autres le soin d'investir dans la recherche et la transformation de matières premières. Cette politique, rigoureusement appliquée, a permis

le succès de la 4 CV. Bien entendu, aujourd'hui, les problèmes on changé de dimension et la stratégie de l'Entreprise, toute orientée vers la mondialisation de Renault, n'est que la prise de conscience de la réalité de l'automobile de demain.

Et l'espace technique? Toute l'histoire de Renault est marquée par l'invention et l'innovation. La première voiture de Louis Renault était caractérisée par une invention: la prise directe ; et si, peut-être abusivement, on a pu attribuer à Louis Renault la paternité de plus de six cents brevets, il n'en demeure pas moins que leur nombre, comme leur objet, sont la preuve d'un effort remarquable de créativité. Les apports technologiques de la Régie, des machines-transferts aux machines à com­mande numérique et à la robotique, ne font que perpétuer la tradition.

Enfin le social! Renault détonateur, Renault usine-pilote, Renault forteresse ouvrière! Que de qualificatifs qui démon­trent que Renault, hier comme aujourd'hui, a bien des regards fixés sur lui. Délégués ouvriers en 1917, œuvres sociales, accords d'Entreprise, actionnariat, conditions de travail, enri­chissement des tâches, que de sujets à aborder. Et s'il est diffi­cile de parler d'un mouvement ouvrier spécifique à Renault, il est par contre certain que l'action ouvrière dans l'entreprise, sous des formes diverses, s'est toujours manifestée et que parfois elle a eu un retentissement sur le plan national.

Que se soit l'économique, l'industriel, le technique ou le social, ces différents aspects ne sauraient cependant être considérés isolément. Eux aussi s'interpénètrent. Une grève, par exemple, par le coup qu'elle porte à la production, a des répercussions immédiates sur l'équilibre économique de l'Entreprise, et peut remettre en cause des projets d'étude ou des mesures sociales.

Un mauvais produit peut être lui aussi un facteur perturbant, comme une mauvaise campagne de promotion, comme un comportement humain blâmable.

Ainsi donc, écrire l'histoire de Renault, comme celle de toute entreprise, nécessite une somme de connaissances, une somme de savoir.

Une somme de savoir

Avoir accès à cette somme de connaissances et de savoir, tel est l'objectif que tout chercheur se propose. C'est à partir d'elle qu'il pourra procéder à des analyses, à des synthèses pour cer­ner son sujet.

Mais où en trouver les sources? Ah ! s'il s'agissait d'une ville, d'un monument, la tâche serait moins lourde, mais une Entre­prise, dont la vocation n'est pas de produire des pièces d'archi­ves mais un objet de consommation!

Et encore pour Renault avons-nous de la chance. Des pièces ont pu être conservées et le fonds Renault des Archives Natio­nales recèle bien des richesses, sans parler de la mine iconogra­phique abritée dans les caves du bâtiment X.

Mais est-ce suffisant? Non, car nous sommes persuadés que d'autres trésors subsistent encore dans des fonds de placard, dans quelques recoins d'ateliers. Notre devoir impératif est de les inventorier, et surtout de prendre toutes les mesures conser­vatoires possibles pour éviter la dispersion ou même la des­truction.

Une autre richesse est encore inexploitée, celle que constitue la mémoire des hommes de l'Entreprise. Un grand constructeur américain en eut un jour conscience, et il eut l'idée de « faire parler » librement ses cadres. Chacun a raconté sa vie, dit ce qu'il savait de l'usine, dit aussi ce qu'il pensait des hommes, des méthodes. Des centaines de mètres de bandes magnétiques ont été ainsi enregistrées et mises à la disposition des chercheurs. Le jour où Henry Ford a pris cette heureuse initiative, il a cer­tes valorisé son Entreprise, mais aussi il a apporté sa contribu­tion au dossier de l'histoire de l'industrie automobile.

Pourquoi les hommes de Renault se tairaient-ils? Eux aussi ont bien des choses à dire, et ce sera un des rôles du Centre Histori­que Renault de leur en donner les moyens.

Et maintenant un Centre Historique Renault

Nous avons longuement mûri notre projet. Bientôt, les locaux de l'ancien bâtiment du CAMTEUR seront à notre entière dis­position. Qu'en ferons-nous? Qu'en ferez-vous? Il est d'ores et déjà acquis que nous ne ferons pas de ce centre une nécropole, une collection de plaques commémoratives.

Tout au contraire, nous voulons restituer une réalité oubliée en l'insérant dans notre présent. Ainsi, l'histoire de l'Entreprise sera liée à sa culture technique, et le technicien pourra s'ouvrir à l'histoire, et l'historien à la technique.

Nous nous efforcerons de montrer le processus d'élaboration d'un produit, de l'étude initiale à la fabrication, le plus souvent en grande série, et ses implications économiques et sociales. Plutôt que de proposer l'érudition, nous nous efforcerons d'offrir la connaissance. Ce centre ne sera donc pas une vision nostalgique du passé, mais une réflexion active sur l'industria­lisation, la technique et leurs leçons.

Une telle ambition nécessite des visiteurs actifs et non passifs. Actifs, car leur passage doit laisser une trace, une idée, un dos­sier, un texte ou encore un engagement de collaboration.

Le centre sera également un lieu de documentation où curieux et chercheurs auront à leur disposition des matériaux qu'ils pourront consulter à loisirs. Et ceux pour qui le travail manuel comporte des attraits pourront, dans un atelier spécialement aménagé, rénover de vieilles voitures, construire des maquet­tes, tailler des costumes et donner ainsi libre cours à leur créati­vité.

Le Docteur BESANÇON tout nouveau centenaire, en conversa­tion avec Marcel RIFFARD, ancien Directeur des Études de Caudron Renault.

Des projets qui deviendront réalité

Certes notre projet de centre n'est dénué ni d'ambition, ni d'audace, d'autant qu'autour de lui d'autres activités conti­nuent à se développer. Notre revue semestrielle, qui s'améliore sans cesse grace à une équipe dévouée et efficace, poursuivra son chemin. Parallèlement, nous publierons, vraisemblable­ment en 1980, un premier recueil de souvenirs d'anciens: ainsi commencera à être connue cette mémoire collective qui revêt à nos yeux Une si grande importance. Enfin, le plan de publica­tion, que nous avons mis au point avec les Éditions Lafourcade, nous permettra de compléter chaque année la

bibliothèque Renault d'ouvrages nouveaux, qui constitueront à terme un véritable monument documentaire unique en son genre.

Le costume a aussi son histoire et notre amie Anne-Marie GILOT a reconstitué, pour nos visiteurs, la tenue d'un contremaître et celle d'une ouvrière des années 1920.

Un ensemble tour et fraiseuse réalisé par les apprentis de l'outillage central en 1934.

Pour franchir cette nouvelle étape qualitative, nous avons besoin de tous: de chercheurs, de peintres et de dessinateurs, de maquettistes et de photographes, de spécialistes de l'audio­visuel, d'outilleurs, de menuisiers, de décorateurs et d'une cohorte de volontaires.

Nous sommes persuadés que nous serons entendus. Les 500 visiteurs que nous avons reçus entre le 10 et le 15 décembre, au cours de l'exposition organisée pour notre xe anniversaire, nous ont dit leur satisfaction, ce qui nous conforte dans l'idée que nos projets, si ambitieux soient-ils, auront un aboutisse­ment.

Gilbert HATRY -Sylvie SCHWEITZER