07 - Hommage au Docteur Bezançon

========================================================================================================================

Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

========================================================================================================================

Hommage au Docteur Bezançon

Rendre hommage au docteur Bezançon, ce devrait pour moi être simple, cependant, devant mes hésitations, il" me semble l'entendre me dire : "Je vous ennuie encore, chère Mademoiselle 1 ".

Non, Docteur, vous ne m'ennuyez pas, mais ces temps-ci j'ai lu tellement d'articles parlant de vous que je ne sais trop comment m'y prendre. Vous êtes né à Boulogne le 13 novembre 1879. Vous vous y êtes endormi le 7 janvier 1983 ; car vous n'êtes pas mort. Vous êtes un immortel. Vous aimiez tant la vie et vous saviez si bien communiquer votre joie de vivre.

Mon plus lointain souvenir de vous remonte à 1935, j'avais cinq ans, petite élève de l'école Ferdinand-Buisson; vous aviez alors quarante-quatre ans, portiez la barbe blond très clair, je vous avais immédiatement confondu avec le Père Noël. Mes compagnes et moi étions candidates aux colonies de vacances et vous aviez mission de contrôler notre état de santé.

À cette époque-là j'ignorais que vous aviez participé à la guerre

de 1914, que vous aviez été blessé sur l'Ourcq.

Plus tard, quarante-deux ans plus tard, un soir de 1977 où nous bavardions ensemble dans votre bureau de l'avenue Jean·Baptiste·Clément, comme il nous arrivait souvent de le faire, vous avez abordé ce sujet et jovialement vous avez relaté la Grande Guerre en deux sourires éclatants, modestes : " Pensez donc, voilà qu'on me demande de partir avec mes hommes, à plusieures centaines de kilomètres, et à cheval... De Romilly·sur-Seine à Istres (Bouches-du-Rhône) soit 600 kilo­mètres. Je n'étais jamais monté sur le dos d'un cheval 1 Arrivés

à destination, tant bien que mal et plutôt mal que bien, je m'entends dire" ce n'est pas à l'Est que vous êtes attendus, mais... en Bretagne", et nous voilà repartis, toujours à cheval, je n'ai jamais tant eu mal aux fesses que pendant cette' guerre 1. .. ".

Comme vous aviez fait votre thèse sur le thorax des tubercu­leux, on vous nomma médecin-chef du sanatorium de La Côte­Saint-André dans l'Isère; entre autres choses, vous aviez à régler les dossiers des pensions des tuberculeux, et à cause de cela vous ne serez démobilisé qu'en juin 1919.

Vos journées étaient si bien remplies que, cette guerre, vous ne l'aviez pas vue venir; à l'occasion de votre centenaire, vous avez raconté qu'à la veille de la mobilisation générale le 1"' août 1914, vous aviez dit à votre chauffeur: " Vous avez entendu parler de ces bruits de guerre? Quelles bêtises, tout ça! ".

Il est vrai que vous aviez brûlé les étapes; passé tôt l'externat; marié à vingt-quatre ans; jeune papa, il vous fallut travailler rapidement; d'abord en collaboration avec votre père (méde­cin à Boulogne depuis 1862), puis succéder un an après à celui­ci dont la santé s'était altérée. Vous avez professé jusqu'en 1971, c'est-à-dire que pendant soixante-dix ans sans interrup­tion vous avez parcouru Boulogne et Billancourt, luttant contre la maladie. Qui pourrait dire combien de Boulonnais ont eu affaire à vous ? Pour beaucoup vous étiez plus que le médecin, vous étiez l'ami. Il y a peu de temps encore, un retraité me disait: " Vous vous rendez compte, il a soigné ma grand-mère ", avoir été soigné par vous, quel honneur! Pour l'anecdote, je me rappelle vous avoir répété qu'un jour, j'ai rencontré un grand musicien, très fier de me dire: " Moi? Si je connais le docteur Bezançon ? Mais c'est lui qui m'a mis au monde! ", vous avez bien ri car ce n'était pas vrai!

Avec votre femme, administrateur du bureau de bienfaisance comme on appelait à l'époque l'aide sociale, vous ouvrez un dispensaire au 13, rue Rieux. Il existe encore aujourd'hui. Voilà pour vous un vrai champ de bataille. C'est une entreprise familiale car, outre vous-même et votre femme, votre nièce Mme Lemaigre est trésorière de l'association qui gère le dispensaire.

Il Y aurait beaucoup à dire sur cet épisode de votre vie, nous en reparlerons.

Quelques années après l'ouverture de ce dispensaire, avec l'aide du baron Edmond de Rothschild, la ville de Boulogne achète à Sèvres un ancien orphelinat que vous transformez en préventorium. C'est le seul établissement de ce genre en France, cinquante enfants y sont constamment soignés tout en continuant leurs études. En 1929 vous pensez à son agrandisse­ment, c'est l'acquisition de la propriété voisine, " la Solitude" (10459 mètres carrés), qui double la superficie du domaine en y ajoutant un grand potager et un pavillon bien construit qui a servi d'isolement à l'entrée.

En avril 1936, vous participez à la fondation du musée munici­pal et déposez les statuts de la Société historique et artistique dont vous serez le président, l'animateur, l'âme jusqu'à votre dernier souffle. Tous les sociétaires sont vos amis; amoureux comme vous de leur ville, avec vous ils en fouillent le riche passé. Les conférences se succèdent, vous organisez des exposi­tions, vous promenez vos sociétaires dans les différents musées d'Île-de-France.

Vous conseillez toujours avec beaucoup de tact et de discrétion ceux et celles qui s'adressent à vous.

Vous adorez la musique et notamment Wagner. Vous n'écou­tez ni radio ni télévision, vous lisez, vous lisez beaucoup. Votre bibliothèque est riche et abondante, cependant on vous trouve fréquemment à la salle de lecture de la bibliothèque, en maIrIe.

Vous adorez les arbres, rien ne pourra vous empêcher de pein­dre des paysages aussi divers que pittoresques. Rares sont vos toiles où ne figure un arbre.

Vous êtes le pilier de votre famille, vous lui consacrez un maxi­mum de votre temps, et, en novembre 1979, celle-ci vous réserve une surprise qui fera pétiller vos yeux clairs quand vous en parlerez. Vous vous retrouvez rue des Beaux-Arts, chez votre belle-fille madame Bezançon, les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants sont là, ils ont eu l'idée magnifique de réunir toutes vos toiles en une formidable exposition. On fête ainsi en famille votre centième anniversaire.

C'est un événement auquel veulent participer tous les Boulon­nais. Le 13 novembre 1979, jour de votre centième anniver.­saire, dans le parc de Boulogne, vous plantez un chêne, puis dans les salons d'honneur de l'hôtel de ville vous répondez aux vœux du maire, M. Gorse, par un discours d'abord ému, puis plein d'assurance et de savoir. Vous retracez, avec humour et philosophie, cent années de vie boulonnaise. Le lundi suivant, un concert donné en votre honneur dans l'auditorium du centre culturel viendra clôturer ce peu banal centième anniversaire.

Vous êtes un centenaire bien particulier, très indépendant, n'admettant pas d'assistance permanente.

Votre vie est marquée par cette indépendance ; son reflet apparaît dans les délibérations du conseil municipal de Boulogne auquel vous appartenez en 1947 et pendant vingt­quatre ans.

Vous êtes bien trop modeste pour que nous parlions des décorations nombreuses que vous avez reçues.

Laissez-moi vous dire combien sont appréciés les articles que vous avez fait paraître sur le vieux Boulogne, les ouvrages aux­quels vous avez collaboré et dont chaque parution a été l'occa­sion de vous entendre les commenter avec toute la finesse, l'aisance du grand conférencier que vous étiez.

Je pourrais encore longuement bavarder avec vous, j'ai passé

sous silence tant d'événements marquants, mais il faut se dire

au revoir.

Carmen ALEXANDRE