05 - 46 ans au service de Renault

========================================================================================================================

Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

========================================================================================================================

46 ans au service de Renault

Marcel Amand

Je suis entré à l'usine après avoir quitté la banque. J'étais entré comme groom dans une banque de Paris en juillet 1927, j'avais douze ans et sept mois. J'y suis resté jusqu'en octobre 1932. J'ai été dans l'obligation de la quitter par suite d'un différend avec mon chef de service.

Le moment était mal choisi car c'était la crise. Une crise dure, avec un chômage important et j'ai dû frapper à toutes les portes possibles pour avoir du travail, car n'ayant ni père, ni mère, je devais à tout prix trouver ce qu'il fallait pour manger.

A la réparation

J'ai fait toutes sortes de bricoles entre octobre 1932 et février 1933, date de mon entrée à la Société Anonyme des Usines Renault. Il faut dire que Renault, pour moi, était un recours naturel. Mon grand-père y avait travaillé, ma mère aussi, à l'atelier 129 (tournage des bielles) et ma sœur était affectée au service 810, lié à l'atelier 1 (réparation des véhicules).

Il a été possible à ma sœur, après un certain temps, d'obtenir de son chef de service une lettre d'introduction pour le bureau d'embauche, qui était situé sur les quais de la Seine. J'ai été reçu par M. Loiseau. Après une visite médicale, j'ai été accepté comme employé aux écritures à salaire horaire ; à cette épo­que, en effet, tous les employés n'étaient pas payés au mois et, pour être pris comme mensuel, il fallait avoir un sérieux coup de piston.

On me donna un salaire horaire de 2,80 F plus une prime horaire de 0,70 F, facultative. Le patron (directeur ou chef de service) avait la possibilité de faire" sauter" cette prime pour un motif quelconque. Heureusement, cela ne m'est jamais arrivé.

Je suis donc entré dans le même bureau que ma sœur. J'ai eu la chance de trouver un chef de bureau sensationnel, M. Peligri, dont je garde encore aujourd'hui le meilleur souvenir. Il était amputé du bras droit à la suite d'un accident survenu alors qu'il avait treize ans. Il écrivait et dessinait d'une façon incroyable: ronde, gothique, bâtarde, ce qui me fascinait. Il m'a certainement pris en sympathie puisqu'il n'a cessé de m'encourager, m'obligeant même à suivre des cours du soir, français et comptabilité.

Au début, j'ai été chargé de faire les facturations internes, c'est-à-dire les débits imputables aux différents services ou ate­liers de l'usine, pour les véhicules appartenant à l'usine qui étaient réparés à l'atelier 1. Cela n'a pas été facile tout de suite, car je ne connaissais absolument rien à la mécanique, n'ayant jamais mis mes fesses devant un volant de voiture, confondant facilement un segment de frein avec un segment de piston.

Quelques mois passés à faire des débits usine et puis, un factu­rier client partant, M. Peligri m'a affecté à la facturation clien­tèle. Maintenant, il fallait faire attention car, si pour les débits usine on facturait plus de segments qu'il n'en fallait pour équi­per un moteur, il est certain que pour la clientèle il n'en allait pas de même. Il est vrai qu'on trouvait toujours le moyen de dire que c'était une erreur. Mais, vraiment, il m'a fallu faire un apprentissage théorique sur la voiture et cela m'a demandé un certain temps.

En octobre 1935, j'ai quitté la réparation pour aller faire mon service militaire. J'ai eu la malchance de faire partie de la première classe appelée à faire deux années de service avec, en plus, une année bissextile, 731 au jus en deux ans au 170e régi­ment d'infanterie à ÉpinaL Je ne parlerai pas de mon passage dans l'armée, entré deuxième classe j'en sortis deuxième classe_

De retour à l'usine après ma démobilisation en octobre 1937, je n'ai donc pas vécu les grèves de 1936. Au retour, bien entendu, j'ai trouvé du changement. Les employés étaient tous au mois et j'ai donc bénéficié de cette importante transformation du système de paie. Je fus repris comme employé de service techni­que aux appointements de 1 600 francs par mois. Ce n'était pas mal, ça me permettait de subvenir à mes besoins et, ma foi, cela m'a permis de me marier l'année suivante, en août 1938.

A ce moment, j'avais gravi un échelon et j'étais passé chef de groupe commercial le< échelon. J'ai vécu la grève de 1938, j'y ai même participé, étant le seul de mon bureau à être dans ce cas. Cette grève, dans l'atelier où j'étais, n'a pas été très virulente, l'approvisionnement en véhicules à réparer était surtout consti­tué par les tacots de l'atelier 80, et le travail s'est peu à peu déroulé sans trop de heurts ni d'interruptions.

Une évasion

1939, c'est, en juillet, le rappel des réservistes. J'avais eu, avant cette époque, la malchance de me faire opérer de l'appen­dicite. Ayant été convoqué pour une période de réserve, je n'avais pu m'y rendre, étant alité, immobilisé par une phlébite qui m'a obligé à rester quatre-vingt-treize jours chez moi. J'avais alors été réformé temporaire. Il me fallut repasser devant la commission de réforme de Versailles en septem­bre 1939 qui m'a reclassé "service armé". J'ai donc été convo­qué début octobre et, moi qui avais fait toute mon active dans les régions de l'Est, j'étais envoyé au dépôt de cavalerie n 18,

0

à Tarbes.

Comme on le sait, la campagne de France a été vite terminée et je me suis retrouvé prisonnier à Angoulême. Il faut que j'ouvre une parenthèse sur cette période où je fus prisonnier. Nous étions entassés à cinq ou six mille dans une caserne où, habi­tuellement, résidaient deux cent cinquante gardes mobiles. Bien entendu, on dormait par terre ou dans les escaliers. Après quelques jours, me trouvant derrière la grille donnant sur la place, je vois passer mon ami Lempereur qui travaillait avec moi à la réparation. Je l'appelle, il approche et me demande ce que je fais là. Je le lui explique et lui dis, en outre, que je crevais de faim. Alors il m'apprend une nouvelle incroyable: l'atelier 1 est replié à Angoulême pour une partie et en Dordo­gne pour une autre. Il me promet alors que tous les jours il m'apportera un petit colis de ravitaillement.

Cela a duré peut-être huit jours. Les S.S. qui gardaient la caserne furent remplacés par des territoriaux de l'armée alle­mande. Ces gens, un peu plus compréhensifs, acceptèrent que nous recevions des visites. Ils installèrent un carré à l'entrée de la caserne avec quatre piquets joints par des cordages et, toutes les vingt minutes, ils tolérèrent les prises de contact: les prison­niers passant sous les cordages pour converser avec les visiteurs, recevoir des colis et des livres.

C'est alors que je me mis à étudier la situation. Je demandai à Lempereur de m'apporter, au lieu de ravitaillement, un bleu de travail, un béret basque et une paire d'espadrilles. Ce qu'il fit. Deux jours après, je me glissai sous les cordages et ce furent les Allemands qui, me prenant pour un visiteur, me mirent à la porte. Je fus récupéré par Lempereur qui, grâce à des compli­cités, put me faire passer en zone libre.

Retour à Billancourt

Je me présentai à la première gendarmerie rencontrée et je fus dirigé sur Javerlhac, en Dordogne, pour être affecté à un centre de dragons, groupant les rescapés de divers régiments. Chance incroyable, c'est à Javerlhac, justement, qu'était repliée une partie du personnel de l'atelier 1. Je rencontrai

M. Hoffbourg, le chef d'atelier. Il me reconnut et me donna toutes les indications pour aller retrouver mes anciens cama­rades, ce que je fis le lendemain après avoir été repris en compte par l'armée.

A Javerlhac.

Fin juillet, les Allemands donnèrent l'ordre à tous les groupes de l'usine Renault de se préparer à rejoindre Billancourt. Je demandai à M_ Laffont, directeur de la réparation, s'il pouvait m'emmener avec lui. Il ne put me donner satisfaction, étant donné que je n'étais pas démobilisé. Ne manquant pas de culot, je me présentai au colonnel que je connaissais pour avoir déjà eu des contacts en Belgique avec lui. Je lui expliquai ma situation tout en soulignant que le directeur de Renault, qui m'avait donné cette certitude par écrit, acceptait de m'expa­trier avec le personnel de l'usine. Tenant compte de mes argu­ments, tout en me disant qu'il n'avait pas le droit de le faire puisque je n'étais pas cultivateur, le colonel donna les ordres nécessaires pour qu'on me démobilise. Et c'est ainsi que, le le< août 1940, je me retrouvai chez moi.

Dans les jours qui suivirent, je repris le travail à la réparation où j'ai passé toute la période de l'Occupation, avec comme clientèle, cette fois, quelques particuliers bénéficiant d'un auswezS, mais surtout à 95 % les voitures de la Wehrmacht, voitures ou organes puisqu'il nous arrivait des trains entiers de moteurs, de boîtes de vitesses, de ponts arrière, à remettre en état.

Souvenirs de l'Occupation

Il faut dire que les Allemands n'étaient pas des gens tellement pressés au point de vue réparations, car les délais que nous leur imposions étaient très longs. Pour un rodage de soupapes et un réglage de carburateur, il fallait compter la semaine. Tout était à l'avenant et nous observions scrupuleusement toutes les directives que nous avions exigées, à savoir qu'aucune répa­ration ne pouvait être effectuée sans un bon de travail émis par les organismes "Kraftfahrpark" qui étaient deux pour la région parisienne, le 503 à Courbevoie et le 513 à Vincennes. Cette situation nous arrangea magnifiquement. Exemple: un militaire nous apportait une voiture avec un bon ; sur ce bon étaient indiqués un certain nombre de travaux à effectuer. Le militaIre se montrait exigeant: "En plus, il faudrait régler les freins, changer une lampe de phare, le stop ne fonctionne pas". Nous répondions: "Ah! mille regrets, ce n'est pas sur le bon" et nous n'acceptions jamais de le faire. Cela donnait lieu à de terribles empoignades: menaces de déportation, etc., mais nous demeurions inflexibles, ayant affiché dans le bureau d'entrée les modèles de bons avec les instructions précises signées du commandant de la place de Paris. Forts de notre bon droit, nous étions inattaquables.

Nos relations avec les Allemands furent par moments assez pittoresques. Je me rappellerai toujours d'un camarade de bureau, M. Parot, un homme doué d'une mémoire exception­nelle puisque, par exemple, il pouvait vous dire, sans consulter les notices, le prix de n'importe quelle pièce de mécanique, pour n'importe quel type de voiture; il était d'ailleurs chargé des devis et du chiffrage des bons émis par l'atelier pour le prélèvement des pièces dans le magasin, avant que les bons ne fussent remis au facturier que j'étais.

Mais, cette mémoire, il l'employa d'une manière fort agréable et peut-être, dirai-je maintenant, un peu dangereuse pour lui. Habitant à proximité de l'usine, il rentrait donc tous les midis chez lui pour déjeuner. Parlant français, anglais et alle­mand, il était de plus très fort en latin. Il écoutait donc à la radio toutes les informations concernant les événements mili ­taires et, dès son retour, il allait dans l'atelier où la grande majorité des compagnons, agents de maîtrise et d'autres, l'entouraient et là, tapant sur un établi avec son poing pour imiter l'appel de la radio de Londres, il récitait intégralement le bulletin d'informations qu'il venait d'entendre une demi­heure plus tôt.

Toujours le concernant, je me souviens d'une discussion avec des convoyeurs de l'armée allemande, car c'était souvent les mêmes soldats qui amenaient les véhicules à réparer. Nous finissions par les connaître, même par leurs prénoms. On parlait couramment avec eux car la plupart parlaient quelque peu le français. Un jour, s'adressant à l'un de ces soldats, il dit: "Dis donc, tu peux me dire quand Adolf va se décider à débarquer en Angleterre?". L'autre lui répondit: "Oh! on sait pas encore, nous." Alors Parot lui dit : "Tu sais, je vais quand même te donner un renseignement. Toi qui es bien avec Adolf, tu pourras le lui dire. J'ai un gros bouquin concernant la marine britannique, eh bien 1je me suis amusé à faire le compte: si l'Angleterre dispose toute sa flotte autour des îles Britanniques, cela doit représenter un vaisseau tous les dix kilomètres. Faudra quand même qu'Adolf fasse attention, alors, toi, j'espère que tu vas le lui dire." L'autre a bien ri, nous aussI.

Parot était un type particulier, si un soldat allemand laissait traîner son portefeuille, Parot l'ouvrait, trouvait des lettres qu'il nous lisait. On assistait ainsi à des scènes de jalousie entre une Allemande et son mari, l'accusant de courir après des filles en France... On a eu de très bons moments avec lui et, il faut le dire, malgré quelques-uns dans l'effectif qui pensaient à la victoire de l'Allemagne, jamais à aucun moment la commission d'épuration ne fut saisie, car, s'ils avaient pensé à la victoire allemande, ils n'avaient jamais été des délateurs.

On était quelques-uns aussi à faire des tours aux Allemands. On recueillait, bien sûr, dans les forêts avoisinantes les jour­naux ornés de la cocarde tricolore qui étaient lancés par les avions anglais pendant la nuit et, bien pliés, ces tracts étaient mis par nous dans les voitures de l'armée allemande. De plus, le soir, à quelques-uns, nous nous amusions à aller changer de place les poteaux indicateurs posés par la Wehrmacht dans Sèvres ou Chaville. Ce n'était peut-être pas d'une très grande importance mais ça nous faisait plaisir.

Autre anecdote concernant l'armée allemande à la réparation. Je me souviens qu'un jour arriva un colonel allemand, le type personnifié du Prussien, crâne rasé, monocle, cravache et bottes. Il venait, accompagné de son chauffeur, chercher sa voiture qui était, si ma mémoire est bonne, une Nervastella. Consultant le fichier avec son numéro de dossier, je constatai que la voiture n'était pas prévue pour être livrée ce jour-là, mais trois ou quatre jours après. Parot expliqua cette situation au colonel, le tout en allemand, et le colonel se mit dans une fureur terrible, criant, tapant partout avec sa cravache. Nous étions tous présents et le regardions avec un peu d'étonnement mais, ne comprenant rien, nous attendions. Il demande à voir le directeur, M. Galopin. Parot nous traduit que le col~nel n'admettait pas le délai que nous avions demandé pour son véhicule, qu'il considérait notre attitude comme du sabotage et qu'il nous menaçait tous de déportation.

M. Galopin, appelé avec un nouvel interprète, explique au colonel qu'il fait une erreur, que son véhicule n'a pas été conduit à nos ateliers un lundi mais un mercredi en fin de jour­née, ce qui est facilement vérifiable puisque nous marchions par numéro de dossier par matinée.

Le colonel n'accepte pas cette explication et nous traite de menteurs. Devant l'attitude de ce personnage, M. Galopin se trouve dans l'obligation de prévenir le secrétaire du prince Von Urach, commissaire de l'usine. Ce monsieur arrive, c'était un homme d'une correction extrême, ne proférant jamais de menaces envers le personnel. Il prend contact avec le colonel.

Dix minutes de discussion. Le colonel appelle alors son chauf­feur, le fait mettre au garde-à-vous, martèle les pointes des pieds de son chauffeur avec ses talons et, avec sa cravache, cingle quatre fois le visage du malheureux en lui promettant, bien entendu, son envoi sur le front russe. Explications données par Parot : le chauffeur avait effectivement reçu le bon pour amener la voiture le lundi, mais était resté jusqu'au mercredi après-midi avec la voiture, dans Paris. Inutile de dire que nous avons souffert pour lui et vraiment constaté là les méthodes ter­ribles des officiers de la Wehrmacht à l'égard des subordonnés.

J'ai vu les troupes de l'armée Leclerc arriver à Sèvres. Je n'étais pas descendu à Billancourt ce jour-là. L'usine était déserte, hormis les responsables d'ateliers et les responsables de la Résistance .

La guerre terminée, la réorganisation de l'usine conduisit à la disparition des ateliers de réparation. Le personnel fut muté à Pereire et à Courbevoie. Personnellement j'ai refusé cette mutation et j'ai demandé à rester à Billancourt. Je me suis donc séparé de ce cher M. Peligri. Pour moi, la réparation était terminée, il me fallait faire autre chose.

Je passai quelques temps au M.P.R. pour liquider certaines

affaires liées à l'atelier de réparàtion et, en 1947, je fus affecté

à Renault-Service.

Du centre de distribution aux cantines

Un jour, je reçus une communication téléphonique de l'un de mes bons camarades, Florent Fourquet, qui s'occupait du Club Olympique de Billancourt et était membre du Comité d'établissement. Il m'apprit qu'en séance du Comité j'avais été désigné à l'unanimité pour prendre la direction du "Centre de distribution". Ce centœ avÎlit été créé en 1946 pour procurer au personnel le ma~iinum de produits qui manquaient alors : pommes de terre, bleus de travail, blouses, tissus, bois de chauffage, etc. N'ayant pas postulé pour ce poste j'étais un peu surpris et le directeur <les services sociaux, Maurice Buisson, me demanda d'accepter, ainsi d'ailleurs que Chartier, qui représentait les cadres au Comité.

J'acceptai donc et me voici dans un nouveau métier que j'igno· rais. J'appris ce qu'étaient l'approvisionnement des pommes de terre, les consignes pour décharger les wagons de bois le plus rapidement possible, la fabrication de meubles pour la vente au personnel. Je restai au Centre une bonne année et, de là, Buisson me demanda de prendre la direction des mess et canti· nes. Je n'étais absolument pas d'accord pour ce changement de poste et le fis savoir. Mais je dus, encore une fois, céder aux pressions qui s'exerçaient sur moi. Il est vrai que le contrôleur financier, M. Devienne, chargé par M. Vernier·Palliez des œuvres sociales, m'encouragea vivement.

Nouvel apprentissage: rapports avec les fournisseurs, VIsIte d'un centre de stockage de pommes de terre à Gennevilliers, explications avec les différents corps de métier existants dans la corporation, syndicat des CUISInIerS, syndicat des plongeurs, etc. Apprentissage difficile mais facilité par le concours et l'aide précieuse de gens déjà en place, ce qui me permit d'assi­miler assez rapidement les différents rouages de ce monstre de la restauration puisque, à cette époque, près de 25 000 repas étaient servis quotidiennement.

C'était, beaucoup s'en souviendront peut-être, un service unique au point de vue des plats. Tel jour, bœuf bourgui­gnon; tel jour, bifteck pommes frites; tel jour, saucisses aux choux, etc. Nous entamions une période de transformation pour implanter un système de restaurant.

La valeur professionnelle de la plupart des cuisiniers n'était pas à mettre en cause. Jusqu'à maintenant ils faisaient de la cuisine sur un rythme qui leur avait été imposé, ils étaient prêts à changer et à faire de la cuisine de restaurant. Au début, bien entendu, cela a posé certains problèmes. Il n'était pas facile de prévoir l'approvisionnement de telle ou telle unité en bifteck ou autres denrées. Une quinzaine de jours avant de changer une cantine en restaurant, nous avions donné à chaque consom­mateur une petite fiche lui indiquant que nous allions ouvrir ce local-restaurant à telle date, que nous nous proposions de mettre au menu quatre ou cinq plats dont nous donnions la composition, en lui demandant de bien vouloir, en ce qui le concernait, mettre une croix devant le plat qu'il préférait. Ce système s'est avéré très valable pour notre démarrage et ce fut sur ces indications que le service des commandes a fait le néces­saire pour approvisionner les chefs de cuisine suivant les pour­centages de denrées prévues par la récapitulation des diffé­rentes fiches.

Bien entendu, une fois que deux unités ont été constituées, il n'a plus été nécessaire de poursuivre ce sondage puisque les deux unités fonctionnant nous donnaient des renseignements pour l'avenir. Ce système de restauration est depuis fort long­temps en service et je pense que ce fut, pour le personnel, une amélioration très nette.

En avril 1952, à la suite de différends avec la direction des ser­vices sociaux, je quittai les cantines. Comme on le sait, lors de ma nomination, l'époque était euphorique. Les relations entre les syndicats et la direction, donc entre le Comité d'établisse­ment et la direction, étaient très bonnes. En 1947, la situation évolua en fonction de la politique du moment. M. Ramadier avait pris la décision de se séparer des ministres communistes ; cette décision eut des répercussions sur le plan syndical et dans le Comité d'établissement. Les rapports se tendirent d'autant que la scission syndicale intervenait avec la création de Force Ouvrière. Une partie des syndiqués C.G.T. adhérèrent à ce nouveau syndicat, surtout chez les techniciens. Ma position au sein des services sociaux devint inconfortable. Buisson qui était de la tendance Force Ouvrière fut débarqué et un autre direc­teur, très lié au parti communiste, nommé. Il s'ensuivit pour moi toute une série d'accrochages qui firent qu'en 1952, ayant refusé de demander moi-même ma réintégration à l'usine, le Comité d'établissement, par l'intermédiaire de la direction des services sociaux, décida de me licencier, arguant du fait que ma neutralité" sert les intérêts de la direction" !

Préparation d'un repas à Javerlhac.

Le service immobilier

C'est alors que je réintégrai l'usine. Ayant eu le choix entre trois directions, je choisis le service "Immobilier". Je pris contact avec le chef de ce service, M. Philippe d'Artemare, et trouvai en lui un homme d'une amabilité et d'une gentillesse qu'il n'est pas souvent possible de rencontrer.

Je lui fis savoir clairement que mes connaissances dans ce domaine étaient plus que limitées. Il m'indiqua que je ferai mon apprentissage et qu'il espérait que tout irait bien. Je pris donc mon service selon les instructions de M. de Vaulx qui était à l'époque responsable de la gérance des immeubles d'habi­tation de la Régie. Il me fallut apprendre, bien entendu, ce qu'était la loi de 1948 ; comment l'on établissait une surface corrigée ; comment il fallait répartir les charges entre les loca­taires et résoudre les problèmes des charges locatives, l'entre­tien des immeubles, etc.

En 1954, M. de Vaulx, ayant été appelé à seconder davantage

M. d'Artemare, abandonna ses fonctions et je fus appelé à le remplacer à la gérance des immeubles. Le patrimoine avait grandi; l'usine de Flins avait été construite, les immeubles d'Élisabethville, d'Épône, des Mureaux étaient tous occupés et la gérance avait besoin de s'étoffer. Avec l'application du 1 % patronal destiné à être employé uniquement pour le logement, fut créée la S.I.R.N.U.R.

Cela ne changea rien à mon statut, mais le 1 % représenta une masse de trésorerie qui permit la construction ou l'acquisition d'un nombre très important de logements et obligea, en consé­quence, à renforcer le service de la gérance. Vinrent alors les programmes de Meudon-la-Forêt, Issy-les-Moulineaux, Mala­koff et bien d'autres dans la région parisienne, avec en plus des participations dans diverses sociétés immobilières dans les programmes où la S.I.R.N.U.R. avait acquis un nombre plus ou moins important d'appartements. Un nouvel apprentissage devint nécessaire, relations avec les syndics, interventions dans les conseils de surveillance, participations aux assemblées générales.

En 1979, je terminai mon temps de travail à la Régie. Je peux dire qu'en 46 années de présence à la Régie, je n'ai occupé que trois postes: la réparation des véhicules, les services sociaux, l'immobilier. J'ai appris beaucoup de choses dans mes diffé­rentes fonctions et je ne me souviens pas, à part peut-être la dernière année passée aux services sociaux, que de venir travailler fût, un jour, une corvée.

Marcel AMAND